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Pour le groupil que je suis des légendaires Kyuss, chacune des sorties des différents protagonistes du mythe du siècle passé provoque une excitation plus que certaine. Malgré la foule de détracteurs et de langues-de-putes en tous genres qui ont craché à l’avance sur cette sortie – et qui n’ont pas nécessairement toujours tort soyons honnête pour une fois – le démon s’est emparé de moi à l’annonce de la release date de cette chose et c’est dans le plus simple appareil que je me suis frotté contre le crépis de la cage d’escalier.
Remis de mes multiples stigmates sur l’épiderme, le moment vint de se pencher avec un poil de sérieux tout-de-même sur « The Coyote Who Spoke In Tongues » en se débarrassant des prismes Kyuss, Slo Burn, Unida et Hermano voire même de l’apparition du quidam dans un premier exercice version feu de camp avec J.M.J. sur une vague compile que les anciens connaissent très bien. Il faut dire que le premier exercice de John Garcia en solitaire m’avait au final bien botté le popotin et que j’avais été emballé par la plus récente tournée acoustique en binôme de la voix de Kyuss.
Cette tournée intimiste marque le point de départ de la plaque dont je vous cause aujourd’hui. Celle-ci se déploie de manière similaire en ce qui concerne le choix des titres même si les protagonistes sont passés de deux à quatre s’éloignant de fait de la simplicité remarquable – et remarquée – de la version scénique de cette chose. On reprend donc ici encore plusieurs standards du mythe Kyuss à la sauce mariachi pour constituer la couche de fond avec un résultat final plutôt hétérogène. « Gardenia » qui se déploie de manière très intimiste avec des vocaux susurrés par Monsieur Garcia est plutôt bien réussi en étant réduit de moitié en ce qui concerne sa durée et en allant se terminer dans des marécages plutôt bluegrass. Ce dernier titre réarrangé n’ayant, au final, plus grand chose de commun avec la version figurant sur « Welcome To Sky Valley ». « Space Cadet », tiré de la même plaque me convainc nettement moins en ce qui concerne sa relecture par ailleurs dans la même veine que celle de la tournée acoustique ; l’ennui me gagnant tant le titre tire en longueur.
Pour rester dans les terres de légendes, « Green Machine » de l’incroyable « Blues For The Red Sun » figure aussi au sommaire de cette production. Fort lancinant et empreint de sonorités slide, la perle de Kyuss – envoyée vite fait – subit un arrangement orchestral pour son refrain que les producteurs auraient dû refreiner un poil car le style musique de film fait perdre de la substance à ce titre pourtant déployé de manière fort intéressante. La dernière ogive c’est « El Rodeo » le titre génial de « …And the Circus Leaves Town » qui, même en subissant 10’000 outrages en ce qui concerne sa déclinaison, demeurerait une source de satisfaction pour ma pomme (qui n’est pas si objective que ça quand on se situe dans la galaxie des pères fondateurs du mouvement je le concède). Tant mieux pour moi, la recette appliquée à ce chef d’œuvre de la musique lui sied plutôt bien : la tessiture du vocaliste prend tout le champ pour s’exprimer comme sur l’original, le rythme originel est respecté et mes poils se dressent tel un zizi dopé au miracle de la pilule bleue !
Ces quatre réinterprétations côtoient des compositions plus personnelles du Californien grand amateur du Rat Pack. L’auditeur a droit à des digressions autour de thèmes déjà effleurés voire à des vraies nouveautés neuves. Celles-ci, soyons honnête (car parfois il faut bien l’être), ne sont pas homogènes en ce qui concerne leur inspiration. On tombe parfois bien et parfois plus maladroitement dans le sillon. Si « Kylie » – qui sert de support à la première vidéo de grand classe issue de cette plaque – est une belle réussite qui ravive en moi la flamme allumée jadis par des formations comme Orquesta del Desierto avec son attaque trépidante à la guitare en bois il n’en va clairement pas de même pour certaines plages qui me font plus penser à des grains de sables dans la mécanique bien huilée qu’au désert californien où tout est né. Des noms à jeter en pâture à la foule qui tirera à boulets rouges sur cette ogive : « Give Me 250 ML » ou trois minutes inutiles sur un disque pourtant utile. Ce morceau chanté se casse un peu la gueule et l’instrumental « Court Order », pourtant pas mauvais, ne saura pas rabibocher le fan de Kyuss qui sommeille pourtant en vous, car assez éloigné de ce que nous pourrions attendre d’une production portant la signature d’une légende de la scène. Nous sommes à des années lumières du son du désert et les musiciens tapent là dans un registre qui frôle l’exercice de style pour une audition ; s’ils se sont fait plaisir, ils peineront à convaincre l’auditeur auquel cette galette semble tout de même finalement être adressée.
Alors on fait quoi mon p’tit père me direz-vous ; on achète ou pas ? Je pense en toute objectivité que les newbies qui fréquentent notre monde depuis une toute petite poignée d’années fonceront quel que soit mon avis sur la chose (la jeunesse incontrôlable a du bon). Je suis persuadé que les intoxiqués depuis les débuts fonceront sur la chose uniquement à cause de la connexion directe de cette production avec Kyuss quitte à ne jamais l’écouter plus d’une fois ; ce disque allant sans doute rejoindre les reliques Man’s Ruin de leurs collections. Le ventre mou, et ses ventres bombés par le malte ainsi que le houblon, ferait bien de se poser très sérieusement la question de l’intérêt de la présence d’une pareille plaque dans leur collection sous un autre angle que celui généralisé par une certaine police du bon goût qui se plaît à jeter régulièrement l’opprobre sur les approches novatrices avec leur sempiternelle rengaine du « c’était mieux avant ». Le monde change… et des pièces du calibre de « The Hollingsworth Session » ça ne se trouve pas par hasard sous les sabots d’un cheval de labour. Ce titre transpose admirablement bien sur disque l’ambiance qui régnait durant la tournée acoustique de John Garcia et c’est pour des raisons de ce type qu’il faut procéder à l’acquisition de « The Coyote Who Spoke In Tongues » et clairement pas pour retrouver la dynamique live de Unida. Un achat conseillé pour les amateurs d’onanisme qui seront transportés dans leur salon comme ils le furent durant les sets live du duo.
Point vinyle :
La structure germanophone est très forte pour décliner ses productions en diverses couleurs et cette sortie bénéficie donc de plusieurs tirages en plastique. D’abords avec une version standard, puis avec un splatter bleu et blanc limité à 500 exemplaires qui a une gueule plutôt aguichage puis finalement en violet solide pressé 200 fois. Un bon choix pour les nombreux aficionados de la galaxie Kyuss qui pourront ainsi griller quelques billets pour rallonger de quelques centimètres leurs collections.
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On avait beau attendre avec impatience le successeur de l’excellent dernier LP de Lo Pan, « Colossus », le quartette de l’Ohio nous désarçonne quand même en nous proposant… un simple EP ! 5 chansons, 22 minutes au compteur, l’objet est certes frustrant dans sa forme, il n’empêche que dans certains cas l’on peut se satisfaire de peu ; reste à voir si ce sera le cas ici.
Pourquoi un EP, tout d’abord ? Pas de stratégie très élaborée de la part de Lo Pan, pas d’argument marketing ou de gestion de carrière : ils étaient quasiment obligés de sortir ce disque, sous cette forme. Ne serait-ce que par intégrité. Retour arrière : fin 2014, leur guitariste Brian Fristoe quittait le navire. Pas un détail pour un groupe évoluant dans un genre musical aussi acéré niveau 6-cordes, un mix de grunge / stoner / sludge, le tout dopé en énergie brute. Dans cette configuration à un seul guitariste, la musique de Lo Pan est intrinsèquement, structurellement imbriquée à la performance de son gratteux. Enter Adrian Zambrano, un remplaçant qui apparaît tout à fait judicieux (constat opéré suite aux prestations live du groupe avec ce dernier, qui ont pu confirmer l’intensité déployée par le combo sur scène). Lo Pan prend alors le chemin des studios et couche sur bandes les premiers titres issus de cette nouvelle formation… avant que Zambrano ne quitte lui aussi la formation ! Un remplaçant lui a été trouvé depuis (Chris Thompson), mais la question du devenir de ces bandes ne s’est pas posée longtemps : pour repartir d’une page blanche avec Thompson, il convenait de clôturer complètement cette séquence Zambrano, en publiant le matériel composé et enregistré avec son prédécesseur. D’où ce format court, qui constitue donc en l’état le premier et dernier témoignage vinylique de cette incarnation du groupe. Un témoignage, mais pas seulement.
Les techniciens de la guitare et les puristes sauront probablement disséquer les écarts stylistiques entre Zambrano et son prédécesseur. Mais concentrons-nous plutôt sur la qualité globale de la galette proposée ici : le format 6-titres s’avère finalement plutôt adapté à la musique du groupe. Après plusieurs écoutes, l’aspect « dense » du matraquage en règle que constituent habituellement les disques de Lo Pan est ici rendu plus digeste. Difficile en revanche de décréter sur un modeste « échantillon » que la qualité globale du travail de composition est la meilleure à ce jour pour le groupe. Les écoutes successives apportent en tout cas la confirmation que le groupe ne faiblit pas et reste à un très haut niveau. Ça riffe toujours velu, le chant est toujours aussi efficace (remarquable Jeff Martin, à la fois clair et puissant), et les rythmiques bastonnent ; ça reste viril. On distinguera quand même un “Go West” très emblématique du style des gaillards, et un “Pathfinder” plus aventureux, riche et efficace à la fois.
Savoir s’ils s’y maintiendront après encore un changement aussi significatif de son line up est une question légitime ; seul son prochain véritable album nous le dira. Mais en l’état, on est plutôt confiants à l’écoute de ce In Tensions solide et efficace.
Point vinyle :
Bien conscient de l’attrait relatif que constitue un simple EP en lieu et place d’un album entier, le petit label US Aqualamb en propose une édition limitée à 500 exemplaires du vinyl “powdered blue” 10″, accompagnée d’un livret de pas moins de 100 pages ! (on n’a pas eu le livret entre les mains mais il a l’air superbe)
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Tout est surprenant à l’écoute d’un album de Glitter Wizard, et en même temps… rien ne devrait nous surprendre ! En effet, tout est clairement établi dès les postulats de base : le nom du groupe, en premier lieu, un jeu de mot un peu lourdingue qui associe le fantasque et le rutilant du Glitter aux penchants psychoïdes des groupes aux ramifications « wizard-iennes ». Quand on connaît le groupe, on sait aussi qu’il est un peu à la botte quasi exclusive de son frontman, Wendy Stonehenge (dont le subtil sobriquet évoque lui aussi la double filiation « fantasque » et space – notons au passage que les autres musiciens sont eux aussi affublés de faux noms dans la même veine). Enfin, le groupe lui-même qualifie sa musique de « progressive punk », en gros une étiquette aussi proche de sa musique que… n’importe quelle autre étiquette, en fait. Un gros WTF émane donc de ce combo atypique, difficile à cerner et à cataloguer a priori.
On est en revanche dubitatif sur la démarche éditoriale de l’excellent label transalpin Heavy Psych, qui offre certes une jolie maison à de plus en plus de combos méritants, mais risque de perdre petit à petit sa cohérence stylistique et sa spécificité « Psych », justement. Mais passons.
Les premières écoutes du troisième album des californiens ne désarçonneront donc que les auditeurs pris par surprise. Difficile de caractériser un genre musical précis de l’expérience, même si au final se dégage quand même une farouche tendance vintage 70’s, auréolée de penchants hard rock 80’s (les plans en droite lignée Deep Purple se comptent à la pelle, réminiscences Jon Lord en bonus, l’orgue étant TRÈS présent tout au long de la galette), le tout baignant dans un space rock « d’époque » (comprendre plutôt Hawkwind que Nebula, par exemple). Une sorte de Blue Oyster Cult sous amphétamines, en gros. Et encore…
L’ensemble est exécuté avec une fougue qui, contrairement à l’humour développé par le combo, ne doit rien à un quelconque second degré : authenticité et premier degré sont de mise, les gars sont à fond dans leur trip.
C’est avec un réel plaisir que l’on enchaîne les écoutes de l’album, qui contente les amateurs de tous les genres susmentionnés, et bien d‘autres au final. Un disque bien barré en tout cas, qui maintient l’attention de l’auditeur tout du long (pas vraiment un disque « d’ambiance » que l’on écoute distraitement en fond sonore). On notera quand même quelques titres plus faibles que d’autres, rendant aussi le disque quelque peu inégal sur la longueur. Je suis en revanche convaincu que derrière cet album « prétexte », c’est toute l’énergie du combo qui ne demande qu’à exploser en live. A voir donc sur scène aussi (surtout ?).
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[Chronique de l’album pour sa sortie d’origine publiée en 2004 : https://desert-rock.com/dr/chrocd/orquesta-del-desierto-dos.html]
Le jeune et volontariste label italien Spin On Black semble vouloir dédier son existence à redonner leurs lettres de noblesse à des productions d’origines variées. Fonctionnant au coup de cœur, ils ont jeté leur dévolu sur le second et dernier album du projet protéiforme « Orquesta Del Desierto » ; leur première sortie « non italienne », du coup. Pourquoi pas le premier ? Mystère…
Quoi qu’il en soit, on ne détaillera pas l’album en tant que tel, qui regroupait pour la seconde fois Mario Lalli (Fatso Jetson, Yawning man…), Pete Stahl (Goatsnake, Wool, earthlings ?…) et autres, à l’initiative de Dandy Brown (Hermano). La chronique est accessible via le lien ci-dessus, et elle retranscrit parfaitement la teneur de ce disque emblématique du vrai desert rock. On se focalisera plutôt ici sur l’intérêt de cette réédition, 100% vinylique.
Trois éléments bien distincts distinguent cette sortie de l’original :
– 1) Le support : vinyle, donc ! Il n’y avait eu en son temps qu’une sortie CD de l’album.
– 2) Le track listing : l’ordre des titres est légèrement remanié (rien de révolutionnaire) mais surtout, cette sortie devient une sorte de compilation exhaustive de toutes les éditions du CD à l’époque. Le disque contient en effet non seulement les deux chansons publiées sur l’édition U.S. de l’album (« Rope » et « Reaching Out »), mais aussi « El Diablo un Patrono », réservée elle au marché hors-Amérique. Il va de soit que ces trois titres sont qualitativement bien au niveau.
– 3) Le son : même si techniquement il s’agit d’un « simple » remastering effectué à partir des bandes initiales, il ne s’est pas agi simplement, comme on le voit le plus souvent, de rajouter un peu de dynamique et de volume ici ou là, vite fait bien fait. Re-travaillés sous la houlette du désormais incontournable Harper Hug, les titres se voient dotés non pas d’une nouvelle jeunesse, mais quasiment d’une nouvelle incarnation sonore ! Le mix des instruments est complètement revu (les lignes de basse, par exemple, sont bien plus élaborées et riches que l’on pouvait l’entendre initialement, et apportent un renfort remarquable à la mélodie globale), les effets appliqués aux différentes pistes ont été complètement revus (moins de réverb notamment, pour un son plus percutant et plus chaud). Plus appréciable encore : des pistes sonores inédites viennent renforcer certains morceaux, comme ce lick de guitare qui vient accompagner le refrain de « Above the Big Wide », ou encore les intros remaniées de « El Diablo un Patrono », « Over Here » ou encore « Sleeping the Dream », où le piano est carrément remplacé par de la guitare ! On reste dans le domaine d’un remastering, certes – on ne peut techniquement pas parler d’un nouvel enregistrement. Toutefois, la valeur ajoutée apportée à l’ensemble est indéniable, et témoigne d’un réel travail apporté à cette re-sortie.
A noter, l’artwork est lui aussi tout neuf, remplaçant un peu inutilement l’illustration initiale d’un désert torride bien emblématique de ces sonorités, par un combat de serpents bien exécuté mais sans grand intérêt dans le contexte.
En résumé, si vous aviez comme nous adoré cette sortie en son temps et souhaitez la retrouver avec le lustre d’un son complètement retravaillé, sur vinyl, cet achat se justifie sans peine. Loin d’une démarche mercantile, l’objet proposé ici par Spin On Black, à la fois respectueux de l’œuvre originale et porteur d’un réel re-travail d’artisan du son, mérite qu’on y prête attention.
Point vinyle :
Une seule édition, évidemment la raison d’être même de cette réédition : disque 12’’, 180 gr, gatefold, limité à 500 exemplaires.
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11 Paranoias est un groupe parfait. Oui parfait. Du moins si l’on aime les musiques aussi pessimistes que radicales. Un jour, où leur premier EP passait sur ma platine, ma femme, rentrant du travail, a qualifié leur musique de « mort de toute vie ». Voilà qui à mon sens résume parfaitement le propos. Initialement créé par les ex-Ramesses Mark Greening et Adam Richardson ainsi que par Mike West, guitariste halluciné de Bong, le trio s’est dès le départ positionné comme autosuffisant. En effet leurs disques, superbes œuvres aux designs soignés, sortent sur leur propre structure, Ritual Productions, leur permettant de contrôler leur art des premières (lentes) notes jusqu’à vos (lourdes) étagères. Donc oui 11 Paranoias est un groupe parfait, si tant est que vous êtes sensible à la noirceur de leur black metal ralenti, ou de leur doom extrême, c’est selon. Après un premier EP en 2013 (le passionnant Superunnatural), puis un second (Spectralbeastiaries), le trio accède à un véritable succès d’estime grâce à Stealing Fire From Heaven. Nous sommes alors en 2014 et si les concerts de la formation sont rarissimes (une quinzaine en 4 ans), leur réputation dans les sphères les plus embuées du metal lent n’est désormais plus à faire. En 2016, Après une parenthèse Ramesses, revenu d’entre les morts pour quelques dates dont un concert sublime au Hellfest (et qui sait, un nouvel album ?), Richardson s’est replongé dans 11 Paranoias, sans son instable batteur, Greening, parti vers d’autres cieux au sein de Dead Witches.
Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps : Reliquary For A Dreamed Of World est un disque essentiel. Inspiré, ténébreux, implacablement sombre et traversé par une mélancolie sublime, ce nouvel album d’11 Paranoias ne vous décevra pas. On pourra regretter l’absence de Greening (Nathan Perrier, son remplaçant entendu chez Capricorns, abat un travail superbe mais le jeu inimitable de l’ex Wizard manque forcement un peu) mais difficilement résister aux perles que sont « Destroying Eyes » et « Phantom Pyramid » qui, par sa puissance émotionnelle évoque les effets qu’avait provoqué « Marrow » de Yob sur nos âmes fragiles. Serti d’un visuel proprement incroyable (superposition de trois œuvres, qui se rêvelent selon le film chromatique, fourni avec le disque, que vous placez devant vos yeux. Ce concept basé sur le RGB color concept est baptisé ici « Multidimensional Paranoid Vison ») Reliquary For A Dreamed Of World est simplement l’une des œuvres les plus chères à mon cœur dans cette année 2016 pourtant fournie en matière de disques de qualité.
Point Vinyle:
Pas de chichi chez Ritual Productions, une seul et unique tirage, en noir évidement. Reste que le travail sur la pochette est une excuse bien suffisante pour posséder à tout prix ce magnifique objet.
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Quatre ans depuis le fort (et) bon Skygods, un changement de bassiste et de guitariste, nous étions sans trop de nouvelles d’un groupe qui, depuis ses débuts en 2009, s’est fait étonnamment plutôt discret de ce côté-ci de l’Europe. Rassurés par un passage remarqué à Paris l’an dernier, nous allons tenter si vous le voulez bien de définir si Seaweed, troisième LP de DDJ (pour les intimes, dont nous sommes), est synonyme du fameux album de la maturité.
Ce qui frappe (fort) d’emblée, outre le riff martelant dès l’intro du single “Taxbear”, c’est cette production massive, où guitares et basse ne font qu’un dans un déluge de fuzz comme on les aime. Et quand ce premier morceau se trouve brutalement balayé par un “Heavy Chase” soudain et bien plus stoner, on comprend qu’on va être cuisiné à plusieurs sauces durant ces trois quarts d’heure. Car la force de ces finnois est là, savoir varier leur couleur musicale, quitte à surfer avec la schizophrénie. Mariant un doom/sludge noir et méchant à des moments plus rock ‘n roll, DDJ n’hésite pas à nous offrir des bouffées d’air frais en maniant les sons clairs avec des plages carrément planantes. La fin de l’épais morceau titre glisse habilement vers l’interlude “Cavity” et sa superbe ligne de basse, le lourd “Pure Cold” et son solo court mais ravageur fond en douceur sur “Saturnday”, où mélodie et furie cohabitent avec brio. Des notes d’espoir en quelque sorte dans un univers sombre mais pas désespéré; on est même gratifié d’un surprenant banjo sur “Backwoods” et sa cowbell. Une batterie par ailleurs très binaire, un jeu axé sur la lourdeur qui est en grande partie responsable du côté monolithique du quatuor.
On s’achève, comme pour résumer, avec le bipolaire “Peninkulma”, et globalement l’album s’enchaîne de bout en bout et forme un ensemble compact et indivisible, même si chaque morceau à été composé avec soin pour afficher une personnalité propre. Enfin… propre c’est vite dit, quand ce chant hargneux caractéristique du combo, fondu dans la masse, éructe des paroles véhémentes sur la dureté de l’hiver finlandais ou les travers de l’être humain.
Un soin tout particulier à été apporté au mixage où chaque élément est à sa place, sans être pour autant figé. Ainsi la basse sait se faire plus présente au besoin, et les leads et soli de guitare, moins systématiques que sur les opus précédents, s’intègrent à merveille dans un espace sonore bien exploité et rempli.
Ce sont tous ces éléments, dilués et maîtrisés, qui font de DDJ un groupe original et de caractère, qualités somme toute assez rares de nos jours. Sans changer leur recette, les finlandais l’ont affinée en travaillant chaque détail avec minutie, jusqu’à l’artwork, singulier et symbolique très réussi, faisant de ce Seaweed une bûche hivernale fort bienvenue pour nous réchauffer.
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Si vous connaissez et appréciez déjà The Machine grâce à l’une de leurs excellentes productions précédentes alors vous pouvez foncer les yeux fermés car ce dernier opus confirmera tout le bien que vous pensez de ce trio hollandais. Et bien sûr, si vous ne connaissez pas encore, la phrase d’intro de cette chronique aura certainement piqué votre curiosité.
Groupe instrumental que je rapprocherai de Earthless par exemple, les trois hollandais nous délivrent à l’instar du trio californien un rock psyché bien charpenté et qui laisse la part belle aux envolés « jammesque » que l’on apprécie tant. Le premier titre de ce Offblast ! dure plus de 16 minutes et illustre parfaitement les (nombreuses) qualités et (rares) défauts de ce combo. Cela commence par un rythme de batterie simple, déjà entendu mille fois, peut être un chouïa trop évident… mais ensuite nous y voilà, le rythme est lancé, la basse se met à l’œuvre, la guitare aussi et la sauce prend. Et nous sommes partis pour un jam d’excellente facture, à mi-chemin entre l’impro et le travail d’écriture de fond. Le guitariste s’en donne à cœur joie en usant des effets de pédale sans en abuser. Le morceau fait un break en sa moitié pour une seconde partie plus psyché, plus lente mais tout aussi intéressante. Bref, 16 minutes de bon stoner à la fois psyché et heavy… tout ce que j’aime !
Les titres suivants sont plus courts (et incluent le chant) mais nous montrent que le groupe est tout aussi à l’aise sur ce format. Et franchement, ça tient la route, ça négocie les virages comme il faut en se permettant quelques drifts au passage, ça fait des pointes de vitesse quand il le faut tout en négociant le ralentissement à la perfection quand besoin est.
Le groupe termine l’album avec un autre morceau très psyché dépassant les 10 minutes et conclue de fort belle manière un album riche, varié et bougrement efficace.
L’ensemble est réellement convaincant et même si une liberté plus grande pour la batterie n’aurait fait qu’améliorer le tout, ne boudons pas notre plaisir, The Machine fait le job et le fait bien. Très bon cru que ce Offblast !!!!!
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Ah ben l’effet de surprise est passé… Il y a deux ans, le premier effort du trio san-franciscain sortait chez Riding Easy et étalait frondement sa synthèse de tous les sous-genres du stoner, contenus dans une approche expéditive, quasi punk dans son exécution. Et bien ils nous refont la même chose, sous la bannière du label Ripple désormais. Voilà. Merci, au revoir.
On ne va pas non plus broder : l’essentiel est bien là, et Hornss, avec un peu plus d’expérience cumulée, trace encore plus profondément son sillon. Ils ne sont pas les seuls à évoluer dans cette sorte de synthèse de stoner-doom-fuzzé, qui rappellera autant Saint Vitus que Kyuss, Pentagram ou Monolord, en gros (amis du grand écart, on vous salue). Sauf que le trio y associe une approche que l’on retrouvait notamment chez des groupes plus nerveux, type Discharge, Grief, voire Eyehategod et consorts… A l’écoute, on est pourtant loin des tombereaux hardcore-crasseux produits par ces dernières sommités (quoi que, le premier segment de « In Fields of Lyme », quand même…), mais on retrouve une vraie volonté d’urgence dans ce sens de la concision (3min17 pour le morceau le plus long de l’album) qui détonne franchement chez Hornss comparés à leurs homologues directs en terme de style musical. Résultat : pas de gras ! L’édifice que constitue chaque compo exploite LE riff en pierre angulaire, et une structure simpliste en termes de rythmique et d’arrangements. Rien d’affriolant à première vue, et pourtant s’ouvrent de toutes nouvelles perspectives en termes d’écoute pour l’auditeur un peu « formaté ». Aucun ennui à l’horizon, on peut enquiller la galette une bonne demi-douzaine de fois d’affilée avec un réel plaisir. Même les titres moins performants passent comme une lettre à la poste quand ils ne durent que deux minutes ! A l’inverse, les meilleurs titres sont réduits à leur substantifique moelle, et aucun risque qu’ils ne soient pervertis par le solo de trop, le break qui fâche, l’arrangement qui pollue… Voir à titre d’illustration le très classique « St Genevieve », et sa structure couplet-riff-couplet-riff-break-riff. Il en va de même pour la plupart des autres titres. Niveau son, le fuzz le dispute au gras, en gros, et on est globalement bien lotis, pour peu qu’on ne cherche pas la subtilité d’un son cristallin.
Bref, ce Telepath ne postule pas au titre de meilleur album de l’année, mais en se positionnant en parallèle des standards prépondérants dans le genre, il apporte une alternative à la production actuelle. Ça rafraîchit. A ce titre uniquement, l’album mérite que l’on y apporte une oreille intéressée. Si on y ajoute le plaisir musical tiré de cette demi-heure roborative de musique (compos efficaces, exécution impeccable), l’acquisition de ce disque prend tout son sens.
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Ça fait désormais bien longtemps que j’ai arrêté de chercher à comprendre Fistula. Leur discographie tout du moins. Le quintet s’est en effet fendu de plus de 30 publications en 15 ans d’existence et après avoir publié Longing For Infection cet été sur Patac Records (label de Dan Harrington, leur chanteur) sans pour autant le presser en vinyle, ils reviennent cet automne avec un nouveau méfait, paru lui chez Totem Cat Records (et bien sûr lui pressé en LP). Reste que côté musique, The Shape Of Doom To Cumm))) est une réussite absolue. Une vraie bagarre. Un pugilat même. Sans déconner quel disque ! Explorant toujours un peu plus la plaie béante du sludge sale, fouillant les moindres recoins du style à la lame de canif, le quatuor d’Akron, Ohio ne laisse aucun répit à nos oreilles, déjà bien salies cette année. The Shape Of Doom To Cumm))) est par ailleurs un disque au cœur de l’actualité, comme le montrent les caricatures de Trump et H. Clinton, représentés comme deux têtes sales et menaçantes d’un même monstre. Le ton est donné depuis de nombreuses années sur ce sujet. Mais les préoccupations sont, au final, loin d’êtres politiques : il suffit pour cela de jeter un œil aux titres des chansons, parmi les plus hilarantes du genre : « Serial Vapist » ou « Sabbath Want To Do A Split With Me » (se déclinant en trois parties, portant les noms délicieux de « Saving Myself For Bobby Liebling », « Outta Time/Outta Print » et « Can I Get My Bullshit Existence Validated On Some Splatter Wax »). Bref du génie. Côté son la crasse coule sans discontinuer, tartinant de doom leur mixture punk, Hardcore avec un H majuscule. Harrington éructe, surine de ses vocaux rocailleux les pires insanités. Et il le fait avec un aplomb tel qu’il est impossible de ne pas se secouer les cervicales tout du long. In violence we trust annonce fièrement le groupe, ils ne sont pas les seuls et du riff lourdissime de « Tough Guy » aux élucubrations sludge de « Negative » et son pont génial, l’album en entier respire la baston de bar. Un album assurément dans ce qui s’est fait de mieux cette année.
Coté vinyle :
Totem Cat sait faire plaisir aux collectionneurs. Pour cette sortie dont le premier pressage est limité à 500 exemplaires, le label propose une version jaune splatter limitée à 100 exemplaires, une version verte limitée à 200 exemplaires et une autre noir à 200 exemplaires également.
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Adorateurs de Satan et jouisseurs multicolores vous convient à leur fête païenne, hallucinée et “tritonnesque” sous la bannière arc-en-ciel de l’église du squelette cosmique. Les sept cavaliers de la perfide Albion composant cette congrégation, ayant fourbis leurs armes en d’autres combos de qualité auparavant (Mammothwing entre autres), on ne sera pas surpris par la qualité technique de ce « Is Satan real ? ».
Si la dépression et la poisse guident vos envies musicales en ce moment, passez votre chemin, atone personne que vous êtes. Church of the Cosmic Skull navigue entre chœurs chevelus, à l’instar des tignasses croc-love de Hair ou de ses cousins pop de The Polyphonic Spree, et un heavy rock plein d’envies 70s. On assiste donc, au cours d’une quarantaine de minutes enlevées, à une grand messe bariolée, haute en envolées mélodiques, guidée par un maître orgue, ordonnateur des saintes partitions.
Il est indéniable que le format court de la galette participe à la fraîcheur de l’édifice. Trop de voix auraient engluer les compositions dans une béatitude forcée et un effort contrarié. On ne sera pas contre, pour les prochains essais, pour un peu plus de noirceur sabbathienne à l’image de ce « Black Slug » délaissant les nappes vocales pour plus de guitares inventives et sombres.
Il court le long de ce premier effort une ironie, un humour pince-sans-rire typiquement british qui démarque assurément le combo de ces pairs. En refusant de se prendre au sérieux, Church Of The Cosmic Skull insuffle une légèreté faisant, par moment, cruellement défaut dans notre scène fétiche.
Rien que pour cela, on les remercie de se demander si Satan est réel.
Au final, Church Of The Cosmic Skull prouve en 8 morceaux et quelques prières qu’il est possible de boire le sang de ses ennemis tout en suçotant un buvard de LSD. Qu’il est possible aussi de concilier heavy-métal et mouvement hippie. Surprenant, non ?
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Le premier album de The Well nous avait bien marqué, par son audace, son intégrité, son originalité. Pas un album à mettre entre toutes les mains, certainement, difficile à digérer pour certains, il jetait en tous les cas un pavé dans la mare un peu stagnante du genre musical. Tout juste deux ans plus tard, le trio nous revient avec ce Pagan Science, deuxième album, donc, toujours chez Riding Easy.
Toujours pas une once de compromission à l’horizon, The Well trace sa route, et approfondit même le sillon : le groupe évolue toujours dans cet « entre-deux-mondes » difficile à cerner, entre rythmiques langoureuses et morceaux percutants, des plans de gratte metal sournoisement fuzzés, tout en subtilité, des riffs sanglants enrobés d’atours de production chiadés… Insondable en première approche, mais constant dans la démarche, indéboulonnables même quand ils enquillent onze titres (dix et demi plutôt) dans la même veine, pour une rondelle de trois quarts d‘heure riche et mastoc, qui ne laisse aucune place au remplissage. Ils s’approprient même l’emballant « Guineverre » de Crosby, Stills & Nash, qui devient par leur entremise une conclusion classieuse, délicieusement dark et sournoise à leur opus.
Pour distinguer Pagan Science de son prédécesseur, on mettra d’abord en avant cette cohérence stylistique ré-affirmée, de plus en plus maîtrisée et assumée. Cette approche les met à l’abri de la moindre comparaison, étiquette ou autres rapprochements d’influences. On devra aussi reconnaître au groupe une qualité de composition de haut niveau, probablement pour partie liée à l’expérience scénique accumulée ces derniers mois. Dans les faits, ça riffe dru (« Skybound », « Drug from the banks »…), et le travail de structuration mélodique est probant (« Byzantine », « A Pilgrimage »…).
On est toujours autant bluffé de constater la profondeur du son et l’élaboration du travail de production être l’œuvre d’un « simple » trio (bon, il y a des lignes de guitare doublées, à voir le rendu live…), encore moins d’un trio de texans (difficile de projeter le clichés de vulgaires rednecks évoluer dans une veine aussi classieuse). Autre ravissement auditif, la systématisation des vocaux travaillés à deux voix (masculin / féminin, l’œuvre du guitariste Ian Graham et de la bassiste Lisa Alley) reste l’une des signatures du groupe : chœurs, alternance, harmonies, tout y passe, avec à chaque fois un rendu final absolument inédit.
Bref, nul doute que le stoner racé et élégant du trio texan ne laissera toujours personne indifférent : les amateurs exclusifs de son brut, d’énergie primale et de gros riffs qui tâchent n’y trouveront sans doute pas leur bonheur. Les autres, patients et ouverts à d’autres horizons musicaux, devraient être réceptifs aux compos de The Well, qui nous propose avec ce Pagan Science rien moins que son meilleur album à ce jour (une conclusion un peu hâtive et gratuite pour un groupe qui ne compte que deux albums au compteur, j’en conviens).
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Il est des questions auxquelles apporter une réponse serait l’œuvre de toute une vie. L’oignon fait-il la force ? Le mariage est-il la principale cause de divorce ? Plus complexe encore, pourquoi l’excellent album de Khemmis sorti l’année dernière, Absolution, a t-il échappé à notre radar pourtant réputé infaillible ? Mélange de doom et de heavy à la sauce épique, Absolution avait pourtant tout pour séduire ceux qui écoutent leur musique coiffé d’un heaume et muni d’une épée fantastique. Heureusement, le groupe de Denver nous offre gracieusement une seconde chance en sortant Hunted. Le chroniquer ici bas nous paraît être le premier pas vers l’expiation. Que Dieu en soit témoin.
Comme celle de son prédécesseur, l’artwork fantasy d’Absolution laisse présager quelque chose de grand, comme un voyage à travers un multimonde à dos de buffle bardé de fer. Pour arriver à la hauteur de ce qu’il prétend être, Khemmis allie l’emphase du doom mélancolique à la Pallbearer avec une bonne dose de heavy, usant à bon escient d’harmonies entre deux guitares bien affûtées. Les deux gratteux se partagent aussi les parties vocales, la plupart du temps claires et puissantes comme un Conan pointant sa hache vers le ciel, mais parfois plus gutturales et abyssales. Vous l’aurez compris, Khemmis voit large.
Les morceaux traversent donc un vaste paysage émotionnel, même si la langueur et la tristesse restent le panorama dominant. Impossible de refréner notre chair de poule sur le refrain de « Candlelight », aussi beau que poignant. Même constat sur celui de « Beyond The Door ». Khemmis est décidément fort pour nous accrocher l’oreille, et le cœur. Heureusement, l’inspiration du groupe ne se limite pas qu’aux refrains, très loin de là. Tous les morceaux sont de véritables encyclopédies du riff. L’introductif « Above The Water » nous en apporte d’entrée de jeu la preuve, se permettant aussi de nous balancer un solo des plus rock’n’roll. « Three Gates », dont on pourrait croire que l’intro a été composé par Matt Pike, montre le groupe sous un jour un peu plus sombre mais toujours aussi surdimensionné et immersif. « Hunted » et ses 13 minutes de démonstration d’un style toujours polyvalent viennent clôturer cet album d’un point final de toute beauté.
En quelques mots, Khemmis nous livre ici un album gigantesque, sérieusement brillant et brillamment sérieux. Les compositions sont bourrées d’idées et ne répètent pas deux fois le même pattern, ce qui apporte un côté décousu et une petite touche progressive plutôt savoureuse. Chaque écoute semble être la première. Si l’on peut émettre un seul reproche à Absolution, c’est qu’il ne contient que 5 titres. Une telle qualité d’un bout à l’autre nous laisse sur notre faim. La prochaine fois les gars, faites un album plus long, ou moins bon.
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Après sept ans de carrière, un premier album aussi lunaire qu’ébouriffant (sorti il y a un peu plus de deux ans) et des prestations scéniques sur-amphétaminées aux quatre coins du continent et ailleurs (en solo ou en premières parties prestigieuses), on est plutôt enthousiastes de retrouver notre quatuor OVNI parigot. Inquiets aussi : qu’est-ce qu’ils vont encore nous sortir ? Vont-ils rentrer dans le droit chemin et nous pondre un album plus accessible, plus « direct » que son prédécesseur halluciné et hallucinant ?
Et bien non… mais on les aime quand même ! On les aime avant tout parce qu’ils sont fidèles à eux-mêmes et intègres, mais aussi parce qu’ils ne prennent pas leurs auditeurs pour des lanternes. Ce que propose Dot Legacy est toujours aussi barré, mais jamais gratuit ni stérile. Leur musique en appelle à l’intelligence de l’auditeur, mais n’oublie jamais de flatter ses sens reptiliens ; l’intuitif et le primitif comme courroie de transmission d’un cortex cérébral poussé dans ses retranchements. Pour autant, attention, pas de méprise : ce n’est pas parce que les musicos sont intelligents et doués qu’ils pondent du jus de cervelle étriqué et imperméable. Les gars sont dans le plaisir, pas la prise de tête. Leur principal outil dans cette démarche de destructuration massive tient dans leur travail de composition. Et du coup, côté compos, il y en a pour tout le monde : certains titres sont redoutablement efficaces dès les premières écoutes, à l’image du furieux “211” (sorte de glaviot fuzzé aux sonorités Truckfighters survolté) qui annonce des moments de joie dans le pit, ou encore le très marquant “Story of Fame” qui traîne ses riffs tour à tour sablonneux et fuzzés en enrobage de plans mélodiques quasi pop. En revanche, il faudra quelques écoutes complémentaires pour commencer à s’imprégner des autres petites perles que sont les infectieux “Pioneer”, “Dakota” ou encore “Horizon”… et encore ! Pour tout dire, on a l’impression à chaque écoute de n’avoir jamais fait complètement le tour : des sons différents, des plans inédits, des propositions surprenantes apparaissent petit à petit, toujours bien vues, comme des petites évidences. Chœurs, effets sur la voix, piano (“Pioneer”), sons de gratte travaillés, licks de guitare atypiques, arpèges venus de nulle part (“5314”), vocaux presque rappés (tendance Beastie Boys sur “5314” ou “Horizon”) ou scandés (mode “tribal” sur “5314” encore), etc, etc, etc… Avec des titres oscillant en moyenne entre 4 et 5 minutes, le groupe ne tombe toutefois jamais dans le confortable piège des titres prog-péteux à rallonge. Bref, la juste dose de barré, sans verser dans la prise de tête. Notons aussi que chaque titre se distingue clairement de ses congénères, si bien que les huit morceaux de l’album couvrent un vaste spectre musical sans que jamais l’on ne puisse identifier la moindre répétition.
Complètement impossible à décrire dans un semblant de synthèse, To The Others développe tellement de sonorités, tant de genres musicaux, que la première approche peut en être perturbante. Pour autant, sa richesse se dévoile un peu plus à chaque écoute, et l’auditeur curieux se trouvera vite conquis par la passion et le talent de nos quatre déglingos. Mieux travaillé encore que leur premier album To The Others annonce aussi des prestations live de haute volée, le véritable terrain de jeu de Dot Legacy.
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L’année dernière, le combo doom Mammoth Weed Wizard Bastard (que l’on appellera MWWB à partir de maintenant, pour économiser mes doigts et vos yeux) sortait un premier album de trois titres comprenant notamment « Nachthexen », morceau long de 30 minutes. Sans pour autant s’affranchir d’un des dix commandements du doom : « si ton morceau ne fait pas plus de 6 minutes, il est nul », le groupe revient cette année avec un album plus concis et surement plus accessible, Y Proffwyd Dwyll, traduit du gallois par « faux prophète ». À tort ou à raison ?
Avec un tel nom de groupe, deux solutions sont possibles : soit les mecs sont sérieux et décident de ramasser tous les stéréotypes du genre pour servir une soupe très quelconque, soit les mecs font preuve d’ironie et tendent ainsi leur majeur aux codes établis dans le domaine. Quelques minutes d’écoute suffisent pour situer MWWB dans la deuxième catégorie, la formation galloise n’entendant pas suivre un chemin déjà balisé. Si les bases sont classiques (du gros riff qui bave, beaucoup de basse, une rythmique écrasante), la présence d’un claviériste emmène le groupe ailleurs. Sur l’instrumental « Gallego », on croirait entendre la dernière formation sludge de Jean Michel Jarre, où se mêlent synthé 80’s, vortex guitaristique et distorsion. Sur l’éponyme « Y Proffwyd Dwyll », on croise aussi un alto suivi de tir de blaster de Stormtrooper. Ou un truc qui y ressemble.
Mais MWWB ne s’arrête pas là. À la question « qu’est ce qui pourrait coller avec des grosses guitares testostéronées, une basse bien grasse et ronflante et un batteur qui dérouille ses fûts ? », le groupe nous répond : « une voix féminine perçante ». Évidemment ! Le pire, c’est que ça fonctionne. La voix de Jessica Ball, aérienne et fort généreuse en réverbération, téléporte les compositions de la bande d’un univers inquiétant à un autre plus mystique et ensorcelant. Exemple, le génial « Testudo » et son intro planante, où le titre d’ouverture « Valmasque ».
Sur le papier, tout cela peut sembler un peu bordélique. Mais MWWB réussit à faire de ce patchwork d’idées un univers très cohérent, évidemment très psychédélique, presque expérimental, grâce au bon dosage de chacun de ses ingrédients.
Pour preuve, une fois que l’on a cerné l’ambiance du groupe, on trouverait presque tout ça trop linéaire. Les morceaux se ressemblent parfois un peu trop et aucun ne sort vraiment du lot. Malgré tout, ils sont tous prétexte à une nouvelle trouvaille sonore et on se laisse très facilement embarquer par l’univers si particulier du groupe.
Dans un genre où il est difficile de sortir des sentiers battus, MWWB nous prouve que beaucoup de territoires restent encore à explorer. C’est rassurant.
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Geezer, trio venu de Kingston, dans l’Etat de New York, est de ces noms qui reviennent sans cesse dans la bouche des dénicheurs des talents futurs de la scène fuzz, et pas seulement parce que leur patronyme rappelle le bassiste de Black Sabbath. C’est en effet bien plus à leur statut de vieux routard du hard rock qu’ils doivent leur nom (désignant en argot un vieux déjanté, souvent un ancien hippie ou drogué). Le moins que l’on puisse dire c’est que la bande de Pat Harrington (et sa longue barbe blanche) n’ont rien de nouveaux venus : quarantenaires et bourlingueurs, les trois musiciens de Geezer n’ont eu de cesse de faire parler d’eux depuis la publication de Cage chez STB en 2016. Leur split The Second Coming Of Heavy partagé avec Borracho chez Ripple Music l’année suivante aura fini de les installer dans la liste aussi passionnante que foisonnante de la nouvelle génération de fuzz américaine (Wo Fat, Goya, Wounded Giant, Duel, Mothership, Demon Lung, Ancient Warlock, Hornss, Mondo Drag, Druglord ou Khemmis entre autres). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est chez ces deux labels que sort leur second album éponyme, publié chez les Californiens pour la version numérique et CD ainsi que chez le label New-Yorkais pour ses versions vinyles.
Ceux qui comme moi avaient eu l’occasion de jeter une oreille à Cage avaient découvert un groupe heavy rock de grande qualité, maniant la fuzz avec la même habilité que sont distillées les influences bluesy d’un groupe à placer quelque part entre The Sword et Black Rainbows. Sans pour autant respirer l’originalité, le trio avait clairement placé – déjà – assez haute la barre de l’exigence. Ce second effort quant à lui s’avère en tout points plus intéressant que son prédécesseur. En effet, doté d’une production des plus solide (et d’un excellent son de basse), Geezer, l’album, impressionne. A mesure des écoutes il apparaît d’ailleurs de plus en plus clairement qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’un disque de blues rock par la fuzz maltraité. Le feeling d’Harrington à la guitare (quelques uns de ces soli sont parmi les plus réussis de cette dernière décennie de stoner) et le groove renversant de la paire rythmique Tourseull/Turco placent alors Geezer bien au dessus de la mêlée. Il suffit pour s’en convaincre de s’attarder sur la pièce sublime qu’est « Dust », titre lancinant qui restera comme l’un des titres de l’année. Le trio alterne l’urgence (l’imparable boogie de « Sunday Speed Demon », « Hangnail Crisis ») et les voyages dans l’espace (le plus stoner « Sun Gods », « Bi-Polar Vortex ») tout au long d’un très solide album. Gageons que dans les prochains mois Geezer sera sur toutes les lèvres et ce ne sera que justice.
Point vinyle :
Pour sa version vinyle c’est chez STB Records qu’il faudra regarder. Comme à son habitude, 4 versions sont proposées : la Die Hard Edition (100 ex Yellow, Pink and black splatter), OBI Séries (125 ex clear with colour and black splatter), (Not So) Standard Edition (175 ex bleu ciel) et World Wild Distro (200 ex blancs). Les disques sont tous en 180g, de différentes couleurs et ont, selon les éditions quelques spécificités qui régaleront les spécialistes. Les prix varient bien sûr en fonction.
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