A une poignée de jours près deux ans après la sortie de A Pound of Flesh, le trio de Washington D.C, Borracho remet le couvert avec Blurring The Lines Of Reality. La promesse d’une galette stoner pas trop diluée, classique sans être lassante et galvanisante as well pourrait bien être confirmée ne serait-ce que parce que le groupe confirme sa présence sur Kozmik Artifactz, promoteur bien connu du style sus-décrit.
Avec son intro entre lignes orientales et spiritualisme indien ça fleure bon l’exotisme et ce sur trois titres consécutifs. Mais l’astuce se retrouverait vite éventée s’il s’agissait d’en faire un thème pour tout l’album, qu’à cela ne tienne, le Borracho revient à chaque titre en quelques minutes dans ses boots graisseuses avec le chant délicieusement malsain et dégoulinant de Steve Fisher qui se glisse entre deux saillies bien velues.
Du pur stoner cousu main, phrases courtes, coups de boutoirs soniques pour un album qui ressemble d’entrée de jeu à un EP en version extended, c’est à dire, une ouverture par un triptyque “Architects of Chaos I”; II et III pour 20 minutes de kiff et trois titres en complément “Loaded”; “This Great War” et “Burning Goddess” afin d’atteindre la jauge du LP (bien qu’un seul “Burning The Goddess” de 13’24 y aurait suffi!).
Du gras donc mais pas que! Le titre “Architect of Chaos III” aurait pu être une piste éponyme puisque ce sont ses paroles qui donnent le titre de l’album, il place la conclusion du triptyque d’ouverture dans une ambiance subtile. On y trouve une basse continue saupoudrée de cymbales élégantes où la gratte égrène ses notes toujours dans la plus pure des sonorités stoner pour mieux s’enjailler à mi-parcours d’un solo heavy stimulant avec son jeu de questions/réponses. Saluons au passage la production léchée de l’objet : Blurring The Lines Of Reality est tout de même plus subtil que du saindoux pur, mais il montre quand même les muscles et les variations stylistiques au sein des morceaux ne détonnant pas. Elle reste cohérente jusqu’au replet “Burning The Goddess” final qui soulève la poussière du désert et chauffe comme le soleil de midi. De la cowbell, du vibraslap, de la disto, rien que de belles sonorités traditionnelles qui propulsent la piste de bout en bout et concluent parfaitement l’album.
Au final Borracho continue sur sa lancée avec un album fait de bon gros stoner à l’américaine, ça met le pied dedans, fonçant cheveux au vent et moteur hurlant vers un potentiel soleil couchant en prenant quand même le temps d’un arrêt du côté de la subtilité. Le groupe réalise une belle confirmation de sa place dans le domaine du desert rock classique s’imposant un rythme de sortie de ses productions suffisamment espacées pour ne pas détourner son public de ses compositions par lassitude.
Close Encounters est déjà le troisième album de ce groupe américain extrêmement discret. Formé de musiciens issus de divers horizons, dont certains appartenant à des groupes plutôt actifs, les concerts de ce quartette pourtant expérimenté sont rares, et pour l’essentiel assurés dans le Nord Est des USA, où la plupart des musiciens sont implantés. La probabilité de retrouver le groupe sur des scènes européennes est donc faible… mais pas nulle, on croise les doigts. Toujours est-il que leur faible activité scénique explique peut-être en partie ce bien dommageable déficit de notoriété.
Quoi qu’il en soit, on retrouve le groupe à peu près là où on les avait quittés avec Mental Nudge en 2020, à savoir aux commandes d’un beau paquebot de gros heavy rock plombé US, un style développé sur les bases du hard rock des années ‘90/’00 aux Etats-Unis, où tout tournait autour du grunge et du hard rock costaud, avec en parallèle l’émergence du courant stoner. Il y a un peu de tout ça dans Kind, un groupe qui trouve chez Ripple une maison fidèle et appropriée (comme aurait pu l’être Small Stone il y a une dizaine d’années par exemple) : 9 titres bien écrits, du mid-tempo, du nerveux, du gros son, du riff, avec des passages qui viennent rappeler les meilleurs moments de Soundgarden, Alice in Chains, etc… en plus des classiques du stoner US (et pas que).
Toutefois l’essence du groupe est dans un premier abord assez difficile à retrouver, la variété et densité stylistique exprimées sur ce disque étant assez élevées, et en conséquence l’objet vinylique assez long à digérer. Mais n’est-ce pas finalement l’essence des meilleurs disques de se « mériter » ? La qualité des compos du quatuor ne tarde pas à émerger et au bout de quelques écoutes on se prend à chantonner gentiment, headbanger discrètement, ou bien sourire lorsque surviennent une de ces pépites d’écriture, qu’il s’agisse d’un riff confondant d’efficacité (« Power Grab », « Favorite One », « Pacino »…), d’un break étonnant ou autres facéties (ce break sur le pseudo-refrain de « Favorite One », ce solo de guitare en arpège au son étrange sur « Black Yesterday »…). Musicalement ça tourne impeccablement, même si surnagent Darryl Sheppard (un ancien de Black Pyramid qui a traîné ses guêtres sur un paquet de délicieux albums de heavy rock US) avec des parties de guitare efficaces, originales, sans parler d’une poignée de riffs sublimes, et Craig Riggs (plus connu en tant que batteur de Sasquatch) pour son chant à la fois chaleureux, riche, puissant et mélodique.
Bref, on vous conseille bien fort cette galette, un disque pas forcément évident à première vue, mais qui révèle nombre pépites, des compos attachantes, malines et efficaces. Un disque intelligent, riche, et gourmand.
Il faut croire que cela ne suffisait pas. Après la sortie du très réussi Solace en mars dernier, REZN revient sur le devant de la scène avec cette fois une collaboration américano-mexicaine. Les titans de Boston s’allient pour l’occasion avec le quatuor hyperdimensionnel Vinnum Sabbathi et nous livrent un élixir de sept gorgées que l’on s’empressera d’ingurgiter tant la recette semble bonne.
Si leur précédente expérience de coworking avec Catechism proposait non moins de vingt-six créations atmosphériques, délivrant chacune des ambiances spectrales toutes plus épurées les unes que les autres, dépourvues de riffs ou de groove, la présente association se révèle bien plus abrasive. Sur Silent Future, le puissant doom psychédélique de REZN se mêle au conceptualisme cosmique de Vinnum Sabbathi pour un résultat hypnotique, une union qui nous transporte d’abord en douceur, d’une simple note accompagnée d’une voix « Born Into Catatonia » jusqu’à des sommets de montagnes en marche, jusqu’à des monstres mégalithiques qui nous écrasent de toute leur immensité « Obliterating Mists ».
Cette coalition métaphysique nous propulse dans les méandres d’univers tortueux et pleins de noirceur, le tout avec une fluidité surprenante. À plusieurs reprises on se retrouve à entendre l’album reboucler sur lui-même après une écoute. Mais on le laisse faire, sans rechigner, tant le voyage passe vite et donne envie de se poursuivre.
De prime abord, l’alliance peut trahir un équilibre versatile. Car si la patte de REZN est bien présente du début à la fin, à forger son perpétuel fer inflexible moulé d’éléments texturaux et gravé d’inscriptions chatoyantes, l’influence de Vinnum Sabbathi s’avère plus subtile. Formé en 2012 à Mexico, ce quatuor fusionne pour sa part de puissants riffs déstructurés avec des échantillons de science-fiction et d’ambiances spatiales, comme nous l’illustre ici « Clusters ». Pourtant aux côtés de leurs collègues de Boston, on les sent parfois effacés, presque dépassés par la souveraineté du géant qui les accompagne. Durant les premières écoutes, on peut avoir l’impression de simplement écouter le dernier album d’REZN. Néanmoins, à mesure que l’oreille s’accoutume, on sent toute la profondeur, tout le relief que vient insuffler Vinnum Sabbathi. Leur force réside davantage dans les interventions vocales empruntées au cinéma de genre, dans certaines nappes de synthé ou encore dans des constructions rythmiques lancinantes. Et elle demeure essentielle à la réussite du projet.
Car il s’agit bien d’un indéniable succès. L’énergie envoûtante de Silent Future ne peut laisser indifférent, tant pour la richesse des horizons qu’elle ouvre que par la qualité de son écriture, de sa composition ou de sa prod. Il s’agit du produit de deux groupes talentueux qui se hissent l’un l’autre vers des sommets jusque-là insoupçonnés. Une ascension que l’on se félicite d’effectuer et qui nous laisse à chaque fois le souffle coupé.
Pas courant de tomber sur des groupes néo-zélandais dans notre veine musicale, et heureusement que ce facteur aura titillé notre curiosité, parce que ce n’est pas l’indigence d’originalité du nom du groupe qui nous aura vraiment intrigué… Imperator est leur premier long format, après un EP discret en 2020.
Musicalement, Mammuthus ne produit pas un ensemble fondamentalement original : il évolue dans un registre de stoner rock assez enthousiasmant, un style qu’il maîtrise bien, ce qui n’est pas le cas de tous les groupes qui s’en prévalent. Pour autant, le trio de Wellington apporte un contenu jamais plagié, et presque toujours de haute qualité. Musicalement, l’inspiration Kyuss-ienne est celle qui semble la plus claire, tangible dans la façon qu’a Josh Micallef de poser sa voix d’une manière très comparable à John Garcia (à l’image du couplet de “Backdoor” ou de celui de “Long Drive”) mais aussi à certains riffs – du même Micallef, qui assure aussi les lignes de 6-cordes – que l’on peut lier aux derniers albums du feu-quatuor californien (l’intro troublante de “Long Drive” par exemple). Mais cantonner Mammuthus à un ersatz serait une erreur : derrière ces quelques moments épars, la demi-heure de musique proposée (trop courte !) brasse des courants plus variés, et apporte de belles choses au genre. Le trio ratisse large au fil de ses 7 titres, du stoner sablonneux pur jus jusqu’à des plans quasi doom parfois (“Bloodworm”), avec des plages de hard rock punchy (“King of the Dead”), s’essayant même avec réussite au full instrumental (“Monolith” qui mêle des plans à la My Sleeping Karma à un final quasiment post-rock). On notera aussi la prise de risque du titre conclusif “Formless”, un titre atmosphérique emmené par un chant féminin (par E.J. Thorpe du groupe End Boss, un autre groupe néo-zélandais intéressant, qui est moins lié au stoner) qui se termine sur un mini refrain d’une minute d’un growl surprenant (un contraste sonore un peu cliché ?).
Bons riffs, bons arrangements, audace, bon groove… Tous ces éléments ajoutés à la qualité d’écriture du combo rendent l’écoute d’Imperator non seulement enthousiasmante mais surtout fortement recommandable.
Yawning Balch, comme son patronyme assez peu avisé le laisse supposer, c’est Yawning Man (Gary Arce et n’importe quelle paire de musiciens, en gros) + Bob Balch, le guitariste de Fu Manchu. Les deux bonhommes jouent déjà ensemble depuis quelques années dans le cadre de Big Scenic Nowhere, donc on n’est pas sur la rencontre la plus improbable de la décennie non plus. Cette fois, ils se sont dit qu’écrire de la musique et passer du temps à l’enregistrer était un concept un peu usé et un process probablement trop routinier : ils ont préféré se caler dans un studio quelques heures et se lancer dans quelques impros en appuyant sur “record”, quitte à voir ce qui en sortira. Une sorte d’enregistrement “ambulatoire” : on est à la maison le matin, on va faire sa petite intervention, et on rentre manger avec maman le soir.
Ce qui en ressort, malheureusement sans surprise, c’est une jam de Yawning Man de 43 minutes, avec quelques leads de guitare par dessus. Voilà voilà. On le répète : pas d’écriture, pas de riff, que de l’impro, donc on a trois bouts de jam qui ont néanmoins une identité, quelques nuances. Ces nuances en fait tiennent surtout à la section rythmiques (Billy Cordell et Bill Stinson, quand même) qui impriment une trame rythmique et mélodique à chaque section de cette jam. Leur rôle est finalement majeur, même si les gars sont sous-employés ici, se cantonnant à définir le socle rythmique qu’ils font tourner, avec talent, pendant x minutes. Voir le premier titre, “Dreaming With Eyes Open”, dont la base mélodique pilotée par Cordell se cantonne au même riff de basse, grossièrement, qui tourne pendant plus de vingt minutes à différents tempi. Tandis que “Cemetery Glitter” est plus déstructuré, jazzy parfois, “Low Pressure Valley” vient conclure la galette encore une fois sur une base rythmique qui tourne (en rond ?) pendant plus de 7 minutes.
Toutefois, même si le truc est produit avec les pieds (les intros et outros toutes en fade in / fade out font honte), ce n’est pas mauvais du tout, loin s’en faut… si vous êtes fans de Yawning Man. Y’a des caisses de leads de guitare blindés de réverb, son clair, en mode “surf rock” désormais estampillés “marque de fabrique Gary Arce”, toujours les mêmes, invariablement. Sauf qu’il y en a une double dose, avec Balch qui vient apporter ce qu’on qualifiera d’une surcouche de leads, mal identifiée (avec tous ces bidouillages de sons, difficile souvent de distinguer ce qui est l’œuvre de Arce ou de Balch). Mais au delà du style musical, qui a (j’imagine) ses afficionados, on a du mal à voir émerger l’identité du projet, sa valeur ajoutée. Yawning Balch, rappelons-le avec une touche de mauvaise foi, signifie assez ironiquement (ou cyniquement, c’est selon) “Balch en train de bailler”.
A noter que l’affaire n’est pas close : comme son nom le laisse présumer, ce Volume One en appelle au moins un second. Au delà, ça dépend probablement du succès de cet opus, ce qui appelle évidemment la question : mais qui sont les personnes qui achètent ce genre de disques ? La question qui vient juste ensuite est : peut-on apprécier ce disque sans avoir “consommé” ? Je n’ai malheureusement la réponse à aucune de ces questions.
Ne vous y trompez pas Slaughter On First Avenue n’est pas à proprement parler un nouvel album de Uncle Acid & The Deadbeats, il s’agit d’un live enregistré en deux fois à Minneapolis (Sur la première avenue, vous l’aurez compris), en 2019 et 2022. C’est au passage l’encadrement du 20e anniversaire de la bande de Kevin R Starrs, maître concepteur et figure de proue d’un groupe anglais qui tout au long de sa carrière n’aura pas su trouver d’autre noyau à sa structure que ce dernier.
Je suis toujours sceptique face à l’arrivée d’un live, bien souvent déçu pour ne pas dire trop peu intéressé par la chose une fois transposée sur le froid support du disque. Slaughter On First Avenue pourtant échappe à ce biais.
La mise en scène est bien retranscrite, le sample d’introduction interpellant la foule telle la voix de Tonton dans “1984” de Orwell, les cris des sirènes et la montée sur scène progressive des instruments replonge immédiatement dans l’ambiance d’un concert de Uncle Acid. “I See Through You” éclate aux oreilles, filant immédiatement la chair de poule. C’est gagné l’ambiance ne quitte plus l’auditeur, la restitution des cris hystériques d’une femme au premier rang, cette hype adolescente qui porte le groupe, la légère dissonance du chant qui n’est pas en rien gommé par un choix trop lisse. Tout est là, la force du live, un instant unique où chaque détail fera du concert le moment qu’il fallait vivre ou celui dont on se souviendra comme d’un immense raté.
N’ayez crainte, c’est ici un carton plein qui vous attend. S’il n’est pas la peine de vous refaire l’article sur les compos (Nous les avons déjà bien épluchées dans nos articles sur ce site) Il est louable de s’attarder sur le choix des titres qui réalise une croisée des chemins entre les deux concerts. La chronologie des set lists est respectée et peu de titre se retrouvent exclus de cette synthèse qu’est Slaughter On First Avenue. Je l’ai dit, l’introduction sur “I See Through You” est un véritable blast . La pesante marche de “Death Doors” vient sceller le premier tiers de l’album avant que “”Shockwave City” ne relance la machine qui continue sur sa lancée jusqu’à “Dead Eyes Of London”. Puis à nouveau “Pusher Man” imprime son pas lourd et lent s’imbriquent avec “Ritual Knife”, “Slow Death” et “Crystal Spider” pour un long moment de calme relatif avant qu’à nouveau l’envolée ne se produise sur “Blood Runner”. Les quatre derniers titres respectent cette logique de montagnes russes rythmiques avec un “I’ll Cut You Down” inséré entre “Desert Ceremony” et “No Return”. Arrêtons-nous d’ailleurs un instant sur ce titre qui fait la parfaite conclusion de l’album, un “I’ll Cut You Down” comme pour un titre d’au revoir, où on lâche les coups de nuque et on tape du pied, oui ceux présent à Minneapolis devaient bien sauter partout au rythme de cette ode au plus célèbre des slashers londonien. “No Return” sonne enfin comme un rappel et une conclusion classique des sets ici enregistrés.
Côté production, le boulot est rudement bien fait, alors que bien souvent en live le son peut paraître écrasé par la batterie et les subtilités de la basse noyée dans un tout, on retrouve bien chaque frappe du batteur ainsi que les lignes du bassiste faisant notamment du groove de “Death’s Doors” une pure réussite. Comme évoqué plus haut, les cris du public sont perceptibles, si les applaudissements à fin des titre ont été majoritairement diminués au montage, ressort régulièrement un cri d’approbation ou d’encouragement issu du public en particulier quand Kevin Starrs s’adresse à lui notamment à la fin de “I’ll Cut You Down” pour tout en chantant il lui demande de baisser les téléphones (Uncle Acid déteste ça) donnant ainsi une idée de ce que pouvait être le mur de lumières blafardes éclairant le public. De fait, le déroulé de l’album ne s’en trouve pas contrarié et ajoute juste ce qu’il faut pour participer à l’ambiance du projet, glas sonnant et acclamation du public en fin d’album compris.
Pour qui a déjà vécu un set de Uncle Acid, on ressort de l’audition de Slaughter On First Avenue avec les images rouges et noires d’un concert où les fantomatiques britanniques évoluent dans le contrejour des flashs dus aux projections en fond de scène. Pour les autres on aura affaire à un subtile Best Of qui gagne en nervosité par rapport à l’enregistrement studio. Probablement la pièce indispensable pour qui devrait garnir sa discothèque d’un seul album du groupe.
Quatrième album déjà pour les australiens de Witchskull, il serait temps de se réveiller, les gens, et de leur accorder le crédit qu’ils méritent ! Le trio est “actif” depuis presque une décennie déjà, mais manque cruellement de notoriété. Continuant son travail de besogneux pour la cause, Dorrian, droit dans ses convictions, publie leur troisième disque sur Rise Above, en espérant que la reconnaissance fasse son chemin, petit à petit. La qualité de ce The Serpent Tide y suffira-t-elle ?
(Petit aparté : si vous n’avez jamais écouté Witchskull, il faut savoir que son très remarquable vocaliste Marcus De Pasquale a un timbre étonnamment proche de Steve Hennessey, l’emblématique chanteur de Sheavy. Voix légèrement nasillarde, puissante et parfois chevrotante, l’effet est troublant… voire émouvant, d’autant plus que Hennessey est présentement en train de lutter contre un méchant cancer – toutes nos pensées l’accompagnent)
Musicalement, Witchskull c’est l’heureuse rencontre entre le doom metal US/UK des années 80/90, le stoner des années 90/00 et la NWOBHM, en gros… En d’autres mots : ça riffe fort et dru, c’est heavy, ça sait ralentir ou emballer le tempo lorsque nécessaire, ça n’hésite pas à lâcher quelques leads bien sentis, et le tout est enseveli sous un déluge de guitare-basse bien puissant, bien aidé par une prod efficace.
Dans ce cadre musical très emballant, huit compos (autant que sur tous leurs albums précédents !) viennent animer cette galette courte (35 min) mais riche. Au premier abord cette densité est quasi étouffante : on jouit auditivement, certes, mais l’on a du mal à détacher les titres les uns des autres, si pleins qu’ils sont en riffs, riffs, riffs, puis breaks puissants et affriolants, soli de guitare tous plus enthousiasmants les uns que les autres… Le tout, répétons-le, bien accompagné par le chant très particulier de De Pasquale, qui pourrait rebuter certain(e)s de prime abord – mais vaut mieux rentrer dedans à fond, sous peine de passer à côté de quelques beaux joyaux. On pense au doomy “Misery’s Horse” et son break/soli cavalcade, au très heavy et volontairement monolithique “Rune of Thorn”, au jouissif et groovy “The Serving Ritual”(quel solo étourdissant !), le puissant et mélodique mid-tempo de “Sun Carver”, “Bornless Hollow” et son riff groovy d’école… Et ça déroule ainsi non stop, c’est diversifié, c’est nerveux et lourd, et on ne s’ennuie pas : la galette appelle à l’écoute répétée, et on ne se fait pas prier.
Est-ce que ça suffira donc à réorienter les masses vers ce groupe trop discret ? Tant qu’il n’aura pas l’opportunité d’enfin venir se frotter aux scènes européennes pour se faire mieux connaître (jusqu’ici il n’a jamais joué qu’en Australie et un peu en Nouvelle Zélande… une tentative de tournée européenne fut avortée par – devinez – le COVID !), c’est difficile à envisager. En parallèle, charge aux amateurs de bon son de déguster leur discographie et de la faire connaître, c’est tout ce que l’on peut faire à ce stade… et c’est déjà pas mal !
Les activistes culturels de Magnetic Eye persistent à faire reconditionner des vieilles rengaines par des formations de la galaxie stoner et de ses environs proches. Après le doublé inspiré par l’oeuvre d’AC/DC, le joyau sale d’Alice In Chains ou le mur de Pink Floyd, c’est au tour de Soundgarden de passer sur la table de remixage. Un choix super judicieux et ultra cohérent vu la proximité évidente entre l’art déployé par la formation de l’Etat de Washington et le style que nous affectionnons sur ces pages. Alors bien sûr Soundgarden n’a jamais été une formation estampillée stoner, mais il est certain que de nombreux artistes ont grandi sous les rayons de son trou noir soleil. Ce n’est que justice rendue finalement !
Si certains s’interrogent sur la nature de l’exercice de la reprise et de son côté créatif, d’autres considèrent ce prolongement de l’oeuvre comme une revitalisation du patrimoine voire une résurrection (comme Sidney). Le côté figé de notre scène, par rapport à la scène électronique par exemple, s’étiole un peu avec ce genre de productions qui emmènent certains titres à un niveau différent et parfois supérieur. L’héritage musical de Soundgarden sort triplement grandi de cette nouvelle incursion car il se rappelle à notre bon souvenir avec une actualité propice à se replonger dans leur répertoire entier (puisqu’exempt de fausse note), il est sublimé et jamais profané par les acteurs tout au long de ces 30 plages – chaque salve en contenant 15 – et, globalement, il acquiert ainsi une énorme paire de couilles qui fera lever la cornette aux plus lourds d’entre vous !
Pourquoi « Superunknown » ? Parce que c’est un putain d’album ! Parce que c’est une réussite commerciale qui a propulsé la carrière d’un groupe énorme ! Parce qu’il recèle des titres phénoménaux et distordus qui tiennent formidablement bien la route presque 30 piges après avoir atterri dans nos salons sous forme de plaques, de rondelles argentées voire de clips du temps où MTV méritait encore son M. Parce qu’il a confirmé la popularité d’un groupe déjà présent sur le grand écran via la bande originale de « Singles ». Finalement parce que les fans de « Badmotorfinger » trouveront leur compte sur « Best of Soundgarden (Redux) » qui lui fait la part belle (il suffit de sauter quelques paragraphes pour s’y rendre).
L’exploration de ce joyau passe par quelques surprises comme la version éthérée et suspendue dans l’air de « Like Suicide » par Darkher ou le brûlot épique qu’est devenu « The Day I Tried To Live » sous les mauvaises influences de Beastwars. Il voit aussi des réappropriations culturées notamment « Limo Wreck » par Witch Mountain qui déploie du Witch Mountain sans mettre à mal l’original, mais en lui apportant une déclinaison séduisante ou « Half » par nos amis de Dozer que j’attendais au tournant un couteau entre les chagnottes : ils font du Dozer carré et heavy rock en revitaminant le riff originel qui constitue un peu la signature Soundgarden.
Mon radar ciblait en particulier deux compositions qui me sont très cheres et sur lesquelles j’allais me montrer intransigeant comme un jury de l’Eurovision. Le premier c’est « 4th Of July » qui provoqua en moi une énorme turgescence car cet chef-d’oeuvre gagne encore quelques degrés sur l’échelle du malaise, du malêtre et de l’hymne à la toxicomanie pour se rapprocher plus près de la bande-son parfaite pour s’en prendre violemment à soit-sous l’influence de mauvaises influences ! La mine qu’avait placé Thou il y a 10 ans sur le chemin de Marc Urselli’s SteppenDoom en sublimant ce titre était bien présente lorsque je me suis tapé cette plage et je dois conclure qu’entre l’original et les 2 revisites ça rivalise dur dans mon cerveau en vrac. Le second c’est évidemment « Black Hole Sun » qui ressemble à un exercice casse-gueule vu la notoriété du single qui intégra jadis les hit-parades internationaux, mais qui ,contrairement aux hits éphémères servis par la grande distribution musicale, est un putain de titre composé pour durer ! Au final Spotlights s’en sort indemne et même grandi : merci de ne pas avoir tout ruiné !
Si d’aucuns n’ont pas franchement proposé du contenu décoiffant comme High Priest avec « My Wave », d’autres ont délivré des choses intéressantes me touchant pas franchement comme Frayle avec l’enivrant « Head Down » ou me touchant plus comme Ufomammut avec « Let Me Down » dont ils doublent la durée.
Le meilleur de Soundgarden selon certains c’est 15 titres plus ou moins convenus dont sont exclus ceux de leur meilleur album : « Superunknown » qui fait l’objet d’une session spécifique (pour savoir ce que j’en ai pensé il faut lire ce qui précède et pour vous faire une idée, il faut écouter le lien ci-dessous). Question pondération dans le testament musical du quatuor de Seattle, la part est faite belle à « Badmotorfinger » qui constitue l’ossature principale de cette production. Quelques incursions bienvenues viennent jouer les trublions sur cette sortie assez convenue je le concède.
On commence par l’étrangeté question sélection : « Applebite » issu de « Down On The Upside », le successeur de l’album auquel une production entière a été consacrée, Josiah propose une relecture très semblable à l’original qui accentue encore son côté babacool. Un second ovni d’un acabit comparable c’est « Loud Love » de « Louder Than Love » par Freedom Hawk : le groupe effectue une sélection sur un album peu connu, ils ne sont pas les seuls, et la décline avec beaucoup de cohérence par rapport à l’original, la maturité musicale et la technique en plus.
On enchaîne avec deux très bonnes surprises : un extrait de la bande-son de « Singles », « Birth Ritual » par Mirakler qui gagne en style déluré et débridé pour ma plus grande joie. Deuxième miracle au paradis de Soundgarden : la version sludge ainsi que guerrière de « Nothing To Say », issue du court « Streaming Life », mijotée brillamment par Swamp Coffin qui réalise une pépite en sortant des placards un opus généralement au-dessous des radars du grand public (à qui ne s’adresse pas leur art par ailleurs).
Et ça donne quoi alors ce « Badmotorfinger (Redux) » qui constitue plus du tiers de cette sortie ? De la créativité avec « Jesus Christ Pose » déclinée en version indus organique, totalement passable à mon goût, par Spotlights, avec « Rusty Cage » envoyée avec force hargne par Witch Ripper qui aligne les bûches ou avec « Slaves & Bulldozers » transcendée par High Desert Queen qui déploie une rythmique imparable sur ce titre fleuve. Deux belles claques ressortent clairement du lot soit « Outshined » qui se transporte dans un univers plus sludge suite à son passage auprès du laboratoire expérimental de Milana et « Room A Thousand Years Wide » à qui Restless Spirit a injecté force rythmique pour le mouvoir en hit heavy impeccable encore plus distordu et insalubre que l’original. Cette dernière reprise est tellement bonne que j’ai bien failli twerker de joie sous les coups de boutoir qui s’enchaînent durant quatre minutes !
Au final la palme revient à Blue Heron qui transpose « Uncovered », du deuxième album (« Louder Than Love »), en un titre doomesque, terriblement rugueux et progressif dont le riff central déluré vient flirter par moments avec celui de « I Want You (She’s So Heavy) » d’un quatuor quelconque de Liverpool. Un cover généreux, orienté à l’écart de l’exécution plus ou moins fidèle de l’original et upgradé dans tous ses excès en totale cohérence avec le style pratiqué par Soundgarden à la fin de sa carrière ; un vrai hommage quoi…
Pour conclure on zappe, on sélectionne ou on se précipite ? La réponse est binaire : on joue les abstinents si on est réfractaire à l’oeuvre de Soundgarden et si on affectionne que les bonnes vibrations psychédélique de hippie. Si on se remet difficilement du décès du Grand Chris (qui a sifflé la fin de la partie pour les reformations de Soundgarden) ou si on prend un pied énorme avec les plans bien bourrins : on fonce direct sur les deux productions jumelles pour se taper un orgasme musical à base de lenteur, de lourdeur et de nostalgie. Magnetic Eye si tu me lis il reste encore énormément de matière à défricher pour repasser une couche supplémentaire dans la discographie de ce groupe emblématique d’une époque révolue qui aura marqué l’histoire avec du grand hasch ! Gloire à Soundgarden : vous nous manquez terriblement !
Point Vinyle :
Ces deux opus font l’objet d’une sortie digitale pour la consommation d’usage en 2023, endouble cd pour les quidams vintage (dont font partie plusieurs membres de la rédaction) et double vinyles pour les épicuriens que vous savez aussi être (avec téléchargement inclus pour vous balader avec votre smartphone préféré) ! Pour la compilation tapant dans toute la discographie du quatuor il y a du noir standard, du transparent et noir marbré ainsi qu’un jaune assez cohérent avec l’artwork de cette sortie. Pour les nouvelles déclinaisons du point d’orgue de la discographie de la formation de Seattle il y a – toujours – le noir standard, un rouge et noir marbré ainsi qu’une tournée de blanc se référant aussi à l’écrin de cette production. Il y a de quoi lester un peu plus la charge au sol de vos living rooms les enfants : précipitez-vous !
Et dire qu’il y a une vingtaine d’années on pensait qu’on était envahis de groupes de stoner italien… que dire de ces derniers mois ? Bien aidés par une flopée de labels dédiés au développement de la scène locale (il ne fait pas bon se comparer à nos voisins transalpins sur ce point…), cela permet à des groupes comme ces sardes de Loose Sutures de proposer leur 3ème album, toujours chez Electric Valley, une maison sérieuse, dotée de moyens modestes, mais développant un cheptel de qualité, avec amour et conviction.
On s’est plongé dans ce disque avec une vague curiosité et sans appétence particulière… et on y est restés un bon moment, contre toute attente. Le groupe développe un genre aussi séduisant sur le papier que sur rondelle plastifiée, une sorte de stoner doom richement fuzzé et grassouillet, porté par une prod garage de toute bôôôté (ou saleté, c’est selon). On pense un peu au premier R.I.P en moins metal, à Lecherous Gaze en moins punk… D’ailleurs il faut confesser que l’on est un peu tombés amoureux dès le premier titre, ce “Highway Shooter” doté d’un gros riff de base, rythmique binaire, chant reverb-isé et fuzz pied au plancher – clairement ces gars ne peuvent pas être de mauvais bougres.
Les compos suivantes sont bien efficaces, il faut le reconnaître, avec un talent particulier pour les brulots péchus et vicieux (“White Line”, “Another Hell”…) mais aussi dans le mid-tempo (“Black Star Flashing, ou encore “Sadism and Gallows”, qui commence comme un titre ennuyeux… mais de manière assez surprenante, ne le devient jamais !). On notera, l’air de rien, que les gars nous collent deux featuring par des pontes de la scène desert rock US : respectivement Alain Johannes sur le très robot-rock “Kinky Katy”, et Nick Oliveri qui vient crier sur le cliché “He’s My Friend” (à peu près aussi intéressant et mémorable que les deux dernières décennies de la carrière du grand bassiste chauve).
Quelques titres sont un peu en retrait et l’ensemble gagnerait à un peu plus de consistance (35 minutes en tout, dont deux titres “parenthèses” avec des guests de luxe), mais globalement on est sur une galette qualitative, une petite rondelle plastique de petit plaisir sans prise de tête. Et donc plutôt recommandable.
Un an après son premier album solo A New Dimension, Chris Peters ressort de son eden brésilien avec Luz E Sombra. 43 minutes de rock psychédélique plus tard, force est de constater que l’ex Samsara Blues Experiment continue de tracer sa route avec Fuzz Sagrado tout en assumant de plus en plus son passé de chanteur/guitariste d’un des groupes les plus réputés des années 2010.
Il y a une véritable continuité entre Luz E Sombra et son prédécesseur, avec notamment cette recherche de simplicité dans les compositions qui donne à la musique de Chris un côté kraut par instant. Des morceaux comme “Memories of a Future Passed”, “Broken Earth”, ou “Luz E Sombra” illustrant bien ce sentiment de suspension dans le temps et l’espace. L’utilisation du synthé est toujours aussi bien amenée, apportant une vraie profondeur sur certains morceaux, en particulier en début d’album, et se couplant intelligemment aux lignes de guitares. On retrouve aussi certains effets très légers mais qui viennent satisfaire l’oreille (ou alors c’est un vrai instrument à cuivre utilisé à la fin de “Learning to live, and live again” !).
Cette continuité se caractérise aussi par un retour progressif du son que Chris pouvait incarner au sein de Samsara Blues Experiment. On est bien loin d’une tentative de copié- collé, mais on retrouve cette guitare douce et psychédélique, cette voix si particulière et des riffs qui faisaient la force des allemands et qui, ici, apportent une force supplémentaire au projet. “Luz E Sombra” vient même se finir sur un solo de guitare qui sent bon les derniers albums de cette ancienne vie.
Alors bon.. ! Est-ce volontaire pour attirer les fans ? Un appel du pied pour réformer Samsara ? Eh bien il est possible que le titre “Leaving Samsara” réponde à la question. Les textes de Chris sont personnels, on peut sentir à travers eux ses sentiments, ses doutes qui traduisent une certaine fragilité. Sur “Leaving Samsara”, Chris adresse comme une lettre ouverte à ses anciens comparses. On y ressent toute la peine et la colère liée à cette rupture mais aussi de la fierté d’avoir accompli une telle aventure et l’acceptation que Samsara Blues Experiment sera toujours une partie de lui et qu’il doit accepter cette part d’influence.
Luz E Sombra n’est finalement ni lumineux, ni sombre. Ce second album ressemble plutôt à un ciel où le soleil émerge et brille de plus en plus tandis que les nuages se dissipent. Toujours avec cette volonté de faire une musique et des textes qui lui tiennent à coeur, Chris Peters nous amène avec Fuzz Sagrado un album qui ne fera pas forcément la chasse aux top de fin d’année (quelle idée en même temps…) mais qui est sincère et à vrai dire très agréable à écouter particulièrement en ce début d’été.
Tiens un nouveau p’tit trio de Birmingham ! Même si ça fait longtemps que la provenance de cette sordide agglomération n’est plus le gage de quoi que ce soit (encore moins de qualité), la perspective de découvrir un nouveau groupe anglais évoluant dans notre style musical de prédilection est séduisante en soi.
On a beau aimer la synthèse, il est difficile de décrire le groupe avec une étiquette claire. Ne vous fiez pas en tout cas à son intro trompeuse : “Diabolical Influence” et son groove nonchalant (marié à des vocaux doublés) fait évidemment penser à Uncle Acid, mais on s’éloigne vite fait de cette référence pour adresser d’autres styles avec les titres suivants. Margarita Witch Cult est multi-facettes ! Et ils s’emploient avec une certaine vaillance à le démontrer : 9 chansons en 31 minutes, ça rentre au chausse-pieds. Donc ben on s’ennuie pas, ça déroule et ça part dans tous les sens : stoner old school (“Be My Witch”), grosses décharges (stoner) metal énervé (“Death Lurks at Every Turn”, “Annihilation” et ses penchants NWOBHM), doom old school (“Sacrifice”, “The Witchfinder Comes”, avec son petit sursaut Orange Goblin sur la fin)…
Un dénominateur commun toutefois, un goût du riff bien prononcé, qui rend l’écoute d’autant plus appréciable (“Be My Witch”, “Arcadia”…), et plus généralement cette vision “guitar-oriented” de la composition, avec une large place accordée autant en rythmique qu’en leads aux guitares… d’autant plus surprenant quand on note que le trio ne comporte qu’un seul guitariste ! Le live sera le juge de paix, car certains soli seront forcément allégés… Autre facteur remarquable : tandis que sur ce format d’album resserré le premier réflexe serait de se concentrer sur l’essentiel, faire du basique uniquement pour ne pas se disperser, le groupe n’hésite pas à apporter du relief à travers des breaks bien sentis (ce passage solo en harmonies typé metal 70’s sur “Lord of the Flies”, ce petit instru de transition bien foutu “Theme From Cyclops”…) ou des arrangements pertinents (on a déjà mentionné ces lignes de chant doublées par exemple).
Bref, il y a de très bonnes choses sur ce disque, et d’autres moins mémorables. En tout cas on tient là une jolie promesse pour l’avenir : en concentrant un peu son propos et en montrant de quoi il est capable sur la durée, ce jeune trio pourrait faire parler de lui dans les années à venir.
Il est fort probable que peu de monde connaisse Le Scimmie : le groupe est en fait l’incarnation musicale portée par Angelo Mirolli, musicien italien inspiré et passionné, qui depuis 16 ans environ, se fait épauler d’autres zicos pour proposer quelques compos sur trace vinyle. Ce dernier album, leur troisième, est issu d’un travail en mode duo, tandis que le précédent l’était sous forme de trio. Encore une fois sur un label méga-confidentiel (2 ou 3 sorties depuis son existence…), il est prévisible que Le Scimmie ne bénéficiera pas d’une forte couverture média – raison de plus de se pencher sur ce groupe méritant mais trop discret.
Le groupe se place dans un registre qui, inévitablement, rappelle les référentiels Karma To Burn. Il faut dire qu’en proposant du stoner rock riffu en mode instrumental, forcément on se place dans l’aspiration du trio américain. Mais là où de nombreux groupes avant eux se sont ramassés dans cet exercice ô combien casse-gueule, Le Scimmie surnage gentiment, pour une raison essentiellement : ze riffs ! Il y en a de vraiment bons ici, à l’image du morceau-titre « Adriatic Desert », du très fat et bien-nommé « Mammatus » (quel son de gratte !), de « Hysteria »… ça déboule dans tous les sens.
Quant à la prod, elle est rudimentaire (on n’est pas dans le gros budget studio) mais efficace – même si certains détails peuvent un peu chiffonner l’oreille (ce son de guitare chelou sur le break avant le refrain de « Acid Lime », cette saturation un peu trop poussée parfois sur la gratte de « Mammatus »…).
Globalement le disque est très plaisant, plein du charme et de l’énergie d’un (pas si) jeune groupe fougueux. Les compos s’avèrent très accrocheuses (ce qui n’est que rarement le cas chez les moins inspirés ersatz de KTB), ça pulse, c’est varié… Du bon gros stoner de façonneur italien, efficace, honnête et inspiré. Sans casser trois pattes à un canard, le (presque) one-man band propose une galette attachante et plaisante.
Le dernier album de Bell Witch, Mirror Reaper, avait littéralement terrassé son monde en 2017, redéfinissant le funeral doom dans son sens le plus pur et le plus littéral, proposant une pièce monumentale marquée de bout en bout par le décès de son batteur Adrian Guerra. Dylan Desmond s’était alors adjoint les services de Jesse Schreibman pour re-constituer et refonder un duo basse-batterie dans la continuité. Eprouvant, puissant, le disque a posé un jalon difficile à surpasser. Quand ce nouveau disque a pointé le bout de son nez, dans une discrétion absolue (rendu disponible directement, sans vraie annonce promo préalable) on s’est donc naturellement jeté dessus. Vu comme la première pièce d’un triptyque, The Clandestine Gate se compose d’une seule plage de… 1h23min, soit très précisément la même durée que Mirror Reaper – encore une inclinaison à appréhender ce nouveau disque dans la continuité…
Problème : on avait oublié que dans l’intervalle (six ans, quand même…), le duo a vécu, s’est construit en tant que binome, a vécu le confinement et autres oyeusetés… et surtout s’est engagé dans une parenthèse musicale dans le cadre du projet Stygian Bough, avec leur ami Erik Moggridge, projet dans lequel leur musique se mélait à la tendance folk mélancolique de Moggridge pour un résultat forcément moins étouffant, plus mélodique aussi. Doit-on donc considérer Stygian Bough comme un élément structurant de la carrière de Bell Witch ? La réponse est forcément “un peu” positive à l’écoute de ce The Clandestine Gate. Mais pas tout à fait non plus, car il convient de le mettre en perspective avec leurs disques précédents, qui étaient (évidemment) moins sombres et profonds que Mirror Reaper. The Clandestine Gate est donc à considérer ni comme un retour aux sources, ni comme un virage musical, ni comme un disque dans une quelconque continuité… Il est la représentation d’un duo musicalement mature, ayant (ap)pris de ses diverses expériences (et notamment de Stygian Bough).
Concrètement, le disque présente un groupe qui s’émancipe un peu des bases du funeral doom. On pense au chant en premier lieu, que les deux musiciens se partagent, et qui voit réduire le recours au “classique” growl (surtout présent dans la deuxième moitié du disque), au profit de lignes vocales plus rares mais plus variées, comme des nappes instrumentales. Le son de basse évolue aussi (pour rappel : Desmond utilise une basse 6-cordes lui permettant de développer des sons bien plus denses et riches qu’une guitare standard), moins saturé et moins lourd. Mais le changement le plus significatif se trouve “en plus”, en réalité, avec l’apport de claviers plus amples que sur Mirror Reaper, soutenant plus largement des séquences entières (à commencer par cet orgue impressionnant en introduction). L’influence des musiques liturgiques se fait fortement entendre, qu’il s’agisse de l’orgue sus-mentionné, ou des choeurs qu’on croirait souvent émaner d’une sombre chapelle… Le travail de Billy Anderson à la production, toujours discret mais efficace dans la forme, s’est probablement avéré colossal…
Tout ceci étant pris en considération, le disque peut être appréhendé avec l’esprit ouvert. L’approche musicale proposée est plus fluide, plus linéaire, plus mélodique aussi, ne nous cachons pas derrière les mots. Les séquences puissantes sont liées par des plans d’orgue, des plages de calme généralement, les montées en tension sont subtilement construites et amenées… Passage probablement le plus prenant du disque, au bout d’une heure un arrangement orgue / cloche d’église (!) / notes de basses amène à une section de pur funeral doom puissant, où claviers et riff se donnent le change en rangs serrés, pour culminer sur un passage aérien emmené par un déluge de crash et d’orgue, pour redescendre en tension et préparer une cloture quasi acoustique de plusieurs minutes, longue respiration salvatrice.
Le disque est avalé d’une traite sans que l’on ne considère à aucun moment de temps faible. Il représente un duo en totale maîtrise de sa musique, élargissant son spectre à nouveau, pour toujours proposer une pierre importante à son édifice musical. The Clandestine Gate ne peut en revanche pas décemment s’envisager en tant que suite de Mirror Reaper, au risque de s’exposer à une profonde déception : l’environnement funeral doom, qui prenait son sens le plus profond avec leur disque précédent, se trouve quelque peu “dilué” dans un univers musical plus ouvert ici, plus mélodique fondamentalement. Quant à l’engagement “émotionnel” du disque, il est évidemment bien moindre, on est moins absorbé, et on en ressort moins “lessivé” aussi. Reste que ce disque constitue une pièce remarquable, un véritable tour de force d’inventivité et de profondeur, qui amène le doom de ses débuts vers des champs plus vastes et encore une fois plus audacieux.
Les japonais barrés de l’Eglise de la Misère nous reviennent, se rapprochant tranquillement des bientôt trente ans de carrière, quand même. Dans l’intervalle, une flopée de LP, EP, splits et autres joyeusetés ont affirmé la place importante de CoM dans le paysage stoner-doom mondial, sous la houlette de Tatsu Mikami, le bassiste plus que jamais seul cerveau et leader du groupe (la liste des musiciens ayant œuvré à ses côtés durant la carrière du groupe dépasse les vingt noms…). Fait notable sur ce disque, le retour derrière le micro de Kazuhiro Asaeda, premier chanteur du groupe, présent sur leur premier LP, parti il y a… 27 ans ! Ayant re-connecté avec Mikami via le projet jam-blues-rock Sonic Flower, le vocaliste se retrouve embarqué dans cette nouvelle mouture du quatuor.
Mikami, habituellement modeste et réservé, s’emballe un peu dans le speech promo du disque (probablement enjolivé par un zélé stagiaire marketing), affirmant que ce Born Under a Mad Sign serait (je cite) « sans aucun doute le meilleur disque de CoM », « un chef d’œuvre du doom », « (…) tout y est parfait ! Il n’a aucun point faible »… Oh la, tout doux l’ami… On déchante un peu après les premières écoutes, d’où l’on ressort avec un avis assez mûr et engagé, que l’on pourrait résumer par : « mouaip ». En effet, les premiers tours de pistes tardent à révéler les points forts du disque, ses morceaux emblématiques qui pourraient trouver leur place dans les set lists live du groupe.
Mais ce serait accorder bien trop peu de crédit au génial quatre-cordiste, qui, si l’on peut (quand même) avoir quelques réserves sur son diagnostic, propose quand même une bien bonne galette. Les premières frustrations à chaud tiennent surtout à la production au global : la mise en son, dans un sens technique, ne souffre pas de point faible, mais en première approche ça manque de gras et de saleté, le groupe japonais ayant toujours évolué sur la fine voie de crête entre un son puissant et des sonorités garage authentiques. Ici on est sur du « un peu propre », ce qui est un peu désarçonnant au début. Heureusement en montant un peu les potards, le gras apparaît et resplendit… Même constat côté chant : on a été habitué à un peu plus de crin et de glaire sur les cordes vocales (et pourtant le timbre subtilement éraillé de Asaeda fait généralement bien le job ici). Côté guitare itou : si le niveau de saturation est assez élevé dans l’ensemble, on retrouve quand même pas mal de plans plus aériens qui nous font craindre quelques instants que Mikami ne vise à rapprocher CoM de Sonic Flower (des soli, des passages jamesques… avant le solo de « Come and Get Me Sucker » par exemple, sur le solo trop-clair-pour-être-honnête de « Most Evil » encore, ou sur la courte intro insolemment pop de « Butcher Baker »).
Heureusement il n’en est rien, et très vite ces premiers retours sont contrebalancés par le fait que l’on retrouve bien les composantes jouissives de la musique du groupe. En premier lieu, le son de basse de Mikami, qui porte seul quelques riffs bien sentis parfois, et enrobe d’autres passages de ses jouissifs plans de « basse wah-wah » dont il a le secret, véritable marque de fabrique du combo (voir « Freeway Madness Boogie » où son jeu est omniprésent). Et puis il y a les riffs : en bon élève, le bassiste construit systématiquement ses morceaux sur ces briques solides, et le disque n’en manque pas : « Butcher Baker », « Most Evil »… On ne parlera même pas de la dose de groove, autre pierre angulaire de la musique de CoM, qui amène certains titres moyens à des niveaux de qualité bien supérieurs (le break à la moitié de « Beltway Sniper », le bien nommé « Freeway Madness Boogie » au global…)
Bref, au final Born Under a Mad Sign trouve une bonne place dans la discographie du groupe (qui ne propose toujours aucun album parfait). Quelques titres plus faibles viennent un peu tirer la galette vers le bas (le peu inspiré « Spoiler » avec son clavier inintéressant et sa ligne de chant qui, sans relief, vient dos à dos avec la partition de guitare, ou encore le très cliché « Come and Get me Sucker » – malgré l’intéressant passage de bottleneck sur ce dernier), tandis que d’autres petites perles viennent au contraire directement trouver leur place dans le « best of » du groupe (« Most Evil », « Freeway madness Boogie »…). Finalement du bien bel ouvrage, et la preuve que le groupe n’est pas sur le déclin, loin s’en faut.
Quinze ans après la sortie de leur premier album, Twilight in the Desert, Black Rainbows n’a rien perdu de sa superbe. Les Italiens unis en 2005 sur l’autel du Stoner poussiéreux et électrique réapparaissent aujourd’hui avec Superskull, une galette complète de douze pistes pleines d’une énergie saturée de fuzz et d’atmosphère désertique.
Tout commence avec « Apocalypse March » où un riff catchy nous livre peu à peu à l’impétuosité d’un groove entrainant. Rythmique entêtante, nuque qui s’échauffe et envie de se jeter à l’arrière d’un pickup lancé à vive allure au milieu d’une plaine aride. En bref, un excellent préambule. Le second morceau « Superhero Dopeproof » s’avère encore plus percutant, dès son riff d’intro on sent que l’on entre dans le vif du sujet. La guitare se révèle plus agressive, plus cinglante, telle la cravache d’un cavalier qui sommerait sa monture de galoper encore plus vite. On accélère donc nous aussi nos mouvements, car la musique s’insinue doucement en nous et que la température monte. Le groove gagnera encore en galbe avec l’explosif « Cosmic Ride Of The Crystal Skull », une bête tailler pour la course et qui du haut de ses quatre minutes respire l’efficacité et l’appel au déchainement. Elle arbore pour sa part un côté Space qui nous éloigne de la tempête désertique pour nous projeter totalement ailleurs.
Nous pouvions jusque-là croire qu’avec cet album on s’ouvrait à une sempiternelle compilation de riffs accrocheurs et finalement rébarbatifs, mais « The Pilgrim Son » nous cueille au dépourvu. Il s’agit certes d’un savant mélange d’énormes sons stoners puissants mais également de voyages acoustiques spatiaux entremêlés de sections psychédéliques hypnotiques. Une piste qui catalyse au mieux l’essence de l’album. Comme le trio nous l’a appris depuis 2007, sa gamme s’avère large même si elle favorise les aspects les plus incisifs. Cette cinquième piste illustre à merveille cet équilibre subtil et comment autant d’éléments mélangés avec brio et méthode peuvent donner un morceau d’une telle qualité.
De manière générale, nous percevons avec Superskull une réelle volonté d’application sur l’écriture et la prod de ses titres, ce qui le propulse d’ores et déjà sur le podium de la discographie du trio. On perçoit les multiples couches qui se superposent, les différents niveaux de lecture avec une attention portée sur les détails. Ce qui rendra chaque nouvelle écoute plus intéressante que la précédente. À la différence de certains groupes aux morceaux accrocheurs, plein de riffs dévastateurs, mais qui finissent tous indéniablement par s’essouffler au bout d’un moment, Superskull se bonifie au fil des passages dans la machine, et dans l’oreille. Les deux premiers titres qui paraissaient de prime abord les plus intéressants sont désormais ceux sur lesquels on s’attarde le moins. On veut à la place s’émerveiller du groove bluesy de « Lone Wolf », se délecter de la balade trippante de « King Snake », ou encore frissonner du mordant de « Desert Sun ». Un nombre conséquent de pistes que l’on finit par louer, tant il est savoureux de sentir à la fois possible de se perdre, sans pour autant jamais s’ennuyer.
Superskull se résume donc au travail acharné de trois gaillards fidèles, qui après quinze ans d’expérimentation et neuf albums studio, effleurent du bout de leurs doigts bénis une forme de perfection. Un album d’une riche diversité musicale sans pour autant sacrifier la substance de base de Black Rainbows. De quoi conforter davantage le groupe dans sa position parmi les leaders du Stoner européen.