S’il fallait encore une illustration que Graveyard est bien un “groupe à part”, 6, leur nouvel album, se pose là. Laissé pour (presque) mort il y a quelques années, le groupe est revenu nous botter les fesses en 2018 avec l’excellent Peace, une synthèse incandescente de leur carrière déjà remarquable, l’un de leurs disques les plus heavy à ce jour. Rappelons aussi que le groupe s’est rapidement élevé au top de cette mouvance musicale (retro rock / vintage rock / proto rock aux racines 70’s), se tirant un peu la bourre avec leurs confrères Witchcraft il y a encore quelques années ; on observe ces derniers partir en vrille depuis quelques années, et l’on attendait donc de ce 6 l’album de la consécration…
Il ne faut pas longtemps pour constater que, plutôt que de se reposer sur ses acquis et s’imposer avec un disque de la “surenchère heavy rock”, Graveyard adopte un chemin de traverse complètement imprévisible : on attendait des brulots incandescents, des salves heavy rock énervées, du riff éreintant… Or 6 n’est quasiment composé que de mid-tempo ou balades, pour certaines très vaguement saturées… Le constat est difficile mais s’impose très vite, rendant les premières écoutes délicates. On ne voulait pas ça, et on est un peu pris au dépourvu.
Mais c’est Graveyard, quand même, alors on pousse un peu pour lui donner quelques tours de piste supplémentaires. Et clairement, l’ensemble prend un tour plus séduisant avec le temps. Pourquoi ? Parce qu’il y a un sacré talent de songwriting derrière, quand même… On retrouve de la mélodie groovy (“Just a Drop”, “Godnatt”), quelques envolées lyriques planantes (“Bright Lights”, “Rampant Fields”), et quand même quelques effusions énervées, mais rares (le rock’n’roll incandescent de “Twice”, superbe démonstration du savoir faire du groupe)… Et là où on ne les attend pas vraiment, de vrais moments de grâce, comme cet onctueux “No Way Out”, dont le refrain grandiose, parfaitement arrangé (cordes, chœurs discrets…) file la chair de poule (il y a du Jeff Buckley dans la ferveur vocale de Nilsson sur ce final en crescendo), le final heavy blues brulant de “Breathe In Breathe Out”, ou encore ce fiévreux “I Follow You”, entêtant et enivrant.
Encore une fois Graveyard n’est pas où on l’attend, mais il est bien au rendez-vous de la qualité. 6 ne plaira donc pas aux amateurs des titres les plus enragés du répertoire de nos suédois, mais il devrait rassurer ceux qui pouvaient craindre un déficit d’inspiration du quatuor, après une période COVID ravageuse, et cinq années sans rien à se mettre sous la dent. Le temps dira si ce sixième album est un album majeur dans la carrière de Graveyard ; il est en tout cas le plus “calme”, sans aucun doute, mais pas le moins inspiré, loin s’en faut.
Haurun est un nouveau venu dans le paysage musical que nous affectionnons. Les cinq membres qui composent ce groupe basé à Oakland sont plus ou moins inconnus et n’ont en tous cas pas participé à des projets d’ampleur. Malgré tout cela, c’est chez Small Stone Records que sort leur tout premier album, Wilting Within. C’est assez étonnant et cela pique notre curiosité.
Sur l’accroche on nous dit « Pour les fans de Acid King, Windhand, YOB, King Buffalo, Emma Ruth Rundle », la curiosité est du coup encore plus forte.
Si on résume un peu brutalement, disons que l’album est fort sympathique mais sans plus.
Il y a plein de bonnes choses, des influences assez clairement identifiables mais on n’est pas sur la claque que peuvent parfois nous mettre certains nouveaux groupes avec un premier LP instantanément culte. Bref, ça fait le job mais sans plus. Et pourtant, il a d’indéniables qualités.
Lyra Cruz au chant tout d’abord. A la première écoute, on pense par exemple à Sue Lott de Luder pour avoir un point de comparaison. Surtout dans les premières intonations et la modulation de la voix. Très agréable, le chant est très posé et calme, parfois incantatoire. Quelques envolées par moment mais on reste sur un chant qui ne crie pas, qui ne force pas.
Musicalement, on campe sur des rythmes assez lents agrémentés de quelques accélérations modérées et rares. Pas d’étiquette Doom mais on a un arrière-gout assez franc tout de même. On trouve quelques solos, quelques breaks, plein de bonnes idées mais pas suffisamment exploitées, un peu comme si le groupe était dans la retenue. Et donc le principal écueil, c’est qu’il n’y a pas de réels moments qui ressortent. Dire que l’album est plat serait méchant mais c’est tout de même assez linéaire. Cela peut plaire sur quelques morceaux mais pour un album complet, cela manque de variations.
Incontestablement Haurun a des qualités mais ce premier album ne permet pas de les apprécier pleinement. Cela plaira certainement à pas mal de monde mais ce premier effort en laissera d’autres indifférents. A suivre donc…
Les Belges de RRRags dont le nom est inspiré par les prénoms de musiciens (Rob, Ron et Rob) livrent avec Mundi leur troisième album. Ce trio qui évite dans sa bio les qualificatifs stoner et affiliés vient pourtant se frotter systématiquement à cette zone d’influence. Fondé sous l’impulsion d’une jam session en 2017, ils offrent à entendre depuis des sonorités certainement jam, mais aussi clairement rock et bien souvent fuzzées; oscillant entre le planant et l’entrainant les trois R ont une recette bien particulière mais qui ne nous semble pas inconnue nous amenant donc légitimement à nous pencher sur leur nouvelle production.
Après quelques écoutes le verdict est sans appel, c’est un chouette voyage que nous payent là les gars de RRRags, que ce soit le son gras de la basse de “Wiped”, qui enchaîne avec une guitare rageuse ou le smooth de “Visitors” le trio créé avec Mundi un ensemble où l’on passe d’un univers à l’autre (légitimant ainsi largement le titre) et l’exercice n’est jamais aisé. “Moon” balance rock’n’roll sans s’encombrer d’une structure trop rigide, il y a du break, de la cavalcade basse/guitare et un chant qui emporte le tout. C’est probablement la compo la plus plaisante de cet album tant elle est gouleyante en particulier quand elle s’enfonce dans un trip psychédélique avant de revenir au groove. On peut lui opposer la curiosité que représente “Slavic Heat”. RRRags réalise là une piste méchamment accrocheuse aux limites des genres attendus dans une telle œuvre avec une voix sur saturée d’effets, une basse qui écrase tout ne s’effaçant que pour quelques gimmicks de guitare au son éclaircis pour l’occasion pendant que la voix s’approche d’un chant de gorge toujours noyé dans des effets fortement agressifs avant que la litanie du reste du morceau ne reprenne scandée comme un troisième instrument rythmique.
Il reste qu’un voyage cela se prépare et on essaye de trouver des points d’attache, forcément et à l’écoute attentive de “Sparrows” il est impossible au travers du chant et de la lancinance de la gratte de ne pas penser au Pink Floyd mourant de années 90 où de s’attarder sur la saturation de “Wiped” qui oscille entre la rage d’un Hendrix où la saturation d’un Deep Purple d’avant le Mark IV. On n’est jamais donc totalement pris au dépourvu ou totalement perdu sur cet album y compris lorsque le groupe conclut sur “Galactic Strut” dans une jam qui fait penser presque immédiatement à celle de Slift et consorts.
RRRags vient poser Mundi sans prétendre à renverser la table et pourtant il s’agit d’un album léché et d’une production bien agréable. Il fait un peu office d’album total où passe tant d’influences et de bonnes idées qu’il est difficile de sortir de son écoute sans un profond sentiment de satisfaction. On ne peut donc que vous recommander de faire le tour de Mundi ne serait-ce que pour vous ouvrir à tout ce qui fait la diversité d’un genre et vous changer les idées.
Après la sortie de leur opus I Tread On Your Grave nous avions laissé les québécois de The Death Wheelers aux prises avec des hordes de motards zombies sur un coin de route abandonnée des Amériques. Ils reviennent cette année dans un fracas infernal toujours avec l’appui de Riding Easy Records au sein d’une galette sobrement intitulée Chaos and the Art of Motorcycle Madness. Notons au passage le artwork de l’écrin contenant le disque, une représentation d’un biker faisant face à un magnifique Baphomet lui accordant sa bénédiction dans une atmosphère sépulcrale.
La volonté du groupe est toujours la même, écrire une œuvre qui se veut tant sonore que potentiellement visuelle grâce à un storytelling laissant court à l’imagination morbide de l’auditeur. D’ailleurs The Death Wheelers fait apparaître sur la pochette de son album la mention: “Original motion picture soundtrack” comme lors de leur précédente sortie de 2020 Divine Filth, le ton est donné. Cette fois-ci, les pistes nous racontent l’histoire d’un biker vendant son âme au diable ce qui permet au quartette de balancer ici et là quelques bandes sonores de films comme sur “Ride Into The Röt” ou “Lucifer’s Bend” introduite par le rire aigrelet du prince des enfers.
Il n’y a pas grand-chose à redire sur cet album à l’ambiance mi inquiétante, mi pétaradante. C’est plutôt une réussite, on jongle comme lors de précédentes création du groupe entre un rock 70’s et une agressivité digne de Motörhead. “Lucifer’s Bend” dont on parlait plus haut en est la démonstration et invoque même le swing pour compléter le tableau. L’album balance des bases rythmiques bluesy classique sur “Les Mufflers Du Mal” dont l’intro testostéronée à la wah-wah plante le décor grandiloquent. C’est donc en usant ses standards que The Death Wheelers fait saillir des cordes hargneuses et des patterns de batterie aux emballements énergiques un son foutrement rock’n’roll, comme pour “Triple D” ou la quasi punk “Brain Bucket”.
Chaos And The Art Of Motorcycle Madness est la fille des précédentes œuvres de The Death Wheelers, aucun doute possible. De la production au style, tout est là et installe fièrement The Death Wheelers dans un univers qui voudrait dépasser le cadre de la simple musique et réussit par là à nous conter des histoires pour grands enfants amateurs de frissons. Du rock’n’roll mais pas que, c’est tout le sel de cette nouvelle galette à enchainer avec les autres, un seau de popcorn sur les genoux.
Troisième album pour les Gantois de Fire Down Below que l’on avait, chez Desert-Rock pu apprécier en live ici et là à l’occasion de divers festivals. Leur stoner fuzzé nous avait alors conquis et il est à présent l’heure de voir si le quartette nous gratifie d’une galette mémorable avec leur tout nouveau Low Desert Surf Club sorti chez Ripple Music et dont le titre évoque tant l’hommage que le renouveau.
Fuel injected comme disent certains chroniqueurs ‘ricains. Le moins qu’on puisse dire c’est que cet album botte des culs. On y trouve un mélange quelque part entre Valley of The Sun et Slomosa, autant dire que les p’tits gars d’outre Quiévrain ont tout compris au stoner et lui adjoignent à l’occasion de la bien nommée “Surf Queen” quelques piments surf music. Il faut dire que rien que le timbre de voix de Jeroen Van Troyen fait penser à celui de Dexter Holland (cela frappe d’entrée de jeu sur “Cocaïne Hippo”) et ça invite plus au voyage sur la côte ouest des Etats-Unis qu’à Zuydcoote.
Bon on a fait le tour de la question Surf Club mais pour le Low Desert? Pas d’inquiétude Fire Down Below mets suffisamment de groove dans “Here Comes The Flood” et “Hazy Snake” pour que le clin d’œil au pape du cool, Brant Bjork, soit réussi sans pour autant en égaler la classe, faut pas déconner non plus !
Au-delà de ces considérations d’affichage avec Low Desert Surf Club on se retrouve avec un album à la réalisation notable. L’enregistrement et le mixage sont assurés d’une main de maître par Richard Behrens bassiste du Samsara Blues Experiment et côté prod, c’est Nick Di Salvo qui s’y colle. Rien de moins. A noter que ce dernier ne se prive pas de venir prêter main forte au groupe en deux occasions pour renforcer les voix sur “Here Comes The Flood” puis prêter sa guitare acoustique sur “Mantra”.
Les quatre instrumentistes de Fire Down Below trouvent toujours leur place dans une série de compositions hautement satisfaisantes. S’il était besoin d’une carte de visite au groupe, cette galette devrait leur permettre de passer à peu près toutes les portes des discothèques de tous stoner Head qui se respecte. Un album de stoner un vrai! Voilà la bonne nouvelle que nous livre Fire Down Below avec ce Low Desert Surf Club.
EP, Split, Live et albums, c’est presqu’une galette par an que nous propose le trio suédois de Domkraft depuis leur début discographique. Un premier EP solide, un premier album très encourageant, coup de cœur de nombreux fans en 2016 et depuis, des sorties de qualité en constante progression. C’est donc avec beaucoup d’attentes que la livraison 2023 est attendue dans les chaumières. Allons direct à l’essentiel, l’album est monstrueux. Le gap que franchit ce groupe une nouvelle fois est immense. Beaucoup pensaient que Domkraft avait encore une marge de progression à exploiter et bien c’est chose faite.
Doom, Sludge Metal, Psychedelic et j’en passe, les Suédois nous propose un melting-pot de tout cela. C’est savamment dosé et totalement abouti. J’y verrai même maintenant un petit côté prog, très très léger mais qui est peut-être ce petit plus qui rend l’album hautement qualitatif.
“Whispers” ouvre le bal avec un mid-tempo qui vous entraine en quelques secondes ailleurs. Le travail de production saute immédiatement aux oreilles. Ça sonne monstrueusement juste. Le morceau s’étire et devient de plus en plus lourd. Et puis on se relâche sur des passages plus planants. Le chant de Martin Wegeland est très convaincant. Son chant devient encore plus que sur les précédents efforts une sorte de quatrième instrument. Légèrement en retrait par moment dans le mix, cela donne de superbes effets.
“Stellar Winds” en mode plus rapide vous emmène encore plus loin avec son rythme basse/batterie répété en boucles hypnotiques accompagnant des envolées de guitare et de chant magnifiques.
Martin Wegeland (Basse et chant), Anders Dahlgren (batterie) et Martin Widholm (guitare) se tirent la bourre tout en étant parfaitement accordés les uns aux autres, ce morceau est puissant.
Point de chronique morceaux par morceaux pour ne pas tout griller mais la suite est à l’image des deux premiers morceaux. On est cueillis par des riffs tantôt lourds (très lourds !) tantôt planants et on se prend des coups de massues avec une batterie qui défonce tout. La basse vous place une colonne vertébrale d’une solidité à toutes épreuves et le chant, j’y reviens, est juste bluffant de personnification et de puissance.
L’album de la maturité, de la confirmation, employez l’expression que vous voulez, Domkraft sort clairement un album de patrons. Fort à parier que les top 2023 verront le nom du trio apparaitre plus d’une fois et assez haut, ou je n’y comprends plus rien.
Pas de coïncidence : Caivano l’album, par Caivano le groupe… c’est bel et bien l’œuvre solo de l’emblématique guitariste de Monster Magnet, Phil Caivano ! Le six-cordistes est le plus ancien membre de MM encore présent au sein du groupe, hors Wyndorf of course, avec plus de 25 ans de service (on ne comptera pas sa petite pause au milieu des années 2000). 25 ans à sévir à côté du charismatique leader, indéboulonnable machine à riffer, débitant sur chaque concert son lot de bûches en lead et en rythmiques, bref, un personnage désormais impossible à détacher de l’image et du son Monster Magnet…. a priori ?? Car la question est bien là, au moment de découvrir ce premier disque solo : quelle est la vraie contribution de Caivano à Monster Magnet, finalement ? Le groupe est tellement incarné par Dave Wyndorf, figure tutélaire écrasante, omniprésente, et seul compositeur affiché du groupe… Difficile d’appréhender la réelle contribution de l’ensemble des autres musiciens derrière leur légitime leader. Bref, le gars n’a pas d’existence hors MM. Deux titres jetés discrètement en pâture sur Youtube il y a quelques semaines ont préparé le terrain à ce véritable LP complètement autoproduit par le musicien, qui se retrouve ici derrière tous les instruments ET le micro (exception faire de la batterie, laissée entre les baguettes du vieux copain Pantella).
Le premier diagnostic est sans ambigüité et s’impose à nous (et ce lancement sur “Come and Get Me” met immédiatement l’église au milieu du village): il y a une véritable communion musicale entre Caivano et Monster Magnet, un trait d’union existe sans ambigüité entre les deux formations… reste à savoir dans quel sens ! Est-ce le guitariste qui a apporté ce son au groupe, ou bien est-ce qu’il s’est tant immergé dans la musicalité de l’aimant monstrueux au point de ne pas pouvoir s’en affranchir et développer sa propre identité ? Notre conviction : même si les deux facteurs sont probablement concomitants (on parle de 25 ans de mariage musical quand même !), on penche pour la première hypothèse. Il suffit de balayer l’évolution musicale de Magnet pour réaliser que le son du groupe a commencé à évoluer autour de son arrivée, à partir de Powertrip, passant progressivement d’un “stoner / space rock psyche” à un son et des compositions plus costaudes, dans le style que l’on connaît désormais, bien rodé depuis plus de deux décennies maintenant. On va pas vous faire le coup de la poule et l’œuf, mais il est évident que Caivano a participé à ce son… et on le retrouve largement dans les compos de cette galette !
En revanche, on pourra aussi noter que la propension aux titres à rallonge parfois présente sur certains morceaux de MM ne vient pas forcément des velléités du guitariste : avec dix titres pour 33 minutes, Caivano va à l’essentiel et ne brode pas. L’échantillon proposé est très plaisant, vraiment bien foutu, avec certains titres certes plus anecdotiques, mais aussi de vrais petites joyeusetés, avec du riff à ne plus savoir quoi en faire, et ces rythmiques affolantes au groove absolument emblématique de son groupe de cœur : “Lay in the Sand” et son côté rock sudiste, “Come and Get Me”, “Now is Forever”… Côté musical et instruments, évidemment on aura du mal à critiquer le bonhomme dès qu’il a un manche et des cordes pour jouer : il nous rappelle aussi qu’il ne se cantonne pas aux rythmiques chez Magnet, et propose ici quelques impeccables soli bien old school (“Heroes”, “You Will Wait”, le presque punk “Verge of Yesterday”…). Concernant son chant, agréable surprise aussi : évidemment il ne peut pas se prévaloir de l’outrance et du coffre de Wyndorf, mais il s’en tire plus qu’avec les honneurs, avec même des passages assez bluffants – d’efficacité plus que de technique (et d’autres passages un peu plus en retrait il est vrai, comme ce “You will Wait” et son chant chargé en effets/reverb, “Talk to the Dead”…).
Bref, Caivano le disque est une vraie réussite, une petite perle old school, une production modeste et honnête, imparfait mais sans fard, qui évidemment devrait en premier lieu contenter tous les fans de Monster Magnet… et plus généralement les amateurs de hard rock cosmique au son un peu plus garage, où la guitare se taille évidemment la part du lion.
Nous avions commencé à suivre le quartette suédois de Moon Coven lors de son passage sous pavillon Ripple Music. Son doom audacieux s’était insinué dans les méandres de nos encéphales et nous avions eu peine à nous en départir. Ils reviennent toujours chez Ripple avec un disque du nom de Sun King que l’on espère tout aussi malin que le précédent.
Dès les premières notes, on se dit “voilà un groupe qui connaît son affaire”. Un pied dans la compo planante, un pied dans le riff joyeusement bondissant. “Wicked Words In Gold They Wrote” pourrait annoncer un simple album de plus dans la galaxie de la galette maîtrisée mais très rapidement (le dernier tiers de cette même piste) il se passe quelque chose dans la lancinance des riffs de gratte et la ponctuation rythmique. L’effet est reproduit sur “Doom Seeing Stone” et sa conclusion, l’intro de “Behold The Serpent” ou le refrain de “Yawning Wild”. Il y a du riff sur cet album, du riff de gratte sensible ou lourd. De la rythmique parfaitement posée et une voix plaintive jamais encombrante.
On écoute Sun King avec satisfaction mais cependant sans extase. Jusqu’à ce que le petit truc en plus dans la composition vienne te rattraper par la manche, un petit truc follement doom et super bien pensé mais qui reste un petit truc.
Malheureusement Moon Coven ne parvient pas à produire un album exceptionnel, se refusant à produire ne serait-ce qu’une piste réellement supérieure aux autres même s’il faut admettre que le contenu de “Yawning Wild” est assez réjouissant de bout en bout.
Qu’on ne se méprenne pas, Sun King est un très bon album, un de ceux qu’il faut garder à portée de main et rejouer pour être certain d’en trouver toutes les subtilités. En effet, cette plaque comme la précédente de Moon Coven est pétrie d’intelligence et de sensibilité. On trouve son bonheur à tous les coins de titres et on pense aux rejetons de la planète doom qui peuplent nos chroniques ces dernières années, Kadabra, Stone From The Sky ou les plus affirmés Mars Red Sky. C’est dans cette veine que se loge Moon Coven, admettez qu’il y a pire.
En conclusion Moon Coven nous met entre les esgourdes une plaque qui n’a en rien à rougir de son principal défaut qui est de ne pas atteindre le pinacle où on aurait aimé l’attendre. Sun King fourmille de bonnes idées et déborde d’une sensibilité rare. On ne peut que vous recommander d’aller découvrir cet album et de le travailler suffisamment pour lui pardonner sans trop de difficulté de n’avoir pas su être magique.
De Karavan on ne sait que peu de choses : on sait que c’est un trio norvégien, que le groupe est assez jeune et modestement prolixe (c’est leur première sortie en quatre ans d’existence, après un ou deux titres tests disséminés ici ou là), et que vraisemblablement, le groupe a dû arriver en retard le jour de la distribution des noms de groupe et a probablement été obligé de prendre ce qui restait (il y a 10 groupes minimum du nom de « Karavan » répertoriés dans Discogs). Enfin, on sait que le groupe se prévaut d’une passion partagée pour le doom, sous ses nombreuses formes. Et là, forcément, notre intérêt est plus vif…
Pas de doute en tout cas, le groupe est honnête : on retrouve du doom dans tous les recoins de ce Unholy Mountain (le titre déjà…), un doom gentiment sludgy généreux, couvrant un spectre assez large pour ne pas ennuyer, mais gardant une “ligne” assez claire et stable . Côté vocaux, on est dans du growl pas trop brutal, à mi-chemin entre les glaireux Dopethrone et une sorte de Blackened Doom pas trop extrême ; ça passe crème. Côté instru, on est sur un ensemble basse-guitare bien saturé et grassement fuzzé, quelque chose à mi-chemin entre Monolord et Conan, en gros. Et côté musique, on est sur du riffu, juste assez lent (on n’est jamais dans la caricature). Mais les riffs, justement, sont bons, voire excellents, or n’est-ce pas la quintessence du doom ? « Chase the Dragon » avec son riff très Acid King avant son break en son clair, « Bonfire Ritual » et son ambiance Electric Wizard (d’il y a 15 ans), « Mars » et sa rythmique grasse à la Dopethrone, ou encore le morceau titre qui rappelle (un peu) vous-savez-qui, on est à chaque fois sur des riffs super efficaces et des plans mélodiques très bien construits. Tant et si bien que l’on a du mal à se défaire de ce disque, qui non seulement développe son pouvoir addictif à chaque nouvelle écoute, mais laisse à chaque fois découvrir de nouvelles nuances et subtilités – signe si besoin était que l’on n’a pas affaire à un trio de branleurs, et que ça a bien bossé, et ce aussi bien en écriture / pré-prod / enregistrement / prod, etc…
C’est avec un certain enthousiasme qu’on peut observer l’arrivée de tels groupes, qui assument leurs influences et s’engagent à développer le genre, dans une sorte de respect de la « tradition » doom, tout en se l’appropriant pleinement, hybridant plusieurs sous-genres pour proposer quelque chose de frais, intéressant, à défaut d’être complètement innovant. Un bon disque pour doom-afficionado, solide, honnête et prometteur.
A une poignée de jours près deux ans après la sortie de A Pound of Flesh, le trio de Washington D.C, Borracho remet le couvert avec Blurring The Lines Of Reality. La promesse d’une galette stoner pas trop diluée, classique sans être lassante et galvanisante as well pourrait bien être confirmée ne serait-ce que parce que le groupe confirme sa présence sur Kozmik Artifactz, promoteur bien connu du style sus-décrit.
Avec son intro entre lignes orientales et spiritualisme indien ça fleure bon l’exotisme et ce sur trois titres consécutifs. Mais l’astuce se retrouverait vite éventée s’il s’agissait d’en faire un thème pour tout l’album, qu’à cela ne tienne, le Borracho revient à chaque titre en quelques minutes dans ses boots graisseuses avec le chant délicieusement malsain et dégoulinant de Steve Fisher qui se glisse entre deux saillies bien velues.
Du pur stoner cousu main, phrases courtes, coups de boutoirs soniques pour un album qui ressemble d’entrée de jeu à un EP en version extended, c’est à dire, une ouverture par un triptyque “Architects of Chaos I”; II et III pour 20 minutes de kiff et trois titres en complément “Loaded”; “This Great War” et “Burning Goddess” afin d’atteindre la jauge du LP (bien qu’un seul “Burning The Goddess” de 13’24 y aurait suffi!).
Du gras donc mais pas que! Le titre “Architect of Chaos III” aurait pu être une piste éponyme puisque ce sont ses paroles qui donnent le titre de l’album, il place la conclusion du triptyque d’ouverture dans une ambiance subtile. On y trouve une basse continue saupoudrée de cymbales élégantes où la gratte égrène ses notes toujours dans la plus pure des sonorités stoner pour mieux s’enjailler à mi-parcours d’un solo heavy stimulant avec son jeu de questions/réponses. Saluons au passage la production léchée de l’objet : Blurring The Lines Of Reality est tout de même plus subtil que du saindoux pur, mais il montre quand même les muscles et les variations stylistiques au sein des morceaux ne détonnant pas. Elle reste cohérente jusqu’au replet “Burning The Goddess” final qui soulève la poussière du désert et chauffe comme le soleil de midi. De la cowbell, du vibraslap, de la disto, rien que de belles sonorités traditionnelles qui propulsent la piste de bout en bout et concluent parfaitement l’album.
Au final Borracho continue sur sa lancée avec un album fait de bon gros stoner à l’américaine, ça met le pied dedans, fonçant cheveux au vent et moteur hurlant vers un potentiel soleil couchant en prenant quand même le temps d’un arrêt du côté de la subtilité. Le groupe réalise une belle confirmation de sa place dans le domaine du desert rock classique s’imposant un rythme de sortie de ses productions suffisamment espacées pour ne pas détourner son public de ses compositions par lassitude.
Close Encounters est déjà le troisième album de ce groupe américain extrêmement discret. Formé de musiciens issus de divers horizons, dont certains appartenant à des groupes plutôt actifs, les concerts de ce quartette pourtant expérimenté sont rares, et pour l’essentiel assurés dans le Nord Est des USA, où la plupart des musiciens sont implantés. La probabilité de retrouver le groupe sur des scènes européennes est donc faible… mais pas nulle, on croise les doigts. Toujours est-il que leur faible activité scénique explique peut-être en partie ce bien dommageable déficit de notoriété.
Quoi qu’il en soit, on retrouve le groupe à peu près là où on les avait quittés avec Mental Nudge en 2020, à savoir aux commandes d’un beau paquebot de gros heavy rock plombé US, un style développé sur les bases du hard rock des années ‘90/’00 aux Etats-Unis, où tout tournait autour du grunge et du hard rock costaud, avec en parallèle l’émergence du courant stoner. Il y a un peu de tout ça dans Kind, un groupe qui trouve chez Ripple une maison fidèle et appropriée (comme aurait pu l’être Small Stone il y a une dizaine d’années par exemple) : 9 titres bien écrits, du mid-tempo, du nerveux, du gros son, du riff, avec des passages qui viennent rappeler les meilleurs moments de Soundgarden, Alice in Chains, etc… en plus des classiques du stoner US (et pas que).
Toutefois l’essence du groupe est dans un premier abord assez difficile à retrouver, la variété et densité stylistique exprimées sur ce disque étant assez élevées, et en conséquence l’objet vinylique assez long à digérer. Mais n’est-ce pas finalement l’essence des meilleurs disques de se « mériter » ? La qualité des compos du quatuor ne tarde pas à émerger et au bout de quelques écoutes on se prend à chantonner gentiment, headbanger discrètement, ou bien sourire lorsque surviennent une de ces pépites d’écriture, qu’il s’agisse d’un riff confondant d’efficacité (« Power Grab », « Favorite One », « Pacino »…), d’un break étonnant ou autres facéties (ce break sur le pseudo-refrain de « Favorite One », ce solo de guitare en arpège au son étrange sur « Black Yesterday »…). Musicalement ça tourne impeccablement, même si surnagent Darryl Sheppard (un ancien de Black Pyramid qui a traîné ses guêtres sur un paquet de délicieux albums de heavy rock US) avec des parties de guitare efficaces, originales, sans parler d’une poignée de riffs sublimes, et Craig Riggs (plus connu en tant que batteur de Sasquatch) pour son chant à la fois chaleureux, riche, puissant et mélodique.
Bref, on vous conseille bien fort cette galette, un disque pas forcément évident à première vue, mais qui révèle nombre pépites, des compos attachantes, malines et efficaces. Un disque intelligent, riche, et gourmand.
Il faut croire que cela ne suffisait pas. Après la sortie du très réussi Solace en mars dernier, REZN revient sur le devant de la scène avec cette fois une collaboration américano-mexicaine. Les titans de Boston s’allient pour l’occasion avec le quatuor hyperdimensionnel Vinnum Sabbathi et nous livrent un élixir de sept gorgées que l’on s’empressera d’ingurgiter tant la recette semble bonne.
Si leur précédente expérience de coworking avec Catechism proposait non moins de vingt-six créations atmosphériques, délivrant chacune des ambiances spectrales toutes plus épurées les unes que les autres, dépourvues de riffs ou de groove, la présente association se révèle bien plus abrasive. Sur Silent Future, le puissant doom psychédélique de REZN se mêle au conceptualisme cosmique de Vinnum Sabbathi pour un résultat hypnotique, une union qui nous transporte d’abord en douceur, d’une simple note accompagnée d’une voix « Born Into Catatonia » jusqu’à des sommets de montagnes en marche, jusqu’à des monstres mégalithiques qui nous écrasent de toute leur immensité « Obliterating Mists ».
Cette coalition métaphysique nous propulse dans les méandres d’univers tortueux et pleins de noirceur, le tout avec une fluidité surprenante. À plusieurs reprises on se retrouve à entendre l’album reboucler sur lui-même après une écoute. Mais on le laisse faire, sans rechigner, tant le voyage passe vite et donne envie de se poursuivre.
De prime abord, l’alliance peut trahir un équilibre versatile. Car si la patte de REZN est bien présente du début à la fin, à forger son perpétuel fer inflexible moulé d’éléments texturaux et gravé d’inscriptions chatoyantes, l’influence de Vinnum Sabbathi s’avère plus subtile. Formé en 2012 à Mexico, ce quatuor fusionne pour sa part de puissants riffs déstructurés avec des échantillons de science-fiction et d’ambiances spatiales, comme nous l’illustre ici « Clusters ». Pourtant aux côtés de leurs collègues de Boston, on les sent parfois effacés, presque dépassés par la souveraineté du géant qui les accompagne. Durant les premières écoutes, on peut avoir l’impression de simplement écouter le dernier album d’REZN. Néanmoins, à mesure que l’oreille s’accoutume, on sent toute la profondeur, tout le relief que vient insuffler Vinnum Sabbathi. Leur force réside davantage dans les interventions vocales empruntées au cinéma de genre, dans certaines nappes de synthé ou encore dans des constructions rythmiques lancinantes. Et elle demeure essentielle à la réussite du projet.
Car il s’agit bien d’un indéniable succès. L’énergie envoûtante de Silent Future ne peut laisser indifférent, tant pour la richesse des horizons qu’elle ouvre que par la qualité de son écriture, de sa composition ou de sa prod. Il s’agit du produit de deux groupes talentueux qui se hissent l’un l’autre vers des sommets jusque-là insoupçonnés. Une ascension que l’on se félicite d’effectuer et qui nous laisse à chaque fois le souffle coupé.
Pas courant de tomber sur des groupes néo-zélandais dans notre veine musicale, et heureusement que ce facteur aura titillé notre curiosité, parce que ce n’est pas l’indigence d’originalité du nom du groupe qui nous aura vraiment intrigué… Imperator est leur premier long format, après un EP discret en 2020.
Musicalement, Mammuthus ne produit pas un ensemble fondamentalement original : il évolue dans un registre de stoner rock assez enthousiasmant, un style qu’il maîtrise bien, ce qui n’est pas le cas de tous les groupes qui s’en prévalent. Pour autant, le trio de Wellington apporte un contenu jamais plagié, et presque toujours de haute qualité. Musicalement, l’inspiration Kyuss-ienne est celle qui semble la plus claire, tangible dans la façon qu’a Josh Micallef de poser sa voix d’une manière très comparable à John Garcia (à l’image du couplet de “Backdoor” ou de celui de “Long Drive”) mais aussi à certains riffs – du même Micallef, qui assure aussi les lignes de 6-cordes – que l’on peut lier aux derniers albums du feu-quatuor californien (l’intro troublante de “Long Drive” par exemple). Mais cantonner Mammuthus à un ersatz serait une erreur : derrière ces quelques moments épars, la demi-heure de musique proposée (trop courte !) brasse des courants plus variés, et apporte de belles choses au genre. Le trio ratisse large au fil de ses 7 titres, du stoner sablonneux pur jus jusqu’à des plans quasi doom parfois (“Bloodworm”), avec des plages de hard rock punchy (“King of the Dead”), s’essayant même avec réussite au full instrumental (“Monolith” qui mêle des plans à la My Sleeping Karma à un final quasiment post-rock). On notera aussi la prise de risque du titre conclusif “Formless”, un titre atmosphérique emmené par un chant féminin (par E.J. Thorpe du groupe End Boss, un autre groupe néo-zélandais intéressant, qui est moins lié au stoner) qui se termine sur un mini refrain d’une minute d’un growl surprenant (un contraste sonore un peu cliché ?).
Bons riffs, bons arrangements, audace, bon groove… Tous ces éléments ajoutés à la qualité d’écriture du combo rendent l’écoute d’Imperator non seulement enthousiasmante mais surtout fortement recommandable.
Yawning Balch, comme son patronyme assez peu avisé le laisse supposer, c’est Yawning Man (Gary Arce et n’importe quelle paire de musiciens, en gros) + Bob Balch, le guitariste de Fu Manchu. Les deux bonhommes jouent déjà ensemble depuis quelques années dans le cadre de Big Scenic Nowhere, donc on n’est pas sur la rencontre la plus improbable de la décennie non plus. Cette fois, ils se sont dit qu’écrire de la musique et passer du temps à l’enregistrer était un concept un peu usé et un process probablement trop routinier : ils ont préféré se caler dans un studio quelques heures et se lancer dans quelques impros en appuyant sur “record”, quitte à voir ce qui en sortira. Une sorte d’enregistrement “ambulatoire” : on est à la maison le matin, on va faire sa petite intervention, et on rentre manger avec maman le soir.
Ce qui en ressort, malheureusement sans surprise, c’est une jam de Yawning Man de 43 minutes, avec quelques leads de guitare par dessus. Voilà voilà. On le répète : pas d’écriture, pas de riff, que de l’impro, donc on a trois bouts de jam qui ont néanmoins une identité, quelques nuances. Ces nuances en fait tiennent surtout à la section rythmiques (Billy Cordell et Bill Stinson, quand même) qui impriment une trame rythmique et mélodique à chaque section de cette jam. Leur rôle est finalement majeur, même si les gars sont sous-employés ici, se cantonnant à définir le socle rythmique qu’ils font tourner, avec talent, pendant x minutes. Voir le premier titre, “Dreaming With Eyes Open”, dont la base mélodique pilotée par Cordell se cantonne au même riff de basse, grossièrement, qui tourne pendant plus de vingt minutes à différents tempi. Tandis que “Cemetery Glitter” est plus déstructuré, jazzy parfois, “Low Pressure Valley” vient conclure la galette encore une fois sur une base rythmique qui tourne (en rond ?) pendant plus de 7 minutes.
Toutefois, même si le truc est produit avec les pieds (les intros et outros toutes en fade in / fade out font honte), ce n’est pas mauvais du tout, loin s’en faut… si vous êtes fans de Yawning Man. Y’a des caisses de leads de guitare blindés de réverb, son clair, en mode “surf rock” désormais estampillés “marque de fabrique Gary Arce”, toujours les mêmes, invariablement. Sauf qu’il y en a une double dose, avec Balch qui vient apporter ce qu’on qualifiera d’une surcouche de leads, mal identifiée (avec tous ces bidouillages de sons, difficile souvent de distinguer ce qui est l’œuvre de Arce ou de Balch). Mais au delà du style musical, qui a (j’imagine) ses afficionados, on a du mal à voir émerger l’identité du projet, sa valeur ajoutée. Yawning Balch, rappelons-le avec une touche de mauvaise foi, signifie assez ironiquement (ou cyniquement, c’est selon) “Balch en train de bailler”.
A noter que l’affaire n’est pas close : comme son nom le laisse présumer, ce Volume One en appelle au moins un second. Au delà, ça dépend probablement du succès de cet opus, ce qui appelle évidemment la question : mais qui sont les personnes qui achètent ce genre de disques ? La question qui vient juste ensuite est : peut-on apprécier ce disque sans avoir “consommé” ? Je n’ai malheureusement la réponse à aucune de ces questions.
Ne vous y trompez pas Slaughter On First Avenue n’est pas à proprement parler un nouvel album de Uncle Acid & The Deadbeats, il s’agit d’un live enregistré en deux fois à Minneapolis (Sur la première avenue, vous l’aurez compris), en 2019 et 2022. C’est au passage l’encadrement du 20e anniversaire de la bande de Kevin R Starrs, maître concepteur et figure de proue d’un groupe anglais qui tout au long de sa carrière n’aura pas su trouver d’autre noyau à sa structure que ce dernier.
Je suis toujours sceptique face à l’arrivée d’un live, bien souvent déçu pour ne pas dire trop peu intéressé par la chose une fois transposée sur le froid support du disque. Slaughter On First Avenue pourtant échappe à ce biais.
La mise en scène est bien retranscrite, le sample d’introduction interpellant la foule telle la voix de Tonton dans “1984” de Orwell, les cris des sirènes et la montée sur scène progressive des instruments replonge immédiatement dans l’ambiance d’un concert de Uncle Acid. “I See Through You” éclate aux oreilles, filant immédiatement la chair de poule. C’est gagné l’ambiance ne quitte plus l’auditeur, la restitution des cris hystériques d’une femme au premier rang, cette hype adolescente qui porte le groupe, la légère dissonance du chant qui n’est pas en rien gommé par un choix trop lisse. Tout est là, la force du live, un instant unique où chaque détail fera du concert le moment qu’il fallait vivre ou celui dont on se souviendra comme d’un immense raté.
N’ayez crainte, c’est ici un carton plein qui vous attend. S’il n’est pas la peine de vous refaire l’article sur les compos (Nous les avons déjà bien épluchées dans nos articles sur ce site) Il est louable de s’attarder sur le choix des titres qui réalise une croisée des chemins entre les deux concerts. La chronologie des set lists est respectée et peu de titre se retrouvent exclus de cette synthèse qu’est Slaughter On First Avenue. Je l’ai dit, l’introduction sur “I See Through You” est un véritable blast . La pesante marche de “Death Doors” vient sceller le premier tiers de l’album avant que “”Shockwave City” ne relance la machine qui continue sur sa lancée jusqu’à “Dead Eyes Of London”. Puis à nouveau “Pusher Man” imprime son pas lourd et lent s’imbriquent avec “Ritual Knife”, “Slow Death” et “Crystal Spider” pour un long moment de calme relatif avant qu’à nouveau l’envolée ne se produise sur “Blood Runner”. Les quatre derniers titres respectent cette logique de montagnes russes rythmiques avec un “I’ll Cut You Down” inséré entre “Desert Ceremony” et “No Return”. Arrêtons-nous d’ailleurs un instant sur ce titre qui fait la parfaite conclusion de l’album, un “I’ll Cut You Down” comme pour un titre d’au revoir, où on lâche les coups de nuque et on tape du pied, oui ceux présent à Minneapolis devaient bien sauter partout au rythme de cette ode au plus célèbre des slashers londonien. “No Return” sonne enfin comme un rappel et une conclusion classique des sets ici enregistrés.
Côté production, le boulot est rudement bien fait, alors que bien souvent en live le son peut paraître écrasé par la batterie et les subtilités de la basse noyée dans un tout, on retrouve bien chaque frappe du batteur ainsi que les lignes du bassiste faisant notamment du groove de “Death’s Doors” une pure réussite. Comme évoqué plus haut, les cris du public sont perceptibles, si les applaudissements à fin des titre ont été majoritairement diminués au montage, ressort régulièrement un cri d’approbation ou d’encouragement issu du public en particulier quand Kevin Starrs s’adresse à lui notamment à la fin de “I’ll Cut You Down” pour tout en chantant il lui demande de baisser les téléphones (Uncle Acid déteste ça) donnant ainsi une idée de ce que pouvait être le mur de lumières blafardes éclairant le public. De fait, le déroulé de l’album ne s’en trouve pas contrarié et ajoute juste ce qu’il faut pour participer à l’ambiance du projet, glas sonnant et acclamation du public en fin d’album compris.
Pour qui a déjà vécu un set de Uncle Acid, on ressort de l’audition de Slaughter On First Avenue avec les images rouges et noires d’un concert où les fantomatiques britanniques évoluent dans le contrejour des flashs dus aux projections en fond de scène. Pour les autres on aura affaire à un subtile Best Of qui gagne en nervosité par rapport à l’enregistrement studio. Probablement la pièce indispensable pour qui devrait garnir sa discothèque d’un seul album du groupe.