Early Moods – Early Moods

Ce jeune quintette complètement hors du temps nous vient de Los Angeles, où ils effectuèrent leurs premiers pas en 2015. Leur line up actuel se battit au bout de quelques années autour du guitariste Eddie Andrade et du chanteur (et claviériste) Alberto Alcaraz. Après quelques errements musicaux se rapprochant de tendances de metal plus “extrêmes”, les gars décident d’assumer leur folle passion pour le doom metal old school, et entament leur re-construction dans cette optique. Après un EP sympathique, ils sont repérés par Daniel de Riding Easy, qui tombe sous leur charme et nous propose leur premier LP.

Musicalement ce disque est absolument infectieux : une fois qu’on a mis une oreille dessus, difficile de s’en défaire. Pour autant, il est difficile de décrire cette (jouissive) tambouille, car les 9 plages vont aborder des dizaines de genres différents. Avec un peu de recul, on pense à du vieux doom US sauce Pentagram ou Witchfinder General côté européen, reposant parfois sur des rythmiques NWOBHM, le tout renforcé par des attaques de guitare que ne renieraient pas les meilleurs Judas Priest, un sens du riff tout sabbathien, des soli de guitare épiques… Le tout baigne dans une approche revival bas du front, qui oscille naïvement entre pur 1er degré intègre (passion, inspiration, influences, attitude, toussa toussa…) et 2nd degré distant (les mecs assument leur anachronisme), un peu à la sauce R.I.P. avant eux. Autant la démarche commerciale est questionnable (y’a un marché pour « ça » ?), autant musicalement, on ne peut qu’adhérer : on appuie sur « play », on écoute et on lâche prise… On est absorbés par les mid-tempo doom « Damnation » ou « Early Moods » (et son final en mode cavalcade rythmique), abasourdis à l’écoute du protéiforme « Broken », hypnothisés par le Pentagram-esque « Funeral Rites »… Et que dire des plus metal « Live to Suffer », « Curse of the Light » et consorts, qui, même s’ils s’éloignent de notre périmètre musical exigu, suscitent un headbang quasi irrépressible, option poing en l’air. Si un résumé du disque devait être proposé, il tient sur « Funeral Macabre », le dernier titre : intro doom lente sur base de riff gloomy à souhait, lancement heavy mid-tempo sur riff acéré, puis bascule exactement sur la seconde moitié vers une pièce groovy énervée, pour finir par un enchevêtrement de soli impeccables. Pfff, on souffle. Et on repart.

Bien servis par une prod sans clinquant mais parfaite (un peu rustre sur les bords, mode subtilement garage, mais bien ajustée – voir à cet effet le travail sur les lignes vocales adapté à chaque titre, le subtil croustillant sur les riffs de guitare…), ce disque hors du temps et décalé (ou bien « intemporel », finalement ?) a vite trouvé une place de choix dans notre discothèque, où il n’a pas le temps de prendre la poussière. Reste à voir, sur la distance, ce que deviendra ce groupe : blindé d’intentions et d’inspirations plus que recommandables, espérons qu’ils battront le fer tant qu’il est chaud, avec quelques tournées et un second disque pas trop tard, pour confirmer tout le bien que l’on pense d’eux.


 

Stones Of Babylon – Ishtar Gate

Jeune trio portugais, Stones of Babylon est un groupe méconnu et peu actif sur la scène live européenne, et donc peu en visibilité. Leur premier album (sur le même label lisboète) Hanging Gardens (Jadins Suspendus) avait fait une sortie discrète, et le groupe instrumental se positionnait déjà sur une démarche « historico-musicale », souhaitant incarner musicalement la grande période de la civilisation mésopotamienne (d’où le nom du groupe). Le trio (avec un nouveau guitariste) continue de creuser ce sillon avec son deuxième disque (Ishtar est la 8ème porte de la grande Babylone). Mais étant donné que votre serviteur s’est pris une tôle au BEPC en Histoire, on va se concentrer sur la musique…

Stones of Babylon rentabilise à fond son étiquette musicale de « stoner instrumental ». Derrière ce qualificatif un peu fourre-tout, on pense généralement à la fournée d’ersatz de Karma To Burn qui ont produit des albums sans chant, avec des réussites variées. Sans renier cet héritage, le groupe va étirer cette case musicale parfois un peu étriquée pour l’emmener sur des chemins stylistiques qui, s’ils relèvent tous d’une affiliation stoner, vont aller se frotter à des genres plus variés. Ainsi si « Gilgamesh » avance dans le sillage sus-mentionné (du gros riff à la Karma to Burn, de la rythmique qui laboure), « Annunaki » vient explorer des terres doom classiques (côté inspiration et son fuzzé de guitare on n’est pas très loin de Lori d’Acid King) tout comme « Pazuzu ». « The Gate of Ishtar » et « The Fall of Ur » jouent la carte d’un riffing massif mélé à des incartades de lead en son clair « à la My Sleeping Karma » (dans une certaine mesure). La carte mélodique est jouée à chaque fois, avec un effet assez remarquable – le talent d’écriture est là et nos gaillards s’y entendent pour proposer des riffs accrocheurs, des mélodies catchy et des leads envoutants. Le tout se termine par un épique « Tigris and Euphrates » qui traîne sur 10 minutes son alternance de gros riffs gras, leads aériens aux décharges de wah wah (copyright Mars Red Sky), et séquences d’accalmies.

Sans grande prétention affichée, Stones of Babylon propose avec ce Ishtar Gate une galette parfaitement enthousiasmante. Pouvant recueillir l’adhésion des doomeux comme des fans de stoner plus classiques, amateurs d’ambiances poisseuses, dark ou plus nerveuses, il propose une parfaite jonction entre plusieurs mondes musicaux pas si éloignés, qui cohabitent ici avec intelligence. Un très bon disque.

 


Odonata – Gravitational Perturbation

Débarqué un peu de nulle part (en tous les cas sans prévenir) Odonata est un trio français, implanté dans la région de Limoges qui sort son premier disque par une petite structure limougeotte, Les Disques du Tigre. Monté à l’origine par Fabienne Albiac, le groupe se construit trio avec l’adjonction d’un second guitariste (!) Steph Tej’, et d’une jeune batteuse, Betti Lou. Majoritairement féminin, issu d’un bassin culturel et musical ayant enfanté peu de groupes dans notre scène musicale de prédilection (clin d’œil quand même à 7 Weeks), ce disque attise forcément notre curiosité.

Le trio propose une musique très épurée, souvent aérienne (l’allusion à l’odonate, ordre animal des libellules, notamment ?), qui se décline très largement dans la répétition quasi-hypnotique. Les morceaux sont longs (5 chansons pour un peu plus de 35 minutes) et reposent sur un ou deux patterns musicaux structurants, souvent joués ad lib (au moins pour la part rythmique). Cette approche convoque rapidement un psychédélisme un peu mécanique mais rudement efficace, qu’on pourra assimiler à du kraut rock, tantôt énergique (« Son or Iron » et sa rythmique évoquant même parfois des sonorités world music sous des lead de guitare qui se substituent aux lignes de chant), tantôt plutôt sous tranxene (« Metamorphosis is the path »). Musicalement la volonté de recherche du groove est claire, incarnée plus qu’ailleurs dans « Oriental Memories », une belle pièce de rock psyche portant bien son nom.

Ce premier album propose une musique intéressante, efficace (on sent que les zicos ont de l’expérience, même si c’est dans des champs musicaux différents) et cohérente. L’intention musicale est claire et assumée, et le groupe évite le réflexe de la démonstration, qui aurait pu les faire ratisser trop large : en se concentrant sur cinq compos, solidement arquées sur des éléments mélodiques forts, le groupe déroule une champs musical que l’on sent propice aux jams et impros en live – un territoire où il nous tarde de voir le groupe évoluer.

 


DoctoR DooM – A Shadow Called Danger

 

En stase depuis 2015 avec A Shadow Called Danger signé chez Black Farm Records, c’est le retour sur scène de DoctoR DooM. Avec ce quartette français. Le titre doom semble usurpé, à ceci près que ça sonne coloré comme une couverture Marvel (Ironique au vu de la pochette quasi monochrome) et vient en quelque sorte s’opposer à l’Iron Man des prémonitions de Black Sab’. Si les deux appartiennent au même imaginaire, ils sont pourtant diamétralement opposés.  DoctoR DooM évolue dans les sphères du psyché polyvalent mais ne laisse jamais poindre une quelconque apathie ou idée noire. Adossé à un tel patronyme cet opus avec Kent Stump de Wo Fat aux manettes du mastering a de quoi rendre curieux d’aller jeter une oreille sur cette plaque du groupe de Pamiers.

Le premier morceau mémorable arrive tôt, “What They Are Trying to Sell” passe de la guillerette sautillance des guitares et du clavier à des voix canailles qui petit à petit deviennent inquiétantes au fur et à mesure que les instruments appuient l’intention.  Ce qui contraste avec l’enchaînement de la très calme et bluesy “Ride On” qui revenant aux penchants naturels de DoctoR DooM reprend du poil de la bête sur son outro. Poil auquel la formation s’accroche morceau après morceau, atteignant son point d’orgues sur “In This Town” dont le souffle épique ne semble vouloir s’éteindre d’un bout à l’autre du titre.  Du côté de “Hollow” aussi ça souffle fort avec son thème comme un “Hotel California” sous stéroïdes injectés intracardiaque par une pompe faite de rythmes.

DoctoR DooM multiplie les intentions heureuses. Tant du côté du chant qui jouit d’une palette généreuse que du côté du clavier qui simule de l’orgue sur “What They Are Trying to Sell” que des violons sur l’avant dernière piste “In This Town”, pour mieux, sans doute, annoncer le titre de clôture, instrumental et majestueux, reprise de la “Sarabande” de Haendel qui servit de thème entre autre à Barry Lyndon de Stanley Kubrick, la classe à la française.

De prime abord A Shadow Called Danger peut sembler décousu. L’ouvrage est néanmoins bien produit d’un bout à l’autre et probablement que ses reliefs marqués dans les compositions peuvent dérouter l’auditeur. Il convient de saluer la hardiesse des musiciens qui se sont lancés dans une œuvre aussi légère que méticuleuse. Pas étonnant que Ripple Music mette la main dessus, tout du moins pour ce qui est de presser le format CD dès janvier 2023.

Elder – Innate Passage

Les musiciens d’Elder sont décidément en grande forme depuis la pandémie de 2020. Après leur cinquième opus Omen, un album solo de Nick DiSalvo très introspectif sous le nom de Delving, puis la tant attendue collaboration avec Kadavar sous le nom d’Eldovar, les américains / berlinois d’adoption sont de retour avec leur sixième album Innate Passage ! Les derniers efforts du groupe assumant complètement le virage rock progressif amorcé dès Reflections of a Floating World, inutile de préciser que ce nouvel album vient explorer davantage cette voie (et pour les inconditionnels des débuts du groupe, il ne faut pas oublier que ce virage pouvait déjà se sentir sur des morceaux comme “Ghost Head” ou “Dead Roots Stirring” !)

Si certains aspects d’Omen avait pu me laisser sur ma faim, je dois avouer être tombé complètement sous le charme de ce Innate Passage qui se caractérise dès la première écoute par une maîtrise musicale totale du quatuor et une certaine générosité. Le titre “Endless Return”, exposé il y a quelques semaines, résume parfaitement ce sentiment en multipliant les riffs accrocheurs et entêtants mais aussi en proposant une palette de mélodies variées qui s’enchaînent à la perfection grâce à des transitions naturelles et efficaces. On ne sait où donner de la tête et chaque écoute attire l’oreille sur un élément différent, notamment ces quelques chœurs du chanteur de Samayavo (groupe berlinois, encore !) que l’on retrouve aussi sur “Catastasis”. Ce foisonnement de riffs, mélodies et autres ambiances au clavier ne s’arrête pas à ce simple titre et vient faire la force de titres comme “Catastasis” ou “Merged in Dreams – Ne plus Ultra”. Les solo de guitare sont eux aussi tous plus beaux les uns que les autres et semble pouvoir surgir derrière n’importe quel riff. Le tout porté par un son puissant et chaud où chaque instrument ressort parfaitement. On ressent même un traitement particulier sur la basse qui n’a jamais été aussi présente sur un album d’Elder et qui brille particulièrement par son groove sur “Coalescence” ou sur les murs sonores que sont l’introduction de “Catastasis” et l’outro “Ne plus Ultra”. Cette maîtrise est perceptible aussi sur le chant de Nick qui retrouve une certaine simplicité et qui se place à la perfection sur les différents morceaux de l’album.

Innate Passage propose aussi des passages plus contemplatifs, faisant écho aux expériences Eldovar ou Delving, sur lesquels le groupe prend le temps de développer son univers. La bulle psychédélique qu’est “The Purpose” nous absorbe jusqu’au silence final provoquant l’envie immédiate de relancer l’album alors que “Coalescence” brille par son duo basse / chant ainsi que par la batterie qui fait office de véritable mur porteur sur l’ensemble de l’album. On n’oubliera pas les claviers qui continuent d’aérer les compositions du groupe mais qui viennent aussi se mettre au premier plan avec brio, notamment sur l’outro “Ne plus Ultra” ou sur les morceaux plus rythmés que sont “Catastasis” et “Endless Return”.

Peu de reproches sont à faire sur ce sixième album… Elder semble contrôler à la perfection sa recette rock progressif et continue de la faire évoluer en s’appuyant sur ses anciennes sorties sans rentrer dans l’auto-plagiat. Malgré ces 5 morceaux, Innate Passage frôle l’heure (de bonheur) avec une impression que le voyage aura durée moitié moins de temps. Reste à voir comment le groupe fera rentrer ces nouveautés en concert… Les choix de la setlist vont devenir de plus en plus cornéliens, ou alors il va falloir rajouter trente minutes de show… ce qui ne déplaira à personne !

 

Warlung – Vultures Paradise

Les Texans de Warlung affutent leurs armes depuis 2016, ce quartette signé depuis désormais deux albums chez Heavy Psych Sounds Records joue la carte du Hard rock doomy et explore diverses facettes du psychédélisme. Ils ont sorti cette année leur quatrième production, Vultures Paradise qui promet si l’on en croit les précédents opus d’être un bon cru.

Difficile jeu d’équilibriste que de s’essayer au doom old school. Risqué de ne pas sombrer dans le cliché du heavy grandiloquent où sonnent les soli luisants de sueur aux touffes de cheveux permanente. Néanmoins Warlung en s’aventurant dans ces contrées évite systématiquement le faux pas comme le prouvent “Hypatia” ou encore “Return of The Warlords”.

La maîtrise est là, les instrumentistes s’ajustent entre eux sans provoquer l’ombre d’un sourire narquois chez l’auditeur. Vultures Paradise c’est 43 minutes d’un objet musical soigné qui convoque l’épique sans lui laisser toute la place et le mélodique sans jamais oublier de le saturer sans excès comme lors du dernier tiers de “Sky Burial” ou de “Grave Marauder”.

A certains moment le doute pourrait étreindre celui qui s’arrête sur les compositions de Warlung, sommes-nous encore réellement dans le domaine du doom, est ce qu’ils ont bien leur place ici ? A ceux-là je répondrais qu’il faut aller fouiller dans “Cavemen Blues” tant la piste sent la poussière des portes du désert ou de chercher dans “Worship The Void” les passages les plus psyché qui s’ajustent autour de ceux les plus agressifs pour se convaincre que les américains sont pleinement légitimes.

Une fois de plus Heavy Psych Sounds Records ne s’y était pas trompé en signant Warlung en 2019, le label porte en son sein un de ces groupes au savoir-faire certain qui sait se risquer sur des chemins semés d’embûches sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. Vultures Paradise fera le bonheur des amateurs de proto metal 70’s comme des gourmands de la vague hard rock du début des années 80 sans pour autant bouder le plaisir les aficionados de la culture stoner rock. Une plaque complète qu’il convient d’aborder ne serait-ce que pour culture.

Gaupa – Myriad

Après un seul LP et une paire de EPs, Gaupa se retrouve signé sur le prestigieux label Nuclear Blast (Earthless, Graveyard, Hangman’s Chair, Blues Pills, COC, Green Lung, Khemmis, Lucifer, Orchid, Pallbearer… oui, rien que ça). On peut le critiquer autant que l’on veut, le label a le nez fin dès lors qu’il s’agit de trouver des groupes à potentiel, en développement (la moitié des groupes de la liste ci-dessus, en gros), et il a donc jugé que ce que notre petit public de niche apprécie depuis plusieurs années chez les suédois était de nature à plaire à un plus large public. Alors, bonne pioche pour Nuclear ?

A l’écoute de ce premier album, déjà on peut dire qu’il n’y a pas mensonge sur la marchandise et que Gaupa fait du Gaupa : à savoir un heavy rock bien construit, pas si “retro” que ça (ceux qui classent directement le groupe dans l’aéropage “retro rock” en droite ligne des 70’s font quand même un raccourci un peu facile), très mélodique, sur lequel vient se greffer le chant incroyable de Emma Näslund. La vocaliste délivre encore une fois une prestation vocale qui transcende la musique du quintette : piochant dans un registre atypique (pour notre style musical de prédilection), quelque chose entre Bjork (beaucoup) et un peu de Stefanie Mannaerts (de Brutus), Näslund est le point d’attraction majeur de chaque plage. Est-ce à dire que les quatre instrumentistes font de la figuration ? Evidemment non, et la production, impeccable, même si elle met évidemment le chant en avant, sert efficacement la valorisation de tous les instruments.

Côté style, on est donc dans quelque chose de sympathique, pas fondamentalement original, mais pas non plus trop balisé. Le juge de paix c’est donc les compos, et là, on est globalement aussi dans du positif. On note en effet du très bon (l’efficace “Exoskeleton” et son très gros riff en ouverture, le mid-tempo “Moloken” et son break puissant qui balance un blast beat venu de nulle part, le lancinant “Ra”…) mais aussi du plus dispensable (même si bien fichu et accrocheur, “Elden” ennuie un peu sur la longueur, “My sister is a very angry man” semble n’aller nulle part…). Il en va de même du final sur “Mammon”, un beau bébé de plus de sept minutes qui souffle le chaud et le froid…

Globalement, on est quand même sur une belle pièce, un disque efficace et riche, qui montre un visage mature de Gaupa. Myriad a le potentiel, par le truchement de la signature sur une “petite major”, de leur permettre de se faire connaître au plus grand nombre, ce qui serait mérité, au vu de leur parcours mais aussi du disque lui-même. Et même si cela ne se réalisait pas, au moins l’ami Jo Riou, heureux homme qui signe encore une fois leur artwork, pourra prendre des bains de billets, vu ce que doit rapporter une pochette d’album chez Nuclear Blast !

 


Marc Urselli’s SteppenDoom – SteppenDoom

Depuis plusieurs mois la hype se développe autour de ce projet de Marc Urselli, annoncé comme construit autour de guests qui nous ont donné l’eau à la bouche : Matt Pike, Steve Von Till, Wino, Lori S., Dave Chandler… N’en jetez plus ! Pas vraiment un activiste de la cause doom/stoner, Marc Urselli est plutôt connu comme un technicien d’enregistrement réputé que comme musicien. Par ailleurs son champs d’action est plus orienté sur les musiques “de niche” (pour des objectifs de marketing son nom est souvent associé à des artistes comme U2, Elton John, Foo Fighters, Luther Vandross, Jeff Beck… mais au delà de quelques chansons enregistrées avec ce type d’artistes, il se consacre plutôt à des albums de musiciens jazz, avant-gardistes, expérimentaux, folk…) et on ne l’avait pas vraiment entendu exprimer son intérêt pour les musiciens de la sphère doom / rock / metal…

SteppenDoom, donc, que l’on traduira volontiers par “Doom des steppes”, est issu d’un concept aussi saugrenu que (pourquoi pas) intéressant, visant à méler les univers musicaux de musiciens de doom metal avec ceux de chanteurs indigènes spécialisés dans le “chant de gorge” traditionnel. Cette technique très particulière est particulièrement répandue dans les territoires nordiques de l’Asie ou de l’Amérique, par les Inuits par exemple, les mongoles, etc… Les esthètes du doom ne sont probablement pas étrangers à cette technique de chant, déjà pratiquée sous sa forme diphonique par Gentry Densley de Eagle Twin, par exemple. Bref, le concept est là, mûr et affirmé, reste à en apprécier la réalisation et l’intérêt musical.

En tant que disque, SteppenDoom défriche donc un territoire musical absolument vierge (chez Eagle Twin, le chant diphonique est occasionnel, au service d’un album de doom metal, donc pas la même intention qu’ici). Musicalement, l’objet est difficile à décrire, a fortiori car chaque titre est très différent l’un de l’autre. On passe de morceaux effectivement plutôt doom (“Garuda Khuresh”) à des titres de pure émanation ethnique (“A-dkar Theg Pa”) en passant par toutes les strates de plans expérimentaux noise/bruitistes et de drone. Les différentes nuances de chant apportent un surplus de relief à chaque titre, allant du traditionnel diphonique jusqu’aux divagations gutturales les plus glauques (plus souvent qu’à son tour on pensera à certains titres de Sunn-o))) interprétés par Attila Csihar).

Même si Urselli, multi-instrumentiste, assure la base musicale commune de tous les titres, c’est bien sur ses guests prestigieux que la rumeur autour du disque s’est développée. Dans les faits, les contributions sont très hétérogènes, mais ont pour point commun de rarement apporter ce que l’on aurait pu de prime abord imaginer (espérer ?). Matt Pike vient apporter quelques lignes de guitare au milieu de ce concours de dissonances mélées d’open chords graveleux en fond de “Etuken Eke & Od Ana”. Pas de quoi émoustiller quand même les groupies les plus fanatiques. Autre contribution très attendue, le riffing de Lori S. d’Acid King sur “Sedna and Eliduc” ne trahit pas trop son origine, avec un son de guitare qui ne rappelle pas vraiment le trio doom de la bay area. Aaron Aedy (Paradise Lost) apporte lui quelques leads et riffs un peu plus construits sur “Garuda Khuresh”, tandis que Johannes Persson (Cult of Luna) de manière assez prévisible contribue à l’ambiance lente et poisseuse de “Agloolik Igaluk” avec notamment son riff joué quasi ad lib pendant plusieurs minutes. La contribution de Steve Von Till (Neurosis) est plus surprenante, sur “Tamag and Ocmah”, un titre très lent et à la rythmique répétée à outrance, qui ne dénoterait pas dans la discographie de Earth. Quant aux contributions de Wino et de Dave Chandler (Saint Vitus), elles sont d’ordre plus “bruitistes” que réellement musicales, et viennent se noyer dans ce “A-dkar Theg Pa” de 33 minutes (!!), une plage sans relief qui vient étirer son ambiance ethno-contemplative en déroulant quasiment la même séquence sonore, seulement perturbée parfois par une lointaine ligne de feedback de guitare, de voix distantes, de percussions saugrenues… A noter que ce dernier titre ainsi que “Sedna and Eliduc” (avec Lori d’Acid King) ne figurent pas sur le vinyl, mais seulement dans l’édition collector (50 eur en CD, 100 eur en vinyl…).

C’est à l’aune de son objectif que l’on doit évaluer le projet SteppenDoom. Le discours promotionnel autour du disque met en avant la dissonance culturelle et les origines antagonistes entre ces musiques traditionnelles et le metal… nous n’irons pas sur ce terrain là, un peu “capillo tracté”. Si l’objectif est de faire découvrir le chant de gorge à travers certains de ses plus emblématiques interprètes dans le monde, l’objectif est atteint : rendre accessible à un public plus large cette technique musicale si particulière (et adaptée à tant d’ambiances et de contextes) est louable et intéressant. Si votre objectif est d’écouter un bon disque de doom, doté de riffs lourds et gras, vous ne trouverez pas vraiment votre bonheur dans ce disque. Si en revanche vous n’êtes pas hermétique à l’expérimentation musicale tendance “bruitiste”, que l’avant-garde musicale poussée dans ses retranchements vous intéresse, au détriment de la simple musicalité parfois, ce disque pourrait vous plaire.

 


Witchfinder – Forgotten Mansion

 

Witchfinder c’est un peu le Electric Wizzard à nous autres français, ils ont fait école dans la lenteur la plus crasse et la lourdeur la plus poisseuse avec toujours une touche de chant pour mettre le tout en lévitation leurs compos. La séduction effectuée par le trio porte ses fruits en 2019 avec Hazy Rites et la hype autour de ce groupe ne cesse de grandir depuis. Pour son nouveau cru, la formation de Clermont-Ferrand s’adjoint les services d’un clavier qui vient ponctuellement garnir les pistes de ce nouvel opus, Forgotten Mansion signé (Gage de qualité made in France) chez Mrs Red Sound.

Au global l’écoute de la plaque s’avère plutôt agréable, on ne navigue certes pas hors des eaux territoriales d’un doom sludge bien poncé par les générations précédentes mais les riffs font mouche et la voix plaintive de Clément donne toujours un souffle de fraîcheur aux composition du guitariste Stan et du batteur Tom, pourtant collantes comme la glaise aux bottes du promeneur égaré aux dernières heures du jour.

Le sentiment que le thème de “Marijuana” demanderait un peu plus de papier de verre sur la voix, pour que cela sonne crasse et sludge comme un Bongzilla ne tient qu’à la première écoute car lors de la reprise de ce thème en fin de titre, les voix en chœur quittent l’éther pour devenir braillarde et enfoncer les pieds de l’auditeur dans la boue et alors les riffs martelés finissent de le clouer dans le sol pour mieux permettre au chant de limer les oreilles avec ce sludge tant attendu. A croire que les gonzes avaient prévu leur coup et savent ménager l’auditeur en lui donnant à point nommé ce qu’il attend.  “Lucid Forest”, axe central de la plaque rejoue l’entourloupe  des précédentes plaques et ne quitte pas ce qui avait fait l’atout du groupe jusqu’alors, lancinance du chant sur fond de grattes aussi détendue qu’après un spliff de 30cm.

C’est dans cette même piste, “Lucid Forest” que la nouvelle touche clavier vient apporter un rien d’horrifique que l’on ne peut qu’adouber tant il vient renforcer l’esprit du groupe sans s’imposer comme un phénomène de foire qu’il faudrait absolument promouvoir. Kevyn trouve donc sa place naturellement et ajoute au désormais quartette un souffle de mise en scène tout en pondération particulièrement palpable sur “Ghost Happen To Fade” et ne dénaturant pas “The Old Days” alors qu’il aurait été si facile de faire glisser cette dernière piste vers le mielleux ou le lourdingue.

Je n’ai jamais été des premiers fans du groupe, écoutant Witchfinder de loin en loin j’ai toujours trouvé leur doom agréable et entrant dans les catégories de ce que j’aime le plus dans ce style précis. Forgotten Mansion ne fera toujours pas de moi leur groupie, cependant j’admets qu’il y a avec cet album un nouveau palier de franchi et qui les rapproche quand même un peu plus de mon centre d’intérêt profond. D’un point de vue plus générique, il est à parier que les habitués du groupe trouveront à se réjouir de l’œuvre et fonceront pour acquérir l’objet sous quelque forme que ce soit pour enfin le dévorer à répétition car il semble difficilement altérable.

Candlemass – Sweet Evil Sun

L’histoire de Candlemass s’est chapitrée au rythme des péripéties de leurs chanteurs. Entre périodes fastes et grandes instabilités, la carrière des suédois est telle que l’on trouve aujourd’hui autant d’adorateurs de Messiah Marcolin que de fanatiques de Rob Lowe et tous ou presque s’accordent à dire le plus grand bien de Johan Längquist, chanteur de session ayant donné sa coloration épique au premier album du groupe, Epicus Doomicus Metallicus, en 1986. Son retour pour The Door To Doom (2019) s’étant fait dans les conditions particulières d’un départ précipité de Mats Levén, il n’a de nouveau pas pu laisser une réelle empreinte sur des titres qui étaient déjà tous enregistrés et c’est en cela que Sweet Evil Sun, le 13ème album de Candlemass se révèle unique. Le timbre de Längquist marque immédiatement (existe-t-il encore beaucoup de vocalistes de sa génération à ce niveau ?) mais ce sont les thématiques des chansons qui interpellent. Le champ lexical du doom est ici mis au service des inquiétudes de notre temps : « Sweet Evil Sun » et son texte aux relents amers, dans lequel on peut presque projeter quelques questionnements climatiques, donnent le ton à un album par ailleurs dans la droite lignée de ce que Candlemass a toujours produit. Si quelques invités apportent un peu de profondeur (Jennie-Ann Smith d’Avatarium sur « When Death Sighs », le réalisateur Kenneth Anger sur « Angel Battle »), rien ici ne sort pourtant du cahier des charges que Candlemass a défini il y a bientôt 40 ans : le riff de « When Death Sighs » invoque immédiatement Black Sabbath, « Wizard of the Vortex » s’installe confortablement dans la lignée de ce que fait Candlemass depuis toujours et le rampant « Goddess » amène aussi son lot de lourdeur.

Ce nouvel album de Candlemass aurait pu être un simple album de plus, un bel ouvrage d’un groupe admirable mais en fin de carrière s’il ne renfermait pas en son sein un banger comme peu en ont proposé cette année. Car au final c’est le surprenant « Scandinavian Gods », avec sa batterie portant le morceau, son riff de mammouth et son refrain immédiatement adopté, qui reste en tête et devrait, espérons-le, intégrer les setlists du groupe. Cocasse lorsque l’on sait que ce mid-tempo aux allures d’hymne à chanter le poing levé, est un morceau que le groupe a rajouté à la dernière minute. Comme « Solitude » en 86, comme « Paranoid », comme « Smoke Of The Water », n’est-ce pas là l’histoire du heavy metal finalement ?

 

Point vinyle :

Alors que les prix des vinyles s’envolent, Napalm Records garde les pieds sur terre et propose pour Candlemass une box (triple vinyle, livre, démo de « Scandinavian Gods », patchs et autres goodies) pour 70 euros, une édition jaune comme un soleil diabolique à 29 euros et une noire, simple, pour 23 euros. Le choix est donc avant tout une question de prix. 

 


Half Gramme of Soma – Slip Through The Cracks

 

Half Gramme of Soma (HGOS) est de ces trop nombreux groupes à avoir produit un stoner énergique et bien tourné au travers desquels nous sommes passés ces dernières années. En effet, le quintette peut s’enorgueillir d’avoir sorti son quatrième album et de gagner en visibilité grâce à une signature chez Sound of Liberation.  Passons donc à l’écoute de Slip Through The Cracks, nouvel album des athéniens de HGOS.

Un album qui ne manque pas de convictions. Il est toujours presque trop tentant de rapprocher les groupes de la scène grecque entre eux et bien que voulant totalement évacuer ce poncif il est impossible de ne pas trouver une filiation sur “Voyager” ou “High Heels” avec 1000mods notamment dans le chant qui pousse ses phrases et vagues rauques successives et le délié des grattes. Au fond rien d’étonnant lorsque l’on connaît la proximité des deux groupes et la participation flash de John de 1000Mods au précédent album de HGOS.  Pour autant c’est un fait insuffisant pour parler de Slip Through The Cracks qui ne renie pas l’approche classique stoner des précédentes plaques comme le prouve le titre “Wounds”.

En première intention tous les titres ne font pas l’unanimité, “Magnetar” débute sous forme de balade prenant le risque de perdre l’auditeur avec cette introduction un peu molle mais au fil des écoutes on s’attarde plus volontiers sur les ronflements d’une basse classieuse, soutenue par des gémissement guitaristiques qui n’ont franchement rien de désagréable. Si l’expérience est renouvelée sur le pont de “Mind Game”, les titres de Slip Through The Cracks sont assez remarquables d’équilibre dans leur ensemble et aucun des musiciens ne vient tirer la couverture à lui, y compris lorsque l’esprit du groupe divague vers les planantes sonorités orientales de “Sirens” qui une fois de plus devront passer le cap des écoutes successives pour finir par n’être considérées que comme anecdotiques et insuffisantes pour blâmer tout l’album.

Half Gramme of Soma change passablement de cap avec cette nouvelle production. Slip Through The Cracks reprend le stoner brut de ses précédents albums pour le polir avec des outils consensuels et le transformer en un objet inscrit dans son époque et son aire d’influence. Si l’on n’obtient pas un monument d’originalité au final il serait quand même dommage de passer à côté de ce boulot maîtrisé et joliment fait.

 

Dune Sea – Orbital Distortion

Si l’on devait identifier des bassins géographiques plus propices que d’autres à chaque genre musical, la Norvège ne serait probablement pas le premier pays qui viendrait à l’esprit concernant le stoner tendance psyche. C’est pourtant le terrain d’opérations de Dune Sea, jeune trio qui nous propose avec ce Orbital Distortion son déjà troisième album, toujours chez les discrets mais valeureux All Good Clean Records.

Inutile de vous embarquer dans des circonvolutions ampoulées ou un développement de chronique laborieux et finalement un peu stérile, on va plutôt faire direct : ce disque est probablement l’une des galettes de stoner psych les plus enthousiasmantes de ces derniers mois. Rien que ça. Et pourtant, on en voit passer un certain nombre… Dune Sea propose 8 plages fort bien troussées, mélodiquement abouties, d’une musique proposant les caractéristiques principales du psych rock (rythmiques à tendance hypnotique, envolées propices aux jams,…) mélées à un stoner rock d’école (du riff, de la saturation, du groove). L’alchimie est bonne, l’hybridation réussie. Un peu le meilleur des deux mondes. Le trio se distingue surtout par la profusion d’idées qui parsèment sa galette : sans être toutes ébouriffantes d’originalité, elles apportent toutes quelque chose d’intéressant à l’édifice – mais surtout, elles apportent ce petit facteur “X” qui fait que l’auditeur, encore et encore, réécoute ce disque sans jamais se lasser.

Avec en plus une qualité d’écriture remarquable, chaque titre trouve sa place, proposant chacun des moments forts, marquants. On pense au refrain aérien (littéralement) de “Astro Chimp” (porté par un chant en choeur bien vu), le riff (re)bondissant de “Hubro” et sa lumineuse conclusion au violoncelle (!), la rythmique presque kraut euphorisante de “Euphorialis” (si efficace qu’ils la ramassent sur trois minutes seulement pour ne pas la diluer), le couplet à la rythmique hallucinante (mix de disco et de musique circassienne…??!) de “Draugen” immédiatement rattrapé par un gros refrain tout en saturation… n’en jetez plus, on ne sait plus où donner de la tête ! Autre point d’orgue du disque, le prodigieux “Gargantua” vient déployer sa rythmique stoner fuzzée pour aboutir, après quelques errements variés, à un final extatique. Le trio de chansons final est un peu en deça, avec des titres un peu plus dispensables (sans être ratés).

Orbital Distortion est un album réussi et rafraîchissant. Efficace et audacieux à la fois (ces caractéristiques font trop rarement bon ménage) il devrait contenter tous les amateurs d’un psych rock pêchu et diversifié. Par ailleurs, il confirme un constat qui se renforce un peu plus mois après mois : la Norvège n’est peut-être pas le pays le plus productif en termes de nombre de groupes, mais qualitativement, on est très souvent dans le haut du panier…

Bow to Your Masters – Vol. 3 : Judas Priest

Bow Down To Your Masters est une série de live tribute par le label U.S. Glory Or Death Records, dirigé par Tyler Dingvell – par ailleurs chanteur de The Great Electric Quest – visant à rendre hommage aux cadors du heavy metal. Excellente idée s’il en est, le premier volume rendait grâce à Thin Lizzy en 2018 et permettait d’entendre Goya, Mos Generator, Duel, Wo Fat ou Egypt s’essayer sur « Jailbreak » ou « It’s Only Money ». Le second, paru en en 2021, pliait le genou devant Deep Purple et déjà les gros noms s’étaient évaporé au profit de groupes bien plus modestes, laissant Steak, High Reeper ou Red Wizard tenir le pavé. Seul Yob et Mos Generator surnagent dans le marasme stoner/doom, certes sympathique, mais loin d’être inoubliable, de ce second volume.

Alors qu’attendre de la troisième génuflexion, consacrée, elle, aux dieux metal absolus que sont Judas Priest ? S’il est évident que 99,9% des groupes de stoner connaissent et révèrent le groupe, déceler du Judas dans leur musique est souvent de l’ordre de l’infinie particule métallique, noyée dans un fort alliage de fuzz et de THC. Je rajoute à ceci qu’en matière de noms marquants, ce troisième volume relève pour le coup de la désertion absolue, façon grande débâcle de 1940. Derrière The Great Electric Quest, formation témoin, sympathique même si méconnue, et Mos Generator, toujours au rendez-vous, c’est la hess, comme on dit chez les jeunes. Quelques noms tout de même, Kyle Shutt de The Sword en one man band, Rob Dukes, ex-Exodus ou Ron Lipnicki, qui fût batteur chez Overkill. Pas exactement de la « A » list vous en conviendrez.

Mais qu’importe le flacon tant qu’on a l’ivresse, comme disent les amateurs de biture ; quel dommage cependant de n’avoir ici qu’une vieille sensation de gueule de bois. 16 titres des Metal Gods repris souvent façon répét’, avec quelques moments moins scandaleux que les autres : Ruby The Hatchett sur la ballade “Dreamer Deceiver” de Sad Wings Of Destiny, même si le guitariste aurait pu faire une prise supplémentaire, ça n’aurait pas été du luxe, “Ram It Down” de Monarch (aucun lien, fils unique), une transposition interessante de « Metal Gods » portée par la voix de Rob Dukes, et pour finir le groove lascif de Salem’s Bend sur « Killing Machine », avec bruit de perceuse en prime, de loin la meilleure relecture de l’album. Mais en dehors de ces quelques sursauts, l’ensemble se révèle, franchement, mais alors franchement anecdotique. Et le terme anecdotique a ici valeur d’atténuation pour le qualificatif craignos.

En même temps, soyons honnête, la démarche, aussi louable soit-elle était vouée à l’échec. Judas Priest a un chanteur de classe internationale (« je ne crois pas qu’un hétérosexuel puisse faire ce que je fais dans Priest” s’amuse Halford, histoire d’assoir un peu plus sa légende), une paire de bretteurs comme personne avant ni depuis et une musique qui – contrairement à celle des Dieux Sabbath – n’appelle pas vraiment à la relecture. La différence entre une matrice et un aboutissement, finalement.

On s’incline devant Judas oui, mais en silence, avec déférence.

 

Point vinyle

Il existe quasiment autant de pressages que d’Octaves dans la voix d’Halford, soit 5, plus un test press. Vous pouvez tous les avoir dans un Bundle 10 vinyles (deux de chaque parce que pourquoi pas) ou à l’unité sur le bandcamp du label. Tout ça vient des Etats Unis, va vous coûter un bras et ne verra jamais le diamant de votre platine, mais la passion ça ne s’achète pas. Et pour le reste il y a Paypal.

 


The Grand Mal – II

Le trop discret premier album des anglais de The Grand Mal nous avait pour le moins pris par surprise, étonnés que nous fumes de trouver un disque de stoner aussi groovy émanant des mornes plaines anglaises, sur un terrain de jeu qui n’est pas vraiment leur point fort habituellement (ce type de stoner étant généralement plutôt incarné par les combos scandinaves pour l’Europe, ou de la côte Ouest pour les USA). Le groupe composé de membres des énervés Desert Storm et des méconnus psych rockers Möther Cörona nous avait surpris d’une part par cette orientation musicale et d’autre part pour la qualité de ses compos et du disque en général. Peu (pas ?) actif en live au-delà de la perfide Albion, on ne donnait pas cher de la peau de ce projet sympathique, qu’on ne voyait pas durer dans le temps. Erreur d’appréciation de notre part, ils nous reviennent donc encore une fois sans crier gare, avec un second album qui semble s’inscrire dans la continuité (exactement le même artwork aux couleurs inversées, un titre d’album très original probablement proposé par un gros cabinet conseil en marketing…). A confirmer après quelques écoutes.

Ce qui se confirme assez vite, c’est la qualité globale de la galette : l’ironiquement titré « Petit Mal » vient apporter d’entrée de jeu une belle démonstration de l’envie de nos gaillards, avec un petit riff incisif, emmené par une rythmique à toute berzingue, mode uppercut sur à peine plus de deux minutes. Même approche pour « I Live for Today » un peu plus loin, nerveuse caresse option groovy, ramassée sur moins de trois minutes. Plus loin, une poignée de mid-tempo heavy/groovy (« Shallow », “Smash the Grave”…) viennent prêcher la parole du saint fat riff, complétés par d’autres petites perles toutes délicieusement catchy : le mid-tempo solide “Rule My Soul”, l’agressif “Hellbound Blues”, “Seas of Glory”…

Petite réserve : quelques petits intermèdes instrumentaux viennent aussi agrémenter cette galette, certes sans trop perturber le propos général, mais mis bout à bout, ils représentant quand même plus de 7 minutes de musique, ce qui, pour un album de 36 minutes en tout, est un peu too much (et encore, on n’inclura pas dans ce comptage « Blue Moon », gentille bluette électro-acoustique inoffensive qui vient posément conclure le disque).

Bref, The Grand Mal nous propose pour sa seconde production un petit album-plaisir, une œuvre utile d’artisans musiciens épicuriens, promoteurs d’un stoner rock séduisant et attachant. Sans prétention autre que de faire hocher la tête et taper du pied, ils proposent encore une fois avec ce second album une palette de morceaux variés mais fondamentalement cohérents. Ils tracent ainsi une voie musicale qui commence à ressembler à une véritable identité de groupe, s’affirmant entre références musicales assumées et choix musicaux intègres. Un vrai bon petit album, qui n’a aucune autre prétention et atteint donc pleinement son objectif : notre plaisir auditif.

 


 

Brant Bjork – Bougainvillea Suite

Le projet Stöner perdure mais cela n’empêche pas Brant Bjork de nous livrer un nouvel album solo. J’ai bien dit solo et pas avec son groupe. Comprenez ici que Mr Cool comme pour ses débuts prend les commandes totales et enregistre (sauf exception) tous les instruments.
Trip on the Wine ouvre le bal. Riff basique, répété à l’excès, le titre sans être mauvais n’est pas de plus engageant. C’est bien trop simpliste. Un titre qui aurait sans aucun doute été recalé s’il avait été enregistré pour l’un des deux premiers albums du californien. Ce morceau ne restera pas gravé dans nos mémoires et ce n’est pas le solo discret aux deux tiers du morceau qui viendra relever l’ensemble. Difficile de boire ce verre de vin jusqu’à la fin.
Plus de 70 fois. C’est le nombre de répétitions du riff de 5 notes (variations incluses) qui reviennent dans le titre Good Bones. C’est trop, clairement trop. On a souvent reproché à Brant Bjork de tirer sur la corde lorsqu’il trouve une idée de riff mais là c’est bien trop flagrant. Ce titre, vous l’écoutez une fois et n’avez plus envie d’y revenir. Sans compter le deuxième riff, plus présent sur la fin du morceau qui est aussi hyper présent. Bref, un morceau qui sent bon l’ostéoporose.
Ce constat est le même avec le morceau suivant, So They Say. Heureusement, celui-ci est sauvé par la surprise que peut créer l’apparition d’un clavier à la sonorité très Doorsienne assuré par Ryan Güt. Cela donne quelque chose de très sympa à écouter mais qui une fois l’effet de surprise estompé, ne sort pas forcément du lot. L’idée est bonne, elle apporte quelque chose, mais la base est trop faible pour que le résultat soit mémorable.
Broke the spell. Si seulement, si seulement Brant pouvait se débarrasser de ce sort qui le pousse à user jusqu’au bout les pauvres malheureux riffs qu’il trouve. Pas de décompte cette fois-ci mais ça doit être limite plus que sur Good Bones vu qu’une grande partie du morceau ne contient rien d’autre. Que c’est long. Tu me répéteras mille fois le mantra « Ton riff, si tu veux qu’il soit jouissif, ne le fait pas trop répétitif, ou il deviendra vomitif ».
Nick Oliveri vient jouer de la gratte et pousser de la voix sur Bread for Butter. Un titre qui, oui je deviens moi-même répétitif, tourne autour d’une idée exploitée tant et si bien qu’elle se noie dans une mare de lassitude. Mais bon, en milieu de titre y’a un changement cool. Enfin par cool, je veux dire qui nous éloigne du riff que l’on ne supporte déjà plus. Jacques Pepin a un jour dit « Si vous avez du pain extraordinaire et du beurre extraordinaire, il est difficile de battre le pain et le beurre. » C’est clair qu’ici le pain, le beurre ou les deux ne sont pas de toutes premières qualités.
Bim ! La quinzaine de notes faciles ! c’est le gimmick qui sert d’intro et de motif pour Ya’ Dig. Et en plus c’est pas mal trouvé. De loin la meilleure idée jusqu’à maintenant. Le titre étant relativement court et le schéma pas répété abusivement, on peut même qualifier le titre de plutôt bon. Petit solo à la sonorité qui vient bousculer un peu le morceau, l’ami Brant nous donne un bon titre, bien groovy et moi je le suis et je l’adore à fond ce titre !
Pfiou ! Faut se reposer de toutes ces émotions. Heureusement, Let’s Forget est là avec sa petite mélodie à la cool. Rien de bien méchant, petit relâchement salutaire qui s’oubliera bien vite.
Toutes ses meilleures idées étant exploitées, Brant n’en a plus pour finir l’album. Mais il n’a que 32 minutes de musique en stock, c’est léger. Une reprise ! Mais bien sûr, une petite reprise, presque 9 minutes et on est raccord. Il va donc aller piocher le Who Do You Love Me ? de Bo Diddley enregistrée initialement en 1956. Problème, le titre d’origine dépasse à peine les deux minutes.
On lui ajoute donc une intro et une outro (qui a dit répétitives ?) chacune plus longue que le morceau d’origine. Fallait oser. On ralentit un peu le tempo et hop, le tour est joué. Le tout chanté sans trop de conviction.
Bref, Bougainvillea Suite est un album dispensable. Trop répétitif, en mode écriture automatique et sans originalité. Comment voulez vous qu’on l’aime?

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