Decasia – An Endless Feast For Hyenas

 

Petits Poucet deviendront grands, en tout cas c’est bien là tout le mal que l’on souhaite aux parisiens d’adoption, Decasia, qui pour leurs sept ans se payent leur premier LP et une signature chez Heavy Psych Sounds. Le trio que nous retrouvons épisodiquement de scène en festivals a fait ses armes et sort une belle plaque qui appelle aux voyages, An Endless Feast For Hyenas. Cette galette enregistrée en mode DIY promet déjà dans son concept de belles surprises.

Ferveur mystique ou rage quasi adolescente (ils ont passé le cap depuis belle lurette pourtant)  il semble d’emblée difficile de dire ce qui anime les pistes. Decasia offre à son auditeur un mélange étrange où la voix tant que les riffs sont faits de suave et de fermeté. Que ce soit sur “Skeleton Void” ou “Hrossvelli’s Ode”, un entrelac complexe fait parfois perdre les sens et oublier que les zicos ne sont que trois. An Endless Feast For Hyenas est un album où le kraut métissé du groupe atteint un niveau de savoir-faire indéniable.

“Override” apporte un de ces moments de satisfaction rare que l’on n’éprouve plus souvent à la sortie d’un album, l’impression est confirmée sur “Laniakea Falls”, un moment de grâce. La liberté d’ exécution fleure bon l’impro en particulier dans les soli, qui se succèdent de piste en piste sans pour autant se départir de la structure et de la réflexion qui transpirent un peu partout, et en particulier dans le catchy “Sunrise”, piste dynamique qui confirme la première impression de ferveur et de rage pubère.

Il est important de relever que les gars ont su masquer l’enregistrement dans une grange d’une baraque du fin fond de l’Auvergne et rester en grande partie en maîtrise de leurs titres, simulant l’exception lors du tout dernier. Là, les instants de vie transparaissent et révèlent la vraie nature de l’album.

Il devient urgent d’ aller écouter en live cet opus à peine sorti car avec An Endless Feast For Hyenas  Decasia a taillé une plaque pour l’ épreuve du concert. Sans l’ ombre d’un doute elle portera le public des salles où elle sera jouée vers des horizons contemplatifs, réfutant les notions d’enfermement et de frustration. Ces sentiments imposés par de trop nombreux artistes ces derniers mois ne trouvent pas leur place ici et c’est un soulagement.

 

Steak – Acute Mania

Depuis ses premiers pas en 2010, Steak occupe les avant-postes de la scène stoner européenne, un statut finalement un peu en décalage pour un groupe qui tourne peu, et surtout… qui n’a toujours pas sorti d’album réellement remarquable. Pan ! on met les pieds dans le plat : chacun de leurs disques s’est toujours avéré plaisant, mais qu’en reste-t-il ? Pour un “Liquid Gold”, combien de compos moyennes ? Lequel de leurs albums sortez-vous régulièrement de vos poussiéreuses étagères à vinyl pour le réécouter encore et encore avec envie ? Et pourtant, le groupe est sympathique, ses musiciens sont pros et carrés, ses concerts efficaces,il dispose d’un vrai chanteur (phénomène finalement assez rare, à bien y réfléchir)… Bref : Steak, c’est un peu le groupe de l’on adorerait adorer. Est-ce que ce Acute Mania sera enfin l’album qualitatif qui leur permettra de corriger cette étrange dichotomie ?

Il ne faut en tout cas pas longtemps pour retrouver une certaine familiarité dans ce disque, qui s’inscrit dans la droite lignée de ses prédécesseurs, stylistiquement en tout cas : un stoner rock solide, sableux mais jamais trop bitumeux, carré, largement porté sur le mid tempo. Le tout fait une nouvelle fois l’objet d’une production soignée, à la hauteur des ambitions toujours affichées par le quatuor londonien.

Côté compos, il y a du bon et du moins bon. Dans la première catégorie, on mettra volontiers “Wolves” (grosse basse et un lick de guitare catchy à souhait, qui vient s’appuyer sur l’un des seuls riffs un peu marquants du disque), le lancinant (mais peut-être un peu trop Kyussien) “System”. On pense aussi à la première moitié de “Ancestors”, elle aussi accrocheuse (mais qui rate sa sortie en jouant un peu trop la grandiloquence), ou inversement la très réussie deuxième moitié de “Papas Special Custard” (dont la longue intro est sérieusement pompée de Tool, jusque dans le son de basse et l’arrivée des guitares). Malheureusement, cette sélection est assortie de titres plus dispensables, qui peinent à engrammer malgré de nombreuses écoutes : “Dead Meat”, “Frequencies”, “Last Days” (bien trop long à commencer, dont on gardera la fin néanmoins), ou encore “Mono” (malgré la bonne idée d’offrir le micro à la chanteuse de Vodun sur l’outro). En synthèse en tous les cas, bien peu de riffs à se mettre sous la dent (Steak n’est clairement pas un groupe à riffs – ce qui n’est pas une critique en soi).

Acute Mania est donc un album satisfaisant, comportant quelques très bons passages, et à ce titre il y a matière à contenter bon nombre d’auditeurs cherchant un bon moment de musique, efficace, sans prétention. Mais il contient aussi des titres moyens, et surtout manque de véritable moment de grâce, d’une poignée de titres parfaits, et a fortiori du moindre riff marquant. Paradoxalement, ceci n’empêche pas Acute Mania d’être probablement l’un des meilleurs, voire le meilleur album du groupe… Étrange constat. Et pour les esprits chagrins et aigris de tous bords, on dira simplement : rendez-vous dans quelques mois, on en reparle ?

Big Scenic Nowhere – The Long Morrow

Perçu à ses début comme un « super groupe », ces fameuses réunions regroupant des musiciens issus de formations prestigieuses, Big Scenic Nowhere s’installe dans la durée et s’affirme de plus en plus comme une entité à part entière grâce à ce nouvel opus paru début 2022.

The Long Morrow, le long lendemain, pour traduire littéralement, s’articule donc encore autour de Gary Arce de Yawning Man et de Bob Balch, artilleur six cordiste génial chez Fu-Manchu. On y retrouve aussi Tony Reed de Mos Generator au chant, au mix et au mastering. Quelques guests, des potes, l’assurance de passer un bon moment en somme.

Et pourtant…

Le format étonne pour le moins sur The long Morrow, 5 titres pour 36 minutes et la moitié occupée par le titre éponyme. A l’écoute, l’impression de remplissage se renforce quand se retrouvent confrontés le travail poussé sur 17 minutes du dernier titre et l’apparente fin bâclée d’un «Lavender Blue » par exemple. Le groupe semble s’être retrouvé à broder un semblant d’architecture autour de son titre phare et on traverse la moitié de l’album sans réel intérêt, le tout porté par un chant aux idées fades et poussives.

Reste donc à se mettre la pièce maîtresse sous la dent pour enfin apprécier un véritable échange entre les musiciens. Puisque le groupe semble puiser ses influences dans une bonne partie des années 70, il semble certain que le format prog leurs sied le mieux. Pas d’idée avortée dans ce titre, non, le groupe étire ses envies et peut enfin les traiter véritablement. Doublage de guitare, véritable plages ambiants, effets psychés, solis foutraques, on entre enfin dans le monde Big Scenic Nowhere. Le groupe arrivant à nous faire décoller parce que s’exprimant totalement.

Mais c’est bien trop peu, trop tard pour nous faire apprécier l’album et l’on vient à penser qu’un format EP desservirait moins le propos.

Même après plusieurs écoutes, l’intérêt pour ce nouvel ouvrage ne grandit pas. Monotone plus que paresseux, l’ensemble souffre sous un chant désincarné et des claviers assez cheap dans l’ensemble.

Il faut attendre le titre phare et ses longues plages instrumentales pour enfin se laisser guider par une unité, un réel plaisir. La déception est d’autant plus grande vu le pedigree des musiciens qui nous avaient offert des titres plus concernés auparavant. Reste à voir comment peuvent vivre ces nouveaux morceaux en live et leurs trouver éventuellement un nouvel intérêt.

Friends of Hell – Friends of Hell

Tas Danazoglu est le genre de personne que l’on oublie pas, notamment grâce à son effrayant tatouage facial, qui a fasciné plus d’un fan d’Electric Wizard lorsque ce dernier a tenu la basse au sein du groupe, pour l’album Black Masses (2010) et la tournée qui a suivi. Mais le chypriote, véritable globe trotter, notamment pour son activité de tatoueur, est aussi un hyper actif musical, ce dernier étant la tête pensante et chanteur du groupe de black/thrash Satan’s Wrath et bassiste au sein de Mirror, formation heavy/hard 70’s dont le troisième album sort en avril chez Cruz Del Sur Records. Friends of Hell, l’autre mamelle de son adoration pour les musiques occultes, répond à une promesse que Danazoglu avait faite au guitariste espagnol Jondix, qu’il a côtoyé au sein de Great Coven et Eight Hands For Kali au début des années 2000 : refaire de la musique ensemble et s’entourer d’amis eux aussi venus des enfers. Ces amis ayant des noms plus ronflants que la moyenne puisqu’il s’agit de Taneli Jarva (basse/ex-Sentenced, ex-Impaled Nazarene) et Albert Witchfinder (voix/ex-Reverend Bizarre), le groupe a vite distillé un parfum de supergroupe avec l’excitation et l’angoisse qui vient avec.

Friends of Hell n’est pas un supergroupe. Jamais. Parce que si le CV des musiciens a de quoi allécher le doomster en goguette, il s’agit tout de même de seconds couteaux – certes aiguisés – du circuit, Albert Witchfinder mis à part. Et c’est bien leur amitié, et leurs accointances musicales (en plus de leur passion pout le tatouage, le métier de Jarva et Danazoglu) qui les a réunis. Cette pression enlevée, il est possible d’apprécier le disque pour ce qu’il est : 40 minutes de doom traditionnel, fort en riffs (« Shadow of the Impaler », « Evil They Call Us ») et en refrains incantatoires (« Into my Coffin », « Belial’s Bell », « Friends of Hell »), ayant de quoi remplir le coeur noir et glacé des fans du genre, qui n’ont pas – malgré ce que l’on pourrait penser – 5 disques du genre par an à se mettre sur la dent. Friends of Hell invoque Pentagram (Bobby Liebling a d’ailleurs un temps été envisagé derrière le micro), Trouble ou Cathedral, se réfère aussi évidement à Witchfinder General (Friends of Hell étant le nom du second album de ces pionniers du heavy doom anglais) et sonne comme un hommage à toute cette scène. La basse claque, sans fuzz ni artifice, les guitares dessinent des pentacles dans nos esprits et bien sûr la voix de Witchfiner colore très nettement le disque d’une bizarre révérence. Rien de nouveau sous le soleil (noir) mais le disque contient parmi les meilleurs riffs du doom game actuel faisant aisément oublier quelques morceaux un poil plus faibles (« Orion’s Beast » ou « Wallachia » mais c’est pour chipoter).

Ce premier album de Friends of Hell est une franche réussite, un bonbon pour les fans du genre, dont on espère une carrière plus pérenne qu’un simple happening de routier du doom. On a toujours en tête le coup With The Dead, qui après un super album et quelques apparitions lives a déçu, avec un second effort peu mémorable et une mise en sommeil depuis 2017. Pour Friends of Hell on veut du “Doom over the World”. Et vite!

 

Point vinyle:

Rise Above aime ce format et sait que nous l’aimons aussi. Le label propose donc sa classique version Die Hard (100 exemplaires, avec patch, insert collector et compagnie) ainsi que d’autres couleurs (200 purple, black & white splatter, 500 trans black et 400 solid purple pour les USA). Rajoutez à cela 500 versions noire classique et vous n’avez que l’embarras du choix. 

Fostermother – The Ocean

Le texan Travis Weatherred a monté Fostermother en 2019, rejoint rapidement par Stephen Griffin. Touche-à-tout instrumentistes, les deux musiciens ont écrit et enregistré seuls leur deuxième album, The Ocean (même si un troisième musicien vient d’être recruté par le duo, vraisemblablement pour leur permettre de donner quelques concerts – tout au moins l’espérons-nous). Deux ans après leur premier album, originalement appelé Fostermother, ce second disque, cette fois signé chez Ripple, vient enfoncer le clou.

La musique du duo est une sorte de stoner doom très fuzzé et très mélodique, très travaillé aussi (gros travail du son, avec notamment un travail de production convaincant). On pense souvent aux talentueux Mars Red Sky (écoutez les couplets de “Hedonist” en particulier) pour le contraste entre une base instrumentale lourde mais mélodique, et un chant clair et hanté. Loin du plagiat, Fostermother trouve sa voie dans ce segment musical peu exploré, caractérisé par un vrai travail d’écriture qui fait rentrer ses mélodies au forceps dans nos petits crânes après seulement quelques écoutes. L’ensemble est plutôt lent, voire mid-tempo, et explore méticuleusement, sur 45 minutes, cette étroite frontière entre lourdeur et subtilité. De plus, les compositions parviennent à jumeler un travail de structure très élaboré (les chansons sont denses, roboratives même, chargées en riffs, refrains, breaks…) et une durée (relativement) courte, avec un seul titre au dessus de 6 minutes. Tant et si bien que l’ennui n’est jamais là, et les écoutes peuvent se succéder avec toujours une petite surprise au détour d’un riff déja engrammé depuis longtemps, ou un refrain déjà chantonné après seulement trois ou quatre écoutes…

Toute autant audacieuse que séduisante, la musique de Fostermother a pas mal d’atouts pour plaire largement. Il faut se pencher sur leur cas.

 


 

Messa – Close

Venu de Citadella, ville fortifiée de la province de Padoue au nord-ouest de l’Italie, entre Trente et Venise, Messa a très vite su séduire un public d’esthètes de la musique lourde mais classieuse, avec Belfry, un premier album aussi naïf que beau et surtout Feast For Water qui, à grands renforts de claviers et de touches jazzy, a positionné Messa dans le haut du panier des underdogs de l’underground. Une fois n’est pas coutume pour un album de 2022, Close, troisième effort du groupe, a été composé durant la pandémie et trouve son inspiration dans cette période. Exit la thématique aquatique qui traversait les deux premiers disques, Close philosophe sur les liens humains, l’éloignement, le déracinement, partant du confinement pour élargir l’idée de séparation jusqu’à la migration.

L’album s’ouvre sur du clavier, quelques notes en ouverture de « Suspended », comme un lien organique avec l’album précédent puis nous transporte vers autre chose. Le jazz s’efface peu à peu (il en reste quelques vestiges, comme le solo de « Suspended » ou le saxophone en ouverture d’« Orphalese ») et Messa de s’ouvrir aux gammes arabes, utilisant du oud sur de nombreux morceaux. Point d’orgue de cette nouvelle coloration, « Pilgrim » et son entêtante mélodie débouchant sur un riff de pur doom après trois minutes de montée mélodique. C’est ici la force de cet album, par ailleurs assez long, les morceaux sont extrêmement variés et jouissent d’une grande cohérence malgré les nombreuses expérimentations (l’interlude au oud « Hollow », en résonance du second « Leffotrak » complètement black metal, « 0=2 », très progressive, presque drone stoppée net par un gros break doom etc…). Comme sur l’album précédent c’est le chant de Sara Bianchin qui apporte ce truc en plus, ce facteur X pour le groupe. Avec ses vocaux habités, quelque part entre Anneke Van Giersbergen et Jex Thoth, cette dernière donne de l’âme à l’ensemble, sa voix agissant comme un lien entre les différents mondes, Maghreb et Europe, prog et doom, jazz et metal.

Même s’il aurait gagné à être plus court (il y a surement un morceau en trop même si je n’arrive pas à savoir lequel), Close est dans la droite lignée de Feast For Water, pareil mais différent. Charge à Messa de désormais parcourir le monde pour porter leur musique au plus grand nombre. D’être proche de nous, finalement.

(des dates sont annoncées à Nantes et Paris en avril ainsi qu’au Rock In Bourlon en juin)

 

Point vinyle:

Deux options chez Svart Records: un vinyle Gold déjà sold out (mais disponible à la Fnac semble t’il) et une version noire classique.

 


Crowbar – Zero and Below

Février 2020, Kirk Windstein attaque la promotion de Dream In Motion, son premier album solo et met une touche finale au deuxième album de Crowbar, dont la sortie est prévue pour la fin de l’été. Un emploi du temps millimétré pour le divin barbu, à peine contrarié par une pandémie mondiale quelques semaines plus tard. Le monde est immobilisé durant 2 ans et Zero and Below gardé au congèlo tout ce temps, pour nous parvenir aux premières fontes de neige de 2022 (enfin métaphoriquement, merci le réchauffement climatique). Aussi improbable que cela semble, Kirk Windstein, parolier se nourrissant des horreurs de ce monde pour accoucher de ses textes, n’a pas trouvé en deux ans de pandémies, crashs économiques et morts en cascade, de raisons suffisantes pour toucher à son bébé. De son propre aveu tout ce temps à réécouter l’album l’a conforté dans l’idée qu’il n’y avait rien à y changer. Audacieux.

Et pourtant force est de constater que Capt’ain Kirk a eu raison. Zero and Below est parfait comme il est. Sombrement lumineux, désespérément enthousiasmant. Sans toucher à sa formule (power chords en pagaille, break de mammouths, voix rocailleuse sur désespoirs patentés) Crowbar renoue avec la majesté mélodique de ses vertes années (98 – 2001) : entre déboulés ultra efficaces (« Chemical GODZ », « The Fear That Binds You ») et mid tempi aux développements plus ambitieux (« Bleeding From Every Hole » et surtout le majestueux morceau titre « Zero and Below »), Crowbar a bel et bien donné le meilleur de lui-même. Shane Wesley, leur nouveau bassiste, apporte déjà beaucoup, rappelant un peu Pat Bruders, faisant oublier le vrai faux retour de Todd Strange dans le groupe. Toujours produit par Duane Simoneaux (comme les trois Crowbar précédents, l’album solo de Windstein et son prochain à venir), Zero And Below est le meilleur album de Crowbar depuis de nombreuses années, venant à mon sens se classer quelque part entre le riffing de Sever The Wicked Hand (2011) et le souffle de Sonic Excess In It’s Purest Form (2001). D’ici à pouvoir regarder Odd Fellows Rest dans les yeux ? Sachons raison garder tout de même.

 

Point vinyle: 

Le LP noir est disponible facilement et un peu partout, un Blue and Ice limité à 300 exemplaires est disponible via le shop de Brooklyn Vegan, un light blue chez Nuclear Blast et pas mal d’autres couleurs (splatter bleu et blanc, Transuscent Galaxy, noir et bleu et un très moche tricolore noir, bleu et gris bien déprimant) sur le site du label (ou via le site du groupe). Attention aux frais de port et de douane cependant.

 


Naxatras – IV

Quatre ans presque jour pour jour après la sortie du troisième album du groupe originaire de Thessaloniki en Grèce, nous avons le plaisir de découvrir la suite. Comme à l’habitude, point de fioritures dans les noms. Annoncé comme le travail le plus mature du groupe, ce quatrième opus est sobrement intitulé IV, et nous propose une dizaine de morceaux. Et si certains nous emmènent en territoire connu, d’autres ne manqueront guère de surprendre l’auditeur même aguerri.

On commence par le morceau d’introduction « Reflexion », qui nous permet aussitôt de détecter la présence d’un piano, chose nouvelle pour Naxatras qui jusqu’à présent comptait trois membres. À mesure que l’on progressera dans l’album, on comprendra que les notes de synthé et d’orgue ne se limitent désormais plus à d’anecdotiques apparitions, mais qu’un quatrième larron, nommé Pantelis Kargas, vient de rejoindre la bande.

À la différence de ce premier titre assez lent et au groove curieux, « Omega Madness » nous ramène dans le giron du groupe. Un rock psyché, majoritairement instrumental, diffusant une atmosphère planante et non dépourvue d’énergie. Accompagnées par de sporadiques effets de synthé, les nappes de guitares flottent autour de nous, racontent une histoire. Tandis que basse et batterie tournent les pages les unes après les autres devant un lecteur qui agite doucement la tête.

On enchaîne avec « Journey to Narahmon », une terre d’où serait originaire la race du héros de ce récit, assimilable aux anciens elfes, une terre désertique ou temples et traces de civilisations ne subsistent qu’à l’état de ruine. Et c’est là que l’aspect le plus notable de l’album s’illustre. La narration s’y trouve beaucoup plus présente, prenant le pas sur la composante jam organique du groupe. Comme le suggère aussi bien l’artwork, nous nageons ici dans une atmosphère de fantasy omniprésente. Même si l’écoute de IV peut s’effectuer sans y prêter attention, il n’en reste pas moins construit autour de cette histoire. La musique s’en révèle donc plus contemplative qu’introspective.

Le quatrième morceau, « The Answer » incarne le plus le tournant indéniable que prend la musique de Naxatras dans cet album. Section rythmique feutrée à souhait, guitare funky et synthé enjôleur, pas une once de distorsion, une voix aussi douce qu’une caresse. Exactement comme « Radiant Stars », plus grand-chose à voir avec du stoner donc. À partir de là, on se dit que tout est possible pour la suite. Néanmoins, l’album reste cohérent et les morceaux s’enchainent en oscillant entre de l’ancien et du nouveau, sans que l’on sache vraiment sur quel pied danser.

Et pourtant, on danse… Car le groove est indéniable, l’écriture impeccable et la nuque n’a au final d’autre choix que de s’agiter. La magie spectrale de Naxatras nous envoute toujours. Mais on ne peut nier qu’un travail différent a été accompli sur IV. Un travail que le groupe considère comme ce qui se rapproche le plus de son essence, et qui sera donc ce qu’il faudra attendre à l’avenir.

Firebreather – Dwell in the Fog

Avec ce troisième album (le second chez RidingEasy), le trio suédois enfonce le clou déjà planté avec sa précédente galette, Under a Blood Moon, en 2019. Dwell in the Fog est meilleur en tous points que son pourtant déjà très bon prédécesseur. Les premières écoutes plantent un décor que l’on connaissait déjà, dans les largeurs : un doom sludge lourd et poisseux envahit les haut parleurs pendant les 40 minutes de l’album. L’ensemble est si dense et oppressant qu’on a du mal à s’en détacher, et les écoutes s’enchaînent finalement pour petit à petit qu’on se laisse absorber par l’animal. La basse colossale du nouveau venu Nicklas Hellqvist dresse un socle mélodique massif appréciable, que vient compléter le jeu de batterie surpuissant (et pas avare en groove) de Axel Wittbeck. Une musique de fondement metal, un gros jeu de basse, un batteur remarquable… Clairement, plus encore que ses prédécesseurs, Dwell in the Fog rappelle le Mastodon des débuts (Remission surtout) dans ce qu’il avait de puissant, majestueux, sans concession et… intelligent. Sacrée comparaison vous en conviendrez. Pourtant, plus qu’à son tour, on retrouve cette finesse d’écriture dans les compos de Firebreather : les arrangements sont très malins, et les compos sont souvent rehaussées d’un ou plusieurs véritables moments de grâce. On notera par exemple le très majestueux pont central de “Kiss of Your Blade”, l’intro dévastatrice et écrasante de “Spirit’s Flown” emmenant à un refrain sublime, les leads enivrants du final de “The Creed”, le couplet groovy (un jeu de batterie impeccable) de “Weather the Storm”, le break de “Sorrow” matraqué par Wittbeck… Forcément on pense aussi à High On Fire quand nos suédois poussent les sonorités dans un bain purement metal – ce qui est finalement le cas sur l’ensemble de la galette, reconnaissons-le.

Autre point marquant de la musique du trio, le chant de Mattias Nööjd est un peu le fil rouge de ce disque, l’élément monolithique fédérateur : stable et robuste, le chant tout en gutturalité rocailleuse du barbu manque un peu de modulations sur la longueur, mais se place toujours intelligemment, avec efficacité. Son jeu de guitare vient évidemment structurer l’ensemble, qui via des riffs puissants et efficaces, qui par des leads jamais démonstratifs et toujours mélodiques et originaux, et surtout au global en support d’une rythmique bulldozer (en ça la formule du power trio fonctionne à plein ici, avec une efficacité décuplée quand Nööjd vient s’allier à ses collègues déjà redoutables en rythmique).

Tout à la fois agressif et subtil, puissant et mélodique, Firebreather a beau évoluer sur un chemin parallèle du doom le plus classique, il enrichit finalement le genre par ce qu’il y injecte en terme d’hybridation avec tout un pan d’influences metal notamment. Ces gars-là confirment tout le bien qu’on pense d’eux.

 


Spaceslug – Memorial

 

Spaceslug c’est avant tout de la régularité on vous le dit à chaque fois. Le trio polonais est venu poser sa dernière stèle long format intitulée Memorial, deux ans après Reign of Orion et un an après son EP, Leftlovers. Nous voici donc cette fois devant huit pistes d’un groupe dont les auditions ne nous ont jamais déçu et qui nous avais laissé en 2019 dans l’attente de voir ce que leur évolution allait donner.

Traçant sa propre voie, sans se réinventer lorsqu’elle entonne “Follow This Land”, il serait faux de dire que la limace de l’espace nous sert toujours le même filet de bave et c’est bien ce à quoi on s’attendait.

Une fois de plus selon l’humeur la perception de la plaque est variable. Cette fois-ci l’album ressemble à une lénifiante redite ou à un compagnon de voyage paisible et introspectif. Avec un titre protéiforme comme “Spring of the Abyss” je me dis qu’à vouloir trop en faire on rate parfois sa cible et “Memorial” me confirme que ce n’est pas ici que je trouverai mon compte.

Les passages plus orientés post métal apportent la touche qui rehausse la plaque et “In The Hiatus Fall” et “Of Tree and Fire” en sont les parfaits exemples avant qu’à nouveau le sentiment qui m’avait étreint précédemment ne réapparaisse à un moment où à un autre des titres.

La seule constante est clairement la maîtrise du trio qui offre à entendre sur mémorial une profonde fluidité des compositions et s’appuie comme avec ses disques précédents sur une production soignée. Techniquement une réussite.

Memorial est de ces albums ou d’une écoute à l’autre on peine à se trouver. Tantôt ressenti d’une manière tantôt de l’autre c’est en quelque sorte une énigme qui m’est passé entre les oreilles. Spaceslug malgré une narration erratique, livre avec cet œuvre un assemblage méticuleux et soigné, constante qui permettra à l’auditeur d’y retrouver ses petits.

Atolah – Post, Cross and Yoke

Drôle d’histoire que celle de ce disque ! Le trio émane de Perth, en Australie, une région qui, si elle a vu discrètement émerger quelques groupes de stoner, n’a pas franchement taillé sa renommée sur sa vivace scène doom. Atolah y vivote quelques années, chope toutes les premières parties du coin, et sort Relics, un remarqué EP (remarqué par nous-mêmes il y a plus de 13 ans, voir notre chronique ici), mais globalement l’affaire patachonne. Du coup, Pierre François, son frontman, émigre et s’installe aux Pays-Bas. En plus de prendre part à quelques projets musicaux, il dégotte une nouvelle paire de mercenaires pour enregistrer en 2012 trois nouveaux morceaux, sous la forme d’un second EP. Et pfffiut… Disparus ! Ce n’est qu’en 2020 qu’on entend à nouveau parler d’Atolah, rené de ses cendres du côté de… Mebourne cette fois, de l’autre côté du continent, où Pierre François a encore embauché deux nouveaux doomsters pour reprendre là où il s’était arrêté.

Jamais sortis sur support physique, les trois nouveaux morceaux enregistrés en 2012 trouvent une incarnation discographique près de dix ans plus tard, grâce à Sleeping Church Records. Attention toutefois, ce disque a beau ressembler à un album, c’est en réalité un double EP, proposant, en outre du nouvel EP, une réédition de leur première production, le sus-mentionné Relics. Sur une heure de musique, la moitié (5 chansons sur 8) sont donc déjà dispo depuis longtemps. Pour autant inutile de crier au vol : ne soyons pas dupes, pas grand monde ne les avait entendues, ces chansons ! La question est donc de savoir si d’une part elles valent le coup, et d’autre part si elles s’incorporent bien à l’ensemble. La réponse est oui et oui. Au final, cette galette en intégralité déroule toute seule, même si la séparation entre les deux EP est quand même audible. Atolah propose sur ces huit plages un stoner doom de très bonne facture, bien construit et bien gras. Sur le dernier EP, il propose une version un peu plus âpre de son doom, déjà bien dense à la base. Il s ‘y éloigne un peu des plans plus stoner (l’ensemble est aussi incidemment moins fuzzé) pour pour développer des ambiances plus lancinantes et sombres, plus complexes aussi (à l’image de ce “Focke Wulf” de plus de 15 minutes qui rappellera plus qu’à son tour les géniaux Bongripper). Par ailleurs, le groupe sort du 100% instrumental pour proposer quelques lignes vocales, bien que rares.

Difficile de dire (a fortiori au regard de sa carrière passée) si Atolah va désormais occuper une vraie place dans la scène doom stoner mondiale. Sa faible production (8 chansons en 15 ans, en gros) ne plaide pas en sa faveur. Espérons donc que ce disque soit plutôt un moyen de célébrer sa première partie de carrière pour préparer le terrain pour la suite – auquel cas, nous nous tenons prêts à les accueillir comme il se doit.

 


 

Matt Pike – Pike vs. the Automaton

Nous avions laissé Matt Pike en 2018, un orteil en moins mais avec un Grammy en plus, content d’obtenir enfin une reconnaissance du milieu pour tout le bruit qu’il a pu faire, avec Sleep et High on Fire en quelques 30 ans de carrière. Une belle lancée que rien ne semblait pouvoir ralentir, si ce n’est une pandémie mondiale, finalement. Et s’il y a une chose que Matt Pike ne supporte pas, c’est bien de rester chez lui à devoir écouter ses théories fumeuses (l’homme est nettement moins bien structuré que l’artiste convenons-en) et quelle meilleure thérapie que de prendre sa guitare et quelques potes sous le bras pour jammer un peu ? Et quel meilleur moyen de nous en faire profiter que d’en faire un album une fois le gros du COVID derrière nous (si si il faut l’espérer)? Voici donc Pike vs The Automaton, dans un esprit proche de Tucker & Dale Fightent le mal : quelques bouseux se dressant face aux grands problèmes de ce monde, une bouteille de whisky dans la main et un joint au coin des lèvres.

Matt Pike fait ici équipe avec Jon Reid, batteur de Lord Dying et son technicien guitare, Chad « Chief » Hartgrave à la basse. Un disque réalisé en famille, avec l’incontournable Billy Anderson derrière la console, Mme Alyssa Pike (et bassiste de Lord Dying) pour quelques voix et parties de basse, Brent Hines (Mastodon), Jeff Matz (HoF) et quelques autres happy few apportent également leur petite contribution. Tant qu’à être piégé dans sa caverne (« Trapped in a Midcave »), autant faire un maximum de boucan et à ce jeu-là Matt Pike n’est pas le dernier. Vous trouverez chez Pike vs. The Automaton toutes les obsessions du guitariste, des déboulés à la High On Fire (« Abusive », « Throat Cobra ») au doom cosmique de Sleep (« Trapped in a Midcave » ou « Living The Wars of Woe », deux des tout meilleurs titres de l’album), mais la liberté que confère un tel projet permet au guitariste de s’essayer à d’autre styles, comme la vibe D-beat/punk d’« Acid test Zone » ou le blues gras de « Land », morceau sur lequel Hinds délivre un solo qui n’est pas sans rappeler Billy Gibbons. C’est bien là que se trouve l’intérêt (et les limites) de Pike vs. The Automaton, dans cet assemblage foutraque de titres sacrifiant à la cohérence un certain usage récréatif de la musique. Jouer ce que l’on veut, avec les potes de passage et enrubanner le tout pour une sortie mondiale, en attendant que les restrictions sanitaires permettent à High On Fire d’enregistrer et tourner à nouveau. Alors pour les drogués qui, comme moi, considèrent Matt Pike comme un guitaristes incontournable, passer à côté d’autant de ses riffs est une hérésie, mais les consommateurs occasionnels peuvent sans problème attendre sagement que le bonhomme retrouve ses canaux habituels pour nous en mettre plein les oreilles. Mon petit doigt (mon gros orteil ?) me dit d’ailleurs que c’est pour bientôt.

Il est à noter que Matt Pike fait partie de ces gens ayant des idées particulières sur la pandémie et si je n’ai rien décelé de problématique dans l’album, le dossier de presse fourni comporte un passage complotiste assez pathétique. Il appartient aux journalistes qui l’intervieweront de faire attention à ce qu’ils retransmettront, vu qu’à priori sa maison de disque (MNRK, soit ce qu’il reste d’Eone depuis sa vente à Hasbro) n’a pas jugé bon de faire attention.

Point vinyle:

De multiples vinyles colorés sont disponibles, gris, rouge, doré, splatter et autres réjouissances, à des prix plutôt corrects étant donné le délire actuel du vinyle. Il est par exemple possible d’avoir une version noire pour 19 euros, y compris venant de France (Season of Mist) et le coloré autour de 25 euros. Profitez-en, les prix grimpent de façon absurdes ces derniers temps.

 


Hangman’s Chair – A Loner

Triste constat après des dizaines d’écoutes : A Loner, c’est un peu l’album d’une rupture consommée. L’histoire d’un couple qui depuis quelques années voit la passion irrémédiablement se distendre, les partenaires progressivement évoluer vers des envies et des goûts différents, et qui prennent acte d’un écart de vision trop grand pour continuer ensemble. On en est là avec Hangman’s Chair. Même si Banlieue Triste, son prédécesseur, avait séduit la fibre musicale intime de certains de nos chroniqueurs, il est temps de prendre acte du fait que Hangman’s Chair n’a plus rien à voir avec notre ligne éditoriale. Finis les riffs lents presque doom de This is not supposed to be positive avec ses atmosphères sludge poisseuses à souhait, finis les plans sombres et lourds (même si déjà de plus en plus rares) de Banlieue Triste : A Loner nous propose une version résolument plus légère de Hangman’s Chair. La guitare se positionne désormais clairement dans un spectre sonore plus clair, la production à la sauce Type O Negative (quel son de basse !) écrase désormais l’ensemble. La lourdeur se retrouve néanmoins ici ou là (bien aidée par la frappe de sourd de Mehdi), sur quelques plans de “Cold & Distant” ou “An Ode to Breakdown” notamment, mais dès qu’on passe le virage de la troisième plage on revient dans un territoire désormais plus proche de la dark wave que du doom. Est-ce un mal ? Nous ne pouvons pas en être juge, cette tendance musicale trouvant désormais difficilement sa place dans nos pages.

Aucune amertume, aucune critique du groupe, qui trace sa voie comme il l’entend et avec talent. Souhaitons-leur de continuer à grandir et évoluer, en espérant que ce passage chez Nuclear Blast leur donne le coup de boost utile pour enclencher une nouvelle dynamique dans leur carrière. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Hazemaze – Blinded by the Wicked

 

Le trio suédois pose là son troisième album studio et moi la troisième chronique du groupe chez Desert Rock. De l’ambition, les gars doivent en avoir car après Kozmic Artifactz puis Ripple Music, c’est chez Heavy Psych Sounds qu’on les retrouve à présent pour la sortie de leur Blinded by the Wicked. Ça sent le merchandising à gogo et la volonté de toucher de plus en plus d’auditeurs.

Hazemaze devient ici un serpent de mer, à chaque sortie d’un long format, on s’interroge sur l’intérêt réel de les chroniquer puis au bout de quelques écoutes on se laisse séduire par leur approche classico classique du genre stoner doom. Cette chronique ne dérogera pas aux constats de mes prédécesseurs en 2018 (à lire ici ) et en 2019 (à lire là).

Gros son, voix traînante,  efficace mais pas implacable. La production est toujours aussi adaptée aux sonorités de Hazemaze et met en valeur la besogne à défaut de faire entrer celle-ci au panthéon de originalité.

Les références s’y croisent et s’y multiplient. Le Sabbath éternel est bien présent et les nappes de clavier m’ont parfois fait penser au géant vert O négatif notamment lorsqu’elles entament les entêtantes phrases de “Ceremonial Aspersion” ou que la voix tente une poussée sur “Devil’s Spawn”. Le clavier puisqu’on en parle est d’ailleurs une nouveauté ici et son emploi est justement dosé.

On pourrait se dire que d’un album à l’autre le trio joue la redite, mais ne nous y trompons pas il y a une trajectoire chez Hazemaze. Blinded by the Wicked se démarque de ses prédécesseurs et met en retrait la carte doom old school et apporte à son stoner des mélodies plus complètes. Rien n’est renié dans ce parcours mais ce dernier opus sonne autrement et embrasse son époque pleinement. Pour s’en convaincre je ne saurais que trop vous recommander de pousser le potard sur le très réussi “Luciferian Rite” et le très sexy “Malevolent Inveigler” qui clôturent parfaitement l’album dans un duo gagnant.

Avec Blinded by the Wicked, Hazemaze ne soulève toujours pas de vague d’engouement hystérique. Pour autant le trio assied sa position de groupe à l’écoute agréable et déclencheur d’un certain plaisir. Un groupe qu’il est bon de retrouver épisodiquement selon la savante rythmique de leurs sorties d’albums.

Earthless – Night Parade Of One Hundred Demons

J’aime la musique. Et l’une des choses qui me fascine dans cet art c’est cette faculté qu’ont certains humains à mettre côte à côte des sonorités, les emmêler, les triturer pour vous donner ce qu’on appelle musique. C’est captivant. Et dans ce registre, il y a eu de tous temps des personnes, des groupes, plus doués que d’autres. Des compositeurs d’un niveau supérieur, qui maitrisent leur art, qui ont ce petit truc qui vous touche encore plus. Earthless en fait pour moi indéniablement partie. Et ce n’est surement pas avec ce nouvel opus que je vais les retirer du piédestal où je les ai placés lors de leur découverte. Chronique d’un disque qui ne pouvait qu’être bon.

Après une incursion du côté des formats courts, comprendre par-là entre 5 et 10 minutes, le groupe retourne à ses premiers amours avec le format 20 minutes. Après avoir poussé la chansonnette, on retourne aussi sur de l’instru 100% pur jus. Retour aux sources donc pour ce groupe qu’on avait découvert sur ce format.
On retrouve aussi une construction par mouvements, comme une symphonie. Chaque titre se découpant clairement en plusieurs phases, plus ou moins différentes mais clairement identifiables.

“Night Parade of One Hundred Demons, Pt. 1.”

On commence doucement, pas vraiment de rythme clair, on touche les cordes, on effleure les cymbales. On se place et on installe une ambiance. Un peu comme en live lorsqu’on cherche encore son écho parfait, son accordage favori, comme si on s’adaptait à la sonorité de la salle avant de vraiment commencer. On teste les effets, on se regarde entre musiciens et on se sourit. Voilà plus de 4 minutes et un premier motif de guitare se montre clairement. On est prêts, on peut commencer. On teste quand même un petit solo discret pour voir si les ultimes réglages sont bons. Petit blanc… et hop, on y va. C’est parti pour 12 minutes de pur fuzz, de pur solo, de pur Earthless. La basse et la batterie ont leur rythme respectif, Isaiah Mitchell peut donner libre court à sa créativité. Toujours avec cette impression d’être à mi-chemin entre l’impro et la composition. “Listen Without Distraction”, vous connaissez surement cette expression. Elle ne s’applique jamais aussi bien qu’à ce groupe. Laissez vous transporter, laisser vous prendre par ce son unique. Plus de 12 minutes après le début, troisième mouvement qui s’enclenche. Gros son, gros riff, et solos qui vous fouillent le cerveau à la recherche du dernier espace à occuper. C’est splendide, c’est imparable.

Qui dit Part 1, dit Part 2.

La construction est assez similaire à la première partie. On redémarre avec un rythme lent. Allez, je vais dire un peu de mal quand même, ce premier mouvement est peut-être un peu trop long. Ou alors c’est l’impatience qui parle car on sait d’avance que tout cela va déboucher sur un truc de dingue, on le sent. Et on ne se trompe pas. C’est donc après plus de 11 minutes de cette intro planante que le groupe repart avec fougue explorer les tréfonds de nos émotions en enclenchant le deuxième mouvement. Et l’attente en valait la peine. C’est hallucinant dans tout les sens du terme. Comment peut on sortir des sons pareils, comment peut on trouver ces enchainements, ces changements de sonorités, comment est-ce possible ? Je terminais ma chronique du live From The West avec ces mots « Heureux sont ceux qui ont vu Isaiah Mitchell sortir de sa guitare de tels sons avec un tel feeling ». Je ne trouve pas meilleure punchline pour attirer le réfractaire, pour vous persuader de la nécessité absolue d’écouter ce disque.

Après nous avoir parlé de la violence de la mer Rouge (“Violence Of The Red Sea” – From The Ages, 2013), voilà que c’est la mort du soleil rouge que le groupe souhaite dans le troisième titre (“Death to the Red Sun”). Sorti en single sur les plateformes de streaming quelques semaines avant l’album, ce titre a déjà eu l’occasion de passer un paquet de fois dans ma playlist et que vous dire si ce n’est que les 20 minutes de ce titre sont exceptionnelles. Pas de temps mort, intro réduite au minimum. On est dans le vif du sujet rapidement et on ne reprend sa respiration qu’à la fin. C’est encore une fois un hymne à la sainte guitare électrique avec un Isaiah Mitchell inspiré.

Retour aux fondamentaux donc pour Earthless qui sort ici un album absolument magnifique. La technique et le feeling d’Isaiah Mitchell aidés par une rythmique basse/batterie irréprochable et ce sont trois nouvelles pépites qui s’offrent à nous. Chapeau bas, une nouvelle fois messieurs.

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