MONKEY3 – Part II : Welcome To The Machine (2024)

La formation de Lausanne sort Welcome To The Machine plus de 3 ans après l’incroyable Sphere, notre album de l’année en 2019. Deuxième concept album de la discographie des Suisses, la production 2024 se focalise sur la dualité homme-machines et s’inscrit comme un expérience musicale concise ainsi qu’homogène.

Nous avons choisi de publier en deux volets la longue interview que Boris, guitariste de la formation, a accepté de nous accorder : le premier volet consacré à un regard sur le passé (Lien vers l’interview), et le second, celui-ci, axé sur l’actualité du groupe.

Nous remercions encore Boris de s’être plié au jeu ainsi que de son humanité et de sa générosité !

 

 

Sur le même label, mais avec un nouveau bassiste (le troisième si je sais compter), vous sortez Welcome To The Machine qui est cohérent avec votre discographie et suit très logiquement Sphere, en encore plus bref. Comment avez-vous abordé sa composition ?

Je suis d’accord pour la cohérence.

Il y a eu le Covid, j’ai été arrêté quelques temps parce que je me suis pété le poignet, et il y a eu pas mal de petits contretemps. Ce changement de bassiste, avec Jalil qui est entré à la place de Kevin, nous a incité à aller faire des concerts dès que ça a été possible, pour mieux l’intégrer de manière live. On a pas mal tardé à composer.

On a commencé comme on fait toujours, sans trop se poser de questions, en amenant ensemble des idées, des riffs et des sons, puis en jammant, en avançant. Assez rapidement, on s’est rendu compte qu’il y avait ces idées plus électro qui arrivaient, avec 2 ou 3 petits loops de batterie électronique. On s’est dit « tiens c’est intéressant » et Guillaume [ndlr : dB, claviers] a beaucoup bossé sur ces trucs là, ce qui a amené une variation sur le thème avec une sonorité et une texture différentes.

Petit à petit, au fur et à mesure de l’avancée de l’écriture, comme souvent quand on est ensemble, on parle de politique ou de sujets sociaux (nous avons beaucoup ce genre de discussions entre nous) et on a commencé à aborder différents thèmes, notamment du monde actuel qu’on perçoit.

Alors, il s’agit d’une observation de notre part, un monde de plus en plus contrôlé notamment avec le digital. Je ne suis pas en train de vous faire le Terminator de service, simplement les QR-code, le e-banking, le paiement sans contact, qui ne sont que digitaux, le monde virtuel, les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle… Il y a beaucoup de choses qui se passent… C’est aussi une allégorie de comment les multinationales, et éventuellement la classe dirigeante, s’occupent un peu de nous. Est-ce qu’on est vraiment libre dans tout ça ? La machine c’est pas uniquement la machine, ça va un peu plus loin, d’où la référence à Pink Floyd aussi et au film « 1984 » et d’autres.

Le concept est venu au fur et à mesure que les compos arrivaient, pas comme sur Astra Symmetry.

 

 

Le kit promo cite des influences cinématographiques du rayon science-fiction et « Rackman », le premier single, a un rendu biomécanique très cohérent avec ce que vous déployez depuis vos débuts, excepté Astra Symmetry. Musicalement, quels sont les artistes qui ont influencé cet album à part Pink Floyd ? Ecoutez-vous des groupes encore en activité ?

Oui, par la force des choses déjà, quand on est en tournée, avec tous les groupes avec qui on partage l’affiche. Certains sont des vieux groupes, mais d’autres pas. Il y a aussi des groupes plus jeunes et fatalement on les écoute. Et il y en a des sacrément bons ; ceux qui disent que c’était mieux avant, ce n’est pas vrai ! Peut-être que le mainstream oui, mais le milieu musical est ultra florissant et il y a des groupes incroyablement bons et super inventifs et ça, il ne faut pas l’oublier !

Concernant les groupes récents, récemment dans une autre interview on me demandait quel était pour moi l’album de 2023. En 2023, j’ai été pas mal occupé avec notre album à nous et beaucoup de concerts, donc j’ai écouté moins de musique. Mais à la fin de l’année Mars Red Sky a sorti un super album. C’est un très bon groupe, qui a une singularité et c’est des mecs super cools.

Là, j’ai vu que tout le monde a l’air de tripper à mort sur le groupe français Slift qui vient de sortir un album début 2024. Je n’ai pas encore entendu l’album, mais j’ai entendu un morceau et c’est vachement bien, mais je ne peux pas juger l’album sur un seul morceau, et je n’ai jamais vu en live.

Après oui, je peux te citer les sempiternels Hendrix, Floyd, Sabbath, Led Zep… bien évidemment qu’on est fan des ces groupes, tout le monde le sait ! Et puis, c’est les pionniers du rock, enfin les seconds parce qu’on va mettre Chuck Berry en premier, d’abord !

J’avoue que maintenant dans mes écoutes, j’ai aussi tendance à m’éloigner du rock, j’ai besoin de trouver des inspirations un peu différentes, des trucs qui me sortent de ma zone de confort. Je te dis ça et en même temps, en venant ici, j’ai écouté Superunknown de Soundgarden qui n’est pas leur meilleur album selon moi ; Badmotorfinger est, pour moi, leur meilleur album. Quand il est sorti, j’ai pris une claque absolue…

 

Vous aviez clairement la place de caser un morceau supplémentaire sur cette production d’environ 45 minutes. Qu’est-ce qui vous a amené à ce format ne contenant que 5 titres ?

Au fur et à mesure de l’avancée de la compo, on a vu se dessiner le concept de l’album, cette idée de dualité homme-machine, que l’on a voulu faire passer à travers la musique, étant donné qu’on n’a pas de texte. Il y a des passages complètement électro (des choses qu’on n’avait jamais faites avant), qui se font bouffer à un moment donné par l’analogique, et parfois c’est le contraire. L’un détruit l’autre et inversement et, des fois, ils marchent ensemble. Ça ouvre une porte de réflexion par rapport à tout ça, mais à un moment donné dans nos compos on s’est dit « tiens là on a comme une histoire ; comment va-t-on réussir à mettre en place l’album pour que cette histoire soit racontée de la manière la plus cohérente possible, comme si c’était un seul et grand morceau ? »

Plutôt que réfléchir à la durée, on a donc réfléchi à cet objectif, en fonction du matériel qu’on avait à disposition. On trouvait que ça marchait bien comme ça et que, tout simplement, ça fonctionnait moins bien autrement.

On a testé des choses, on avait potentiellement un morceau supplémentaire, un long, dans la veine du dernier morceau de Sphere, à la « Ellipsis » ou « Je Et Bikkje » si on parle de 39 Laps, un morceau comme ça, très 35007 comme influence…

 

Welcome To The Machine est super cohérent. Son écoute intégrale est sensée. Vous avez défloré en anticipation deux titres : « Rackman » et « Collision ». Pourquoi ces deux titres qui ne sont pas formatés pour une écoute rapide ou en bruit de fond ? Est-ce que ça ne revient pas à proposer le 3ème et le 7ème chapitre d’une histoire qui en comporte 10 ?

C’est une bonne question et je ne sais pas trop quoi répondre.

Il y a un label derrière, et ce label, il paie, il travaille, il connaît le business, il connaît le marché et il prend aussi des décisions. Nous avons la chance de pouvoir facilement dialoguer avec Napalm Records, qui est un label qui a beaucoup de considération pour nous. On est un petit groupe chez eux, nous ne sommes ni Accept ni Alter Bridge, mais ils nous considèrent, ce qui nous fait très plaisir, et ils nous concertent… et ils ont aussi la connaissance. Je te donne un exemple tout bête : à un moment donné, il faut sortir de la vidéo pour promouvoir les préventes. Les préventes c’est ce qui te fait rentrer dans les charts, et si tu rentres dans les charts, tu as plus de pub. On parle là de business pur, qui peut contrebalancer avec une certaine vision de l’underground, mais à un moment-donné c’est comme ça. On pourrait ne pas accepter ce business-là, mais à 50 ans, est-ce qu’on a la force du do it yourself à 100% ? On fait déjà nous-mêmes nos vidéos live ou nos décors par exemple : c’est beaucoup de choses home-made, mais là, sincèrement , on est encore un peu en mode old school, on a besoin d’un label donc on les écoute. C’est une collaboration, d’autant plus qu’ils mettent quand-même du pognon à eux dedans.

A partir de là, il y a quelque chose qui est très simple : quand tu sors un morceau, notamment ce que tu considères être un single parce que tu vas sortir une vidéo et ça va apparaître sur les sites de streaming ou sur Apple Music (où tu peux acheter soit un disque complet, soit des singles), sa durée maximum pour être considéré comme un single c’est 9 minutes 59 secondes. Nos deux seuls morceaux qui sont au-dessous de 10 minutes sont ces deux-là. Voilà, tu as ta réponse.

Donc, en fait, à la base, nous aurions aimé que le premier morceau qui sorte comme présentation du nouvel album soit un autre : celui qu’on a déjà joué en live pendant la tournée de cet automne, « Kali Yuga », le troisième morceau de l’album. On voulait celui-ci parce qu’on l’a joué en live et que cette tournée était un peu une tournée de préparation pour la sortie de l’album.

C’était quand on a fait soi-disant une tournée avec Toundra, mais que Toundra n’était pas là !

 

Mais vous l’avez faite quand même…

Bien sûr, pourquoi on ne l’aurait pas faite ? La difficulté c’était que c’était dans un contexte de co-headline, et il y avait des enjeux financiers. Quand tu es en co-headline, le promoteur vend des billets pour un événement précis. Si cet événement change, il ne peut plus continuer à vendre des billets donc il doit changer le type de produit qu’il vend finalement, ce qui consiste à rembourser des billets et relancer une billetterie.

Toundra nous a planté 2 semaines avant le début de la tournée et le premier réflexe du promoteur aurait pu être de rembourser les billets et de ne plus en parler, ce qui est logique car il ne peut pas savoir ce qui va se passer. Sound Of Liberation avait travaillé dur et n’avait pas envie que ça s’annule ; nous en avons discuté et nous, nous étions aussi favorables à aller sur la route. Du coup ce n’était plus du co-headline, mais du pur headline de Monkey3. Certains promoteurs ont décidé d’annuler, mais heureusement une très petite minorité. D’autres ont maintenu, mais ils ont dû taffer sérieusement en remboursant des billets, rouvrant une billetterie et en se demandant comment ça allait se passer quand ils étaient proches du sold-out. Au final, la majorité des promoteurs ont suivi, Sound Of Liberation a suivi, on a joué et tout s’est super bien passé, la tournée a été fantastique : plein de dates étaient sold out, comme Le Ferrailleur par exemple, et celles qui ne l’étaient pas étaient toutes bien pleines, comme le Z7, qui n’était certes pas complet (le Z7 c’est tout de même 1500 personnes), mais il y avait quand-même du monde et on a fait une putain de soirée. Je ne sais pas pourquoi mais ils nous adorent le Z7, le staff et tout, ils savent qu’on a un public important… C’était notre première fois en headline là-bas, c’était cool, c’était une super soirée.

Et donc pour revenir à ta question du départ, on y a joué ce nouveau morceau, « Kali Yuga », qu’on voulait que Napalm sorte en premier, mais ils nous ont dit que ce n’était pas qu’ils ne voulaient pas, mais qu’il était trop long. C’est à cette occasion nous avons appris que la durée était une limite. Ainsi, ils ont sorti « Ragman » et « Collision » qui nous vont aussi. Si ça n’avait tenu qu’à nous, nous aurions fait un peu autrement. Il y a donc des raisons de business qui s’entendent volontiers et surtout qui ont un sens.

Avec le morceau « Ignition », vous revenez dans un concept avec des phases rapides…

On voulait que le début de ce disque tabasse, enfin on voulait une intro un peu spéciale puis après : le démarrage de la fusée. C’est le cube qui est sur la pochette qui est propulsé dans l’espace et qui va se paumer après. Voilà : boum, ça tabasse d’entrée !

On a cherché un effet sur toute cette première partie qui suit l’intro électro-spatiale avec des bruits d’astronautes de la NASA, que tu prennes un coup de fouet rythmique et « texturel », et que tu sois pris à la gorge, que ça ne te lâche pas et que, quand ça s’arrête finalement, tu n’aies pas trop compris ce qui s’était passé. D’ailleurs, si tu écoutes, il y a beaucoup de choses en peu de temps ; tout est très condensé alors que d’habitude, on prend le temps de développer. Sur ce coup c’est tout « boum, boum, boum », tout serré, compacté, et c’est l’effet qu’on voulait. Ça contraste avec ce qui suit dans le morceau, avec un changement rythmique d’ailleurs, où tout devient super planant et lent, très floydien si on veut. C’était donc l’idée recherchée, que tu “prennes des G”, comme au décollage.

 

En écoutant le premier titre de votre premier album, « Last Gamuzao », puis le dernier de votre dernier, « Collapse », je trouve de nombreux points communs et par conséquent la cohérence artistique est frappante. Comment expliques-tu cette stabilité dans un monde qui a tellement évolué ?

On a quand même évolué je pense… Peut-être que je me suis un peu amélioré avec les années, quand même, enfin j’espère (rires). Et puis, il y a une prise de conscience, et tout ce que nous avons absorbé comme musique en écoutant autre chose.

En revanche, on a quand-même une marque de fabrique, ce truc intrinsèque à chaque groupe qui fait que quand on te demande comment tu le fais, tu ne le sais pas, car c’est inhérent au groupe-même. Le groupe, à part pour le poste de bassiste, est le même depuis le début, donc amène à une stabilité musicale. Après, on a un peu notre touche, notre marque de fabrique.

Mais quand tu écoutes un morceau comme « Collision » par exemple, notre marque de fabrique n’y est plus du tout : nous cassons nos codes en cherchant du côté du trip hop et des trucs comme ça. Il y a cette volonté de temps en temps d’aller chercher autre chose, mais c’est une sorte de sphère avec des variations ; c’est comme un steak de bœuf avec une autre sauce, et des rösti à la place des frites (sourire).

C’est d’autant plus marquant d’un album à l’autre. On a pris le même studio d’enregistrement que celui de Sphere, le même matériel, le même ingé-son, la même équipe à part le bassiste… Il y a donc une affiliation qui est assez logique pour ces deux albums qui se suivent. Dans la pochette aussi il y a des similarités qui sont volontaires : c’est une continuité.

 

Maintenant que tous les titres sont en boîte il va falloir choisir ceux que vous allez performer en live. Le format du disque vous permettrait de décliner l’album dans sa totalité, même en festival. Comment s’effectue la sélection de morceaux pour les shows à venir, avec « Through The Desert » et « Icarus » pour lesquels tu dis ne pas avoir le choix ?

On a toujours le choix et on est en train de bosser dessus. Là où nous commençons à nous poser des questions, c’est que ce nouvel album est vraiment extrêmement cohérent de A à Z, et les morceaux ont plus de sens les uns dans les autres. Ces morceaux, joués dans cet ordre-là, ça a beaucoup plus d’impact que d’extraire certains morceaux. On se pose donc la question de jouer l’album en entier et dans l’ordre sur des dates de headline où tu joues 1 heure et demi, voire deux heures ; c’est tout à fait réalisable. Le mec qui connait vraiment bien le groupe trouvera ça cool comme expérience.

Maintenant, sur des slots de fest, est-ce que ce n’est pas se tirer une balle dans le pied ? Parce que les gens veulent entendre « Icarus »… Dans les fest, il y a toutes sortes de gens, et prendre des gens qui ne sont pas forcément familiers avec ta musique sans un morceau comme « Icarus » c’est un peu comme se poser la question de jouer ou pas avec Maradona dans ton équipe – toutes proportions gardées bien sûr.

A la limite est-ce que « Through The Desert » est important dans le set, est-ce que « Jack » est important dans le set ? On voit très bien que les gens réagissent bien à ce morceau, mais pourquoi ne pas faire autrement ? Sur « Prism » de Sphere on voit aussi qu’il y a de bonnes réactions… Donc difficile de dire si, sur un slot de fest, il ne faudrait pas faire une compile et choisir un seul morceau de Welcome To The Machine, étant donné que « Through The Desert » et « Icarus » c’est 25 minutes, donc il resterait 20 minutes dispo. Une variante serait de prendre « Collision », « Prism » et les deux autres, pour avoir un titre des quatre derniers albums…

Après, à l’époque de la sortie d’Astra Symmetry, on a fait des concerts en ne jouant que cet album, notamment en fest à un Up In Smoke, où tu étais présent. Au final c’était pas le truc le plus concluant non plus, donc on ne sait pas… Mais on a la sensation que cet album est beaucoup plus fort, et pourquoi ne pas aller le défendre comme ça ? Je ne sais pas, c’est du work in progress !

 

 

Pour finir avec une question bateau, en tant que mélomane quels sont les groupes que tu te réjouis de voir aux Deserfest de Berlin et de Londres où vous vous produirez ?

Avant de dire quels groupes nous allons aller voir, il faut préciser que nous serons en tournée à ce moment-là et qu’il faut vous préparer à nous voir sur l’année. Ça commencera fin avril avec des dates en France et ensuite tournée complète avec les festivals d’été, puis une tournée cet automne pour l’Europe.

Je n’ai pas encore regardé ce qu’il y avait sur les deux affiches, et par ailleurs on n’est pas forcément toujours dans le mood « je vais voir des concerts » quand on est en festival, car nous avons aussi des choses à faire, des interviews… Nous aimons avant tout aller à notre stand merchandising, causer avec les gens, être présents pour nos fans car nous existons grâce à eux.

Après à Londres, Suicidal Tendencies c’est obligé, mais il faudra voir quelle période ils jouent car pour moi ça s’arrêterait presque à Join The Army, comme j’ai toujours préféré le trip punk-hardcore au metal ; même si quand Stormtroopers Of Death a sorti Speak English Or Die en 1985, c’est le hardcore qui se métallise, et cet album est bestial ! J’ai toujours la version originale signée par Danny Lilker.

 

 

 


 

 

MARS RED SKY (Nov. 2019)

Après une année bien chargée avec un nouvel album et une grande tournée, nous avons posé quelques questions à Mars Red Sky… Nous devions rencontrer Jimmy, Julien et Mathieu lors de leur escapade parisienne à l’Alhambra en novembre dernier mais leur emploi du temps était trop chargé. C’est donc par Skype que s’est réalisée cette interview…

Vous avez choisi d’enregistrer The task eternal sur vos terres girondines, tout comme le précédent opus Apex III. Pourquoi ?

Jimmy: Mars Red Sky est un groupe qui tourne beaucoup et on a créé ce groupe pour voyager (un peu trop même ces derniers temps !) mais au bout d’un moment, pour pouvoir concilier vie de famille et vie professionnelle, il apparaissait plus pertinent d’enregistrer ce nouvel album près de chez nous, tout simplement.

 

Et pourquoi vous avec choisi plus particulièrement de bosser dans un château médiéval ?

Mathieu: il faut savoir qu’on n’a pas réellement enregistré dans le château mais tout le processus d’écriture et de composition s’est effectivement passé là-bas. Pourquoi avoir choisi ce lieu ? Tout simplement parce qu’on rêvait depuis des années de faire un album de black metal et c’était l’occasion de rester fidèle aux traditions ! (rires) Plus sérieusement, on a eu cette opportunité et on voulait un lieu qui sorte de l’ordinaire, un endroit qui ne soit pas situé en plein centre-ville de Bordeaux mais sans pour autant se retrouver perdu au fin fond des montagnes… On a donc choisi ce château situé non loin de Marmande où l’on pouvait s’isoler tout en restant pas très loin de la maison. C’est par un ami de Jimmy qu’on a eu ce contact et c’est un château qui a été acheté et restauré par deux couples dans les années 70 et ils ont l’habitude d’accueillir des résidences, des stages de jazz, des séminaires de yoga et de méditation, ce genre de choses… On s’est retrouvés là-bas pendant plusieurs jours pour écrire et composer l’album.

Julien: On a surtout utilisé ce lieu pour tester les premières démos, trouver les structures principales des morceaux… On avait pensé un moment enregistrer toutes les parties de batterie de Mathieu là-bas car l’acoustique de la salle s’y prêtait plutôt bien mais la logistique était trop compliquée. Du coup, on s’est rabattu sur le studio Cryogène à Bordeaux dans lequel on avait enregistré l’album précédent.

 

Vous avez choisi de travailler à nouveau avec le producteur Gabriel Zander, qui avait déjà produit l’album Apex III...

Jimmy: Alors je t’arrête tout de suite car c’est faux ! C’est une mauvaise interprétation de la bio qu’on a mis en ligne et qui a été modifiée depuis… En fait, Gabriel a enregistré notre deuxième album, Stranded In Arcadia, au Brésil (suite au fameux incident avec les douanes) et il est venu au studio Cryogène pour Apex III mais pour The Task Eternal, nous n’avons pas travaillé avec lui…

 

 

The Task Eternal sonne parfois de façon très cinématographique, un peu comme la bande originale d’un film de la Hammer ou d’une série B de science-fiction des années 50. Le cinéma a-t-il une influence sur votre musique ?

Jimmy: Non, c’est nous qui avons une influence sur le cinéma ! (rires) Notre cinéma est nourri de notre musique et de nos visuels donc non, le cinéma n’a pas d’influence sur nous mais nous avons une influence sur NOTRE cinéma ! Pour développer un peu plus ma réponse, on a souvent ce genre de question, sans doute à cause de nos visuels assez développés (ce qui est un peu mon domaine de prédilection) mais je dois reconnaître que je n’ai pas une culture cinématographique hyper développée… Simplement, le cinéma d’anticipation nous botte tous les trois et on connaît les grands classiques du genre. Mais pour revenir à notre musique, elle est principalement progressive et assez psyché et donc, par déduction, assez cinématique dans son approche.

Julien: Je ne suis pas non plus un expert en cinéma de science-fiction mais je suis sensible à la musique qu’on peut mettre sur des images…

 

The Task Eternal est salué par la critique depuis sa sortie. Vous lisez toujours ce qui se dit sur vous, que ce soit les médias ou sur les réseaux sociaux ?

Mathieu: Personnellement, j’aime bien acheter les magazines de temps en temps, ça me fait plaisir d’aller au kiosque et découvrir une chronique qui parle de nous ! Mais les réseaux sociaux je suis moins fan car c’est un peu trop fourni pour moi, je préfère un bon vieux magazine, à l’ancienne ! (Jimmy et Julien éclatent de rire de leur côté…). Plus sérieusement, je dis souvent que les critiques ne m’atteignent pas mais quand je vois une critique positive sur l’album ou des commentaires de gens qui nous disent qu’ils nous aiment encore après quatre albums, ça fait forcément plaisir !

Jimmy : Pour cet album, on a eu un bon accueil des médias mais surtout du public. On sent qu’il s’est passé un truc par rapport aux 2 albums précédents. Il faut dire qu’on a commencé avec un premier album très identitaire qui a fédéré et catalysé un truc très fort avec le public et c’est difficile de continuer à plaire mais on s’est rendu compte en tournée que le public nous parlait de cet album, venait vers nous pour nous donner leur avis et ça c’est assez nouveau. Et “Hollow King” et “Crazy Hearth” sont les 2 morceaux qui reviennent le plus souvent dans les conversations.

Mathieu : Il faut dire qu’on joue beaucoup de nouveaux morceaux sur scène, plus que pour n’importe quel autre album à sa sortie…

 

J’ai toujours trouvé que vos chansons prenaient toute leur dimension en live. Quand vous composez, vous avez déjà en tête l’adaptation des chansons en live ?

Mathieu : A titre personnel, pour cet album, j’ai fait particulièrement attention à mes parties de batterie pour qu’elles soient « simples » à jouer en live, c’est-à-dire qu’elles ne soient pas trop exigeantes et qu’il soit possible de se libérer et d’être « au-dessus » de ce qu’on joue. Dans le château, je me disais « allez, tu cales bien ton truc, reste simple, comme ça tu ne le regretteras pas sur scène et tu seras bien content de regarder les copains qui, eux, mettent des notes partout » ! (rires)

Jimmy : C’est pas vrai, je ne mets pas des notes partout, je n’en mets qu’une et c’est toujours la même en plus ! (rires) De mon côté, j’ai surtout pensé à Mat car il galère, il est arrivé tard dans la batterie et son niveau est assez faible donc j’ai surtout pensé à ne pas l’envahir avec des trucs trop complexes pour lui parce qu’après, il a du mal à suivre et il perd ses marques et sa confiance ! Le niveau d’un groupe se mesure à celui de son batteur, ne l’oublions pas ! (rires)

 

 

Vous avez tourné avec des dizaines de groupes. Vous venez récemment de partager la scène avec Kadavar. Ça vous apporte quoi de jouer aux côtés d’autres groupes ?

Jimmy : Du public ! Question suivante ! (rires)

 

Mais non ! Même sans Kadavar, le public serait venu !

Mathieu : Peut-être, mais moins !

 

Le public aurait peut-être été différent aussi…

Jimmy : Pas forcément… Les gens sont venus nous voir car nous étions en deuxième position sur l’affiche et ceux qui nous aiment vraiment paient 5 euros de plus que d’habitude mais ils s’en foutent car maintenant, nos concerts coûtent 15 ou 18 euros à nous aussi ! Non, le plus, c’est qu’on a eu le public de Kadavar ! Par exemple, à Nantes, au lieu de jouer devant 250 personnes, on a joué devant 800 personnes ! Ça fait une grosse différence ! A Bordeaux, dans notre ville, au lieu de jouer devant 150 personnes, ils étaient 450 !

 

Chez Mars Red Sky, le visuel a une importance capitale et vos pochettes sont toutes des œuvres d’art qui vous identifient immédiatement. C’est important pour vous de sortir des albums sous de belles pochettes, comme au bon vieux temps ?

Julien : Absolument, et j’ajouterai qu’on est ravi de notre collaboration avec Carlos Olmo qui a réalisé toutes nos pochettes et qui travaille en étroite collaboration avec Jimmy. Jimmy lui donne les idées directrices et Carlos les met en forme et depuis le premier album, il a développé un truc qu’il essaie de faire évoluer au fil des pochettes qui est assez hallucinant, je trouve…

Jimmy : A la base, on lui avait demandé de s’inspirer de l’infographie des vieilles encyclopédies « Tout l’univers » des années 60. On collabore aussi avec plusieurs autres graphistes pour nos flyers et, de temps en temps, on fait appel à Carlos pour ces flyers aussi et tout récemment, on va bosser ensemble pour une éventuelle future tournée aux États-Unis. J’ai appelé Carlos pour lui dire : « tiens, j’imagine un drive-in avec des guitares à la place des voitures » et lui m’a répondu : « on pourrait tenter un truc post-apocalyptique » et on échange nos idées comme ça… Par exemple, pour la pochette de The Task Eternal, on n’arrivait pas à finaliser la pochette et on y a réfléchi tous les 4 avec Carlos jusqu’à ce qu’on se mette d’accord tous ensemble. On est en parfaite symbiose avec lui.

 

Vous avez énormément tourné en Europe, vous êtes même allé jusqu’aux Etats-Unis et en Amérique du sud. Vous avez des projets à court et moyen terme pour faire évoluer le groupe ?

Jimmy : Faire un peu moins de dates mais essayer de faire plus de festivals et des plateaux comme avec Kadavar et Hällas. En gros, faire moins de dates mais de meilleures dates et continuer à faire des projets spéciaux… On ne révèlera rien pour l’instant mais je pense qu’on refera un EP dans la continuité de Myramid. Ne pas rester dans le cercle « album/tournée/album/tournée » en fait…

Julien : Ça fait plusieurs années qu’on imagine un ciné-concert mais c’est assez difficile à organiser et pour trouver un diffuseur… Mais on ne désespère pas de pouvoir le faire un jour !

 

Vous êtes étiqueté groupe stoner mais cette étiquette est maintenant tellement vaste et comporte tellement de sous-genres qu’on finit par ne plus s’y retrouver ! Mais c’est quoi pur vous, un groupe stoner ?

Jimmy : On va laisser répondre Mathieu, il a une excellente théorie sur le sujet ! (rires)

Mathieu : Pour moi, le stoner, c’est un peu comme du rock seventies auquel on aurait enlevé le côté virtuose, c’est-à-dire qu’il ne reste que les riffs… En fait, c’est un terme assez réducteur et heureusement, il existe des centaines de groupes qui ne se content pas de balancer des riffs et c’est ce que Mars Red Sky essaie de faire : ne pas se cantonner à un genre (même si on a des influences clairement seventies) et essayer de pousser les choses un peu plus loin avec le chant de Julien qui vient contrebalancer le côté lourd de la musique. Et puis on rencontre plein de potes, on a l’impression d’appartenir à une niche, on s’y sent bien et ça permet également aux gens de nous identifier plus facilement…

Julien : Moi l’élément qui me plaît là-dedans c’est le son très marécageux des guitares mais pour moi, la base du stoner c’est Electric Wizard, Sleep, Acid King, Nebula… Des groupes avec un son de guitare très seventies, lancinant et répétitif…

Jimmy : … et surtout contemplatif, un terme qui nous correspond bien je trouve, aussi bien pour Mars Red Sky que pour les projets solos de Julien.

 

 

La musique électro française, à l’image de Daft Punk ou Justice, s’exporte parfaitement à l’international. Alors j’ai une question : est-ce que, comme le disait si bien John Lennon, «le rock français, c’est comme le vin anglais, ça n’existe pas ?» ou alors c’est plus un souci de manque de talents ou de reconnaissance par chez nous?

Mathieu : Je vais te dire une chose : en tournée, une fois par jour, on écoute Daft Punk ! C’est comme ça, c’est une obligation ! Alors au début, je t’avouerai que ça fait un peu mal mais en fait, à la fin, ça fait du bien ! On appelle ça un petit plaisir coupable… Parce que notre ingénieur du son, qu’on appelle « dieu », quand il arrive dans les salles (même dans les salles « à l’ancienne » comme on peut trouver en Allemagne), il vire tout le monde, il s’installe et il balance Daft Punk à fond dans la sono. C’est comme ça qu’il équilibre son installation et nous pendant ce temps-là, on installe le merch et du coup, on danse, on est contents et moi, j’aime bien Daft Punk, voilà ! Pour en revenir à la théorie de Lennon, j’ai longtemps été d’accord avec ça mais de nos jours, il y a quand même des groupes français qui s’exportent plutôt bien et qui n’ont rien à envier aux anglo-saxons…

 

Ils s’exportent mais ils ne marchent pas forcément en France…

Mathieu : C’est pas bien grave, tu sais… Je prends comme exemple Gojira qui est devenu une tête d’affiche internationale mais il y a plein de groupes français qui ont du talent, qui savent se prendre en main et qui font une jolie carrière. Donc je ne crois plus à cette vision qui est une vision du passé !

 

J’ai lu que vous étiez énormément influencés par la musique des années 60, Beatles, Jimi Hendrix, le rock psychédélique, le blues, Led Zeppelin… Qu’est-ce qui vous fait vibrer dans cette période ? Et peut-on espérer un jour un album 100% blues ou un album de reprises d’Hendrix ?

Mathieu : Alors je pense que pour l’album de reprises d’Hendrix, il faudra repasser ! Pour l’album 100% blues, le blues ce n’est pas quelque chose de figé et j’estime que d’une certaine manière, on fait du blues mais d’une façon très contemporaine.

Julien : Tous ces artistes font partie des influences qu’on aime, c’est certain. Il y a sans doute en ce moment une certaine nostalgie d’une époque et des productions de cette époque. Il n’y a qu’à voir le nombre de groupes actuels qui s’en inspirent, qui reprennent ces manières d’enregistrer et de produire leurs disques avec du matériel analogique par exemple. Et quand on regarde ce qui est sorti à l’époque, que ce soit les Beatles ou d’autres choses plus confidentielles, c’est génial de savoir que des spécialistes des sixties arrivent encore à découvrir des disques dont personne n’avait entendu parler, des petites perles, des groupes qui n’ont parfois sorti qu’un seul album qui est un chef-d’œuvre absolu comme Odeyssey And Oracle des Zombies par exemple… Tiens, d’ailleurs, j’ai écouté récemment le groupe Rush pour la première fois et c’est vraiment pas mal ! On sent bien que c’est une des principales influences de Tool…

 

Vous allez bientôt fêter vos 10 ans de carrière. Quand vous avez sorti votre premier opus en 2011, vous pensiez en être là où vous êtes aujourd’hui ? Et vous préparez quelque chose pour fêter ça ?

Jimmy : Cà fait effectivement dix ans qu’on est sur la route et on imagine pour septembre 2020 sortir une édition spéciale du premier album mais rien n’est encore certain. On y réfléchit parce qu’on a aussi pas mal de vidéos et de photos qui pourraient prendre place dans une édition collector, le tout mêlé à du matériel plus récent. On a aussi d’autres projets dans nos cartons comme un songbook mais il faut qu’on finalise tout ça.

 

Quels sont les albums qui vous ont marqué récemment en tant qu’auditeur?

Mathieu : Le dernier Alcest, Spiritual Instinct, est vraiment très bon. Le dernier Brad Mehldau, Finding Gabriel, reste l’un des meilleurs disques de l’année pour moi. J’ai bien aimé également le dernier Skeletonwitch, Devouring Radiant Light, groupe de punk-rock à tendance black. Le dernier Lysistrata est vraiment bon également, ils viennent juste de sortir leur deuxième album.

Jimmy : Moi j’ai découvert le dernier Amon Tobin récemment, il est mortel ! Je l’ai écouté en boucle ces derniers temps et c’est assez surprenant, j’avais lâché la musique électro il y a longtemps mais cet album est extrêmement organique et finalement très psyché. Et j’ajouterai le dernier album de The Great Old Ones, Cosmicism, qui est extra également, un peu dans la veine de Gojira, qui peut être fédérateur dans un style « de niche ». On vient d’ailleurs d’organiser leur concert la semaine dernière et c’était génial. Sans oublier Hällas, qui était avec nous sur le plateau aux côtés de Kadavar.

 

Dernière question: Henri Salvador a dit un jour que « la musique, c’est aussi grand que l’univers, il suffit juste d’oser ». Vous en pensez quoi?

Jimmy : On est d’accord, mais ça ne vaut quand même pas une bonne soirée entre copains en regardant La Soupe Aux Choux ! (rires) Et puis tu peux aussi oser à la Jean-Louis Costes et ça donne tout de suite autre chose !

Julien : On nous a parfois demandé si on pensait engager un autre guitariste mais je pense qu’on n’a pas encore fini d’explorer toutes les possibilités d’un trio. Mais je reconnais que la formule est jolie…

MONOLORD (Oct. 2019)

Monolord est en ce moment en pleine tournée européenne pour promouvoir leur dernier album No Comfort avant une grande tournée américaine prévue pour le mois de novembre. A l’occasion de leur passage à Reims le 4 octobre dernier, Thomas, Mika et Esben ont eu la gentillesse de nous recevoir…

D’abord, bravo pour ce nouvel album No Comfort. Il est très aventureux et très différent du précédent Rust. Vous aviez besoin d’explorer de nouvelles choses?

Thomas: Ce n’était pas notre but premier. Les choses se sont faites naturellement, comme toujours.

 

Rust avait mis la barre très haute en terme de qualité. Vous aviez la pression pour ce nouvel opus?

Mika : On n’a pas pour habitude de se mettre la pression. On a toujours bossé ensemble en étroite collaboration. Esben, Thomas et moi on apporte nos idées que l’on bosse à trois puis on compose tout l’album ensemble. Personne ne travaille dans son coin, on forme une équipe.

 

De mon point de vue, et après plusieurs écoutes, je dirai que No Comfort est un concept-album sur la vie. De la première à la dernière chanson, on suit l’existence d’une personne de la naissance à la mort… Vous en pensez quoi, de ma théorie ?

Mika: C’est une théorie intéressante. Pourquoi pas… De toute façon, je vais te dire : je pense que chaque auditeur va avoir sa propre théorie sur l’album! (rires)

 

Quelle chanson de No Comfort vous préférez jouer sur scène?

Thomas : Depuis le début de la tournée, nous n’avons pour l’instant joué que 3 des 6 morceaux de l’album sur scène (« The Bastard’s Son », « Larvae » et « The Last Leaf »). Les 3 autres seront probablement ajoutées à la playlist en cours de tournée. Nous n’avons évidemment pas de préférence, ce sont nos bébés, ils viennent de naître. Ce serait comme choisir quel gosse tu préfères parmi tes enfants, c’est impossible !

Les premières critiques sont très bonnes. Vous lisez tout ce qui se dit sur vous ?

Mika : Toujours. On est particulièrement attentifs aux critiques des médias. Cela te fait avancer et corriger certaines choses. Par contre, ce qui se dit sur les réseaux sociaux, on y jette un œil mais ce ne sont que des avis personnels, pas toujours constructifs, donc on les lit, bien sûr, mais sans pour autant que cela modifie notre façon de travailler.

 

Vous avez quitté Riding Easy pour Relapse Records. Pourquoi ce choix en particulier? Riding Easy était trop petit pour vos ambitions?

Thomas: On peut dire cela comme çà… Riding Easy a fait un boulot fantastique pour Monolord tout au long de ces années mais ne pouvait malheureusement pas nous apporter tout ce dont on a besoin pour évoluer. Nous avons donc mis fin à notre collaboration d’un commun accord. Avec Relapse Records, tout se passe à merveille et on espère que cela va durer encore longtemps.

 

Vous avez pas mal tourné cet été tout en enregistrant un nouvel album, vous vous lancez dans une nouvelle tournée européenne avant d’arpenter les Etats-Unis en novembre… Dites, vous prenez quoi pour tenir le coup?

Esben: Rien de spécial ! On essaie de dormir un maximum et je dois reconnaître qu’on est un peu crevés en ce moment ! Dès que l’un de nous a une baisse de régime, les autres sont là pour le soutenir. Monolord, c’est avant tout un travail d’équipe.

 

Vous préférez l’intimité et la proximité des petites salles comme ce soir à Reims ou bien jouer dans des festivals comme au Up In Smoke hier?

Mika : Ce sont deux choses complètement différentes. C’est vrai que jouer devant des milliers de personnes en festivals est génial, mais on n’a pas la même proximité avec le public que quand on joue dans des petites salles.

Esben : Je suis d’accord avec Mika. Parfois, jouer devant une poignée de spectateurs permet de voir le visage du public, de ressentir leur chaleur et leur ferveur, ce que tu peux difficilement faire en festival quand le premier spectateur est parfois à 10 ou 15 mètres de la scène. Et je comprends parfaitement pourquoi certains groupes arrêtent de jouer dans des stades ou des grandes salles pour retrouver la chaleur et la proximité des petits clubs !

 

 

Vous avez tourné avec Black Label Society, Conan, Kadavar, Ufomammut… Que vous apporte de partager la scène avec de tels groupes?

Mika : Tu sais, on choisit rarement avec qui on tourne, c’est plus le boulot de notre manager. Mais pour Kadavar par exemple, on les a souvent croisés en festival et à chaque fois qu’on se voyait, on se disait : « Eh, les gars, et si on organisait une tournée ensemble ? ». Et la fois suivante, on se répétait la même chose jusqu’à ce que çà se fasse et c’était génial, ce sont des musiciens extraordinaires et nous sommes vite devenus amis.

Esben : C’était un peu différent pour Black Label Society. Il faut dire que c’est un autre niveau ! C’est une grosse machine à l’américaine avec énormément de matériel et de personnes qui gravitent autour. Mais c’était une belle expérience.

Mika : En novembre, on va tourner avec Blackwater Holylight et je pense que çà va être génial. Et puis, leur dernier album est excellent !

 

Firebreather ouvre pour vous sur presque toutes les dates de cette tournée européenne. C’est important pour vous de chapeauter de jeunes groupes comme eux ?

Esben : Ils ne sont plus tout jeunes, tu sais ! (rires) Blague à part, c’est génial de tourner avec eux et c’est bien de pouvoir emmener avec nous un groupe qui a moins d’expérience que nous de la scène.

 

Thomas, tu as fait une infidélité à Monolord en participant au projet Big Scenic Nowhere. Parle-moi un peu de cette expérience…

Thomas : Bob Balch de Fu Manchu m’a contacté il y a quelques mois pour me parler d’un projet d’EP réunissant de nombreux musiciens et il m’a demandé si je voulais y participer. Évidemment, j’ai tout de suite accepté. Je suis allé en studio pour déposer ma voix sur une bande qui a été envoyée à Bob qui s’est occupé du mixage. Tout simplement.

 

 

J’étais au Freak Valley Festival en juin dernier et j’ai 2 questions : Thomas, pourquoi as-tu cassé ta guitare sur scène, et Mika, c’était quoi cette tenue ?!?!

Mika : Bah quoi, elle n’était pas belle ma tenue ? C’est juste que j’ai trouvé cela très confortable et très adapté à la chaleur ce jour-là (rires) !

Thomas : Concernant la guitare, j’étais un peu en froid depuis plusieurs semaines avec mon fournisseur de guitares qui m’avait fourni un matériel qui ne correspondait pas du tout à ce que je lui avais demandé. Alors plutôt que de me prendre la tête avec lui, j’ai décidé de fracasser la guitare sur scène ce jour-là. Et je lui ai envoyé la photo du cadavre de la gratte avec un petit mot : « prends çà pour une rupture de contrat ! ». Efficace, non ?

Après 4 albums et 6 ans de carrière, que peut-on vous souhaiter pour le futur ? Des idées de projets en solo?

Esben : Dormir ! On veut dormir ! (rires)

Mika : Une grande et belle tournée, suivie d’un nouvel album et d’une nouvelle tournée, et que çà dure encore longtemps !

Thomas : Moi je suis en train de préparer un album solo qui sortira dans le courant de l’année 2020.

 

Génial ! On a hâte d’écouter çà ! Sinon, si vous ne deviez retenir qu’un seul moment de cette année 2019, quel serait-il?

Esben : Ouch, question difficile !…

Mika : Chaque moment de cette année a été mémorable : on a enregistré et sorti No Comfort, on a fait de nombreuses dates au printemps et cet été, on se prépare à tourner aux Etats-Unis… En fait, chaque nouvelle expérience est un moment-clé de notre année.

 

Quels sont vos albums préférés de cette année?

Esben : J’en écoute tellement que je t’avouerai que je ne retiens pas forcément les noms de tous les groupes que j’écoute ! (rires)

Mika : Moi j’ai adoré le dernier album de Tool. Et puis je suis un grand fan de musique country donc j’en ai écouté pas mal aussi cette année…

 

Dernière question: ma fille de 10 ans m’accompagne ce soir pour son premier concert de rock. Que diriez-vous à des parents pour les convaincre de venir voir Monolord en famille?

Esben : Rien de spécial à part qu’il faut le faire ! Venez en famille avec vos gosses, n’ayez pas peur ! On adorerait voir plus de gosses à nos concerts !

 

SUNN O))) (Mars 2019)

Un nouvel album, Life Metal, puissant et redoutable, une tournée venue de nulle part (8 dates en France !)… Côté actu, c’est du costaud. On ne pouvait pas rater l’occasion d’aller discuter avec l’un des leaders de l’hydre à deux-têtes du drone, Sunn O))), Greg Anderson, par ailleurs co-dirigeant du label Southern Lord et guitariste d’une multitude d’autres groupes (parmi lesquels Goatsnake, Thorr’s Hammer, Teeth of Lions Rule the Divine, etc…). Le musicien se révèle un interlocuteur affable et passionné, ce qui nous permet de lever le voile sur ce groupe réputé secret, voire mystique…

 

 

Bonjour Greg, pour commencer, peux-tu nous dire comment se passe cette tournée ?

La tournée a été super jusqu’ici [ndlr : interview réalisée juste avant leur dernier concert de la tournée], le line up est cool, tout va bien. On est en train de se dire après cette série de concerts que ça commence à sonner super… sauf que la tournée s’arrête ce soir ! Hahaha !

 

Comment en êtes-vous arrivés à effectuer huit concerts en France ?!

Stephen O-Malley [ndlr : son partenaire au sein du groupe] vit à Paris comme tu le sais, et depuis quelques années il s’est construit un petit réseau de contacts dans le pays. En parallèle des villes “logiques”, il y avait un réel intérêt de la part de quelques villes plus petites, hors des circuits de tournées traditionnels, où peu de concerts rock sont organisés. En tous les cas, des villes où nous n’avons jamais joué, donc c’est une super opportunité.

 

Vos concerts relèvent autant de l’expérience sonique et physique que du rituel parfois. A ce titre ils mobilisent non seulement un dispositif sonore surdimensionné et un cérémonial spécifique, autant d’éléments qu’il est impossible de reproduire par tout un chacun chez soi. Comment appréhendez-vous ces deux facettes du groupe ?

En fait je pense que si l’on remonte loin dans l’histoire de la musique, les groupes avaient vraiment deux “facettes” : une pour les enregistrements et l’autre pour le live. Ces deux aspects sont très différents, car comme tu l’as dit, on ne peut pas répliquer l’expérience live sur une chaîne Hi-Fi à la maison. Très tôt, on a vu ça comme une opportunité intéressante d’explorer des choses différentes, avec une approche différente. Comme tu l’imagines, pour nos enregistrements nous avons un dispositif différent, et globalement une autre façon d’appréhender la musique du live. Je pense que la plupart de nos albums contiennent des séquences musicales, des thèmes, des idées que nous avons souvent déjà jouées live – et vice versa, nous tentons de jouer live des plans que nous avons posé sur disques.

 

Vous organisez à Paris et Londres des séances d’écoute en avant-première de l’album dans des conditions particulières… Est-ce que vous cherchez à tendre vers une sorte de vision hybride qui rassemble ces deux facettes ?

Ces sessions seront spéciales, et un peu différentes l’une de l’autre, je ne me souviens plus précisément des specs précises de chaque. Évidemment l’idée est de jouer l’album avec un dispositif sonore similaire à celui d’un concert, mais surtout dans une salle qui tente d’isoler de toute distraction. On a déjà eu des initiatives dans ce sens il y a quelques années, par exemple pour Monoliths & Dimensions, où nous avions invité des journalistes à écouter l’album dans un véritable studio d’enregistrement, à New York et aussi en Europe. C’est un bon moyen de digérer l’album, sans sollicitation externe. L’une de ces sessions, je crois que c’est à Londres, proposera un dispositif appelé “pitch black session” et les gens devront porter des masques opaques sur les yeux si j’ai bien compris ! Et on leur mettra à disposition des fauteuils confortables, pour se relaxer, tu vois le genre! Hahaha ! Je trouve ça cool de faire ça !

 

Toi-même, comment recommanderais-tu aux gens, chez eux, d’écouter votre musique ?

Oh tu sais, moi j’écoute beaucoup avec mes petits écouteurs intra-auriculaires ou un casque normal, quand je veux vraiment écouter attentivement. Mais globalement, la meilleure méthode pour moi dépend de ce qui est le plus pratique, tout simplement. J’habite à Los Angeles, donc évidemment j’écoute beaucoup de musique dans ma voiture. Et à la maison j’ai mes enfants, donc écouter ma musique à plein volume n’est pas vraiment recommandé ! Hahaha ! Sans parler des distractions… J’en écoute aussi pas mal au bureau bien sûr, mais pas toujours attentivement car je bosse en même temps. En tous les cas, on ne veut pas être trop dogmatiques et “imposer” aux gens une seule bonne manière d’écouter nos disques. J’ai un peu évolué sur ce sujet [sourire]… J’espère juste que les gens auront l’opportunité de l’écouter chez eux, sans distraction – ce qui pour certains d’entre nous est de plus en plus difficile, il y a tant de sollicitations…

 

 

Est-ce que vous avez néanmoins essayé de vous rapprocher de votre démarche live sur ce disque ?

Pour tout te dire, pour la première fois de toute notre carrière, j’ai le sentiment que le nouvel album, Life Metal, est une meilleure représentation du son du groupe tel qu’il est en live. Il sonne plus vivant, ce qui est peut-être lié au fait que nous l’avons enregistré en configuration live : nous avions installé tous nos amplis, nous étions placés comme nous les sommes sur scène… Nous voulions vraiment capturer cette atmosphère et cette alchimie que l’on peut ressentir entre les musiciens lorsque nous sommes sur scène. Steve Albini [ndlr : chez qui le groupe a enregistré l’album] était un choix parfait pour cela, il maîtrise parfaitement l’enregistrement des groupes et sait retranscrire la façon dont ils sonnent en live. Tous les groupes qu’il a enregistrés sonnent comme si l’on se trouve dans la même salle qu’eux au moment où ils jouent…

 

J’imagine que c’est la raison pour laquelle vous l’avez choisi…

Ouais. On a beaucoup de respect pour lui, pour son travail derrière la console bien sûr, mais aussi pour ses propres groupes, dans lesquels il joue : Big Black, Rapeman, Shellac… Ils font partie de nos groupes préférés. On a été attirés par son approche et pas seulement par sa technique. La plupart de nos derniers albums ont été enregistrés avec les mêmes personnes, ingénieurs du son ou producteurs, en particulier Randall Dunn qui est génial. Mais on voulait changer les choses, explorer… C’est la première fois que l’on travaillait avec lui dans ce contexte. Stephen et moi avons déjà été dans d’autres groupes qui ont enregistré avec lui dans le passé dans les années 90, comme Engine Kid, par exemple : dans les années 90, on avait enregistré chez lui, dans son propre sous-sol, avant qu’il n’installe un vrai studio… Burning Witch, avec Stephen, a aussi enregistré avec Steve Albini, mais je ne faisais pas partie du groupe à ce moment-là. Mais en ce qui concerne Sunn O))), c’est bien la première fois.

 

 

Peux-tu nous expliquer le titre de cet album ? On pourrait le croire issu de la discographie de groupes comme Manowar…

Hahaha, excellent ! En réalité, l’origine du terme “Life Metal” pour nous est à rattachée aux origines du Black Metal, c’est un terme employé pour qualifier tout ce qui ne mériterait pas d’être catégorisé comme “black metal”. La première fois que j’en ai entendu parler était plus cocasse : on était à une fête, et Nicke Andersson, qui a joué au sein de Entombed ou Nihilist, me racontait que dans les années 90, alors qu’Entombed venait de signer avec la major Columbia, ils recevaient des menaces de mort ou des appels téléphoniques anonymes de la part d’anciennes connaissances de la scène black metal, qui lui disaient qu’il ne pouvait plus se réclamer du black metal désormais, et qu’il était devenu du “life metal” ! Hahaha ! On trouvait que c’était le truc le plus ridicule et en même temps le plus drôle du monde… Au sein de Sunn O))) c’est donc devenu avec les années une sorte de private joke : dès lors que quelque chose de positif arrivait à l’un d’entre nous, ça devenait du “Life Metal”, pour tout et n’importe quoi, genre : “félicitations”, “bravo pour ton régime”, “tu t’es bien remis de ta maladie”, ou “super ta nouvelle guitare” ! Hahaha ! Donc c’est devenu synonyme pour nous de quelque chose de positif dans la vie de quelqu’un. Quant au fait d’utiliser ce terme pour l’album, quand Stephen et moi nous sommes retrouvés pour écrire ce disque, au début de 2018, il est arrivé de Paris et on a joué pour voir un petit peu les idées qui pouvaient en sortir, vers quel type de musique l’album tendrait… Et très vite j’ai trouvé que la musique qui en sortait relevait d’un ton différent, quelque chose de plus “joyeux” qu’à l’habitude. Les aspects les plus sombres semblaient moins présents, j’avais au contraire un ressenti de quelque chose de très lumineux, presque aveuglant. On a aussi fait des choix différents en termes de tonalité, on a essayé des amplis différents ici ou là, on tentait des sons moins lourds…

 

Vous le sentiez dès les premières étapes de la pré-production ?

Absolument, pendant la préparation. De même on a essayé pas mal de pédales d’effets… On est devenus quasiment obsédés par la tonalité qu’on cherchait. Et on a amené un peu de cette approche dans le cadre de l’enregistrement. Bien évidemment on est arrivés avec nos démos et ce qu’on avait déjà écrit sous le bras, mais en plus on a amené quelques pédales d’effets, quelques vieux amplis Fender… On voulait vraiment apporter une texture ou une couleur différente au son de cet album. Et donc, pour revenir à ta question, on a commencé l’enregistrement sans avoir vraiment de titre en tête pour l’album, et ce n’est qu’à peu près au milieu de l’enregistrement, tandis que l’ambiance et tout ce qui se dégageait de l’album apparaissait déjà comme bien différent de ce que nous avions connu, Stephen a émis l’idée de l’appeler “Life Metal”. J’ai trouvé l’idée super car je pense que si l’album a pris cette tournure c’est aussi parce que pas mal de choses très positives nous sont arrivées à Stephen et moi-même. Si tu compares par rapport à ce qui émanait de “Black One” par exemple, ou une bonne part de “Monoliths & Dimensions”, nos vies ont changé depuis. J’ai eu des enfants, ça m’a apporté un point de vue différent sur les choses, et Stephen aussi est heureux, sa vie à Paris le comble, tout comme sa foisonnante carrière solo, sa vie privée… On voulait donc un titre qui retranscrivait au mieux cette tendance – et ce fut donc logiquement “Life Metal”.

 

 

L’artwork que vous avez choisi retranscrit aussi cette tendance plus “positive”… C’est pour cette raison que vous l’avez choisi ?

Oui, la peinture aussi ! Si tu y réfléchis, Sunn O))) n’a jamais eu recours à beaucoup de couleurs pour ses pochettes d’album ! Haha. Beaucoup de noir, de gris, de blanc… Un jour Stephen m’a montré quelques peintures par cette peintre [ndlr : Samantha Keely Smith] et j’ai été immédiatement épaté, j’ai trouvé son travail incroyable. Et comme tu le dis, je trouve que ça complète parfaitement la musique, c’est très coloré, et surtout très puissant.

 

Cette orientation vers une musique moins “obscure” n’est pas forcément ce que l’on imaginait de prime abord de la part de Sunn O)))… Votre approche a-t-elle évolué avec les années ?

Pas fondamentalement, non. Tu sais, en y réfléchissant, notre objectif peut se résumer à explorer toutes les voies menant à une musique lourde et puissante. Et la manière la plus habituelle, la manière que nous avons apprise et avec laquelle nous avons commencé, mais aussi celle qui est pratiquée par la plupart des groupes, est cette approche qui vise à matraquer un son le plus lourd et sombre possible. Ne te méprends pas, j’adore cette sorte de musique, mais je trouve aussi qu’en tant que musicien c’est intéressant d’essayer de trouver d’autres moyens d’être puissant et lourd. Je pense que c’est toujours un peu ce que je cherche à faire dans ma carrière, et ce disque en est encore une illustration plus poussée. Je pense qu’avec Sunn O))), nous avons toujours eu pour objectif que chaque album soit différent de ce que nous avions déjà fait auparavant. Parfois les différences sont très subtiles et les gens ne les distinguent presque pas, ils nous disent “j’ai l’impression que ça sonne toujours pareil” ! Hahaha ! Mais pour nous, qui en sommes à l’origine, ça rend les choses particulièrement intéressantes, et ça nous motive et nous inspire pour continuer à composer et enregistrer. A mon avis, Sunn O))) ne pourrait pas fonctionner si nous faisions toujours le même album et que nous travaillions avec toujours les mêmes personnes. Il y a des groupes, dont certains que j’adore d’ailleurs, qui fonctionnent comme cela, mais Sunn O))) n’est pas câblé comme ça, clairement…

 

 

Cette fois encore vous avez accueilli sur ce disque une poignée de musiciens différents, qui ont apporté leur contribution au disque. Dans quelle mesure ces invités peuvent-ils influer sur l’album ? Est-ce que la plupart du disque est déjà écrite lorsqu’ils interviennent ?

Nous laissons tout assez ouvert, en fait. Nous pensons que c’est plus intéressant et plus… “accueillant” pour les musiciens que nous invitons. Je te racontais tout à l’heure comment nous avions travaillé avec Stephen à la pré-production de l’album. Nous avions juste quelques idées, quelques riffs, parfois même uniquement des concepts, en tout cas guère plus qu’une sorte de squelette. Et bien tout ça est volontaire, car au moment d’entrer en studio, nous voulons laisser le plus de place libre à l’interprétation et à la construction. Par ailleurs je pense que ça enlève toute pression que l’on pourrait avoir, ça participe à créer une atmosphère confortable et relaxante, propice à la créativité. On ne dit jamais “ça doit être comme ça, il faut le faire comme-ci, et le résultat final sonnera comme cela”. On arrive donc uniquement avec en quelque sorte une vision “incomplète” de la musique, jusque quelques idées. Cela donne aux musiciens et aux différents contributeurs une grande liberté. Je pense que ça les rend confortables. Tu sais, nous les invitons, ils sont dans la même salle que nous, nous les respectons et nous adorons leur musique, donc forcément nous essayons de les encourager à faire leur “truc” à eux, apporter leur touche… Et c’est d’ailleurs assez intéressant de voir ce qui peut se passer à ces occasions : il y a ceux qui repoussent les limites, ceux qui contournent, ceux qui sont décalés… et dans tous les cas ça aboutit forcément à quelque chose de différent de ce à quoi nous aurions pu penser, ce qui rend les choses plus intéressantes. L’élément de surprise est un peu ce que nous cherchons. Je pense que c’est ce qui rend notre son si spécial et différent. Nous avons tous été dans des groupes qui sont plus structurés, qui laissent peu de place à l’interprétation ou à la prise d’initiative. La plupart du temps c’est très bien ainsi, et crois-moi, je compte bien continuer à jouer aussi dans des groupes comme ça ! Mais Sunn O))) ne fonctionne pas ainsi. Il faut que l’on mette de côté toutes les règles un peu trop rigides pour permettre à quelque chose de différent de se produire, quelque chose de beau et merveilleux souvent.

 

Pour autant la musique de Sunn O))) n’est pas vraiment “passe-partout” ; avez-vous parfois tenté des collaborations qui n’ont aps fonctionné, ou essuyé des refus de musiciens ?

Mmmh, bonne question… [il réfléchit] Je crois me souvenir que l’on a déjà proposé à des musiciens de contribuer à nos disques, ou alors juste fait part d’un certain intérêt, mais sans que ça ne se concrétise vraiment, pour des raisons différentes ; généralement la personne n’est juste pas intéressée ou n’a pas de temps à y consacrer… mais ce dont je suis sûr c’est qu’on n’a jamais été jusqu’à enregistrer en studio avec quelqu’un jusqu’à aboutir à un constat d’échec. Dans la plupart des cas, les musiciens que nous contactons nous comprennent, ils connaissent le groupe, notre approche et savent ce que nous essayons de proposer. Ils n’y sont jamais complètement étrangers. Ce n’est pas comme si nous étions susceptibles de le proposer à des musiciens comme Slash, ou Steve Vai, ou… Je respecte complètement ces artistes, mais ça ne fonctionnerait jamais ! Nous privilégions des musiciens autour desquels nous gravitons, ou qui gravitent autour de nous, il y a ce respect mutuel qui fait que les choses sont a priori plus susceptibles de fonctionner…

 

Peux-tu en particulier présenter à nos lecteurs l’une des invitées prépondérantes sur ce disque, Hildur Guðnadóttir ?

Et bien, nous la connaissions un peu : nous avions déjà joué avec elle sur scène, et Stephen a déjà enregistré avec elle dans le cadre de différents projets. Elle avait aussi assuré la première partie de certains de nos concerts dans le cadre de son travail en solo. Je trouve qu’en tant que musicien – et en tant que personne aussi – elle est extraordinaire. Du coup quand Stephen a suggéré son nom pour participer à l’album, j’ai trouvé l’idée excellente. Et je vais être franc : c’est un sujet que nous abordons peu, mais je trouve ça particulièrement intéressant de travailler avec une femme ! Cette scène musicale est quand même largement dominée par les hommes, et ça aboutit fatalement à un son très… “masculin” ! Hahaha. Or si l’on se penche sur son travail solo, ça apparaît plus léger et subtil que ce que l’on est habitués à entendre, et pourtant je trouve ça très puissant à sa manière. Mais tu sais, son propre public est lui aussi très masculin… Je trouve ça d’autant plus intéressant. On a déjà travaillé avec d’autres musiciennes auparavant, je pense notamment à Jesse Sykes, Wata de Boris, ou encore Jessica Kenney sur Monoliths & Dimensions… Mais on a tous les deux pensé que ça serait intéressant de l’inviter – pour sa musique et aussi sa voix, puisqu’elle chante aussi sur le disque. Il faut dire que nos derniers albums proposaient quelque chose de différent en terme de vocaux, avec notamment Attila, qui est un incroyable chanteur. Mais étant donné que nous souhaitions changer beaucoup de choses avec ce disque, il nous semblait aussi important de changer la façon d’aborder le chant. Et pour toutes ces raisons, travailler avec elle était super.

 

 

Vous avez enregistré un second album durant les séances de Life Metal, que vous avez déjà appelé Pyroclasts, et qui sortira plus tard cette année. Est-ce qu’il s’agit de chutes studio ?

Et bien c’est quelque chose d’assez intéressant : comme je te disais, quand on est rentrés en studio, on avait une bonne vision de ce que serait Life Metal, à savoir quatre sections musicales bien définies. Durant l’enregistrement, on logeait dans des appartements dans le même bâtiment que le studio, et après un café on allait travailler au studio. On a décidé de mettre en place une sorte d’exercice matinal tous les jours, durant lequel tous les musiciens présents jouaient librement, en choisissant à peu près la même tonalité / la même gamme. Par exemple on démarrait en Ré, et on faisait une séance “on joue tout en Ré aujourd’hui”. Et on s’était fixé comme cadre de faire du drone en Ré pendant une durée très précise – je crois que c’était 12 minutes ou quelque chose comme ça – et Steve Albini enregistrait ça, tout comme le reste de nos séances. On a trouvé que c’était une super manière de commencer la journée, pour nous dépoussiérer un peu de ce qu’on avait fait la veille, se réveiller progressivement et se mettre en condition d’enregistrer et travailler chaque jour. On a essayé de faire ça quasiment tous les matins, et parfois on le faisait aussi le soir, dans l’ambiance de la nuit. Sans aucune pression, c’était un sentiment très agréable que de jouer librement comme ça. De très belles choses ont été produites à cette occasion, de la part de plusieurs musiciens, ensemble ou séparément. On a enregistré 11 séquences je crois, et au moment où l’enregistrement de l’album a été terminé et qu’il a été prêt à être mixé, autant on était très satisfaits de ces quatre morceaux et prêts à passer à la suite pour finaliser l’album, autant on aimait aussi beaucoup ces séquences de drone un peu atypiques qu’on avait enregistrées en parallèle. On a donc décidé de sélectionner une partie de ces sessions pour créer l’équivalent d’un LP de musique, dans l’objectif de le sortir séparément, comme une sorte de compagnon à l’album. En revanche, on a vite abandonné l’idée de tout sortir en même temps, ça aurait fait une sorte de triple LP : je pense qu’on ne peut décemment pas demander à quiconque d’écouter un tel ensemble en une seule fois, Hahaha ! Je sais que nos fans die-hards vont adorer ça, enfin je le pense, ça nous semblait être une sortie cool en tant que telle, séparée de Life Metal ; l’enregistrement a sa propre identité, son ambiance bien particulière, donc il valait mieux les distinguer. Ca sortira avant la fin de l’année, et tu verras, je trouve ça très beau, c’est hypnotique et très relaxant. Quand je veux une musique relaxante, je prends un disque de Miles Davis, comme In a Silent Way, ou quelque chose dans le genre, et je pense que ça se rapproche de cette ambiance. Je pense que les gens vont aimer – je l’espère !

 

Pour finir, peux-tu nous dire quels sont les projets de Sunn O))) pour les mois à venir ?

Et bien on a un planning assez rempli cette année en fait ! Autant l’an dernier on a joué à peine deux concerts, seulement aux U.S.A. (et encore c’était uniquement Stephen et moi-même), ce qui était volontaire car nous voulions vraiment nous concentrer sur le nouvel album. Du coup on compte bien jouer live beaucoup plus cette année. On a évidemment commencé par cette petite tournée européenne, et on continue d’ici un mois par une paire de semaines aux USA. Ensuite on reviendra en Europe cet été pour deux concerts à Berlin et un à Amsterdam, des festivals, puis plus tard encore en octobre. Et puis il y aura quelques dates aux USA dans l’intervalle. On va essayer de se dédier un maximum de temps pour jouer sur scène, même si on a tous des agendas compliqués, mais en tout cas on est motivés !

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