|
Troisième album en douze ans d’existence, on peut dire que le quintette de San Diego, Sacri Monti, prend son temps. Les amateurs de rock progressif ont sans doute suivi l’évolution de ce groupe, que nous avions évoqué en 2019 lors de la sortie de leur précédent opus. Après cette longue période de gestation, voici enfin Retrieval, le nouvel album que l’on espère aussi marquant que son prédécesseur.
Dès les premières notes, on remarque que la batterie occupe une place centrale, bien qu’elle cède régulièrement la vedette au chant. Le synthétiseur, quant à lui, n’est pas simplement un accessoire destiné à légitimer le rock progressif de Sacri Monti. Au contraire, il s’affirme brillamment, notamment sur le morceau “Brackish Honeycomb”, où il devient l’instrument phare. Sur des motifs rythmiques électrisants, il dialogue avec la basse et les guitares dans un jeu de questions-réponses captivant.
Du côté des cordes, les solos, bien que brefs, sont exécutés avec panache, en particulier sur “Intermediate Death”, qui inscrit le groupe dans une forme d’authenticité. Les guitares, tout comme les autres instruments, ne cherchent jamais à en faire trop. La musique est dense, les musiciens jouent en parfaite harmonie, et on ne peut que saluer la cohérence de Sacri Monti sur des morceaux comme “Desirable Sequel” ou “More Than I”.
Retrieval n’est pas seulement une démonstration de cohésion ; c’est aussi un album aux mélodies accrocheuses, sans jamais tomber dans la facilité d’une composition trop prévisible. Ces mélodies alternent avec des passages plus nébuleux, empreints de psychédélisme et subtilement jammés. Si “Waiting Room For The Magic Hour”, le précédent album de Sacri Monti, nous avait déjà conquis, Retrieval joue dans une autre catégorie. Moins enclin à s’étendre en jam sessions (un exercice déjà maîtrisé sur l’album précédent), le groupe enrichit ici ses compositions solides avec une touche de fantaisie qui affirme leur identité tout en s’inscrivant dans la lignée des grands du rock des années 70.
Si vous n’avez pas encore écouté Retrieval, il serait sage d’y prêter une oreille, c’est dispo chez Tee Pee Records et 37 minutes c’est (trop) vite passé. Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas aller faire l’expérience de Sacri Monti en live, dès que l’occasion s’en présentera, une fois de plus on ne saurait que trop vous le recommander tant ils nous ont laissé sur le carreau à chaque fois que nous avons pu les voir.
Nous n’avions pas été tendre avec la précédente sortie de Brant Bjork (Bougainvillea Suite, 2022) et c’est donc avec une petite appréhension que l’on écoute pour la première fois ce nouvel opus.
Encore que, il y a déjà quelques différences qui peuvent laisser un espoir de ne pas être à nouveau déçu. Déjà, Once Upon a Time in the Desert n’est pas un album de Brant Bjork mais de Brant Bjork Trio, avec Ryan Güt (à la batterie) et surtout Mario Lalli (à la basse). . Et mine de rien ce détail a son importance. Difficile de dire la part de chacun dans l’écriture des titres mais la patte Mario Lalli est indéniablement présente et c’est une très bonne chose.
Plus rock, mieux produit et arrangé, les défauts habituels des derniers albums de Brant Bjork sont de ce fait estompés. Ce côté répétitif des riff épuisés à l’excès est moins flagrant car les titres sont plus riches, avec des solos mieux travaillés, des variations plus fréquentes et une impression globale de travail bien fait car plus peaufiné. Les riffs d’intro des titres, marque de fabrique de mister Cool, sont plus accrocheurs (“U.R Free”, “Higher Lows”) et certains sortent tout droit du coffre de Mario “Fatso Jetson” Lalli (“Magic Surfer Magazine”). On trouve même des choses plus noisy, plus brutales (“Rock and Roll in the Dirt”) pour un ensemble à la fois varié et cohérent.
Alors oui, quelques passages par-ci par-là donnent une impression de déjà entendu, oui les paroles ne sont toujours pas hyper recherchées, mais l’album s’écoute sans lassitude et on a envie de croire que Brant, aidé de ses amis de longue date, débute ici un nouveau cycle dans sa carrière déjà ô combien remplie.
De plus, une bonne partie des titres devraient prendre une dimension supplémentaire en live comme c’était le cas pour les incontournables des trois premiers albums de Brant. Il y a dans certaines compositions un potentiel de jam et d’extension évident et espérons que le trio en profite pour expérimenter, trouver de nouvelles idées pour sans tarder nous donner une suite.
Autre signe qui ne trompe pas et qui nous montre que Brant tente un retour aux fondamentaux qui ont fait sa réputation, Once Upon a Time in the Desert marque le retour de Duna Records, label fondé par Brant Bjork en 2002 (et qui avait cessé ses activités en 2006). Période bénie qui vit Brant donner des concerts de plus de deux heures, parfois trois, bourrés d’impros et de jams expérimentaux.
Bref, on croyait l’ami Bjork à bout de souffle avec son précédent album, le voilà qui remet les pendules à l’heure avec un cru 2024 solide.
Est-ce qu’on aurait misé 10 euros sur la pérennité de Legions of Doom quand on a commencé à entendre parler du projet, il y a environ deux ans ? Probablement pas. Legions of Doom, pour rappel, c’est une émanation partielle de The Skull… un groupe qui était lui-même une émanation partielle de Trouble ! Le titre du disque, The Skull 3, affiche d’ailleurs autant de clarté sur son intention qu’il ne sème de trouble (jeu de mot involontaire)… Chelou. Sans parler de cet artwork avec un crâne (“skull”) sur lequel poussent de nouvelles fleurs, message peu subtil là aussi…
Résumons : Legions of Doom, donc, est un projet lancé il y a quelques mois sur les cendres de The Skull, le groupe créé en 2012 par Eric Wagner, tandis que le charismatique vocaliste s’était retrouvé vilainement exproprié de son propre groupe, Trouble, quelques années plus tôt. De manière assez logique finalement, la notoriété de Trouble (qui continue sa petite carrière derrière la paire Franklin / Wartell) s’est mécaniquement divisée par deux, apportant finalement assez peu de visibilité à The Skull (par ailleurs le titre du second album de Trouble… vous suivez ?). Même si The Skull a sorti deux disques intéressants, ils restèrent néanmoins un peu sous les radars. Le groupe s’est définitivement éteint avec le décès de son leader Eric Wagner en 2021 (il est mort de complications liées au COVID… tandis qu’il était anti-vaccins…), et l’on pensait l’affaire entendue. Sauf que le duo de l’ombre derrière la formation (le guitariste Lothar Keller et le bassiste Ron Holzner) ne l’ont pas entendu ainsi : ils ont récupéré des paroles qu’avait rédigées Wagner pour un supputatif nouvel album de The Skull, et en ont composé la musique (pour rappel Keller était le principal compositeur de The Skull). Quel vocaliste choisir pour donner une véritable ampleur doom au projet ? Scott Reagers, évidemment, le légendaire chanteur de Saint Vitus. De manière saugrenue, le duo va aussi chercher un second chanteur, Karl Agell, dont le principal fait d’arme est d’avoir chanté sur le Blind de Corrosion of Conformity (un bon album, certes, mais dont la seule chanson culte qui en est ressortie, “Vote with a Bullet”, est aussi ironiquement la seule qui n’est pas chantée par lui…).
Dans les faits, à l’image de leur mode de fonctionnement en live, les chansons du disque sont affectées à l’un ou l’autre des vocalistes : sur huit chansons, quatre sont chantées par Agell, trois par Reagers… et une par Eric Wagner ! « Heaven » est effectivement issue d’une bande enregistrée par le chanteur avant son décès. Évidemment, la personnalité de Reagers, son timbre et sa capacité à retranscrire cette ambiance doom « creepy » font une vraie différence pour les titres sur lesquels il intervient (voir en particulier les rampants « Lost Soul » et « Hallow By All Means », glauques et doomy à souhait). Pour autant, soyons objectifs, Agell, probablement poussé dans ses retranchements, s’en sort assez bien en servant honnêtement les autres compos.
Globalement, le disque fonctionne très bien, les compos sont solides et efficaces. On ne s’attendait pas à moins pour un projet reposant sur des musiciens si expérimentés, et en particulier un duo ayant fait ses preuves en termes de composition. Les riffs sont massifs et bien ciselés et les arrangements pertinents (la production, sobre et sans chichi, est de très bon niveau). Côté inspiration, on peut sans problème tracer la lignée de la plupart des compos qui peuvent être rattachées à Trouble (milieu / fin de carrière), en particulier sur des titres comme « All Good Things » ou « Between Darkness and Dawn » dans des styles différents. Toutefois, le spectre musical couvert, s’il reste bien ancré dans le doom metal classique, est assez large, en proposant des titres assez rapides et nerveux (« Insectiside » par exemple), autant que des titres plus lents et malsains (« Between Darkness and Dawn », le pachydermique « Hallow By All means », etc…), avec en plus cette « parenthèse » que représente le « Heaven » susmentionné, un mid-tempo légèrement électrisé emmené par le chant de Wagner.
Au final, The Skull 3 est constitué d’un ensemble de compos de très bon niveau : riffs accrocheurs, rythmiques variées, interprétation sans faille, intégrité stylistique… Tout fan de doom metal classique y retrouvera largement son compte. En tant qu’album (et que groupe), on pourra néanmoins déplorer cette impression de « discontinuité » au fil de l’écoute, liée au changement perpétuel de chanteur : trois vocalistes sur ce disque, et vraiment trois tonalités radicalement différentes apportées aux compos. On peut avoir ses préférences pour l’un ou pour l’autre – tel n’est pas le propos – on ressort invariablement de ce disque avec ce sentiment un peu confus de ne pas trop savoir ce qu’est ce projet, et surtout… pourquoi diable ne peuvent-ils pas se fixer sur un seul chanteur ?! C’est rationnellement incompréhensible. Mais cela n’obère rien à la qualité de ce disque, qui est excellent (sans transcender le genre non plus).
Le parcours de Slomosa ces dernières années est des plus étonnants : apparus en 2020 par la petite porte via un premier album sorti sur un label norvégien confidentiel (nous étions peu de médias à en parler à sa sortie), leur réputation s’est peu à peu accrue sur l’année suivante. Mais c’est véritablement en 2022 que l’aura du groupe s’est développée, en particulier du fait d’une farouche volonté d’aller sur les routes chercher son public et convaincre : près de 80 concerts seront donnés cette année-là (et une soixantaine en 2023), dans toutes les configurations (headliners en clubs, mais surtout premières parties pertinentes et passages remarqués en festivals, dont le Hellfest). Le groupe n’y aura pas seulement gagné en reconnaissance, mais aussi en assurance scénique, assumant ce choix fort de se construire sur et pour la scène (un choix prégnant aussi sur ce nouveau disque, on va le voir) .
Enregistré depuis de nombreux mois, ce second album, Tundra Rock (d’après le groupe, c’est littéralement leur “desert rock” à la sauce norvégienne…), nous parvient enfin, avec une sacrée pression à gérer pour le groupe, qui va se confronter à des attentes très variées, proportionnelles à l’enthousiasme suscité ces dernières années.
Leur premier album reposait sur une poignée de petites perles de compos à l’efficacité remarquable (« Kevin », « There is Nothing New Under The Sun », « Horses » et quelques autres) qui tiraient le reste des titres ; ces derniers étaient de bonne qualité, mais moins “décisifs”. Sur Tundra Rock, les « locomotives » sont moins marquantes… parce que le niveau général est plus élevé !
Rappelons par ailleurs que plusieurs chansons étaient déjà connues depuis plusieurs mois (“Rice”, « Battling Guns » et « Cabin fever » lâchées en exclu depuis longtemps, « Afghansk Rev », « Red Thundra » et d’autres déjà jouées en live…), rendant l’écoute du disque assez familière, mais aussi un peu décousue. Mais le constat global émerge assez vite, inexorable : l’échantillon proposé se révèle impeccablement ciselé, si bien qu’il est difficile de faire ressortir des titres qui sortent du lot, qualitativement. Quelques chansons se distinguent par leurs traits caractéristiques toutefois : « MJ » et son riff robot-rock trouverait sa place directement entre les deux premiers albums de QOTSA (même le chant de Ben sur le lancement du refrain rappelle Homme). « Monomann » fait directement écho au percutant « Kevin » du premier album, avec son couple “riff 4 étoiles” / “rythmique pied au plancher”. « Dune » développe les (discrètes mais bien présentes) influences orientales du groupe à travers une rythmique toute en percus et des sonorités inédites. Quant au très remarquable « Red Thundra », il démontre une maturité d’écriture difficile à contester : lancé sur le délicat filet de voix de Marie et sa modeste ligne de basse, le titre se densifie au gré de l’adjonction des différentes strates instrumentales. Il installe plusieurs séquences mélodiques très intéressantes, jusqu’à son final mêlant tension et élévation (!)… le tout en à peine plus de cinq minutes. Bluffant.
Chaque chanson mériterait sa propre mise en lumière, mais on préfèrera mentionner un autre élément de diagnostic, qui s’applique à 100% des compos : elles sont toutes parfaitement adaptées à une version live. On peut, pour chaque morceau, se projeter sur les arrangements parfaitement opportuns qu’une transposition live nécessiterait (ou permettrait). La production du disque va dans ce sens, avec une véritable cohérence sonore de tous les instruments sur l’ensemble de la galette. Comme pour assumer cette orientation, consciemment ou pas, Slomosa place « Afghansk Rev » en intro de son disque… comme lors de ses concerts !
Tundra Rock, malgré une approche moins « directe » que son prédécesseur, se révèle être un album d’une qualité remarquable. Riche en titres efficaces (véritables machines à fredonner et/ou headbanguer) il apporte une densité vraiment bluffante, assortie d’une homogénéité stylistique et qualitative que l’on est surpris de retrouver chez un groupe finalement si jeune. Entendre ces chansons en concert devient une attente évidente, qui sera vite satisfaite (le groupe ayant déjà testé bon nombre de ces compos sur les planches, et s’engageant par ailleurs sur un gros rythme de concerts pour les mois à venir…).
Plus largement, Slomosa se révèle en leader d’un mouvement régénérateur du stoner rock, et le fait dans une démarche humble mais intègre : en s’appuyant sur les racines du genre et en s’inspirant de ses groupes emblématiques, le quatuor développe son style basé sur le plaisir musical et l’efficacité. Sans aucune prétention de sa part (loin s’en faut), il devient évident que dans sa dynamique il est en passe de devenir l’un des plus grands groupes du genre… quitte à se heurter au plafond de verre inhérent à ce style musical ? On verra bien dans quelques années, ne boudons pas notre plaisir d’aujourd’hui et écoutons à nouveau ce délicieux Tundra Rock.
Parmi les groupes qui ont marqué la dernière décennie, il est difficile, voire impossible de ne pas citer le nom d’Elephant Tree. En seulement trois albums, les Londoniens ont fait fondre nos petits cœurs de doomer avec leur capacité à être à la fois aérien et aussi massif qu’une montagne.
Faisons un saut dans le temps, et infligeons-nous un bon coup de vieux par la même occasion, avec leur premier album Theia en 2014 qui surprend déjà par sa lourdeur, ses sonorités plus folk, et son couple de chant, complètement moelleux et naïf d’un côté, et rugueux, désespéré de l’autre. Vient ensuite, en 2016, la bombe éponyme qui a fait la renommée du groupe en dégommant tout sur son passage. Tout est dans cet album : puissance, délicatesse, riffs groovy et saignants, et à nouveau ce couple de chant qui se répond parfaitement. Et puis début 2020, en tout début de confinement, le groupe se met à risque avec le très réussi Habits en conservant son intensité sonore, mais apportant un je ne sais quoi de plus qui rend l’album tout simplement beau à écouter.
Alors voilà revenons au présent, Elephant Tree célèbre cette année ses 10 ans ! Et généreux comme ils sont, ce sont eux qui offrent le cadeau ! Voici donc pour notre bon plaisir Handful of Ten, un album particulier qui regroupe trois démos d’anciens titres ainsi que trois morceaux inédits.
Côté démos, le groupe pioche d’abord dans l’album Theia avec le titre “Attack of the Altaica” boosté aux stéroïdes au niveau de la basse. A noter aussi l’ajout plutôt cool d’extraits de film venant amplifier l’ambiance pesante du morceau. On a ensuite deux titres de Habits. Le génial “Birds” dans une version où l’outro du titre est encore en construction et amène un côté un peu plus sauvage au morceau, et puis “Faceless” et ses riffs colossaux qui viennent nous secouer un peu plus violemment que d’habitude. Globalement, ces démos bénéficient d’un son bien plus lourd, se rapprochant de ce qu’on peut avoir en concert ! Autant dire que c’est le bonheur assuré !
Au niveau des inédits, le titre “Visions” se met rapidement en évidence. Enregistré pour le projet musical/cinématographique The Planet Of Doom (incluant notamment Ufomammut, Conan, Slomatics ou Vokonis… va falloir s’accrocher fort à son slip Sleep !), “Visions” résume en sept minutes toutes les qualités du groupe. On est comme dans un rêve aux images ralenties et distordues se faisant effacer brutalement par un riff triple épaisseur et une voix de damnée provenant du plus profond de l’espace… le KO est complet, mais on appuie sur repeat dès que l’on reprend ses esprits ! Les morceaux “Try” et “Sunday” sont malheureusement un peu moins marquants malgré le rythme plus nerveux et efficace de “Try” (et sa fin me rappelant bizarrement Red Fang), qui viendra aisément foutre la pagaille dans une fosse de concert, et les riffs pesants de “Sunday”.
Au final, que penser de ce Handful of Ten ? Eh bien la meilleure réponse c’est de ne pas réfléchir et de profiter à fond de l’offrande. Déjà, car elle est qualitative, et surtout parce qu’Elephant Tree vise tout simplement avec Handful of Ten à nous faire plaisir et célébrer 10 ans de doom éléphantesque ! Alors célébrons avec eux, et profitons-en aussi pour nous replonger dans leurs albums studios (et leur album live Day of Doom, à ne pas oublier !). Et puis pour ceux qui ne sont pas rassasiés, rendez-vous fin Octobre pour de nouvelles aventures !
Eerie est déjà le quatrième album du trio français Fatima, un groupe finalement assez productif, ayant gravé ses premiers sillons sur rondelles en 2015. La formation trace son chemin discrètement depuis ce temps, gagnant en notoriété au gré de rares apparitions scéniques, passant sous les radars de la plupart des médias, et pour cause : le style musical développé par Fatima est tout autant son signe le plus distinctif, qu’un peu son « fardeau »… Dans le monde qui est le nôtre, les étiquettes et les algorithmes conditionnent une large part de ce qui parvient à se frayer un chemin jusqu’à nos oreilles. Et dans ce contexte, les choix musicaux du trio reviennent à « auto-miner » son propre chemin vers le succès et vers le grand public. Pourtant, ils cochent plein de cases, mais ces cases sont rarement associées entre elles, renforçant cet effet « électron libre » qui transparaît en filigrane de la carrière du groupe.
Quand le trio affiche le qualificatif « doom », ce n’est pas mensonger pour autant… mais c’est obérer tant d’autres dimensions ! Pour simplifier, Fatima c’est trois ou quatre composantes majeures, qu’il est difficile de vraiment trier. Même si ce n’est pas le reflet le plus représenté sur le disque, on mentionnera les influences orientales, qui nous parviennent aux oreilles dès les premières notes de “Mosul Orb”, “Portuguese Man O’ War”, “Miracle of the Sun”, et plus sporadiquement sur plein d’autres titres, à travers des sonorités proches de la sitar, des leads cristallins et un son de basse sec et saturé, servant une rythmique sautillante tout à fait emblématique.
Le titre “Cyclops Cave” est un bon exemple de la résurgence grunge très souvent (légitimement) mise en avant quand on parle du groupe. Mais plus encore que le grunge au sens large, assumons de le resserrer à Nirvana (et en particulier le trio Bleach / Nevermind / In Utero). On retrouve donc très souvent sur le disque ce chant qui rappelle de manière si vibrante le timbre éraillé de Cobain et ce riffing post-punk fiévreux à la saturation garage (mentionnons aussi “Ant Mill” qui s’apparente ici ou là à une sorte d’hybridation best of, avec des échos à “Breed”, “On a Plain” ou même “Negative Creep”…).
Quant au pendant doom qui revient en continu autour de la musique du groupe, c’est finalement probablement le style musical qui émerge le moins de ce Eerie, en tout cas directement : le doomster intégriste restera dubitatif sur ces rythmiques pas toujours très lentes, ces sons de guitare souvent assez vifs, et dans les aigus, ces mélodies aériennes pas assez plombées… Mais en grattant un peu, on retrouve les influences doom au détour d’un “Portuguese Man O’ War” (ce break / refrain en mode bulldozer), “Blue Aliens Wear Wigs” (ce mur de guitare qui accompagne le riff du refrain et disparaît aussi rapidement qu’il est apparu), “Three Eyed Enoch”, “Ceremonies”… bref, reconnaissons-le effectivement : un peu partout ! Mais rarement comme un driver principal de la chanson.
Et puis comme les choses étaient encore un peu trop simples, le trio francilien n’hésite pas à revendiquer de vieilles influences Post-wave (le bluffant “Hypericum”, “Blue Aliens Wear Wigs”…) ou autres facéties musicales…
Comme ses prédécesseurs (que nous n’avions pas chroniqué pour cette – mauvaise ? – raison) Eerie ne s’adresse pas à une cible très précise. La musique de Fatima n’est pas complexe, mais elle est riche. Riche de styles et d’influences, vous l’avez compris, on ne reviendra pas dessus. Mais elle est surtout riche d’inventivité, de créativité assez débridée, et ne s’embarrasse pas de codes (qu’ils soient à vocation commerciale ou autres). Changer plusieurs fois de son sur une même chanson, jouer avec plusieurs trames rythmiques sur un même morceau, mêler au sein de la même chanson des séquences ultra-mélodiques et des riffs de camionneur, jouer avec des sons et des instruments saugrenus… Rien ne leur fait peur, et pour autant l’ensemble sonne toujours juste (premier symptôme : l’écoute en boucle du disque sans jamais que la lassitude n’intervienne).
Bref, il y a tant de choses à dire sur ce disque qu’il est préférable de laisser parler la musique et, en ayant l’esprit bien ouvert, de tester l’écoute de cet album pour découvrir le groupe si jamais vous ne les connaissiez pas (on vous conseille dans ce cas d’aller piocher dans leurs albums précédents).
Castle est un de ces groupes discrets, qui apparaissent ponctuellement sur scène (en milieu de journée sur les affiches quelques festivals inspirés ou sur de rares petites tournées en clubs), qui marquent le public au fer rouge, puis qui disparaissent du radar pendant des mois, voire des années… Cela fait six ans que le groupe n’avait rien enregistré, depuis l’emballant Deal Thy Fate. Depuis, on les voit surtout évoluer « de loin », via des salves de dates sporadiques surtout concentrées sur l’Amérique du Nord (ou l’Allemagne…). L’écriture de ce Evil Remains a en outre été menée sur les cinq dernières années, illustrant si besoin l’activité ininterrompue du groupe, malgré quelques difficultés notamment liées à des contraintes logistiques : le duo fondateur du groupe (Liz Blackwell la bassiste/chanteuse et Mat Davis le guitariste – avec l’adjonction ici du batteur Mike Cotton) habitant dans des pays différents désormais, les choses furent rendues plus complexes. Quoi qu’il en soit, ils reviennent, et c’est bien le principal.
Le style musical du groupe n’a pas beaucoup évolué : ils pratiquent toujours une sorte de doom classique (entendre : en émanation des précurseurs des années 70 voire 80, pas du stoner doom ou autres engeances pachydermiques) auquel ils mêlent des influences très classic metal, à grands renforts de riffs épais. Bref, une sorte de mix entre Saint Vitus, Motörhead, Pentagram et Judas Priest, en gros, dans l’ombre plus ou moins distante du Sabbath Noir of course. On est donc assez loin du stoner rock au sens strict, mais les liens avec notre « monde musical » ont toujours été importants dans la carrière de Castle, et ça se comprend.
La première lame du rasoir opère très vite, et l’on se laisse complaisamment envouter par les rythmiques emballantes de ces huit compos (37 minutes au total, juste ce qu’il faut), qu’il s’agisse de mid tempo sombres et rampants (« Déjà Voodoo », « 100 Eyes »…), de standards heavy solides (« Evil Remains », « Queen of Death », « Nosferatu Lights »…) ou de brulots plus metal (« Black Spell », « She »…), le facteur séduction opère à plein. En rajoutant une interprétation impeccable (le chant efficace de Blackwell, parfois complété par les chœurs gutturaux de Davis, une basse ronde et bondissante, un son de guitare acéré…), la recette a tout pour plaire.
La deuxième lame du rasoir se dessine petit à petit au gré des écoutes, et rend le disque addictif du fait d’une qualité d’écriture que l’on retrouve dans tous les plus discrets recoins de cette galette : travail mélodique remarquable (des riffs, des riffs… mais pas que !), arrangements bien sentis, breaks audacieux… L’ensemble est bien inspiré, et apporte une vraie plus-value aux compos, à l’image du break median et de la seconde section de « Déjà Voodoo », de ces soli délicieux sur « Black Spell », de la deuxième moitié de « Cold Grave » en instrumental, etc…
Si Evil Remains avait un défaut, ce serait de ne rien inventer : Castle gagne en maîtrise et en intégrité ce qu’il perd en originalité. Mais la musique qu’ils proposent ne vise pas uniquement à caresser quelques vieux nostalgiques dans le sens du poil : le duo apporte une vision intelligente et intéressante de ce mix d’influences, y apporte son son désormais caractéristique et convainc par son intégrité et sa déférence aux grands noms. Castle continue à tracer sa voie, et propose encore une tranche de musique enthousiasmante, qu’il nous tarde de goûter sur scène.
2021… la pandémie de Covid… vous avez le tableau ? Confiné à Berlin, Nick DiSalvo cherche aussi une motivation pour ne pas dépérir. Au lieu de faire son propre pain, le guitariste et chanteur d’Elder va plutôt se lancer dans un projet solo nommé Delving. L’objectif musical est simple : il n’y en a pas, hormis expérimenter et sortir du schéma de composition pris avec Elder. Le résultat ? Un premier album 100% instrumental, Hirschbrunnen, qui aura été une des meilleures bouffées d’air frais de cette année 2021, mélangeant avec délicatesse des éléments rock psychédélique, kraut et électronique. Pensant que le projet se rapprocherait d’une oneshot qu’a été le projet commun avec Kadavar (Eldovar), c’est donc avec enthousiasme et sans réelle attente que l’on a accueilli ce second album, All Paths Diverge, qui a commencé à se dévoiler avec le titre “Zodiak” sorti fin juin.
Tout comme son prédécesseur, All Paths Diverge est un album instrumental, format qui donne toute liberté créative à Nick et lui permet de ne pas avoir à se soucier du chant. Cela nous donne 7 titres dépassant presque tous les 7 minutes, et qui prennent donc le temps de se développer. Autre point commun, l’ensemble des instruments est géré par le monsieur à l’exception de quelques claviers et la présence de son compère d’Elder Michael Risberg sur le titre “Zodiak”. Respect donc, d’autant plus que chaque instrument étincelle sur cet album.
Car oui, maintenant que les présentations sont faites, on peut tout de suite dire que All Paths Diverge est une petite pépite éblouissante et pleine de belles choses. L’album démarre avec un “Sentinel” qui rappelle Hirschbrunnen par ses mélodies simples et douces que l’on retrouve ensuite sur “Omnipresence”. Ce second morceau bascule cependant rapidement vers des sonorités qui font rapidement penser à Elder et à leur dernier album Innate Passage. On retrouve notamment ces riffs dansant autour des claviers, de la batterie et par certains endroits, sur “Zodiak” ou “Chain of Mind” notamment, ce côté heavy un poil épique. Cette association paraît logique aux premiers abords mais étonne car elle se découvre petit à petit et est plus marquée que sur le premier album. Comme si certaines idées trottent encore dans l’esprit de Nick DiSalvo et venaient prendre forme ici. Cela se traduit aussi par une influence plus forte des guitares sur l’album et par la présence de plusieurs solo, parfois camouflés sous les synthés, mais tous d’une justesse qu’on pourra qualifier d’habituelle !
Il y a une sensation de maîtrise dans la musique proposée par Nick. La longueur des morceaux leur permet d’être aérés et de poser chaque ambiance avec efficacité. On le ressent très bien sur le titre “New Meridian”, qui doit bien consister à moitié sur la préparation de la mélodie culminante et de sa redescente, mais la meilleure démonstration est cet implacable tandem “Zodiak” / “ The Ascetic”. La progression de “Zodiak” à travers différents riffs nous emmène dans un voyage fabuleux, voire même une aventure au vu de l’urgence que l’on ressent sur le premier riff du morceau. Et c’est sur un solo de guitare que le titre… disparaît littéralement dans le ciel. Tout s’évanouit, plus d’urgence, plus de pensée, on est comme devant un ciel sombre qui se dégage subitement pour nous laisser observer son infinité. Seules persistent de légères notes de clavier ou de guitare qui viennent faire scintiller les étoiles. On bascule dans le calme absolu et la méditation lorsque “The Ascetic” démarre et on a comme l’impression que l’album n’ose pas nous tirer de notre rêverie. Progressivement de nouveaux airs naissent et des lignes de basse viennent faire office de réveil et lancent réellement le morceau bien qu’ une certaine mollesse moelleuse persiste. Il faudra ce final en double solo guitare/synthé pour nous réveiller définitivement.
All Paths Diverge se déguste petit à petit, révélant de nouvelles saveurs à chaque écoute. Un rythme de batterie assez enlevé, notamment par rapport au premier album… un solo presque enseveli sous les nappes de claviers sur “Sentinel… les sonorités de l’introduction de “New Meridian”… et pour terminer l’album, une ambiance complètement folle sur “Vanish With Grace” en mode hip hop psychédélique ! Ce second album de Delving est une vraie réussite et un trip aussi reposant que stimulant. Et pour les fanatiques du rangement dans des cases… kraut, rock psychédélique, rock progressif… j’ai plus simple : Delving c’est à ranger dans le bac “belle musique” !
Né en 2016, le trio madrilène Free Ride a pour maman la jam session et pour papa le stoner. Voilà qui place leur album Acido Y Puto sous de bons auspices. Avec pour marraine la boîte de production Small Stone Records, on peut déjà garantir que ce groupe, qui signe ici son second long format, nous amène en terrain connu. Nous avons passé cet album au crible.
Acido Y Puto de Free Ride, c’est un mélange généreux de Fu Manchu (il suffit d’écouter “Outsider”) et de Black Rainbows (si “Vice” ne vous convainc pas, je ne sais pas ce qu’il vous faut). Free Ride s’approprie les éléments les plus convaincants du stoner. Les morceaux explorent les ressorts nécessaires pour créer une belle œuvre, tantôt subtile et voyageuse avec Blackout, tantôt percutante et entraînante comme “Nazare”.
Les Espagnols n’hésitent pas à se lancer dans des demi-jams sessions d’un morceau à l’autre, rendant leurs titres aussi vivants qu’une prestation scénique. Ajoutez à cela leur capacité à produire des morceaux fédérateurs comme Joy, où la distorsion et les saillies rageuses du guitariste ne passent pas inaperçues, ainsi que la piste la plus originale de l’album, la conclusion “Living for Today” et ses inspirations grunge.
Certains diront peut-être que Free Ride joue les pastiches et ne fait que reprendre ses pairs. Peu importe. Si cet album ne marquera pas l’histoire par son originalité, il reste un assemblage réussi. Une étoile de plus brille dans la galaxie stoner avec cet album Acido Y Puto, qu’il sera agréable de garder à portée d’oreilles.
Rares sur disque, rares sur les planches, Earth Ship ne fait pas beaucoup d’efforts pour se faire aimer. Six ans après l’excellent Resonant Sun, on n’a pourtant pas oublié le trio berlinois, et ce nouvel album est plus qu’attendu. On savait que le couple Oberg (Jan et Sabine) avaient traîné leurs guêtre dans divers projets musicaux dans l’intervalle, mais ces derniers ne nous avaient pas autant enthousiasmé que leur navire amiral. Le duo s’est alloué les services d’un énième batteur pour les accompagner dans l’enregistrement de ce disque 100% “fait maison” (jusqu’au label : le leur).
Pas de surprise musicale : Earth Ship propose toujours une sorte de metal/doom/sludge intelligent. « Intelligent » mais pas dans le sens prise de tête, loin s’en faut, plutôt dans le sens malin, mêlant une certaine exigence dans la qualité des compos, et un sens de l’écriture mature et efficace, où l’approche mélodique vient en tous points compléter la puissance de la mise en son et des choix de production. En vue superficielle, le groupe présente pourtant les atours assez convenus d’un trio de metal : gros son de guitare, gros riffs, basse très saturée, quelques leads, frappe de mule, et chant hurlé râpeux du meilleur aloi. C’est en grattant un peu que la finesse de leur proposition musicale se fait jour, et en particulier dans la richesse des différentes compos.
On a beau avoir notre dose d’agression en continu tout au long du disque, on est sans arrêt happé par une réminiscence, une curiosité, une référence plus ou moins distante et claire… On ne s’ennuie jamais. On pense par exemple subrepticement à Mantar parfois lorsque apparaissent quelques passages au groove subtil, n’attendant qu’à exploser (la fin de « Shallow », la 2ème moitié du morceau titre…). On a aussi des réminiscences du thrash des années 2000, avec cette basse saturée et ces attaques de riffs sèches et nerveuses (« Soar », « Acrid Haze »). Loin de tout dogmatisme, Earth Ship n’hésite pas à sortir du cadre et à hybrider sa musique, à la recherche de la plus garde efficacité, empruntant au space rock (voir l’enthousiasmant instrumental « Radiant », tout en nappes de synthé et effets de guitare) voire même dans l’esprit au trip hop (la rythmique et le chant sur le couplet/lancement de « Ethereal Limbo »).
Le doom matriciel est toutefois rarement très loin, à l’image de « Ghost Town » et de son riff rampant à souhait, ou du rugueux mais très mélodique mid-tempo « Bereft ». Et que serait-on sans ces montagnes de riffs acérés qui rendent l’ensemble si excitant ? On enchaîne avec délectation les mandales que sont « Acrid Haze », « Shallow », « Soar »… Le final, sur ce « Daze and Delights » dégoulinant de ce sludge poisseux complètement Down-ien, se déguste sans réserve et vient apporter encore un reflet plus nuancé à ce disque qui n’en manquait pas jusqu’ici.
Soar vous l’aurez compris est un bel exemple d’alchimie réussie entre une musique puissante et rugueuse (satisfaisant largement l’appétence pour quelque chose d’un peu primitif et costaud) et une richesse musicale qui va challenger l’auditeur, l’amener parfois sur des territoires peu pratiqués, pour mieux étayer l’efficacité de ses compos. Cette audace, mêlée à une qualité d’écriture assez épatante, font de ce disque une belle pièce de sludge doom (dans cet ordre-là), qui ravira les amateurs qui penchent plus du côté « metal » que du côté « psyche ».
Persuadés que vous suivez attentivement nos publications, nous n’allons pas vous faire l’affront de vous présenter encore une fois El Supremo, le quatuor de Fargo, États-Unis. Pour ceux qui découvrent ce site, je vous invite à faire vos recherches et, s’il vous plaît, à lire nos chroniques précédentes (Ici le premier album & ici le second).
Cela fait un an et demi qu’El Supremo s’était fait discret, mais les voilà déjà de retour avec un nouvel opus, Signor Morte Improvvisa, quatrième pierre à la pyramide de leur carrière. Nous avons droit à un magnifique artwork pour la pochette : un ciel ensanglanté, une lune blafarde et un cheval noir et blanc illuminé par les phares d’une voiture au milieu de la route. De quoi piquer notre curiosité !
Dès les premières écoutes, on sent un changement chez El Supremo, une sorte de rupture avec les albums précédents. Peut-être que le temps était venu pour Osiris de juger l’âme du groupe et de lui permettre d’évoluer.
Bien que le quatuor reste fidèle à son choix d’un album instrumental, les claviers prennent désormais une place prépondérante, remplaçant le duo guitare-basse habituel après l’intro de la première piste, “Breadwinner”. Cette dernière aurait pu laisser craindre une redite, mais il n’en est rien : El Supremo poursuit dans la lignée de leur précédente production mais on ne retrouve pas les mêmes evidences.
Le titre éponyme de l’album rompt avec la tradition instrumentale et laisse place à des chœurs féminins, soutenus par une rythmique martiale et un clin d’œil appuyé à Ennio Morricone. C’est un vrai moment d’intensité, une référence évidente mais tellement plaisante. Puis… plus rien. El Supremo nous retire l’os d’entre les dents et clôt l’album après seulement 33 minutes et 49 secondes. C’est frustrant ! La métamorphose commençait à opérer avec “Solidario”, ses rythmes presque jazzy, ses cordes lancinantes sur fond d’orgue délicieusement mélodique. Une fin abrupte, après l’étonnante introduction de “Signor Morte Improvvisa”, qui atteignait un parfait équilibre entre les influences passées et le devenir du groupe. Quel album frustrant !
En conclusion, El Supremo grave dans les sillons de Signor Morte Improvvisa un nouveau visage, qui se dessine tout au “long” des quatre pistes. Mais c’est trop court, c’est une ébauche, un EP qui ne fait que murmurer sa nature. C’est un hors-d’œuvre qui aiguise l’appétit de l’auditeur. On en veut encore. El Supremo soyez aimables de remettre le couvert !
Land Mammal est un groupe-projet emmené par le texan Kinsley August, quelque chose qui, depuis sa genèse, se rapproche plus du one-man band que du groupe en bonne et due forme. Ce second disque ne diffère pas, qui voit August prendre en charge la plupart des instruments, complété d’un bassiste et de son ingénieur du son en tant que batteur (et une demi-douzaine d’autres instruments…). N’ayant pas eu l’opportunité d’écouter leur premier effort, c’est sans a priori que votre serviteur se lance dans l’écoute de ce disque.
Les premières minutes développent une intro aux influences orientales très appuyées, qui trouve sa suite dans les premiers titres, à grands renforts de sitar, flute, tabla et autres instruments plus ou moins rares qui, soyons honnêtes, nous font craindre une rondelle de world music psyche aux odeurs de patchouli… Sauf que Land Mammal développe en réalité quelque chose de beaucoup plus ambitieux. Il construit certes sa musique sur ce matelas oriental, mais pour aboutir à des compos matures, fortes, audacieuses et parfois – vraiment – assez bluffantes. Car ce disque est tout simplement traversé par des moments de grâce – on ne parle pas de plans plus efficaces que d’autres, par le fait du hasard, mais de constructions culminant sur des séquences absolument remarquables. On notera à titre illustratif le refrain enlevé de “Tear You Down” parfaitement emmené par un arrangement de cordes subtil mais efficace, ou bien encore cette majestueuse intro de “Divide” où l’on croirait carrément un quintette à cordes qui vient transcender ce couplet (alors qu’il n’y a qu’une musicienne), un titre où par ailleurs, pour ne pas verser dans la surenchère vulgaire, le chant est subtilement mis en retrait, plus aérien. Superbe.
La suite du disque n’est pas moins bonne, que ce soit par le très efficace “I Am” et son groove impeccable, ou le très accrocheur “The Circle”. A noter justement qu’Isaiah Mitchell (l’incroyable leader de Earthless), ancient prof et mentor de August, vient (au même titre que sur son premier album) gratifier la galette de deux soli sublimes, qui apportent un vrai complément à “The Circle” et “Tear You Down”. Le disque se clôture sur une séquence instrumentale séparée en 2 parties, où viennent se mêler sitars, flutes, orgues et autres… Si l’album finit ainsi par un retour aux influences orientales, on notera néanmoins que plusieurs titres en sont plutôt exempts (“Divide”, “Separation” et dans une certaine mesure “The Circle”) .
On est (agréablement) surpris de noter la concision de ces compositions : le style se prête généralement aux élongations diverses et tergiversations instrumentales plus ou moins inspirées, mais ici les deux titres les plus longs dépassent à peine les cinq minutes. Le disque, de 34 minutes, dit tout, vite et bien, et est la parfaite démonstration qu’il est possible de proposer beaucoup de choses, un disque riche et varié, en peu de temps.
Quoi qu’il en soit, Emergence est un superbe album. Imparfait (on pourra bêtement se dire que quelques fins de titres sont un peu bâclées ou quelques instrus un peu trop longs sur un disque si court), le disque est pourtant transpercé d’idées géniales, d’inspirations d’écritures remarquables, pour le plus grand plaisir de l’auditeur. Cet album, qui n’est ni un disque de folk, ni de retro rock, ni de stoner, vient tout simplement délivrer une certaine idée du psyche riche, électrisée, subtile et puissante à la fois. Un vrai beau disque.
Depuis les forêts des montagnes Appalaches, les sorciers de WyndRider propagent leurs ombres à l’aide d’un stoner-doom occulte, se réclamant du grand Sabbath. Après un premier Ep éponyme, sorti l’an dernier, plutôt convaincant et dégoulinant déjà de malice, Chloe Gould, chanteuse et maître de cérémonie, accompagnée de Robbie Willis (guitare), Joshuwah Herald (Basse) et Josh Brock (batterie), nous offre un premier album intitulé Revival. Mais si nous y voyons une offrande, nul doute que WyndRider y voit un moyen de nous attirer dans son antre pour nous faire passer dans d’autres dimensions ! Il suffit d’observer la pochette pour deviner leurs sombres intentions.
Composé de 7 titres, Revival peut en réalité se découper en deux parties bien distinctes. Tout d’abord, de “Forked Tongue Revival” à “Devil’s Den” le groupe arbore des couleurs stoner avec déjà un rythme lent et un vrai groove du désert qui fait penser par moments à Acid King. Et puis à partir de “Remember the Sabbath”, ça bascule dans une musique plus sombre appelant bien sûr la référence Sabbathienne, mais aussi Electric Wizard pour l’aspect messe occulte et sur certains solis qui rappellent l’époque Witchcult Today. WyndRider reste donc sur les bases solides de son premier EP mais apparaît plus puissant et sûr de son orientation notamment au niveau du chant qui semblait quelque peu en retrait sur l’EP mais qui ici devient une des principales forces de l’album.
Avec sa voix profonde, presque théâtrale, Chloe nous envoûte doucement pour finir par évoluer avec l’assombrissement de l’album et, sur “Remember the Sabbath” et surtout “The Wheel”, transformer chaque ligne de chant en incantation. L’ensemble des instruments va suivre cette bascule vers le malin, notamment la guitare dont les riffs Iommiesque sur “Motorcycle Witches” ou “Devil’s Den”, très efficace et entêtant, vont muter en riff dégoulinant de lenteur comme ceux de “Under the Influence”. La basse elle ronronnera de bout en bout, apportant ce groove sablonneux aux morceaux plus stoner (“Motorcycle Witches”, encore lui !). Enfin la batterie amène dans ses breaks une énergie bizarre avec une présence très forte de la caisse claire donc chaque coup semble marquer un pas de plus vers ces montagnes maudites.
Vous l’aurez compris, WyndRider maitrise parfaitement son ambiance, et ce dès “Forked Tongue Revival” qui colle efficacement les deux faces du groupe avec son riff épais et son chant final qui nous appelle depuis les profondeurs. Le groupe nous pond là un premier album de bonne qualité et qui, malgré les influences évidentes et son type de chant féminin qui en rappelle d’autres (ça n’enlève en rien la qualité du chant entendons nous bien ), arrive à avoir sa propre identité. L’immersion dans leur univers s’amplifie au fil des écoutes, la découverte de quelques mélodies ou effets comme offrandes supplémentaires. Reste à voir désormais si l’ombre de WyndRider grandira jusqu’en Europe et comment ils feront évoluer (ou pas !) leur musique… On sera là pour témoigner en tout cas !
Le label Ripple a lancé il y a quelques mois une sorte de démarche spéciale, labellisée « Beneath The Desert Floor », qui vise à proposer des re-sorties d’albums de stoner anciens, indisponibles depuis longtemps. Inaugurée avec l’excellent …It’s Ugly or Nothing de The Awesome Machine (2000), cette série laissait présager l’opportunité de faire redécouvrir à un public récent l’âge d’or du stoner. Malheureusement le label semble focaliser les sorties suivantes sur un « ventre mou » plutôt calé sur la fin de cette première décennie des années 2000, avec dans le cas présent un disque de 2008. Evidemment la démarche reste intéressante, mais l’aspect « archives oubliées » (que l’on retrouve avec les trésors proposés par les « Relics » de Rise Above Records, ou quelques sorties et compils chez Riding Easy records) perd un peu de son intérêt, quand les disques sont sortis il y a une quinzaine d’années. On se retrouve donc avec une démarche un peu floue, proposant pour le moment des albums soit à peu près connus mais rares (The Awesome Machine, Fireball Ministry), soit méconnus et méritant une reconnaissance tardive (Glitter Wizard ou White Witch Canyon, les auteurs du présent disque). Mais ne faisons pas la fine bouche sur la démarche, et prenons tout ce qui est bon à prendre.
White Witch Canyon, donc, trio californien qui n’a jamais vraiment percé, auteur d’un disque unique, sorti discrètement en 2008, qui avait été remis en lumière en 2011 par Kozmik Artifactz (on n’est vraiment pas dans l’archive poussiéreuse…). Ainsi posé, on peut pas dire que l’on soit débordé par l’envie dévorante de s’envoyer cette galette la bave aux lèvres. Et pourtant les premières écoutes s’avèrent vite bluffantes, et ne tardent pas à en appeler plein d’autres. La production n’est pas du tout dépassée, la mise en son de l’ensemble est sinon moderne, tout du moins solide et irréprochable, sans jamais sonner “vieillot”. Un bon point. Le son de guitare est impeccable, à la fuzz parfaitement dosée, et le chant est (légitimement et judicieusement) bien mis en avant.
Mais si on revient inexorablement vers cette galette, écoute après écoute, c’est bien parce qu’on se fait aspirer par ces compos si chaleureuses et bien fichues, avec une large production de riffs à la minute. Les huit chansons proposées (on passera sous silence l’inutile neuvième titre mêlant délires bruitistes, samples, speeches…) ont le mérite de la cohérence, tout en permettant à chaque morceau d’avoir son identité propre. Mêmes si certains titres sont moins intéressants, ou certain passages moins aboutis (on mentionnera par exemple « Thirty Three and One Third », mid tempo un peu feignant qui ne trouve son salut que dans son final où enfin s’emballe la rythmique, ou le redoutablement accrocheur mais pas super inspiré refrain de « Sell your Soul »), on aura du mal globalement à trouver des titres plus faibles que d’autres : le très heavy et catchy « The Witch », « Escape Pod et sa rythmique et construction mélodique diablement accrocheuses, « Four Star Heretic » avec son déluge de leads et son refrain punchy, « Ancient Android »… On va même assez loin dans l’audace avec par exemple la ligne de chant de « Boom Goes the Dynamite » sur le couplet qui rappellera… Serj Tankian de System of a Down en mode mid-tempo ?!
Bilan très positif sur ce disque donc, qui mérite absolument d’être (re)découvert. Probablement pas dans la perspective de voir le groupe se reformer, mais sait-on jamais. Ce premier (et dernier a priori) disque propose une belle galette de stoner riffu et mélodique, puissant et assez riche pour ne pas ennuyer.
Après un précédent album The Wolf Bites Back d’il y a six ans, qui nous avait laissé un peu sur notre faim, nous étions sans rancœur (après presque trente ans de bons et loyaux services on a bien le droit à ses moments de faiblesse) dans l’attente d’un nouvel opus de Orange Goblin. Une attente sans autre désir qu’un son frotté au papier de verre, des riffs venus de la tombe de Lemmy et une bonne dose de puissance viscérale, la base quoi ! Alors que sort enfin Science (Not) Fiction, le Goblin emballe la marchandise dans un artwork faisant appel à un univers futuriste sur lequel pourrait planer un doute d’intelligence artificielle. Allons donc déballer le bout de viande pour voir s’il n’est pas aussi synthétique que la couverture veut bien l’annoncer.
Tout soupçon se retrouve vite écarté car aussi vrai que l’artwork est d’un artiste humain, Science (Not) Fiction débute fort sur trois Hits comme on disait du temps de Marc Toesca. “The Fire at The Centre of The Earth is Mine” ne met pas plus d’une écoute pour devenir une évidence dont on reprend le chant en chœur avec Ben Ward. C’est ensuite au tour de “(Not) Rocket Science” d’appliquer une futée ligne continue de piano façon ragtime, qui, bien que discrète, rend le morceau poignant, et d’autant plus lorsque Chris Turner s’en prend à sa cowbell. Enfin, “Ascend the Negative” vient compléter le trio de tête avec des riffs glorieux comme du Motörhead mais avec cette patte propre au Goblin.
Même si les autres pistes semblent plus “faibles”, on ne passera pas à côté de la puissance de la basse sur “False Hope Diet” et les riffs toujours bien sentis de Joe Hoare, surtout lorsqu’ils sont faits de solides mélodies arpégées sur le même titre. Ils se font heavy au possible sur “The Justice Knife”. On ne boudera pas non plus les courts soli à l’image de celui de “The Eye of The Minotaur” qui est d’une efficacité redoutable.
Science (Not) Fiction a beaucoup à dire et bénéficie d’une narration très aboutie, que ce soit dans le texte ou dans la musique, et de ce coté là, il est évident que le clavier apporte beaucoup à cet album. “Cemetery Rat” exhibe à ce sujet une mise en scène entre piano et cloches avant l’entrée en scène théâtrale du triptyque basse-guitare-batterie. Ce même clavier ajoute ce qu’il faut de profondeur sur “False Hope Diet” en doublant les gémissements de la guitare.
Cet album ne déroge pas aux habitudes d’Orange Goblin, cela va de soi. On retrouve la référence jamais voilée à Motörhead, notamment sur “(Not) Rocket Science”, la voix toujours abrasive du frontman, la lourdeur continue des riffs et les envolées épiques où fusionnent tous les instrumentistes, ces cavalcades à en perdre haleine où l’on se plaît tant à les suivre. Après deux ou trois écoutes, il est alors évident qu’il n’y a rien à jeter dans cette galette et cela inclut la basse de Harry Armstrong qui complète le groupe pour la première fois sur album (aucun doute n’était cependant permis pour ceux qui l’auraient vu sur scène).
Avec Science (Not) Fiction, on retrouve le Orange Fuckin’ Goblin que l’on aime tant. Ce maître ès Stoner qui se la joue rock’n’roll et qui remplit les esgourdes de ses auditeurs d’or en fusion. La galette est taillée dans ce que les Anglais font de mieux et annonce une déferlante de sueur et de cris en live. Il nous tarde d’aller éprouver et fêter ce dixième album dans un collectif remuant et d’en savourer toute la puissance.
|
|