Mammoth Storm – Fornjot

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Avant même sa musique, la premier contact avec un groupe se fait par le nom. Ainsi, dans le petit monde du stoner rock, comme pour la plupart des autres subdivisions du metal, l’imaginaire des patronyme est souvent significatif et tourne la plupart du temps autour de quelques thèmes, allant de la drogue au sexe en passant par l’aspect caniculaire ou lunaire (les « moon » et les « sun »), sans oublier, bien sûr, les références à Black Sabbath. Il y a, depuis récemment, une nouvelle redondance stylistique à signaler : l’image du mammouth. En effet, de nombreuses formations nouvelles ont adopté l’image de l’imposant et antique mastodonte poilu pour caractériser leur musique. Jugez plutôt: Mamont, Mammoth, Mammoth Mammoth, Mammothwing, Mammoth Volume, Wooly Mammoth, Aye Mammoth, Mammoth Storm, Motor Mammoth, The Fall Of Mammoth, Mammoth Blues (qui pour l’anecdote est un side project de membres de Bisonhammer, promis je n’invente rien!) ou Tunguska Mammoth rien que pour le stoner/doom et je vous passe les noms d’albums avec des mammouths dedans, ils sont légion. S’il est vrai que le pachyderme, énorme, poilu, gelé et d’un autre temps a de quoi évoquer bien des aspects du stoner rock, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a surreprésentation d’éléphantidés dans le bestiaire du genre. Alors lorsque débarque Mammoth Storm, nouvelle signature de Napalm Records en 2014, je fais partie des méfiants. Pourtant Rite Of Ascension, l’EP du trio suédois, qui n’avait jusque là que deux ans d’existence et une démo sous le bras, fait forte impression et de tous les mammouths cités plus haut, Mammoth Storm est celui qui semble le mieux porter son nom. En quatre titres aussi heavy qu’un fémur pris dans les glaces, la formation de Daniel Arvidson (ancien guitariste de Draconian, ici à la basse et au chant) fait étal d’un savoir faire certain en matière de lourdeur. Suffisamment en tout cas pour faire de la publication de son premier album en novembre 2015, toujours chez Napalm, quelque chose d’attendu.

Fornjot est le nom d’une figure primitive dans la mythologie Finlandaise. Une sorte de géant barbu, un roi guerrier, autant dire une figure tutélaire pour le groupe. Sans aller jusqu’à parler de concept tout au long de l’album, il apparait évident que la mythologie nordique, une fois n’est pas coutume, ait été une influence primordiale lors de l’écriture de l’album (on retrouve par ailleurs Fornjot sur l’artwork, qui est l’œuvre d’Emil Ahlman, le batteur du groupe). Dans la droite ligné de l’EP sus-mentionné, Fornjot déroule sur 50 minutes un son aux inspirations doom nordique (une sorte de fusion entre les poussées mélodiques de Candlemass et des ambiances polaires, rappelant la frange de la scène naviguant à vue aux confins des musiques extrêmes) mélangé à un « je ne sais quoi » de Neurosien dans le tempo et l’utilisation de la guitare lead. L’alchimie de l’ensemble offre un son unique à Mammoth Storm, et les deux plus belles pièces de l’opus, « Augurs Echo » et « Fornjot » offrent un panorama éclairé et passionnant de l’univers du groupe. Si parfois le chant manque de profondeur et d’intérêt, la qualité des compositions et la puissance sonore qui se dégage de l’album suffit à en faire un ouvrage de qualité hautement recommandable.

 

Point Vinyle:

Sobre mais efficace, Napalm propose le LP en 3 versions: Noir, lilas (100 ex) et violet (100 ex). Il s’agit d’un double vinyle, gatefold.

The Shrine – Rare Breed

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Ça roule chez The Shrine. Ou plutôt ça skate : le remarqué Bless Off des californiens à roulettes, sorti en 2014, leur aura offert une tournée en conséquence (notamment avec Red Fang en Europe), une solide réputation en live ainsi qu’une signature chez Century Media. Du coup ça commence à se savoir, The Shrine a autant biberonné à Black Sabbath qu’à Black Flag, pas trop au Black Metal mais plus à la scène Heavy anglaise des années 80 et son pendant américain.

Et comme pour mieux poser un décor bigarré d’emblée, le riff bien lent qui ouvre ce Rare Breed est rapidement balayée par un déluge Punk Rock “comme on n’en fait plus” et la déclaration de guerre aux envahisseurs qui suit enfonce le clou dans le même tonneau, énergique et efficace.

Un trait de caractère fort et omniprésent sur tout l’album, qui ne figurerait pas dans ces colonnes si le combo ne se plaisait pas à ralentir le tempo. The Shrine aime en effet se fendre de titres plus grassouillets et bluesy dans l’âme (“Rare Breed”, “The Vulture” ou l’excellent “Space Stepping” en épilogue), mais toujours avec ce sentiment d’urgence qui rôde dans le coin (“Acid Drop” et ses cavalcades de basse très Steve Harris). On a même droit à un hommage pré-posthume à Sir Lemmy sur le furieux “Savage Skulls and Nomad”, à une incartade solo de gratte très Van Halen (“Pull The Trigger”) et à la ballade sirupeuse mais cynique de rigueur “Dusted and Bused”, qui finit quand même en solo Rock ‘n Roll.

En parlant de solos l’ami Josh dissémine tranquillement ses plans souvent à la limite du shred, mais jamais trop bavards. Influence Punk quand tu nous tiens…

Ce monsieur s’exprime aussi avec aisance derrière le micro, assénant des vocaux plus ou moins hargneux mais toujours mélodiques, avec ses refrains qui restent facilement en tête et ses chœurs accrocheurs, ironiquement mielleux.

A souligner le très bon travail de Dave Jerden à la production (Alice In Chains, Anthrax ou… Offspring, entre beaucoup d’autres) qui donne une enveloppe impeccable à l’ensemble, propre mais couillu, qui laisse facilement transparaître le plaisir pris à l’enregistrement.

Un quatrième effort en cinq ans qui devrait permettre au trio, en travailleur appliqué et volontaire, de franchir un nouveau palier, leur auto-dénommé “Psychedelic Violence Rock ‘N Roll” aux influences bien digérées étant de mieux en mieux maîtrisé.

El Caco – 7

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Durant la déferlante scandinave du début des années deux-mille, El Caco avait constitué, avec entre autres ses compatriotes de Honcho, la réponse norvégienne à la suprématie suédoise sur le stoner européen. En 2001, le trio commit un incroyable album : « Viva ». Cette production de grande classe tourna régulièrement sur ma platine durant quelques années et ce disque figura longtemps dans mon top ten des meilleures productions de stoner de tous les temps. Vous dire l’affection que j’ai eu pour ces Norvégiens ; celle-ci se limita malheureusement à cette première production en particulier car s’en suivit « Solid Rest » qui n’atteint pas le niveau attendu après un premier album bluffant puis « The Search » qui se cherchait vraiment au milieu de la décennie. Ce troisième album me vit abandonner tout espoir de me retaper un jour une bonne plaque de ces types.

Je fis l’impasse sur les trois plaques qui suivirent et, lorsqu’un de mes complices m’adressa un message du style : « Tu prends le prochain El Caco ? », j’allais lui signifier mon manque d’intérêt pour ce groupe s’étant égaré depuis un certain temps dans des méandres metal hype auxquels je ne goûtais pas vraiment, y compris en ce qui concerne certains gimmicks exaspérants en vogue sur les grosses productions germaniques. Cette formation était devenue, à mes yeux, peu digne d’intérêt comme Sparzanza, par exemple, qui emprunta un chemin similaire. Nonobstant, j’ai surfé un poil sur la toile et ai jeté une oreille, septique, sur le premier single issu de ce « 7 » : « Ambivalent » qui fit office d’antiseptique. Ce premier extrait m’a rapidement convaincu d’aller plus loin dans la découverte du septième opus d’El Caco car c’est une belle réussite au rayon stoner traditionnel : une basse trépidante, un riff overdrivé efficace et un refrain catchy ; que demande le bon peuple ?

A côté de ce brulot pas novateur, mais terriblement efficace, se côtoient des compos du même tonneau : faciles c’accès et foutrement bien produites dont « Those Possessed » et surtout « Curious Single » qui lorgne vers le Mastodon des débuts par ses plans hyper carrés. J’ai, par contre, fait l’impasse sur deux bizarreries proches du filler : « Reach Out » ainsi que « In Limbo » qui devraient plaire à vos potes pas férus de stoner. Cette galette qui tape dans le stoner très traditionnel ranime incontestablement la flamme El Caco et sa filiation avec le style que nous chérissons.

Bénéficiant d’une production des plus soignées, cette sortie digne d’intérêt évite le piège de la redondance en s’ouvrant à des sous-genres des plus intéressants et, outre le premier extrait pêchu en diable, deux titres à part sortent carrément du lot. Tout d’abords « The Silver Light », une tentative punk’n’roll qui réussi le parfait mix de la légèreté des Hellacopters et de la rythmique plus couillue de leurs compatriotes de Dozer. Le deuxième, qui n’a rien à voir avec l’entier de cet objet, c’est « In Space All Huge Beasts Just See » : un instrumental de trois minutes trente au tempo martial et très ralenti sur lequel on frôle le génie à grands renforts de reverb. « 7 » ne sera peut-être pas le disque de la décennie, mais il s’agit incontestablement d’une sortie d’excellente facture.

Sweet Leaf : A Stoner Rock Salute to Black Sabbath

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Subdivision de Cleopatra Records (label Californien lancé par Brian Perrera, ancien activiste de la scène metal de Los Angeles), Deadline Music s’est fait deux spécialités depuis 1995, année de sa création : la publication de groupes de metal 80’s (Ratt, LA Guns, Warrant, Lita Ford et bien d’autres) ainsi que des sorties régulières de compilations, consacrant un artiste culte par le biais de reprises sensées montrer l’influence de ce dernier sur les nouvelles générations. De Led Zeppelin à Scorpions, en passant par Cradle Of Filth ou Michael Jackson, leur travail est celui de fans, avec tout ce que cela comprend en matière de dévotion et d’hommage. Parfois pompeux (« World’s Greatest Metal Tribute To Led Zeppelin »), parfois drôles (« Show Me your Hits », tribute to Poison par Bret Michaels lui même), les compilations de Deadline sont souvent l’occasion de faire tourner les musiciens maison. Pour exemple, en 2001, ils avaient rendu hommage à Judas Priest par le biais d’un album nommé « An Industrial Rock Tribute To Judas Priest », l’idée étant de montrer l’influence du groupe sur un style musical en particulier (passons sur le fait que les morceaux aient été enregistrés par des stars du glam, tels Jani Lane, Kory Clarke ou John Corabi). Venons-en désormais à ce qui nous intéresse : fin octobre 2015, le label publie Sweet Leaf : A Stoner Rock Salute To Black Sabbath qui, comme son nom l’indique, regroupe un certain nombre de musiciens de la scène stoner autour du grand Sabbath. Voilà pour le contexte.

En premier lieu, si l’idée est ici de montrer l’influence de Black Sabbath sur le stoner rock, il va sans dire que la démarche est… au mieux amusante, considérant que le test de paternité a depuis longtemps été rendu public. Sans compter que l’on ne manque pas de tribute déjà existant. Rien que dans le genre stoner/doom, entre l’insurpassable Masters Of Misery (Earache Records/97), les deux volumes Nativity In Black ou la série d’hommages publiées par Hydra Head en 7’ (Converge, Brutal Thruth, EyeHateGod ou Neurosis. 6 disques sortis entre 97 et 99 puis réunis dans un box collector en 2013) on a été gâtés. Ajoutons à cela les différentes compilations heavy ou death metal jusqu’à l’improbable album de Rondellus sous titré « A Medieval Tribute To Black Sabbath » et statuons officiellement sur le fait que le Dieu Sabbath ait été plus que vénéré. Alors pourquoi ? Pour faire le pont entre le stoner et le rock glamouze de L.A. ? Probablement. Le choix des groupes va par ailleurs dans ce sens. La plupart des formations sélectionnées versent dans le heavy rock mélodieux, et reprennent l’œuvre du monstre de Birmingham avec une fidélité dommageable. L’occasion de remarquer la paternité vocale d’Ozzy sur la plupart des chanteurs de la scène (Mos Generator, Bloody Hammer, Scorpion Child, pour ne pas les citer). Si quelques titres sont classiques mais agréables (Solace, Pentagram, Witch Mountain, Wo Fat, Weedpecker) et d’autres carrément intéressants (venant principalement des formations psychédéliques tel Ulver, Golden Void ou Death Hawks), le reste est au mieux décousu et n’apporte pas grand chose (Mos Generator, House Of The Broken Promises, Cancer Bats) et verse parfois dans le pathétique (Stoned Jesus, Scorpion Child, Bloody Hammers et surtout la reprise dégeulasse d’«Iron Man» par Mike Inez, Zakk Wylde et William Shatner, oui le Capitain Kirk de Star Trek). La balance, au moment de faire les comptes, penche malheureusement du mauvais côté.

Ainsi je ne saurai que trop conseiller à ceux qui aiment les hommages à Sabbath de se pencher sur les références susmentionnées, et les amateurs de tribute de qualité de se jeter sur le tribute consacré à Electric Ladyland de Jimi Hendrix publié il y a quelques mois par Magnetic Eye Records. Ce disque là, est de tout point de vu une merveille. Reconnaissons lorsque le travail est bien fait !

Point Vinyle : Ce disque n’existe pas (encore) sur ce format.

Karman – Karman (EP)

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Les groupes proposant un « stoner-space-rock » commencent à être aussi nombreux que les satellites tournoyant au-dessus de nos têtes. Karman fait partie de cette armée mais brille un peu plus les soirs où le ciel est dégagé, et continuera ses révolutions autour de la Terre peut-être un peu plus longtemps que certains de ses congénères métalliques.
La rampe de lancement se situe dans le Pas-de-Calais, les moteurs carburent  à un stoner instrumental burné aux palm-mute nécessaires et à la réverbe galactique quand le besoin de prendre de la hauteur se fait ressentir. 5 titres pour cette auto-prod et pas un seul instant d’ennui. Les compos sont justes et l’enregistrement justement équilibré. On se retrouve toujours avec une petite trouvaille au creux de l’oreille qui permet au quartet de ne pas sombrer dans la redite. Karman pourrait être ce petit cousin de Monkey3, ébahit par son grand-oncle et souhaitant, tout comme lui, taquiner les étoiles de ses cordes.
Une jolie petite découverte que ce groupe nous proposant un agréable voyage à la périphérie terrestre. Reste à mûrir son projet et ses envies pour nous faire voyager encore plus haut, encore plus loin. Mais à l’écoute du dernier titre « Austral Spirit », on n’en doute pas.

Blue Snaggletooth – Beyond Thule

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Ils viennent du Michigan et proposent dans ce second effort un voyage Sci-Fi oldschool pas piqué des vers de l’espace. Rien que la pochette annonce la couleur. Un magicien de l’espace avec une guitare pour bâton magique qui combat un serpent ailé qui crache du poulpe. Les lyrics de Chris Taylor restent bien évidement dans cette veine. Le son quant à lui s’approche d’un Monster Magnet, d’un Fu Manchu ou d’un Pearl Jam avec quelques épisodes doomesque. L’album se montre riche de compositions variées qui souvent cherche le souffle épique, et le trouve sans trop de redite.

Le premier morceau, « Reptiles », est empli de fuzz dans une atmosphère toutefois assez claire et un certain classicisme dans la construction. Le second, « Sleeping Mountain », présente l’autre facette du groupe avec une ambiance plus lourde et surtout des envolées épiques énormes. Avec « Ahamkara » et ses 7 minutes, ils s’essayent à l’ambiance de longue haleine avec ce qu’il faut de retenu pour nous accrocher, même si le morceau aurait gagné à durer encore juste un peu.

Avec une sortie vinyle, meilleur moyen de mettre en valeur leur pochette (et leur son), il est clair que ce groupe fait définitivement les choses en grand.

Sunnata – Climbing The Colossus

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Si on vous parle de Varsovie, comme ça, en première approche, à chaud, vous ne penserez probablement pas à la capitale montante du gros son qui tâche. Probablement parce que Sunnata s’est fait encore trop discret, malgré quelques apparitions très remarquées sur des tournées ou festivals prestigieux ces dernières années. Afin de vous préparer à leur nouvel album en cours de production, qui s’annonce comme une grosse sortie de 2016, on voulait revenir sur leur précédente (auto)production, ce Climbing The Colossus de 2014.

Ça commence par un larsen gras un peu dégueulasse et ça se termine par le même larsen craspec. Entre les deux, ça dure trois gros quarts d’heure, et ce n’est jamais moins poisseux. Autant vous prévenir, amateurs de finesse et de soli aériens, vous allez être déçus. Sunnata c’est quatre mecs qui vont s’employer sur les sept giclées qui constituent ce disque à te faire bouffer des poignées de terre jusqu’à t’en étouffer, puis une fois au sol en train de vomir tes tripes, à t’enfoncer la gueule dans la boue en t’écrasant le crâne sous le talon de leurs godasses crasseuses. En gros. Mais subtilement.

En effet, pour ça, nos polonais ne se la jouent pas gros bourrins : ils emploient toujours à bon escient bon nombre de techniques qui ont fait leur preuve. Une sous-couche de doom bien glauque (« Seven », « Monolith », « Formalhaut »), des rasades de sludge crasseux (« Path »), des mélodies qu’on était plus coutumiers d’entendre chez des combos plutôt connotés grunge (« Asteroid », « Stalagmites ») ou stoner (« Stalagmites » encore, l’intro de « Seven », le superbe « Path »).

Cette synthèse stylistique rend la première approche de Sunnata éminemment sympathique. Une approche qui incite conséquemment à une certaine bienveillance, facteur nécessaire pour s’immerger convenablement dans la musique du combo. Car le songwriting du groupe, atypique, révèle sa substantifique efficacité qu’au fruit de cette étape, constitue a minima d’une bonne demi-douzaine d’écoutes : petit à petit le facteur d’accroche se fait jour, et les écoutes suivantes sont autant du miel cérébral que du gravier auditif. Les compos progressivement apparaissent comme des évidences, et le travail de production prend la relève pour garantir l’intérêt de l’auditeur pour les dizaines d’écoutes successives. Inutile de préciser que niveau instrumental, vocal, etc… ça tient là aussi franchement bien la route.

Gros potentiel pour ce groupe, dont l’énergie sur disque laisse imaginer des expériences mémorables en live. Et surtout, comme annoncé, un prochain album qui devrait laisser des traces. A suivre de près.

Blackwulf – Oblivion Cycle

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On ne le dira jamais assez, le deuxième album peut être décisif pour un groupe. C’est le cas de Blackwulf, venant du fin fond d’Oakland en Californie, nous offrant ainsi cette petite galette du nom de Oblivion Cycle.

D’une certaine façon, être originaire d’une ville à proximité de San Francisco, ça aide toujours à puiser dans une multitude de bonnes influences musicales. C’est clairement ce qu’on ressent à l’écoute du successeur de Mind Traveler. Pourtant, la tâche n’était pas des plus aisées, puisque qu’avec un premier succès studio, le groupe avait réussi à se libérer des carcans, parfois trop « nostalgiques » de riffs à la Black Sabbath. Ici, on ne va pas se mentir, Oblivion Cycle s’insère plus globalement dans un délire Stoner des plus classiques, mais, avec tout de même une certaine subtilité qui en fait quelque chose de plus frénétique.

L’ouverture le prouve de suite, on traverse les ponts californiens sous une chaleur de plomb avec « Colossus » qui ouvre bien, mais, c’est surtout la suite qui enrichit le mieux la force rythmique et énergique du quatuor. Notamment avec les trois grosses pépites que sont « Memories », « Acid Reign » et « Dark Tower ». On a de la chance, tout s’enchaine parfaitement bien à travers une teinte de solos de guitares amplement dosés et un rock’n’roll des plus sympathiques. Puis, on arrive progressivement dans le cœur même de l’album qui fonctionne moyennement bien, où on en arrive même à ressentir une presque passivité auditive, de par le retour répliquant à une tradition « vintage » un peu redondante. C’est dommage car Blackwulf ont plus d’une corde à leur arc comme le prouve « March of the Damned », dernier morceau qui clos avec grande classe ce deuxième opus.

Alors, oui, on peut dire que Oblivion Cycle est un bon album dans le fond, un peu moins dans la forme. Puisqu’il nous offre de très bons morceaux qui arrivent à couvrir une petite moitié un peu plus classique. Mais, cette dernière ombrage les délicieuses prises de risque que le groupe avait réussi à maîtriser sur leur premier album. Ce n’est donc pas un faux pas, mais la volonté de s’enraciner dans l’univers Stoner en continuant de se chercher tout en respectant certains codes.

Witchsorrow – No Light, Only Fire

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C’est un monde désolé, où tout espoir a depuis longtemps disparu. L’épouvante et la terreur sont désormais les seuls compagnons. Ici, pas de lumière, juste du feu. Juste cette lueur orangée et vacillante émanant d’une vieille lampe à huile qui semble brûler depuis des temps immémoriaux et combat vainement l’épaisse obscurité triomphante. Bienvenue dans cette contrée où les inquisiteurs implorent une dernière fois un Dieu qui n’existe pas, alors que les hérétiques s’apprêtent à embraser le bûcher sur lequel ils sont solidement attachés, l’allumette à la main et le visage gagné par la folie.

Voilà à n’en pas douter le parfait théâtre de Witchsorrow, celui où la sorcellerie vainc toujours. Après deux sorties très remarquées chez Rise Above Records (du fameux Lee Dorrian), le groupe réitère cette année avec un troisième album chez Candlelight cette fois ci, label d’habitude plus orienté metal extrême. Changement d’écurie, changement musical ? Oui et non : notre trio anglais continue de donner dans le doom maléfique, bien qu’un peu vitaminé, il est vrai. Avec l’appui de Chris Fielding à la production, aussi connu pour tenir la basse dans le groupe au son le plus lourd du monde, j’ai nommé Conan, nous nous devions définitivement de revenir sur cette sortie de 2015 avant la fin d’année.

Le titre introductif, « There Is No Light, There Is Only Fire », nous fait d’entrée comprendre que Witchsorrow a glissé de la Juvamine dans son infusion à la verveine : on est plus proche de High On Fire que de Saint Vitus sur ce morceau secouant les morts. Même constat sur « To The Gallows », qui ne laisse pas beaucoup de place au silence en matraquant un riff au rythme des sabots de l’animal frappant la terre, se dépêchant d’amener l’accusé à la potence, gallows en anglais (oui, chacun son imaginaire). Les doomsters les plus pieux trouveront néanmoins leur bonheur sur des titres plus classiques et titrant au dessus des 10 minutes comme le veut la tradition, avec « Disaster Reality », « Negative Utopia » ou encore « De Mysteriis Doom Sabbathas », référence évidente au premier Mayhem (dont Witchsorrow a d’ailleurs enregistré une cover de Freezing Moon).
Mais les deux bijoux de cet album sont sans hésitation « Made Of The Void » et « The Martyr ». Riffs épiques, sonorités sinistres, chant clair un poil éraillé du frontman Necroskull se mariant parfaitement à l’ensemble, soli ultra efficaces et incisifs, puissance et tension croissantes… Bref, tout est réuni pour faire de ces deux morceaux des chefs-d’oeuvre du genre. On appréciera aussi la mélancolique interlude acoustique « Four Candles », on aurait même souhaité qu’elle dure plus d’une minute.

Witchsorrow nous livre ici leur meilleur album à ce jour, très complet et tapant dans plusieurs directions, pour notre plus grand plaisir. Un groupe en passe de devenir une référence et qui, comme la bonne bière, plus il vieillit, meilleur il est. À l’affiche du prochain Desert Fest londonien, on souhaite que le trio anglais profite de l’occasion pour définitivement gagner ses lettres de noblesse. Ce serait rendre à César ce qui appartient à César.

À déguster avec : des crêpes flambées (que tout ce feu serve à quelque chose)

Hooded Menace – Darkness Drips Forth

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Si le doom metal – pour d’évidentes raisons rythmiques – s’est acoquiné au fil des années avec le stoner rock, il reste, dans son essence première, un cousin des autres scènes extrêmes, death et black metal en tête. De par ses préoccupations morbides et la noirceur de son esthétique, le doom n’est finalement qu’une lente émanation du métal, tout comme le death et le black en sont des mutations rapides et radicales. Ainsi de nombreux groupes ont créé des ponts entre ces genres : citons Winter, Skepticism, Disembowelment ou Thorr’s Hammer pour les plus sombres et les plus passionnants. Hooded Menace, quatuor finlandais formé en 2007 par Lasse Pyykkö pousse le genre dans ses plus lents retranchements, installant des ambiances d’apocalypse à grands renforts de riffs que n’aurait pas renié Electric Wizard, dans une ambiance tenant plus des entrailles de l’enfer que de la réunion de drogués sataniques. Le groupe débute chez Doomentia, label Tchèque dont la notoriété se fera grâce à la publication de Fulfill the Curse le premier effort d’Hooded Menace. Mais c’est avec Never Cross The Dead, sorti en 2010 chez Profound Lore Records que la formation finlandaise tiendra son meilleur album. Passé depuis chez Relapse Records et devenu un poids lourd  du genre, le projet de Lasse Pyykkö est aujourd’hui incontournable.

Après Effigies Of Evil (2012) et un EP (Labyrinth Of Carrion Breeze/2014 chez Doomentia), Hooded Menace revient avec Darkness Drips Forth, suite logique d’une discographie aussi monolithique que passionnante.

Pour sa nouvelle livraison, deux points sont notables : tout d’abord, l’arrivée d’une seconde guitare, tenue par Teemu Hannonen, compère de Pyykkö depuis le début des 90’s au sein de Phlegethon notamment. Par cet apport, le disque gagne en profondeur, jouant à fond sur les harmonies de guitares. L’autre nouveauté réside en la longueur des titres : en effet, Darkness Drips Forth ne contient que quatre titres, cherchant tous dans les dix minutes et le rendu n’en est que meilleur.

Dès l’introduction, entre cloches mortuaires et guitares dissonantes, le groupe fait allégeance à Cathedral, convoque une nuit éternelle et entraine l’auditoire vers les bas fonds, dans un growl déchirant. « Blood For The Burning Oath / Dungeons of The Disembodied » écrase, compresse et démembre sans pitié. Si le son semble moins caverneux (plus death metal ?) que sur l’insurpassable Never Cross The Dead, le fait que les ambiances des morceaux s’étalent sur de plus longues plages est appréciable. L’ambiance glaçante de « Elysium of Dripping Death » ou la porté mélodique de « Beyond Deserted Flesh » (la chanson la plus rapide de l’album) prennent alors des allures d’odyssées morbides et l’album dans son ensemble en sort grandit.

En l’absence des références du genre, Winter ou Disembowelment, Hooded Menace hante désormais le donjon du death/doom et Darkness Drips Forth est un rempart supplémentaire à la forteresse qu’Hooded Menace s’est construite, voyant la concurrence s’écraser contre ses murs en une masse informe de corps tuméfiés, remuant, de ça, de là, en petits clapotis dans une marre de sang.

 

Point Vinyle :

Relapse propose le LP en 4 versions : Clear (100), Swamp Green/Olive Green Merge (500), Silver (250). La couleur Silver est l’édition spécial 25ème anniversaire du label qui a été proposée sur la plupart des sorties et rééditions de l’année.

Kind – Rocket Science

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La notion de super-groupe tient dans l’hypothèse que l’accumulation de vaillants gaillards œuvrant dans de supers groupes chacun respectivement aurait pour résultat de créer une structure au-delà d’un groupe jugé « normal » mais un groupe hors norme que l’on pourrait qualifier de sur-super. Une théorie en soi aussi prometteuse que fumeuse, l’équivalent musical à un repas de fête où foie gras-huitre-buche-champagne s’uniraient dans une seule et même succulente recette. Quand bien même les ingrédients sont Elder, BlackPyramid/The Scimatar, Rozamov et Roadsaw, cela pourrait se traduire par une indigestion. Gages de qualité en soi, le pédigrée des protagonistes ne doit pas faire oublier l’essentiel : le son.

Sans grande pompe, ni tralala, Kind débarque en toute innocence comme la réunion de cOpaings qui à l’occasion jammaient sans y paraître et qui suivant leur bonhomme de chemin firent un petit live par ci, une petite démo par là et sortent maintenant leur premier album « Rocket Science » sans crier gare ! Un groupe, somme toute, normal avec des supers artistes en son sein.

L’aspect jam est ce qui ressort dès les premières écoutes. A l’image de jeunes loups dans leur garage faisant tourner du riff dans un esprit classic-rock. Recherche du plaisir dans la ritournelle plus que dans la structure. Puis la magie opère au-delà de l’addition de talent, la mayonnaise a pris. L’alchimie qui se dégage de ses quatre-là quand ils écrivent ensemble, les cimentent comme un groupe à part entière. Le développement naturel des morceaux à l’image d’un « German for Lucy » en ouverture renvoie directement à la sorcellerie kyussienne. L’usage maîtrisé des effets par Darryl Shepard à la six-cordes sert aussi bien de transition que d’orfèvrerie aux riffs déjà bien ciselés. Confortablement posé sur l’épais matelas de basse graisseuse offerte par Tom Corino, lui-même soutenu par le groove ostentatoire de Matthew Couto, l’unité instrumentale transpire l’hégémonie de leur savoir-faire. Fluidité des enchainements rivalisent avec débauche de bons plans.

De cette masse incantatoire à la gloire d’un rock certes doom mais classic par bien des atours, se dégage le chant de Craig Riggs. Son arrivée a scellé la création de la bande et son destin avec. Kind sera, au-delà du side-project, un groupe qui a de quoi s’inscrire sur le long terme. Le vocaliste démontre au fil des titres combien son grain de voix tantôt mordant, tantôt caressant, propulse les jadis jam-sessions chatoyer le génie de groupe établi comme référence du genre. Dans le direct « Fast Number One » comme dans le spacieux « Hordeolum », Kind fait figure de roublards flibustiers abordant le vaisseau amiral du stoner-doom pour en prendre les commandes et le laisser dériver au grès de licks psychédéliques, de pachydermiques assauts et autres aériennes mélopées. « Pastrami Blaster », « Rabbit Astronaut », « The Angry Undertaker » équivalant à des boulets de canons aux noms aussi originaux que leur efficacité est enchanteresse.

La classe de ces gentlemen-corsaires effleure l’extatique réussite d’une fusion de super-saiyans. Leurs pouvoirs bel et bien réunis dans un super-groupe. Pour le moment ça ne dure que les 51 minutes de ce Rocket Science mais présente l’avantage d’un simple replay pour se remettre une gouleyante dose d’ambroisie musicale.

Isaak – Sermonize

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Je ne sais pas exactement comment on dit « grosse paire de gonades conquérantes » en italien mais si le terme n’existe pas, « Isaak » pourrait être celui-ci. Avec « Sermonize » les transalpins balancent un skeud gros et gras comme un burger trois steaks, une galette luisante dont l’équivalent culinaire serait le kouign-amann breton.

La face A du nouvel album renvoie à une part intéressante de la ville de Gènes, berceau du quartet. Enclavée entre la montagne et la mer, la cité est parcourue de petites routes sinueuses, bordée d’édifices, d’immeubles, envahie de 2 roues, balafrée par la crise industrielle, reine de la culture et de la violence en 2004. Cette voix saturée introductive, dégueulée sur cette guitare nirvanesque, emprunte la même sensation d’étouffement que procure la capitale de la Ligurie. A l’écoute des premiers morceaux, j’ai la même impression angoissante qui m’écrase la poitrine que lors de ma venue dans le port italien. La faute à cette production massive, à ce savoir-riffer dévastateur. On ne respire pas lors de cette première phase. On en prend plein la gueule, on encaisse comme on peut. Ça rock et ça roll à la Lo-Pan. Ça délie velu sur « Fountainhead », ça n’oublie pas ses petits effets de voix 90s sur « Almonds and Glasses ». On pourrait glisser l’intercalaire Isaak entre ses contemporains Desert-Storm et Albatross Overdrive sans peine.

Retourner le vinyle, prendre la peine de respirer ou d’expirer son Yeah (Kyuss) et nous voilà sur la face B.

Que reste-t-il de nos poumons atrophiés après la première partie ? Les italiens vont-ils insuffler un poil plus d’oxygène sur le retour ? Et bien oui, pas immédiatement mais « Lesson N°1 » apporte un groove bien connu et permet de prendre le premier bateau, de quitter le port italien et de voguer vers la lointaine et désertique Amérique. La face B est moins ramassée en production et puissance, elle permet même de reprendre ses esprits. Jusqu’à ce point final étonnant, et, finalement, intéressante porte vers le futur des italiens. « Sermonize » le morceau-titre, est une ballade éthérée, presque acoustique, aux chœurs léchés, à l’intention touchante. La simplicité des arrangements et le dépouillement éclatent après les parpaings massifs précédents, et on se prend à rêver d’un album futur plus imprégné de ce genre d’ambiance.

Au final, le nouvel essai d’Isaak est une réussite, tant au niveau composition que production. Toutefois l’aspect linéaire de l’ensemble, la redite de certains riffs, cette volonté de foncer pied au plancher peut fatiguer. Les codes sont bien assimilés, la technique est juste, reste à ajouter ce petit plus personnel qui fera du prochain album des transalpins un riffing-class-album. Et ce petit plus tient peut-être dans ce titre final. A vous d’en juger. « Sermonize » est donc une belle et importante étape dans la discographie d’Isaak mais pas encore son chef-d’œuvre. Ah, et oui, la pochette, signée Richey Beckett, est l’une des plus belles de cette année. Rien que ça. Une belle étape donc.

Sunn O))) – Kannon

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Il y a quelque chose d’irrationnel et en tout cas de difficilement compréhensible dans la soudaine notoriété de Sunn O))), concentrée autour de la sortie de ce nouvel album. Travail de promo remarquable ? Probable. Tant mieux. Hype exagérée ? Possible. Musique devenue plus accessible ? Naaan, faut pas déconner ! Mais au final, pas grand-chose à redire : « irrationnel », le groupe l’a toujours été, difficile à cerner dans son parcours, son évolution. Ce n’est pas maintenant, avec un septième « vrai » album sous le bras, qu’ils vont revenir dans des sentiers battus qu’ils n’ont jamais jusqu’ici ne serait-ce qu’effleuré…

Après un Monoliths & Dimensions qui avait rassasié son monde (beaucoup de choses, beaucoup de musique, beaucoup de nouveauté, beaucoup d’arrangements…), et une paire de disques collaboratifs tout aussi barrés, on imaginait clairement la surenchère poindre le nez pour ce Kannon, avec fatalement le risque du « trop ». On attendait notre duo de gratteux au tournant. Et bien non, virage à 90° toute ! On fait comme si de rien n’était, on re-bifurque dans une voie de la synthèse, de l’essentiel, et donc de la quintessence pour SOMA et Anderson. Trois chansons (et donc trois riffs, les connaisseurs comprendront…), 33 minutes. Maigrichon, ce Kannon ? Un peu, oui, en première approche. Ce n’est qu’après une demi-douzaine d’écoutes que l’on commence à percevoir tout le poids de l’album, et qu’on voit poindre l’ensevelissement auditif, purement et simplement : tel un explorateur hardi, on s’engage d’abord dans la moiteur du marécage instrumental élaboré par nos vicieux maîtres d’orchestre, pour se retrouver petit à petit évoluer laborieusement dans une rivière de boue argileuse jusqu’à la ceinture, éloignant tant bien que mal les toiles d’araignée de plus en plus tenaces et les diverses lianes et végétations devenant rapidement étouffantes… C’est un peu ça, l’effet de Kannon dans le temps. Là où Monoliths… nous balançait et nous bousculait en tous sens, Kannon trace droit : durant les premières heures, on digère la torpeur des bases musicales de chaque morceau, les trois gros leitmotivs du disque, qui s’enchaînent et s’emboîtent à la perfection. Puis petit à petit des strates supplémentaires s‘offrent à nos tympans et synapses désormais préparés au festin atmosphérique : discrètes apparitions de claviers (mais fort bienvenues, en ambiance, en appui aux à-plats guitaristiques …), lacérations vocales ou chants incantatoires (du troisième larron, le désormais indétrônable Attila Csihar, parfait ici, dévoué au support musical – voir ses d’abord discrètes « gutturalités chevrotantes » qui viennent supporter la montée en puissance de « Kannon 1 »), sons et instruments divers…

Chaque segment développe sa propre identité, sans pour autant (c’est coutumier chez eux) proposer une émotion ciblée, ni une ambiance un peu « radio-guidée » : tout cela reste froid émotionnellement, mais jamais sensitivement. Après un « Kannon 2 » porté par les incantations mi-religieuses mi-shamaniques du sœur Csihar, « Kannon 3 » crée un peu la (relative) surprise, se révélant moins grave en tonalité, plus propre aussi en terme d’arrangements, même si les dissonances harmonisées (oui, on dirait un oxymoron…) des guitares viennent perturber l’ordre ambiant, tout comme les déchirements vocaux de Csihar qui percent ici ou là. Jamais tranquilles !

Quoi qu’il en soit, non, Kannon n’est probablement pas le meilleur album de la dense (et chaotique) discographie de Sunn O))). Il est dans le peloton de tête, à coup sûr. Mais ça ne signifie pas que tout le monde doit/peut se jeter dessus (cf introduction : est-ce qu’autant de gens écoutent vraiment Sunn O))) désormais ??), il faut savoir à quoi s’attendre : on est toujours dans cette frontière inclassable entre doom « moderne » et drone pur, baignés d’expérimentations instrumentales perchées, ensevelis de grattes vrombissantes hantées de feedback. C’est lent et âpre. Pour vous dire, l’album compte probablement 70 fois moins de mesures qu’un album de Clutch (au hasard) et l’ensemble des partitions de guitare tient certainement sur une feuille de papier toilette (recto-verso, pour être gentil). On exagère… un peu. A ne pas mettre entre toutes les mains. En revanche, si vous êtes familier de ce courant musical, disponible mentalement pendant plusieurs jours (c’est l’un des albums les plus immersifs du groupe), vous devriez goûter ce disque, qui récompense de l’effort. Exigeant, barré mais puissant.

Chron Goblin – Backwater

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Plus de doute ne peut désormais vous assaillir, Ripple Music fait assurément parti des labels incontournables de notre sphère musicale. Leurs récentes signatures attestent d’un appétit insatiable pour des valeurs sûres, des nouveaux prometteurs et des challengers sérieux à chemin entre ces deux catégories. Chron Goblin fait en tout point parti de cette dernière classe. Formé en 2009 le quatuor canadien balance déjà leur troisième album en date et Backwater enfonce un peu plus profond toutes les bonnes pensées que l’on avait eues pour eux au fond de notre crâne chevelu de stonehead accro aux décibels fuzzés.

Enregistré par Adam Pike (Red Fang), le son fait honneur aux prétentions du groupe avec un son nerveux mais rond qui souligne aussi bien le groove de la section rythmique que l’énergie punk des morceaux. Le tout survolé par la voix claire sur le fil de Josh Sandulak qui appuie cet aspect brut mais souple de Chron Goblin. Mélange improbable ? Que nenni ! La fusion des genres c’est leur crédo. Là où le stoner prend toutes ses sources, du doom au classic rock en passant par le hardcore qui aurait séjourné dans le désert (« Seattle »), on assiste un peu abasourdi au bain de jouvence d’un style qui tendrait bien vite sinon à se mordre la queue. N’hésitant pas à jouer de subtilités rythmiques sur des breaks anéantissant le pont précédemment traversé d’un riff velu, les canadiens font montre d’une richesse mélodique et surtout d’une efficacité à toute épreuve quelque soit les méandres de leurs compos (« Give Way »).

Jam improbable entre Nebula, Orange Goblin, Faith no More et Refused comme sur « Backwater », la surprise est à chaque tournure de riff. Sachant même avoir recours à une voix féminine sur le lancinant début de « The Wailing Sound », il est notoire que quand Calgary s’exporte à Portland pour enregistrer un album il emporte toutes les influences et paysages des scènes marquantes trouvées en chemin. Leçon administrée en 8 morceaux illustrés Chron Goblin ont sorti en toute simplicité leur « New Shape of Stoner to come… ». Ou comment élargir le cercle de vos amis sans toucher les bords. Lourde comparaison à porter mais les quatre Goblins offrent bien un renouveau tout en suivant le cahier des charges pourtant bien lourd du style : passage apaisé sur « End Time », riff entêtant de « Fuller », headbanging obligatoire sur « Hard Living », intro bluesy avec « The Return ». Chaque titre recèle d’une excellence dans les arrangements et d’une exigence à ne pas se laisser porter à en défriser un mouton permanenté.

Soyez bons avec vous-même, lancez ce Backwater chez vous et quand bien même vous n’adhéreriez pas à Chron Goblin du premier coup, réessayez et si malgré tous vos efforts vous ne rentrez toujours pas dedans, offrez-le à quelqu’un. Ces gars là méritent qu’on les reconnaisse.

My Home On Trees – How I Reached Home

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Heavy Psych Sounds est l’un des labels transalpins les plus dynamiques, partageant avec leurs collègues de Go Down Records cette double vocation de plateforme pour la diffusion de groupes internationaux, mais aussi de support pour bon nombre de groupes italiens à la notoriété balbutiante. My Home On Trees en fait partie. Le quatuor milanais a choisi Heavy Psych Sounds (à moins que ça ne soit l’inverse) pour sortir son premier album, ce How I Reached Home, après moins de trois ans d’activité.

Petit album par la taille, déjà, notons-le : 36 minutes pour 7 titres (6 en réalité, l’un étant un simple extrait du « War Of The Worlds » radiophonisé d’Orson Welles). Pour un premier album, c’est soit fichtrement couillu, soit suicidaire (soit naïf…). Pour nous en tout cas c’est un peu court. Musicalement, le groupe évolue dans un stoner rock qui ratisse assez large, un pied dans le desert rock californien, un pied dans le heavy doom old school grand-briton.

Le combo de formation instrumentale assez traditionnelle (guitare – basse – batterie) propose la spécificité de compter en ses rangs une chanteuse, Laura Mancini. Ni Jex Thoth ni Elin Larsson (pourtant des références mentionnées dans la bio du groupe…), Mancini fait le job ; sans être légendaire, son organe efficace apporte comme on l’imagine une touche d’originalité au combo.

Avant de nous laisser le loisir de trop réfléchir, My Home On Trees dégaine son atout maître d’entrée de jeu : la présence de Steve Moss (gratte et beuglements chez The Midnight Ghost Train) tout en gutturalité quasi growlesque, apporte la salvatrice couche de bitume encore fumant sur un « Winter » déjà bien rentre-dedans à la base. Casting réussi. On tape fort très vite ; va falloir assurer derrière pour tenir la baraque. Et c’est là que les fondations présumées paraissent peut-être un peu fragiles. La suite de la galette oscille entre le très bon et le moyen. Sur 6 titres en tout, il est dommage d’en trouver des dispensables ; or c’est bien le cas de titres comme « I Forgot Everything » ou « Don’t Panic », qui ne laisseront pas de trace dans la postérité. En revanche, d’autres comme le bouillonnant « Arrow » (malgré son insolente – indécente ? – collusion Kyussienne) propose deux tiers très intéressants, ainsi que le groovy mid-tempo « Resume » et ses volutes d’harmonica qui ne manque pas d’intérêt.

Bref, My Home On Trees est un groupe jeune. How I Reached Home est un album humble, honorable, mais qui ne lui permet pas d’exploser et de faire sa place dans un genre foisonnant. Avec seulement 6 titres aussi disparates, le quatuor est trop dans la démonstration de ce qu’ils savent faire, mais se disperse trop pour produire un disque massif, en tension. Toutefois, quelques fulgurances captées ici ou là piquent notre curiosité : débarrassé de ses embarrassantes références (les plans Kyuss sont un peu too much…), et focalisés sur un album plus dense, plus homogène, ce groupe peut faire mal, le potentiel est là.

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