Lorquin’s Admiral – Lorquin’s Admiral

Derrière l’écrasante renommée et personnalité de son frontman John Garcia, Hermano est en réalité le bébé d’un musicien plus discret, son bassiste Dandy Brown. Productif et inspiré, le musicien a bien dû trouver d’autres vecteurs à ses velléités musicales, le paquebot Hermano étant difficile à actionner et manœuvrer à loisir. Si Orquesta Del Desierto fut son projet secondaire le plus emblématique dans nos cœurs de Desert rockers, Brown a sorti plusieurs disques plus ou moins solo ces dernières années, hors de tout carcan musical et stylistique, en compagnie de musiciens plus ou moins installés, invitant souvent des amis bien connus de nos pages (et en particulier dans musiciens ayant œuvré dans Hermano). C’est plus encore le cas sur ce disque, où l’on retrouve Dave Angstrom à l’œuvre sur la plupart des soli, Steve Earle à la batterie (batteur des débuts de Hermano), Mark Engel à la guitare (régulier partenaire de Brown, en particulier dans Orquesta Del Desierto)… Sans parler de la pochette, dont l’artwork ne devrait pas être étranger aux amateurs de Orquesta Del Desierto ou Hermano… En outre, ce nouveau groupe / projet est co-fondé et co-composé avec Nick Hannon et Marlon King, la paire de musiciens à la tête de Sons of Alpha Centauri, combo anglais bien connu pour ses collaborations avec des formations comme Yawning Man, Karma To Burn…

Musicalement, Lorquin’s Admiral n’évolue toutefois pas dans du stoner en tant que tel, mais propose de nombreuses incursions stylistiques fort plaisantes. Les amateurs de rock solide et rugueux devraient en particulier apprécier des morceaux comme « Inexplicable Thing » (son couplet sur base de riff sombre et vicieux, son refrain très malin où les leads d’Angstrom viennent soutenir le chant), « My Blue Wife » (son gros riff saturé qui porte le morceau avec en fond une rythmique à la guitare… acoustique !), son pendant énervé « My Blue Husband », « Black Water » ou encore « Burn and Heal » (deux mid-tempo chaloupés et catchy pas forcément ultra saturés en termes de son, mais qui rappellent certains plans de Hermano, avec en particulier ces leads en fond, emblématiques de David Angstrom).

L’un des marqueurs de l’identité de ce groupe tient au mix sonore, qui vient largement mettre en avant les lignes de chant : celles-ci sont assurées soit par Dandy Brown, soit par son épouse Dawn Brown (sa partenaire de composition également), soit… les deux, sur des passages en chœur. Cette production un peu atypique dans notre environnement discographique de prédilection vient ajouter beaucoup de relief à ce disque. D’autres compos assez marquantes viennent compléter la galette, à l’image de ce sombre et dissonant « Aren’t We » ou de l’enjôleur « To Temptation », à forte prévalence électro-acoustique…

On ignore évidemment à ce stade si Lorquin’s Admiral s’inscrit dans le temps, ou s’il fera l’objet d’une incarnation live d’une manière ou d’une autre. Quoi qu’il en soit ce disque nous aura charmé bien plus que beaucoup de productions récentes : musicalement, il a beau n’être que modérément attaché au stoner rock et à ses dérivés auxquels nous sommes plutôt habitués, ce vent de fraîcheur, assorti d’une qualité d’écriture remarquable et une production riche, font de ce disque un petit coup de cœur, que l’on se prend à ressortir régulièrement. A recommander aux esprits ouverts.

 


Stoned Jesus – Songs to Sun

Le huitième long format du trio ukrainien Stoned Jesus, Songs To Sun, est l’occasion de se souvenir que le groupe avait subi de plein fouet le début de la guerre russo-ukrainienne. Il s’était vu obligé de reporter la sortie de son album Father Light. Mais un an plus tard, le groupe était revenu avec la galette sous le bras, quittant au passage Napalm Records pour un retour chez Season Of Mist. Enfin, Igor, quittant l’Ukraine pour l’UE, reforme le groupe avec deux nouveaux comparses. Une manière de marquer l’aboutissement (?) d’une mutation et d’affirmer sa volonté d’écrire autrement sa musique en proposant au passage avant fin 2027 trois albums unis par la volonté de produire une seule et même œuvre sous forme  triptyque dont chaque panneau proposera un genre différent.

De la recomposition du groupe découle un Stoned Jesus qui vient faire du rock, certes, mais pas que. Igor se libère au passage, hurle sa douleur dans le porte-voix post-metal de “Low”, et aspire au prog quasi chamanique avec “Quicksand”. Ce morceau contient les germes du changement et de la réorientation. C’est la charnière de l’album, le point autour duquel tout tourne, bien qu’il conclue cette partie du triptyque à venir. Entre l’ancien et le nouveau Stoned Jesus, il n’est pas question de rejet. Igor assume son histoire, mais avec colère, il cherche à détruire le carcan dans lequel on aurait pu souhaiter enfermer Stoned Jesus.

Même si rupture il y a, on retrouve ce qui a fait la gloire du trio. “New Dawn” sonne comme l’écho lointain de “I’m The Mountain”. Sans doute ce ressenti vient-il de sa basse puissante, soulignée par quelques accords de gratte pleins de reverb. Du côté de “Lost In The Rain”, Igor assume pleinement sa place de leader. Il met en avant son chant mélancolique et joue la délicatesse à la manière du rock alternatif des années 90. Mais la guitare finit par livrer des riffs d’une lourdeur jouissive, avant de revenir à une ballade électro-acoustique fredonnée.

Tout au long de l’album, on est balancé d’un côté et de l’autre. Songs To Sun plonge ses racines dans une multitude d’influences pour nourrir ses six pistes et quarante minutes. Un être hybride, aux contours volontairement flous. Plus qu’un simple album de stoner, Songs To Sun apparaît comme un morceau de courage. Le courage de raconter autre chose, de sortir hors de l’attendu, au risque de perdre au passage quelques auditeurs attachés au Stoned Jesus strictement stoner. Reste à voir ce que donneront les deux prochains volets du triptyque, Songs To The Moon et Songs To Earth promis comme sombre et expérimental pour l’un et totalement progressif pour l’autre.

Castle Rat – The Bestiary

Castle Rat on aime ou on déteste. Leur musique grandiloquente et leurs shows grand-guignolesques ne laissent pas indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, qu’on les adore ou qu’on les rejette, il faut reconnaître qu’en très peu de temps, avec un seul album et une tournée européenne remarquée, le groupe a su s’imposer sur la scène des festivals metal en général et stoner doom en particulier.

Pour ceux qui auraient manqué un épisode, Castle Rat est un quartette américain, quintette sur scène pour le spectacle. Originaire de Brooklyn, le groupe surprend en choisissant les oripeaux médiévaux fantasy plutôt que l’imagerie d’un club de baseball. Classé du côté du doom épique, il s’aventure dans une veine héroïque que nous aurons l’occasion de détailler en parlant de The Bestiary, leur second album.

Lors de la sortie de Into The Realm, premier opus de Castle Rat, nous nous étions placés parmi les auditeurs bienveillants. C’est donc avec la même approche que nous avons abordé The Bestiary. Dès le départ, on constate que la première partie de l’album répond au cahier des charges du groupe et à nos attentes. Solos flamboyants sur “Phoenix I” et “Wizard” suivis d’un chant envoûtant sur “Siren”, refrains capables de galvaniser  les cottes de mailles de toute une armée . On imagine sans peine le jeu de scène qui accompagnera “Siren”, avec basse et guitare dos à dos devant une batterie hypnotique qui donne le ton. C’est toute la tradition heavy metal qui se déploie, dans le son comme dans l’imaginaire.

Doit-on en conclure que Castle Rat se contente de clichés ? La question mérite d’être posée. Mais plutôt que des clichés, le quartette incarne le kitsch. Non pas dans un sens péjoratif, mais dans celui d’un style qui recycle les codes galvaudés du métal pour les détourner et leur rendre une certaine noblesse par l’humour et le décalage. Chacun se fera son avis, mais il est difficile d’imaginer qu’une telle maîtrise vocale, un phrasé aussi envoûtant que sur “Serpent” ou encore la richesse rythmique de “Crystal Cave” puissent être le fruit d’un groupe limité.

The Bestiary est donc bien l’album de musiciens aguerris, pleinement en possession de leurs moyens. Cependant, puisqu’il est question de kitsch, il faut reconnaître que ce style n’est pas toujours des plus légers (Allez jeter un oeil à l’artwork de l’opus), et l’album en pâtit au fil de ses treize titres et quarante-huit minutes. L’énergie retombe et la seconde partie finit par lasser. La pompe de “Wolf II” comme celle de “Dragon” devient vite pesante. “Sun Song” n’est pas en reste et roule ses mélodies dans une boucle sans fin.  Ce n’est pas pour autant une mauvaise galette, loin de là, car elle regorge d’idées et d’intentions louables. On en vient même à se dire qu’au milieu de ce maelstrom heavy, il s’agit d’une version du metal épique ou folk assez maligne et raffinée pour qu’elle puisse être présentée à ses parents.

The Bestiary a d’ailleurs ce mérite d’abattre quelques frontières. Les amateurs de guitare trouveront leur bonheur dans les solos à répétition, notamment celui de “Wizard” ou de “Siren” (encore elle), tandis que les fans de folk metal savoureront les morceaux électro-acoustiques “Wolf II” et “Phoenix II” et pourront enfin faire partie de la bonne société et se targuer d’aimer aussi le doom.

Finalement, l’album Bestiary est plus que convenable. On prend plaisir à le parcourir dans sa première partie, puis on s’attache à dénicher les bonnes idées dans la seconde, sans jamais manquer d’en trouver. Quoi qu’il en soit, Castle Rat confirme sa position de héraut du folk doom, en mission pour défendre son royaume à coups de guitares et d’épées bâtardes vorpales.

Slomatics – Atomicult

Extrêmement rares sur scène, on est toujours ravis de retrouver les discrets doomsters nord-irlandais au moins sur disque (faute de grives…), un exercice dans lequel ils n’ont jamais déçu. Ils nous reviennent cette fois encore via un nouveau label, les excellents Majestic Mountain.

Les premières écoutes suffisent à confirmer que Atomicult est directement inscrit dans la veine de Strontium Fields, son prédécesseur, ainsi que dans la suite logique de leur discographie – et c’est tant mieux. On retrouve donc avec plaisir le doom «enrichi » du combo, une musique qui, si elle trouve ses fondements dans le stoner doom le plus lourd, emprunte tout autant au post-metal, noise, un peu au sludge, et beaucoup à l’indus (cette dernière hybridation les rapprochant d’Ufomammut sur certains titres – voir « Night Grief » par exemple)…

On retrouve assez souvent l’incorporation de synthés sur Atomicult (instrument principal sur « Physical Witching », ils viennent apporter une contribution majeure à d’autres titres comme « Biclops » ou « Phantom Castle Warning »), ce qui pourra heurter les plus intransigeants.

Pour le reste, l’on retrouve avec satisfaction les marqueurs forts de la musique du trio, à savoir un lit de riffs massifs (2 guitaristes, pas de basse…), emmenés par un sens mélodique prépondérant, le tout enrobé du chant de Marty, le batteur de la formation – un chant clair, puissant, qui démarque le groupe de l’ensemble des formations évoluant dans des styles plus ou moins proches.

La qualité d’écriture déjà largement démontrée par le trio est encore à l’œuvre ici, rendant chaque titre très rapidement mémor(is)able – au bout de quelques écoutes à peine les riffs sont solidement gravés dans votre mémoire. La qualité des compositions, ces choix d’arrangements et de structure des chansons, rendent le disque attachant et jamais ennuyeux.

Atomicult a tous les arguments pour figurer en bonne place dans une discographie qui ne souffre toujours pas de point faible, un beau constat pour un groupe finalement assez prolixe musicalement. Une belle rondelle pour les amateurs de lourdeur extrême et de mélodie accrocheuse, et les doomsters à l’intégrisme modéré. Un groupe qui manque en revanche toujours autant en live.

 


Appalooza – The Emperor of Loss

Après une première salve d’albums progressivement de plus en plus prometteurs, dont les deux derniers sortis de manière surprenante sur le label américain Ripple, c’est par le même biais que le trio breton (!) nous propose sa quatrième galette. Entre chaque disque, le groupe disparaît des radars (activité live inexistante ou en tout cas famélique), et chaque nouvel album est accueilli par la surprise et l’envie de s’y plonger.

On retrouve très vite sur ce The Emperor of Loss les mêmes codes musicaux que ceux développés sur les dernières galettes du groupe : américain dans l’intention et les influences, le groupe français l’est largement dans sa musique. Leur style s’inscrit dans une émergence des groupes de stoner américains des deux dernières décennies, de cette tendance qui a vu le grunge renforcer un stoner fuzzé et testostéroné, à l’image d’une large partie de la passionnante production de Small Stone Records en début de siècle. Immergé dans ce foisonnant chaudron d’influences, Appalooza y a toujours apporté sa patte, avec en particulier des saveurs ethniques inédites pour un groupe en provenance hexagonale, des rythmiques quasi-tribales parfois et d’autres sonorités évoquant occasionnellement un lointain shamanisme… Mais ces subtils reflets ne viennent pas pervertir un style musical qui reste fondamentalement ancré dans le gros stoner US, à nouveau servi sur ce disque par une production rutilante, “à l’américaine”, en droite provenance… de Bretagne, à nouveau !

Cette dizaine de nouvelles compos (dont un titre bonus) viennent sans surprise compléter le diagnostic : musicalement séduisant, le groupe est aussi doué pour l’écriture et la rondelle ne manque pas d’exemples. Evidemment, émergent en premier les « gros morceaux », à l’image du costaud « Grieve » qui vient proposer une intro impeccable d’efficacité, ou du catchy « Tarantula », son leak d’intro efficace, son couplet hanté et son refrain uppercut. Le trio s’y entend aussi concernant les mid-tempo emballants, à l’image du redoutable « Iscariot » ou du plus lent « Cradle to the Grave » (peut-être le titre qui rappelle le plus Alice In Chains, influence prégnante du groupe). Même « Adios Maria », titre électro acoustique hispanisant que l’on aurait adoré détester, s’avère efficace et séduisant. « Matador » le titre bonus est loin d’un morceau de remplissage ; plaisant et, lui aussi, efficace, il rappelle souvent une autre influence du groupe, QOTSA (ici sur ce qu’on appellera son « milieu de carrière »).

The Emperor of Loss est, à nouveau, un disque réussi. On l’écoute avec plaisir et on y revient avec envie. On en vient donc encore au même constat de frustration, de ne pas voir le groupe proposer de prestations scéniques (ou pas assez) pour venir renforcer ce constat et l’amener à un niveau de reconnaissance plus large, cohérent avec leur talent d’écriture et d’interprétation sur disque.

 


Borracho – Ouroboros

Borracho livre un sixième LP qui vient compléter la galaxie de ses productions hétéroclites entre splits et EP. Le trio de Washington D.C. nous promet un album sous forme de critique sociétale et on caresse donc l’espoir de trouver un certain renouveau d’énergie dans les compositions de ce Ouroboros fraîchement produit, même si cela consistait à sortir d’un style jusqu’à présent fortement teinté de heavy psychédélique. Style qui nous a toujours donné satisfaction à défaut de nous les avoir fait porter aux nues, allons donc voir si l’heure est venue.

Avec ses affleurements metal sur des pistes très rock, le serpent Ouroboros se coule entre deux eaux. De ses soli légers et blues de “Lord of Suffering” au chant fait de méchantes mélodies nerveuses façon “Vegas Baby” on traverse un continent d’émotions. L’album provoque l’étonnement lorsque la subtilité du clavier presque inaperçu de “Succubus” vient contrer les refrains des mêmes morceaux déjà cités plus haut. Du point de vue stylistique, on ne change pas une équipe qui gagne. Borracho fait du Borracho, on perd peut-être ici certaines singularités qui avaient fait le sel de l’album précédent mais on ne boude en rien son plaisir car la galette gagne en vivacité ce qu’elle a perdu en essais orientalisants.

Côté prod on ne peut que saluer un travail léché qui met en avant la lourdeur quand il le faut et ne rend en rien anecdotique la subtilité. Poussant jusqu’à imbriquer “Vale Of Tears” et “Machine Is the Master” comme deux parties d’une même histoire qui viendra se conclure par les deux titres les plus prenants de l’album dont un “Broken Man” où le clavier revient cette fois en force et où les gimmicks de gratte resteront à coup sûr dans la tronche de l’auditeur.

Au final Ouroboros c’est du stoner pur jus, un concentré du genre qui ne peut que séduire l’amateur et convaincre le néophyte. Certes on n’y trouve pas une bien grande originalité mais la promesse de quelque chose d’un peu plus corrosif est tenue. Si toutes les plaques désertiques bénéficiaient d’une prod aussi correcte on ne s’arrêterait plus sur grand-chose faute de temps. En clair, ce sixième album c’est un peu le retour aux sources du style, appuyez sur play et soyez prêts à bouffer de la poussière, Borracho montre les crocs, espérons la prochaine fois qu’ils mordront dedans à pleines dents.

Dozer – Rewind to Return : Rarities, Singles and B-Sides

DOZER - Rewind to Return album artwork

Dozer entretient une certaine rareté dans le paysage depuis une bonne grosse quinzaine d’années en se produisant à petite dose. Tel n’était pas le cas à ses débuts lorsque le quatuor était omniprésent sur nos scènes. C’était aussi l’époque à laquelle nous avons eu l’idée de lancer ce site avec trois mecs que je n’avais jamais rencontré que par clavier interposé…c’était différent, Dozer jouait et sortait des petites merveilles à tirages plus ou moins confidentiel sur des structures appartenant désormais au mythe de la scène comme Man’s Ruin ou Meteorcity (les anciens vont verser une larme). En ces temps anciens, le stoner et ses déclinaisons n’avaient pas voix au chapitre sur le devant de la scène et c’est très naturellement que ce sont sur des circuits parallèles que sont sorties une palanquée de production de la bande de Borlänge empruntant les codes du monde qui était le sien alors : l’underground !

De cette période souterraine, il demeure un paquet de pépites n’ayant pas fait l’objet d’un tirage conséquent voire même d’une mise à disposition du grand nombre car Dozer est populaire désormais et bénéficie d’un intérêt certain. La chose est aujourd’hui partiellement réparée. Réparée comment ? Le groupe – soit des gens de goût – a sélectionné selon son bon vouloir des titres issus des sorties disséminées aux quatre vents alors que le stoner européen n’en était qu’à ses premiers balbutiements. Réparé aussi parce qu’ils ont transmis leur sélection à Karl Daniel Lidén – un type au goût aussi certain que Dozer dont il a été le batteur, il l’a aussi été pour Demon Cleaner – on y reviendra – et Greenleaf avant de devenir producteur – afin qu’il remasterise la chose dans les règles de l’art. Pas réparé parce que l’exercice de style, à savoir de confier à des auteurs-compositeurs-interprètes le libre arbitre sur une sélection de leurs titres contraint justement le choix et quand il y a choix il y a des titres qui restent en rade…il demeurera donc une quantité non-négligeable de compositions gravées dans le sillon ou sur des bandes magnétiques qui n’ont pas passé le round des sélections et ne figurent donc pas sur ce double grand format. C’est un peu frustrant certes, mais cela laisse aussi la porte ouverte à une éventuelle deuxième couche (c’est quand vous voulez les gars !).

De retour au business, les Suédois vont se tirer en tournée américaine avant de revenir pour quelques dates européennes au sud ou au nord, mais pas au milieu, et c’est avec ce nouvel album composé de vieilleries qu’il se baladera. Ce nouvel album est une occasion de se pencher sur un groupe emblématique de la scène stoner du vieux continent, sur sa galaxie dont le propagateur principal par ici était son label Molten Universe ainsi que sur une belle brochette de groupes sur lesquels il est toujours bon de se repencher voire de se pencher tout court si on n’a pas connu le Nokia 3310 à sa sortie. Parmi les titres, plusieurs extraits on été tirés des 3 split commis avec Demon Cleaner (les albums sont naturellement chroniqués dans nos colonnes), un groupe incroyable des la scène de la fin des nineties et du début du millénaire. Zéro trace de celui commis avec Los Natas, qui est aussi un groupe incroyable originaire d’Argentine voire de celui perpétré avec Brain Police, incroyable formation islandaise (les deux orchestres font aussi l’objet de quelques mots commis par nous-mêmes jadis ici même). Aucun extrait du split avec Unida est présent certainement parce que la chose s’est déjà bien répandue et aura su trouver son public sans l’appui d’une réédition. A titre très perso et juste pour ramener ma grande gueule de mauvaise foi, je suis un peu partagé sur la présence de « Vinegar Fly » déjà présent sur « Vultures » qui était déjà une compilation de choses inédites mise en valeur par les mêmes protagonistes, mais qui ne couvrait que des prises captées entre 2004 et 2005 (vous devriez aussi trouver sur ce site une chronique de la chose).

Alors quoi ? Alors bien sûr on achète la chose. Bien sûr qu’il ne s’agit pas d’une oeuvre cohérente vu que l’arbitraire règne sur une sélection de titres, mais quels titres ! C’est Dozer ! C’est Dozer moins le quart avant Jesus Crie ! C’est Dozer dans sa toute grande forme : du heavy rock fuzzé remarquablement composé, interprété et arrangé. Ca bat n’importe quelle sortie de l’année sans forcer sur le moteur. C’est magique de bout en bout, du début à la fin. Zéro remplissage des premières notes du premier split avec leurs acolytes de Demon Cleaner  soit« Tanglefoot » qui est un bijou de lenteur très heavy avec ce timbre de voix à reconnaissable d’entre tous puis ça embraye avec le deuxième extrait « Hail The Dude » qui pose clairement le cadre de ce que sera la trademark Dozer.

On s’enfile ensuite une kyrielle de hit intergalactiques genre « Southern Star » qui est proche des ogives « Rising » ou « Supersoul » et qui entraîne du mouvement de nuque avec le pied qui bat la mesure. On s’arrête aussi sur l’incroyable chef-d’oeuvre ressuscité « Star By Star » issu du split avec Giants Of Science qui est l’astre de cette (re-) sortie et qui fait clairement partie des meilleures ogives balancées depuis la Suède. On se termine sur une pièce plus anecdotique plus qu’issue de la demo « Universe 75 » (aussi présente à l’appel) : « 2 Ton Butterfly » qui retient sa violence avec la basse en première ligne devant un riff qui tourne et des lignes vocales balancées en ligne arrière avant de se terminer de manière chaotique. On parcours non seulement la période la plus prolifique des Scandinaves, mais aussi celle qui à mon sens est clairement la meilleure en termes de productions hautement qualitatives.

Bref : qu’on se tape une séance de rattrapage, un bain de jouvence pour se rappeler le bon vieux temps (ah ouais c’était mieux avant ?), une découverte d’un pilier du genre ou simplement une immersion de soixante minutes dans l’univers Dozer propice à l’onanisme, cette production rejoint le rayon des indispensables dans la discothèque de chaque mélomane qui se respecte un tant soit peu. De plus est, si nous devons encore attendre 15 piges entre « Drifting In The Endless Void » et son successeur, soit la période qui le sépare de son prédécesseur « Beyond Colossal », cette production devrait être poncée à la sortie de la prochaine livraison (sauf si le reste du catalogue subit le même sort et on croise un peu les orteils).

Point Vinyle :

La question de savoir s’il faut se procurer cette chose est vite réglée : c’est tout bonnement indispensable et il y aura un contrôle de la police du desert-rock ! Il reste donc la question de l’écrin à régler car se contenter de la déclinaison numérique d’un pareil trésor ne devrait être à l’ordre du jour d’aucun de nos lecteurs qui sont des gens de goût et qui se respectent. Il y a donc un cd limité disponible des deux côtés de l’Atlantique (comme tout le reste), une édition limitée à 400 pièces du double LP en noir et rouge, une édition extrêmement limitée (je n’invente rien) en vinyle noir affectionné par les audiophiles vu sa qualité supérieure (un peu comme l’absinthe du purgatoire), laquelle bénéficie d’un déclinaison noire et blanche de la pochette ainsi qu’un tirage en vinyle rouge transparent qui sierra à merveille avec l’artwork de base. Fais ton choix camarade !

 


 

In The Company of Serpents – A Crack In Everything

Depuis 2012, le duo mué en trio de In The Company Of Serpents a sorti quelques plaques d’un sludge tout en finesse, tombées dans notre escarcelle assez tardivement, sans doute la faute à une auto-production à laquelle le groupe est attachée. Le coup de foudre avait été assez total lors de la sortie de Lux en 2020. Leur sludge, entre lourdeur et mélodie, avait bénéficié d’une production léchée qui avait propulsé cet album parmi nos coups de cœur de l’année, aiguisant au passage notre appétit pour un nouvel enregistrement.

Le retour aux affaires se fait cette fois avec une plaque toujours auto-produite et annoncée comme personnelle, en particulier du point de vue de Grant Netzorg, le chanteur du groupe, qui utilise A Crack In Everything comme catharsis de ses problèmes de boisson passés. Un enregistrement qui prend donc le risque de tourner autour d’un membre unique dirigeant l’ensemble (mais au fond, rien ne nous dit que cela n’était pas déjà le cas, vu le succès évoqué plus tôt).

On s’attend donc, à l’ouverture de l’album, à un sludge qui colle aux pattes, ce que “Don’t Look In The Mirror” ne dément pas. Très vite, on avance dans A Crack In Everything comme dans le brouillard d’un marigot d’où peut surgir une surprise à chaque instant. L’enchaînement des titres n’a rien d’un trajet paisible. Comme pour leur précédent album, In The Company Of Serpents fait sonner son sludge avec talent. Que ce soit avec “A Patchwork Art” et ses riffs doom en alternance avec un mid-tempo bien du sud, ou même un titre plus faible comme “Endless Well”, aux lassantes phrases en boucle, le trio sait donner le change avec un pont qui apporte un vent de renouveau : un mid-tempo, un break, ou bien de discrets chœurs (assurés par Jeff Owens de Goya).

Mais laissons ici la promesse d’un album tout en sludge. “Cincers”, avec un son distordu, fébrile, imparfait, joue avec les codes de la fissure, laissant même planer le doute quelques secondes d’une involontaire erreur d’enregistrement (dans la lignée d’une plaque, disons-le tout de suite, à la production nettement plus en retrait que la précédente).

“Buzzard Logic” se pose en charnière doom qui plonge la galette dans un monde plus froid, plus sombre. Introduite et conclue par le son du glas, elle se mue vite en un paysage plus proche du post-rock qu’autre chose. Le chant scandé, en appui des cordes et de la batterie, s’enfonce dans un monde de plus en plus poisseux, qui dérivera jusqu’au final noir comme un shoegaze de “Ghost On The Periphery”. Un univers où les balades express (à peine plus d’une minute, et diptyque qui ressemble fort à celui déjà présent sur Lux), empoisonnées de “Delirium” et “Tremens”, viennent préparer le terrain à “Until Death Darkens Our Door” et son chant rocailleux à la manière de Leonard Cohen, en réponse au titre de l’album, tiré des paroles d’une chanson de ce dernier, “Anthem”.

Au final, l’album n’est plus sludge que par les échos de ce qu’on connaissait des précédents, et la figure post-rock prend le dessus pour accéder à la catharsis. On sent dans A Crack In Everything un besoin vital de purger le mal qui habite l’auteur des compositions. Un besoin exprimé dans un phrasé mélodique, mélancolique et dur, qui achève la mutation d’un style larvé dans les précédents enregistrements. Un album nécessaire pour le groupe, qui pourra déstabiliser ceux qui attendaient la redite du précédent opus. Au final, A Crack In Everything restera-t-il une parenthèse où l’auditeur accompagnera In The Company Of Serpents dans son cheminement ou est-ce la fin d’une mue et donc un nouveau corps qu’il faudra accepter ?

 

Domkraft – Domkraft

Vous serez sans doute étonnés de constater que le dernier LP de Domkraft s’intitule Domkraft, comme le titre de son premier EP. Eh bien, figurez-vous que ce n’est pas une erreur : pour fêter ses 10 ans, le groupe suédois de doom psychédélique et pachydermique décide de ressortir par l’entremise de Magnetic Eye Records son premier EP, initialement édité à 250 exemplaires. Mais comme vous êtes attentifs, vous avez constaté que cette fois, il s’agit d’un LP : exit la démarche vilement mercantile, vive les nouvelles compos ?

La livrée de l’album reprend la même illustration que celle d’origine, en noir et blanc, mais s’attache à la mettre en couleur cette fois-ci, retouchant au passage quelques éléments graphiques. Rien de bien fou en soi, mais suffisamment pour ne pas se tromper de plaque en piochant l’une ou l’autre dans sa discothèque (heureux possesseurs des 250 EP, vous voilà sauvés).

Les pistes, à présent, puisque le trio promet dans sa promo de nouveaux morceaux. Essuyez donc la bave que vous avez aux lèvres : il n’y a dans cet album que deux nouvelles compositions. 12 minutes et 58 secondes de plaisir en plus, qui mettent la plaque au niveau syndical d’un LP. Pour ce qui est des anciennes compos, elles ont été remasterisées avec une production plus lourde, qui met donc tous les titres au même niveau et permet à l’auditeur de bénéficier d’un Domkraft moins artisanal et aux détails fins jusqu’aux craquement de microsillons de la conclusion de “Horses Horses”.

Comment aborder cette plaque, donc ? Difficile d’être définitif. Sans doute un accessoire supplémentaire dans l’attirail du fan de Domkraft et nous en sommes. Certes, nous n’étions pas penchés sur le berceau du groupe, mais nous avons apprécié chacune de leurs plaques et parlé en bien d’elles dès que l’occasion s’en présentait. Domkraft est donc un album nécessaire, sans être un indispensable.

Son avantage principal est sans doute, à l’aune d’une écoute concomitante avec Sonic Moons, de mettre en avant le chemin parcouru par le groupe. Une progression d’écriture qui montre comment Domkraft est passé d’un doom psychédélique plaisamment redondant à une capacité étendue à explorer des univers différents au sein d’une même galette. C’est d’ailleurs un peu ce qu’osent les nouveaux titres “Spiral Noises” et “The Bane”, des morceaux qui, pour autant, s’intègrent parfaitement à l’EP d’origine. On y retrouve la lourdeur abyssale des titres mid-tempo, tellement appréciée par le passé. Le final “The Bane” titre originellement écrit pour un film  inabouti à ce jour, “The Planet Of Doom”. Quoi qu’il en soit ce morceau est un trou noir qui aspire l’auditeur pour ne plus le laisser s’échapper et c’est exactement ce qu’on attend du groupe. Cependant ce titre et son prédécesseur ne font qu’attiser la frustration lorsque résonnent les dernières notes de l’album.

En résumé, Domkraft est une galette dont on est content qu’elle existe : belle production, mise en valeur de titres qui sonnaient bien plus plats avant cette remise à niveau. Du côté des deux nouveautés, on apprécie leur qualité d’écriture et, comme toujours avec Domkraft, on sort satisfait de son audition. Difficile de dire du mal de l’effort produit, même si, fatalement, on reste un peu frustré de ne pas y trouver la suite logique de leur précédente réussite, Sonic Moons.

 

Goya – In the Dawn of November

Après quatre albums discrets, parus sur des labels différents, et plus de 8 ans après leur précédent méfait (le très bon Harvester of Bongloads) on pensait la cause entendue, et le groupe disparu pour de bon, au cimetière des doomsters underground qui n’ont jamais eu l’opportunité de « percer ». Ce In the Dawn of November, qui sort très opportunément… en juin (ah, ces champions du marketing) arrive donc par surprise, et l’on se prend à espérer qu’il puisse être l’album de la révélation…

Les premières écoutes viennent nous rappeler quel groupe solide est à la manœuvre : le trio américain se complait dans un stoner doom rugueux, dans une veine massive, mais avec une mise en son assez propre (tout est relatif). On reste toutefois assez proches d’influences metal/stoner metal, comme souvent avec les groupes de cette tendance en provenance des USA : les rythmiques ont beau être pesantes et bien appuyées, on reste sur du mid-tempo assez ralenti, et on ne verse jamais dans la lenteur absolue. L’apport mélodique se veut donc crucial dans l’équilibre du groupe, et c’est bien ce trait distinctif qui, mêlé à la puissance de riffs très lourds, vient décupler l’intérêt qu’il génère.

Les six compos proposées sont assez variées pour ne jamais susciter l’ennui ou le sentiment de répétition et, fait appréciable, le groupe, s’il maîtrise les règles d’or du doom, ne s’en retrouve jamais prisonnier : voir par exemple comme il peut développer le crépusculaire « I Wanna be Dead » et son riff lancinant sur plus de douze minutes (un refrain stoner doom d’école) sans jamais tourner en rond, ou bien d’un autre côté emballer un « Sick of your Shit » au moins aussi accrocheur en moins de cinq minutes – parce que tout est dit, et que « faire durer » serait artificiel. Sans parler du punchy « Depressive Episode », son son de basse glaireux, sa guitare au fuzz baveux, et ses relents de vieux punk crossover.

Pour enrober le tout, deux autres belles pièces de stoner doom assez classiques mais toujours efficaces sont à relever : le très accrocheur « Cemetary Blues » vient encore appuyer la capacité du groupe à pondre des refrains doom que l’on se prend à entonner très vite à l’unisson, tandis que le morceau éponyme du disque s’emploie à montrer l’ensemble de la palette musicale du groupe : mélodie omniprésente, rythmiques pachydermiques, leads vibrantes…

In the Dawn of November est-il donc l’album qui pourrait faire exploser le groupe sur la « scène » stoner doom mondiale ? Qualitativement, la maîtrise stylistique est là, et le savoir-faire du groupe rejaillit dans tous les contours de ses compos : efficace et très accrocheur, ce disque a ce qu’il faut pour ravir les doomsters de tous horizons, amateurs d’un doom intègre, parfois aux limites de l’orthodoxie certes, mais toujours au service du genre. A ce titre, il est dommage de rater ce disque. En revanche, il est difficile d’imaginer le groupe prendre un essor incroyable dans les conditions actuelles, avec un label certes qualitatif mais aux moyens limités, et une propension à tourner live un peu restreinte de la part du groupe… Croisons les doigts toutefois, car ils méritent un autre statut.

 


 

 

Crystal Spiders – Metanoia


Nos cœurs étaient lourds, dans l’attente d’un nouveau Crystal Spiders, qui avait sorti deux années de suite deux magnifiques enregistrements que nous avions écoutés comme on entre en religion. Mais ça y est: le trio stoner de Caroline du Nord, emmené par le souffle épique de sa chanteuse, nous revient avec un nouvel album, Metanoia, toujours produit par le désormais ex-bassiste de Corrosion of Conformity, Mike Dean, et sorti chez Ripple Music encore une fois. Le trio s’était avéré gagnant lors des précédentes sorties, voyons à présent, si cette nouvelle production est dans la droite lignée des autres.

Une fois de plus, Crystal Spiders offre avec Metanoia un album où le swing et le rock sont maîtres. Les riffs et le rythme de “Torche” sont aguicheurs en diable, et ses phrases musicales, autant de points d’exclamation. “21” effleure le blues, mais l’album n’en mollit en rien, et  invoque le diable dans la composition de “Maslow”, où les enharmoniques accompagnent un chant prenant comme une invocation rituelle. C’est le chaudron du rock qui fume entre vos oreilles et chaque piste répond aux stéréotypes les plus classieux du genre depuis que le heavy metal existe.

Comment ne pas s’arrêter, une fois de plus, sur le chant, qui est probablement la composante majeure de ce trio? Brenna offre, avec la puissance de sa voix, sensualité sur “Os”, où les riffs sont toujours percutants et fleurent bon le classicisme heavy. Ses cordes vocales vibrent de manière épique quand il le faut, et ne trahissent aucune piste de Metanoia. C’est encore ce chant qui apporte les touches remarquables de subtilité dans l’écriture de “Blue Death” (où il est monté pour un effet de chœur des plus réussis). Cet album, en plus d’avoir des choses à dire, renouvelle l’expérience d’une musicalité puissante et sans faille, sous l’égide de sa bassiste-chanteuse.

Du côté des cordes justement, si l’on a évoqué l’approche classique de ces dernières, tant dans une veine blues rock à la façon de “Ignite” que dans les oripeaux empruntés au doom le plus pur sur “Blue Death”, on ne ressent aucune lassitude, et l’on trépigne comme des gosses quand arrive le solo heavy de “Time Travel”. Il bat en brèche le mid-tempo de la piste dans une envolée sabbathienne empreinte, pour le coup, de modernité, on ne boude pas son plaisir!

Metanoia, c’est la démonstration, s’il en était encore besoin, que Crystal Spiders est l’un des groupes les plus percutants de sa génération. Aucun titre ne montre de faille; chaque composition contient au moins un de ces moments qui fera se dire à l’auditeur : “Wow, putain, c’est bon ça!”. Ne laissez pas cet album vous filer entre les doigts : vous manqueriez 44 minutes de bonheur.

Kal-El – Astral Voyager Vol.1

Entre deux missions, Kal-El nous rapporte des souvenirs stoner venus du lointain space rock. Pour son atterrissage de 2025, le quintette norvégien a mis dans dans ses soutes un Astral Voyager Vol. 1, qui sera suivi du déchargement d’un volume 2 dans les mois à venir, toujours chez Majestic Mountain Records. Le bout de stoner arraché aux confins de l’espace est mis en scène dans un artwork qui reste fidèle à la tonalité Comics Space Opéra du précédent opus, ne trahissant en rien l’identité que le groupe met en avant depuis des années – Entendez, des pin-ups et des références spatiales. Il y a donc fort à parier que nous ne bouderons pas notre plaisir une fois de plus.

D’emblée, la production apparaît plus sérieuse que jamais. Cette dernière place la batterie et la basse sur le devant de la scène. Même si nous avions déjà noté la rigueur de la section rythmique lors de la sortie de Dark Majesty, c’est sans doute le temps incompressible qu’il fallait pour que basse et batterie trouvent leur rythme de croisière après le départ de Liz, l’ancienne bassiste, en 2019. Dans cette configuration, avec une section rythmique gonflée comme un moteur hyperespace portant l’ensemble, il ne restait plus qu’à asseoir la voix de Captain Ulven pile dessus et à régler les guitares comme boosters du vaisseau Kal-El.

Au programme de ce Astral Voyager Vol. 1 : de gros riffs metal pour introduire “Void Cleaner”; des breaks et patterns enthousiasmants avec “Astral Voyager”; sans oublier une touche de finesse avec “Cloud Walker”, cette quasi-balade hard rock qui emprunte les codes du riff efficace, du solo suranné et de la mélodie presque tranquille.

On l’a dit, The Captain ne varie pas tant que cela dans son approche vocale habituelle; sa tessiture laisse le chant s’écouler tout au long de l’album comme un flot continu, qui, loin d’être tumultueux, sert la trajectoire rectiligne du vaisseau Kal-El. Ce constat n’est néanmoins pas définitif, car une fois jouée la piste “B.T.D.S.C”, on se réjouira que sa voix apporte également, quand il le faut, un souffle épique, soutenu généreusement par les patterns de batterie et les riffs des cordes joués en boucle. Chaque piste est d’une égale qualité et, du point de vue du style, l’afficionado du groupe y trouvera son compte grâce à une production qui montre les muscles.

Astral Voyager Vol. 1 est l’image même de la carrière de Kal-El : un vaisseau lourdement propulsé dont la trajectoire ne semble pas vouloir dévier. Un bon gros transporteur de riffs et d’ambiances intersidérales. C’est les yeux fermés qu’on peut signer son engagement pour monter à bord de cet album et participer au voyage aller. Il est même certain qu’on ne se fera pas prier pour embarquer à nouveau lors du voyage retour, avec le volume 2 encore à paraître.

Witchcraft – Idag

Après une jolie triplette d’albums fondateurs en début des années 2000, le passage chez Nuclear Blast (et plus globalement le parcours du groupe dans les années 2010) fut le révélateur d’un virage assez étrange dans la carrière de Witchcraft, qui reste aujourd’hui encore difficile à expliquer : sur le point de tirer la bourre à leurs compatriotes de Graveyard (eux aussi en pleine ascension, boostés au même moment qu’eux par leur passage chez Nuclear), le groupe s’est en quelque sorte sabordé avec son dernier album sur le prestigieux label, ce Black Metal (2020) aussi insensé que son titre est ironique, où Pelander en solo (a priori) propose une poignée de compos électro-acoustiques sombrissimes, propices à une profonde déprime au coin du feu. Disparue cette enthousiasmante formation de proto rock en droite lignée des 70s, empreinte d’occultisme, d’électricité et de talent d’écriture, finis les assauts emballants à trois guitares électrisantes, on passe à la guitare folk intimiste et les ambiances dépressives… Evidemment, Nuclear Blast ne s’est pas embarrassé à garder le « groupe » (devenu quasiment one-man band) dans son roster, et, comme beaucoup, c’est chez Heavy Psych Sounds qu’ils ont atterri.

C’est évidemment sur la pointe des pieds (presque à reculons) que l’on a abordé ce disque. Idag est (de manière presque prévisible !) un album difficile à cerner, à l’image peut-être de l’état d’esprit bouillonnant et débridé de son géniteur, Magnus Pelander. Clairement débarrassé de tout carcan, le chanteur-guitariste-compositeur se fait plaisir, et fait ce qu’il veut, comme il veut.

Dans une démarche complètement non-commerciale, il opte pour le chant dans sa langue natale pour plus de la moitié des titres du disque. Ce choix installe une atmosphère étrange, avec des intonations et sons atypiques, mais aussi des lignes vocales difficiles à engrammer, aux rimes étranges voire rares. En outre, la production vient apporter une dimension très différente d’une chanson à l’autre, généralement sur-valorisant le chant, mais pas toujours de manière identique. Cette mise en son hétéroclite ne participe pas non plus à l’immersion…

Côté instrumental, là aussi, pas de ligne directrice. L’électro-acoustique est roi (chant-guitare FTW) sur un gros tiers du disque, pour des ambiances assez sombres pour la plupart. Mais une formation plus « rock » vient tout de même porter le reste du disque, pour des résultats assez disparates : pour en faire émerger le plus positif, mentionnons des titres comme « Drömmar Av Is » et son riffing assez enthousiasmant, le long et versatile morceau-titre, le très Pentagram-esque « Burning Cross » (sauf son refrain quasiment a capella… malsain et oppressant !), ou encore « Irreligious Flamboyant Flame », que l’on croirait en provenance directe des glorieuses 70s avec son refrain sautillant et…. sa prod scandaleusement famélique (est-ce volontaire ?). De fait, on retrouve, par bribes, des plans qui nous rappellent le Witchcraft que l’on a tant aimé en début de siècle.

On ressort de ce disque un peu chamboulé, sans repère clair. A l’évidence, c’est la personnalité de Pelander, foisonnante, qui émerge au détour de chaque riff, chaque ligne de chant, chaque break : toujours surprenant, il ne joue jamais la facilité, nous attendant toujours au détour d’un riff passionnant avec un break vicieux en embuscade, ou un refrain confusant pour plomber la dynamique… On picore donc des dizaines d’idées, d’éclairs d’inspiration étonnants, plus ou moins faciles à digérer, plus ou moins bienvenus. Mais on ne s’ennuie jamais. En se laissant emporter par la personnalité de son géniteur, Idag vous prend par la main et vous emmène dans des territoires musicaux assez vierges. A vous de voir si vous voulez lui accorder cette confiance.

 


 

Kadavar – I Just Want To Be A Sound

Kadavar, l’enfant chéri du rock rétro, emprunte depuis quelques albums un chemin singulier. De sa reprise de “Helter Skelter” sur Rough Times, en passant par le baroque For The Dead Travel Fast et jusqu’à The Isolation Tapes, le combo berlinois s’est recomposé, tant sur le plan musical que capillaire, puis structurel, passant en 2023 de trois à quatre musiciens grâce à l’ajout d’un nouveau guitariste. Le groupe a exploré des horizons musicaux plus exotiques, tout en gardant un lien avec ses racines ; en témoignent notamment deux splits, et plus particulièrement l’expérience Eldovar. Kadavar y a certes perdu une partie de son public historique, mais a su conquérir de nouveaux cœurs. The Isolation Tapes s’est hissé à la 10ème place des meilleures ventes allemandes : un succès incontestable. C’est maintenant l’heure de vérité. La sortie de I Just Want To Be A Sound sera-t-il l’album qui viendra clore une mue amorcée il y a plusieurs années? Pas besoin d’avoir appuyé sur “play” pour le savoir : l’habitué découvrira autre chose. Reste à savoir quoi. Et à ce stade, il est difficile d’en parler avec certitude.

I Just Want To Be A Sound tourne la page qui avait fait croire à beaucoup que l’orientation pop et easy listening de The Isolation Tapes n’était qu’un exutoire ponctuel dû aux affres du Covid. Ce nouvel opus confirme que Kadavar n’est plus un groupe de rock rétro. Mais abordons cet album pour ce qu’il est, et non pas pour ce que fut Kadavar.

I Just Want To Be A Sound est un album de pop. Un album avec du miel dedans, notamment grâce à l’omniprésence du chant de Lupus et à sa guitare qui explore mille mélodies éthérées, sublimées par la guitare discrète mais précieuse de Jascha. De la pop, oui, mais pas de la pop rock. L’album s’aventure dans des contrées singulières. Si “Let Me Be A Shadow” contient sa part de force, les distorsions sur les voix et les cordes rapprochent parfois le groupe d’un certain héritage de la French Touch. Rien d’électro certes, mais un goût pour l’écriture et la production à la fois moderne et rétro, qui, sur le titre “Star”, évoque le travail de la formation Air en son temps. “Sunday Morning” expérimente avec des samples discrets ; il entre en dialogue avec “Strange Thoughts”, instaurant une ambiance introspective.

Comme tout album pop, celui-ci ne se résume pas à une délicatesse (disons plutôt une noble mièvrerie). “Hysteria” met en valeur la basse de Simon Dragon, à la fois ronde et puissante, qui soutient un chant scandé. Ce n’est peut-être pas un déchaînement de violence, mais c’est un titre agressif et tendu, à l’image de chaque phrasé qui transcende “Let Me Be A Shadow”, où la frappe de Tiger vient intensifier encore un univers faussement calme, comme avec “Regeneration” et son introduction au rythme de samba.

Parmi les explorations, le rock’n’roll “Scar On My Guitar” mérite qu’on rompe notre principe d’analyse hors du contexte de la carrière de Kadavar. L’amoureux du groupe y retrouvera forcément des riffs cachés, des échos d’anciens titres, et peut-être une réponse à l’intro de “Regeneration”. C’est d’ailleurs un fil rouge qui nous conduit jusqu’au morceau conclusif “Until The End”, au goût de Beatles sous cithare, qui fort heureusement avale quelques vitamines dans son dernier tiers pour finir sur une touche plus lourde. Entre les clins d’œil au passé et ce titre final, n’y aurait-il pas une forme de rétrospective, voire d’anthologie cachée ? Pour beaucoup de fans de la première heure, si Kadavar devait avoir un album final, cela ne saurait être celui-là, mais le quartette mène sa barque sans s’encombrer des attentes de sa fan base et va en toute liberté là où il en a besoin.

Comment aborder cet album en tant qu’auditeur ? Avec beaucoup de résilience pour ceux qui ne jurent que par le vintage rock, avec beaucoup de bienveillance pour les connaisseurs du groupe. I Just Want To Be A Sound serait-il le dernier album de Kadavar que ces pages commenteront ? L’histoire leur appartient et ils en jouent selon leur bon gré comme en témoigne leur mutation. Quoi qu’il advienne Kadavar reste pour nous un groupe dont l’évolution aura été menée avec maestria, une transformation sans brutalité, servie par le talent nécessaire pour livrer un album d’une qualité, une fois encore, indéniable.

Au revoir messieurs, merci pour le chemin.

 


 

Skyjoggers – 12021 : Post-Electric Apocalypse

Autant la scandinavie au sens large est plutôt vue comme un bon pourvoyeur de groupes électrisés et fuzzés (en quantité et en qualité), autant les groupes en provenance de Finlande spécifiquement y sont largement minoritaires (contrairement aux formations suédoises, voire norvégiennes ces dernières années). Skyjoggers est un trio finlandais, et malgré qu’ils ne peuvent pas vraiment être considérés comme un « jeune » groupe après plus de 8 ans d’activité, leur production jusqu’ici (autoprods, EPs, un live confidentiel…) n’est pas encore parvenue à nos oreilles. Les musiciens de Ufomammut les repèrent et les signent sur le label qu’ils ont créé, Supernatural Cat Recordings, pour ce premier véritable album dans la forme.

Alors, leur musique, est-ce un ersatz du post-doom industriel de la formation italienne ? Pas vraiment : Skyjoggers évolue dans une veine psych assumée, très largement instrumentale, assez loin de toute contingence doom. De facto, avec quatre titres seulement sur la galette, la synthèse stylistique est assez simple à dessiner : tout commence par un très enthousiasmant « Huevos Rancheros Rapid Round » où, pendant près de 14 min, le trio met en place une jam psych spacy assez jubilatoire, construisant un échafaudage qui culmine au bout de cinq minutes avec une section kraut protéiforme assez étourdissante, qui vient emballer et emmener le titre jusqu’à son final. Tandis que le rock folky-hispanisant aux relents space (!!) de « Newtonin Kanuuna » ressemble plus à une petite parenthèse, la « face B » vient apporter une tonalité plus grave à l’ambiance globale, avec 2 titres de psych rock qui vont (beaucoup) taquiner du côté de Slift : guitares rageuses, ambiances pesantes, écho, leads space, et des rythmiques lancinantes qui viennent se fracasser sans interruption dans vos cages à miel. « Tessæil » en est la meilleure illustration, venant faire tourner ses errements de guitares leads aériennes autour de ce riff répétitif, derrière lequel des nappes stellaires viennent finir de peaufiner l’ambiance.

En fil rouge du disque, un travail mélodique de qualité vient donner une « patte » bien spécifique à ce disque, que l’on écoute et réécoute avec plaisir. Le spectre stylistique, qui vient couvrir plusieurs nuances assez larges du psych rock, permet aussi de ne jamais s’ennuyer, d’autant plus que l’ambiance générale de chaque titre apporte encore une dimension supplémentaire, passant du trip souriant aux plans plus sombres, aux limites de l’angoissant parfois.

Ce 12021 : Post-Electric Apocalypse s’avère donc un disque plus que plaisant, une vraie réussite qui, si elle ne trace pas de sillon très original, vient montrer une belle appropriation du psych rock « moderne » (disons des 30 à 40 dernières années). Le trio peut s’enorgueillir d’une belle ligne sur son CV, que l’on espère propice à alimenter un nombre croissant de prestations scéniques ; nul doute que c’est sur les planches que la musique du trio prend encore mieux son envol.

 


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