Witchskull – The Serpent Tide

 

Quatrième album déjà pour les australiens de Witchskull, il serait temps de se réveiller, les gens, et de leur accorder le crédit qu’ils méritent ! Le trio est “actif” depuis presque une décennie déjà, mais manque cruellement de notoriété. Continuant son travail de besogneux pour la cause, Dorrian, droit dans ses convictions, publie leur troisième disque sur Rise Above, en espérant que la reconnaissance fasse son chemin, petit à petit. La qualité de ce The Serpent Tide y suffira-t-elle ?

(Petit aparté : si vous n’avez jamais écouté Witchskull, il faut savoir que son très remarquable vocaliste Marcus De Pasquale a un timbre étonnamment proche de Steve Hennessey, l’emblématique chanteur de Sheavy. Voix légèrement nasillarde, puissante et parfois chevrotante, l’effet est troublant… voire émouvant, d’autant plus que  Hennessey est présentement en train de lutter contre un méchant cancer – toutes nos pensées l’accompagnent)

Musicalement, Witchskull c’est l’heureuse rencontre entre le doom metal US/UK des années 80/90, le stoner des années 90/00 et la NWOBHM, en gros… En d’autres mots : ça riffe fort et dru, c’est heavy, ça sait ralentir ou emballer le tempo lorsque nécessaire, ça n’hésite pas à lâcher quelques leads bien sentis, et le tout est enseveli sous un déluge de guitare-basse bien puissant, bien aidé par une prod efficace.

Dans ce cadre musical très emballant, huit compos (autant que sur tous leurs albums précédents !) viennent animer cette galette courte (35 min) mais riche. Au premier abord cette densité est quasi étouffante : on jouit auditivement, certes, mais l’on a du mal à détacher les titres les uns des autres, si pleins qu’ils sont en riffs, riffs, riffs, puis breaks puissants et affriolants, soli de guitare tous plus enthousiasmants les uns que les autres… Le tout, répétons-le, bien accompagné par le chant très particulier de De Pasquale, qui pourrait rebuter certain(e)s de prime abord – mais vaut mieux rentrer dedans à fond, sous peine de passer à côté de quelques beaux joyaux. On pense au doomy “Misery’s Horse” et son break/soli cavalcade, au très heavy et volontairement monolithique “Rune of Thorn”, au jouissif et groovy “The Serving Ritual”(quel solo étourdissant !), le puissant et mélodique mid-tempo de “Sun Carver”, “Bornless Hollow” et son riff groovy d’école… Et ça déroule ainsi non stop, c’est diversifié, c’est nerveux et lourd, et on ne s’ennuie pas : la galette appelle à l’écoute répétée, et on ne se fait pas prier.

Est-ce que ça suffira donc à réorienter les masses vers ce groupe trop discret ? Tant qu’il n’aura pas l’opportunité d’enfin venir se frotter aux scènes européennes pour se faire mieux connaître (jusqu’ici il n’a jamais joué qu’en Australie et un peu en Nouvelle Zélande… une tentative de tournée européenne fut avortée par – devinez – le COVID !), c’est difficile à envisager. En parallèle, charge aux amateurs de bon son de déguster leur discographie et de la faire connaître, c’est tout ce que l’on peut faire à ce stade… et c’est déjà pas mal !

 


 

Various Artists- -Best of Soundgarden (Redux) & Superunknown (Redux)

Les activistes culturels de Magnetic Eye persistent à faire reconditionner des vieilles rengaines par des formations de la galaxie stoner et de ses environs proches. Après le doublé inspiré par l’oeuvre d’AC/DC, le joyau sale d’Alice In Chains ou le mur de Pink Floyd, c’est au tour de Soundgarden de passer sur la table de remixage. Un choix super judicieux et ultra cohérent vu la proximité évidente entre l’art déployé par la formation de l’Etat de Washington et le style que nous   affectionnons sur ces pages. Alors bien sûr Soundgarden n’a jamais été une formation estampillée stoner, mais il est certain que de nombreux artistes ont grandi sous les rayons de son trou noir soleil. Ce n’est que justice rendue finalement !

Si certains s’interrogent sur la nature de l’exercice de la reprise et de son côté créatif, d’autres considèrent ce prolongement de l’oeuvre comme une revitalisation du patrimoine voire une résurrection (comme Sidney). Le côté figé de notre scène, par rapport à la scène électronique par exemple, s’étiole un peu avec ce genre de productions qui emmènent certains titres à un niveau différent et parfois supérieur. L’héritage musical de Soundgarden sort triplement grandi de cette nouvelle incursion car il se rappelle à notre bon souvenir avec une actualité propice à se replonger dans leur répertoire entier (puisqu’exempt de fausse note), il est sublimé et jamais profané par les acteurs tout au long de ces 30 plages – chaque salve en contenant 15 – et, globalement, il acquiert ainsi une énorme paire de couilles qui fera lever la cornette aux plus lourds d’entre vous !

Pourquoi « Superunknown » ? Parce que c’est un putain d’album ! Parce que c’est une réussite commerciale qui a propulsé la carrière d’un groupe énorme ! Parce qu’il recèle des titres phénoménaux et distordus qui tiennent formidablement bien la route presque 30 piges après avoir atterri dans nos salons sous forme de plaques, de rondelles argentées voire de clips du temps où MTV méritait encore son M. Parce qu’il a confirmé la popularité d’un groupe déjà présent sur le grand écran via la bande originale de « Singles ». Finalement parce que les fans de « Badmotorfinger » trouveront leur compte sur « Best of Soundgarden (Redux) » qui lui fait la part belle (il suffit de sauter quelques paragraphes pour s’y rendre).

L’exploration de ce joyau passe par quelques surprises comme la version éthérée et suspendue dans l’air de « Like Suicide » par Darkher ou le brûlot épique qu’est devenu « The Day I Tried To Live » sous les mauvaises influences de Beastwars. Il voit aussi des réappropriations culturées notamment « Limo Wreck » par Witch Mountain qui déploie du Witch Mountain sans mettre à mal l’original, mais en lui apportant une déclinaison séduisante ou « Half » par nos amis de Dozer que j’attendais au tournant un couteau entre les chagnottes : ils font du Dozer carré et heavy rock en revitaminant le riff originel qui constitue un peu la signature Soundgarden.

Mon radar ciblait en particulier deux compositions qui me sont très cheres et sur lesquelles j’allais me montrer intransigeant comme un jury de l’Eurovision. Le premier c’est « 4th Of July » qui provoqua en moi une énorme turgescence car cet chef-d’oeuvre gagne encore quelques degrés sur l’échelle du malaise, du malêtre et de l’hymne à la toxicomanie pour se rapprocher plus près de la bande-son parfaite pour s’en prendre violemment à soit-sous l’influence de mauvaises influences ! La mine qu’avait placé Thou il y a 10 ans sur le chemin de Marc Urselli’s SteppenDoom en sublimant ce titre était bien présente lorsque je me suis tapé cette plage et je dois conclure qu’entre l’original et les 2 revisites ça rivalise dur dans mon cerveau en vrac. Le second c’est évidemment « Black Hole Sun » qui ressemble à un exercice casse-gueule vu la notoriété du single qui intégra jadis les hit-parades internationaux, mais qui ,contrairement aux hits éphémères servis par la grande distribution musicale, est un putain de titre composé pour durer ! Au final Spotlights s’en sort indemne et même grandi : merci de ne pas avoir tout ruiné !

Si d’aucuns n’ont pas franchement proposé du contenu décoiffant comme High Priest avec « My Wave », d’autres ont délivré des choses intéressantes me touchant pas franchement comme Frayle avec l’enivrant « Head Down » ou me touchant plus comme Ufomammut avec « Let Me Down » dont ils doublent la durée.

Le meilleur de Soundgarden selon certains c’est 15 titres plus ou moins convenus dont sont exclus ceux de leur meilleur album : « Superunknown » qui fait l’objet d’une session spécifique (pour savoir ce que j’en ai pensé il faut lire ce qui précède et pour vous faire une idée, il faut écouter le lien ci-dessous). Question pondération dans le testament musical du quatuor de Seattle, la part est faite belle à « Badmotorfinger » qui constitue l’ossature principale de cette production. Quelques incursions bienvenues viennent jouer les trublions sur cette sortie assez convenue je le concède.

On commence par l’étrangeté question sélection : « Applebite » issu de « Down On The Upside », le successeur de l’album auquel une production entière a été consacrée, Josiah propose une relecture très semblable à l’original qui accentue encore son côté babacool. Un second ovni d’un acabit comparable c’est « Loud Love » de « Louder Than Love » par Freedom Hawk : le groupe effectue une sélection sur un album peu connu, ils ne sont pas les seuls, et la décline avec beaucoup de cohérence par rapport à l’original, la maturité musicale et la technique en plus.

On enchaîne avec deux très bonnes surprises : un extrait de la bande-son de « Singles », « Birth Ritual » par Mirakler qui gagne en style déluré et débridé pour ma plus grande joie. Deuxième miracle au paradis de Soundgarden : la version sludge ainsi que guerrière de « Nothing To Say », issue du court « Streaming Life », mijotée brillamment par Swamp Coffin qui réalise une pépite en sortant des placards un opus généralement au-dessous des radars du grand public (à qui ne s’adresse pas leur art par ailleurs).

Et ça donne quoi alors ce « Badmotorfinger (Redux) » qui constitue plus du tiers de cette sortie ? De la créativité avec « Jesus Christ Pose » déclinée en version indus organique, totalement passable à mon goût, par Spotlights, avec « Rusty Cage » envoyée avec force hargne par Witch Ripper qui aligne les bûches ou avec « Slaves & Bulldozers » transcendée par High Desert Queen qui déploie une rythmique imparable sur ce titre fleuve. Deux belles claques ressortent clairement du lot soit « Outshined » qui se transporte dans un univers plus sludge suite à son passage auprès du laboratoire expérimental de Milana et « Room A Thousand Years Wide » à qui Restless Spirit a injecté force rythmique pour le mouvoir en hit heavy impeccable encore plus distordu et insalubre que l’original. Cette dernière reprise est tellement bonne que j’ai bien failli twerker de joie sous les coups de boutoir qui s’enchaînent durant quatre minutes !

Au final la palme revient à Blue Heron qui transpose « Uncovered », du deuxième album (« Louder Than Love »), en un titre doomesque, terriblement rugueux et progressif dont le riff central déluré vient flirter par moments avec celui de « I Want You (She’s So Heavy) » d’un quatuor quelconque de Liverpool. Un cover généreux, orienté à l’écart de l’exécution plus ou moins fidèle de l’original et upgradé dans tous ses excès en totale cohérence avec le style pratiqué par Soundgarden à la fin de sa carrière ; un vrai hommage quoi…

Pour conclure on zappe, on sélectionne ou on se précipite ? La réponse est binaire : on joue les abstinents si on est réfractaire à l’oeuvre de Soundgarden et si on affectionne que les bonnes vibrations psychédélique de hippie. Si on se remet difficilement du décès du Grand Chris (qui a sifflé la fin de la partie pour les reformations de Soundgarden) ou si on prend un pied énorme avec les plans bien bourrins : on fonce direct sur les deux productions jumelles pour se taper un orgasme musical à base de lenteur, de lourdeur et de nostalgie. Magnetic Eye si tu me lis il reste encore énormément de matière à défricher pour repasser une couche supplémentaire dans la discographie de ce groupe emblématique d’une époque révolue qui aura marqué l’histoire avec du grand hasch ! Gloire à Soundgarden : vous nous manquez terriblement !

Point Vinyle :

Ces deux opus font l’objet d’une sortie digitale pour la consommation d’usage en 2023, en  double cd pour les quidams vintage (dont font partie plusieurs membres de la rédaction) et double vinyles pour les épicuriens que vous savez aussi être (avec téléchargement inclus pour vous balader avec votre smartphone préféré) ! Pour la compilation tapant dans toute la discographie du quatuor il y a du noir standard, du transparent et noir marbré ainsi qu’un jaune assez cohérent avec l’artwork de cette sortie. Pour les nouvelles déclinaisons du point d’orgue de la discographie de la formation de Seattle il y a – toujours – le noir standard, un rouge et noir marbré ainsi qu’une tournée de blanc se référant aussi à l’écrin de cette production. Il y a de quoi lester un peu plus la charge au sol de vos living rooms les enfants : précipitez-vous !

Loose Sutures – Sado Sex for Dummies

Et dire qu’il y a une vingtaine d’années on pensait qu’on était envahis de groupes de stoner italien… que dire de ces derniers mois ? Bien aidés par une flopée de labels dédiés au développement de la scène locale (il ne fait pas bon se comparer à nos voisins transalpins sur ce point…), cela permet à des groupes comme ces sardes de Loose Sutures de proposer leur 3ème album, toujours chez Electric Valley, une maison sérieuse, dotée de moyens modestes, mais développant un cheptel de qualité, avec amour et conviction.

On s’est plongé dans ce disque avec une vague curiosité et sans appétence particulière… et on y est restés un bon moment, contre toute attente. Le groupe développe un genre aussi séduisant sur le papier que sur rondelle plastifiée, une sorte de stoner doom richement fuzzé et grassouillet, porté par une prod garage de toute bôôôté (ou saleté, c’est selon). On pense un peu au premier R.I.P en moins metal, à Lecherous Gaze en moins punk… D’ailleurs il faut confesser que l’on est un peu tombés amoureux dès le premier titre, ce “Highway Shooter” doté d’un gros riff de base, rythmique binaire, chant reverb-isé et fuzz pied au plancher – clairement ces gars ne peuvent pas être de mauvais bougres.

Les compos suivantes sont bien efficaces, il faut le reconnaître, avec un talent particulier pour les brulots péchus et vicieux (“White Line”, “Another Hell”…) mais aussi dans le mid-tempo (“Black Star Flashing, ou encore “Sadism and Gallows”, qui commence comme un titre ennuyeux… mais de manière assez surprenante, ne le devient jamais !). On notera, l’air de rien, que les gars nous collent deux featuring par des pontes de la scène desert rock US : respectivement Alain Johannes sur le très robot-rock “Kinky Katy”, et Nick Oliveri qui vient crier sur le cliché “He’s My Friend” (à peu près aussi intéressant et mémorable que les deux dernières décennies de la carrière du grand bassiste chauve).

Quelques titres sont un peu en retrait et l’ensemble gagnerait à un peu plus de consistance (35 minutes en tout, dont deux titres “parenthèses” avec des guests de luxe), mais globalement on est sur une galette qualitative, une petite rondelle plastique de petit plaisir sans prise de tête. Et donc plutôt recommandable.

 


Fuzz Sagrado – Luz e Sombra

 

Un an après son premier album solo A New Dimension, Chris Peters ressort de son eden brésilien avec Luz E Sombra. 43 minutes de rock psychédélique plus tard, force est de constater que l’ex Samsara Blues Experiment continue de tracer sa route avec Fuzz Sagrado tout en assumant de plus en plus son passé de chanteur/guitariste d’un des groupes les plus réputés des années 2010. 

Il y a une véritable continuité entre Luz E Sombra et son prédécesseur, avec notamment cette recherche de simplicité dans les compositions qui donne à la musique de Chris un côté kraut par instant. Des morceaux comme “Memories of a Future Passed”, “Broken Earth”, ou “Luz E Sombra” illustrant bien ce sentiment de suspension dans le temps et l’espace. L’utilisation du synthé est toujours aussi bien amenée, apportant une vraie profondeur sur certains morceaux, en particulier en début d’album, et se couplant intelligemment aux lignes de guitares. On retrouve aussi certains effets très légers mais qui viennent satisfaire l’oreille (ou alors c’est un vrai instrument à cuivre utilisé à la fin de “Learning to live, and live again” !). 

Cette continuité se caractérise aussi par un retour progressif du son que Chris pouvait incarner au sein de Samsara Blues Experiment. On est bien loin d’une tentative de copié- collé, mais on retrouve cette guitare douce et psychédélique, cette voix si particulière et des riffs qui faisaient la force des allemands et qui, ici, apportent une force supplémentaire au projet. “Luz E Sombra” vient même se finir sur un solo de guitare qui sent bon les derniers albums de cette ancienne vie. 

Alors bon.. ! Est-ce volontaire pour attirer les fans ? Un appel du pied pour réformer Samsara ? Eh bien il est possible que le titre “Leaving Samsara” réponde à la question. Les textes de Chris sont personnels, on peut sentir à travers eux ses sentiments, ses doutes qui traduisent une certaine fragilité. Sur “Leaving Samsara”, Chris adresse comme une lettre ouverte à ses anciens comparses. On y ressent toute la peine et la colère liée à cette rupture mais aussi de la fierté d’avoir accompli une telle aventure et l’acceptation que Samsara Blues Experiment sera toujours une partie de lui et qu’il doit accepter cette part d’influence. 

Luz E Sombra n’est finalement ni lumineux, ni sombre. Ce second album ressemble plutôt à un ciel où le soleil émerge et brille de plus en plus tandis que les nuages se dissipent. Toujours avec cette volonté de faire une musique et des textes qui lui tiennent à coeur, Chris Peters nous amène avec Fuzz Sagrado un album qui ne fera pas forcément la chasse aux top de fin d’année (quelle idée en même temps…) mais qui est sincère et à vrai dire très agréable à écouter particulièrement en ce début d’été. 

 


 

Margarita Witch Cult – Margarita Witch Cult

Tiens un nouveau p’tit trio de Birmingham ! Même si ça fait longtemps que la provenance de cette sordide agglomération n’est plus le gage de quoi que ce soit (encore moins de qualité), la perspective de découvrir un nouveau groupe anglais évoluant dans notre style musical de prédilection est séduisante en soi.

On a beau aimer la synthèse, il est difficile de décrire le groupe avec une étiquette claire. Ne vous fiez pas en tout cas à son intro trompeuse : “Diabolical Influence” et son groove nonchalant (marié à des vocaux doublés) fait évidemment penser à Uncle Acid, mais on s’éloigne vite fait de cette référence pour adresser d’autres styles avec les titres suivants. Margarita Witch Cult est multi-facettes ! Et ils s’emploient avec une certaine vaillance à le démontrer : 9 chansons en 31 minutes, ça rentre au chausse-pieds. Donc ben on s’ennuie pas, ça déroule et ça part dans tous les sens : stoner old school (“Be My Witch”), grosses décharges (stoner) metal énervé (“Death Lurks at Every Turn”, “Annihilation” et ses penchants NWOBHM), doom old school (“Sacrifice”, “The Witchfinder Comes”, avec son petit sursaut Orange Goblin sur la fin)…

Un dénominateur commun toutefois, un goût du riff bien prononcé, qui rend l’écoute d’autant plus appréciable (“Be My Witch”, “Arcadia”…), et plus généralement cette vision “guitar-oriented” de la composition, avec une large place accordée autant en rythmique qu’en leads aux guitares… d’autant plus surprenant quand on note que le trio ne comporte qu’un seul guitariste ! Le live sera le juge de paix, car certains soli seront forcément allégés… Autre facteur remarquable : tandis que sur ce format d’album resserré le premier réflexe serait de se concentrer sur l’essentiel, faire du basique uniquement pour ne pas se disperser, le groupe n’hésite pas à apporter du relief à travers des breaks bien sentis (ce passage solo en harmonies typé metal 70’s sur “Lord of the Flies”, ce petit instru de transition bien foutu “Theme From Cyclops”…) ou des arrangements pertinents (on a déjà mentionné ces lignes de chant doublées par exemple).

Bref, il y a de très bonnes choses sur ce disque, et d’autres moins mémorables. En tout cas on tient là une jolie promesse pour l’avenir : en concentrant un peu son propos et en montrant de quoi il est capable sur la durée, ce jeune trio pourrait faire parler de lui dans les années à venir.

 


 

Le Scimmie – Adriatic Desert

Il est fort probable que peu de monde connaisse Le Scimmie : le groupe est en fait l’incarnation musicale portée par Angelo Mirolli, musicien italien inspiré et passionné, qui depuis 16 ans environ, se fait épauler d’autres zicos pour proposer quelques compos sur trace vinyle. Ce dernier album, leur troisième, est issu d’un travail en mode duo, tandis que le précédent l’était sous forme de trio. Encore une fois sur un label méga-confidentiel (2 ou 3 sorties depuis son existence…), il est prévisible que Le Scimmie ne bénéficiera pas d’une forte couverture média – raison de plus de se pencher sur ce groupe méritant mais trop discret.

Le groupe se place dans un registre qui, inévitablement, rappelle les référentiels Karma To Burn. Il faut dire qu’en proposant du stoner rock riffu en mode instrumental, forcément on se place dans l’aspiration du trio américain. Mais là où de nombreux groupes avant eux se sont ramassés dans cet exercice ô combien casse-gueule, Le Scimmie surnage gentiment, pour une raison essentiellement : ze riffs ! Il y en a de vraiment bons ici, à l’image du morceau-titre « Adriatic Desert », du très fat et bien-nommé « Mammatus » (quel son de gratte !), de « Hysteria »… ça déboule dans tous les sens.

Quant à la prod, elle est rudimentaire (on n’est pas dans le gros budget studio) mais efficace – même si certains détails peuvent un peu chiffonner l’oreille (ce son de guitare chelou sur le break avant le refrain de « Acid Lime », cette saturation un peu trop poussée parfois sur la gratte de « Mammatus »…).

Globalement le disque est très plaisant, plein du charme et de l’énergie d’un (pas si) jeune groupe fougueux. Les compos s’avèrent très accrocheuses (ce qui n’est que rarement le cas chez les moins inspirés ersatz de KTB), ça pulse, c’est varié… Du bon gros stoner de façonneur italien, efficace, honnête et inspiré. Sans casser trois pattes à un canard, le (presque) one-man band propose une galette attachante et plaisante.

 


Bell Witch – Future’s Shadow Part 1: The Clandestine Gate

Le dernier album de Bell Witch, Mirror Reaper, avait littéralement terrassé son monde en 2017, redéfinissant le funeral doom dans son sens le plus pur et le plus littéral, proposant une pièce monumentale marquée de bout en bout par le décès de son batteur Adrian Guerra. Dylan Desmond s’était alors adjoint les services de Jesse Schreibman pour re-constituer et refonder un duo basse-batterie dans la continuité. Eprouvant, puissant, le disque a posé un jalon difficile à surpasser. Quand ce nouveau disque a pointé le bout de son nez, dans une discrétion absolue (rendu disponible directement, sans vraie annonce promo préalable) on s’est donc naturellement jeté dessus. Vu comme la première pièce d’un triptyque, The Clandestine Gate se compose d’une seule plage de… 1h23min, soit très précisément la même durée que Mirror Reaper – encore une inclinaison à appréhender ce nouveau disque dans la continuité…

Problème : on avait oublié que dans l’intervalle (six ans, quand même…), le duo a vécu, s’est construit en tant que binome, a vécu le confinement et autres oyeusetés… et surtout s’est engagé dans une parenthèse musicale dans le cadre du projet Stygian Bough, avec leur ami Erik Moggridge, projet dans lequel leur musique se mélait à la tendance folk mélancolique de Moggridge pour un résultat forcément moins étouffant, plus mélodique aussi. Doit-on donc considérer Stygian Bough comme un élément structurant de la carrière de Bell Witch ? La réponse est forcément “un peu” positive à l’écoute de ce The Clandestine Gate. Mais pas tout à fait non plus, car il convient de le mettre en perspective avec leurs disques précédents, qui étaient (évidemment) moins sombres et profonds que Mirror Reaper. The Clandestine Gate est donc à considérer ni comme un retour aux sources, ni comme un virage musical, ni comme un disque dans une quelconque continuité… Il est la représentation d’un duo musicalement mature, ayant (ap)pris de ses diverses expériences (et notamment de Stygian Bough).

Concrètement, le disque présente un groupe qui s’émancipe un peu des bases du funeral doom. On pense au chant en premier lieu, que les deux musiciens se partagent, et qui voit réduire le recours au “classique” growl (surtout présent dans la deuxième moitié du disque), au profit de lignes vocales plus rares mais plus variées, comme des nappes instrumentales. Le son de basse évolue aussi (pour rappel : Desmond utilise une basse 6-cordes lui permettant de développer des sons bien plus denses et riches qu’une guitare standard), moins saturé et moins lourd. Mais le changement le plus significatif se trouve “en plus”, en réalité, avec l’apport de claviers plus amples que sur Mirror Reaper, soutenant plus largement des séquences entières (à commencer par cet orgue impressionnant en introduction). L’influence des musiques liturgiques se fait fortement entendre, qu’il s’agisse de l’orgue sus-mentionné, ou des choeurs qu’on croirait souvent émaner d’une sombre chapelle… Le travail de Billy Anderson à la production, toujours discret mais efficace dans la forme, s’est probablement avéré colossal…

Tout ceci étant pris en considération, le disque peut être appréhendé avec l’esprit ouvert. L’approche musicale proposée est plus fluide, plus linéaire, plus mélodique aussi, ne nous cachons pas derrière les mots. Les séquences puissantes sont liées par des plans d’orgue, des plages de calme généralement, les montées en tension sont subtilement construites et amenées… Passage probablement le plus prenant du disque, au bout d’une heure un arrangement orgue / cloche d’église (!) / notes de basses amène à une section de pur funeral doom puissant, où claviers et riff se donnent le change en rangs serrés, pour culminer sur un passage aérien emmené par un déluge de crash et d’orgue, pour redescendre en tension et préparer une cloture quasi acoustique de plusieurs minutes, longue respiration salvatrice.

Le disque est avalé d’une traite sans que l’on ne considère à aucun moment de temps faible. Il représente un duo en totale maîtrise de sa musique, élargissant son spectre à nouveau, pour toujours proposer une pierre importante à son édifice musical. The Clandestine Gate ne peut en revanche pas décemment s’envisager en tant que suite de Mirror Reaper, au risque de s’exposer à une profonde déception : l’environnement funeral doom, qui prenait son sens le plus profond avec leur disque précédent, se trouve quelque peu “dilué” dans un univers musical plus ouvert ici, plus mélodique fondamentalement. Quant à l’engagement “émotionnel” du disque, il est évidemment bien moindre, on est moins absorbé, et on en ressort moins “lessivé” aussi. Reste que ce disque constitue une pièce remarquable, un véritable tour de force d’inventivité et de profondeur, qui amène le doom de ses débuts vers des champs plus vastes et encore une fois plus audacieux.

 


Church Of Misery – Born Under A Mad Sign

Les japonais barrés de l’Eglise de la Misère nous reviennent, se rapprochant tranquillement des bientôt trente ans de carrière, quand même. Dans l’intervalle, une flopée de LP, EP, splits et autres joyeusetés ont affirmé la place importante de CoM dans le paysage stoner-doom mondial, sous la houlette de Tatsu Mikami, le bassiste plus que jamais seul cerveau et leader du groupe (la liste des musiciens ayant œuvré à ses côtés durant la carrière du groupe dépasse les vingt noms…). Fait notable sur ce disque, le retour derrière le micro de Kazuhiro Asaeda, premier chanteur du groupe, présent sur leur premier LP, parti il y a… 27 ans ! Ayant re-connecté avec Mikami via le projet jam-blues-rock Sonic Flower, le vocaliste se retrouve embarqué dans cette nouvelle mouture du quatuor.

Mikami, habituellement modeste et réservé, s’emballe un peu dans le speech promo du disque (probablement enjolivé par un zélé stagiaire marketing), affirmant que ce Born Under a Mad Sign serait (je cite) « sans aucun doute le meilleur disque de CoM », « un chef d’œuvre du doom », « (…) tout y est parfait ! Il n’a aucun point faible »… Oh la, tout doux l’ami… On déchante un peu après les premières écoutes, d’où l’on ressort avec un avis assez mûr et engagé, que l’on pourrait résumer par : « mouaip ». En effet, les premiers tours de pistes tardent à révéler les points forts du disque, ses morceaux emblématiques qui pourraient trouver leur place dans les set lists live du groupe.

Mais ce serait accorder bien trop peu de crédit au génial quatre-cordiste, qui, si l’on peut (quand même) avoir quelques réserves sur son diagnostic, propose quand même une bien bonne galette. Les premières frustrations à chaud tiennent surtout à la production au global : la mise en son, dans un sens technique, ne souffre pas de point faible, mais en première approche ça manque de gras et de saleté, le groupe japonais ayant toujours évolué sur la fine voie de crête entre un son puissant et des sonorités garage authentiques. Ici on est sur du « un peu propre », ce qui est un peu désarçonnant au début. Heureusement en montant un peu les potards, le gras apparaît et resplendit… Même constat côté chant : on a été habitué à un peu plus de crin et de glaire sur les cordes vocales (et pourtant le timbre subtilement éraillé de Asaeda fait généralement bien le job ici). Côté guitare itou : si le niveau de saturation est assez élevé dans l’ensemble, on retrouve quand même pas mal de plans plus aériens qui nous font craindre quelques instants que Mikami ne vise à rapprocher CoM de Sonic Flower (des soli, des passages jamesques… avant le solo de « Come and Get Me Sucker » par exemple, sur le solo trop-clair-pour-être-honnête de « Most Evil » encore, ou sur la courte intro insolemment pop de « Butcher Baker »).

Heureusement il n’en est rien, et très vite ces premiers retours sont contrebalancés par le fait que l’on retrouve bien les composantes jouissives de la musique du groupe. En premier lieu, le son de basse de Mikami, qui porte seul quelques riffs bien sentis parfois, et enrobe d’autres passages de ses jouissifs plans de « basse wah-wah » dont il a le secret, véritable marque de fabrique du combo (voir « Freeway Madness Boogie » où son jeu est omniprésent). Et puis il y a les riffs : en bon élève, le bassiste construit systématiquement ses morceaux sur ces briques solides, et le disque n’en manque pas : « Butcher Baker », « Most Evil »… On ne parlera même pas de la dose de groove, autre pierre angulaire de la musique de CoM, qui amène certains titres moyens à des niveaux de qualité bien supérieurs (le break à la moitié de « Beltway Sniper », le bien nommé « Freeway Madness Boogie » au global…)

Bref, au final Born Under a Mad Sign trouve une bonne place dans la discographie du groupe (qui ne propose toujours aucun album parfait). Quelques titres plus faibles viennent un peu tirer la galette vers le bas (le peu inspiré « Spoiler » avec son clavier inintéressant et sa ligne de chant qui, sans relief, vient dos à dos avec la partition de guitare, ou encore le très cliché « Come and Get me Sucker » – malgré l’intéressant passage de bottleneck sur ce dernier), tandis que d’autres petites perles viennent au contraire directement trouver leur place dans le « best of » du groupe (« Most Evil », « Freeway madness Boogie »…). Finalement du bien bel ouvrage, et la preuve que le groupe n’est pas sur le déclin, loin s’en faut.

Black Rainbows – Superskull

Quinze ans après la sortie de leur premier album, Twilight in the Desert, Black Rainbows n’a rien perdu de sa superbe. Les Italiens unis en 2005 sur l’autel du Stoner poussiéreux et électrique réapparaissent aujourd’hui avec Superskull, une galette complète de douze pistes pleines d’une énergie saturée de fuzz et d’atmosphère désertique.

Tout commence avec « Apocalypse March » où un riff catchy nous livre peu à peu à l’impétuosité d’un groove entrainant. Rythmique entêtante, nuque qui s’échauffe et envie de se jeter à l’arrière d’un pickup lancé à vive allure au milieu d’une plaine aride. En bref, un excellent préambule. Le second morceau « Superhero Dopeproof » s’avère encore plus percutant, dès son riff d’intro on sent que l’on entre dans le vif du sujet. La guitare se révèle plus agressive, plus cinglante, telle la cravache d’un cavalier qui sommerait sa monture de galoper encore plus vite. On accélère donc nous aussi nos mouvements, car la musique s’insinue doucement en nous et que la température monte. Le groove gagnera encore en galbe avec l’explosif « Cosmic Ride Of The Crystal Skull », une bête tailler pour la course et qui du haut de ses quatre minutes respire l’efficacité et l’appel au déchainement. Elle arbore pour sa part un côté Space qui nous éloigne de la tempête désertique pour nous projeter totalement ailleurs.

Nous pouvions jusque-là croire qu’avec cet album on s’ouvrait à une sempiternelle compilation de riffs accrocheurs et finalement rébarbatifs, mais « The Pilgrim Son » nous cueille au dépourvu. Il s’agit certes d’un savant mélange d’énormes sons stoners puissants mais également de voyages acoustiques spatiaux entremêlés de sections psychédéliques hypnotiques. Une piste qui catalyse au mieux l’essence de l’album. Comme le trio nous l’a appris depuis 2007, sa gamme s’avère large même si elle favorise les aspects les plus incisifs. Cette cinquième piste illustre à merveille cet équilibre subtil et comment autant d’éléments mélangés avec brio et méthode peuvent donner un morceau d’une telle qualité.

De manière générale, nous percevons avec Superskull une réelle volonté d’application sur l’écriture et la prod de ses titres, ce qui le propulse d’ores et déjà sur le podium de la discographie du trio. On perçoit les multiples couches qui se superposent, les différents niveaux de lecture avec une attention portée sur les détails. Ce qui rendra chaque nouvelle écoute plus intéressante que la précédente. À la différence de certains groupes aux morceaux accrocheurs, plein de riffs dévastateurs, mais qui finissent tous indéniablement par s’essouffler au bout d’un moment, Superskull se bonifie au fil des passages dans la machine, et dans l’oreille. Les deux premiers titres qui paraissaient de prime abord les plus intéressants sont désormais ceux sur lesquels on s’attarde le moins. On veut à la place s’émerveiller du groove bluesy de « Lone Wolf », se délecter de la balade trippante de « King Snake », ou encore frissonner du mordant de « Desert Sun ». Un nombre conséquent de pistes que l’on finit par louer, tant il est savoureux de sentir à la fois possible de se perdre, sans pour autant jamais s’ennuyer.

Superskull se résume donc au travail acharné de trois gaillards fidèles, qui après quinze ans d’expérimentation et neuf albums studio, effleurent du bout de leurs doigts bénis une forme de perfection. Un album d’une riche diversité musicale sans pour autant sacrifier la substance de base de Black Rainbows. De quoi conforter davantage le groupe dans sa position parmi les leaders du Stoner européen.

Khanate – To Be Cruel

Sans crier gare, Khanate est sorti de sa longue période d’hibernation (14 ans quand même depuis Clean Heands Go Foul) pour lâcher cette nouvelle déflagration sonore dans nos esgourdes (plus ou moins) consentantes. Pourquoi cette reformation ? Comment ? Il semble que le projet ait été en quelque sorte réactivé en 2016, tandis que Wyskida (batterie) et Stephen O’Malley se soient retrouvés associés pour un autre projet musical, et aient été pris d’envie d’écrire de nouveaux titres ensemble.

Avec un disque composé de trois plages d’environ 20 minutes chacune, il ne faut pas longtemps pour comprendre que ces quatorze années n’ont pas fait beaucoup bouger les bases musicales du quatuor – constat confirmé dès la première écoute. Khanate c’est du doom quintessentiel, réduit à sa forme la plus extrême et déviante : une base drone lourde et sombre, sur laquelle surnagent des vocaux gueulards déchirants et malsains. Musicalement, si l’on devait se référer à la discographie de son plus éminent membre, Stephen O’Malley, le groupe se positionne (un peu) entre deux de ses projets musicaux : Burning Witch et Sunn O))). Bref, si l’univers développé par ce type de groupes ne vous convient pas, passez votre chemin.

Quand, au bout de 5 minutes de « Like a Poisonned Dog », après avoir écouté tourner un riff sur trois notes à 4 bpm environ, Alan Dubin s’égosille en hurlant « I feel dead », on se dit qu’on tient le bon bout… Ce cri déchirant (littéralement) et plus largement le champs lexical et la thématique portés par les beuglements de Dubin (globalement on oscille entre désespoir, agression, cynisme froid et imagerie fantasmée glauque… “I’m at an all time low”,  “It’s alright you can look away”, “We’re too far down”, “Cry with me”…) orientent à la fois la tonalité de l’album et sa tendance résolument « pince sans rire » développée par nos quatre joyeux-lurons. Amis de la gaudriole et du riff enjoué, vous allez être à la fête.

Les trois morceaux de l’album développent chacun une musicalité différente. Tandis que “Like a Poisoned Dog” est sans doute le titre le plus froid, sans concession, avec peu de mouvements distincts, proposés de manière répétitive (ad nauseam ?…), “It Wants to Fly” lui propose plus de variations sur la durée (mais moins de riffs) sur sa première moitié au moins, et un chant plus présent, qui embarque l’auditeur dans un délire qui convoque un univers à la David Cronenberg par exemple (et sa vision déviante). “To Be Cruel” pour sa part emmène dans les tréfonds les plus sombres de la galette, sur fond d’un drone tout en ambiances et lenteur, avant de proposer un dernier mouvement plus “ouvert” (ou “moins sombre”, plutôt, relativisons…).

Khanate fait du Khanate : c’est violent, c’est exigeant, c’est dur, c’est âpre – bref ce n’est pas vraiment du doom mélodique. Faut aimer. Si vous avez une aversion pour le drone, To Be Cruel ne vous réconciliera pas avec leur discographie. Il apporte en revanche l’information que le groupe est toujours bien présent, tout aussi inspiré, et prêt à proposer du contenu pertinent, bien dans son époque. Un bon nouvel album de Khanate.

 


Duskwood – The Last Voyage

On avance un peu dans la pénombre avec ce quatuor anglais, auteur jusqu’ici d’une poignée de EP discrets avant cette signature chez Ripple. On engage donc une série d’écoutes de ce disque, et ce qui dénote assez vite c’est l’impression de sérieux qui s’en dégage : quelque chose de solide sur ses bases, son son, son style, son exécution. Au niveau du style, on est sur un stoner assez costaud, avec tous les marqueurs des groupes U.S. (marrant pour des grand-brittons) des deux dernières décennies dans le genre : gros travail mélodique, réel effort apporté aux vocaux, grosse production… Sur cette base, notre attention est captée, et on se dit que s’il y a du fond de jeu, on est partis pour passer un bon moment. Et c’est le cas, car derrière, ça déroule avec une efficacité remarquable, les cartouches défilent sans aucun tir à côté de la cible. Après des dizaines d’écoutes (si si), on a du mal à faire émerger certains titres qui sortent du lot, tant l’ensemble est solide. Pour l’exercice on pourra mettre en exergue le mid tempo introductif « Vagrant » (son refrain catchy et surtout son break median, toute en soli, sobres, mais s’empilant l’un l’autre dans une montée en puissance jouissive), le brutal « She Calls » et sa rythmique en béton (sorte de grosse torgnole de stoner scandinave avec un chant très kyussien), l’épique « Skyriders » (qui enquille les séquences rapides / mid-tempo pour se finir en une bonne baffe), et le final sur le massif « Legacy », un titre de 9 minutes au final étouffant.

Au-delà du mur de grattes qui soutient la baraque au premier plan, le chant de Liam Tinsley fait partie des éléments qui font émerger Duskwood : on pense très souvent au John Garcia post-Kyuss (en terme de tessiture et d’efficacité, sans vraiment que l’on ait affaire à un ersatz), et on apprécie les nombreux passages au chant doublé, dans un travail ciselé remarquable, assez proche de ce que l’on peut trouver chez nos compatriotes de LDDSM notamment (un groupe auquel on pense d’ailleurs parfois en écoutant ce disque, en particulier période Arcane).

Bref, sans crier gare, ce disque que l’on pensait juste passager dans notre liste de lecture y a finalement trouvé une place bien confortable, pour longtemps. Il saura convaincre les amateurs d’un stoner rock puissant mais accessible, qui ne mêle pas forcément « mélodie » avec « légèreté ». De la musique de qualité, quoi.

 


Bongzilla – Dab City

Est-il encore la peine de présenter Bongzilla? Si vous les aviez oubliés, la dernière production de l’an passée à dû vous remettre les pendules à l’heure. 16 ans sans un mot et voilà qu’ils reviennent avec un rythme d’une plaque par an…pardon mais aurais-je entendu “ Un nouvel album par an! ça marche! et hop! C’est prêt!” Mieux qu’au fast food…enfin mieux…pas sûr, voyons cela, fans fragiles s’abstenir.

J’admets qu’il y a des jours avec et des jours sans, je suis faillible et sans doute plus encore que beaucoup. J’ai donc pris mon temps avec ce Dab City, remis maintes fois les compositions dans mon cornet à plus ou moins longue échéance. Force est de constater que pas une fois je n’ai haussé le sourcil. Frappant monomaniaque comme pour une clôture de titre, la batterie ne brille pas par sa présence, elle supporte de bout en bout les notes qui essayent d’être lourdes et enfumées du trio et ça effleure son but vers la fin sur “American Pot”. Mais voilà, pour le reste de la galette, enfumées, les notes le sont sans doute un peu, mais lourdes il faudra repasser.

On contemple l’horloge tourner, attendant que le riff change, perdu dans les brumes de sa pensée on se demande si ce n’est pas une piste que l’on a déjà entendue précédemment comme “Hippie Stick” qui aurait pu figurer parmi les plus mornes pistes du précédent album.

Le plus frustrant dans tout cela c’est que les gonzes insufflent de l’espoir, que ce soit lorsque la batterie réalise une brève descente sur “Cannonbong” où qu’enfin Muleboy reprend le chant sur “King of Weed” et enchaine les accords un peu cools sur “Diamond and Flowers”. A chaque fois le trio tape à côté et on s’ennuie, pire, on en conçoit de l’énervement.

Ami auditeur, passe ton chemin, il n’y a rien de vraiment bon à prendre dans cette chambre enfumée aux odeurs indigentes, ou alors si, la leçon un poil réac’ que te professaient tes parents vis à vis de la marijuana qui rend stérile. Oui la beuh c’est fun tant qu’on ne se force pas à en consommer à outrance juste pour faire plaisir aux potes. En même temps que pouvions nous attendre d’un groupe qui s’est tu pendant 16 ans et qui nous sort d’une année sur l’autre deux plaques? Était-ce pour donner le change à la maison de disques? Espérons que les camarades de HPS auront été plus malins que cela, car la recette a été épuisée par les majors depuis longtemps et on sait qu’il n’en sort jamais rien de bon.

The Great Machine – Funrider

On vous avait déjà prévenu, The Great Machine c’est du genre foutraque. Voilà que les israéliens remettent le couvert propulsés par la relativement discrète maison Noisolution. Avec un bien nommé Funrider qui promet de furieuses embardées sur la route poussiéreuse du stoner, le trio ne s’encombre que d’une reference, “We are The Great Machine and we play rock’n’roll”; rien de moins !

De la poussière et des crissements de pneus rock’n’roll il y en a dans “Hell & Back” qui gueule ce qu’elle peut de riffs foutrement velus qui embarqueront forcément les plus réfractaires comme The Die qui roule plein gazs vers le couchant. Ces deux pistes ont les rythmiques aussi chargées qu’un Motorhead et ne laissent pas l’auditeur en paix, lle propulsant de piste en piste pendant que le chant se fait malsain pour l’occasion du “Day Of Living Dead”, danse pour beatniks zombies. On retrouve cette voix complètement éraillé sur “Funrider” et “Mountain She” oú les riffs saturés de cette dernière s’accompagnent d’une improbable guitare acoustique.

The Great Machine divise ses pistes en deux catégories, celles qui creusent le sillon du stoner original mais sans grande prise de risque (et je ne dis pas là que c’est sans qualité, bien au contraire) et les pistes tannées au soleil brûlant du punk. C’esr dans cette catégorie là qu’on retrouve “Zarathoustra”, “Pocket Knife”, “Fornication Under Consent” et “Notorious” font tout le sel de Funrider, une approche un peu unique dans un monde où trop d’albums consanguins se bousculent. Ces titres éparpillés sur la galette sont autant d’heureux accidents de parcours pour l’auditeur.

Funrider signe une fois de plus la volonté de The Great Machine de ne rien faire comme les autres sans pour autant vouloir faire n’importe quoi. Le groupe sous des dehors de cracker punk structure sa plaque à merveille, ne perd pas l’auditeur dans les méandres de sa folie et ce grâce à la préservation de points d’ ancrages fermes dans le stoner.

 

 

Gozu – Remedy

On était habitués à profiter d’une nouvelle offrande des américains de Gozu tous les deux ou trois ans, peu ou prou, et ces cinq années depuis leur dernère excellente galette, Equilibrium, nous ont paru une éternité. Le groupe n’est pourtant pas resté inactif, mais a dû dans l’intervalle gérer un remplacement de batteur et, accessoirement, le COVID en pleine période d’écriture… Ils nous reviennent donc, pleins de bonnes intentions, avec ce Remedy que l’on s’empresse d’enfourner.

Il ne faut pas longtemps pour retrouver nos repères, on est en terrain familier dès les premières écoutes. Gozu ne se fond toujours pas dans la masse et détonne dans le paysage musical : on a beau le considérer comme un des plus solides groupes de la grande famille du stoner rock US depuis une petite quinzaine d’années (et leur émergence via Small Stone Records à l’époque), ils ont tellement élargi leur spectre musical depuis, maturé, que leur lien avec le stoner classique se fait de plus en plus distant. Mais tant qu’ils sont biens à la maison, on va les garder, un peu comme un petit trésor caché que le grand public n’a pas encore découvert…

A ce titre, si vous ne connaissez pas encore Gozu, Remedy peut être un excellent moyen de “rentrer dedans” : vous y découvrirez un groupe puissant et créatif, qui couvre une amplitude stylistique paradoxalement assez vaste et relativement maîtrisée : on retrouve bien évidemment de nombreuses touches stoner voire doom (“The Handler”, “Ben Gazzara Loves No One”), mais le groupe amène des plans de pur grunge (on pense souvent à Soundgarden, Pearl Jam ou encore Alice In Chains – ce chant en choeurs sur le refrain de “Tom Cruise Control” rappellera les harmonies Staley/Cantrell chez AIC), et plus généralement une touche metal qui apporte une vraie puissance aux compos dans leur ensemble (voir des titres comme le virulent “Rambo 2”, ou par exemple la prod de l’intro de “CLDZ”, qui ne détonnerait pas sur un High On Fire).

Bref, les marqueurs du groupe sont bel et bien toujours là (on ne mentionnera pas leur second degré viral, les amenant encore une fois à proposer des titres de chansons délicieusement cocasses), mais les curseurs sont poussés toujours un peu plus loin à chaque nouveau disque, et celui-ci n’est pas différent : son de guitare(s) puissant (la prod est impeccable), riffs drus (quel bel assortiment sur ce disque, ça pleut de partout, plusieurs par chansons : “Rambo 2”, “CDLZ”, “Ben Gazzara”, “Ash”…) , soli efficaces… et que dire des lignes vocales de Gaffney ? Le colossal frontman du quatuor propose sur Remedy probablement sa prestation la plus aboutie, n’hésitant pas à pousser son chant dans des retranchements aux limites de l’incongru. Même si l’essentiel repose sur son chant puissant, on lève les sourcils plus qu’à son tour sur des passages vraiment audacieux (la ligne ultra mélodique de “Pillow Talk”, les passages vraiment très haut perchés du pont de “The Magnificent Muraco” ou des couplets de “Ash” ou “The Handler”…). Ca passe ou ça casse… et quasiment tout le temps ça passe, à l’image de ces arrangements vocaux surprenants qui apportent une vraie plus-value aux compos (voir son chant en soutien du riff de “Rambo 2” sur l’outro du titre, l’harmonie avec le lick de guitare sur la fin de “Ben Gazzara” avant le solo, ou le chant sirupeux qui amène le contrepoint du refrain de “CLDZ”).

Alors Remedy, meilleur disque de Gozu ? Procéder à un classement de leur discographie, c’est un peu comme classer ses enfants : ça n’a pas de vrai intérêt. Sans choisir, on s’orientera donc vers ce disque si on aime le stoner metal puissant, l’audace et l’esprit frondeur qui peut pousser les compos dans des ornières assez étonnantes… Et surtout, si on aime le RIFF, car cette galette en est remplie jusqu’à la gueule. Un disque riche, profond, qui appelle de nombreuses écoutes, provoquant plaisir, surprises… mais jamais d’ennui. Une démonstration, encore.

 


 

Isaak – Hey

On les avait certes un peu oubliés depuis plusieurs années d’inactivité, mais le groupe génois Isaak n’est pas vraiment un inconnu (retrouvez les chroniques de leurs deux albums précédents dans nos pages). Le quatuor sort aujourd’hui son second disque chez HPS, ce qui est en soi une perspective réjouissante.

L’album est lancé sur une entame un peu roublarde, un gros riff limite indus (des relents lointains du « N.W.O. » de Ministry persistent après écoute…) larvé de bandes audio… Pourquoi pas, pour une intro… Le visage musical de Isaak se dessine plutôt à travers les titres suivants, et très vite un pattern se distingue, la marque de fabrique que l’on connaît déjà chez Isaak n’est pas ébranlée : une véritable machine à torgnoles. Les titres défilent selon la séquence mathématique source des meilleurs albums : 1 titre = 1 riff. Ca cartonne très vite et très fort, et ça ne débande pas de toute la galette (11 titres / 45 minutes, nickel). Gros son de gratte, vocaux costauds et très présents, frappe de grosse mule en fond de rythmique… C’est bien composé, c’est accrocheur, c’est efficace… Vous y voyez quelque chose à redire vous ?

On devient toutefois un peu exigeant avec les groupes qu’on aime bien, et après de nombreuses écoutes, une poignée de titres un peu plus dispensables se dessine : on pense à « Except » (et sa mélodie accrocheuse mais un peu vaine), le bourrin « Rotten » que l’on a du mal à engrammer (un refrain ? un couplet ?), le mid-tempo audacieux « Fake it till you make it » ou « Taste 2.0 » qui manquent aussi d’accroche… Une bonne partie tourne à vide, et n’incite pas à ré-écouter le disque.

Heureusement une poignée de purs brulots émerge de la galette et tirent l’ensemble vers le haut. On notera en particulier le rageur « OBG » (son refrain et son break impeccable menant à un riff n°2 en mode « bonus »), le brillant « Over the Edge » (son jouissif riff basique symptomatique du stoner scandinave et son break/refrain super efficace), « Sleepwalker »…

A l’heure du bilan, on notera donc que si l’album est imparfait (il l’est) et contient une poignée de scories, il propose néanmoins une rasade de gros stoner rock bien épais et bien accrocheur qui devrait séduire le plus grand nombre. En tant que tel, la promesse est séduisante et devrait suffire à une large part d’entre vous, auditeurs. Proposant un album dense et solide (un ensemble de compos finalement très homogène, signe d’une réelle maturité), Isaak apporte un bon nouvel album à son intéressante discographie, mais qui ne sera pas (pour cette fois) son disque de référence.

 


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