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Si vous changez quelques lettres à Seattle, ça fait Toulouse.
Les têtes pensantes de Sub Pop devaient savoir que le trio à la chevelure lisse né en 2016 au fil de la Garonne ferait honneur à l’histoire de ce label précurseur des premières heures du mouvement grunge. Point de chemise à carreaux et de power chord dépressif pourtant chez le trio toulousain, mais une envie furieuse de repousser ses limites et de s’affranchir des codes du/des genre(s) dans lesquels il évolue. En cela, Slift s’inscrit pleinement dans la ligne directrice du label.
C’est donc sous l’égide du mastodonte américain que le trio sort son nouvel album, Ilion. Succédant au non moins immense Ummon (je passe volontairement sur le 2 titres précédent), le nouvel opus soutient-il la comparaison avec son grand frère ? Transcende t-il les frontières des genres ? S’affranchit-il des balises et autres jalons stylistiques posés consciencieusement par l’album-révélation le précédant ? Afin de ménager le suspens et de pousser un peu plus le curseur de l’envie, je vais écrire juste ci-dessous trois petits points qui ne manqueront pas de susciter votre curiosité.
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Ce qui marque d’emblée chez Ilion, c’est sa propension à repousser, à repenser la notion de mur de son. Tout y est plus vaste, plus grand, plus fort. C’est l’immensité de l’espace qui sert de scène au trio et toutes ses idées se retrouvent catapultées vers l’infini et au-delà, boostées par mille trouvailles de production, comme autant de moteurs Raptor collés au cul de la fusée Slift.
La première et géniale idée est d’avoir mis plus en avant la basse de Rémi Fossat. Le gonze déploie des merveilles de lignes, soulignant la fureur quand elles le doivent mais surtout transcendant des parties chant quelques fois en deçà du reste. Pour le coup une écoute de « The words that have never been heard » vous convaincra sans problème du haut degré de talent du bonhomme.
Le travail de composition fait montre d’une précision plus ciselée que de la ciboule chez Thierry Marx. Certes, il faut avoir une appétence pour le progressif mais les titres fleuves déployés ici ne souffrent que très rarement d’ennui ou de redite. Allez, on va dire que « Ilion » et « Nimh » semblent calqués sur le même schéma, ce qui ressort d’autant plus que les titres se suivent. Mais le reste est une pépita d’écriture atteignant son apogée avec des morceaux tel que « Confluence ». Le groupe manœuvre son vaisseau amiral avec une aisance insolente entre jam solaire et riffs Crimsonien en diable.
Canek Flores, le batteur, mérite à ce titre son petit chapelet de louanges. En délaissant les rythmes répétitifs du Kraut très présent sur Ummon, en s’octroyant des espaces de libertés plus conséquent, il permet à la musique de Slift de prendre une dimension bien plus large et psychédélique qu’auparavant. C’est plus ouvert, plus technique, l’écrin rythmique plus solide est une formidable rampe de lancement pour la guitare supraluminique de Jean Fossat.
Ce dernier continue son travail de recherche et d’expérimentation tous azimuts avec sa six cordes et ses claviers. On le savait capable d’atteindre des sommets de notes liquides ou poisseuses comme le pétrole, voilà qu’il nous prouve qu’il est capable d’écrire du rock poussiéreux et dépressif, « Uruk » ne manquant pas de rendre hommage à quelques illustres pensionnaires de la maison Sub Pop.
Le chant mériterait peut-être un peu plus de considération dans la production de Ilion, l’album. Tout y est tellement massif que la voix, traitée elle aussi de cette manière, se retrouve cantonnée au rôle de couche supplémentaire. En résulte une lassitude légère, tant on aimerait parfois que cet instrument nous parle plus directement, avec moins d’artifices et de subterfuges. J’en veux pour preuve « The story that has never been told » où la voix narre enfin et se pare de beaux atours mélodiques. Après, je suis vieux, je fatigue plus facilement… Allez savoir où se situe la frontière ?
De frontière justement, il n’en est pas question sur le nouvel opus de Slift. On traverse des paysages sonores, on y rencontre des personnages étranges, on se questionne sur l’immensité de la solitude, sur sa beauté aussi. On est happé par leur volonté de grandir, de changer, d’évoluer. De ne jamais s’endormir sur ses acquis. Le trio tente de nous faire comprendre que le voyage est plus important que la destination. Car tel est le propos de Ilion. Un grand album, dense, riche, difficile d’accès parfois mais par combien malin et surprenant. Un véritable tour de force qui place Slift parmi les très grands de la scène actuelle.

Bismut est un trio hollandais dans la catégorie basse/batterie au service d’un guitariste omniprésent. Du coup, qu’est ce qui distingue ce groupe des autres dans un milieu hyper saturé ?
Bien difficile de trouver les arguments sauf à vous dire que vous devez absolument leur donner une chance car les ignorer c’est risquer de passer à côté d’un groupe que vous pourriez adorer.
Bref, sur le papier, pas grand-chose de différent avec la pléthore de trios du genre. La section basse/batterie est impeccable et fait le boulot. Pas trop mis en avant, le bassiste et batteur n’en sont pas moins très solides et si on se concentre sur l’un ou l’autre, on découvre même de jolies lignes de basse par-ci par-là et quelques envolées de batterie franchement sympathiques.
Mais bien sûr, le grand attrait du groupe c’est son guitariste. Le bougre est fichtrement talentueux et régalera certainement les plus exigeants des auditeurs amateurs de ce style de performance.
Mais à part cela, vous me direz… Car là encore, je coche ce que valident déjà pas mal de combos.
Et là c’est bien plus subjectif. Les compos sont excellentes. Nik Linders car c’est son nom, multiplie les riffs, enchaîne les variations et si vous aimez quand c’est copieux, vous allez être servis. C’est très difficile d’expliquer pourquoi un riff vous touche, pourquoi cet enchaînement de notes plus ou moins court vous fait frétiller les oreilles et inconsciemment bouger la tête. Et là, c’est le cas pour moi. Chacun des 5 titres contient ces petites merveilles, ces petits riffs qui vous vrillent le cerveau illico. Et je suis très sérieux en plaçant certains d’entre eux parmi les plus efficaces que j’ai entendus depuis bien longtemps.
Ne vous inquiétez pas, la machine à riff est tout aussi capable de vous balancer des solos d’une dinguerie stratosphérique et qui viennent compléter le tout majestueusement.
Finalement, Ausdauer est un album à mettre dans le haut du panier. Objectivement aucun défaut et tout pour plaire.
Alors oui, certains iront jeter une oreille et se diront que cette chronique est trop dithyrambique. C’est le côté subjectif. Mais d’autres se diront, ah oui, quand même, c’est méchamment bon ce truc. Et ils seront nombreux.
Ensuite, que vous soyez dans la première ou seconde catégorie, n’oubliez pas une chose, ce genre de groupes, c’est en live que ça prend tout son sens. Si vous voyez leur nom en festival, allez les voir, je vous assure que vous serez comblés et je parle en connaissance de cause.

Trois italiens à la touche cuir et lunettes de soleil, tout droit sortis du bourbier de 2020-2021 souhaite encore faire entendre sa hargne et purger les derniers relents de pandémie dans une troisième galette soutenue par l’omniprésente boite de prod Heavy Psych Sounds. La chose s’appelle Megamouth, tout un programme qui avec un patronyme pachydermique si usé qu’il peut faire craindre le pire comme le meilleur. N’écoutant que notre devoir, nous avons saisi l’objet du bout des doigts sans nous pincer le nez et avons approché une oreille attentive.
Moins subtil que Orange Gobelins, un rien plus délicat que Motorhead voilà en quelques titres voici comment The Clamps pose son œuvre. Le trio se la joue bas du front, pieds dedans. Ne s’encombrant pas de fanfreluches les italiens vont directement à l’essentiel et devraient vous faire hocher la tête et peut-être même un peu bouger les pieds. On retrouve dans ses compositions une guitare à toutes berzingues et une basse roulant et ronflant tant qu’elle peut derrière une batterie qui elle, joue vite, simple et efficace sur base de caisse claire et de cymbale crash.
Une voix crasseuse qui pue la clope et le whisky bon marché, Il y a des moments où on se croirait chez les Australiens de Mammoth Mammoth. La production est dans le même esprit et mise tout sur le très gros son, mais quoi d’étonnant quand on sait que le groupe est signé chez HPS qui aime l’efficacité et s’adonne assez peu à l’originalité pur jus.
Je dis que l’album parait bas du front et ne s’encombre d’aucune subtilité mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt (entendez par là: A la première écoute). une écoute plus attentive et le son sur 11 sera nécessaire pour permettre à l’auditeur de découvrir ici et là quelques anecdotes musicales assez réjouissantes. Qu’il s’agisse de l’éphémère guitare rock country Sur “Forty-Nine” (Qui, non n’est pas une reprise de Karma To Burn), des sautillants patterns de batterie sur la dernière piste “Slippin’ Away”, de la musique qui démarre au rythme effréné du moteur de dragster de “Bill Jenkins’”, de l’intro Fu Manchuesque de “CuboMedusa” ou encore du classicisme des riffs de basse sur “Bombs” on trouvera ici et là toujours quelque chose d’intéressant où s’arrêter.
Megamouth n’est pas un album aussi basique qu’il semblerait, il est en inox et pourra être resservi, poncé, essoré un nombre de fois certain avant que vous en veniez réellement à bout. The Clamps signe ici un album à servir en toute occasion, que ce soit pour un apéro sur le pouce avant de partir en bamboche où pour animer une longue conférence sur les postiches. Soyez malins, il paraît que l’hiver sera rude et si jamais faute de moyens vous vous retrouvez en panne d’électricité, posez simplement la galette Megamouth sur votre platine, il se pourrait bien que vous vous retrouviez avec un groupe électrogène à peu de frais.

Volume est un groupe stoner fuzzé californien, contemporain des Fu Manchu et autres combos fuzzés évoluant entre acid rock et space rock, à une époque et dans une région où vagues épiques et volutes hypnotiques se mêlaient généreusement. En réalité quasi one-man band, Volume n’a en réalité jamais émergé comme un grand groupe, ni même un groupe culte, et son frontman Patrick Brink (qui fut un temps vocaliste volatile pour Fu Manchu – dont le batteur Scott Reeder officie ici derrière les fûts… vous suivez ?) n’a jamais rebondi dans sa carrière musicale.
Ce Requesting Permission to Land, décrit comme un EP (5 titres pour 33 minutes, certains ne s’embarasseraient pas pour considérer cela comme un LP…) est le (vieux) fruit d’un groupe décédé depuis longtemps, le disque étant originellement sorti il y a plus de vingt ans sur un obscur label australien, uniquement en CD. C’est à l’occasion d’un vingtième anniversaire (que – soyons honnête – personne n’attendait vraiment) que Volume voit l’occasion de ressortir ce disque en vinyle, s’appuyant sur rien moins que… cinq labels complémentaires !
Les premières écoutes transmettent avant tout cette sensation de musique un peu surannée : même si le culte Jack Endino s’est chargé du re-mastering, les bandes sonnent comme des vieilles démos, et le son ne prend jamais l’ampleur qu’il mérite. Ça manque de puissance, c’est noyé dans une fuzz un peu sale et lointaine et ça sonne comme si ça avait été enregistré dans la cabine de douche d’une hôtel Formule 1. Dommage.
Musicalement, on comprend aussi un peu pourquoi le groupe n’a jamais vraiment émergé après ça : il y a beaucoup d’excellentes choses sur ces cinq titres, en particulier une poignée de riffs vraiment sympas (très Fu Manchu-esques) et cette énergie punkoïde des premiers groupes du label SST, vraiment fraîche et enthousiasmante. Malheureusement les compos manquent de clarté, et partent trop souvent en vrille, au gré d’un break capillotracté ou d’un “morceau dans le morceau” (voir “Habit”), sorte de poupée russe musicale qui détache l’auditeur plus qu’il ne maintient son intérêt. Ne parlons pas de ces dilutions un peu factices, notamment sous forme d’arrangements parfois un peu grotesques (cf. les délires bruitistes du beaucoup trop long “Headswim”), qui n’ont comme résultat que d’éloigner le groupe de cette tendance des groupes sus-mentionnés à produire des compos simples, efficaces et directes.
Requesting Permission to Land est un témoignage sympathique d’une période bien précise et d’un bassin musical très ciblé (le sud de Los Angeles). Musicalement, Volume était un groupe intéressant, porteur d’innombrables bonnes idées, mais qui aurait eu utilité à travailler son propos dans le temps, développer son style, maturer… Chose qu’il n’a jamais eu le temps de faire.

Le trio italien a beau faire ce qu’il peut, dans les esprits il est toujours un peu engoncé dans son concept légèrement infantile (Humulus = Houblon), dont il aura toujours du mal à se dépêtrer, nonobstant l’ambition musicale qu’il a commencé à dessiner avec son album précédent. Revenus au bercail (Go Down records) pour leur ici-présent troisième long format, le groupe y intronise aussi Thomas Masheroni, rien moins que son troisième guitariste/chanteur ; un par album ! Pas un détail quand même, de voir un line-up tenir la distance porté par sa section rythmique seulement, quand on connaît l’influence du jeu de guitare sur ce style musical.
Du coup, l’identité du groupe s’en trouve secouée, légitimement, et l’on a du mal à retrouver nos petits – tout chamboulés que nous étions déjà (rappelons-le) par le step entre les deux premiers albums. Pour ce nouveau disque, le trio s’est appuyé sur une longue période de jams visant à intégrer le petit nouveau et constituer le « nouveau » son Humulus, et a sollicité rien moins que Stefan Koglek, môssier Colour Haze, pour superviser la production du disque. Voilà qui fixe une ambition.
L’écoute du disque révèle, effectivement, une facette plus complexe et mature de Humulus. Cet ensemble de compos (7 chansons, 43 minutes – rien à redire) est riche et diversifié, intéressant de bout en bout, couvrant un stoner rock de large spectre, à la sauce transalpine. L’apport de Masheroni est significatif, une large part de la musicalité du groupe reposant sur ce travail de guitare, et en particulier sur cette dualité entre des riffs bien charpentés (« Secret Room », « Black Water »…) et surtout des arpèges disséminés à la moindre occasion (lead d’intro sur « Shimmer Haze » ou « Buried By Tree », la plupart des leads sur le gros « Operating Manual… », le solo tout en feeling sur « Black Water »…). Evidemment, la section rythmique n’est jamais prise en défaut, et les nombreuses séquences largement instrumentales permettent d’en mesurer l’importance dans le spectre rythmique et mélodique.
Si l’on devait identifier quelques morceaux remarquables, on orientera en première écoute vers le curieux « Secret Room » (son intro de pure hargne hard rock punkisant amenant à une section groovy-jazzy sur nappe de leads de guitare aérienne) mais surtout ce somptueux « 7th Sun », belle pièce de psych rock aux volutes presque orientales, qui voit son dernier tiers développer un groove quasi irrépressible. Le groupe a bien vu la qualité de cette compo, et a demandé à Koglek d’y glisser quelques parties de guitare bien senties qui emmènent encore plus haut la chanson. Point bonus pour « Operating Manual for Spaceship Earth » qui déploie lui aussi sur une dizaine de minutes une belle série de séquences musicales, convoquant occasionnellement les grands My Sleeping Karma ou les maîtres du stoner old school pour un final où wah-wah et fuzz se partagent la vedette.
Bref, ce Flowers of Death est une réussite de la part de ce groupe intéressant, un peu trop sous-estimé et qui se fait trop discret (en particulier sur scène). Ils méritent mieux que ce traitement silencieux, penchez-vous sur leur cas vous ne devriez pas être déçus si vous aimez le bon stoner rock.

Quelques mois après la sortie de son très réussi Funrider, le trio israélien ressort son troisième album, sorti en 2018 uniquement dans son pays, sans distribution mondiale. Il est donc peu probable que ce disque soit parvenu entre les mains de beaucoup de monde jusqu’ici, l’occasion aujourd’hui pour nous de voir s’il fallait déplorer ce constat. En effet, The Great Machine a vraiment décollé à l’occasion de ses deux derniers albums, bien supportés par quelques rares mais fantasques prestations live. Mais leurs premiers albums sont moins connus, et cette re-sortie est une bonne occasion de découvrir une partie moins connue de leur discographie.
Clairement, il est assez étrange de se lancer dans l’écoute de ce disque après avoir poncé il y a quelques mois le costaud Funrider. En effet Respect est franchement plus décousu. Il est difficile pourtant de qualifier Funrider de disque solide, mature et homogène (il part quand même pas mal dans tous les sens, et a même quelques passages plus faibles), pour autant, il reste moins hétérogène que Respect, dont les chansons ont du mal à trouver leur place ensemble, chacune représentant une facette des influences du groupe. On notera en revanche une constante sur le disque, cette tendance gentiment sludgy (voir le gentil “Slide Show” ou encore “Witches” et leur riffing sobrement glaireux), un peu moins présente sur leurs récentes productions. On passera rapidement l’assumé plagiat de la bande à Lemmy avec “Motor Charlie”, sans intérêt autre que l’hommage, pour tomber un peu plus loin sur “Dragon Wagon” et sa rythmique que l’on croirait directement extraite d’un vieux Truckfighters. Le groupe s’essaye ensuite pendant 13 minutes à sa version lente et barrée du doom, avec le peu inspiré mais bien nommé “Doom Machine”, avant de nous laisser sur le décousu “Respect” et sa conclusion chaotique.
Bref, ça tourne, ça vire, ça saute, ça riffe, ça part un peu dans tous les sens, et au final… ça se cherche un peu. Album de jeunesse, réellement, Respect est avant tout un disque où le groupe se montre et tente des choses, sans se brider, sans s’empêcher de rien (peu aidés par une production un peu rudimentaire). Un effort sympathique, dont quelques chansons restent bien à l’esprit (“Slide Show”, “Dragon Wagon”…) mais qui se verra supplanté en tous points par ses albums suivants. Pour les collectionneurs complétistes en tout cas, c’est une belle pièce.

Quatre ans après un premier album enthousiasmant et prometteur, les anglais de Ritual King nous invitent à nouveau à plonger dans leur univers avec The Infinite Mirror. Pour ceux ayant raté leur album éponyme, difficile d’associer le trio mancunien a une ou deux références tant leur spectre musical est large. Allant du hard rock au heavy psych et progressif, on pourrait simplifier tout cela en les positionnant dans la lignée (plus ou moins directe) d’un Elder. Cela dit, peu importe les ressemblances car en vérité Ritual King s’ajoute à ces groupes, comme Kayleth, Mount Hush ou Mr. Bison, qui ont parfaitement digéré leurs influences pour en ressortir quelque chose d’original.
Avec cinq morceaux au menu, The Infinite Mirror propose un album légèrement plus long que son premier album bien qu’il compte deux titres de moins. Aucun titre en dessous des sept minutes, le repas promet d’être copieux ! Mais attention Ritual King sait être généreux sans nous plonger dans l’indigestion. Ici, le temps est pris pour développer chaque riff, chaque mélodie, pour les embellir et les interconnecter avec le reste. Comme avec le riff d’intro de “Landmass” et surtout le massif “Tethered”, on a là l’influence elderienne avec cette sensation de partir en hyperspace, traverser plusieurs univers pour au final atterrir au point de départ. Comme un rollercoaster de l’espace au final ! Ajoutons à ça des soli de guitare subtils, puissants et variés … que du bonheur on vous avait prévenu !
The Infinite Mirror n’est pas qu’une virée vertigineuse dans le cosmos, et sait aussi proposer un hard rock plus efficace notamment sur “Flow State” et “Worlds Divide”. Plus saignant mais toujours aussi riche avec une avalanche de riffs, de breaks et de bonnes idées. Le tout accompagné par un chant plutôt discret mais apportant une certaine élégance. En témoigne l’excellente intro du titre éponyme clôturant l’album. “The Infinite Mirror” termine de manière intelligente cet album en associant les différentes facettes de l’album. ça fait toujours plaisir de voir des groupes proposer un album avec une tracklist réfléchie !
The Infinite Mirror applique, au final, la même recette que sur son premier album mais la réalisation est plus mature. Les ingrédients sont mieux coupés, leur dosage plus équilibré, la réalisation plus fluide, et avec une technique irréprochable comme cerise sur le gâteau. On pourrait à la rigueur regretter que certains riffs ne soient pas amenés avec plus de puissance, mais la recherche d’harmonie de la part du groupe semble être plus importante.
Amateur de musiques heavy psych (en gros si vous êtes fan d’Elder et King Buffalo voire de Vintage Caravan) Vous n’avez aucune raison de ne pas vous mettre à table et de vous régaler !

Mon pote Flaux vous avait présenté la première trace gravée dans le sillon par cette jeune formation composée de vétérans (c’est plus élégant que vieux) de la scène rock helvétique en 2015 ici : lien. Huit ans plus tard, des cheveux blancs et un hurleur en plus, le désormais quatuor nous rappelle à son bon souvenir après une livraison discrète en 2018 (le long format Horde) commercialisée en circuit-court par Tenacity Music qui a propagé une palanquée de productions rock romandes qualitatives durant de longues années.
C’est auprès d’Argonauta que les riverains du Léman (ils sont du coin où on ne dit pas trop Lac de Genève) se retrouvent pour ce troisième, et magnifique, album comptant de nombreux featurings de leur cru. Les invités du quatuor apportant aux titres sur lesquels ils évoluent une teinte unique transportant ceux-ci à un niveau supérieur. Leur transposition pour l’exercice live sera un défi de taille pour les Romands expérimentés. Le challenge de la production de ce long format étant lui-même relevé de belle manière et l’essai foutrement transformé.
Le soin apporté par les artisans de cette sortie frise la magie et ce bordel a été magnifiquement capté et mixé par Raphaël Bovey (entendu à la batterie dans Kruger ou Sweet Disease pour ceux qui s’en souviennent) ainsi que masterisé par Ladislav Agabekov (Le Lad encore fréquentable sur scène à la basse dans Nostromo). Clairement à classer dans la catégorie sludge pour bourrins à incursions vocales gutturales, cet opus a été très finement fignolé pour ne pas se vautrer à plat ventre dans le bayou dégueulasse en se contentant simplement de balancer des bûches.
Au sommaire de cette succulente production, outre une prélude interlope au déluge sonore, nous retrouvons 10 plages à la fois cohérentes dans leur ensemble et singulières notamment en raison de la latitude artistique que se sont autorisés les reptiles en poussant l’exercice à fond avec les contributeurs conviés à la fête. Ces derniers étant au générique de 6 titres.
« Crater », qui entame les hostilités, voit Michael d’Impure Wilhelmina se joindre au quatuor en accompagnant la bagarre générale avec un chant clair qui transpose le déluge sonore ralenti en un brulot presqu’emprunt d’urgence aux relents connexes à l’œuvre de Soundgarden. C’est clairement un des gros coups de cœur de cette sortie avec « Cuts » qui balance du stoner fuzzé durant un peu plus de 3 minutes avec l’artiste hip hop La Gale qui place des chants précis sur un tempo rapide martelé par la rythmique qui se place devant un énorme mur de guitares saturées. Ce dernier titre contrastant avec les vocaux gutturaux mixés aux chants clairs qui se répondent sur « Impetus » tel un dialogue entre le groupe et son invité Danek. On citera encore la présence de Yonni de Rorcal sur « Silver Lakes » (le deuxième single issu de cette prod) qui partage la présence de Denis à la trompette aussi présent sur « Taenia ». L’apport de cuivre au sludge, ou au post machin truc, est clairement le truc en plus de cette production rutilante qui la rapproche d’artistes comme The Progerians. Je vous incite toutes et tous à aller vous cogner les 6 minutes de « Taenia » qui constituent une des deux pièces maîtresses de « Conjure » : c’est lent, puissant, visqueux, halluciné, hallucinant et terriblement addictif.
Hormis la présence de guest, Maude, Fabrice, Randy et Guy font un job de groupe sur des compositions généralement plus pugnaces comme les 3 minutes et demi de « Ecorce » où les guitares dissonantes viennent sonner magistralement au milieu de vocaux étouffés inscrits dans une structure rythmique martiale. Sur « Back Cat », le groupe déroule avec le frein à main tiré à fond pour appuyer plus amplement sur le rendu sombre et torturé de son art dissonant : ça laisse présager des gros mouvements de nuques en public (les physios se frottent les pognes). Après avoir multiplié les écoutes pour m’immerger jusqu’à l’abrutissement total (j’avais déjà quelques coups d’avance…), je rejoins le choix des artistes qui ont opté pour envoyer « La Boue » en éclaireur afin de teaser la chose. Un titre concis, carré, qui se déploie autour d’un riff central répété durant un peu plus de 3 minutes à l’ambiance malsaine qui colle à l’auditeur comme la fange sur les mocassins.
Conjure s’inscrit dans les plaques qui vont compter cette année en se cognant des codes, en fédérant des talents de sa région même quand la filiation musicale n’est pas évidente et en se torchant avec la convenance qui voudrait voir les groupes pratiquer une démarche artistique hyper redondante (même si Motörhead est cité comme influence). Cette production est d’une noirceur jouissive, je remercie tous les protagonistes de m’avoir procuré un tel bonheur. Bisous baveux !

Débarqués tout droit de Finlande avec sous le bras rien de plus qu’un EP et quelques titres postés ici ou là, Orbiter signe ici son premier album chez l’excellent label italien Argonauta. On va pas vous la jouer érudits de comptoirs, c’est à peu près tout ce qu’on sait sur eux avant de jeter une oreille sur leur disque.
Des groupes comme ça, sur le papier on en voit défiler plus que vous ne l’imaginez, mais certains ont un petit quelque chose qui fait la différence, et c’est le cas de Orbiter. Musicalement, le groupe se complait dans un doom psych mélodique de très bon goût, sorte de mix entre Acid King et Mars Red Sky. A ce titre déjà, la galette constitue un vrai modèle de maîtrise stylistique, de cohérence, qu’il s’agisse du son (ce son de fuzz subtilement crunchy fait des ravages), de la rythmique, de la prod… Mais le quatuor se distingue par deux facteurs parfaitement complémentaires : son chant, assuré par Carolin Koss, est absolument envoûtant. Pas vraiment dans la catégorie ni des chanteuses très lyriques, ni des chanteuses metal, ni des chanteuses neo-folk torturées qu’on voit fleurir dans les festivals fragiles, Koss évolue un peu entre tout ça, avec cette nonchalance qui évoque tant Lori de Acid King, mais avec un style très déroutant : l’impression de chanter tout le temps plusieurs tons trop bas, toujours sur une sorte de fil fragile, au bord du précipice, et en tout cas jamais dans la fausseté. Les premières écoutes sont confusantes et malaisantes, vous verrez, mais très vite ce chant impeccablement adapté se fait addictif et parfaitement calé sur les lignes mélodiques.
Le second facteur de réussite du disque tient d’ailleurs dans ces mélodies impeccables, remarquablement inspirées. Les riffs imparables défilent dans nos oreilles pour notre plus grand plaisir sans jamais tomber à côté (“Raven Bones”, “Silence Breaks”, “Last Call”…) et sont enrobés d’arrangements impeccables (louons un beau travail de production) et surtout de subtilités d’écriture amenant ces compos à une certaine transcendance : on notera en particulier le final de “Beneath” et sa montée en tension remarquablement construite, la section a capella au milieu de “Hollow World”, l’intro de “Last Call” et son final presque groovy…
Au débit du disque on notera néanmoins quelques morceaux dispensables, comme l’instrumental bruitiste “Transmissions” enchaîné à l’acoustique “Under Your Spell”, assez réussi en soi, mais qui plombent à eux deux un peu l’ambiance de cette seconde face (pour 38 min de musique en tout, on est en droit de faire un peu la fine bouche). Reste que le crédit du disque est plus que favorable, et nous permet de découvrir un groupe fort intéressant.

Quatre années bien tassées ont défilé depuis The Task Eternal, le précédent opus du trio bordelais. Une éternité. Loin de se faire couper les ailes par un COVID dévastateur et castrateur pour les artistes, Mars Red Sky s’est démené pour défendre son bébé sur les routes sur la longueur (faisant même partie des premiers groupes à, coute que coute, reprendre leur activité, dans des conditions compliquées, confinant même parfois aux limites de l’absurde, rappelez-vous…). Conséquemment, le groupe n’a jamais vraiment disparu des radars, et le voir revenir avec un nouveau disque n’est pas surprenant. En tous les cas nos attentes sont élevées, The Task Eternal nous ayant laissé sur cette sensation de maîtrise absolue, du grand art, mais manquant peut-être avec le recul de ce petit facteur décisif, cette sortie de circuit, cette prise de risque qui emmène et installe un album dans les sentiers de l’excellence.
Dawn of the Dusk est différent de son prédécesseur, en cela qu’il joue clairement sur deux tableaux. Avant tout, il repose sur les forces du groupe, développant encore ce style si singulier, qu’il s’agisse du genre musical ou même plus précisément du son. L’équation musicale est à peu près inchangée : des mélodies lentes, des riffs doom qui viennent emprunter à la pop des atours toujours plus catchy, des leads guitare spatiales décolant à grands coups de wah-wah, le chant unique, fragile et aérien de Julien, le son dual guitare/basse empli d’une fuzz roborative, croustillante et sirupeuse, et cette rythmique en béton armée qui vient ancrer le tout. Franchement, les repères sont là et bien là.
Le second fait d’arme du disque est sa volonté d’exploration, inédite dans ces proportions. Soyons clairs : le groupe ne verse ni dans le hardcore ni dans le grind et on ne dévie jamais trop loin de leur identité. Néanmoins, on note plusieurs immersions dans des territoires un peu neufs, à commencer, évidemment, par “Maps of Inferno”, le single de l’EP/Split sorti il y a quelques mois, en compagnie de l’artiste folk Queen of the Meadow, ici au chant. Dès le morceau suivant, “The Final Round”, c’est Jimmy (basse) qui s’empare du micro pour là aussi apporter une patte bien différente, pour un titre à l’identité très marquée. On s’attend ensuite à du plus classique… raté : en lançant la face B avec l’instrumental “Choir of Ghosts”, MRS nous amène dans des territoires doom aux limites du post rock le plus lugubre, pour un titre de transition froid et puissant, qui rappelle furieusement Bongripper avec sa rythmique lancinante et pachydermique, ses breaks et ses leads en fond de mix.
Autour de ces titres, le reste est tout en confort, le trio ramenant la barre vers des territoires plus habituels, avec une poignée d’autres compos réussies, plus “classiques” dans le répertoire du groupe, à l’image de “Slow Attack”, ou encore “Break Even” qui introduit la galette.
Difficile pour l’amateur de Mars Red Sky de ne pas trouver ce disque réussi : tandis que certains de leurs premiers disques proposent probablement l’expérience la plus harmonieuse et cohérente (on continuera à les conseiller aux néophytes pour découvrir le groupe), ce Dawn of the Dusk capitalise sur ce savoir faire (en apportant encore quelques pépites de “MRS classique” qui trouveront vite leur place dans les set lists live du groupe) et en même temps tente des choses, apporte de la fraîcheur, de l’expérimentation, de la mise en danger. Mars Red Sky propose ici probablement le disque que l’on attendait à ce moment de leur carrière, s’affirmant plus que jamais comme notre fleuron national dans ce style musical dont ils sont quasiment les seuls hérauts. Gloire à eux.

2017, 2020, 2023, voilà les trois jalons du voyage intersidéral des psych doomster de Tortuga. Le quartette vient poser son vaisseau une fois de plus sur notre planète et nous raconter ses voyages intersidéraux. L’Épopée se nomme cette fois-ci Iterations . Les compositions revêtent leurs plus beaux atours pour l’occasion, car à présent Tortuga est produit chez Napalm Record, signe s’il en est d’une qualité potentielle certaine.
Tortuga mixe les ambiances et les univers, passant des contrées sonores du prog avec un son bien particulier à la gratte et des soli éthérés comme sur “Lilith” à des attaques plus stoner et crunchy sur “Init”. cependant tout cela passe toujours par des mondes psychédéliques où la reverb laisse le temps au notes d’emplir l’espace.
Les superpositions de samples sur “Malaca” adjointes aux riffs lancinants et à la distorsion extrême et robotique de la voix lui donnent une nature toute particulière et originale. Cette distorsion de voix est réemployée dans le très visuel “Quaus”, successeur de la piste Interlude où on pense aux images du film Dune et à sa bande son totalement planante.
Enfin puisqu’on parle de doom, “Laspes” offre ce qu’il faut de massif et d’aérien à la fois tout comme les meilleurs passages de la piste de conclusion “Epitaph”, passages qui savent se faire attendre et exploser avec suffisamment de force pour plaire à l’auditeur. L’album laisse un sentiment de se saisir des styles de groupes plutôt récents, faisant penser parfois à un Stone From The Sky ou à un Spaceslug et quelques autres formations polonaises dans l’air du temps. Mais il y a toujours chez Tortuga cette touche d’originalité qui permet au groupe de s’en sortir avec une identité propre.
Ce qu’il faudra retenir de ce Iterations, c’est qu’il s’agit d’un bon album du genre, qui surfe entre les vagues du doom, du stoner et du psychédélique. Tortuga ne sombre jamais dans le pastiche et donne à écouter une plaque pas trop mal construite où sans idée révolutionnaire on se laisse transporter en des lieux de rêverie où l’on s’est déjà baladé quelques fois. Au final rien de bien indispensable mais rien non plus qui ne vaille qu’on passe à coté sans s’y arrêter.

On ne donnait pas cher de la peau de Tar Pond depuis le décès de leur bassiste et membre fondateur Martin Ain (oui, celui de Celtic Frost). En réalité, le quatuor n’existait déjà plus en 2020 lors de la sortie de Protocol Of Constant Sadness, son premier album que l’on croyait déjà posthume, trois ans après la disparition de Ain ! Ce premier album méconnu (essentiellement car mal né sur un label obscur et peu vendu faute à une distrib et une promo peu efficaces), œuvre collective de musiciens suisses (dont Marky Edelmann de Coroner – son collègue Vetterli produisant la rondelle), est pourtant remarquable (dans tous les sens du terme) et la perspective d’un second disque, même si peu crédible, était séduisante. Apparemment, nos doutes étaient peu fondés, et les musiciens ont décidé de s’atteler à un second disque.
Musicalement, les marqueurs de Protocol… sont tous bien là, et on reconnaît immédiatement la patte du groupe : proposant une sorte de metal doom très sombre, Tar Pond se démarque en particulier en deux points : le chant de Thomas Ott d’abord, qui a beau la jouer sobre (et avec des effets discrets), apporte une touche bien particulière à la musique du groupe, avec son timbre en chant clair et aux atours presque “hantés”, même si peu mélodique finalement ; mais surtout c’est cette production de riffs simples et catchy qui marque le plus, un riffing qui rappelle inévitablement le style très sombre de Hangman’s Chair, avec ce jeu de guitare très répétitif et lancinant. Avec quelques arrangements metal doom bien old school (dont quelques échos de guitare lead qui rappelleront Type O Negative), le paysage musical a donc tout pour séduire le doomster lugubre et taciturne.
Le quintette (qui, outre Ott et Edelmann à la batterie, comprend toujours Stefano Maurielo à la guitare, avec deux nouveaux collègues) propose cinq compos bien denses et efficaces. Bien construits, les titres autorisent de nombreuses écoutes sans provoquer le moindre ennui, à force de quelques subtilités et chemins de traverses bien sentis. On mettra en particulier en exergue le très beau “Something”, un titre commençant par des tonalités très dark et qui, s’il n’atteint jamais vraiment de perspective très lumineuse ni aérienne, s’élève plusieurs fois sur des passages plus légers, entre autres revirements musicaux intéressants.
Tar Pond apporte avant tout avec Petrol une preuve de vie cinglante, et conséquemment des perspectives de futurs disques qu’on n’osait espérer. En tant qu’album, il propose une suite logique à leur premier disque, qui ravira non seulement ses éclairés amateurs, mais a aussi le potentiel de séduire une frange exigeante de doomsters curieux. Reste à savoir quelle sera la capacité du groupe à se développer, notamment au delà des rondelles plastiques, c’est à dire sur les planches, un environnement où il a brillé par son absence jusqu’ici.

I Am Low est un jeune trio suédois dont les productions jusqu’ici (3 albums, des EPs…) n’ont pas vraiment bénéficié d’un fort écho. Par le truchement d’une signature chez les modestes mais pertinents Majestic Mountain, leur nouvel album est parvenu à nos oreilles, et on s’en félicite !
Tous les disques n’ont pas « d’effet cliquet », ce moment charnière qui nous fait dire « tiens, ce disque-là semble avoir quelque chose de spécial » : sur Úma, il ne faut pas le chercher très loin, il se présente sur exactement la durée de la première minute du disque, cette intro de « Gunman » où un riff basique impeccablement enrubanné d’une fuzz délicieuse vient se lover dans une rythmique groovy en diable sur une poignée de mesures pour lancer le titre. On est dedans. Le reste du disque ensuite est une démonstration de songwriting, pure et simple. Chaque titre développe sa propre identité, taillée à la serpe, pour un disque dense, homogène, mais proposant assez de diversité pour ne jamais s’ennuyer. On picore ici ou là, on y trouve des torgnoles stoner énervées (ce « Ruins » de moins de deux minutes, « Pigs »), des mid-tempo plus ou moins psyche et plus ou moins lents (« Dead Space », l’hypnotique et lancinant «Úma » ou encore « Void », leur « Planet Caravan » à eux), et même des passages d’influence plus grunge (« Wake ») – sachant que la frontière entre stoner et grunge n’est pas forcément imperméable par bien des aspects. Le tout se termine par l’audacieux « Release », belle pièce groovy de jam rock hypnotique aux soupçons kraut et space rock, parfaitement maîtrisée et addictive.
Le petit « facteur X » c’est cette finesse dans l’écriture, cet art savamment distillé du petit lick de guitare catchy, du refrain entêtant, du petit arrangement qui va faire basculer un morceau vers quelque chose de plus intéressant. Le disque en est plein, et chaque écoute en revêt une saveur différente.
Avec le recul, gros bourrins que l’on est (certain(e)s d’entre nous en tout cas), on aurait aimé une plus grande proportion de titres « nerveux », Úma embarquant au final une large portion de titres lents ou mid-tempo. Il faut dire que les gars s’y entendent pour proposer de superbes riffs, et on en voudrait toujours plus ! Reste que c’est aussi un signe d’audace, à saluer. Et ce constat un peu modéré n’obère en rien l’impression de maturité qui se dégage de ce disque, et l’espoir qui en ressort de tenir ici un groupe qui pourrait nous réserver d’excellentes surprises à l’avenir (et a minima une volée d’excellents albums), il en a le potentiel.

Jamais trop tard pour bien faire ? C’est à l’occasion de la sortie du 3ème volet de leur triptyque musical que l’on trouve l’occasion de se pencher sur ce quartette italien, membre du foisonnant roster du label transalpin Go Down Records.
Voulu donc comme le volet final d’un ensemble de trois albums, Reconciler propose une (très) riche sélection de huit titres foisonnants, abordant de nombreux styles musicaux, du psych rock atmosphérique au desert rock, du kraut rock au rock progressif, du blues rock le plus chaud aux musiques quasi-chamaniques… Les huit chansons durent pour certaines moins de quatre minutes, et pour d’autres jusqu’à 22 minutes ! Il est important d’aborder cela avant de rentrer plus avant dans le disque : on se retrouve ici avec un (vrai) double album, une galette proposant presque 1h30 de musique – vraiment pas dans les standards auxquels on est habitués. Si vous vous sentez prêts à digérer ça et à apprécier au contraire la générosité de l’offrande, dans ce cas se plonger dans ce disque peut se révéler une aventure passionnante.
Musicalement, ou pour le moins instrumentalement, on est sur une base assez solide finalement, reposant sur un quartette de musiciens stable, rompus à l’exercice du jam rock psych (belle base rythmique aérée, déluges de leads, riffs discrets mais solides…). L’ensemble est évidemment très « guitar oriented », avec des degrés de « saturation » assez variables mais plutôt légers dans l’ensemble (clairement on n’est pas dans quelque chose de très bourrin). Mais la spécificité du disque vient de ses guests, en particulier au chant, avec rien moins que cinq vocalistes différents (dont le besogneux Conny Ochs, petit prince germanique de l’underground), mais aussi pour des apports de synthés, percussions, etc… disséminés sur chaque titre, au besoin (note : dans une démarche corporatiste étrange mais louable, ces invités sont tous issus de groupes figurant dans le roster de Go Down…). Cette spécificité ajoute à l’impression de richesse qui se dégage des écoutes de ce disque, mais en contrepartie dilue un peu la consistance du disque (ce qui n’est a priori pas une préoccupation première du groupe, au vu du nombre de styles pratiqués).
Il est assez évident que synthétiser une telle pièce relève de la mission impossible : sur l’ensemble il y a non seulement des passages moins intéressants, mais aussi d’autres qui ne susciteront pas le même intérêt pour les uns et les autres au niveau du style pratiqué. En revanche, il y a du qualitatif à tous les rayons, et les gourmands (gloutons ?) amateurs de véritable psych rock y trouveront une très belle pièce. Reconciler est en outre un disque susceptible de se révéler dans des contextes très différents : en excellente musique de fond, en écoute approfondie au casque, en picorant ses titres par ci-par là… Disque riche tout autant que protéiforme, il devrait ravir les esthètes d’un mouvement musical riche et trop confidentiel.

Impressionnant parcours que celui de Green Lung : groupe relativement jeune (débuts en 2017), les anglais ont produit un premier excellent album, suivi du remarquable et remarqué Black Harvest il y a deux ans. Bien emmené par le petit mais réputé label Svart (garant de choix exigeants), ils se retrouvent déjà signés par Nuclear Blast – un label à qui l’on peut reprocher pas mal de choses (en sus de Blues Pills), mais certainement pas son flair à talent. Avec ce V8 sous le capot, il leur restait à mettre à niveau le châssis, et les revoilà donc déjà avec ce This Heathen Land sous le bras.
Pas de virage, pas de remise en cause : musicalement, on est exactement dans la même mixture, à savoir un heavy rock occulte, qui emprunte autant au doom metal classique qu’au heavy metal d’école. Le tout est encore une fois baigné d’une prod qui fait en permanence le grand écart entre respect des codes et des standards du genre (un mix splendide), et un souffle moderne (la puissance du mur de guitares, le son de basse…). En cela, This Heathen Land reprend là où Black Harvest nous avait laissé, et nous emmène plus loin et plus haut.
Le constat est corroboré par la qualité des compos, qui oscillent entre le brillant et le très bon, sans point faible. Il faut dire que l’ensemble a beau rester dans ce boulevard musical bien balisé, la variété reste – paradoxalement ? – au rendez-vous. On a de la balade mélodique catchy (“The Ancient Ways”), de la torgnole riffue catchy (“Mountain Throne”), de l’hymne heavy metal catchy à chanter le poing levé (“Hunters in the Sky”), du gros hit hard rock mélodique catchy (“Oceans of Time”), du power doom catchy à gueuler sous la douche (“The Forest Church”), de la mélopée folk rock catchy (“Song of the Stones”), du power hit super-catchy emmené par un riff de… Hammond (!!!) avec le bluffant (et presque écœurant d’efficacité) “Maxine”… Bref, il y a de tout, mais… catchy ! Parce que l’on peut aimer ou moins aimer (mais pas détester quand même, je ne pourrais pas comprendre…), il est en revanche bien difficile de ne pas voir les compositions du quintette grand-briton vous rentrer pour longtemps dans le cortex frontal.
En termes d’exécution, rien à redire non plus : bien aidés par une production puissante et une mise en son cristalline, les soli et les riffs du prodigieux Scott Black emmènent les velléités épique du groupe, même si ce sont bien les vocaux de son frontman Tom Templar qui distinguent le plus le groupe de toute éventuelle concurrence (trop nasillard probablement au goût de certains, le chant de Templar mêle puissance et technique mélodique avec talent).
En tous points, This Heathen Land est meilleur que le pourtant excellent Black Harvest. Si le genre musical ne vous sied pas (c’est mon cas), passez votre chemin, mais il est impossible de ne pas reconnaître la qualité de ce disque qui, s’il trouve son public, pourrait permettre à la carrière de Green Lung de prendre un bel essor, mérité au vu de cette démonstration. Vous voilà prévenus.
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