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Quatre ! Cet énigmatiquement dénommé Enveletration est rien moins que le quatrième disque de ce groupe étasunien passé largement sous les radars, après pourtant plus d’une douzaine d’années d’existence. Enchaînant les labels obscurs, rien, hormis un coup de chance, n’aurait pu laisser préjuger que cette situation change un jour, tant la notoriété et la force de frappe promotionnelle de leur nouvelle maison d’accueil, Satanik Royalty Records, ne sont pas vraiment reconnues. Et pourtant, quel disque ! Qu’il aurait été dommage de passer à côté…
Sandrider c’est un peu l’enfant caché de ASG et de Torche, où se mèle un peu la puissance et l’énergie débridées du Mastodon début de carrière (quand il se détachait un peu de ses penchants thrash et ne versait pas encore dans les travers proggy…). De la mélodie, du refrain qui imprime, du riff qui attaque, et encore un peu de mélodie pour la route. La rythmique tabasse et groove, tandis que Jon Weisnewski tapisse la texture mélodique de beaux pans de guitare, riches, omniprésents.
On sourit un peu au début, gentiment, au fil des premières écoutes, en particulier de ces refrains, qui souvent semblent se cantonner à gueuler de manière répétitive le titre (mono-mot, toujours) de la chanson. Mais les tours de disque s’enchaînant, on entre la tête la première et on se laisse absorber insidieusement dans cette succession quasi enivrante de chansons : les hits s’enchaînent à haute vitesse et haute densité (10 compos en 36 minutes, c’est un déferlement de torgnoles, et que du maigre).
Se démarquent quelques titres néanmoins, tel ce furieux “Tourniquet”, le très accrocheur “Weasel” (le petit gimmick de guitare qui suit la rythmique sur le couplet, juste impeccable), le refrain aux limites de la dissonance de “Priest”, le heavy “Ixian”et son final protéiforme, et “Grouper” en cloture, empruntant au hardcore sur son premier segment pour se terminer sur quelque chose de plus riche, posé et lourd.
Avec 2 ou 3 titres moins marquants, ce disque n’est pas parfait. Il propose toutefois une musique non seulement de qualité, mais aussi inventive, solidement ancrée dans son territoire (Seattle, terre de grunge s’il en est), développant un talent mélodique tout à fait remarquable. Une fort belle galette, de celles qu’on aimerait trouver tous les mois dans nos haut-parleurs. Et même sa couverture, aussi énigmatique que son titre (mêlant réalisme dans sa technique, et imaginaire avec son code couleur décalé…), est réussie. Zéro réserve.
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Emmenés par une frontwoman à la voix charismatique et fine connaisseuse du circuit stoner, Red Cloud fait ses armes depuis deux ans sur scène, on avait eu le plaisir de les découvrir dans l’écrin magique des Volcano Sessions en 2021. On retrouve également au claviers Laura, que l’on connaissait pour tenir la guitare chez Fuzzy Grass. Autant vous dire que ce combo de cinq frenchies était un peu attendu de votre serviteur sur un premier album et voici donc que ses vœux sont exaucés dans une autoprod de belle facture.
Dès les premières écoutes on est happé par la forte attractivité des morceaux qui recèlent tous un swing de dingue. La chaleur de la voix qui monte en puissance sans s’érailler à cause de l’excès de l’effort et toujours encline à un dosage réussi.
De son côté l’orgue ne parle jamais plus que de raison, il est à la fois l’ appui de la voix et le moteur des autres instruments. Ces derniers ne s’effacent pourtant pas face à tant de présence, carrosserie rutilante d’un bolide résolument rock’n’roll.
Comme Red Cloud ne fait pas les choses à moitié il essaime les tubes, le swing de “Bad Reputation” ou de “Skeleton Jigsaws” ne peut pas laisser l’ auditeur indifférent, le sexy “Swallow Me” gravite autour d’un mid tempo sensuel envoûtant et “Velvet Trap” sort des griffes aux estafilades desquelles on s’offre sans retenue jusqu’à ce que le titre se termine parfaitement sur un rythme haletant.
Ce premier album est une ode à la musique, un cri puissant qui raconte le bonheur de vivre par et pour les notes. Red Cloud dépeint la musique comme carburant, maîtresse, muse et fantasme et cela touche toujours juste.
Red Cloud effleure les nuages et les peints des plus belles couleurs. Assemblage fin et fédérateur il y a peu de chances que le groupe ne fasse pas la moisson d’auditeurs et n’attire pas à lui rapidement quelque beau label. Espérons cependant que cette perle n’y laisserait pas son âme. En attendant offrez-lui vos esgourdes c’est encore le plus sûr moyen de lui garantir un réceptacle à mesure.
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Jamais loin d’un bon coup, le label transalpin Argonauta a capté et ramené au bercail ce jeune quatuor finlandais, auteur jusqu’ici d’une poignée de démos et formats courts confidentiels. Bonne pioche : Heezer s’avère un combo frais et furieusement enthousiasmant.
Sur ce premier essai en long format (qui reste assez « ramassé », avec 35 petites minutes pour neuf chansons quand même) le groupe arrive à faire émerger de manière assez franche quelques caractéristiques claires – une vraie identité qui, en dépit de son jeune âge, sont un véritable signe de maturité. L’ensemble du disque s’appuie sur un son à la fois riche (plusieurs sons de guitare, arrangements judicieux…) tout en restant dans un heavy rock fuzzé assez franc – une valeur sûre en terme d’efficacité pour nos oreilles. Autres signes distinctifs : le chant de Sami Kääriäinen (puissant, chaleureux et subtilement rocailleux, un véritable atout), des soli efficaces, … mais surtout un sens mélodique assez remarquable, évident du début à la fin de cette galette..
On en prend très vite la mesure avec le haut potentiel catchy de son « Fourth Line » introductif, mid tempo énergique fort bien modelé, avec un couplet étonnant : tout en riff et en chœurs, il rappellera de manière surprenante quelques standards de hard rock old school (bien aidé en cela par un ensemble de soli qui ne détonne pas) ; même ressenti sur le glorieux refrain de « Red Giant », qu’on se voit bien entonner en mode yaourt, une bière à la main et l’autre poing levé en rythme. « Spacegod » (avec son couplet qui ravive nos souvenirs humides des défunts Solarized, avec son riff gras fuzzé et sa rythmique groovy) développe encore un peu le son de Heezer, sur un mid-tempo au refrain fédérateur, ici aussi soutenu en chœurs (ça sent le dénominateur commun). Un peu plus loin, « Dream machine » vient gentiment emprunter au rock « high energy » emblématique des pays scandinaves (voir son couplet appuyé par un arrangement discret de clavier « à une touche »). A l’opposé, le groupe semble aussi à l’aise sur des tempi lents, à l’image de « I the Sun », qui traîne sa lancinance sur cinq grosses minutes, en se rapprochant parfois presque (sacrilège !) de quelques power balads emblématiques.
Avec quasiment un sans faute (pas plus d’un ou deux titres moyens / perfectibles – on pense à « Mother Rain », « Growing On »…), Heezer propose avec ce Sungrinder un bon disque de stoner costaud et mélodique, un de ces disques qui, s’il ne marquera pas l’histoire, aura apporté plusieurs heures de vrai plaisir d’écoute à tous les curieux qui se seront penchés sur ce groupe inconnu, mais aussi un certain espoir de voir ce groupe continuer à se développer sur ces bases séduisantes.
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C’est des Pays-Bas que nous vient le quatuor Thammuz – comme quoi Argonauta Records ne propose pas que des groupes compatriotes. Après un disque autoproduit sorti en pleine phase COVID mondiale (bref : complètement inaperçu) ils se retrouvent signés sur le label italien pour leur second disque, Sons of the Occult.
On comprend assez vite pourquoi Argonauta s’est intéressé au groupe : Thammuz propose un stoner rock d’excellente facture, porté par un son de gratte totalement emblématique. On pourrait citer plusieurs groupes qui ont proposé des albums répondant à cette unique définition. On y mettra bien volontiers des titres comme le dévastateur “Electric Sheep” (qui rappelle les vieux The Awesome Machine), ou le morceau titre de l’album, ou bien encore le mid tempo très accrocheur “Had a Blast”, sa fuzz roborative et son riff impeccable. Le groupe a fait ses gammes et maîtrise le genre, à l’image de ce presque Kyuss-ien “People from the Sky”, qu’il emmène en conclusion sur des terrains groovy vraiment bien foutus.
En parallèle, on reconnaîtra à Thammuz une démarche visant à proposer plus de diversité stylistique (sans jamais trop déborder des chemins grassement fuzzés qu’il emprunte). Ainsi le groupe propose trois petits instrumentaux vraiment bien foutus, dont l’excellent “Guayota” qui propose une déclinaison très intéressante, avec une montée en régime envoûtante qui pourra même rappeler My Sleeping Karma. Autre exemple un peu plus loin, “Self-taught Man” déroule son couplet tout en bonhommie envoûtante, qu’il jumelle d’un refrain bien gras (quel son !) fort bien senti.
Avec dix titres pour 37 minutes, Thammuz fait dans le synthétique, et ne tire pas ses morceaux en longueur ; c’est une bonne chose. De plus, ces dix chansons proposent ainsi une large gamme de chansons, autant de couleurs dans la palette stoner développée par le groupe. Evidemment certains sont plus dispensables, mais la qualité générale est bonne, voire très bonne.
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Dans notre chronique de leur compilation God Damn Rare il y a moins d’un an (lire ici), on appelait de nos vœux en conclusion un éventuel volume 2… Si jamais nous devions évaluer l’influence de Desert-Rock sur le marché du disque, la preuve éclatante nous est apportée ici, sous la forme de cette nouvelle offrande vinylique ! On vous renvoie vers la susmentionnées chronique pour un rappel introductif de l’importance de TAM dans l’histoire du stoner européen, on va éviter la redite et se concentrer sur cette nouvelle production de Ozium records, un confidentiel petit label qui, dans l’ombre, continue son impeccable travail de réhabilitation des trésors oubliés du stoner, via des rééditions ou, comme ici, la mise en lumière de raretés.
Onze nouvelles offrandes, comme autant de sucreries pour les nostalgiques, à travers des titres qui n’auront pour la plupart tout simplement pas eu l’opportunité de trouver leur place dans les quelques albums du groupe. Et pourtant la qualité est au rendez -vous… de même que la variété. Cette nouvelle galette a beau racler les fonds de tiroir, elle propose un généreux lot de raretés et d’inédits.
Ca commence fort avec la version démo de “Hunt You Down” (un morceau de leur dernier disque), qui n’a rien à envier à la version studio. Gros riff groovy, mid-tempo, fuzz crasseuse… on est bien. On retrouve un peu plus loin “Holy Moment”, un pur inédit (issu des sessions du troisième album) que nous connaissons bien, à Desert-Rock, puisqu’il y a une vingtaine d’années on vous le proposait en exclu mondiale. Même origine pour “Burden Fall” (un titre pas follement original mais qui reprend de A à Z la recette sonore du groupe) ou l’instrumental très intéressant “House on Haunted Hill”, qui a servi de trame pour le morceau-titre de l’album, “The Soul of a Thousand years”. Petit flashback aussi avec le rare “Life in Hypercolor”, riffue torgnole présente sur un vieux split avec leurs compatriotes Rickshaw.
Le reste de la galette, comme une bonne part du “Volume 1” est constituée de titres de travail qui avaient été composés et enregistrés (au stade de pré-productions) en 2004 dans le but de figurer in fine dans le mort-né quatrième disque de TAM. Tous ces titres mis bout à bout, on arrive petit à petit à se figurer ce qu’aurait pu devenir ce disque si le groupe n’avait pas déclaré forfait en cours de route : un disque énervé, qui aurait proposé une intéressante palette musicale. On passe ainsi du speed et énervé “Stand Out, Beat it up” et son collègue agité “My Way”, au groovy-doom “Gods Broken Stone” et son refrain addictif, en passant par un “Make me Crawl” qui évoquera une sorte de grunge metal. “Nail Inside Your Head” quant à lui, un peu moins produit, propose une sorte de synthèse du lot (un refrain catchy, une rythmique groovy, un son puissant, un chant hargneux…).
Du coup, alors que le plaisir berce chaque écoute, c’est plutôt la tristesse teintée de nostalgie qui nous accable un peu, en regardant ce disque pour ce qu’il est, avec un peu de recul: un aperçu à peine dissimulé de ce qu’aurait pu proposer The Awesome Machine en continuité de sa carrière. Leur quatrième album aurait proposé, on le sait désormais, du matériel qualitatif, le groupe n’étant pas en manque d’inspiration… Finalement, un peu bêtement, on aurait presque préféré y retrouver le reflet d’un groupe exsangue, sans inspiration, avare en proposition… ça aurait permis de faire passer la pilule et de justifier la fin de carrière prématurée du quatuor. Or il n’en est rien, et à en juger par la qualité de cette nouvelle volée de démos, il y a fort à parier que ce disque mort-né aurait pu trouver une place fort honorable dans la continuité de sa discographie.
Alors maintenant, quoi ? Un volume 3 à venir ? On sait que le groupe a été prolixe en splits, EPs et autres contributions, cela pourrait constituer un matériau qualitatif pour une nouvelle dose de nostalgie en rondelle – que l’on appelle de nos voeux, bien sûr. On sait aussi que les musiciens ont arrêté le groupe sans heurts ou griefs, et pour certains officient dans d’autres combos, donc s’il leur venait à l’esprit un jour de se remettre en studio pour réenregistrer ces titres sous la forme d’un vrai quatrième album, on ne cracherait pas dessus non plus ! Mais ne rêvons pas trop, et en attendant profitons de ce que l’on a.
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Vieux routards de l’ instrumental, Rotor énumère une liste d’albums depuis 1998. Ils sortent cette année leur album Sieben, le setptième donc chez Noisolution. Nous avions pu louer les mérites de ce groupe Berlinois aux contours stylistiques mal définis mais aux compositions brillantes et fédératrice où le traitement des grattes se fait toujours dans l’originalité sur fond de rythmiques épileptiques. Voyons donc ce que nous réserve l’ovni Rotor cette fois-ci.
Le constat est qu’une fois encore le groupe a décalé son style avec ce nouvel album, allant chercher un peu plus dans ses ressorts kraut et math rock, notablement sur “Reibach” et “Schabracke”. Chaque accord est implacable, d’ une propreté saisissante marque de fabrique d’un groupe qui a longtemps fourbi ses armes sans s’attarder à coller à un style précis.
Les titres s’enchaînent cependant sans qu’ un seul soit plus mémorable que l’autre faisant de cet album comme ceux auparavant un bloc assez délicat à intégrer. Je dis qu’ aucun morceau n’est plus mémorable…c’ est aller un peu vite en besogne la perle se cache un peu il faut aller gratter du côté de “Kahlshlag” pour que le quartette se fasse plus uni, la musique plus massive et viscérale, plus doom en somme avant de conclure sur le léger “Sieben”. On le comprends dès lors avec cette transition, Rotor livre un travail en pleins et déliés les pistes sont toutes le lieu d’expérimentations entre accords percutants et compositions plus fines, ce travail étant valable tant du côté des guitares que de la rythmique.
On passe un bon moment avec Sieben, Rotor à embarqué dans cet album tout son talent de technicien et a su faire évoluer positivement sa musique pour la rendre encore plus réfléchie. Il restera cependant difficile de placer précisément le curseur de son préciation sur cet ensemble qui oscille tout de même entre le très bon et l’excellent.
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Huit ans qu’on l’attend… certes, mais avant de se plaindre, rappelons-nous que nous avions attendu dix ans entre III (2005) et le dernier album en date, Middle of Nowhere, Center of Everywhere (2015). A l’image du tempo moyen de leurs compos, les californiens sont lents… Enfin, quand on dit “les californiens” – disons plutôt Lori et sa bande, car s’il en fallait encore une illustration, cette dernière production nous montre une fois de plus qu’elle est la seule maîtresse à bord, ou en tout cas le capitaine d’un navire qui change d’équipage à chaque album, chaque tournée… Il s’agit ici d’une paire d’excellents musiciens touche-à-tout ayant déjà œuvré dans des dizaines de combos peu renommés de la bay area, à savoir Bryce Shelton à la basse (et claviers), qu’on avait notamment entendu jouer du clavier sur le dernier live de HTSOB, et Jason Willer à la batterie. Mais… qu’entends-je sur cette galette ?… une seconde guitare !? Et oui, après plus de trente ans de carrière, Lori saute le pas et s’autorise l’interdit, en sortant du cadre du trio pour accueillir en second guitariste rien moins que Jason Landrian, le taciturne mais redoutable bretteur de Black Cobra… sachant, pour ceux qui suivent, que son compère Rafa Martinez au sein de Black Cobra a déjà fait certaines des plus belles heures live de Acid King à la basse (notamment lors de sa dernière prestation au Hellfest) ! Le monde est petit… Sauf que Landrian n’est pas juste une pièce rapportée : il a co-écrit le disque complet avec Lori, les deux ayant construit ces compos pendant de longs mois de répétitions.
Ce qui en est ressorti sous la forme de ce Beyond Vision est, sans la moindre ambiguïté, du pur Acid King. On est sur du doom tellurique, lent à souhait, où la science du riff absolu le dispute à la recherche de la mélodie, le tout étant à la fois bercé par les complaintes vocales lointaines et réverb-isées de Lori, et par des leads roboratives. Ces riffs fuzzés à souhait, cette basse ronde et généreuse qui supporte la plus grosse part du socle mélodique, cette batterie qui freine les velléités de frénésie et enrobe chaque séquence de déluges de crash, ces soli jamais trop techniques mais toujours enivrants, souvent à la limite de la dissonance… ce disque est globalement rassurant pour le fan.
En plusieurs aspects toutefois, Beyond Vision marque un véritable virage dans la carrière de Acid King. Pour des détails parfois (format quatuor, co-écriture…), mais plus fondamentalement pour l’ambition musicale déployée, l’impression de sortir de ce disque comme d’un cheminement dense et puissant. Lori nous prend la main dès l’intro “stellaire” de “One Light Second Away”, un titre instrumental épique, et ne nous lâche plus jusqu’à la fin, nous emmenant de planète en planète. Car il est là, bien tangible, l’autre élément clé du disque : le thème de l’Espace, qui n’est pas présent que dans le champs lexical, mais aussi dans l’ensemble des arrangements, avec des apports de nappes de synthés très subtiles (pas ou peu de contribution à la structure des titres) qui créent le liant entre les chansons, et viennent les “finir” d’un joli vernis – ce qui change un peu de l’aspect “rêche” que peuvent avoir certaines compos d’Acid King, par leur minimalisme parfois. Précisons-le à nouveau, encore et encore, cette très ingénieuse production (notons que Billy Anderson est encore aux manettes) ne fait pas ombrage au Acid King que l’on aime, qui est bien (omni)présent – par exemple dès le second titre, l’excellent “Mind’s Eye”, qui n’aurait pas dénaturé sur l’une des deux dernières galettes, avec son riff colossal et son gimmick de lead de guitare terriblement efficace, ou encore l’envoûtant “Beyond Vision”. Ces exemples illustrent parfaitement le bénéfice lié au doublon de guitare, avec une vraie ligne rythmique poids lourd et une surcouche de soli plus aériens (truchement qui avait toujours été possible en studio pour Lori, mais qui trouvait ses limites en live avec une seule guitare). Entre les deux, l’enchaînement full-instrumental du quasi drone “90 Seconds” avec le très atmosphérique et lancinant “Electro Magnetic” apportent encore la preuve que le groupe grandit, expérimente… Constat confirmé (toujours en instrumental) avec le colossal “Color Trails” en conclusion, mélant doom lugubre, rythmiques mi-martiales mi-tribales, et soli solaire tout en sobriété.
Généreux, intelligent, et surtout addictif, ce disque se déguste à chaque écoute avec un peu plus de plaisir. Largement constitué de titres instrumentaux, on aurait pu craindre la “dilution” de compos perdues au milieu de titres de remplissage ou de transition… Il n’en est rien : chaque titre est en réalité un titre de transition vers le suivant, et l’enchaînement se fait sans heurts, avec, inévitablement, un appui sur “repeat” à la fin de l’exercice. Bien joué à Blues Funeral qui sort ce disque dans le cadre de son opération PostWax II : ils pourront dans quelques années s’enorgueillir d’avoir accueilli l’un des albums les plus marquants d’Acid King. Le meilleur ? La discussion est ouverte…
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Quelle peut bien être l’intention derrière la sortie de ce quatuor de LP live (on ne parlera pas dans cette chronique des très hors sujet The Lords Of Altamont) ? C’est la vraie et seule question qui reste, une fois écoutés ces disques live… pourquoi ?
On commence par le set de Duel au Hellfest, un excellent concert certes, qui ne ressort pas grandi de son passage sur rondelle vinyle, loin s’en faut. Faute à un enregistrement probablement collecté direct sur la table de mixage, le resultat sonore est déplorable : la guitare lead geint dans le fond, le chant surnage dans un coin blindé d’une sorte d’écho lointain, la guitare rythmique grinçouille gentiment, la basse est loin, loin, loin… Un peu comme le public, strictement absent de tout le spectre sonore – un comble pour un disque live. Enregistrer un concert sous la Valley depuis la table de mixage c’est faire peu de cas du système sonore en place, qui est loin de l’équilibre d’un système hi-fi. Absurde. Quant au choix de ce set pour une trace vinylique, il permet certes de motiver un grand nombre d’acheteurs potentiels (le public présent, qui voudra en garder une trace dans sa collection) mais offre un regard bien restreint sur la carrière de cet excellent groupe (6 titres / 30 minutes…).
Le live de The Atomic Bitchwax aussi nous a séduit sur le papier. Premier constat : le son est meilleur. Est-il bon pour autant ? Correct tout au plus. L’ensemble est comme “étouffé”, oeuvre d’une captation cheap (vous vous rappelez du bon vieux temps où les live qualitatifs étaient le résultat d’un vrai travail de production, où les groupes dépêchaient des camions régie dédiés à la captation sonore ? N’espérez rien de comparable ici…). Le public est rarement audible, dommage encore une fois. Le set est un peu plus intéressant que celui de Duel en ce sens que bénéficiant de 50 minutes de set, le trio américain nous gratifie de 13 à 14 vraies chansons (à la mode TAB : entre 2 et 4 min en moyenne, avec une intro, un riff, 80% de soli, et c’est fini). Bref, une jolie set list, et un set sympa, mais sans plus.
La meilleure galette de ce malheureux trinome est celle de Ecstatic Vision. La prise de son est “un peu” meilleure (encore une prise soundboard, clairement pas en “ambiance”), avec des parties instrumentales plus claires, même si tout sonne en retrait derrière l’écrasante guitare lead et son overdose de wah-wah. De fait, l’aspect enivrant de la musique des étasuniens est bien retranscrit sur quarante minutes menées tambours battants. Dès lors, l’aspect “concert live” n’est plus vraiment prédominant dans l’écoute, et c’est plutôt la succession de ces six titres impeccablement exécutés qui emporte l’auditeur (mention spéciale pour le dévastateur “The Electric Step”). Déferlements inlassables de wah wah, hurlements de saxo, frénésie de caisse claire… toujours les mêmes ingrédients qui, adossés à une interprétation infaillible, retranscrivent une expérience scénique dans laquelle on peut (un peu) se projeter. De là à justifier l’incarnation vinylique, ça reste discutable…
Bref, à l’heure du bilan, on se pose à nouveau la même question : pourquoi ? Une certaine philanthropie probablement ?… Un souhait altruiste irrépressible de partager ces expériences musicales avec le plus grand nombre ? (16 éditions vinyliques différentes, quand même, probablement proposées pour offrir des expériences sonores inédites à chaque fois…) Les fans ont bon dos. On adore ces groupes, qui ne nous ont quasiment jamais déçu, sur disque ou en concert, mais là, c’est difficile de les suivre…
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On a beau avoir des antennes chez Desert-rock (Qui a dit des cornes??) on ne capte pas tout, loin s’en faut. Il faut dire que la production mondiale du genre est pléthorique et il n’est donc pas si étonnant qu’un groupe comme Håndgemeng ait pu passer sous nos radars malgré quelques EP pas piqués des vers. Rattrapons cela donc puisque le quartette norvegien vient de sortir un album du nom de Ultraritual signé chez Ripple Music et nous donnant ainsi l’opportunité d’y jeter une oreille attentive.
Avec Håndgemeng c’est le printemps! On sent venir la montée de sève. On dira qu’Ultraritual est puissant mais pas bas du front. Énergique mais pas excité du bulbe. Håndgemeng fait du metal qui sait où il va, nous sortant pourtant des sentiers battus et rebattus du doom à papa et du stoner tendance Goblinesque. Ne déconnons pas trop quand même sur le sujet car ici et là traînent nécessairement les mégots mal éteints de Lemmy et consorts, ce qui aide sans doute les norvégiens à produire un titre comme “Tales From The Tundra”. On peut d’ailleurs prémonitoirement dire que ce dernier sera fédérateur en live tant il pousse à gueuler en chœur avec le groupe dès la première écoute. Une des autres vraies bonne surprise est dans l’intro de “Vision In Fire” qui exploite des ressorts résolument modernes et metal, chants incantatoires à la limite du dissonants à l’appui pour une glissade vers un mid tempo appuyé et brut. Puis on retrouve l’appel cultuel du chant dans “Temple of Toke” , Håndgemeng enfilant les morceaux comme autant de perles sur un fil conducteur à la densité variable et fidèle à la promesse du titre de l’album.
Le groupe n’allume pas que des cierges et un goût de poussière du désert pimente la piste Ultraritual tout en sonnant le rappel de l’introduction The Astronomer. On pourra cependant déplorer un son un peu terne peut-être; mais en deux coups de potard l’esthète saura trouver à mettre un peu plus de présence sous les rouleaux compresseurs de ce bel engin de chantier. On passe dès lors un bon, que dis-je, un excellent moment, pour peu que l’on ne soit pas trop près des enceintes pour “Occultation Of Mars” où le groupe construit patiemment un titre aérien et contemplatif avant de venir sans raison nous détruire les tympans. A mois que cela ne soit que pur malignité de leur part avant de retomber ensuite dans la torpeur éthérée du morceau.
Ultraritual est la porte d’entrée de Håndgemeng dans le grand jeu du doom stoner velu et Ripple Music ne s’y est pas trompé en prenant le groupe sous son aile. Il vient fracasser l’ennui des auditeurs usés par tant de reprises fadasses du genre et offre de quoi se faire plaisir un bon moment au fil de réécoutes à en headbanger le front contre le mur.
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Quartette romain porteur d’une bacchanale instrumentale depuis quelques années, L’Ira Del Baccano a eu le temps de faire ses armes depuis 2010 et de puiser l’essence de son art sur scène. Le nouvel album, Cosmic Evoked Potentials est la promesse de retrouver l’esprit du live et la cohésion d’une bande de potes qui se connaissent sur le bout des notes pour produire encore une fois une musique hautement psychédélique et pourtant structurée à souhait derrière un artwork de pochette d’album certes chargé mais sans faute de goût.
Puissance et qualité sont les maîtres mots qui introduisent Cosmic Evoked Potentials. On voyage dans divers lieux d’un bout à l’autre des pistes. “The Strange Dream of my Old Sun” sonne à la fois lourd et léger, alterne les phases et les imbrique avec talent. Au même titre on découvre, “Genziana (Improvisation 42)”, titre classieux et éthéré qui vient démontrer la cohésion entre les musiciens lorsqu’il s’agit de produire une variation à la volée et d’introduire le dernier tiers de la piste avec des riffs enthousiasmants et qui réussissent à ré-ancrer l’auditeur dans le sol.
Parfois on pense au Floyd des dernières heures, notamment du côté des cordes mais c’est sans compter sur une batterie qui martèle virilement et relègue la chose à l’anecdotique. Cette même batterie qui fait la jonction naturellement avec “The Electric Resolution”.
C’est une pièce positivement linéaire que ce Cosmic Evoked Potentials. On divague entre fougue et contemplation totale comme sur la conclusion “Eclipse Omega” mais le tout s’enchaine sans heurt. Les titres sont tous nantis à la fois d’une indéniable qualité de composition et d’improvisation. L’Ira Del Baccano évite d’ailleurs ce qui fait souvent le point dur de l’improvisation : la lassitude face à une expression qui n’est tournée que vers le seul plaisir des musiciens. Le quartette est ouvert et offre à l’auditeur sa palabre sans jamais se rengorger de son talent et il faut saluer les répliques que s’offrent les cordes en particulier sur le titre éponyme. Le seul regret que l’on peut formuler au sortir des 40 minutes de l’enregistrement c’est qu’il n’y en ait pas une poignée de plus à se mettre sous les tympans.
Tout au long de Cosmic Evoked Potentials on est frappé par la qualité de l’enregistrement et le naturel avec lequel viennent s’intercaler les improvisations. C’est un peu plus qu’une jam session que nous offre L’Ira Del Baccano, à mi-chemin entre une friche artistique sans orientation et un album structuré avec une ligne directrice forte. Cette production est à mettre entre toutes les oreilles car elle est tout simplement hautement qualitative et il serait bien dommage de passer à côté.
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Trois ans écoulés depuis la dernière cérémonie. Comme à chaque fois, les créatures des profondeurs se réveillent et requièrent un sacrifice. Les prêtres du doom metal atmosphérique que sont les gars d’REZN revêtissent donc à nouveau leurs robes rituelles, leurs instruments prophétiques, et s’évertuent à rendormirent ces démons abyssaux d’une nouvelle salve de sonorités grandioses, lourdes et envoutantes. Une messe intitulée Solace et prononcée par le truchement du label Off The Record.
Le quatuor introduit le sermon par « Allured By Feverish Visions ». Une musique qui par sa guitare planante, son synthé aérien et sa basse d’une rondeur délicieusement grasse nous renvoie de suite dans les carcans du doom atmosphérique faisant l’empreinte d’REZN. Après cinq minutes de décollage, le vol s’intensifie, porté par une batterie de plus en plus percutante et une guitare davantage grondante, tel l’orage qui s’approche inexorablement. Néanmoins, aucun coup de foudre, aucun vent violent, l’ambiance redescend finalement en douceur et laisse place à « Possession ». Deuxième titre invoquant pour sa part le chant éthéré de McWilliams, qui après 4 minutes d’ensorcellement nous livre sans pitié à la brutalité d’un groove dévastateur et puissant. La tempête est enfin arrivée…
Ces enchainements de textures musicales et de profondeurs de composition nous permettent par ailleurs de saluer la qualité du mixage, qui on ne va pas se mentir est en grande partie responsable du succès du groupe. La richesse de « Reversal », tiraillée par les hauteurs stratosphériques d’un chant diphonique et les profondeurs insondables d’un lent groove malsain, ne saurait s’épanouir autant sans le secours d’un équilibrage et d’un assemblage d’une telle qualité.
Après ces trois morceaux, une certaine confiance s’installe, atténuant la vigilance au profit du plaisir de se retrouver en terrain connu. L’on secoue naïvement la nuque sur la rythmique entêtante de « Stasis », on ferme les yeux sur les délicats phrasés de guitare qui lui succèdent, non conscient du coup du massue qui vient nous cueillir à la cinquième minute. Ce dernier nous projette sans prévenir dans une dimension nouvelle, dérangeante, pleine de sonorités singulières, et pourtant d’une indéniable beauté. Transformation qui mène donc au majestueux intermède qu’est « Faded and Fleetine », royaume dans lequel siège le fameux saxophone du groupe. Ici, le musicien multidisciplinaire Spencer Ouellette s’en donne à cœur joie sur son cuivre, désormais intégré aux productions d’REZN. Il va mène pousser le vice jusqu’à s’accommoder de la complicité d’une flûte à de rares occasions.
« Webbed Roots » clôture la cérémonie en résumant du haut de ses presque huit minutes toute la complexité structurelle de l’album. Une attaque puissante, mêlant lent groove hypnotique et voix envoutante (Marie Davidson + Rob McWilliams) en une grandiose ascension vers les cieux. Puis survient une rupture implacable, arrachant leurs riffs électriques aux guitares et sa substance psychédélique au clavier. Par la suite, tandis que la tempête semble se calmer, la batterie nous ranime et nous fait poursuivre le voyage. Un trip porté par une voix nouvelle, prophétique, et déterminée à nous guider vers une nouvelle apothéose écrasante.
Au regard de leur précédent opus, l’on pourrait juger Solace un peu court. Et même en oubliant qu’il ne s’agit que de la première partie d’une série qui viendra prochainement se compléter, ce bilan reste nuancé par une richesse d’écriture et une profondeur toujours plus impressionnante de composition. Cet album est plus court, cependant chaque piste recèle plus de mystères, offre plus de relief, davantage de possibilités d’explorer et en définitive peut-être plus de matière à prendre son pied. La dimension atmosphérique est ici portée à son paroxysme, offrant des possibilités infinies dans lesquelles il ne faut pas hésiter à aller se perdre.
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Dans les milieux interlopes du doom occulte on l’ attendait de pied ferme le prochain Witchthroat Serpent. Les Toulousains n’avaient plus donné de nouvelles aux bacs de nos disquaires depuis 2018 (exception faite d’une maigre apparition en 2022 lors d’un Split avec Dead Witches) et les voilà enfin de retour avec Trove Of Oddities At The Devil’s Driveway, un album sur de nouvelle bases, signé chez Heavy Psych Sounds avec un line up grandement changé et qui explique probablement une partie du temps qu’il leur aura fallu pour sortir ce troisième album
Un album tout en analogique s’il en est, que le groupe a voulu comme un hommage à l’âge d’or où le cinoche faisait encore du film d’horreur classieux et plein de mystère, en témoigne le titre “Nosferatu’s Mastery” et la composition “The Gorgon” avec ses nappes de mellotron autant que les extraits de pistes de film.
Exit donc le numérique et bienvenue pureté du son à l’ancienne. Witchthroat enchaîne les titres hommages au prince des ténèbres avec “The House That Dripped Blood” ou “Mountain Temple of Blackness”. Les samples de films tantôt et la lourdeur des riffs ensuite sonnent comme autant d’ invocations démoniaques et tribales.
Trove Of Oddities At The Devil’s Driveway est écrit avec le sang d’un tempo au bord de son dernier souffle, une lenteur d’ exécution que le groupe pousse dans ses retranchements quitte à frôler le passage ad patres, le dernier sursaut de vitalité était réservé à “Yellow Nacre” qui retrouve l’allant des précédentes plaques.
Pour cet album on ne trouve pas autre chose que de la lenteur et de la noirceur, en rupture partielle avec un chemin qui semblait tout tracé, Witchthroat fait le choix de plonger dans un univers plus ténébreux que jamais et s’affuble d’une robe de prêtre occulte doom portée par de nombreux autres de ses pairs, poursuivant leur œuvre maléfique, mais la livrée est lourde, lourde comme les riffs de basse qui collent à la peau de l’auditeur. Lourde comme chacun de ces riffm qui enchainent celui qui pose les oreilles dessus alors que la batterie enfonce ses coups avec méthode et puissance. A ce titre, admettons que le split de 2022 avec Dead Witches n’aura pas été sans impact et si l’on allait plus loin sans doute y verrait-on la raison profonde de ce ralentissement de tempo. Il n’est pas impossible non plus qu’une certaine collusion se soit faite avec les confrères de Witchfinder (la sororité, t’as vu, que des Witch?!) qui ont cette année produit une plaque dont l’ADN n’est pas sans rappeler celui de “The House That Dripped Blood”.
Une fois de plus je me prends à me dire que ce style n’est clairement pas dans le champ de mes favoris mais soyons honnêtes Witchthroat fait peau neuve alors qu’on était en droit de ne pas attendre autre chose que la suite d’une œuvre qui avait déjà capté son public. Le désormais quartette (On t’a dit qu’il y avait un mellotron, soit à c’qu’on t’dit un peu!) se risque dans un exercice d’évolution plutôt que de jouer la complaisance et c’est louable voire même réussi. A ce titre, saluons particulièrement les effets d’ambiance cinématographique et les plongées psychédéliques qui donnent une consistance supplémentaire à l’album.
Trove Of Oddities At The Devil’s Driveway fera date au moins dans la carrière de Witchthroat Serpent avec une recomposition qui n’est pas due au hasard et un chemin pris qui ravira les plus radicaux des doomsters de l’ombre. Allez préparer vos poignards sacrificiels, tendez un écran blanc, projetez les meilleurs extraits de votre cinémathèque horrifique et headbanguez capuche sur la tête voici une nouvelle invocation à l’Etoile du Matin.
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Cinq années après la sortie de Pilgrim en 2018, Stoned Jesus réapparait une nouvelle production en main. Le trio d’Ukraine aura su traverser les épreuves et garder la force pour admirablement servir à son audimat un cinquième album intitulé Father Light. On délaisse l’usinage by Napalm record, qui est cette fois-ci effectué chez un nouveau crémier : Season of Mist ; choix qui colle pour le coup pas mal au thème de la galette.
Tout s’ouvre sur le titre éponyme de l’album, un conte narré par une tendre guitare sèche et une voix aussi claire que mélancolique. Un départ donc un peu frileux pour qui s’imagine retrouver l’effervescence de « Wound » ou l’énergie endiablée d’un « Here come the Robots », mais qui ne sera pas sans rappeler l’intro/outro de « I’m the Mountain » dans sa version intégrale. Néanmoins, une fois n’est pas coutume, cette jolie fable s’arrête d’un coup, mise au silence par un singulier son de clochette, lequel nous livre aussitôt à un riff d’une lourdeur familière.
« Season of the Witch » commence par un son caverneux, brut et arborant toutes les caractéristiques d’un doom de garage. Toutefois les 11minutes 30 que propose ce morceau ne se limitent guère à de lancinants et répétitifs brisages de nuque. Brusquement, le rythme s’accélère, la guitare s’emporte, suivie par la batterie de Dmytro qui se met à trotter. Très vite, tout ce beau monde engendre une superbe séquence instrumentale pleine de cette substance groove chaleureuse faisant la patte de Stoned Jesus. Aussi soudainement qu’il est advenu, ce revirement se substitue ensuite à d’aériens couplets pleins de douceur et de mélodies. La voix d’Igor ainsi que les guitares nous portent jusque dans les nuages, et nous laissent rêveurs. Hélas, depuis ce perchoir, notre chute n’en est que plus belle. Car il s’agit bientôt de redescendre vers le sol, vers ce doom minéral que rien n’arrête, et qui clôture cette belle histoire. Le morceau nous apparait telle une parabole éprouvante ; comme la trajectoire d’un missile, comme un rêve qui s’effondre après être monté trop haut.
Une succession de structures qui se retrouvent également dans « Get What You Deserve » ou encore « Thoughts and Prayers », dont le clip est disponible sur votre plateforme préférée depuis quelque temps. Un morceau plus sombre dans son propos ; sorte de lamentation sur les prières et pensées, toutes adressées à un dieu qui n’existe pas et condamne donc aux affres de la solitude. Affliction portée par le ton de voix de Sydorenko qui par ses douces mélodies hypnotiques nous offre au fil des pistes quelque chose de nouveau. Une poésie ambivalente, et porteuse d’un lourd fardeau.
De manière générale, les membres du groupe n’ont jamais été connus pour rester dans leur zone de confort. Au fil des années et des albums, ils ont continué d’explorer de nouvelles façons d’écrire, de nouveaux moyens d’intriquer les différents territoires de ce genre musical qu’on sait si vaste, d’inventer et de s’approprier, tout en conservant cette empreinte rythmique, ce cachet fuzzé qui fait leur identité intrinsèque. On ne peut que les féliciter pour ce nouveau trophée.
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Comment ça marche? Vous allez voir que ce n’est pas bien compliqué. Westing c’est le nom du dernier album que Slow Season sort en 2016, c’est signé chez Riding Easy et c’est très bien. Puis au tournant de 2021, profitant de l’arrivée d’un second guitariste (Ben McLeod), le désormais quartette Californien change de nom, ou s’agrège à celui de Westing (Sur ce point les Sources varient). C’est bon pour vous ? Ok ? On peut donc faire la checklist de la séquence temporelle Westing:
Chemise ouverte sur le torse √
Pantalon patte d’eph à poutre apparente √
Grosse boucle de ceinture bling bling √
Initialisation de la séquence temporelle √
Slow Season a changé de nom mais il ne faut pas croire que ce soit un vrai nouveau départ, à écouter Future c’est du Led zeppelin dans ce qu’ il a de moins blues et de plus léger, j’ai de nouveau 15 piges. Je découvre les plaques usées par la précédente génération. Voilà ce que je ressens dès les premières écoutes de cet album, autant dire qu’on ne pouvait pas rêver d’un nom aussi mal choisi comme titre… Future… A moins qu’il ne s’agisse justement de quelque astuce pour nous faire dire que le passé est une base pour construire le présent soit le futur d’avant. Compris Marty ?
Quelle que soit l’intention des californiens il faut noter que la plaque s’inscrit dans une cohérence totale, puisant çà et là ses inspirations dans le zeppelin de Physical graffiti, le Sabbath et autres Creedence Clearwater même si plus atténué. Le groupe produit comme par le passé un son suiveur de ses aînés mais sans aucune fausse note. Allez écouter “Big Trouble (In The City of Love)” rien que le titre dit ce que joue le groupe et les notes finiront par vous dire ce qu’il en est. A ce titre le détail compte et convoque des aînés encore plus anciens comme avec ce petit son de clavier presque caché dans les dernières secondes de “Coming Back to Me”, ce même clavier qui joue le psyché moderne dans les premières secondes de “Artemisia Coming Down” ou au travers de “Lost Riders Intro”.
Au fond cet album marque une fois encore le talent de ceux qui l’ont composé. Qu’ils se fassent appeler Slow Season ou Westing qu’importe, on pourra emmener les titres partout que ce soit pour une écoute attentive ou pour un fond sonore, que ce soit avec l’esprit contemplatif (“Silent Shout”) ou concentré sur le mouvement (“Lost Riders”). Là ou Future se démarque des productions de Slow Season c’est qu’il a perdu en puissance pour livrer des titres moins bruts avec une batterie qui trouve une place un peu moins centrale et un rééquilibrage des parties de gratte et de chant. La qualité de l’enregistrement également est plus polie et sans doute un peu plus froide.
Westing offre aux oreilles un pur moment de bonheur et au souvenir une occasion de revenir sur le devant de la scène. Même si dans cette recomposition Westing perd un peu de son originalité échevelée du temps de Slow Season, le quartette dépeint un futur à sa sauce, souvent joyeux et contemplatif quand il faut, un futur que l’on se prend à follement désirer avec eux.
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Egypt n’est plus, vive Egypt ! Après que le groupe ait splitté, Chad le batteur et Neal le gratteux ont fait le choix de se joindre à El Supremo en 2019, un navire psyché qui traçait sans bruit sa route de one man band depuis 2008. Il n’y avait plus qu’à embarquer un clavier et voici que El Supremo pouvait faire de nouveau route avec dans sa cale une nouvelle cargaison de galettes du nom de Clarity Through Distortion. Arrivé à bon port il est passé sous pavillon Argonauta Records et à présent il vogue la soute pleine d’un nouveau projet du nom de Acid Universe.
Le précédent opus cherchait à gommer l’histoire d’un groupe composé de 50% d’Egypt, ce qui n’était que partiellement réussi. A l’abordage de la nouvelle œuvre, Acid Universe, j’ai été frappé par la grandiloquence de l’ orgue sur fond de lourdeur rythmique, et de me dire qu’on est pas si loin semble-t-il d’Egypt avec ce “Crowley Magick” d’introduction.
On cherche tout de suite à se départir du mirage possible du groupe à l’identité si forte dont les restes composent la moitié de l’équipage. L’aspect instrumental de Acid Universe pourrait lui offrir un ancrage plus profond dans les fondamentaux rock psychédélique. “To Lisbon” le confirme, cette piste qui se libère de l’influence du groupe sus-cité pour attaquer un bon morceau de psyché kraut que l’orgue renforce totalement et qui crie : “nous sommes El Supremo, bordel!”
Si les quatre comparses ambitionnent de valoriser le nom d’El Supremo, ce qu’ils réussissent d’ailleurs toujours grâce à cet orgue dont les notes frôlent la lysergie, on verra cependant tout au long de la plaque le nom d’Egypt transparaître. Du réglage de la gratte à la rythmique tantôt lancinante, tantôt groovy, il n’y a rien à faire, on ne parvient pas à réaliser son deuil : “The Ghost Of…” où le clavier n’intervient qu’avec peu de force ne masque pas grand chose, cette frappe de cymbale crush, ce rocailleux de la gratte, rien à faire. Et même lorsque le susdit clavier intervient sur “White Hot Fever Dream” et attaque plus sévèrement le devant de la scène et bien… on est sur du Egypt tuné au Deep Purple.
Au fil des réécoutes, en prenant son temps, en les espaçant, bourré ou à jeun, dans la tempête comme sur une mer d’huile, rien à faire ça a toujours le goût du sable du désert et comme il se trouve que j’adore voyager et que comme tout bon amateur de stoner j’aime être tiré en arrière, je ne vais pas m’en plaindre, bien au contraire. Nous étions nombreux à être malheureux de voir disparaître le prédécesseur d’El Supremo. Et soyons juste, le rejeton apporte son lot de bonnes choses, Cam Dewald à la basse et Chris Gould au clavier n’ont pas à rougir de leur participation, ils ne servent pas la soupe à leurs comparses mais les complètent avec talent comme le démontre l’enthousiasmant titre de conclusion, l’éponyme “Acid Universe”. Il sublime le reste de la plaque, et anime dans une jam parfaitement calibrée, démonstrations de styles et vives émotions.
Finies les métaphores vaseuses pour masquer la réalité ! El Supremo est fils d’Egypt ! Acclamons Pharaon ! Qu’on lui pose sur la tête les couronnes du bas et du haut stoner, que lui soit remis le sceptre de feu son père, acclamons-le, que son règne soit sans partage et qu’il réchauffe nos âmes encore tristes du départ de son prédécesseur : ce dernier vit de nouveau au travers d’El Supremo et de ce très bon Acid Universe.
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