Étrange mélange de sensations que celui qui s’empare du fan de Nebula au moment de découvrir ce disque. Ça commence par son existence même. Pourquoi un disque live pour le trio californien, pourquoi maintenant, alors qu’il y a deux ans sortait son « Live in the Mojave Desert » (pas sur le même label certes) et que le groupe a déjà sa roborative référence live avec ses enregistrements Peel Sessions de la « grande époque » ? Sachant par ailleurs que la tournée de mai 2023 dont sont extraits les enregistrements du présent disque n’a pas vraiment été une tournée clé pour le groupe (se concentrant sur un axe Italie – “Germanie étendue”, elle n’aura par ailleurs en rien marqué les mémoires).
Mais surtout il faut évacuer « l’éléphant de la salle », le sujet qui inévitablement vient percuter la news de cette sortie : il y a quelques semaines décédait l’emblématique bassiste du groupe, Tom Davies. Cette tournée s’était faite sans lui, avec Ranch Sironi à la 4-cordes, tandis que Davies était alité, en train de combattre la maladie (avec une communication minimale du groupe sur le sujet à l’époque). Quel message donc de la sortie de ce disque, maintenant ? Dans le meilleur des cas, on l’espère, aucun… Reste que forcément (et probablement involontairement) le calendrier du deuil percute le calendrier commercial (vous reprendrez bien une demi-douzaine d’éditions vinyls collector multicolores de ce disque dont l’ancien bassiste vient de nous quitter ?). Malaise.
On essaye de prendre du recul pour jauger l’objet pour ce qu’il est : un album live. L’enregistrement est correct, la guitare d’Eddie Glass largement devant dans le mix, mais avec une place très claire apportée à chacun des trois éléments musicaux : batterie, basse et chant (dont chœurs), et même, quelques secondes après chaque titre, les cris satisfaits du public. Tout cela est plutôt propre, sans relief mais assez clairement enregistré et mixé, quasi scolaire dans l’exécution. Très correct, même si ce n’est pas l’enregistrement du siècle non plus, n’exagérons rien.
La set list est un savant mix de leur prolifique carrière et discographie, mêlant titres récents (issus de leurs deux derniers albums sur le même label), classiques issus de leurs plus anciens albums, et fausses raretés (des titres issus de split-albums, mais qui font depuis longtemps partie des set lists de référence du trio). Zéro surprise. Côté interprétation, on est sur du maîtrisé : pas la fougue de leur jeunesse, mais tout est sous contrôle, bien exécuté, à l’image des innombrables digressions solistes de Glass chargées en fuzz et wah wah. L’ensemble est bien sage et loin de la folie qu’on a pu connaître pour le groupe il y a plusieurs années, à l’image de ces « Aphrodite » ou « Out of Your head » ici un peu mous du genou. A noter que les trois titres après le séminal « Let it Burn » sont réservés à l’édition CD (ou digitale of course), signe à nouveau qu’on n’est pas dans un objectif de documentation d’un concert de référence, mais bien dans la vente d’un objet discographique (les trois titres ne rentraient pas sur le vinyl, et personne n’aurait été prêt à payer un double vinyle pour de cet enregistrement… donc on les retire).
Si vous êtes fan du groupe, option complétiste, l’acquisition de ce disque vous sera probablement obligatoire (et si c’est la musique que vous cherchez et non l’objet, on vous orientera plutôt sur les éditions CD ou digitale, avec trois titres supplémentaires). Si vous êtes plutôt collectionneurs de vinyl, vous trouverez largement de quoi décorer votre discothèque. Pour les autres, on vous laisse à votre quête de sens…
Les plus vieux d’entre nous se souviennent probablement, il y a une trentaine d’années, comme le stoner rock transalpin était vif et précurseur en bien des points. Luttant à l’époque (à armes inégales) avec les meilleures formations du genre essentiellement américaines et scandinaves, les groupes de la botte étaient soutenus par une poignée de vaillants labels, parvenant parfois, après d’irrationnels efforts, jusqu’aux oreilles enthousiastes des amateurs d’accords fuzzés. Parmi ces formations « cultes » figuraient That’s All Folks, et dans une moindre mesure les non-moins-intéressants Colt 38. Le frontman de ces formations, Claudio Colaianni, a lancé un groupe, Anuseye, en 2010. Du fait d’une distribution famélique et d’une promotion DIY qui ne sera pas parvenue jusqu’à nos oreilles (et pourtant, avec un tel patronyme, notre curiosité aurait été piquée !), c’est par le biais de son 3ème album, ce Right Place Wrong Time, que nous faisons connaissance avec ce quatuor.
Musicalement, Anuseye ne présente pas ce visage frondeur, un peu insouciant et débridé, que l’on pouvait retrouver chez les formations italiennes susmentionnées. Il y a plus de maturité et de maîtrise dans la musique proposée, qui en réalité se positionne plus dans l’aspiration/l’inspiration du canal le plus historique du desert-rock séminal, quelque chose qui balance entre Masters Of Reality, les premiers QOTSA, les premières Desert Sessions… Chaque compo, tout en apportant un son bien spécifique, rappelle quelques reflets de cette tendance musicale un peu surannée aujourd’hui – mais pour autant indémodable. « Odessa » par exemple, toute en guitare son clair, oscille souvent entre Yawning Man et le early-QOTSA. « Sagres”, elle, propose notamment un refrain qui fait très directement écho à Masters of Reality (robot rock, chœurs…). Le meilleur titre de la galette, « Churchofchrist » déploie une mélodie super catchy imparable, et fait montre d’une superbe qualité d’écriture (riff impeccable sur base rythmique entêtante, petit emballement opportun sur double solo…).
Les autres titres viennent renforcer et confirmer certains aspects de la musique de Anuseye, à l’image de « Vancouver », en mode mid tempo riffu et groovy, ou encore « Kyoto » et « Stockholm » en synthèses parfaites : mélodie accrocheuse, rythmique emballante, leads aguicheurs pour aérer le tout…
D’une durée 43 min sans les bonus, l’album se tient bien en l’état. En version digitale, trois titres bonus sont donc proposés, mais qui n’apportent pas beaucoup à l’ensemble, pas de regret à avoir pour celles et ceux qui optent pour la version vinyle : « Addis Abeba » se positionne en transition instrumentale sombre et oppressante, ce qui détonne un peu de l’ensemble. « Santiago » ne montre pas un nouveau visage du groupe et rajoute une pièce à l’ensemble, avec un chant très Brant Bjorkien. Quant à « Berlin », il s’agit d’une modeste mais gentille bluette mélodique instrumentale.
En conclusion, Right Place Wrong Time est riche, foisonnant même, et délicieusement foutraque. Inspiré, créatif et écrit avec sérieux (on n’est pas dans le heavy psych barré de That’s All Folks…), l’exubérance propre aux formations italiennes de référence dans le stoner trouve ici une autre incarnation : aucune limite stylistique, pas de dogme, ça écrit, ça tente… et du coup côté auditeur, ça passe ou ça casse ! Ici ça passe, le plus souvent : on alterne le bon, le très bon, et quelques passages moyens. Mais les très bons passages l’emportent et rendent l’écoute de ce disque très enthousiasmante. Et donc recommandable.
Alors qu’avons-nous dans les placards pour le goûter. Tiens, du Omega Sun, ça semble healthy et frais, regardons la composition. Trois ingrédients: un chanteur bassiste, un gratteux et une paire de baguettes, cela s’annonce sobre et dans nos goûts, y compris avec le nom de l’album, Roadkill. En petit il est également indiqué qu’il s’agit d’un produit Slovène de chez No Profit Records, et d’un second album après un passage chez On Parole Productions, un gouter healthy et équitable donc ?
Roadkill est en effet un bon quatre heure, on écoute la plaque sans arrêter de songer à Garcia (essentiellement à cause du chant évidemment), que ce soit dans Kyuss ou Slo Burn, sur le titre “The One” ou sur “Early Morning” (Qui aurait gagné à s’enjailler d’un peu de cowbell pour le plaisant cliché) . Autant dire qu’avec une base aussi solide (Mais ne se hissant pas au firmament du maitre, évidement) il est difficile de produire un album déplaisant. Soit dit en passant Omega Sun arrive pourtant à remettre un coup de booster dans son approche un rien consensuelle, en particulier avec “Another You”, piste royalement plus agressive et plus sombre où les cordes vont chercher des influences aux connotations très metal avant d’être rejointes par une batterie qui sans redoubler de tempo ne semble pas vouloir être en reste. On trouve aussi ici et là un état d’esprit grunge, que ce soit sur “The One”, “Black Dusk” ou dans l’antinomique “Doom” qui passe d’envolées guitaristiques sympathiques à un abrupt grand rien de conclusion.
Le casse-croûte est vite avalé, 6 biscuits assortis dans la boîte et une fois engloutis ils ne viennent pas peser plus sur l’estomac que sur l’esprit. Reste juste la sensation d’un moment de plaisir presque nostalgique qu’on se refera de temps à autre. Omega Sun ne vient pas bousculer les codes du Stoner où livrer la plaque qui renversera la table du Doom. Le trio fait un job consciencieux et sûr de ses acquis. Une seconde production réussie et sans excès, là où tant d’autres auraient aimé trop en faire.:
En dix ans (depuis leur premier album) Dopelord n’a pas chômé : ce Songs for Satan est déjà leur cinquième LP sur la période, et côté scénique, ils ont arpenté une bonne partie de ce qui existe comme clubs et festivals du vieux continent, via un bon petit rythme de tournées. Bref, le quatuor occupe le terrain, et incidemment grappille des jetons de notoriété au sein de la scène stoner/doom européenne et internationale. « With great power comes great responsibility” comme disait l’autre. On attendait donc de ce disque rien moins que l’affirmation de leur légitimité dans le peloton de tête du doom européen. Très (trop ?) hypé plusieurs mois avant sa sortie, l’album s’annonçait rien moins que cataclysmique, et on s’est donc jeté dessus la bave aux lèvres…
En se penchant sur l’objet et son concept, on fronce d’abord un sourcil sinon suspicieux, au moins circonspect : encore un énième rappel de l’éculé concept satanique (après un 4ème album titré Sign of the Devil, niveau originalité on a déjà vu mieux), ça ne nous projette pas forcément vers l’album de la révélation… Et tandis que l’on tombe sur « Night of the Witch » dès l’intro, l’ambition dégringole de quelques étages encore : avec un couplet basé sur un riff simpliste déjà entendu mille fois (mais dont le groupe semble se sentir très fier, le convoquant à nouveau en conclusion de l’album, sur l’inutile outro « return to the Night of the Witch » au synthé), ce titre propose surtout un refrain mielleux “sur-mélodique” aux limites de la génance. Sans le sauver, un sympathique break améliore le tout en milieu de chanson, avant une conclusion rappelant une sorte de mauvais Monolord sirupeux, avec un riff fuzzé en mode pilotage automatique. On va pas se le cacher, ça commence pas terrible…
Heureusement la suite est plus satisfaisante : même s’il est très téléphoné, « The Chosen One » est de très bonne facture (en particulier grâce à son break « sauce Dopelord » où s’enchaînent quelques excellents soli), tout comme « One Billion Skulls », un titre moins basique mais intéressant. « Evil Spell » un peu plus loin souffle le chaud et le froid, avec des passages aux ambiances travaillées rappelant Mars Red Sky, mais un peu plombé par des lignes vocales (et des paroles) indigentes. Celles et ceux que le chant un peu nasillard de Mioduchowski ennuie pourront d’ailleurs apprécier « Worms » en clôture, qui propose un chant 100% « gorge grasse râpeuse », un peu en décalage avec un riffing que l’on aurait vu plus lourd et sombre afin de mieux coller à ce type de chant (on est dans une tentative plutôt sludge que funeral doom, quoi) pour un titre globalement plutôt bien foutu.
En synthèse, Songs for Satan est un bon album de Dopelord, et un album de doom efficace, sérieux et appliqué : il rentre bien dans les codes, les règles sont respectées à la lettre… Sans fantaisie, Dopelord fait du Dopelord (un gros riff qu’il fait tourner aux limites du raisonnable, un refrain accrocheur, une série de soli, et on recommence…) alors qu’on aurait aimé voir le groupe prendre un peu de hauteur et matérialiser des velléités de se démarquer de ces dizaines d’autres bons groupe de stoner doom. Quelques riffs fort recommandables sont ici contre-balancés par quelques passages insipides et/ou mal inspirés. Pas un mauvais disque, loin s’en faut, mais un disque susceptible de décevoir celles et ceux qui en attendaient beaucoup. Il y aura comme toujours une poignée de titres suffisamment efficaces pour faire dodeliner les têtes en concert et headbanguer en synchro comme ils savent si bien le faire… rien qu’ils ne nous avaient pas déjà démontré (et on sera probablement toujours au premier rang).
Slomatics, dans l’intelligence collective, c’est un peu l’éternel jeune groupe plein de promesses… Pour un groupe en activité depuis vingt ans, avec désormais huit albums au compteur, avouons que c’est presque cocasse… La faute à une activité live sporadique ? A des labels innombrables, et dotés de trop faibles moyens de promotion ? A une discographie foutraque, larvée de splits, EP, etc… ? Un peu de tout cela, évidemment, mais leur singularité est avant tout à chercher dans leur style musical insaisissable, pierre angulaire de leur identité aussi forte qu’originale. Depuis des années, le groupe creuse son propre sillon musical, seul dans sa voie, à grands coups de riffs dooms et d’incursions psyche voire space rock plus perturbantes que confortables. Strontium Fields, paradoxalement, est tout autant chaotique dans son contenu, que dense et cohérent avec ses prédécesseurs.
Ça commence d’ailleurs avec « Wooden Satellites », un doom très classique, gros riff, et rythmique pachydermique, avec cette voix peu grave si confusante (celle de Marty, batteur), qui distingue Slomatics du « tout venant ». On note plus loin la grosse incursion de nappes de synthés pour soutenir un break psyche qui pourra là aussi surprendre si vous ne connaissez pas le groupe. Dans la même tendance, « Like a Kind of Minotaur » vient enfoncer le clou à grand coups de masse doom. « I, Neanderthal », avec son couplet au pattern de batterie presque… groovy ( ?!), sa quasi-absence de refrain et ses nappes de synthés continue de brouiller encore un peu plus les cartes… La carte “doom” est largement jouée, et triturée copieusement…
Tandis que l’étiquette bien confortable du doom psyche commence à se dessiner, « Voidians » nous emmène plutôt sur des territoires de… psyche doom : construit sur des plages atmosphériques assez planantes, le titre propose des embardées riffues costaudes comme poutres fondatrices d’un titre finalement étrange. Dans une démarche comparable, « ARCS » est lui aussi un titre à la structure plutôt mélancolico-psyche, mais densifié par une chape de guitares velues (pour rappel, le trio comprend deux guitaristes, et aucun bassiste), le tout enrobé, toujours, de claviers discrets mais bel et bien présents.
« Time Capture », plage atmo-mélodique dénuée de guitare sur près de 6 minutes, apporte une transition / plage de détente étrangement longue. Dans la même veine un peu plus loin, « Zodiac Arts Lab », un peu plus aérien (comprendre : moins dépressif), rajoute un autre titre dépourvu de saturation, cette fois porté par une guitare en son clair. Puis l’album se conclut sur « With Dark Futures », un titre qui se pose en synthèse impeccable de ce capharnaüm space doom stoner psyche (!), avec une intro de purs riffs doom bien patauds, et une transition progressive vers une seconde moitié mélodico-psych où les guitares saturées viennent s’entremêler aux claviers qui montent en puissance progressive.
Tout est dit, finalement, par le menu ; les ingrédients sont les mêmes, et Strontium Fields n’est pas significativement différent de ses prédécesseurs stylistiquement. En revanche, dans son exécution, il pousse tous les potards plus loin. Pas forcément dans l’aspect “crushing”, où la lourdeur de certaines plages de leur discographie récente étaient parfois plus impressionnante, voire terrifiante. On a du lourd ici, et du gras, sans ambigüité, et en généreuses portions, mais c’est plutôt quand il assume ses incartades atmo-samplo-synthés que le groupe tresse des ambiances denses et singulières, sans équivalent dans le paysage musical actuel. En découlent des apports mélodiques significatifs, qui apportent une dimension inédite à la musique de nos trois irlandais. Strontium Fields finit de dresser le portrait d’un groupe à part, un groupe décidément vraiment pas taillé pour le grand succès public, mais résolument dédié au plaisir auditif des plus exigeants de nos lecteurs, de celles et ceux susceptibles de se lasser des styles codés, au classicisme ampoulé parfois. Slomatics propose à la fois une musique respectueuse d’une histoire et des groupes de référence du genre, et en même temps un chemin de traverse audacieux mais assumé et maîtrisé. Il mérite autre chose que notre respect pour cela, a minima votre intérêt.
Tandis qu’il est de bon ton de critiquer l’hégémonie d’une poignée de labels sur notre « scène » musicale de prédilection, il convient de se pencher autant que possible sur les plus petits labels, moins exposés, qui mènent un travail de qualité, avec intégrité et (souvent) bon goût. Vous savez qu’on essaye souvent ici de vous faire découvrir des productions méritantes qui ne bénéficient pas des mêmes moyens de distribution/promotion, et ce disque en fait partie. Label italien enthousiaste au goût généralement sûr, Electric Valley nous permet aujourd’hui de découvrir ce jeune trio prometteur de doomsters australiens – une espèce endémique somme toute assez rare.
L’album se veut rassurant en premier lieu, cochant toutes les cases l’associant à ce genre musical parfois dévoyé. Respect, intégrité et sérieux. On se retrouve inéluctablement devant une galette de bon doom de référence : tempi impeccables (lents, mais jamais trop), son absolument parfait (une prod délicieuse pour une belle osmose basse/guitare, avec un somptueux dosage saturation/fuzz) et des riffs et lignes rythmiques mélodiques énormes. Rajoutez à la mixture une batterie tout en maîtrise et un chant distant, nasillard et subtilement éraillé (on pensera ici ou là aux échos d’un Kevin Starrs avec les mêmes sonorités hantées qu’Uncle Acid parfois), et, globalement, les ingrédients de base sont tous au rendez-vous pour une recette qui a toutes les chances de bien fonctionner.
Et c’est bien le cas chez l’aficionado de doom qui goûtera avec bonheur cette rasade parfaitement proportionnée (huit vrais titres, 40 minutes) d’un stoner doom d’école, quelque part entre la nonchalance d’Acid King, l’occultisme modéré d’Electic Wizard et l’efficacité d’écriture des premiers Monolord.
Pas de point faible sur ce disque (même la bluette acoustique « Lucifer’s Lullaby » est efficace) qui enchaîne les petites perles doomy charnues et catchy. Point culminant du disque, l’enchaînement final « Your Hell » / « Pure Evil » (au-delà du champ sémantique évident qui les lie) propose pour commencer un mid-tempo groovy absolument entêtant dégoulinant de fuzz, enchaîné à une pièce d’un classicisme désarmant, où les plans calmes presque bluesy sont contrebalancés par un refrain insidieusement malsain ultra efficace, le tout porté par un riff unique tout du long.
Bref, un premier LP remarquable pour un jeune groupe qui, s’il ne cherche pas à convaincre par son esprit révolutionnaire, séduit par ses compos aguicheuses.
S’il fallait encore une illustration que Graveyard est bien un “groupe à part”, 6, leur nouvel album, se pose là. Laissé pour (presque) mort il y a quelques années, le groupe est revenu nous botter les fesses en 2018 avec l’excellent Peace, une synthèse incandescente de leur carrière déjà remarquable, l’un de leurs disques les plus heavy à ce jour. Rappelons aussi que le groupe s’est rapidement élevé au top de cette mouvance musicale (retro rock / vintage rock / proto rock aux racines 70’s), se tirant un peu la bourre avec leurs confrères Witchcraft il y a encore quelques années ; on observe ces derniers partir en vrille depuis quelques années, et l’on attendait donc de ce 6 l’album de la consécration…
Il ne faut pas longtemps pour constater que, plutôt que de se reposer sur ses acquis et s’imposer avec un disque de la “surenchère heavy rock”, Graveyard adopte un chemin de traverse complètement imprévisible : on attendait des brulots incandescents, des salves heavy rock énervées, du riff éreintant… Or 6 n’est quasiment composé que de mid-tempo ou balades, pour certaines très vaguement saturées… Le constat est difficile mais s’impose très vite, rendant les premières écoutes délicates. On ne voulait pas ça, et on est un peu pris au dépourvu.
Mais c’est Graveyard, quand même, alors on pousse un peu pour lui donner quelques tours de piste supplémentaires. Et clairement, l’ensemble prend un tour plus séduisant avec le temps. Pourquoi ? Parce qu’il y a un sacré talent de songwriting derrière, quand même… On retrouve de la mélodie groovy (“Just a Drop”, “Godnatt”), quelques envolées lyriques planantes (“Bright Lights”, “Rampant Fields”), et quand même quelques effusions énervées, mais rares (le rock’n’roll incandescent de “Twice”, superbe démonstration du savoir faire du groupe)… Et là où on ne les attend pas vraiment, de vrais moments de grâce, comme cet onctueux “No Way Out”, dont le refrain grandiose, parfaitement arrangé (cordes, chœurs discrets…) file la chair de poule (il y a du Jeff Buckley dans la ferveur vocale de Nilsson sur ce final en crescendo), le final heavy blues brulant de “Breathe In Breathe Out”, ou encore ce fiévreux “I Follow You”, entêtant et enivrant.
Encore une fois Graveyard n’est pas où on l’attend, mais il est bien au rendez-vous de la qualité. 6 ne plaira donc pas aux amateurs des titres les plus enragés du répertoire de nos suédois, mais il devrait rassurer ceux qui pouvaient craindre un déficit d’inspiration du quatuor, après une période COVID ravageuse, et cinq années sans rien à se mettre sous la dent. Le temps dira si ce sixième album est un album majeur dans la carrière de Graveyard ; il est en tout cas le plus “calme”, sans aucun doute, mais pas le moins inspiré, loin s’en faut.
Haurun est un nouveau venu dans le paysage musical que nous affectionnons. Les cinq membres qui composent ce groupe basé à Oakland sont plus ou moins inconnus et n’ont en tous cas pas participé à des projets d’ampleur. Malgré tout cela, c’est chez Small Stone Records que sort leur tout premier album, Wilting Within. C’est assez étonnant et cela pique notre curiosité.
Sur l’accroche on nous dit « Pour les fans de Acid King, Windhand, YOB, King Buffalo, Emma Ruth Rundle », la curiosité est du coup encore plus forte.
Si on résume un peu brutalement, disons que l’album est fort sympathique mais sans plus.
Il y a plein de bonnes choses, des influences assez clairement identifiables mais on n’est pas sur la claque que peuvent parfois nous mettre certains nouveaux groupes avec un premier LP instantanément culte. Bref, ça fait le job mais sans plus. Et pourtant, il a d’indéniables qualités.
Lyra Cruz au chant tout d’abord. A la première écoute, on pense par exemple à Sue Lott de Luder pour avoir un point de comparaison. Surtout dans les premières intonations et la modulation de la voix. Très agréable, le chant est très posé et calme, parfois incantatoire. Quelques envolées par moment mais on reste sur un chant qui ne crie pas, qui ne force pas.
Musicalement, on campe sur des rythmes assez lents agrémentés de quelques accélérations modérées et rares. Pas d’étiquette Doom mais on a un arrière-gout assez franc tout de même. On trouve quelques solos, quelques breaks, plein de bonnes idées mais pas suffisamment exploitées, un peu comme si le groupe était dans la retenue. Et donc le principal écueil, c’est qu’il n’y a pas de réels moments qui ressortent. Dire que l’album est plat serait méchant mais c’est tout de même assez linéaire. Cela peut plaire sur quelques morceaux mais pour un album complet, cela manque de variations.
Incontestablement Haurun a des qualités mais ce premier album ne permet pas de les apprécier pleinement. Cela plaira certainement à pas mal de monde mais ce premier effort en laissera d’autres indifférents. A suivre donc…
Les Belges de RRRags dont le nom est inspiré par les prénoms de musiciens (Rob, Ron et Rob) livrent avec Mundi leur troisième album. Ce trio qui évite dans sa bio les qualificatifs stoner et affiliés vient pourtant se frotter systématiquement à cette zone d’influence. Fondé sous l’impulsion d’une jam session en 2017, ils offrent à entendre depuis des sonorités certainement jam, mais aussi clairement rock et bien souvent fuzzées; oscillant entre le planant et l’entrainant les trois R ont une recette bien particulière mais qui ne nous semble pas inconnue nous amenant donc légitimement à nous pencher sur leur nouvelle production.
Après quelques écoutes le verdict est sans appel, c’est un chouette voyage que nous payent là les gars de RRRags, que ce soit le son gras de la basse de “Wiped”, qui enchaîne avec une guitare rageuse ou le smooth de “Visitors” le trio créé avec Mundi un ensemble où l’on passe d’un univers à l’autre (légitimant ainsi largement le titre) et l’exercice n’est jamais aisé. “Moon” balance rock’n’roll sans s’encombrer d’une structure trop rigide, il y a du break, de la cavalcade basse/guitare et un chant qui emporte le tout. C’est probablement la compo la plus plaisante de cet album tant elle est gouleyante en particulier quand elle s’enfonce dans un trip psychédélique avant de revenir au groove. On peut lui opposer la curiosité que représente “Slavic Heat”. RRRags réalise là une piste méchamment accrocheuse aux limites des genres attendus dans une telle œuvre avec une voix sur saturée d’effets, une basse qui écrase tout ne s’effaçant que pour quelques gimmicks de guitare au son éclaircis pour l’occasion pendant que la voix s’approche d’un chant de gorge toujours noyé dans des effets fortement agressifs avant que la litanie du reste du morceau ne reprenne scandée comme un troisième instrument rythmique.
Il reste qu’un voyage cela se prépare et on essaye de trouver des points d’attache, forcément et à l’écoute attentive de “Sparrows” il est impossible au travers du chant et de la lancinance de la gratte de ne pas penser au Pink Floyd mourant de années 90 où de s’attarder sur la saturation de “Wiped” qui oscille entre la rage d’un Hendrix où la saturation d’un Deep Purple d’avant le Mark IV. On n’est jamais donc totalement pris au dépourvu ou totalement perdu sur cet album y compris lorsque le groupe conclut sur “Galactic Strut” dans une jam qui fait penser presque immédiatement à celle de Slift et consorts.
RRRags vient poser Mundi sans prétendre à renverser la table et pourtant il s’agit d’un album léché et d’une production bien agréable. Il fait un peu office d’album total où passe tant d’influences et de bonnes idées qu’il est difficile de sortir de son écoute sans un profond sentiment de satisfaction. On ne peut donc que vous recommander de faire le tour de Mundi ne serait-ce que pour vous ouvrir à tout ce qui fait la diversité d’un genre et vous changer les idées.
Après la sortie de leur opus I Tread On Your Grave nous avions laissé les québécois de The Death Wheelers aux prises avec des hordes de motards zombies sur un coin de route abandonnée des Amériques. Ils reviennent cette année dans un fracas infernal toujours avec l’appui de Riding Easy Records au sein d’une galette sobrement intitulée Chaos and the Art of Motorcycle Madness. Notons au passage le artwork de l’écrin contenant le disque, une représentation d’un biker faisant face à un magnifique Baphomet lui accordant sa bénédiction dans une atmosphère sépulcrale.
La volonté du groupe est toujours la même, écrire une œuvre qui se veut tant sonore que potentiellement visuelle grâce à un storytelling laissant court à l’imagination morbide de l’auditeur. D’ailleurs The Death Wheelers fait apparaître sur la pochette de son album la mention: “Original motion picture soundtrack” comme lors de leur précédente sortie de 2020 Divine Filth, le ton est donné. Cette fois-ci, les pistes nous racontent l’histoire d’un biker vendant son âme au diable ce qui permet au quartette de balancer ici et là quelques bandes sonores de films comme sur “Ride Into The Röt” ou “Lucifer’s Bend” introduite par le rire aigrelet du prince des enfers.
Il n’y a pas grand-chose à redire sur cet album à l’ambiance mi inquiétante, mi pétaradante. C’est plutôt une réussite, on jongle comme lors de précédentes création du groupe entre un rock 70’s et une agressivité digne de Motörhead. “Lucifer’s Bend” dont on parlait plus haut en est la démonstration et invoque même le swing pour compléter le tableau. L’album balance des bases rythmiques bluesy classique sur “Les Mufflers Du Mal” dont l’intro testostéronée à la wah-wah plante le décor grandiloquent. C’est donc en usant ses standards que The Death Wheelers fait saillir des cordes hargneuses et des patterns de batterie aux emballements énergiques un son foutrement rock’n’roll, comme pour “Triple D” ou la quasi punk “Brain Bucket”.
Chaos And The Art Of Motorcycle Madness est la fille des précédentes œuvres de The Death Wheelers, aucun doute possible. De la production au style, tout est là et installe fièrement The Death Wheelers dans un univers qui voudrait dépasser le cadre de la simple musique et réussit par là à nous conter des histoires pour grands enfants amateurs de frissons. Du rock’n’roll mais pas que, c’est tout le sel de cette nouvelle galette à enchainer avec les autres, un seau de popcorn sur les genoux.
Troisième album pour les Gantois de Fire Down Below que l’on avait, chez Desert-Rock pu apprécier en live ici et là à l’occasion de divers festivals. Leur stoner fuzzé nous avait alors conquis et il est à présent l’heure de voir si le quartette nous gratifie d’une galette mémorable avec leur tout nouveau Low Desert Surf Club sorti chez Ripple Music et dont le titre évoque tant l’hommage que le renouveau.
Fuel injected comme disent certains chroniqueurs ‘ricains. Le moins qu’on puisse dire c’est que cet album botte des culs. On y trouve un mélange quelque part entre Valley of The Sun et Slomosa, autant dire que les p’tits gars d’outre Quiévrain ont tout compris au stoner et lui adjoignent à l’occasion de la bien nommée “Surf Queen” quelques piments surf music. Il faut dire que rien que le timbre de voix de Jeroen Van Troyen fait penser à celui de Dexter Holland (cela frappe d’entrée de jeu sur “Cocaïne Hippo”) et ça invite plus au voyage sur la côte ouest des Etats-Unis qu’à Zuydcoote.
Bon on a fait le tour de la question Surf Club mais pour le Low Desert? Pas d’inquiétude Fire Down Below mets suffisamment de groove dans “Here Comes The Flood” et “Hazy Snake” pour que le clin d’œil au pape du cool, Brant Bjork, soit réussi sans pour autant en égaler la classe, faut pas déconner non plus !
Au-delà de ces considérations d’affichage avec Low Desert Surf Club on se retrouve avec un album à la réalisation notable. L’enregistrement et le mixage sont assurés d’une main de maître par Richard Behrens bassiste du Samsara Blues Experiment et côté prod, c’est Nick Di Salvo qui s’y colle. Rien de moins. A noter que ce dernier ne se prive pas de venir prêter main forte au groupe en deux occasions pour renforcer les voix sur “Here Comes The Flood” puis prêter sa guitare acoustique sur “Mantra”.
Les quatre instrumentistes de Fire Down Below trouvent toujours leur place dans une série de compositions hautement satisfaisantes. S’il était besoin d’une carte de visite au groupe, cette galette devrait leur permettre de passer à peu près toutes les portes des discothèques de tous stoner Head qui se respecte. Un album de stoner un vrai! Voilà la bonne nouvelle que nous livre Fire Down Below avec ce Low Desert Surf Club.
EP, Split, Live et albums, c’est presqu’une galette par an que nous propose le trio suédois de Domkraft depuis leur début discographique. Un premier EP solide, un premier album très encourageant, coup de cœur de nombreux fans en 2016 et depuis, des sorties de qualité en constante progression. C’est donc avec beaucoup d’attentes que la livraison 2023 est attendue dans les chaumières. Allons direct à l’essentiel, l’album est monstrueux. Le gap que franchit ce groupe une nouvelle fois est immense. Beaucoup pensaient que Domkraft avait encore une marge de progression à exploiter et bien c’est chose faite.
Doom, Sludge Metal, Psychedelic et j’en passe, les Suédois nous propose un melting-pot de tout cela. C’est savamment dosé et totalement abouti. J’y verrai même maintenant un petit côté prog, très très léger mais qui est peut-être ce petit plus qui rend l’album hautement qualitatif.
“Whispers” ouvre le bal avec un mid-tempo qui vous entraine en quelques secondes ailleurs. Le travail de production saute immédiatement aux oreilles. Ça sonne monstrueusement juste. Le morceau s’étire et devient de plus en plus lourd. Et puis on se relâche sur des passages plus planants. Le chant de Martin Wegeland est très convaincant. Son chant devient encore plus que sur les précédents efforts une sorte de quatrième instrument. Légèrement en retrait par moment dans le mix, cela donne de superbes effets.
“Stellar Winds” en mode plus rapide vous emmène encore plus loin avec son rythme basse/batterie répété en boucles hypnotiques accompagnant des envolées de guitare et de chant magnifiques.
Martin Wegeland (Basse et chant), Anders Dahlgren (batterie) et Martin Widholm (guitare) se tirent la bourre tout en étant parfaitement accordés les uns aux autres, ce morceau est puissant.
Point de chronique morceaux par morceaux pour ne pas tout griller mais la suite est à l’image des deux premiers morceaux. On est cueillis par des riffs tantôt lourds (très lourds !) tantôt planants et on se prend des coups de massues avec une batterie qui défonce tout. La basse vous place une colonne vertébrale d’une solidité à toutes épreuves et le chant, j’y reviens, est juste bluffant de personnification et de puissance.
L’album de la maturité, de la confirmation, employez l’expression que vous voulez, Domkraft sort clairement un album de patrons. Fort à parier que les top 2023 verront le nom du trio apparaitre plus d’une fois et assez haut, ou je n’y comprends plus rien.
Pas de coïncidence : Caivano l’album, par Caivano le groupe… c’est bel et bien l’œuvre solo de l’emblématique guitariste de Monster Magnet, Phil Caivano ! Le six-cordistes est le plus ancien membre de MM encore présent au sein du groupe, hors Wyndorf of course, avec plus de 25 ans de service (on ne comptera pas sa petite pause au milieu des années 2000). 25 ans à sévir à côté du charismatique leader, indéboulonnable machine à riffer, débitant sur chaque concert son lot de bûches en lead et en rythmiques, bref, un personnage désormais impossible à détacher de l’image et du son Monster Magnet…. a priori ?? Car la question est bien là, au moment de découvrir ce premier disque solo : quelle est la vraie contribution de Caivano à Monster Magnet, finalement ? Le groupe est tellement incarné par Dave Wyndorf, figure tutélaire écrasante, omniprésente, et seul compositeur affiché du groupe… Difficile d’appréhender la réelle contribution de l’ensemble des autres musiciens derrière leur légitime leader. Bref, le gars n’a pas d’existence hors MM. Deux titres jetés discrètement en pâture sur Youtube il y a quelques semaines ont préparé le terrain à ce véritable LP complètement autoproduit par le musicien, qui se retrouve ici derrière tous les instruments ET le micro (exception faire de la batterie, laissée entre les baguettes du vieux copain Pantella).
Le premier diagnostic est sans ambigüité et s’impose à nous (et ce lancement sur “Come and Get Me” met immédiatement l’église au milieu du village): il y a une véritable communion musicale entre Caivano et Monster Magnet, un trait d’union existe sans ambigüité entre les deux formations… reste à savoir dans quel sens ! Est-ce le guitariste qui a apporté ce son au groupe, ou bien est-ce qu’il s’est tant immergé dans la musicalité de l’aimant monstrueux au point de ne pas pouvoir s’en affranchir et développer sa propre identité ? Notre conviction : même si les deux facteurs sont probablement concomitants (on parle de 25 ans de mariage musical quand même !), on penche pour la première hypothèse. Il suffit de balayer l’évolution musicale de Magnet pour réaliser que le son du groupe a commencé à évoluer autour de son arrivée, à partir de Powertrip, passant progressivement d’un “stoner / space rock psyche” à un son et des compositions plus costaudes, dans le style que l’on connaît désormais, bien rodé depuis plus de deux décennies maintenant. On va pas vous faire le coup de la poule et l’œuf, mais il est évident que Caivano a participé à ce son… et on le retrouve largement dans les compos de cette galette !
En revanche, on pourra aussi noter que la propension aux titres à rallonge parfois présente sur certains morceaux de MM ne vient pas forcément des velléités du guitariste : avec dix titres pour 33 minutes, Caivano va à l’essentiel et ne brode pas. L’échantillon proposé est très plaisant, vraiment bien foutu, avec certains titres certes plus anecdotiques, mais aussi de vrais petites joyeusetés, avec du riff à ne plus savoir quoi en faire, et ces rythmiques affolantes au groove absolument emblématique de son groupe de cœur : “Lay in the Sand” et son côté rock sudiste, “Come and Get Me”, “Now is Forever”… Côté musical et instruments, évidemment on aura du mal à critiquer le bonhomme dès qu’il a un manche et des cordes pour jouer : il nous rappelle aussi qu’il ne se cantonne pas aux rythmiques chez Magnet, et propose ici quelques impeccables soli bien old school (“Heroes”, “You Will Wait”, le presque punk “Verge of Yesterday”…). Concernant son chant, agréable surprise aussi : évidemment il ne peut pas se prévaloir de l’outrance et du coffre de Wyndorf, mais il s’en tire plus qu’avec les honneurs, avec même des passages assez bluffants – d’efficacité plus que de technique (et d’autres passages un peu plus en retrait il est vrai, comme ce “You will Wait” et son chant chargé en effets/reverb, “Talk to the Dead”…).
Bref, Caivano le disque est une vraie réussite, une petite perle old school, une production modeste et honnête, imparfait mais sans fard, qui évidemment devrait en premier lieu contenter tous les fans de Monster Magnet… et plus généralement les amateurs de hard rock cosmique au son un peu plus garage, où la guitare se taille évidemment la part du lion.
Nous avions commencé à suivre le quartette suédois de Moon Coven lors de son passage sous pavillon Ripple Music. Son doom audacieux s’était insinué dans les méandres de nos encéphales et nous avions eu peine à nous en départir. Ils reviennent toujours chez Ripple avec un disque du nom de Sun King que l’on espère tout aussi malin que le précédent.
Dès les premières notes, on se dit “voilà un groupe qui connaît son affaire”. Un pied dans la compo planante, un pied dans le riff joyeusement bondissant. “Wicked Words In Gold They Wrote” pourrait annoncer un simple album de plus dans la galaxie de la galette maîtrisée mais très rapidement (le dernier tiers de cette même piste) il se passe quelque chose dans la lancinance des riffs de gratte et la ponctuation rythmique. L’effet est reproduit sur “Doom Seeing Stone” et sa conclusion, l’intro de “Behold The Serpent” ou le refrain de “Yawning Wild”. Il y a du riff sur cet album, du riff de gratte sensible ou lourd. De la rythmique parfaitement posée et une voix plaintive jamais encombrante.
On écoute Sun King avec satisfaction mais cependant sans extase. Jusqu’à ce que le petit truc en plus dans la composition vienne te rattraper par la manche, un petit truc follement doom et super bien pensé mais qui reste un petit truc.
Malheureusement Moon Coven ne parvient pas à produire un album exceptionnel, se refusant à produire ne serait-ce qu’une piste réellement supérieure aux autres même s’il faut admettre que le contenu de “Yawning Wild” est assez réjouissant de bout en bout.
Qu’on ne se méprenne pas, Sun King est un très bon album, un de ceux qu’il faut garder à portée de main et rejouer pour être certain d’en trouver toutes les subtilités. En effet, cette plaque comme la précédente de Moon Coven est pétrie d’intelligence et de sensibilité. On trouve son bonheur à tous les coins de titres et on pense aux rejetons de la planète doom qui peuplent nos chroniques ces dernières années, Kadabra, Stone From The Sky ou les plus affirmés Mars Red Sky. C’est dans cette veine que se loge Moon Coven, admettez qu’il y a pire.
En conclusion Moon Coven nous met entre les esgourdes une plaque qui n’a en rien à rougir de son principal défaut qui est de ne pas atteindre le pinacle où on aurait aimé l’attendre. Sun King fourmille de bonnes idées et déborde d’une sensibilité rare. On ne peut que vous recommander d’aller découvrir cet album et de le travailler suffisamment pour lui pardonner sans trop de difficulté de n’avoir pas su être magique.
De Karavan on ne sait que peu de choses : on sait que c’est un trio norvégien, que le groupe est assez jeune et modestement prolixe (c’est leur première sortie en quatre ans d’existence, après un ou deux titres tests disséminés ici ou là), et que vraisemblablement, le groupe a dû arriver en retard le jour de la distribution des noms de groupe et a probablement été obligé de prendre ce qui restait (il y a 10 groupes minimum du nom de « Karavan » répertoriés dans Discogs). Enfin, on sait que le groupe se prévaut d’une passion partagée pour le doom, sous ses nombreuses formes. Et là, forcément, notre intérêt est plus vif…
Pas de doute en tout cas, le groupe est honnête : on retrouve du doom dans tous les recoins de ce Unholy Mountain (le titre déjà…), un doom gentiment sludgy généreux, couvrant un spectre assez large pour ne pas ennuyer, mais gardant une “ligne” assez claire et stable . Côté vocaux, on est dans du growl pas trop brutal, à mi-chemin entre les glaireux Dopethrone et une sorte de Blackened Doom pas trop extrême ; ça passe crème. Côté instru, on est sur un ensemble basse-guitare bien saturé et grassement fuzzé, quelque chose à mi-chemin entre Monolord et Conan, en gros. Et côté musique, on est sur du riffu, juste assez lent (on n’est jamais dans la caricature). Mais les riffs, justement, sont bons, voire excellents, or n’est-ce pas la quintessence du doom ? « Chase the Dragon » avec son riff très Acid King avant son break en son clair, « Bonfire Ritual » et son ambiance Electric Wizard (d’il y a 15 ans), « Mars » et sa rythmique grasse à la Dopethrone, ou encore le morceau titre qui rappelle (un peu) vous-savez-qui, on est à chaque fois sur des riffs super efficaces et des plans mélodiques très bien construits. Tant et si bien que l’on a du mal à se défaire de ce disque, qui non seulement développe son pouvoir addictif à chaque nouvelle écoute, mais laisse à chaque fois découvrir de nouvelles nuances et subtilités – signe si besoin était que l’on n’a pas affaire à un trio de branleurs, et que ça a bien bossé, et ce aussi bien en écriture / pré-prod / enregistrement / prod, etc…
C’est avec un certain enthousiasme qu’on peut observer l’arrivée de tels groupes, qui assument leurs influences et s’engagent à développer le genre, dans une sorte de respect de la « tradition » doom, tout en se l’appropriant pleinement, hybridant plusieurs sous-genres pour proposer quelque chose de frais, intéressant, à défaut d’être complètement innovant. Un bon disque pour doom-afficionado, solide, honnête et prometteur.