Stöner – Boogie to Baja (EP)

Ai-je été trop méchant avec ma chronique du dernier album de Stöner ? C’est la question que je me suis posée avant de me mettre à celle-ci. Alors j’ai écouté à nouveau l’album et définitivement non, c’est vraiment un ratage presque complet. Ensuite je me suis dit, ok, pour cet EP, tu essayes de ne pas trop insister sur le côté répétitif, tu essayes de positiver pour ne pas toi-même te répéter.
Positivons donc avec un constat simple, même si les défauts sont encore là, les aspects positifs sont plus prononcés et le résultat final plus encourageant et moins lassant.
Passons le “Stöner Theme (Baja Version)”, reprise d’un titre du précédent album dans une version différente, qui ouvre le disque et qui est très dispensable. La touche Oliveri me semble bien plus visible comme le prouve le choix de la reprise du titre “City Kids” des Pinks Faeries. Ce titre est frais, avec son petit côté rock’n roll et punk léger assez sympa.
“Night Tripper vs No Brainer” embraye sur un riff cool avec quelques effets de fuzz par-ci par-là. On ne criera pas au génie mais ça se laisse écouter. L’alternance de chant entre Brant et Nick est aussi très bienvenue. On agrémente le tout d’un joli changement de rythme après le tiers du titre, d’un solo un peu gras et on obtient un résultat assez convaincant.
“It ain’t Free” a aussi clairement le tampon Oliveri. 2 minutes 30, ça ne se pose pas de question, c’est direct et vif.
“Boogie to Raja” clot cet EP avec ses 10 minutes. L’intro est excellente. Ça part vite et bien avec un bon riff et une envie d’en découdre évidente. On est proche d’un jam improvisé et c’est vraiment bon. En concert ce titre peut être explosif.
Le résultat est donc bien meilleur que l’album Totally et espérons que l’on poursuivra avec le même état d’esprit pour la suite de leurs aventures.

Reste quand même deux gros défauts. Le groupe nous dit « During the recording of Totally, we were having a blast and the music just kept rollin’ out so we decided to also put together a tasty EP ». De là à dire que Totally aurait pu être un album bien plus long et qualitatif, cela accroit cette impression de loupé. Ensuite, cet EP est proposé au prix d’un album et c‘est abusé. Une reprise, une auto-reprise et juste trois titres originaux, ça n’atteint pas les trente minutes et pourtant on vous en demande le prix d’une galette bien remplie. Le tout décliné bien sûr en CD et 6 versions vinyles différentes. Business is Business…

Cerbère – Cendre

Ce premier album du jeune trio parisien est aussi l’une des premières sorties du label Chien Noir, structure collective montée par et pour une poignée de groupes français. Derrière Cerbère se cachent trois musiciens ayant usé pas mal de locaux de répèts ou de coins de scènes élimés, dans diverses formations de sludge, noise, punk… bref, un peu tout ce qui peut se faire de sale, en gros. Sur le papier, pas forcément quelque chose qui rentre dans nos cordes en revanche… sauf que nos trois gaillards ont beau méler toutes leurs influences dans cette sinistre tambouille, ils ralentissent bien les tempi et délivrent leur production sur un bitumeux tapis de pur doom fuzzé. trois titres pour à peine plus de quarante minutes de musique ; pas la peine de vous faire un dessin…

On rentre dans la galette en se frayant un premier chemin dans le bien glaireux “Cendre”, emmené par un riff doom lent et impeccablement saturé, plombé par une rythmique tellurique et d’où surgissent quelques growls sludge de bon aloi (notons que les passages vocaux sont très rares sur le disque). On est sur du monolithique, avec de très faibles variations mélodiques : c’est répétitif, c’est lancinant, c’est lourd. On pense à un bon riff de Conan badigeonné de sludge – mais plus gras et sombre. Aux deux tiers du morceau, une petite fantaisie mélodique groovy nous emmène directement dans le sillage d’Eyehategod. Pas le temps de reprendre notre souffle que le très subtil “Sale Chien” vient apporter une touche de légèreté : toujours un gros riff, à peine un peu moins lent, mais tout aussi adipeux que son prédécesseur, qui tourne, qui tourne… Les relents blackened doom finissent de caresser nos nuques entre lourdes, tandis que “Les Tours de Set” vient clore la galette par un tour de force de ving-deux minutes : le titre commence par une torgnole hardcore sludge pour vite s’effondrer dans les lenteurs d’un territoire glauque tout en dissonance sous-accordée, sorte de mélange d’un Bongripper bruitiste et d’un Thou énervé. Passé ce premier acte, Cerbère nous amène sur quelque chose de plus construit (on entend même des leads de guitare…) après le premier tiers du morceau, puis entame une lente chute noise tendance drone, qui vient s’étirer sur un très gros dernier tiers de la chanson. Un peu trop longuement sans doute : consacrer près de dix minutes à cette séquence froide et sans grand relief est un pari risqué, pas forcément payant au fil des écoutes… Dommage.

Mais on reste sur un ressenti très positif (façon de parler pour une galette aussi sombre et poisseuse…) à l’écoute de ce Cendre globalement très réussi. Un galop d’essai qui, s’il ne réussit pas tout ce qu’il tente, constitue quand même une large réussite : le tout jeune combo s’est déjà constitué une forte identité (plusieurs références marquantes, mais parfaitement assimilées) et distille une véritable science du riff sur une grosse demi-heure dont on a du mal à se lasser. Du vrai bon doom-sludge de qualité… et c’est français, monsieur !

 


Sons of Arrakis – Volume I

Ah, Montréal, cette terre fertile du stoner rock, ses dizaines de groupes fuzzés sentant bon le sable chaud… Sauf que pas vraiment, et quand on voit débarquer ce groupe on se dit que ça vaut sans doute le coup de se pencher dessus. Actifs depuis 2019, ces quatre québecois ont sorti une poignée de singles ici ou là, et ont commencé à oeuvrer sur leur premier album à l’époque du COVID, pour une sortie… ces derniers mois (sorti sur différents supports entre lrété dernier et récemment, en gros…).

Comme son nom le laisse présumer, le groupe est largement influencé par Dune, et développe l’univers de Frank Herbert sur l’ensemble de l’album. Du Space rock donc ? Ben non. Sons of Arrakis proposent une sorte de stoner heavy testostéroné, solide et non dénué d’un groove assez saisissant. Trois Gibson fuzzées (oui, même la basse !) s’y entendent pour proposer un son croustillant à souhait, le petit facteur qui suffit à convaincre d’écouter l’ensemble avec d’autant plus de curiosité. C’est alors là, progressivement, que l’on se fait cueillir par ce songwriting aguicheur : riffs nerveux et catchy (“The Black Mirror”, “Temple of the Desert”…), mélodies immédiatement mémorables (“Omniscient Messiah”, “Lonesome Preacher”…), soli impeccables (“Complete Obliteration”…), tous les éléments semblent réunis pour le plaisir du stoner head “de base”.

Le groupe se permet par ailleurs de ne sonner comme personne (ou en tout cas pas directement : on pense à la musicalité d’un ASG par exemple, plus qu’à son tour). Petit reproche en revanche : trente minutes (pour six vraies chansons, hors intro/outro) c’est un peu léger pour un premier LP, et on n’aurait pas craché sur une paire de compos supplémentaires. Mais pas de quoi chouiner : Sons of Arrakis est une jolie découverte, et peut-être la démonstration (après Dopethrone dans une autre veine) que Montréal est peut-être une terre musicale apte à proposer quelques intéressantes pépites musicales.

 


 

Condenados – El Camino de la Serpiente

Une bien agréable découverte aujourd’hui que ce disque de Condenados, un combo qui, s’il était jusqu’ici inconnu de votre serviteur, propose pourtant aujourd’hui son déjà troisième LP, après plus de douze ans d’existence. Tandis que leurs deux précédents disques étaient sortis sur un label obscur (Shadow Kingdom Records), ce El Camino de la Serpiente, qui paraît sur un petit label chilien peu productif, ne semble pas non plus promis à exploser dans les charts. Un label chilien, oui, puisque, comme son patronyme aura pu vous le laisser présumer, Condenados est un groupe chilien. Et comme ils ne font pas les choses à moitié, ils chantent en espagnol.

Conséquemment, les écoutes s’enchaînent et on est souvent ramené une ou deux décennies en arrière, croyant entendre des volutes de Los Natas (les argentins chantant aussi en espagnol). Condenados partage aussi avec leurs voisins argentins cette prod austère et râpeuse qui ne triche pas. Passés ces détails formels, on s’attache enfin au fond des choses, à savoir la musique. Avec simplement deux paires de bras (le batteur assure aussi le jeu de basse pour le studio) les gars se concentrent sur l’essentiel, et élaborent une douzaine de titres qui vont taper dans toutes les variantes du heavy rock / doom metal, à mi-chemin entre révérence old school et l’énergie frondeuse de musiciens qui n’ont rien à perdre. On pense beaucoup à R.I.P. sur ce disque, cette énergie revival authentique donne le sourire, même si ici on est dans du pur premier degré.

On se laisse donc porter par ces riffs AOP doom metal (sud) américain, qu’on encaisse les uns après les autres en se disant que, décidément, ces gars sont inspirés et savent écrire. “El Diablo”, le groovy “Condenados”, le presque punk “El Carro y la Torre”, le jovial et entraînant “El Camino de la Serpiente”… Du riff encore et toujours. Et quand ils s’éloignent un peu du sillon doom, c’est pour mieux y revenir avec des tempi lents en diable (“Mi Maldiciòn”, “Humo Negro”, “Tierra de Cementario”…). Que des compos à fredonner sous la douche, le bras tendu en l’air et le poing rageur.

Ces gars ne sortiront peut-être jamais de disque de l’année, ils auront probablement du mal à trouver une poignée de concerts dans l’année dans leur région, ne parlons même pas de la perspective de les voir monter sur des scènes nord-américaines, voire européennes… Ils ne seront probablement pas mentionnés comme référence musicale pour d’autres musiciens, et globalement laisseront une trace modeste dans le paysage musical. Pourtant, que leur intégrité fait du bien à entendre ! Le plaisir provoqué par l’écoute approfondie de ce disque est réel. Evidemment, la plaque est perfectible, quelques titres peuvent apparaître plus faibles, la prod aurait pu apporter plus de relief ici ou là, mais ce ne sont que des détails qui ne viennent jamais vraiment dénaturer l’authenticité de cet ouvrage de passionnés.

Ahab – The Coral Tombs

Il aura fallu 7 ans pour voir les allemands d’Ahab reprendre la mer et nous livrer le successeur de The Boats of The Glen Carrig. Maître incontesté du “Nautik Doom”, Ahab a pris le temps de façonner son cinquième album The Coral Tombs en s’enfonçant dans de profonds abysses. Car si le groupe s’appuyait sur des récits de Melville (Moby Dick) ou de William Hope Hodgson (The Boats of The Glen Carrig) pour nous transporter dans l’enfer des océans et dans la survie horrifiques de naufragés, il vient avec The Coral Tombs puiser dans l’oeuvre de Jules Vernes 20 000 lieues sous les mers ! En guise d’appât, “Prof. Arronax’ descent into the vast oceans” annonçait d’ailleurs un album bien plus sombre, violent, avec un chant grind que l’on n’avait plus entendu depuis leur second opus The Divinity of Oceans.

Ouvrant The Coral Tombs, “Prof. Arronax’ Descent Into the Vast Ocean” fait l’effet d’une chute d’un bateau en pleine tempête dans une mer glacée. Encore glacé par le chant que l’on est submergé par la fureur de la batterie et la puissance de la basse. Une entrée dans l’album par la violence pure qui s’estompe rapidement dès que l’on entame notre descente vers les profondeurs. Ahab brille alors par leur capacité à nous faire ressentir l’immensité immuable de l’océan et nous montre au loin des créatures gigantesques se mouvant avec lenteur. “Colossus of the Liquid Graves” et “Mobilis in Mobili” nous confrontent à ces monstres tentaculaires qui, visiblement mécontents d’être dérangés par de si petits êtres, cherchent à nous précipiter dans les abysses. Les riffs sont épais, le chant est tout aussi gras, et chaque ligne de basse vient résonner dans nos scaphandres… même la batterie souhaite notre perte ! Les notes aiguës sur “Mobilis in Mobili” laissent même penser que notre vaisseau sous-marin n’est pas loin de craquer …

La seconde partie de l’album se veut plus contemplative tout en continuant de nous imprégner de ce sentiment de menace permanente, la folie grandissante de l’équipage n’aidant pas… “The Sea as a Desert” image parfaitement cette face plus posée de l’album en nous projetant devant d’immenses paysages abandonnés voire dévastés par l’Homme. “A Coral Tomb”  prend le temps d’explorer un univers composé de structures sans âge. Le chant devient ici majoritairement clair, et diffuse une mélancolie collant parfaitement avec la lenteur de ces morceaux. D’ailleurs on se perd devant une telle lenteur… la notion de temps disparaît petit à petit… c’est quel morceau déjà ? Ah il n’a duré que 12 minutes ?! L’album se clôture comme il a débuté dans la tourmente et la puissance, avec un solo de guitare bouclant avec celui du premier morceau, nous faisant définitivement sombrer dans les abîmes.

Difficile de remonter à la surface après l’écoute de The Coral Tomb. L’album retranscrit assez étonnamment cette perte de repère et de notion de temps que l’on peut avoir sous l’eau et nous happe dès les premières notes dans son univers sous-marin touchant au lovecraftien, notamment sur l’intro bouillonnante et les riffs de “Mobilis in Mobili”. L’apport du chant (très) guttural est une réussite et, en plus d’appuyer ce côté monstre innommable, donne envie de se replonger dans les premiers albums du groupe. L’attente aura été longue pour voir ce nouvel album d’Ahab mais c’est une grande réussite ! Allez remettons la combinaison, il reste des choses à découvrir dans cet océan !

 


Blackwülf – Thieves & Liars

Voilà un bout de temps que nous n’étions pas revenus sur le quintette californien de Blackwülf, pourtant signé chez Ripple Music depuis quelque temps et sortant ces jours-ci sa troisième plaque sous pavillon du susdit label. Il y a des groupes comme ça, tu retombes dessus et tu te demandes pourquoi on a en pas plus causé. allons donc nous rattraper et chroniquer Thieves & Liars nouvel opus de cet injustement peu éclairé groupe de stoner.

Voilà un album qui ne met pas longtemps à remplir l’auditorium d’une forte odeur de cuir de perfecto. Ça fleure bon le vintage et le virage stoner des belles années Hard Rock. On sait d’emblée qu’on n’aura pas grand-chose à attendre en termes d’innovation, mais c’est après tout souvent le cas dans notre branche musicale, ils sont loin derrière nous les territoires inexplorés du genre, cependant faire la démonstration de son talent en 37 minutes comme l’entreprend ici Blackwülf est loin d’être une gageure.

Des riffs gras de “Shadows” à ceux de “Cries Of A Dying Star” on bouffe du phrasé méchant aux babines retroussées mais toujours harmonieux avec en point d’orgue un Killing Kind à la structure remarquable, a moins que ce ne soit le titre éponyme qui prenne le dessus, à vous de juger.

Le groupe a le chic pour faire rouler les muscles à ses compos. On n’est certes pas chez mister univers mais on entend bien le vent siffler quand la mornifle passe près des oreilles comme c’est le cas dès l’introduction de “Failed Resistance” qui prévient l’auditeur avec une frappe insistante sur la cowbell avant de venir enfoncer les riffs à coups de marteau.

La force de cet album est là, une capacité à aligner 9 pistes sans jamais leur faire dépasser 5 minutes sauf à l’exception de “Psychonaut / Edge of Light”, balade au centre de l’album qui le structure avec un certain classicisme et fait la redite de la lancinance du chant si marquante sur “Seems To Me”. Blackwülf dispose d’une capacité à fournir un album qui met les pieds en plein dans les standards du genre et fait sonner ses compos d’un rock velu sans que rien ne dépasse pour autant. La parfaite assimilation d’une culture toute entière dans une production léchée, en somme.

Alors oui, tout ceci ne fera pas de Thieves & Liars l’album de la décennie et honnêtement on s’en fout, c’est bien foutu et ça rentre pile dans les cases. Aucun riff ne sera plus mémorable qu’un autre et cependant font  tous appel aux souvenirs d’une multitude d’albums poncés jusqu’à la corde il y a de cela longtemps déjà. Mais le plus important de tout, aucune piste n’est flemmarde ou ne trahit le genre, un vrai moment de plaisir.

Caracara – Vagrant Witness Cantos

Quéquecé? çasordou? Caracara c’est un piaf ça non? Bah oui, c’est un rapace sud-américain, mais ça va devenir accessoire avec l’avènement de Caracara le groupe stoner Ricain de Providence qui sort sur un label aussi confidentiel qu’eux (Olde Magick Records) un album curieusement foutu, Vagrant Witness Cantos.

Si cet album semble tordu c’est qu’il ne fait que quatre pistes de long mais dure quand même 46 minutes, du morceau bien charpenté en perspective, donc. Le morceau le plus court fait déjà plus de dix minutes et c’est tout aussi étrange de prendre ce risque dès un premier album. Enchaîner les titres obèses pour l’occasion c’est le risque certain de se couper d’une partie notable du public mais également l’opportunité de démontrer qu’on est là pour la musique avant tout et que le public suivra s’il le souhaite mais qu’en fin de compte ce n’est pas là l’important.

Côté musique justement, si on se fend d’une chronique pour ces p’tits jeunes sortis de nulle part, c’est bien qu’ils nous ont fait dresser les oreilles sur la tête. Leurs compositions sont soignées et aguicheuses. C’est sensuel sur “Zeno’s Mete” et quand ça devient caractériel, Caracara reste malgré tout tempéré comme le démontre “The First”ou “Préférence” avec des parties de gratte à la limite du jam psychédélique sur fond de rythmique pleinement maîtrisées.

On trouve dans Vagrant Witness Cantos des patterns de batterie martiaux, comme des ronronnements de basse soyeux et accueillants; le tout enveloppe voix et gratte et démontre la force des compositions et enchaîne l’auditeur à l’album dès le premier titre “Au And Nihil” qui brille par son swing aussi sexy que sur un titre des Doors.

Caracara tient probablement un filon avec cette première galette, c’est un de ces groupes qui a le talent de se faire entendre de loin assez tôt, mais comme l’expérience nous l’a souvent prouvé, peu de ces rookies savent produire assez et assez vite pour qu’on ne les oublie pas, espérons que le quartette aura autant d’intuition avec sa carrière qu’avec ce premier opus et qu’ils nous offriront bientôt une suite à ce frais et gouleyant album.

Heavy Blanket – Moon Is

Si on s’arrête à leur capacité à choisir des Artworks pour leurs albums, on pourrait gager que les gars du groupe instrumental Heavy Blanket se dirigent vers un flop avec leur nouvel album, mais que nenni ! Ne serait-ce qu’à cause d’un individu au sein de ce trio d’amis de longues dates, J Mascis, fondateur / batteur de Witch et de Dinosaur Jr. où il est guitariste, mais aussi parce que plus d’un mois avant la mise sur le marché de leur dernière galette, Moon Is, elle est déjà sold out sur la plateforme de vente de Outer Battery Records. Voilà une affaire qui démarre sous de bons auspices !

Inébranlables soli 80’s et implacables lignes de basse sur des patterns de batteries au cordeau, voilà le charme de Moon Is et le titre éponyme en est la figure de proue. Logique et sans surprise certes mais qu’il est bon de trouver une telle pépite, un album, manié de main de maître de bout en bout, chaque piste est fluide et mises les unes à la suite des autres elles s’enchaînent parfaitement. Malgré l’attaque entraînante de la première piste “Danny” où la joviale “Crushed”, Heavy Blanket ne semble pas avoir la prétention de marquer l’esprit de son auditeur au fer rouge, mais de s’offrir avant tout le plaisir de composer et de jouer ensemble comme c’était le cas pour le premier opus In a Dutch Haze mais sans pour autant renouveler complètement l’expérience jam session.

Moon Is n’est pas exempt de sensibilité et le prouve avec un “Say It To You” qui à l’image du reste des autres titres ne pose jamais une phrase plus haute que l’autre, jamais la batterie ne sort de son rôle de support. Les autres pistes sont faites du même bois, lorsque “String Along” s’enfonce dans le flou d’un psychédélisme où la pulsation s’emballe, le trio reste en pleine possession de ses moyens et livre ses notes sans excès ou abandon. Difficile d’attendre plus de Heavy Blanket, l’album est écrit et libre à la fois, on ne peut que constater le brio des instrumentistes et s’en satisfaire pleinement d’un bout à l’autre de la plaque.

Sans prévenir, Heavy Blanket met au monde Moon Is, un rejeton de plus, bien fait, produit sans excès et composé de même. Il ne sera pas le fils prodigue du stoner, pas un de ces albums que l’on ressort avec fierté de sa discothèque pour dire à la cantonade “Je l’ai !”. Cependant, il convient de le posséder, de le caresser souvent du bout des doigts et de le jouer avec parcimonie en petit plaisir égoïste, idéalement au casque, chaudement enfoncé dans un accueillant canapé.

Tidal Wave – The Lord Knows

La promo disait épique, bravoure, fuzz, puissance…alors bon, on s’est dit faudrait p’tet y jeter une oreille d’autant que c’est chez Ripple et qu’on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. Voilà donc comment commence l’aventure de l’audition de l’album The Lord Knows du quartette suédois Tidal Wave.

En deux pistes introductives Tidal Wave installe un feeling digne de Slomosa et parfois même d’un Kal-El. La promo disait donc vrai, c’est puissant, c’est fuzz, par contre pour l’épique et la bravoure c’était probablement un rien exagéré même s’il est indéniable que de-ci de-là il souffle sur la plaque un vent chaud qui envoie valser les enceintes contre le mur. La voie  sur “Purple Bird” avec ses riffs hard rock à souhait est la pour raccrocher les wagons de l’épique, “Lizard King” et surtout “End of The line” jouent vite et apportent un je ne sais quoi de riffs des pays du Nord y verra qui veut de la bravoure.  L’auditeur au passage de eRobbero Bobberoe prend son compte de graisse à esgourdes. Cette compo assure des lignes de grattes et des rythmiques simples et efficaces, descendant en droite lignée de Kyuss. Enfin “Thorsakir” joue la carte du doom old school, la voix graisseuse en plus.

Vous l’aurez Compris, The Lord Knows c’est une subtile alchimie entre les classiques du genre et la niaque de la nouvelle garde stoner. L’ensemble des pistes est empaqueté dans une belle fluidité où les saillies des instrumentistes comme du vocaliste sont légion et jamais outrancières. Enfin la production est tournée du côté d’une qualité standard, propre et sans bavure.

En conclusion, The Lord Knows n’est pas un album à superlatif, c’est une production plutôt cool et l’audition procure ce qu’il faut de plaisir. Tidal Wave malgré une jeunesse toute relative (Le premier album date de 2019) sert là une galette aboutie qui glissera sans peine entre deux autres de votre discothèque et qui prouve une fois de plus que lire la promo c’est bien, mais rien ne vaut un avis personnel grâce à de bonnes aécoutes répétées.

Liquid Earth – Teufelskreis

Passé en périphérie de notre radar, Liquid Earth est un groupe Viennois qui bien qu’ayant sept ans d’existence n’en est en 2022 qu’à sa deuxième galette, Teufelskreis est le nom de cette dernière. Traduisez par Cercle Vicieux. Est-ce donc là une annonce pour indiquer à l’auditeur que ce trio instrumental signe avec cette production un contrat pour une reconduction de l’effort chez Electric Fire Records dans un avenir proche ?

Polyvalence et voyage sont deux termes qui pourraient résumer la plaque car il s’en passe des choses y compris sur les sept minutes et quelques que durent “Katerfrühstück” et “Vollrausch”. On navigue entre My sleeping Karma et Karma to Burn et le groupe ne crache pas sur les joyeuses cavalcades guitaristiques.

Le Karma du trio se déroule entre un emballement de puissance et le repos de notes flottant dans l’éther. Il faut comprendre par-là que la structure des pistes (qui ne sont qu’au nombre de cinq et toujours écrites selon un même mantra) fait alterner la jovialité de notes fleurant le kraut pour, dès que l’occasion se présente, mieux décoller vers un univers de saturation et de lourdeur.  On trouve dans “Filmriss” ou “Katerfrühstück” l’identité du psychédélisme allemand de ces 15-20 dernières années. Puis sans prévenir “Brettwoman” vient glisser dans ce monde paisible un déchainement d’agressivité que l’on pourrait considérer comme salutaire, quatorze minutes au cours desquelles on n’est aucunement pris d’ennui et où l’on se laisse porter de variation en variation.

C’est dans ce dernier créneau qu’on trouvera la finesse de Liquid Earth, dans cette capacité à faire varier le propos au sein d’une même piste sans pour autant désarçonner l’auditeur ou lui laisser à minima une sensation d’artificialité. Cette sensation ne pointe même pas le bout de son nez lorsque “Katerfrühstück” (Encore elle !) et “Rosenofen” se répondent au travers de leurs thèmes orientalisants.

Liquid Earth n’a sans doute pas les armes des plus anciens mais en possède déjà bon nombre de qualités. Une écriture réfléchie, une agrégation maline de savoir-faire et une parfaite exécution du tout. Bien sûr on pourrait lui faire le reproche avec Teufelskreis de ne pas défendre autre chose que ce que d’autres ont déjà dit ou déplorer que cela ne soit pas là une plaque que l’on poussera sur la platine jusqu’à l’usure, mais faisons-nous l’économie de ces remontrances et admettons qu’il s’agit d’une belle œuvre que l’on espère effectivement être reconduite rapidement au travers d’une nouvelle pièce qui en appellera d’autres comme un plaisant cercle vicieux.

Stramonium – Elder Moon

Stramonium est un quartet nord-italien, qui sort son premier album chez Argonauta. C’est assez court pour vous comme intro ? Après quelques laborieuses recherches, c’est à peu peu près toutes les infos disponibles sur ce jeune groupe transalpin. Pas échaudés pour autant, on s’est plongés dans l’écoute attentive du disque, motivés par le “facteur Argonauta”, souvent vecteur de bonnes surprises et de découvertes emballantes.

Dès les premières mesures, et ce son de guitare tout en fuzz croustillante, on sait que l’on va prendre du plaisir. Alors que déboule “The Isolator”, la messe est dite : Stramonium colle un riff-étalon, l’enrobe d’un groove sympathique, et larde le tout de quelques soli impeccables, le tout accompagné d’un chant sans fioriture, un peu en retrait et enrobé de reverb. Après ça, il suffit de laisser dérouler : “Son of the Moon” propose un mid-tempo emmené par un bon riff, avant d’emballer la rythmique et préparer le terrain à un jouissif terrain de jeu pour soli. Le très lent “Misty Morning” emmène le groupe sur des sentiers doom, à l’image du très lourd “Red Witch”. Le meilleur morceau de la galette est probablement “Space Trail” : après une intro psyche-planante instrumentale de plus de trois minutes, le titre dérape dans un chemin de traverse mélant stoner et garage rock nerveux pour une conclusion orgasmique où se mèlent refrain intelligent et succession de soli. Les titres suivants viennent piocher dans ces diverses déclinaisons, avec réussite…

Malgré quelques imperfections ici ou là ou des titres un peu plus faibles, Elder Moon s’avère un disque emballant, montrant un groupe enthousiaste, plein de potentiel. Absolument pas original, le quartet milanais délivre exactement ce qu’on aime : un stoner rock inspiré, sans prise de tête, mais pas bas du front pour autant.

Oreyeon – Equations of the Useless

La scène Stoner au sens très large est maintenant peuplée d’innombrable groupes originaires de partout dans le monde et c’est devenu très difficile de sortir du lot même en y mettant tout son cœur. Il faut désormais vraiment poser une nouvelle pierre au temple du fuzz pour se faire remarquer. C’est sans doute pour cela que Oreyeon est surement passé à côté de votre envie de découverte depuis leur formation en 2014.

Le premier album, Builders of Cosmos (le groupe s’appelait alors Orion avant de changer pour Oreyeon) avait tout du premier album hyper enthousiasmant. Gros fuzz, gros son dans le genre Doom accessible mais sans trop de concessions quand même. La production était certes un peu limite avec un son quelque peu étouffé mais clairement pas de quoi gâcher le plaisir. C’est un album avec l’étiquette « on fait ce que tout le monde a déjà fait mais on y met tout notre cœur et ça vous plaira ». Le groupe signera même avec Heavy Psych Sounds, ils se font donc bien remarquer par la profession mais pas encore par le public.

Le groupe récidive trois ans plus tard avec Ode to Oblivion. Certes la prise de risque est réduite avec des plans classiques, des sonorités déjà entendues mais du travail encore une fois bien fait. On en redemande.

De nouveau trois ans après, le groupe sort donc Equations for the Useless. On reste sur le même format, six titres pour la quarantaine de minutes. Et à l’image des deux précédents opus, Oreyeon est un groupe qui ne sort pas des sentiers battus mais qui s’applique à nous offrir du classique à l’ancienne, bien travaillé et sans défaut. On pourrait s’attendre à une prise de risque plus importante pour un troisième format long mais ce n’est pas le cas. Donc si vous avez aimé les deux premiers, celui-ci s’ajoutera à votre collection sans dénoter. Le groupe prend bien son temps pour poser ses riffs, s’autorise quelques variations de rythmes et quelques parties instrumentales très bien construites. Bref, du travail sans surprise mais bien fait. Le chant est tout de même toujours légèrement en retrait à mon gout, ce qui est dommage.

Oreyeon est un groupe au potentiel encore à découvrir. Cela passera inévitablement par la volonté de sortir d’une zone de confort dans laquelle le groupe se plait et excelle. Le titre “Equations for the Useless” montre une très belle richesse d’écriture qui doit pousser le groupe à s’engouffrer dans le format 10 minutes par chanson et à multiplier les variations (“If” le fait très bien aussi).
Après soyons clair, cet album est qualitativement supérieur aux deux premiers, clairement. Mais je m’attendais à prendre une claque alors que je n’ai une qu’une tape dans le dos dans le genre « t’as vu mec, on connait nos classiques hein ? ça fuzz pas mal, t’en pense quoi ? »

Barabbas – La Mort Appelle tous les Vivants

Ils ont beau exister depuis plus de 15 ans, La Mort Appelle Tous Les Vivants est pourtant le premier album de Barabbas publié sur un label (Sleeping Church records, un choix d’esthète du metal underground, même si plutôt habitué aux penchants les plus extrêmes du genre), après un EP et un premier album discret, tous deux sortis en autoproduction. Le quintette parisien mène pourtant sa barque et tient le même cap musical depuis tout ce temps, emmené par une abnégation qui semble se nourrir de la dévotion pour un genre musical peu représenté dans le rock/metal dit « moderne » : le doom metal traditionnel, ce style jugé un peu suranné, qui ici rappellera en premier lieu Cathedral, Witchfinder General ou Saint Vitus. Solide (quasiment le même line up depuis quinze ans), toujours actif (le groupe est abonné aux premières parties captées ici ou là, en particulier en région parisienne), il est plus que temps que Barabbas se fasse plus (re)connu, et cet album pourrait être un pas significatif vers cet objectif.

Le style musical ne souffre d’aucune ambigüité, on ne reviendra pas dessus. La production, un peu hétérogène, semble parfois se chercher un peu, entre hommage sincère aux classiques old school et un son plus proche des productions récentes ; on en retiendra une mise en son globalement pas anachronique, qui ne sent pas la naphtaline, loin s’en faut. Cette crainte levée, reste à adresser « l’éléphant dans la salle », comme disent les ingliches : le chant en français. On entend déjà les esprits chagrins arguer que « le rock c’est en anglais », et on leur opposera volontiers une large part de cette galette, où le chant trouve sa place tout à fait naturellement – et mieux : où les thématiques choisies convoquent un champ lexical tout à fait compatible avec le style musical (on est loin des critiques énervées du climat social à la mode Trust, par exemple). Bref, malgré quelques moments un peu plus ésotériques (satanée barrière psychologique), à l’image de titres comme « Le Saint Riff Rédempteur » ou le refrain de « Le Cimetière des Rêves Brisés », le chant en français fonctionne, et Saint Rodolphe (chaque musicien est un “saint”…) emporte parfaitement la musique du groupe, avec un coffre qui force l’admiration et une voix puissante et rocailleuse à souhait. Validation sans ambigüité.

Le genre est honoré avec déférence, sans clichés ni gimmick trop facile, et le cahier des charges est bien respecté : thématiques détachées du réalisme contemporain (Barabbas développe un imaginaire basé sur une sorte d’évangile un peu décalée – même si certaines paroles peuvent avoir un écho plus concret…), du riff du riff du riff, des soli de guitare, de subtiles nappes de claviers pour l’ambiance… Le groupe nous embarque dans un parcours où se mêlent la fougue et l’envie de bien faire les choses. On y trouve sept vrais titres (hors intro/outro), bien denses (presque une heure au total), facettes complémentaires d’un portrait complet du groupe. Les compos sont efficaces (ça sent le goût du riff) malgré quelques longueurs ici ou là, et l’on passe un vrai bon moment à lever le poing rageur sur les refrains de “De la Viande” ou “Le Saint Riff Rédempteur”, avec même quelques vrais moments de grâce sur certains passages, remarquablement ciselés.

En fin de compte, La Mort Appelle Tous Les Vivants est probablement l’un des meilleurs disques du genre sortis ces derniers mois, et pas seulement en France. Bon, en vérité on ne s’engage pas trop, ce style de musique est vraiment très peu représenté dans le paysage musical aujourd’hui, reposant sur une poignée d’artistes esthètes épicuriens et surtout passionnés. Cette passion et cette intégrité, si jamais leur carrière ne suffisait pas à les démontrer, transpirent par chaque sillon de ce vinyl (formule subtilement ironique, pour un disque sorti pour le moment uniquement en digital et CD). Même s’il a le charme de l’imperfection, les riffs sont bons, la prod est solide, l’exécution est sans faille, l’ennui est inexistant… Peut-on décemment demander plus ?

 


 

Domadora – Renaissance

Quel bien étrange objet que ce Renaissance. Renaissance l’album, Renaissance la chanson, Renaissance le concept… ? Un disque, une seule plage musicale, et un jumelage audio-video, c’est ce que nous propose le quatuor français pour leur nouvel album.

Musicalement, la démarche est certes jusqu’au boutiste, mais procède néanmoins d’une certaine tendance logique : le groupe a commencé sa carrière par des albums assez « classiques » formellement (tout est relatif quand on parle de stoner-jam instrumental…), avec un certain nombre de chansons, mais ce nombre a réduit petit à petit, tandis que la longueur des plages musicales se rallongeait. Il n’est donc pas illogique de retrouver ici, comme un aboutissement naturel de cette démarche, une seule « chanson » sur leur dernière production. Qui plus est lorsque l’on sait que, comme d’habitude avec eux (et une petite poignée de groupes que l’on connaît), Domadora s’est contenté d’appuyer sur “REC” et a enquillé l’enregistrement en une seule prise, sans réfléchir, en impro. Toujours aussi ahurissant, mais on est habitué.

Ce qui est plus étonnant en revanche est cette imbrication audio-vidéo : celle-ci apparaît très vite comme structurante à l’écoute de la plage musicale seule, qui sonne décousue, déstructurée… C’est avec l’apport de la vidéo que l’ensemble trouve une existence cohérente, que le son et l’image se répondent, et que l’ensemble ne s’expose pas aux mêmes observations.

La musique seule propose une plage d’un peu plus de 40 minutes, qui prend son temps… vraiment ! En réalité, seules trois grandes séquences musicales très différentes émergent de Renaissance : après une intro bruitiste/drone et une lente montée en tension de plus de 8 min (!) une première salve très sombre déboule, montrant un visage assez dark de Domadora, sur une musique assimilable à une sorte de doom heavy bien plombé. Un peu plus loin, après une nouvel intermède musical déstructuré, on découvre le groupe sous un jour beaucoup plus frais et enjoué, avec un passage aux sonorités blues voire soul, pour une succession de plans transmettant une sensation plus solaire… Cette séquence en deux temps (avec toujours un intermède au milieu) s’achève pour préparer un troisième tiers plus noir encore, probablement la pièce maîtresse du disque : lancé par une intro lancinante aux échos post-doom (on pense à l’un des actes du Bongripper de The Great Barrier Reefer) il monte en tension avec une belle intensité, développant une ambiance pesante et sinistre à souhait. Structuré comme une séquence en deux volets (avec un passage calme au milieu), cette section fait bien le job de clôturer cette œuvre oppressante.

Une ombre au tableau : avec tous ces intermèdes et transitions sonores, ne restent de “vraie” musique que 23 minutes environ, à travers deux pièces très répétitives et sombres, et une autre un peu plus légère et mélodique. C’est là qu’intervient la valeur ajoutée de la vidéo : reposant sur des centaines d’extraits vidéos de toutes natures (bruts ou avec effets spéciaux), le groupe développe à travers leur apport visuel une large quantité de thèmes. Belles séquences oniriques (nature, nuages, planète, plans nocturnes de villes…), puissantes images guerrières, divers plans du quotidien ou sociétaux multi culturels (caricatures, vie citadine, hommes d’affaires, écoles…), images plus “implicantes” (visages aux regards pénétrants…), le tout est baigné par un fil rouge très Kubrickien (embryon / espace…). Ça dénonce un peu, ça montre, ça vise à faire réfléchir. L’enchevêtrement, voulu, provoque un sentiment de saturation, tout en restant mobilisé tout du long, du fait de l’effet quasi hypnotique obtenu. A ce titre, l’objet audio + vidéo fonctionne, effectivement : on avale cette succession de séquences, absorbé par le vortex musical, sans avoir le temps de vraiment réfléchir. On survole les préoccupations (apparentes) du groupe, on picore, certaines restent en mémoire, les autres défilent et cèdent leur place à de nouvelles idées…

En conclusion, on ne peut que louer cette initiative de Domadora : on n’est pas sur une idée gadget, le binôme audio + vidéo fonctionne. Pris séparément en revanche, on peut légitimement exprimer quelques réserves : la partie musique est intéressante mais un peu “légère” (quantitativement et en termes de variété), moins enthousiasmante que les productions précédentes du combo, plus orientée sur le développement d’ambiance sonore que de simili “chansons”. La vidéo apporte une vraie densité au concept global, mais reste dans une intention un peu diffuse, entre critique acerbe, beaux plans très esthétiques, séquences criptiques voire saugrenues… Bref, elle aussi trouve peu d’utilité sans son “miroir” sonore. On en vient à s’interroger sur le visage qu’on aime le plus chez Domadora : celui des jam rockers barrés mais efficaces, ou celui des esthètes créateurs “complets”, plus imparfaits, mais novateurs. Pas évident…

 


 

Echolot – Curatio

 

A l’instar de nombreux groupes, Echolot se plaît à mélanger doom et styles plus extrêmes. Après un premier album éponyme aux longs morceaux psychédéliques faisant la part belle aux jams et riffs tournant en boucle, les Suisses avaient déjà entamé leur mue sur un petit EP 3 pistes d’à peine 40 minutes affichant un son doom plus puissant mais toujours aussi lent. De retour avec leur second album Curatio, la question est de savoir si Echolot ne va pas trop loin dans le hors piste.

A la première écoute, on constate déjà que le groupe conserve son goût pour les longues pistes de 10 minutes. Les deux premiers titres de l’album sont de cette veine et font le lien avec leur précédent EP, continuant de proposer un doom puissant, et s’axant sur un mélange de mélodies sensibles mais souvent inquiétantes, et de montées vers des ambiances nous plongeant en pleine tempête. Ainsi “Burden of Sorrows” nous maintient dans un état de tension et de mal être avant de libérer toute sa noirceur sur un break d’une lenteur écrasante et un chant scream douloureux. A la première écoute très perturbant, ce choix de chant amène une émotion supplémentaire aux compos des Suisses et est distillé de manière à être toujours efficace. “Countess of Ice” amène un côté plus épique, sur son intro et son outro notamment, pour nous faire visualiser un ancien être disparu qui semble sortir de son sommeil.

C’est à partir de “Resilience of Floating Forms” que l’album bascule sur la frontière du post black metal (ou affilié, mais il y a bien le terme “post” dans les influences de cet album). Ce troisième titre vient se démarquer, par sa longueur plus courte déjà, mais surtout par sa subtile introduction à la guitare acoustique qui nous fait glisser petit à petit dans un univers encore plus sensible et mélancolique. “Wildfire” enfonce l’album dans la forêt du hors piste avec ce chant scream beaucoup plus présent et des blast au niveau de la batterie. Le titre et l’album finissent tout de même par mettre un peu de lumière avec cette basse qui se distingue enfin du mur de son et des boucles de synthé qui permettent de contraster avec le reste du morceau.

Vous l’avez compris… Echolot n’ira pas chercher avec Curatio dans le vocabulaire de la joie de vivre mais propose un très bel album, équilibré et maîtrisé techniquement par le trio. Le travail sur les passages mélodiques rend encore plus prenantes les envolées du groupe, et se ressent particulièrement sur “Burden of Sorrows”, “Resilience of Floating Forms” ou encore sur ce break de synthé très elderien (voir la transition sur le titre “Lore” d’Elder) sur “Countess of Ice” qui permet une aération salvatrice au morceau. Même si l’on ressort un poil déçu de ne pas retrouver la puissance groovy du premier album, Echolot réussit sa mue et arrive pile à temps pour nous proposer un album qui ira à merveille avec l’arrivée de l’hiver !

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