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Alors qu’une brume épaisse tapisse encore le sol humide de cette forêt dense, se dessine, au loin, la silhouette charpentée d’un bûcheron. Le pas est lourd, la hache affûtée, posée sur ses larges épaules. La respiration, cependant, angoissée. On sent du tourment sous cette cage thoracique. Mais dans cette carcasse, un ptit cœur tout mignon bat son plein. Deux ventricules même. Précisément complémentaires, à la subtile mécanique et la réciprocité vitale.
C’est grosso merdo la vision qui m’a prise à l’écoute du nouvel opus de The Lumberjack Feedback, ce Blackened Visions étouffant et lumineux. Les lillois viennent de sortir en ce début 2016 une belle arme de suffocation, où le doom et le sludge s’accouplent en de longues plages instrumentales, maniant les entrelacs guitaristiques et rythmiques avec un plaisir malsain, python luisant, prédateur féroce nous enserrant jusqu’à l’agonie. Une fois le casque vissé sur les oreilles, il est intéressant de noter toutes les subtilités de production permettant une réelle réciprocité des deux batteurs, mettant en avant leurs jeux complémentaires. La question n’est plus de savoir si deux batteurs sont réellement utiles (coucou Kylesa) mais où leur danse de guerre va nous mener ?
Réduire The Lumberjack Feedback à ce seul aspect martial serait hérésie car les cordes ne sont pas en reste. Noires et torturées certes, mais à la mélodie toujours enivrante et recherchée. Le blast pour lui-même ne les intéresse pas. Il est toujours la conséquence d’une progression harmonique, le résultat d’un jeux de torture mélodique. « IMereMortal » et « No Cure (for the fools) » par exemple font montre de ce savoir-faire. Blackened Visions pourrait être la bande-son d’un film expressionniste allemand sans soucis. Curieux de voir ce que donnerait leur travail sur un tel support d’ailleurs.
La galette est suffisamment courte pour ne pas tomber dans la redite. Les 6 titres forment un juste chemin à travers ce style, toujours difficile à digérer. Un équilibre qu’a su trouver le quintet, entre jeux du foulard et premier cri humain.
La scène doom française à ceci de particuliers qu’elle est intelligente (à part quelques exceptions évidemment) et que ses productions se révèlent chiadées et multiples pour peu qu’on y plonge l’oreille un peu plus profondément qu’à l’accoutumée. The Lumberjack Feedback vient grossir les rangs de ces gros bébés mal rasés et l’on est très heureux de voir cette famille s’agrandir. Un plus que très bel effort qu’on a hâte de voir vivre sur scène.

Lorsque Tom Franck (Guitare) et Shaun Avants (Basse) quittent Scorpion Child début 2014, les raisons restent floues pour quiconque ne se contente pas de la sempiternelle et insatisfaisante rengaine des « divergences musicales ». Pourtant, à l’écoute de Duel, il semble que jamais cet adage, vieux comme le rock lui même, n’ait été autant justifié. En effet, alors que Scorpion Child, qui vient d’ajouter un organiste à sa formation, prêche le hard rock pour les masses, à grand renfort de productions XXL et de poses Zeppeliniennes, les deux démissionnaires prouvent, avec leur nouvelle formation qu’ils n’ont pas tout à fait la même définition du hard rock 70’s.
Plutôt porté sur le proto metal américain, visiblement obsédé par Pentagram, Duel embrasse la destiné la plus sombre du rock lourd, à grands coups de tempos Sabbathiens et de groove aux inflexions stoner. Leur premier album, comme sorti de nulle part, porte les traces ADN du Machine Shop Studio, où Clutch a son rond de serviette. Porté par des vibrations résolument 70’s, la musique du quatuor d’Austin, Texas, pénètre par tous les pores de la peau. A l’image de la pochette, fidèle à une époque où le visuel devait instantanément mettre le propos en lumière, la musique du groupe ne fait aucune manière, mitraillant 8 pépites hard rock aux effets immédiats. Si « Fell To The Earth » et « Electricity » par leurs refrains imparables tiennent le haut du pavé, c’est le disque dans son ensemble qui se laisse apprécier, comme une perle hard rock sans fioriture, aussi classique dans sa facture que passionnant par l’esprit de liberté qu’il dégage. Le genre de disque qui ne vous lâche pas pour l’année.
Point Vinyle :
Heavy Psych sound est un label totalement DIY, qui fait ce qu’il peut avec les moyens du bord. Mais ça ne les empêche pas de faire bien, voire très bien, surtout au niveau des prix : LP noir à 15 euros, un autre rouge, limité à 250 exemplaires pour 20 euros. Faîtes votre choix. Les frais de ports sont également parmi les moins cher existant.

Après quelques années de silence, Ponamero Sundown est de retour avec un nouvel album studio du nom de Veddesta. Il faut avouer que le groupe avait réussi à pondre deux très bons albums en 2009 et 2011, où on retiendra bien volontier les sonorités sans défaut de « Curtain Call » et de la presque intégralité de l’album Rodeo Eléctrica. Annoncé par le quatuor comme une volonté de renouveler un peu leur univers, il est maintenant question de faire le point sur ce troisième opus.
Alors qu’on met le son à fond, on regarde par deux fois si on ne s’est pas trompé d’album en inversant avec un Fu Manchu qui passait par là. Parce que l’intro de « Bottom of The River » pourrait vous faire croire à cet enchantement. En effet, l’ambiance instrumentale du groupe s’insère dans la pure tradition Stoner. Donc ici, pas de bouleversements stylistiques, les morceaux sont de très bonne qualité et s’enchainent plutôt bien. Mais le problème est que la structure globale de l’album tourne toujours autour des mêmes schémas et peut parfois lasser.
Car si on apprécie sans contrainte la teneure instrumentale, on peine à déchiffrer la volonté vocale qui se repose « presque » toujours sur un seul et même niveau d’intensité. Du coup, Veddesta affiche peu clairement les nuances et subtilités qu’il faudra apprendre à maîtriser après plusieurs écoutes. Et fort heureusement, deux morceaux sortent rapidement du lot : « Restart My Heart » et « Rhinostodon » formant un creusé plus psychédélique, mélodique et rythmique. A cela s’ajoute les deux derniers titres que sont « Broken Trust » et « Dead and Gone », envoyant une bonne grosse sauce sonore. Autant dire que pour les amoureux du vinyle, c’est bien la Face B qui brille le plus.
Ponamero Sundown nous avait donc habitué à mieux avec leurs précédents opus. Du coup, il est difficile de parler de renouvellement tant ce dernier album a du mal à se démarquer. Néanmoins, il serait déplacé de dire que Veddesta est décevant, pas du tout !!! Dans son ensemble, il révèle de très bonnes surprises qu’il faut juste apprendre à apprivoiser.

Mutonia, trio italien, dégaine en 2015 ce « Wrath of the Desert », arme de poing, un 9 coups semi-automatique aux balles fuzzées de grunge, idéales pour exploser les esgourdes. A l’instar de leur compatriote Temple of Deimos, les Romains évoluent dans un cadre très formel où les codes ont bien été assimilé. L’exercice est donc plaisant à l’écoute mais pas révolutionnaire.
Les neufs titres sont courts, enlevés, guidés par la voix très Nirvanesque de Prostin. Reste qu’il va falloir trouver de quoi se démarquer pour le prochain opus, histoire de ne pas ennuyer l’auditeur. A l’image de ce que le groupe tente dans « Among the Gale and The Desert », il mériterait de creuser dans cette voix. Et d’abandonner la cloche. J’insiste, et ce pour n’importe qu’elle groupe de stoner ou de grunge, la cow-bell, c’est une erreur 404 dans le spectre sonore.
On passe tout de même un bon moment avec ces cousins de Powder for Pigeons et les italiens méritent les encouragements du conseil.

Egypt est de cette mouvance stoner américaine qui ne s’embarrasse pas de détails. A l’instar de Wo Fat, avec qui ils ont partagé un split hautement recommandable en 2013 (Cyclopean Riffs chez Totem Cat Records), le trio de Fargo – Dakota du Nord – déroule du riff sans discontinuer, accompagnant leur musique, aux accents rock sudiste, d’une grosse voix bourbonnée et de kilogrammes de fuzz. Leurs premières banderilles (un EP en 2007 et Become The Sun en 2013) publiées chez les tchèques de Doomentia Records font état des aptitudes du trio en matière de stoner bluesy et halluciné, mouliné à grand coup de distorsion et leur ont ouvert les bras accueillants d’une Europe toujours plus friande de sensations américaines compensant par l’énergie et l’efficacité leur manque d’originalité (Midnight Ghost Train, Five Horse Johnson, Black Pyramid, Goya, Mos Generator, Dixie Witch, Freedom Hawk, Roadsaw, Doomriders, Honky, Lo Pan ou Sasquatch pour n’en citer que quelques uns).
Une fois l’idée même d’originalité évacuée, la nouvelle livraison d’Egypt ne manque pas d’arguments. Enregistré sous le haut patronat de Wo Fat au sein du Crystal Clear Studio à Dallas, propriété du trio texan, Endless Fight renferme en effet cinq bonnes raisons de se plonger dans les profondeurs du tombeau. Toujours habité par ce blues fiévreux, aux rythmes pesants, la musique d’Egypt convoque dès les premières notes du disque l’esprit sudiste du rock US à la ZZ Top à la table du stoner. Les tempi sont pesants, la guitare dégouline de fuzz et la section rythmique barbouille l’atmosphère d’un groove aussi rampant que paresseux. Dans ce magma musical à quatre temps, Neal Stein tire de ses six cordes quelques soli passionnés, sonnant parfois comme un orgue désaccordé (« The Tomb ») tandis qu’Esterby et Heille s’en donnent à cœur joie dès l’intro de « Tres Madres », à la basse prépondérante et aux breaks de batteries irrésistibles. Superbe final, « Shaman’s March » se joue de nos perceptions en tordant un riff de blues classique jusqu’à la transe, s’imposant comme l’un des titres les plus notables de la courte discographie de ce groupe, qui, s’il ne brille pas par sa personnalité, compense ses manques par une véritable science du riff qui sonne juste. Un savoir faire certain qui pourra être apprécié live lors de la venue en Europe du trio en mai prochain.
Point Vinyle :
Pour le premier pressage, Doomentia Records propose 500 copies en gatefold dont 400 noires et 100 en bleu.

Le quatuor de Virginie Occidentale est de retour sur Metal Blade pour une deuxième livraison sur ce major de son savant mélange de doom à l’américaine et de rock psychédélique. San Francisco, sa maison bleue et sa grandeur du temps des hippies semble bien loin – tant en distance kilométrique qu’en espace temps – et pourtant c’est en plein trip babacool que nous emmènent ces Etasuniens restés bloqués sur des sonorités d’il y a un demi siècle.
Les aficionados de plans barrés sludgisants gravitant autour de l’épicentre des marécages de Louisiane et les fans des thrashers de la Bay Area peuvent retourner à leurs occupations du moment ; la magie de Brimstone Coven est plus en lien avec celle de Saint Vitus qu’avec celle de Slayer ! Les lascars originaires de Wheeling (ça ne s’invente pas) n’auraient pas dépareillé sur la bande-son d’un vieux film ricain traitant de rêves de liberté sur deux roues avec leurs accords de guitares rythmiques plaqués à grands renforts de chorus ou autres reverbs servant de piste d’atterrissage à des voix superposées façon cœurs.
Ça transpire le patchouli, les fleurs multicolores, la paix, l’amour fou et les calmants de Marie-Jeanne à chaque mesure. C’est un brin axé, aussi, sur les superstitions (qui a parlé de sorcellerie) si chères aux seventies et à sa recherche d’une autre spiritualité que celle institutionnalisée dans ce pays, jusqu’à être imprimée sur les billets verts. C’est un peu normal pour une région où a été observé le fameux homme-papillon alors que naissait le mouvement hippie aux USA. Charles et sa famille de grands malades ont par ailleurs incarné cet esprit des années septante à leur manière et, question années de l’amour libre et sabbat, d’autres sont déjà passés par là et s’en sont plutôt bien sorti jadis, voire plus récemment avec des formations comme Orchid qui pratiquent néanmoins un style plus lugubre que la bande du comté de Marshall (ça aussi ça ne s’invente pas).
Allumez les chandelles ou les bâtonnets d’encens, faites chauffer la pipe à flotte, enfilez vos pattes d’eph, dégainez votre haut préféré à col pelle à tartes, accrochez vos couvertures batik aux murs et envoyez le diamant dans le sillon de ce double lp – aussi dispo en virtuel et cd pour les gens modernes – pour vous taper une bon délire certifié plusieurs fois vintage. L’ombre du Zeppelin planant sur des titres comme « The Plague » ou « Slow Death » ainsi que l’esprit du sombre Sabbath sur « Upon The Mountain » ou « The Seers » vous ramèneront dans un passé aux charmes envoûtants. Envoûtant comme « Forsaken », un titre de plus de cinq minutes – dans la moyenne de l’album – à peine overdrivé dans la veine de « I Want You » que les quatre pâles types de Liverpool ont sorti de la route d’Abbey à la fin des années soixante. L’intervention de plusieurs vocalistes qui s’entassent – ou se succèdent – alliée aux soli dégoulinants est imparable. Envoûtant aussi comme « Black Unicorn » à qui va ma préférence : la plus concise des plages avec moins de trois minutes au chrono officiel et un riff poutrement efficace qui se distancie un peu des neuf autres titres de cette sortie par son urgence plus en lien avec le néo-psyché en vogue actuellement sans toutefois tourner le dos à la flavour seventies de l’œuvre accouchée par ces quatre rockers en noir aux allures de disciples de Lavey. Back to the real roots et merci les gars de m’avoir offert ce bain de jouvence !

Formé dans les années 1990, Snail nous offre leur quatrième album studio. Au premier abord, on aurait presque envie de se dire que le groupe est resté plus longtemps enfermé dans sa coquille que dans un studio. Cela s’explique simplement par le fait que faire de la musique dans ces années-là, et, en Californie, peut vite vous noyer dans la masse. Après avoir repris du poil de la bête, leur hermaphrodisme musical s’est très vite concrétisé en 2009, puis en 2013 avec deux albums plutôt bien réussis. Et aujourd’hui, le trio nous revient avec Feral.
Le premier aspect qui frappe de suite est cette production de très bonne qualité et d’énergie. On est plongé dans un univers bien psychédélique mariant ambiance vintage et moderne. Le duo guitare-basse respire la distorsion fuzz, la rythmique est d’une lourdeur absolue et la voix, élément primordial qui accentue l’originalité de l’album, complète le tout à travers un panel de mélodies succulentes. En effet, le chanteur-guitariste Mark Johnson apporte une réelle fraicheur avec sa voix hyper planante et hypnotique. Et le fait d’avoir intégré la voix dans le mixage de manière à ce qu’elle ne soit pas trop mise en avant (chose très fréquente dans le Stoner) fait qu’on est face à une véritable ambiance fantomatique et mélancolique.
Autre point important, Snail a quitté la chaude Californie pour migrer à Seattle, et, ça s’entend de suite. On est plongé dans du Stoner américain mélangeant de nombreuses influences musicales allant du Grunge, en passant par du Doom. Et du coup, on ressent des brides à la Alice in Chains, à la Nirvana, voire du Melvins. A travers cette énergie tortueuse que le groupe a su puiser dans cette ville pluvieuse, Feral offre huit titres de très bonne qualité. Ce sont surtout les cinq premières pistes, avec des morceaux comme « Building A Haunted House », « Born in Captivity » et les deux gros piliers que sont « A Mustard Seed » et « Thou Art That », qui apportent toute l’originalité et la fraicheur de ce quatrième album. On avouera sans honte que la fin de l’opus décline vers des compositions un peu plus classiques mais non sans intérêt.
Déjà disponible depuis septembre 2015, il serait donc dommage de passer à côté de ce petit plaisir musical qui saura vous replonger dans des souvenirs mais aussi dans des rêves mélancoliques dignes de la scène psychédélique de la fin des années 1960 ayant embrassée le grunge des années 1990.

Dans un désert de pierre, une meute de loups rôde et semble attendre impatiemment le feu vert de leur maître, un guerrier de métal accompagné d’un corbeau peu avenant, pour s’abandonner à un déchainement de violence et de sang. Comme toujours, Conan accorde un grand soin à ses artworks (œuvre du génial Anthony Roberts), toujours très travaillés et en parfaite adéquation avec leur musique. C’est sans étonnement pour un groupe au patronyme directement emprunté à un emblème de la fantasy que l’on retrouve cette ambiance très chevaleresque sur chacun des albums du groupe : un premier split avec Slomatics en 2011, Monnos en 2012 et Blood Eagle en 2014. Et si les moins anglophones d’entre vous ne remarqueront pas que les thèmes mythologiques/merveilleux débordent jusque dans les paroles, la musique seule suffira à vous transporter directement au beau milieu d’une bataille d’un autre monde. Et oui, pas besoin du TOEIC pour comprendre que chez Conan, les têtes volent à coup de hache.
En deux albums, Conan a réussi à se tailler une belle place dans la sphère doom, en grande partie grâce à un son particulièrement fracassant et singulier. En effet, s’il n’existe pas de superlatif à « massif », alors devrait-on l’inventer pour qualifier au mieux la musique du trio anglais et mettre ainsi en garde sur le probable décollement de mâchoire sous l’effet d’une fuzz portée à 11. Les personnes ayant déjà eu la chance de les voir en live pourront d’ailleurs témoigner. Porté par le guitariste et chanteur Jon Davis, seul membre permanent depuis la création du groupe, Conan revient avec un Revengeance qui n’a pas perdu sa fameuse distorsion en chemin. La guitare et la basse se confondent et résonnent en choeur pour former cet épais brouillard dans lequel on entend retentir les cris et les échos du chevalier Jon Davis et de son écuyer-bassiste Chris Fielding. La batterie toujours très présente ajoute de la lourdeur à l’ensemble, avec des cymbales au son froid comme la mort.
Conan n’a jamais fait dans la composition alambiquée et ne s’embarrasse pas d’éléments superflus : les riffs sont simples, presque primitifs, pour une parfaite allégorie de la sauvagerie humaine. Sur ce dernier album, cette philosophie de la bestialité s’avère on ne peut plus vrai. Revengeance est surement l’album de Conan le plus épuré mélodiquement, de fait le plus lourd et de fait le moins abordable. À l’appui, des morceaux comme « Wrath Gauntlet » ou « Thunderhoof », chacun aussi évidents que violents. Le carnage de ce champ de bataille plongé dans la brume atteint son apogée dans un déferlement de brutalité et de rapidité inhabituelle sur « Throne Of Fire » et « Revengeance », et prend fin sur les onze minutes de l’épique « Earthenguard », à l’ambiance menaçante et écrasante. Chez Conan, le happy end n’existe pas.
Pourtant, malgré un léger virage plus heavy encore, l’impression de déjà-vu persiste tout au long de Revengeance. Si les deux premiers albums de Conan pouvaient surprendre par une production sonore d’une puissance nucléaire à faire pâlir Fukushima, la surprise ne prend plus au troisième et la déception de n’entendre pas grand chose de plus que ce que l’on connait déjà rend l’écoute vite ennuyeuse. Revengeance n’est pourtant pas un mauvais album en soit, mais il laisse l’amère impression que le groupe se repose sur ses acquis et nous propose la même chose depuis leurs débuts sans trop se creuser la cervelle. Après les mythiques Monnos et Blood Eagle, peut-être avait-on placé la barre de l’espérance trop haute pour ce Revengeance, un album définitivement en demi-teinte.
À déguster avec : du Galak (bon, mais rapidement écoeurant)

Un premier EP qui date de 2010 et depuis aucun signe de vie… Ils n’étaient pas vraiment partis mais les voilà de retour… La combinaison suédo-hongro-anglaise improbable nommée HAG a balancé ce 8 janvier une brique de sludge-heavy-stoner-noise-post-metal; un premier album qui sort sur un nouveau label (DNAWOT Records) de manière dématérialisée (pour le moment seulement espérons-le) en toute discrétion. Et en jetant cette brique, ils en ont fait tomber le mur de son qu’elle supportait alors.
HAG n’écrase pas par sa production puissante mais par ses 9 morceaux. Aucun artifice pour dissimuler une quelconque baisse d’inspiration. Véritables chiens de guerres aux babines retroussées, le trio arrache les codes de la bienséance, mastique les influences, laissant en lambeaux nos pavillons laminés. Les premières résonnances de « Fear of Man » font écho aux instants les plus posés d’un jam entre Harvey Milk et les heures post-sludge de Mastodon. Aux antipodes « Kingdom O » déroule une intro brise-nuque en contraste total mais qui très vite accouche d’une structure de riffs qui se joue de l’auditeur. Un gros « what the f*** ? » aux bords des lèvres vite avalé pour se voir entraîné par les licks entêtants et les mélodies insidieuses portées pas les cordes et la voix. Si les Melvins partousaient avec High on Fire et Fatso Jeston sur fond de Sabbath sous stéroïdes vous pourriez vous faire une idée de ce que l’album vous proposent. Aussi foutraque et dérangeant que la pochette, Fear Of Man est un album à prendre en pleine gueule.
Ambiance mélancolique mêlée d’un punk glaçant désabusé d’une révolution qui se devra maintenant sonore, « Low » sonne aussi désenchanté et désenchantant que son titre. « Trauma Yauma » ne fait aucun prisonnier jusqu’à son final rouleau-compresseur psyché et son ultime touche presque malsaine « we think you talk too much, do you think you talk for everyone »… tout est dit. Le travail rythmique des trois comparses vous maintient sur le qui-vive, aucun risque de se laisser porter par une redondance, les breaks sont sulfureux. Les cassures âpres sont aussi rêches que les paumes de vos mains usées à tenter de vous désensevelir de l’amoncellement de plans qui s’effondre sur votre tronche. Oscillant entre le pavé, le brûlot et la buche, HAG ne laisse pas indifférent comme sur « Metal Detector Man », plongeant dans un même creuset tous les métaux les plus incandescents. Le groupe maîtrise ses sujets et semble jubiler à la simple idée que l’on puisse essayer de coller une étiquette à leur maelstrom de morceaux. Leur tour de force est de rendre accessible une musique exigeante par leur sens du groove, du refrain imparable et du thème prenant (« Beaten at your own game »). Du stoner-extrème.
Loin du disque de chevet, de l’écoute distraite sur fond d’apéro ou du « 20kg de gros son » sur bitume, HAG vous arrache les esgourdes pour y déverser leur vision éclectique du « eagle-metal » (dixit les protagonistes). Une musique qui vous guette, vous survole, vous arrache du sol, vous dévore et recrache les morceaux les moins bons. Si vous aussi, vous avez déjà envie de dire ce que vous pensez de 2016, commencez l’année avec HAG. Un immanquable anonyme qui mériterait sa renommée.

Quand Witchcraft sort un nouvel album, c’est toujours l’occasion de découvrir de nombreux et nouveaux aspects artistiques d’un groupe qui se renouvelle sans cesse. Bien que le dernier opus Legend avait laissé une certaine perplexité au sein même de la communauté Stoner-Rock, cela prouve que les Suédois ont toujours su prendre des risques dans une volonté d’enrichir leur musique. 2016 s’annonce donc comme la révélation de leur dernier et cinquième bébé du nom de Nucleus.
Ce qui est très frappant, c’est que dès la première écoute, on sent déjà qu’il se passe quelque chose de très puissant au fil des morceaux qui s’enchainent parfaitement bien. Rien n’est à jeter, on a affaire à de très bons, voire d’excellents titres. Car leur répartition est tout simplement parfaite. Résumant formidablement bien la richesse de ce nouvel opus, « Malstroem » ouvre le bal avec une grâce, une prestance associant lourdeur, mélancolie, enchérissement rythmique et beauté musicale. Le tout pour un moment de plaisir dépassant les huit bonnes minutes. Une impression d’être porté par des vagues mélodiques changeantes, possédées par un rythme et un son bien gras. Puis on a le droit à des titres bien efficaces et plus enjoués comme « Theory Of Consequence », « An Exorcism Of Doubts » ou bien encore « The Obsessed ».
Et justement, tous ces bons titres sont toujours associés à une pépite musicale, d’une exquise longueur aux répétitions hypnotiques, jouant le rôle du passage à un nouvel acte, à la manière d’une œuvre théâtrale. C’est d’ailleurs avec la magnifique « Nucleus » que le groupe révèle toute sa force : la richesse vocale de Magnus Pelander et la subtilité rythmique de Rage Widerberg, fortement soutenue par la basse de Thomas Anger, forment autre chose qu’un simple album aux accents « Stoner ». Même constat avec « Breackdown », on pense que c’est un simple petit morceau mélodique sans rien au bout. Erreur monumentale puisqu’à partir de la septième minute, le groupe se joue de nous et c’est la grande envolée. Puis pour les petits chanceux ayant la version vinyle ou CD digipack, on a même le droit de terminer avec la très bonne et entrainante « Chaising Rainbows ».
Dès lors, on comprend que Witchcraft nous offre donc avec Nucleus l’album le plus mature et le plus accompli de leur carrière. Prouvant une fois de plus que la musique n’a pas de limite à partir du moment où l’on ose prendre des risques et expérimenter.

2014
Les normands de Coldworm montrent un sacré savoir-faire dans ce Nothing Ends, totalement autoproduit « à la maison ». Avec des influences comme Qotsa (plus proche de Rated R) et Soundgarden, on pense tout de suite entrer en territoire connu. La première suinte en effet tout au long de la galette, notamment dans le ventre de « A Dying Geek » ou en conclusion de « The Things You Need ». Ces parties Hommesque restent savamment disséminées et très bien exécutées. Josh Homme est d’ailleurs remercié dans les crédits, à bon entendeur !
La surprise est à chercher dans le soin apporté à l’ensemble des compositions et la recherche sonore dans son ensemble. Les morceaux sont ainsi souvent construits de manière complexe. Les ruptures de rythmes, ponts et multiplications de parties sont légions et maîtrisés. Ce qui frappe, c’est surtout l’utilisation intelligente des instruments. Les classiques du genre mais pas seulement. Le deuxième morceau « Charts Breaker » est en cela assez représentatif. Une basse qui slap une boucle courte suivit de près par des « tapes dans les mains ». Le rythme en impose déjà. Mais il est encore des idées. Une montée en puissance, une rupture de rythme, et une flute qui vient apposer quelques digressions. Les instruments sont utilisés avec intelligence et s’en ajoute donc d’autres, plus surprenant. Pour le reste on vous laisse découvrir.
Coldworm prépare la suite de cet opus au Warehouse Studio de Vancouver, on leur souhaite bonne continuation !

Certains groupes ont cette faculté à faire voyager l’auditeur dès les premières mesures, à transporter l’imaginaire loin et très précisément dans leur paysage sonore. Les finlandais d’Huminoita font partie de cette caste, et se classent dans la catégorie « Brahmane » de l’affaire, dans le haut du panier, balançant un landscape-stoner subtil et immersif.
All is Two paru début 2015 chez Luova Records fait office de roadbook à travers la Finlande, se plaçant entre la chaleur jazzy des productions d’Elektrohasch Records, les compos «sur-la-route» d’un Güacho et taquinant le post-rock d’un Caspian, le tout guidé par des chœurs, narrateurs symboliques du voyage. Pas de paroles mais de la mélopée. Le symbole antique et narratif de l’odyssée.
Rares sont les albums cohérents, ne souffrant d’aucun creux dans la track-list. All is Two est global, complet, logique. Les six compositions s’articulent parfaitement et l’on ne s’ennuie pas un seul instant du moment que le noir vinyle se lance. Reste que si vous n’avez pas le temps de vous poser pour écouter l’album dans son entier, lancez simplement « The Pilgrim ». 6 minutes 25 d’entrelacs jazzy, d’envol psychédélique, d’arpège cristallins, de jeux de batterie tout en finesse, de saxophone plaintif, de basse ronde guidant l’ensemble, de flûte traversière virevoltante et de saturation massive. Un titre plein, extrêmement bien écrit et ficelé. Difficile de ne pas partir dans ses rêveries avec cette qualité.
Il faut vraiment être tatillon pour trouver à redire sur cet album. Ni trop long, ni trop court, ne souffrant de fait, d’aucune redite, All is Two pêche peut-être dans le traitement des voix qui mériteraient d’être intégrées plus efficacement à l’ensemble. M’enfin c’est vraiment histoire de taquiner tant l’on passe un excellent moment en compagnie de ces finlandais.
Huminoita. All is Two. Des musiciens talentueux pour un album-voyage classe. Il est certain qu’on ne rangera pas l’affaire dans la section « stoner plein de couilles qui sent la testostérone » mais si vous avez une once de délicatesse et un intérêt certain pour les voyages, les paysages grandioses et l’envie de partir loin, cet album sera votre guide.

Old Man Lizard est un trio anglais, du Suffolk pour être précis, une région ingrate, réputée au moins autant pour son climat avenant que pour le dynamisme de sa vie culturelle. C’est dire. De cette province difficile ne pouvait émerger qu’un combo aigri, âpre, ce qu’est fondamentalement, musicalement, Old Man Lizard, qui se définit lui-même comme une sorte de groupe de stoner sludge « dark » country. Voilà voilà… Amateurs de rythmiques enlevées et de soli cristallins, passez votre chemin. Ça sera sale, rêche, sec et froid ou ça ne sera pas…
La première approche d’ailleurs, est difficile, laborieuse, même. Faut dire que la tessiture vocale de Jack Newnham (qui pourrait faire penser à un vieux rabot oxydé s’acharnant sur un tesson de bouteille, en gros) n’aide pas à l’adhésion enthousiaste immédiate. Compter donc une petite poignée d’écoutes un peu difficiles pour se familiariser avec ce son bien dégueu et froid, et commencer à pénétrer les méandres vinyliques de cette production. Passée cette période d’acclimatation, l’originalité du combo commence à se faire jour. Originalité du son, d’abord, on l’aura compris : des vocaux qui écrasent tout de leur présence (Newnham ne crie pas, il ne hurle pas non plus : il beugle, non stop), un son de caisse claire sec comme un coup de trique, un son de guitare destroy et foutraque au possible (clair, fuzzé, des passages en harmonie étranges, arpèges en son clair… on trouve de tout en rayon), une basse saturée au-delà de ce qu’impose la décence dans le manuel illustré du parfait petit rythmiste… Vous le sentez forcément poindre à l’image de cette chronique pour le moins chaotique : les repères auditifs sont quelque peu chamboulés avec Old Man Lizard.
Ceci étant dit, le groupe ne manque pas d’intérêt (rappelons qu’ils ont gratifié de leur présence pas mal de festoches parmi les plus intéressants, et partagé la scène de Conan, Dopethrone, Honky, Dead Meadows et autres Black Rainbows…), et son disque compte des moments de bravoure plus qu’à son tour. Plus concrètement, certains titres se révèlent assez infectieux, entêtants (plus qu’addictifs). Chaque chanson a une identité propre, et on ne trouvera aucun bouche-trou. On mettra en avant pour la forme (et pour inciter à la découverte) le finalement assez représentatif « Cold Winter Blues », mais on incitera aussi les plus curieux à jeter une oreille attentive à la seconde moitié d’un « King Clone » assez surprenant, ou encore « Old Hag » qui commence par une sorte de blues rock folk crasseux pour finir en boue sludgesque poisseuse.
Old Man Lizard (le groupe et l’album) n’est pas facile d’accès. Il rebutera (autant vous prévenir) pas mal d’auditeurs avides de plaisirs simples et immédiats. Les plus tenaces apprécieront probablement ce qui les attendra au bout de ce tunnel musical difficile d’accès, sombre et humide. Pour autant, l’album ne restera pas dans la postérité dans une période de quelques mois touchés par la grâce du dieu stoner, où la production musicale a atteint des sommets qualitatifs. Il préfigure en revanche un potentiel qu’il nous intéresse de voir se développer dans les prochains mois et années. A suivre de près.

La fin d’une année et le début de la suivante se trouvent être les justes occasions de prendre des nouvelles de ceux que l’on avait « presque » oubliés. Une petite carte nous rappelant avec émotion ce lien fragile qui unit les âmes en ce monde, ou sous forme d’un EP 4 titres comme pour se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps on enrichissait le quotidien les uns des autres. En ce 11 décembre dernier Sonic Medusa nous envoyait ses vœux (en avance) via Ripple Music pour nous donner signes de vitalité créative de ses quatre membres.
Excusez du peu : Greg Rogers (The Obsessed, Goatsnake), Scott Renner (Sourvein, Goatsnake), Steve Darrow (Hollywood Rose “la génèse de Guns n’Roses) et Dirty D (Angus Khan). Si les deux premiers comparses ci-dessus cités nous ont pondu une pièce de premier ordre courant 2015, les deux autres seront certainement passés sous notre radar… Qu’à cela ne tienne, les potos sous la coupe de Scott Reeder (oui oui LE Scott Reeder) avait déjà enregistré quelques titres en 2010 mais comme pour ancrer leurs velléités d’exister les re-voilà avec un EP sobrement intitulé « The Sunset Soundhouse Tapes » enregistré au Sunset Sound Studio. Sobriété = efficacité.
Et que nous souhaite Sonic Medusa pour 2016 : le classique riff-metal-groove n’roll. Déclaration d’amour aux héros de leurs enfances, les californiens font se réunir le doom de Sabbath (« Goblin Suite ») avec les paires de guitares aiguisées typées Iron Maiden (« Medusa »), avec une pointe de Grand-Guignol digne d’un Alice Cooper (« Wolfs Prayer »). Dirty D démontrant une jolie maîtrise vocale aux montées vertigineuses au fil des titres parfaitement exécutés instrumentalement.
Si l’originalité des riffs n’étouffent pas aux premiers abords, c’est quand le groupe se lance dans ses parties les plus jammisantes qu’il fait le plus mouche. L’aspect très NWOBHM des titres se retrouve ainsi contrebalancé par les autres influences marquantes de Sonic Medusa. Rien de neuf sous le soleil californien mais le plaisir d’être ensemble et de prendre son pied transpire le long des 27minutes de l’EP. Une petite entorse à votre régime enrichi en gras ne fait jamais de mal. A la limite de l’album hommage, on n’oublie pas les Classiques ainsi, on a envie de s’y replonger. Le genre d’album qui nous fait nous rappeler que les héros ne meurent pas, ils deviennent des légendes.

J’avais été conquis par le collectif belge lors de la dernière édition du Desertfest Belgium à Anvers où ils avaient balancés un set sludge fort hargneux soutenu par des plans barrés à la trompette sous effets. C’est avec un certain plaisir que j’ai posé leur nouvelle plaque sur mon tourne-disque. Il faut dire que les agitateurs genevois que sont GPS Prod et Hannibal’s Records ont bien fait les choses en sortant cette production en cd et vinyle (et aussi en téléchargement légal si ça intéresse quelqu’un dans la salle). J’ai rapidement retrouvé les sensations qui m’ont habitées durant le set du Plat Pays même si la présence de l’instrument à cuivre s’est éclipsée au profit d’un sludge pur sucre qui poutre diablement (sauf sur « Collapse » ou sur « The Earth Is Flat » durant lesquels ça vient souffler dans le cornet entre quelques hurlements débridés voire quelques bidouillages maison).
Fabrice à la guitare, Piotr à la basse et Thomas à la batterie se sont enfermés au Studio Six pour accoucher de onze titres sur lesquels ils ont convié quelques guest afin d’amplifier encore leurs assauts sonores. Car il est bien question ici de musique pour adultes : ça tabasse redoutablement et ça vocifère avec fureur avec une omniprésence de la quatre-corde saturée généreusement servie par le mix de Nicolas Vandeweyer.
De ce magma sonique et barré ressortent du lot quelques compositions très inspirées qui n’ôtent rien aux autres qui m’ont un peu moins séduite au bout de quelques écoutes menées le VU-mètre dans le rouge. Il y a « Vidar » : l’archétype du titre sludge sur lequel vrombit une basse soutenue par une batterie métronomique ralentie qui éclipsent un peu la guitare et laissent du champ aux vocalises hallucinées ; c’est efficace et tape juste sous le plexus avec panache (tout comme « Black Storm » qui s’inscrit dans un registre similaire). « Follow The Viper » frappe dans un répertoire plus vitaminé et déclenche dès la première écoute des va-et-vient au niveau des cervicales ; il prend à la gorge et ne desserre son étreinte qu’une fois ses derniers accords délivrés ; ce brulot rapide et propice au headbanging devrait délivrer toute sa saveur lors des exercices live du groupe.
Si je devais ne retenir qu’un seul titre de cette très bonne plaque, ce serait « Out Of The Abyss ». Il s’agit d’un concentré du potentiel du trio qui débute avec panache au rayon ralenti sur un riff entêtant avant d’atteindre son apogée dans une débauche de décibels plutôt rapides à la gratte qui côtoient une rythmique pachydermique : une envoi de bois de toute grande classe comme je les affectionne.
La scène belge n’est pas prête de finir de nous faire super plaisir avec des livraisons de cette qualité et les Bruxellois se démerdent bien sur scène : je vous encourage vivement à aller vous malmener les cages à miel avec cette plaque de sludge foutrement bien foutue !
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