The Great Machine – Respect

Quelques mois après la sortie de son très réussi Funrider, le trio israélien ressort son troisième album, sorti en 2018 uniquement dans son pays, sans distribution mondiale. Il est donc peu probable que ce disque soit parvenu entre les mains de beaucoup de monde jusqu’ici, l’occasion aujourd’hui pour nous de voir s’il fallait déplorer ce constat. En effet, The Great Machine a vraiment décollé à l’occasion de ses deux derniers albums, bien supportés par quelques rares mais fantasques prestations live. Mais leurs premiers albums sont moins connus, et cette re-sortie est une bonne occasion de découvrir une partie moins connue de leur discographie.

Clairement, il est assez étrange de se lancer dans l’écoute de ce disque après avoir poncé il y a quelques mois le costaud Funrider. En effet Respect est franchement plus décousu. Il est difficile pourtant de qualifier Funrider de disque solide, mature et homogène (il part quand même pas mal dans tous les sens, et a même quelques passages plus faibles), pour autant, il reste moins hétérogène que Respect, dont les chansons ont du mal à trouver leur place ensemble, chacune représentant une facette des influences du groupe. On notera en revanche une constante sur le disque, cette tendance gentiment sludgy (voir le gentil « Slide Show » ou encore « Witches » et leur riffing sobrement glaireux), un peu moins présente sur leurs récentes productions. On passera rapidement l’assumé plagiat de la bande à Lemmy avec « Motor Charlie », sans intérêt autre que l’hommage, pour tomber un peu plus loin sur « Dragon Wagon » et sa rythmique que l’on croirait directement extraite d’un vieux Truckfighters. Le groupe s’essaye ensuite pendant 13 minutes à sa version lente et barrée du doom, avec le peu inspiré mais bien nommé « Doom Machine », avant de nous laisser sur le décousu « Respect » et sa conclusion chaotique.

Bref, ça tourne, ça vire, ça saute, ça riffe, ça part un peu dans tous les sens, et au final… ça se cherche un peu. Album de jeunesse, réellement, Respect est avant tout un disque où le groupe se montre et tente des choses, sans se brider, sans s’empêcher de rien (peu aidés par une production un peu rudimentaire). Un effort sympathique, dont quelques chansons restent bien à l’esprit (« Slide Show », « Dragon Wagon »…) mais qui se verra supplanté en tous points par ses albums suivants. Pour les collectionneurs complétistes en tout cas, c’est une belle pièce.

Ritual King – The Infinite Mirror

 

Quatre ans après un premier album enthousiasmant et prometteur, les anglais de Ritual King nous invitent à nouveau à plonger dans leur univers avec The Infinite Mirror. Pour ceux ayant raté leur album éponyme, difficile d’associer le trio mancunien a une ou deux références tant leur spectre musical est large. Allant du hard rock au heavy psych et progressif, on pourrait simplifier tout cela en les positionnant dans la lignée (plus ou moins directe) d’un Elder. Cela dit, peu importe les ressemblances car en vérité Ritual King s’ajoute à ces groupes, comme Kayleth, Mount Hush ou Mr. Bison, qui ont parfaitement digéré leurs influences pour en ressortir quelque chose d’original. 

Avec cinq morceaux au menu, The Infinite Mirror propose un album légèrement plus long que son premier album bien qu’il compte deux titres de moins. Aucun titre en dessous des sept minutes, le repas promet d’être copieux ! Mais attention Ritual King sait être généreux sans nous plonger dans l’indigestion. Ici, le temps est pris pour développer chaque riff, chaque mélodie, pour les embellir et les interconnecter avec le reste. Comme avec le riff d’intro de “Landmass” et surtout le massif “Tethered”, on a là l’influence elderienne avec cette sensation de partir en hyperspace, traverser plusieurs univers pour au final atterrir au point de départ. Comme un rollercoaster de l’espace au final ! Ajoutons à ça des soli de guitare subtils, puissants et variés … que du bonheur on vous avait prévenu !

The Infinite Mirror n’est pas qu’une virée vertigineuse dans le cosmos, et sait aussi proposer un hard rock plus efficace notamment sur “Flow State” et “Worlds Divide”. Plus saignant mais toujours aussi riche avec une avalanche de riffs, de breaks et de bonnes idées. Le tout accompagné par un chant plutôt discret mais apportant une certaine élégance. En témoigne l’excellente intro du titre éponyme clôturant l’album. “The Infinite Mirror” termine de manière intelligente cet album en associant les différentes facettes de l’album. ça fait toujours plaisir de voir des groupes proposer un album avec une tracklist réfléchie ! 

The Infinite Mirror applique, au final, la même recette que sur son premier album mais la réalisation est plus mature. Les ingrédients sont mieux coupés, leur dosage plus équilibré, la réalisation plus fluide, et avec une technique irréprochable comme cerise sur le gâteau. On pourrait à la rigueur regretter que certains riffs ne soient pas amenés avec plus de puissance, mais la recherche d’harmonie de la part du groupe semble être plus importante.

Amateur de musiques heavy psych (en gros si vous êtes fan d’Elder et King Buffalo voire de Vintage Caravan) Vous n’avez aucune raison de ne pas vous mettre à table et de vous régaler ! 

The Crotals – Conjure

THE CROTALS - CONJURE

Mon pote Flaux vous avait présenté la première trace gravée dans le sillon par cette jeune formation composée de vétérans (c’est plus élégant que vieux) de la scène rock helvétique en 2015 ici : lien. Huit ans plus tard, des cheveux blancs et un hurleur en plus, le désormais quatuor nous rappelle à son bon souvenir après une livraison discrète en 2018 (le long format Horde) commercialisée en circuit-court par Tenacity Music qui a propagé une palanquée de productions rock romandes qualitatives durant de longues années.

C’est auprès d’Argonauta que les riverains du Léman (ils sont du coin où on ne dit pas trop Lac de Genève) se retrouvent pour ce troisième, et magnifique, album comptant de nombreux featurings de leur cru. Les invités du quatuor apportant aux titres sur lesquels ils évoluent une teinte unique transportant ceux-ci à un niveau supérieur. Leur transposition pour l’exercice live sera un défi de taille pour les Romands expérimentés. Le challenge de la production de ce long format étant lui-même relevé de belle manière et l’essai foutrement transformé.

Le soin apporté par les artisans de cette sortie frise la magie et ce bordel a été magnifiquement capté et mixé par Raphaël Bovey (entendu à la batterie dans Kruger ou Sweet Disease pour ceux qui s’en souviennent) ainsi que masterisé par Ladislav Agabekov (Le Lad encore fréquentable sur scène à la basse dans Nostromo). Clairement à classer dans la catégorie sludge pour bourrins à incursions vocales gutturales, cet opus a été très finement fignolé pour ne pas se vautrer à plat ventre dans le bayou dégueulasse en se contentant simplement de balancer des bûches.

Au sommaire de cette succulente production, outre une prélude interlope au déluge sonore, nous retrouvons 10 plages à la fois cohérentes dans leur ensemble et singulières notamment en raison de la latitude artistique que se sont autorisés les reptiles en poussant l’exercice à fond avec les contributeurs conviés à la fête. Ces derniers étant au générique de 6 titres.

« Crater », qui entame les hostilités, voit Michael d’Impure Wilhelmina se joindre au quatuor en accompagnant la bagarre générale avec un chant clair qui transpose le déluge sonore ralenti en un brulot presqu’emprunt d’urgence aux relents connexes à l’œuvre de Soundgarden. C’est clairement un des gros coups de cœur de cette sortie avec « Cuts » qui balance du stoner fuzzé durant un peu plus de 3 minutes avec l’artiste hip hop La Gale qui place des chants précis sur un tempo rapide martelé par la rythmique qui se place devant un énorme mur de guitares saturées. Ce dernier titre contrastant avec les vocaux gutturaux mixés aux chants clairs qui se répondent sur « Impetus » tel un dialogue entre le groupe et son invité Danek. On citera encore la présence de Yonni de Rorcal sur « Silver Lakes » (le deuxième single issu de cette prod) qui partage la présence de Denis à la trompette aussi présent sur « Taenia ». L’apport de cuivre au sludge, ou au post machin truc, est clairement le truc en plus de cette production rutilante qui la rapproche d’artistes comme The Progerians. Je vous incite toutes et tous à aller vous cogner les 6 minutes de « Taenia » qui constituent une des deux pièces maîtresses de « Conjure » : c’est lent, puissant, visqueux, halluciné, hallucinant et terriblement addictif.

Hormis la présence de guest, Maude, Fabrice, Randy et Guy font un job de groupe sur des compositions généralement plus pugnaces comme les 3 minutes et demi de « Ecorce » où les guitares dissonantes viennent sonner magistralement au milieu de vocaux étouffés inscrits dans une structure rythmique martiale. Sur « Back Cat », le groupe déroule avec le frein à main tiré à fond pour appuyer plus amplement sur le rendu sombre et torturé de son art dissonant : ça laisse présager des gros mouvements de nuques en public (les physios se frottent les pognes). Après avoir multiplié les écoutes pour m’immerger jusqu’à l’abrutissement total (j’avais déjà quelques coups d’avance…), je rejoins le choix des artistes qui ont opté pour envoyer « La Boue » en éclaireur afin de teaser la chose. Un titre concis, carré, qui se déploie autour d’un riff central répété durant un peu plus de 3 minutes à l’ambiance malsaine qui colle à l’auditeur comme la fange sur les mocassins.

Conjure s’inscrit dans les plaques qui vont compter cette année en se cognant des codes, en fédérant des talents de sa région même quand la filiation musicale n’est pas évidente et en se torchant avec la convenance qui voudrait voir les groupes pratiquer une démarche artistique hyper redondante (même si Motörhead est cité comme influence). Cette production est d’une noirceur jouissive, je remercie tous les protagonistes de m’avoir procuré un tel bonheur. Bisous baveux !

 


Orbiter – Hollow World

Débarqués tout droit de Finlande avec sous le bras rien de plus qu’un EP et quelques titres postés ici ou là, Orbiter signe ici son premier album chez l’excellent label italien Argonauta. On va pas vous la jouer érudits de comptoirs, c’est à peu près tout ce qu’on sait sur eux avant de jeter une oreille sur leur disque.

Des groupes comme ça, sur le papier on en voit défiler plus que vous ne l’imaginez, mais certains ont un petit quelque chose qui fait la différence, et c’est le cas de Orbiter. Musicalement, le groupe se complait dans un doom psych mélodique de très bon goût, sorte de mix entre Acid King et Mars Red Sky. A ce titre déjà, la galette constitue un vrai modèle de maîtrise stylistique, de cohérence, qu’il s’agisse du son (ce son de fuzz subtilement crunchy fait des ravages), de la rythmique, de la prod… Mais le quatuor se distingue par deux facteurs parfaitement complémentaires : son chant, assuré par Carolin Koss, est absolument envoûtant. Pas vraiment dans la catégorie ni des chanteuses très lyriques, ni des chanteuses metal, ni des chanteuses neo-folk torturées qu’on voit fleurir dans les festivals fragiles, Koss évolue un peu entre tout ça, avec cette nonchalance qui évoque tant Lori de Acid King, mais avec un style très déroutant : l’impression de chanter tout le temps plusieurs tons trop bas, toujours sur une sorte de fil fragile, au bord du précipice, et en tout cas jamais dans la fausseté. Les premières écoutes sont confusantes et malaisantes, vous verrez, mais très vite ce champ impeccalement adapté se fait addictif et parfaitement calé sur les lignes mélodiques.

Le second facteur de réussite du disque tient d’ailleurs dans ces mélodies impeccables, remarquablement inspirées. Les riffs imparables défilent dans nos oreilles pour notre plus grand plaisir sans jamais tomber à côté (« Raven Bones », « Silence Breaks », « Last Call »…) et sont enrobés d’arrangements impeccables (louons un beau travail de production) et surtout de subtilités d’écriture amenant ces compos à une certaine transcendance : on notera en particulier le final de « Beneath » et sa montée en tension remarquablement construite, la section a capella au milieu de « Hollow World », l’intro de « Last Call » et son final presque groovy…

Au débit du disque on notera néanmoins quelques morceaux dispensables, comme l’instrumental bruitiste « Transmissions » enchaîné à l’acoustique « Under Your Spell », assez réussi en soi, mais qui plombent à eux deux un peu l’ambiance de cette seconde face (pour 38 min de musique en tout, on est en droit de faire un peu la fine bouche). Reste que le crédit du disque est plus que favorable, et nous permet de découvrir un groupe fort intéressant.

 


 

 

Mars Red Sky – Dawn Of The Dusk

Quatre années bien tassées ont défilé depuis The Task Eternal, le précédent opus du trio bordelais. Une éternité. Loin de se faire couper les ailes par un COVID dévastateur et castrateur pour les artistes, Mars Red Sky s’est démené pour défendre son bébé sur les routes sur la longueur (faisant même partie des premiers groupes à, coute que coute, reprendre leur activité, dans des conditions compliquées, confinant même parfois aux limites de l’absurde, rappelez-vous…). Conséquemment, le groupe n’a jamais vraiment disparu des radars, et le voir revenir avec un nouveau disque n’est pas surprenant. En tous les cas nos attentes sont élevées, The Task Eternal nous ayant laissé sur cette sensation de maîtrise absolue, du grand art, mais manquant peut-être avec le recul de ce petit facteur décisif, cette sortie de circuit, cette prise de risque qui emmène et installe un album dans les sentiers de l’excellence.

Dawn of the Dusk est différent de son prédécesseur, en cela qu’il joue clairement sur deux tableaux. Avant tout, il repose sur les forces du groupe, développant encore ce style si singulier, qu’il s’agisse du genre musical ou même plus précisément du son. L’équation musicale est à peu près inchangée : des mélodies lentes, des riffs doom qui viennent emprunter à la pop des atours toujours plus catchy, des leads guitare spatiales décolant à grands coups de wah-wah, le chant unique, fragile et aérien de Julien, le son dual guitare/basse empli d’une fuzz roborative, croustillante et sirupeuse, et cette rythmique en béton armée qui vient ancrer le tout. Franchement, les repères sont là et bien là.

Le second fait d’arme du disque est sa volonté d’exploration, inédite dans ces proportions. Soyons clairs : le groupe ne verse ni dans le hardcore ni dans le grind et on ne dévie jamais trop loin de leur identité. Néanmoins, on note plusieurs immersions dans des territoires un peu neufs, à commencer, évidemment, par « Maps of Inferno », le single de l’EP/Split sorti il y a quelques mois, en compagnie de l’artiste folk Queen of the Meadow, ici au chant. Dès le morceau suivant, « The Final Round », c’est Jimmy (basse) qui s’empare du micro pour là aussi apporter une patte bien différente, pour un titre à l’identité très marquée. On s’attend ensuite à du plus classique… raté : en lançant la face B avec l’instrumental « Choir of Ghosts », MRS nous amène dans des territoires doom aux limites du post rock le plus lugubre, pour un titre de transition froid et puissant, qui rappelle furieusement Bongripper avec sa rythmique lancinante et pachydermique, ses breaks et ses leads en fond de mix.

Autour de ces titres, le reste est tout en confort, le trio ramenant la barre vers des territoires plus habituels, avec une poignée d’autres compos réussies, plus « classiques » dans le répertoire du groupe, à l’image de « Slow Attack », ou encore « Break Even » qui introduit la galette.

Difficile pour l’amateur de Mars Red Sky de ne pas trouver ce disque réussi : tandis que certains de leurs premiers disques proposent probablement l’expérience la plus harmonieuse et cohérente (on continuera à les conseiller aux néophytes pour découvrir le groupe), ce Dawn of the Dusk capitalise sur ce savoir faire (en apportant encore quelques pépites de « MRS classique » qui trouveront vite leur place dans les set lists live du groupe) et en même temps tente des choses, apporte de la fraîcheur, de l’expérimentation, de la mise en danger. Mars Red Sky propose ici probablement le disque que l’on attendait à ce moment de leur carrière, s’affirmant plus que jamais comme notre fleuron national dans ce style musical dont ils sont quasiment les seuls hérauts. Gloire à eux.

 


 

Tortuga – Iteration

2017, 2020, 2023, voilà les trois jalons du voyage intersidéral des psych doomster de Tortuga. Le quartette vient poser son vaisseau une fois de plus sur notre planète et nous raconter ses voyages intersidéraux. L’Épopée se nomme cette fois-ci Iterations . Les compositions revêtent leurs plus beaux atours pour l’occasion, car à présent Tortuga est produit chez Napalm Record, signe s’il en est d’une qualité potentielle certaine.

Tortuga mixe les ambiances et les univers, passant des contrées sonores du prog avec un son bien particulier à la gratte et des soli éthérés comme sur « Lilith » à des attaques plus stoner et crunchy sur « Init ». cependant tout cela passe toujours par des mondes psychédéliques où la reverb laisse le temps au notes d’emplir l’espace.

Les superpositions de samples sur « Malaca » adjointes aux riffs lancinants et à la distorsion extrême et robotique de la voix lui donnent une nature toute particulière et originale. Cette distorsion de voix est réemployée dans le très visuel « Quaus », successeur de la piste Interlude où on pense aux images du film Dune et à sa bande son totalement planante.

Enfin puisqu’on parle de doom, « Laspes » offre ce qu’il faut de massif et d’aérien à la fois tout comme les meilleurs passages de la piste de conclusion « Epitaph », passages qui savent se faire attendre et exploser avec suffisamment de force pour plaire à l’auditeur. L’album laisse un sentiment de se saisir des styles de groupes plutôt récents, faisant penser parfois à un Stone From The Sky ou à un Spaceslug et quelques autres formations polonaises dans l’air du temps. Mais il y a toujours chez Tortuga cette touche d’originalité qui permet au groupe de s’en sortir avec une identité propre.

Ce qu’il faudra retenir de ce Iterations, c’est qu’il s’agit d’un bon album du genre, qui surfe entre les vagues du doom, du stoner et du psychédélique. Tortuga ne sombre jamais dans le pastiche et donne à écouter une plaque pas trop mal construite où sans idée révolutionnaire on se laisse transporter en des lieux de rêverie où l’on s’est déjà baladé quelques fois. Au final rien de bien indispensable mais rien non plus qui ne vaille qu’on passe à coté sans s’y arrêter.

 

Tar Pond – Petrol

On ne donnait pas cher de la peau de Tar Pond depuis le décès de leur bassiste et membre fondateur Martin Ain (oui, celui de Celtic Frost). En réalité, le quatuor n’existait déjà plus en 2020 lors de la sortie de Protocol Of Constant Sadness, son premier album que l’on croyait déjà posthume, trois ans après la disparition de Ain ! Ce premier album méconnu (essentiellement car mal né sur un label obscur et peu vendu faute à une distrib et une promo peu efficaces), œuvre collective de musiciens suisses (dont Marky Edelmann de Coroner – son collègue Vetterli produisant la rondelle), est pourtant remarquable (dans tous les sens du terme) et la perspective d’un second disque, même si peu crédible, était séduisante. Apparemment, nos doutes étaient peu fondés, et les musiciens ont décidé de s’atteler à un second disque.

Musicalement, les marqueurs de Protocol… sont tous bien là, et on reconnaît immédiatement la patte du groupe : proposant une sorte de metal doom très sombre, Tar Pond se démarque en particulier en deux points : le chant de Thomas Ott d’abord, qui a beau la jouer sobre (et avec des effets discrets), apporte une touche bien particulière à la musique du groupe, avec son timbre en chant clair et aux atours presque « hantés », même si peu mélodique finalement ; mais surtout c’est cette production de riffs simples et catchy qui marque le plus, un riffing qui rappelle inévitablement le style très sombre de Hangman’s Chair, avec ce jeu de guitare très répétitif et lancinant. Avec quelques arrangements metal doom bien old school (dont quelques échos de guitare lead qui rappelleront Type O Negative), le paysage musical a donc tout pour séduire le doomster lugubre et taciturne.

Le quintette (qui, outre Ott et Edelmann à la batterie, comprend toujours Stefano Maurielo à la guitare, avec deux nouveaux collègues) propose cinq compos bien denses et efficaces. Bien construits, les titres autorisent de nombreuses écoutes sans provoquer le moindre ennui, à force de quelques subtilités et chemins de traverses bien sentis. On mettra en particulier en exergue le très beau « Something », un titre commençant par des tonalités très dark et qui, s’il n’atteint jamais vraiment de perspective très lumineuse ni aérienne, s’élève plusieurs fois sur des passages plus légers, entre autres revirements musicaux intéressants.

Tar Pond apporte avant tout avec Petrol une preuve de vie cinglante, et conséquemment des perspectives de futurs disques qu’on n’osait espérer. En tant qu’album, il propose une suite logique à leur premier disque, qui ravira non seulement ses éclairés amateurs, mais a aussi le potentiel de séduire une frange exigeante de doomsters curieux. Reste à savoir quelle sera la capacité du groupe à se développer, notamment au delà des rondelles plastiques, c’est à dire sur les planches, un environnement où il a brillé par son absence jusqu’ici.

 


 

I Am Low – Úma

I Am Low est un jeune trio suédois dont les productions jusqu’ici (3 albums, des EPs…) n’ont pas vraiment bénéficié d’un fort écho. Par le truchement d’une signature chez les modestes mais pertinents Majestic Mountain, leur nouvel album est parvenu à nos oreilles, et on s’en félicite !

Tous les disques n’ont pas « d’effet cliquet », ce moment charnière qui nous fait dire « tiens, ce disque-là semble avoir quelque chose de spécial » : sur Úma, il ne faut pas le chercher très loin, il se présente sur exactement la durée de la première minute du disque, cette intro de « Gunman » où un riff basique impeccablement enrubanné d’une fuzz délicieuse vient se lover dans une rythmique groovy en diable sur une poignée de mesures pour lancer le titre. On est dedans. Le reste du disque ensuite est une démonstration de songwriting, pure et simple. Chaque titre développe sa propre identité, taillée à la serpe, pour un disque dense, homogène, mais proposant assez de diversité pour ne jamais s’ennuyer. On picore ici ou là, on y trouve des torgnoles stoner énervées (ce « Ruins » de moins de deux minutes, « Pigs »), des mid-tempo plus ou moins psyche et plus ou moins lents (« Dead Space », l’hypnotique et lancinant «Úma » ou encore « Void », leur « Planet Caravan » à eux), et même des passages d’influence plus grunge (« Wake ») – sachant que la frontière entre stoner et grunge n’est pas forcément imperméable par bien des aspects. Le tout se termine par l’audacieux « Release », belle pièce groovy de jam rock hypnotique aux soupçons kraut et space rock, parfaitement maîtrisée et addictive.

Le petit « facteur X » c’est cette finesse dans l’écriture, cet art savamment distillé du petit lick de guitare catchy, du refrain entêtant, du petit arrangement qui va faire basculer un morceau vers quelque chose de plus intéressant. Le disque en est plein, et chaque écoute en revêt une saveur différente.

Avec le recul, gros bourrins que l’on est (certain(e)s d’entre nous en tout cas), on aurait aimé une plus grande proportion de titres « nerveux », Úma embarquant au final une large portion de titres lents ou mid-tempo. Il faut dire que les gars s’y entendent pour proposer de superbes riffs, et on en voudrait toujours plus ! Reste que c’est aussi un signe d’audace, à saluer. Et ce constat un peu modéré n’obère en rien l’impression de maturité qui se dégage de ce disque, et l’espoir qui en ressort de tenir ici un groupe qui pourrait nous réserver d’excellentes surprises à l’avenir (et a minima une volée d’excellents albums), il en a le potentiel.

 


Ananda Mida – Reconciler

Jamais trop tard pour bien faire ? C’est à l’occasion de la sortie du 3ème volet de leur triptyque musical que l’on trouve l’occasion de se pencher sur ce quartette italien, membre du foisonnant roster du label transalpin Go Down Records.

Voulu donc comme le volet final d’un ensemble de trois albums, Reconciler propose une (très) riche sélection de huit titres foisonnants, abordant de nombreux styles musicaux, du psych rock atmosphérique au desert rock, du kraut rock au rock progressif, du blues rock le plus chaud aux musiques quasi-chamaniques… Les huit chansons durent pour certaines moins de quatre minutes, et pour d’autres jusqu’à 22 minutes ! Il est important d’aborder cela avant de rentrer plus avant dans le disque : on se retrouve ici avec un (vrai) double album, une galette proposant presque 1h30 de musique – vraiment pas dans les standards auxquels on est habitués. Si vous vous sentez prêts à digérer ça et à apprécier au contraire la générosité de l’offrande, dans ce cas se plonger dans ce disque peut se révéler une aventure passionnante.

Musicalement, ou pour le moins instrumentalement, on est sur une base assez solide finalement, reposant sur un quartette de musiciens stable, rompus à l’exercice du jam rock psych (belle base rythmique aérée, déluges de leads, riffs discrets mais solides…). L’ensemble est évidemment très « guitar oriented », avec des degrés de « saturation » assez variables mais plutôt légers dans l’ensemble (clairement on n’est pas dans quelque chose de très bourrin). Mais la spécificité du disque vient de ses guests, en particulier au chant, avec rien moins que cinq vocalistes différents (dont le besogneux Conny Ochs, petit prince germanique de l’underground), mais aussi pour des apports de synthés, percussions, etc… disséminés sur chaque titre, au besoin (note : dans une démarche corporatiste étrange mais louable, ces invités sont tous issus de groupes figurant dans le roster de Go Down…). Cette spécificité ajoute à l’impression de richesse qui se dégage des écoutes de ce disque, mais en contrepartie dilue un peu la consistance du disque (ce qui n’est a priori pas une préoccupation première du groupe, au vu du nombre de styles pratiqués).

Il est assez évident que synthétiser une telle pièce relève de la mission impossible : sur l’ensemble il y a non seulement des passages moins intéressants, mais aussi d’autres qui ne susciteront pas le même intérêt pour les uns et les autres au niveau du style pratiqué. En revanche, il y a du qualitatif à tous les rayons, et les gourmands (gloutons ?) amateurs de véritable psych rock y trouveront une très belle pièce. Reconciler est en outre un disque susceptible de se révéler dans des contextes très différents : en excellente musique de fond, en écoute approfondie au casque, en picorant ses titres par ci-par là… Disque riche tout autant que protéiforme, il devrait ravir les esthètes d’un mouvement musical riche et trop confidentiel.

 

Green Lung – This Heathen Land

Impressionnant parcours que celui de Green Lung : groupe relativement jeune (débuts en 2017), les anglais ont produit un premier excellent album, suivi du remarquable et remarqué Black Harvest il y a deux ans. Bien emmené par le petit mais réputé label Svart (garant de choix exigeants), ils se retrouvent déjà signés par Nuclear Blast – un label à qui l’on peut reprocher pas mal de choses (en sus de Blues Pills), mais certainement pas son flair à talent. Avec ce V8 sous le capot, il leur restait à mettre à niveau le châssis, et les revoilà donc déjà avec ce This Heathen Land sous le bras.

Pas de virage, pas de remise en cause : musicalement, on est exactement dans la même mixture, à savoir un heavy rock occulte, qui emprunte autant au doom metal classique qu’au heavy metal d’école. Le tout est encore une fois baigné d’une prod qui fait en permanence le grand écart entre respect des codes et des standards du genre (un mix splendide), et un souffle moderne (la puissance du mur de guitares, le son de basse…).  En cela, This Heathen Land reprend là où Black Harvest nous avait laissé, et nous emmène plus loin et plus haut.

Le constat est corroboré par la qualité des compos, qui oscillent entre le brillant et le très bon, sans point faible. Il faut dire que l’ensemble a beau rester dans ce boulevard musical bien balisé, la variété reste – paradoxalement ? – au rendez-vous. On a de la balade mélodique catchy (« The Ancient Ways »), de la torgnole riffue catchy (« Mountain Throne »), de l’hymne heavy metal catchy à chanter le poing levé (« Hunters in the Sky »), du gros hit hard rock mélodique catchy (« Oceans of Time »), du power doom catchy à gueuler sous la douche (« The Forest Church »), de la mélopée folk rock catchy (« Song of the Stones »), du power hit super-catchy emmené par un riff de… Hammond (!!!) avec le bluffant (et presque écœurant d’efficacité) « Maxine »… Bref, il y a de tout, mais… catchy ! Parce que l’on peut aimer ou moins aimer (mais pas détester quand même, je ne pourrais pas comprendre…), il est en revanche bien difficile de ne pas voir les compositions du quintette grand-briton vous rentrer pour longtemps dans le cortex frontal.

En termes d’exécution, rien à redire non plus : bien aidés par une production puissante et une mise en son cristalline, les soli et les riffs du prodigieux Scott Black emmènent les velléités épique du groupe, même si ce sont bien les vocaux de son frontman Tom Templar qui distinguent le plus le groupe de toute éventuelle concurrence (trop nasillard probablement au goût de certains, le chant de Templar mêle puissance et technique mélodique avec talent).

En tous points, This Heathen Land est meilleur que le pourtant excellent Black Harvest. Si le genre musical ne vous sied pas (c’est mon cas), passez votre chemin, mais il est impossible de ne pas reconnaître la qualité de ce disque qui, s’il trouve son public, pourrait permettre à la carrière de Green Lung de prendre un bel essor, mérité au vu de cette démonstration. Vous voilà prévenus.

 


Nebula – Livewired in Europe

Étrange mélange de sensations que celui qui s’empare du fan de Nebula au moment de découvrir ce disque. Ça commence par son existence même. Pourquoi un disque live pour le trio californien, pourquoi maintenant, alors qu’il y a deux ans sortait son « Live in the Mojave Desert » (pas sur le même label certes) et que le groupe a déjà sa roborative référence live avec ses enregistrements Peel Sessions de la « grande époque » ? Sachant par ailleurs que la tournée de mai 2023 dont sont extraits les enregistrements du présent disque n’a pas vraiment été une tournée clé pour le groupe (se concentrant sur un axe Italie – « Germanie étendue », elle n’aura par ailleurs en rien marqué les mémoires).

Mais surtout il faut évacuer « l’éléphant de la salle », le sujet qui inévitablement vient percuter la news de cette sortie : il y a quelques semaines décédait l’emblématique bassiste du groupe, Tom Davies. Cette tournée s’était faite sans lui, avec Ranch Sironi à la 4-cordes, tandis que Davies était alité, en train de combattre la maladie (avec une communication minimale du groupe sur le sujet à l’époque). Quel message donc de la sortie de ce disque, maintenant ? Dans le meilleur des cas, on l’espère, aucun… Reste que forcément (et probablement involontairement) le calendrier du deuil percute le calendrier commercial (vous reprendrez bien une demi-douzaine d’éditions vinyls collector multicolores de ce disque dont l’ancien bassiste vient de nous quitter ?). Malaise.

On essaye de prendre du recul pour jauger l’objet pour ce qu’il est : un album live. L’enregistrement est correct, la guitare d’Eddie Glass largement devant dans le mix, mais avec une place très claire apportée à chacun des trois éléments musicaux : batterie, basse et chant (dont chœurs), et même, quelques secondes après chaque titre, les cris satisfaits du public. Tout cela est plutôt propre, sans relief mais assez clairement enregistré et mixé, quasi scolaire dans l’exécution. Très correct, même si ce n’est pas l’enregistrement du siècle non plus, n’exagérons rien.

La set list est un savant mix de leur prolifique carrière et discographie, mêlant titres récents (issus de leurs deux derniers albums sur le même label), classiques issus de leurs plus anciens albums, et fausses raretés (des titres issus de split-albums, mais qui font depuis longtemps partie des set lists de référence du trio). Zéro surprise. Côté interprétation, on est sur du maîtrisé : pas la fougue de leur jeunesse, mais tout est sous contrôle, bien exécuté, à l’image des innombrables digressions solistes de Glass chargées en fuzz et wah wah. L’ensemble est bien sage et loin de la folie qu’on a pu connaître pour le groupe il y a plusieurs années, à l’image de ces « Aphrodite » ou « Out of Your head » ici un peu mous du genou. A noter que les trois titres après le séminal « Let it Burn » sont réservés à l’édition CD (ou digitale of course), signe à nouveau qu’on n’est pas dans un objectif de documentation d’un concert de référence, mais bien dans la vente d’un objet discographique (les trois titres ne rentraient pas sur le vinyl, et personne n’aurait été prêt à payer un double vinyle pour de cet enregistrement… donc on les retire).

Si vous êtes fan du groupe, option complétiste, l’acquisition de ce disque vous sera probablement obligatoire (et si c’est la musique que vous cherchez et non l’objet, on vous orientera plutôt sur les éditions CD ou digitale, avec trois titres supplémentaires). Si vous êtes plutôt collectionneurs de vinyl, vous trouverez largement de quoi décorer votre discothèque. Pour les autres, on vous laisse à votre quête de sens…

 


 

Anuseye – Right Place Wrong Time

Les plus vieux d’entre nous se souviennent probablement, il y a une trentaine d’années, comme le stoner rock transalpin était vif et précurseur en bien des points. Luttant à l’époque (à armes inégales) avec les meilleures formations du genre essentiellement américaines et scandinaves, les groupes de la botte étaient soutenus par une poignée de vaillants labels, parvenant parfois, après d’irrationnels efforts, jusqu’aux oreilles enthousiastes des amateurs d’accords fuzzés. Parmi ces formations « cultes » figuraient That’s All Folks, et dans une moindre mesure les non-moins-intéressants Colt 38. Le frontman de ces formations, Claudio Colaianni, a lancé un groupe, Anuseye, en 2010. Du fait d’une distribution famélique et d’une promotion DIY qui ne sera pas parvenue jusqu’à nos oreilles (et pourtant, avec un tel patronyme, notre curiosité aurait été piquée !), c’est par le biais de son 3ème album, ce Right Place Wrong Time, que nous faisons connaissance avec ce quatuor.

Musicalement, Anuseye ne présente pas ce visage frondeur, un peu insouciant et débridé, que l’on pouvait retrouver chez les formations italiennes susmentionnées. Il y a plus de maturité et de maîtrise dans la musique proposée, qui en réalité se positionne plus dans l’aspiration/l’inspiration du canal le plus historique du desert-rock séminal, quelque chose qui balance entre Masters Of Reality, les premiers QOTSA, les premières Desert Sessions… Chaque compo, tout en apportant un son bien spécifique, rappelle quelques reflets de cette tendance  musicale un peu surannée aujourd’hui – mais pour autant indémodable. « Odessa » par exemple, toute en guitare son clair, oscille souvent entre Yawning Man et le early-QOTSA. « Sagres”, elle, propose notamment un  refrain qui fait très directement écho à Masters of Reality (robot rock, chœurs…). Le meilleur titre de la galette, « Churchofchrist » déploie une mélodie super catchy imparable, et fait montre d’une superbe qualité d’écriture (riff impeccable sur base rythmique entêtante, petit emballement opportun sur double solo…).

Les autres titres viennent renforcer et confirmer certains aspects de la musique de Anuseye, à l’image de « Vancouver », en mode mid tempo riffu et groovy, ou encore « Kyoto » et « Stockholm » en synthèses parfaites : mélodie accrocheuse, rythmique emballante, leads aguicheurs pour aérer le tout…

D’une durée 43 min sans les bonus, l’album se tient bien en l’état. En version digitale, trois titres bonus sont donc proposés, mais qui n’apportent pas beaucoup à l’ensemble, pas de regret à avoir pour celles et ceux qui optent pour la version vinyle : « Addis Abeba » se positionne en transition instrumentale sombre et oppressante, ce qui détonne un peu de l’ensemble. « Santiago » ne montre pas un nouveau visage du groupe et rajoute une pièce à l’ensemble, avec un chant très Brant Bjorkien. Quant à « Berlin », il s’agit d’une modeste mais gentille bluette mélodique instrumentale.

En conclusion, Right Place Wrong Time est riche, foisonnant même, et délicieusement foutraque. Inspiré, créatif et écrit avec sérieux (on n’est pas dans le heavy psych barré de That’s All Folks…), l’exubérance propre aux formations italiennes de référence dans le stoner trouve ici une autre incarnation : aucune limite stylistique, pas de dogme, ça écrit, ça tente… et du coup côté auditeur, ça passe ou ça casse ! Ici ça passe, le plus souvent : on alterne le bon, le très bon, et quelques passages moyens. Mais les très bons passages l’emportent et rendent l’écoute de ce disque très enthousiasmante. Et donc recommandable.

 


Omega Sun – Roadkill

Alors qu’avons-nous dans les placards pour le goûter. Tiens, du Omega Sun, ça semble healthy et frais, regardons la composition. Trois ingrédients: un chanteur bassiste, un gratteux et une paire de baguettes, cela s’annonce sobre et dans nos goûts, y compris avec le nom de l’album, Roadkill. En petit il est également indiqué qu’il s’agit d’un produit Slovène de chez No Profit Records, et d’un second album après un passage chez On Parole Productions, un gouter healthy et équitable donc ?

Roadkill est en effet un bon quatre heure, on écoute la plaque sans arrêter de songer à Garcia (essentiellement à cause du chant évidemment), que ce soit dans Kyuss ou Slo Burn, sur le titre « The One » ou sur  « Early Morning » (Qui aurait gagné à s’enjailler d’un peu de cowbell pour le plaisant cliché) . Autant dire qu’avec une base aussi solide (Mais ne se hissant pas au firmament du maitre, évidement) il est difficile de produire un album déplaisant. Soit dit en passant Omega Sun arrive pourtant à remettre un coup de booster dans son approche un rien consensuelle, en particulier avec « Another You », piste royalement plus agressive et plus sombre où les cordes vont chercher des influences aux connotations très metal avant d’être rejointes par une batterie qui sans redoubler de tempo ne semble pas vouloir être en reste. On trouve aussi ici et là un état d’esprit grunge, que ce soit sur « The One », « Black Dusk » ou dans l’antinomique « Doom » qui passe d’envolées guitaristiques sympathiques  à un abrupt grand rien de conclusion.

Le casse-croûte est vite avalé, 6 biscuits assortis dans la boîte et une fois engloutis ils ne viennent pas peser plus sur l’estomac que sur l’esprit. Reste juste la sensation d’un moment de plaisir presque nostalgique qu’on se refera de temps à autre.  Omega Sun ne vient pas bousculer les codes du Stoner où livrer la plaque qui renversera la table du Doom. Le trio fait un job consciencieux et sûr de ses acquis. Une seconde production réussie et sans excès, là où tant d’autres auraient aimé trop en faire.:

Dopelord – Songs for Satan

En dix ans (depuis leur premier album) Dopelord n’a pas chômé : ce Songs for Satan est déjà leur cinquième LP sur la période, et côté scénique, ils ont arpenté une bonne partie de ce qui existe comme clubs et festivals du vieux continent, via un bon petit rythme de tournées. Bref, le quatuor occupe le terrain, et incidemment grappille des jetons de notoriété au sein de la scène stoner/doom européenne et internationale. « With great power comes great responsibility” comme disait l’autre. On attendait donc de ce disque rien moins que l’affirmation de leur légitimité dans le peloton de tête du doom européen.  Très (trop ?) hypé plusieurs mois avant sa sortie, l’album s’annonçait rien moins que cataclysmique, et on s’est donc jeté dessus la bave aux lèvres…

En se penchant sur l’objet et son concept, on fronce d’abord un sourcil sinon suspicieux, au moins circonspect : encore un énième rappel de l’éculé concept satanique (après un 4ème album titré Sign of the Devil, niveau originalité on a déjà vu mieux), ça ne nous projette pas forcément vers l’album de la révélation… Et tandis que l’on tombe sur « Night of the Witch » dès l’intro, l’ambition dégringole de quelques étages encore : avec un couplet basé sur un riff simpliste déjà entendu mille fois (mais dont le groupe semble se sentir très fier, le convoquant à nouveau en conclusion de l’album, sur l’inutile outro « return to the Night of the Witch » au synthé), ce titre propose surtout un refrain mielleux « sur-mélodique » aux limites de la génance. Sans le sauver, un sympathique break améliore le tout en milieu de chanson, avant une conclusion rappelant une sorte de mauvais Monolord sirupeux, avec un riff fuzzé en mode pilotage automatique. On va pas se le cacher, ça commence pas terrible…

Heureusement la suite est plus satisfaisante : même s’il est très téléphoné, « The Chosen One » est de très bonne facture (en particulier grâce à son break « sauce Dopelord » où s’enchaînent quelques excellents soli), tout comme « One Billion Skulls », un titre moins basique mais intéressant. « Evil Spell » un peu plus loin souffle le chaud et le froid, avec des passages aux ambiances travaillées rappelant Mars Red Sky, mais un peu plombé par des lignes vocales (et des paroles) indigentes. Celles et ceux que le chant un peu nasillard de Mioduchowski ennuie pourront d’ailleurs apprécier « Worms » en clôture, qui propose un chant 100% « gorge grasse râpeuse », un peu en décalage avec un riffing que l’on aurait vu plus lourd et sombre afin de mieux coller à ce type de chant (on est dans une tentative plutôt sludge que funeral doom, quoi) pour un titre globalement plutôt bien foutu.

En synthèse, Songs for Satan est un bon album de Dopelord, et un album de doom efficace, sérieux et appliqué : il rentre bien dans les codes, les règles sont respectées à la lettre… Sans fantaisie, Dopelord fait du Dopelord (un gros riff qu’il fait tourner aux limites du raisonnable, un refrain accrocheur, une série de soli, et on recommence…) alors qu’on aurait aimé voir le groupe prendre un peu de hauteur et matérialiser des velléités de se démarquer de ces dizaines d’autres bons groupe de stoner doom. Quelques riffs fort recommandables sont ici contre-balancés par quelques passages insipides et/ou mal inspirés. Pas un mauvais disque, loin s’en faut, mais un disque susceptible de décevoir celles et ceux qui en attendaient beaucoup. Il y aura comme toujours une poignée de titres suffisamment efficaces pour faire dodeliner les têtes en concert et headbanguer en synchro comme ils savent si bien le faire… rien qu’ils ne nous avaient pas déjà démontré (et on sera probablement toujours au premier rang).

 


 

 

Slomatics – Strontium Fields

Slomatics, dans l’intelligence collective, c’est un peu l’éternel jeune groupe plein de promesses… Pour un groupe en activité depuis vingt ans, avec désormais huit albums au compteur, avouons que c’est presque cocasse… La faute à une activité live sporadique ? A des labels innombrables, et dotés de trop faibles moyens de promotion ? A une discographie foutraque, larvée de splits, EP, etc… ? Un peu de tout cela, évidemment, mais leur singularité est avant tout à chercher dans leur style musical insaisissable, pierre angulaire de leur identité aussi forte qu’originale. Depuis des années, le groupe creuse son propre sillon musical, seul dans sa voie, à grands coups de riffs dooms et d’incursions psyche voire space rock plus perturbantes que confortables. Strontium Fields, paradoxalement, est tout autant chaotique dans son contenu, que dense et cohérent avec ses prédécesseurs.

Ça commence d’ailleurs avec « Wooden Satellites », un doom très classique, gros riff, et rythmique pachydermique, avec cette voix peu grave si confusante (celle de Marty, batteur), qui distingue Slomatics du « tout venant ». On note plus loin la grosse incursion de nappes de synthés pour soutenir un break psyche qui pourra là aussi surprendre si vous ne connaissez pas le groupe. Dans la même tendance, « Like a Kind of Minotaur » vient enfoncer le clou à grand coups de masse doom. « I, Neanderthal », avec son couplet au pattern de batterie presque… groovy ( ?!), sa quasi-absence de refrain et ses nappes de synthés continue de brouiller encore un peu plus les cartes… La carte « doom » est largement jouée, et triturée copieusement…

Tandis que l’étiquette bien confortable du doom psyche commence à se dessiner, « Voidians » nous emmène plutôt sur des territoires de… psyche doom : construit sur des plages atmosphériques assez planantes, le titre propose des embardées riffues costaudes comme poutres fondatrices d’un titre finalement étrange. Dans une démarche comparable, « ARCS » est lui aussi un titre à la structure plutôt mélancolico-psyche, mais densifié par une chape de guitares velues (pour rappel, le trio comprend deux guitaristes, et aucun bassiste), le tout enrobé, toujours, de claviers discrets mais bel et bien présents.

« Time Capture », plage atmo-mélodique dénuée de guitare sur près de 6 minutes, apporte une transition / plage de détente étrangement longue. Dans la même veine un peu plus loin, « Zodiac Arts Lab », un peu plus aérien (comprendre : moins dépressif), rajoute un autre titre dépourvu de saturation, cette fois porté par une guitare en son clair. Puis l’album se conclut sur « With Dark Futures », un titre qui se pose en synthèse impeccable de ce capharnaüm space doom stoner psyche (!), avec une intro de purs riffs doom bien patauds, et une transition progressive vers une seconde moitié mélodico-psych où les guitares saturées viennent s’entremêler aux claviers qui montent en puissance progressive.

Tout est dit, finalement, par le menu ; les ingrédients sont les mêmes, et Strontium Fields n’est pas significativement différent de ses prédécesseurs stylistiquement. En revanche, dans son exécution, il pousse tous les potards plus loin. Pas forcément dans l’aspect « crushing », où la lourdeur de certaines plages de leur discographie récente étaient parfois plus impressionnante, voire terrifiante. On a du lourd ici, et du gras, sans ambigüité, et en généreuses portions, mais c’est plutôt quand il assume ses incartades atmo-samplo-synthés que le groupe tresse des ambiances denses et singulières, sans équivalent dans le paysage musical actuel. En découlent des apports mélodiques significatifs, qui apportent une dimension inédite à la musique de nos trois irlandais. Strontium Fields finit de dresser le portrait d’un groupe à part, un groupe décidément vraiment pas taillé pour le grand succès public, mais résolument dédié au plaisir auditif des plus exigeants de nos lecteurs, de celles et ceux susceptibles de se lasser des styles codés, au classicisme ampoulé parfois. Slomatics propose à la fois une musique respectueuse d’une histoire et des groupes de référence du genre, et en même temps un chemin de traverse audacieux mais assumé et maîtrisé. Il mérite autre chose que notre respect pour cela, a minima votre intérêt.

 


 

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