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En 2017, un quatuor d’outsiders nommé Deadly Vipers investissait sans prétention la scène stoner en nous livrant cette pépite bouillante intitulée Fueltronaut. Un premier album fuzzé à souhait, un cristal dénué d’impuretés, distillant un parfum d’essence du désert et de frénésie bénie. C’est donc bien naturellement, lorsque cinq ans plus tard nous apprenons que les Perpignanais prévoient de réitérer, que nos oreilles se dressent sur nos têtes et s’orientent vers les huit pistes de ce qui promet de nous émouvoir à nouveau. Et sans non plus se gargariser d’attentes qui déçoivent plus souvent qu’à leur tour, on s’est empressé de dévorer l’engin.
On ne change pas une équipe qui gagne, la nouvelle machine sort des ateliers de Fuzzorama Records et, comme sa grande sœur, elle est gainée d’un carburant bon à éjecter les fusées du pas de tir. Après les trois minutes de nappe instrumentale de “Echoes From Wasteland”, le compte à rebours s’achève et on rentre dans le vif du sujet. Les riffs accrocheurs des guitares customs de David et Thomas nous balancent d’avant en arrière, en témoigne “Welli Welloo” et son entrelacs de séquences Stoner furieuses, parfois proches du doom, et d’instants plus délicats en vagues aériennes. La voix de Fred accompagne tantôt la mélodie, tantôt raconte sa propre histoire, bien que toujours quelque peu en retrait, comme immergée dans le corps de la tornade sans jamais vraiment parvenir à la dominer.
À peine les muscles à température que “Low City Drone” nous assaille. D’abord affable, comme une invitation à parcourir les ruelles et à déguster les spécialités locales, puis sinueuse, intrigante, avant de virer menaçante, gigantesque ; la pièce maîtresse éponyme de l’album, élaborée avec une attention particulière et agrémentée, une fois n’est pas coutume, d’un clavier. Le tout atteint des hauteurs stratosphériques dont la rythmique percutante ne semble toujours guère se satisfaire. Un beau voyage.
Avec cet opus, il semble que la ruralité désertique se soit substituée à un futur urbain rien moins que pessimiste. On quitte ici l’immensité des canyons et des dunes sablonneuses d’un autre monde pour la chaleur poisseuse d’une citée électrique, dense, mais pas moins exempte de danger. Avec une certaine continuité tout de même, si l’on en croit “Meteor Part II” suite littérale du “Meteor Valley” du premier album. Exactement comme si après nous être écrasés sur cette étrange planète en 2017, nous parvenions enfin à retrouver la civilisation. Pour le meilleur ou pour le pire.
Même si l’on sent quelques initiatives, par exemple sur “Ego trip” ou “Big Empty”, elles se limitent encore à de timides tentatives. Et en définitive la recette reste sensiblement la même. Ce qui a le mérite de ne point décevoir les attentes du mangeur de riff. Un bon deuxième album, équilibré et composé avec un soin similaire au premier. Sans réinventer l’eau chaude ni transcender le genre, Deadly Vipers prend ici un deuxième appui solide pour effectuer à l’avenir un saut qui, on l’entrevoit, leur permettra d’atteindre des sommets.
Posons le contexte et les enjeux tout de go : High Tone Son of a Bitch (HTSOB) est un groupe/super-groupe/projet qui n’a jamais réussi à trouver son positionnement, en termes de reconnaissance et plus globalement d’importance dans la scène stoner/doom notamment. Qu’est-ce qui a bien pu leur manquer jusqu’ici, et ce disque permettra-t’il de combler ces lacunes ? Pour rappel, HTSOB existe depuis le début des années 2000, monté par les frères Paul et Drew Kott du côté “obscur” de la Bay Area, leur permettant de capitaliser sur leur réseau de potes musiciens évoluant dans la sphère sludge/doom/prog locale (des membres de Noothgrush, Men of Porn, Acid King, etc… s’y passent le relais). Probablement victime de la volatilité de ce line up séduisant mais difficilement mobilisable, HTSOB ne sort qu’un modeste EP en début de carrière (le recommandable Better You Than Me) et vivote tout ce temps à coups de prestations confidentielles et d’infos sporadiques à l’échelle locale… L’affaire semble entendue lorsque le groupe est mis en pause avec le décès de Andrew Kott en 2017.
En 2019 pourtant, le groupe se re-constitue, sur un line-up de référence en apparence plus solide et stable, où Paul Kott se voit épauler du fidèle Russ Kent au micro (le guitariste de Noothgrush) et de Billy Anderson à la basse (le légendaire producteur au CV long comme le bras). Quelques EP complémentaires sont sortis, mais toujours pas de véritable album. En 2020, HTSOB sort Lifecycles, un double album qui regroupe tous ses EP, et se décide à dynamiser sa carrière en organisant une tournée pour en assurer la promotion… juste avant le COVID ! (ça y est, vous sentez poindre le fil conducteur de la lose ?) Pour exorciser tout celà, ils décident de mettre les petits plats dans les moins petits, en organisant une sorte de sauterie avec quelques musiciens amis, en période de pic de contamination of course histoire de faciliter les choses (faut voir la photo sur le livret du vinyle avec la douzaine de musicos/techos avec leur masque – sauf Matt Pike of course) – cette histoire sentait l’échec. Et l’album sort donc maintenant, 2 ans plus tard, soit plus d’un an après les 55 autres groupes qui ont eu la même idée… good timing ! A noter que le groupe a documenté ce concert par une captation vidéo rougeâtre approximative, aux limites du regardable (ou comment faire passer l’absence de budget pour un choix artistique fort) – pour info ça se trouve sur Youtube.
Les bases d’un beau fiasco sont donc posées et l’anxiété est à son comble en enfournant la galette. Heureusement, il ne faut pas longtemps pour être rassuré, et on se fait vite rattraper par cette set list rutilante, qui vient taper dans l’ensemble de leur discographie famélique, piochant des titres de tous leurs EPs. On ne va pas faire la fine bouche, c’est finalement une excellente occasion de prendre un peu de hauteur sur ces compos et de se souvenir de leur qualité intrinsèque irréprochable. Il se dégage une certaine classe des chansons de HTSOB sur album, à travers cette sorte de doom rock (!) aux volutes prog, stoner, metal… Lors de leur transformation live, les compos originales gardent leur prestance, et bénéficient au passage d’un réel effort d’amélioration (voir comment la nappe de clavier de “Silhouette” ainsi boostée vient élever le morceau, ou la densification de guitares sur “Ten Mountain High” lui apporter un groove décuplé). Quant aux musiciens invités, ils apportent un vrai “plus” aux morceaux qu’ils viennent co-interpréter : Rob Wrong (Witch Mountain) participe à un duel de solistes délicieusement old school sur “Silhouette”, Andrea Vidal (chanteuse de Holy Grove) apporte un soutien vocal étonnant à Russ Kent sur un “John the Baptist” prenant ainsi une toute autre dimension. Quant à Matt Pike, il vient préter son joli brin de voix (et un peu de guitare, pas pu s’empêcher) à une reprise de Kalas (monument doom sludge underground de la Bay Area) qui, jumelé à un apport de claviers bien dense, lui amène une tension inédite, parfaitement bienvenue.
Bref, vous l’aurez compris par vous-mêmes : cette affaire était extrêmement mal embarquée, et on était prêt à voir l’ouvrage échouer lamentablement. Au lieu de celà, on est capté par la qualité intrinsèque de la musique du groupe, ces compos riches et audacieuses, gravitant en continu entre plusieurs eaux stylistiques, au delà des repères. Ni un véritable album live, ni non plus une simple compilation, Live at The Hallowed Halls a tout pour plaire : un socle de compos irréprochables, une mise en son qualitative, et des arrangemenst inédits apportant le juste socle de fraîcheur et de nouveauté. Espérons qu’il s’agisse enfin du rebond tant espéré pour que ce projet moribond puisse enfin se développer.
Malgré des états de services hors du commun Colour Haze ne s’est jamais reposé sur ses lauriers et a donné au monde avec régularité de beaux albums sans cesses réinventés tout en conservant une relative stabilité. Pour son quinzième opus, le groupe de Munich continue son auto-portage sur le label du guitariste et chanteur Stefan via le label Elektrohasch Records. Cette fois-ci, le groupe embarque un changement qui pourrait impacter sa musique, le bassiste, Philipp qui a officié au sein de la formation durant 22 est remplacé par Mario Oberpucher. L’info était connue depuis deux ans et il était donc temps que l’on puisse se rendre compte de ce changement de Line up qui vient compléter celui de 2018 où débarquait au milieu du groupe un nouveau membre, Jan Faszbender, clavier de son état. Le Colour Haze nouveau serait-il arrivé? Commençons déjà par apprécier ce Sacred avant de lui chercher quelque absolue originalité.
On pourrait dire de Colour Haze qu’il est le porte-drapeau du Krautrock moderne, Sacred confirme partiellement cette voie. L’album n’est pas une révolution à proprement parler et Colour Haze peaufine son savoir-faire psychédélique et posé. Cependant à faire défiler les pistes, transparaissent ses origine stoner comme sur “See The Fools” ou “In All You Are” qui interpellent par d’intenses passages plus lourds et très saturés. Rien de bien neuf sous le soleil me direz-vous, puisque c’est l’habitude du quartette. Possible Et ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’un groupe qui a fait ses armes depuis belle lurette. Il existe d’autres faits saillants, comme la voix de Stefan, toujours plaintive mais plus présente, plus éraillée aussi, ce qui s’était déjà entendu sur le précédent opus, We Are. La partielle retenue du clavier s’allège cette fois et accompagne le groupe vers des descentes vertigineuses et lysergiques sur “Ideologigi” tout en prodiguant son savoir-faire en touches parfaitement maîtrisées en fond de Turquoise comme d’Avatar. Pour le reste le changement de joueur à la basse n’apporte pas pour l’heure de renouveau, une continuité parfaite de ce côté-là, donc.
La qualité de Coulour Haze comme à chaque nouvelle sortie ne se situe pas dans une recherche de nouveauté, mais dans la maîtrise de l’ensemble instrumental, dans l’imbrication de chacun au cœur des compositions, un parfait équilibre que rien ne semble pouvoir déstabiliser, ce qui n’est pas une gageure alors que l’on vient de vivre deux changements de line-up sur un temps relativement court (Au vu de la longévité de la formation). Le son de Sacred est profond, enveloppant, on a le sentiment de se trouver pris entre les amplis du groupe et la vibration en est toute live, Organique sur le semi acoustique de “1.5 Degrees” qui révèle chaque mouvement des doigts sur les cordes, puis le bourdonnement de l’ampli après une explosion saturée lourde et quasi doomesque. Enfin l’envolée de “In All You Are” clôture parfaitement l’album. Il y a dans ce dernier morceau de l’âme et du cœur, tout ce qui fait de Colour Haze un grand groupe qui conserve toujours sa place parmi les headliners du genre.
Sacred est probablement à classer parmi les meilleurs albums du groupe, il est équilibré à souhait, inclusif au possible et de fait je gage que peu de ceux qui viendront poser l’oreille sur l’œuvre ne seront pas séduits. Sacred est aussi un album humble à l’image du groupe, il sort sans esbroufe ni grand renfort de publicité. C’est est une pulsation de vie supplémentaire à apporter à sa discothèque, une bouffée d’air vitale que l’on apprécie sans trop y penser, jusqu’à ce qu’intervienne la nécessaire prochaine sortie d’album de Colour Haze.
Après seulement deux albums, The Necromancers s’était forgé une solide réputation tant grâce aux heureux hasards de son parcours (voir la chronique du premier album ici) que grâce à une certaine capacité à composer entre originalité et terrain connu. Le quartette accompagne sa mutation vers son troisième album d’un changement de line-up (cette fois ci, c’est le chanteur guitariste qui y passe). Nous avions lors de sa sortie loué la progression et le souffle d’indépendance de Of Blood and wine, il est temps à présent de voir ce qui se trame derrière Where The Void Rose.
On l’avait déjà dit, The Necromancers a forgé ses armes dans le hard-rock et c’est bien ce qu’il faudra retenir de ce nouvel opus qui laisse la part belle à ce genre. L’emphase du chant s’envole régulièrement vers des démonstrations dignes d’un heavy des années 80 et il lui arrive quasiment de se cannibaliser lui-même, reléguant à l’anecdotique des passages plus graves et plus prenants. Malheureusement ce sentiment émaille les écoutes répétées de la galette et fait dresser le poil lorsqu’il flirte avec la mièvrerie sur “Crimson Hour”. Les phrases guitaristiques du titre éponyme ramènent au souvenir douloureux et mélancolique d’une époque révolue où le cheveu se portait long en une fière crinière permanentée.
Loin de moi l’idée de vouloir faire une chronique à charge contre The Necromancers. Il faut être opiniâtre et creuser la galette. On peut alors saluer la richesse de Where The Void Rose. On retrouve souvent de façon sous-jacente la mélancolie qui présidait dans “Of Blood And Wine” ou “Lust” sur le précédent album. Cette mélancolie est un élément constitutif de l’album pour qui saura y revenir suffisamment. Elle se trouve tapie derrière les titres les plus heavy, dans des recoins où s’installe un peu plus de lenteur comme sur “Orchard”, et s’expose totalement sur le titre éponyme.
L’autel sur lequel le groupe fait son offrande est certes celui de la mélancolie mais aussi celui de la théâtralité et du clair obscur, à la façon d’un “Over The Threshold”. Cette théâtralité on la retrouve dans la structure des morceaux jouant sans cesse sur l’effet de surprise, le retournement de situation et ne cédant ainsi jamais à la linéarité. On passe bien souvent de l’épique au sombre, du retenu à la cavalcade, du début à la fin de l’album, que ce soit sur “Sunken Huntress” ou “The Needle”.
Il ressort de l’écoute de Where The Void Rose un sentiment partagé. Il faudra pour certains s’accrocher avant d’aller trouver les qualités des compositions mais quoi qu’il en soit c’est clairement la liberté de ton qui fait l’identité de ce nouvel album. The Necromancers ne cède toujours pas à la tentation d’un chemin tout tracé et vient nourrir sa musique d’influences hors des habitudes, quitte à laisser sur le bas côté ceux qui comme moi ont eu la faiblesse d’esprit de les attendre dans une veine plus épique et emportée.
Quelle vitalité pour Clutch et ses 13 albums en moins de 30 ans de carrière, couvrant en quelque sorte tout un pan de la musique rock américaine. De leurs débuts hardcore et doom – logique pour un groupe des 90’s venu du Maryland – toujours portés par l’obsession du groove, le quatuor s’est peu à peu ouvert à d’autres influences, accueillant le blues, la country, agglomérant tout ce qui est finalement constitutif de la culture musicale US pour devenir l’une des plus justes expressions de l’art underground du pays. Passés par les majors puis les éphémères labels rock des années 2000, le groupe a fini par créer sa propre structure et récupérer un contrôle total sur une carrière exemplaire malgré les embûches. Et tous cela sans changer de personnel. Les quatre mêmes amis, réunis pour la fuzz, le swing et le rock’n’roll. Point d’orgue de leur façon d’encapsuler les joies et les maux de leur pays, ce Book Of Bad Decisions (2019) qui raconte mieux que quiconque ce que sont les USA de Trump vus par les yeux de quatre américains tout sauf moyens.
Book Of Bad Decisions fermait une décennie, celle des 2010’s, qui a vu Clutch devenir bien plus gros qu’il ne l’a jamais été. Porté par les hits de ses 3 derniers albums, banderilles rock immédiates, la carrière du groupe a fait un saut significatif, passant des courts circuits fuzz aux festivals Mainstream. Charge à Sunrise on Slaughter Beach, leur 13ème album, de garder le groupe alerte. Une alerte rouge (“Red Alert”) pour débuter, comme ce single et titre d’ouverture de l’album craché début avril. Un titre feignant, ersatz de ce qu’Earth Rocker avait de meilleur à proposer. Confiée à Tom Dalgety (Royal Blood, Ghost, Rammstein mais surtout pour moi le Pylon de Killing Joke) la production de l’album est claire, très rock et fonctionne plutôt parfaitement si ce n’est qu’elle ne laisse pas de place pour les astuces et autres moments de flottement. L’album semble avoir été pensé pour aller à l’os. Une montagne d’os (“Mountain of Bone”, un super riff et c’est à peu près tout) même, rampant vers des sphères où le rock se sophistique, un monde dans lequel je me sens vite perdu. Du bout de ma lorgnette, j’entends dans ce disque quelque chose s’approchant des Arctic Monkeys, période AM ou… des Queens Of The Stone Age, tout simplement. C’est en tout cas ce niveau « d’élégance » – les guillemets servant à marquer ma distance, voire ma désapprobation qui ne s’entend pas forcement à l’écrit.
Pour quelques excellents mid-tempo (« Slaughter Beach », « Mercy Brown »), combien de morceaux certes porteurs des merveilles d’écriture de Neil Fallon ou des patterns raffinées de JP Gaster, mais affaiblis par la recherche de la perfection ? Passé l’oxymore (than words) reste un album court (un bon point), bien au-dessus de la moyenne des productions rock léchées de l’année (encore faudrait-il que je m’y soit plus penché) mais bien en deçà de ce que Clutch a pu proposer jusqu’ici. A ranger avec Psychic Warfare dans la pile des dispensables plutôt que dans la pile des essentiels, dans laquelle figure – et c’est un tour de force – quasiment les 11 autres albums de leur discographie.
Point vinyle :
Pour ceux qui souhaitent profiter en grand de la vilaine pochette de ce disque pas ouf, le vinyle cher est fait pour vous. Comptez un peu plus de 31 euros pour la version black, 42 pour le picture disc (qui présente l’avantage non négligeable de s’abimer plus vite. Après y peu de chance que vous l’écoutiez souvent donc ça va). Une version violette – au même prix que la black – semble tout de même disponible pour l’Europe. Le bonheur ne s’achète pas mais pour le reste il y a Mastercard (ou PayPal ou Electron mais c’est vite plafonné).
Non content d’avoir servi deux des meilleurs albums de 2021 avec Burden of Restlessness et Acheron, le trio emblématique de Rockchester remet le couvert en septembre 2022 avec Regenerator, le troisième opus de la saga covid du groupe autoproduit outre-Atlantique et usiné chez Stickman Record de ce côté-ci du globe. Une galette de sept parts au bout goût d’heavy psyché qui mêlent atmosphères planantes et rythmique prog, le tout relevé d’une délicieuse impulsion survoltée.
Avec ce cinquième album à l’artwork bien léché, King Buffalo clôt le dernier chapitre de sa triade du confinement avec un brio et une cohérence saisissante. Une fois n’est pas coutume, Sean McVay et ses gars accouchent d’un son soigné, équilibré et à la texture riche ; une recette unifiant stoner aérien et psychédélisme teinté d’élément blues qui sait nous transporter dans l’univers narratif et chamarré du groupe depuis les débuts d’Orion en 2016. La voix mélodieuse et fantasmée de Sean se mêle aux phrasés éthérés d’une guitare stratosphérique dont la propulsion vers les confins du cosmos reste assurée par la justesse et la pertinence d’une séquence rythmique impeccable, portée par les orfèvres Dan Renolds et Scott Donalson.
Le soin apporté à la composition s’étend même jusque dans l’agencement des pistes. Les sept morceaux évoquent ici un palindrome. Tout d’abord « Regenerator », titre d’environ neuf minutes avec des allures d’apothéose épiques qui nous interroge quant au choix de cette piste au premier plan. Puis, une fois dans le bain on enchaine avec deux titres jumeaux qui pourraient sans doute s’écouter comme une seule et même pièce.
Ensuite tout se répète dans l’autre sens. La paire de monuments que sont « Mammoth » et « Avalon » nous éblouit avant d’offrir le majestueux « Firmament » final, lui aussi de neuf minutes. Six pistes tournées les unes face aux autres, à l’instar d’un sujet contemplant son reflet dans le miroir, organisées autour d’une septième centrale sobrement intitulé « Interlude » et qui n’existe que comme pivot à toute la structure. Une fois en fin de parcours, l’on pourrait presque faire défiler l’album dans l’autre sens et ne rien perdre en cohérence.
Véritable tour de force artistique pour King Buffalo qui, comme s’il en avait encore besoin, prouve à nouveau sa place, et même une certaine forme de domination, dans le monde du stoner cosmique et progressif. Sachant que le groupe a repris les tournées, notamment avec Clutch et plus récemment Uncle Acid and the Deadbeats, il ne faudra pas manquer de jaillir au coeur des fosses pour hocher la tête ensemble devant les chefs-d’œuvre que produit en continue cet incontournable groupe dont nous avons la chance d’être les contemporains.
Alors que les programmes spatiaux reviennent à la mode chez les milliardaires américains, la Suède a elle trouvé une alternative moins énergivore et beaucoup plus cool pour voyager dans l’espace… La chèvre ! Appelés Goatriders, les 4 savants fous ayant développé cet art ont rassemblé dans un album intutilé Traveler le récit de leurs pérégrinations.
Et pour ce faire, Goatriders a opté pour un enregistrement en conditions live pour mieux nous absorber dans leur univers. Pari réussi car à quelques imperfections près (mais c’est ce qui fait le charme du live n’est-ce pas ?) le son de l’album est impeccable et permet d’apprécier pleinement chaque instrument. Cette qualité permet de ressentir complètement l’énergie du groupe qui semble à tout moment prêt à basculer dans du jam pur et dur. Les amateurs de basse seront particulièrement comblés au vu de la place prise par l’instrument dans le mix, mêlant puissance et groove sur “Goat Head Nebula”, rythmes flous et psychédéliques sur “Snakemother” ou des lignes plus lentes et hypnotiques sur “Wayward Sun”.
Bien que suédois, Goatriders ne fait pas vraiment dans la grosse bûche à la Domkraft mais concocte plutôt des space crottins, parfois frais et moelleux comme sur “Elephant Bird” ou “The Garden”, parfois plus bruts et bouillonnants comme sur “Goat Head Medusa” ou “Unscathed”. Les inspirations viennent aussi du côté du rock psychédéliques des années 60/70 au niveau des guitares, notamment sur “Snakemother” ou le solo de “Atomic Sunlight”.
Essentiellement portée par son énergie “live”, Traveler donne clairement envie de retrouver le groupe en concert, en espérant que ces derniers arborent les mêmes tenues que les deux voyageurs de l’artwork. Rien de révolutionnaire, mais le trip est bon et c’est bien cela le principal.
Josiah a connu sa période de plus forte activité au début du siècle, où ils ont enchaîné quelques albums très discrets, la plupart chez Elektrohasch, label bien connu – et pour cause – pour héberger les productions de Colour Haze, moins connu en revanche pour son rayonnement promotionnel, malheureusement. Probablement enfanté dans le mauvais pays (le groupe est anglais, à une période où le stoner européen est barycentré sur le plateau sud – Italie, Espagne… – ou en scandinavie) le groupe ne parvient jamais à émerger à un niveau de notoriété auquel il pourrait prétendre. Usé, le duo Bethancourt / Beasley (autour desquels plusieurs batteurs ont gravité au fil du temps) plie les gaules au bout d’une petite décennie… pour finalement décider de se reformer dix ans plus tard. Ayant capté l’attention du label américain Blues Funeral, ils parviennent donc sur notre platine avec une nouvel album, leur cinquième.
On est rapidement capté par l’instrumental « Rats (to the Bitter End »), séduisant autant par sa variété que par sa séquence mélodique de base. Les choses sérieuses commencent avec ce « Salwater » à la très maline base rythmique. On se dit que ces zicos ont compris une chose ou deux en terme d’accroche. Le constat se confirme vite avec « Let the Lambs see the Knife » lancé par une rythmique robot rock et une ligne de chant dont vous aurez du mal à vous débarrasser. Petit moment étrange que cette transition avec l’instrumental « Cut Them free », basé sur une partition rythmique à 90% identique, donc en parfaite continuité… Les gars ont dû se dire que quand on tombe sur un tel filon il serait dommage de ne pas l’exploiter 5 minutes de plus… L’occasion de pousser le titre dans des retranchements jam / psych / kraut pas désagréables…
Les compos suivantes sont à l’avenant, en tous points : couillues, imaginatives et originales, à l’image de ce « (Realise) We are not Real » de presque onze minutes empruntant autant à Hawkwind qu’à Amon Düül ou Grateful Dead, l’ensemble renforcé d’une prod fuzzée un peu modernisante, le tout étiré dans tous les sens (jusqu’à se frotter aux limites du raisonnable parfois)… Le morceau le plus « classique » vient conclure la galette, le riffu « The Bitter End », qui permet de clôturer ces 40 minutes sur une touche efficace, sans chichi, laissant un bon goût en fin de bouche…
We Lay on Cold Stone s’avère donc un disque de psych rock très intéressant, qualitatif, efficace et audacieux, voire original, sans être révolutionnaire. Tout à fait pertinent musicalement dans notre époque, reste à voir si Josiah parviendra à réunir les conditions d’une véritable reconquête : il a le potentiel pour figurer dans les groupes « en vue », devrait même être aidé par son bagage historique et sa légitimité dans le genre, mais il devra pour cela s’activer notamment sur la scène live.
Dire que le nouveau Psychlona était attendu est un euphémisme, les amateurs du quartette stoner anglais rongeaient leur frein depuis la sortie de Venus Skytrip tout juste deux ans auparavant (et réédité pour l’occasion du nouvel album). En effet, avant même la sortie officielle du nouvel opus, Palo Verde, les rondelles noires (En réalité colorées pour cette édition Deluxe) annoncent sold-out. Gageons donc que la fan base du groupe aura eu le nez creux et plongeons nous dans les 49 minutes de cette production parue chez Psycho Waxx.
D’emblée Psychlona nous immerge dans une cavalcade tumultueuse qui voudrait donner à entrevoir la possibilité d’un album qui nous laisse le souffle court, mais c’est sans compter sur son amour inconditionnel des passages éthérés et des morceaux planants. Ainsi c’est bien une galette finement équilibrée qui se retrouve entre nos oreilles. Un monde sépare un introductif “Gasoline” au rythme soutenu et “La Tolvanera” qui joue au mieux les mid tempo et glisse l’auditeur dans des nappes soyeuses de psychédélisme en approchant la fin du disque. Entre temps on croise d’habiles soli rock n’roll comme sur “Rainbird” et des compositions à la lourdeur bien sentie comme avec “Meet Your Devil”. Vous l’aurez compris, Psychlona se paye un univers complet et ne cède pas à l’idée fixe. C’est tant mieux!
En ce qui concerne les instrus tout est impeccablement maîtrisé et mixé et même lorsque les quatre musiciens s’immiscent dans un mode plus léger et fun avec “Jetplane” il n’y a rien à regretter. Régulièrement les claviers s’insèrent à merveille dans l’entrelacs des cordes et de la batterie, ne frôlant jamais le kitch ou l’outrancier. La voix est toujours posée derrière un voile de reverb apportant profondeur et suavité à un chant qui participe désormais de la marque de fabrique du groupe.
Il n’y a pas grand-chose à dire sur ce nouveau Psychlona, Palo Verde ne renie pas ses origines et accepte sa position de digne successeur du précédent opus. Un album qui joue la confirmation de son talent donc et qui offre un peu plus de qualité encore. Tout ceci ne peut que nous pousser à réclamer de les trouver programmés sur d’autres dates qu’en des pays anglophones! Si par extraordinaire quelqu’un d’avisé les programmait, il ne fait aucun doute qu’il jouerait la carte du carton plein avec une salle remplie de stoner heads avide de savourer ces nouvelles compos en live.
Un peu de recul suffit à prendre la mesure de la petite galaxie autour de Corrosion of Conformity et ses quatre musiciens hyperactifs : une palanquée de projets musicaux, pour certains émanant directement des périodes de « break » de C.O.C. (durant leur split ou leurs pauses un peu forcées, en particulier par la priorité donnée ces dernières années à Down, l’autre groupe de Keenan). Reed Mullin (batterie), au calme pendant une dizaine d’années (rappelons qu’il quitta C.O.C. au début des années 2000), n’a pas brillé dans l’intervalle par sa production discographique parallèle, ce qui ne l’empêcha pas d’initier un projet musical avec son pote Jason Browning (guitare) en 2009. Pour étoffer ce maigre line-up, Mullin reprend contact avec son ancien compère bassiste Mike Dean (basse), qui ne tarde pas à intégrer le projet, heureux de renouer avec son binôme rythmique presque dix ans après leurs dernières bacchanales musicales. Le jeune trio produit une première paire de chansons que Southern Lord sort en 7’’ en 2010 [les deux chansons figurent sur le présent disque, a priori du même enregistrement], permettant au groupe de se greffer à quelques tournées et tester leurs compos sur scène. Toutefois, le trio n’a jamais vraiment trouvé de franche « fenêtre de tir » pour être mieux mis en avant (qu’il s’agisse de tournée en headlining, de sortie de disque…), et c’est aujourd’hui seulement que le groupe trouve la voie discographique, à travers ce premier album, qui sort chez Ripple Music. Un album en quelque sorte posthume, Reed Mullin nous ayant quitté comme vous le savez en 2020. Il s’agit donc vraisemblablement ici de la première et dernière opportunité pour le groupe de se faire connaître largement… étrange situation.
C’est dans cet état de réflexion un peu ambigu que l’on se lance dans l’écoute de l’album, une écoute qui s’avère bien vite quelque peu délicate : le disque est assez difficile à cerner. Très largement porté par des musiciens qui affectionnent le jam, les titres déboulent sans prévenir, s’enchaînent sans forcément de logique claire, à l’image de cette intro instrumentale ultra mélodique (mais à la structure “à tiroirs”) qui passe le relais à “Asteroid”, un titre nerveux et groovy, que l’on croirait directement issu du répertoire de… Valient Thorr (ça vaut pour le chant aussi !). Etrange… Et ce n’est qu’un exemple, car les compos qui défilent ont au minimum deux points communs : ce sens du groove avant tout, avec toujours des rythmiques gouleyantes, mais aussi des structures alambiquées, conférant à l’ensemble un atour presque prog. La plupart des titres se développent et se déploient sur une succession de séquences, breaks, aller-retours… On est loin du socle standard couplet-refrain-couplet-refrain-solo-refrain, d’autant plus que le trio ne propose pas de titres à rallonges : avec onze morceaux pour 45 minutes, on atteint rarement la barre des 5 minutes par chanson. L’ensemble donne donc une impression roborative, d’un disque rempli jusqu’à la gueule d’idées, pour la plupart excellentes, mises bout à bout. Mais il y a peut-être trop à manger au final pour un seul repas, et le disque a du mal à passer et à maintenir la pleine attention sur la longueur… avec cette sensation paradoxale que son contenu est assez brillant en terme d’écriture. En aparté, on notera que les trois musiciens se partagent les lignes de chant sur l’album, avec une certaine réussite au global (ce qui contribue toutefois à l’impression d’un spectre musical “bariolé”).
Remis en contexte (un album-somme, récapitulatif probablement de toute l’existence du groupe), ce disque mérite bien cette densité. Débordant de riffs impeccables, de soli barrés et de courtes jams stellaires, le tout enrobé d’une prod assez sommaire mais efficace, ce disque généreux se mérite… mais il le vaut bien.
Existential Void Guardian, il y a quatre ans, nous avait laissé sur l’impression d’un Conan en début de transmutation, avec un album de morceaux courts et percutants, se détachant un peu (par ce biais) du dogme un peu trop classique selon lequel les chansons doom doivent être longues et lentes. Le rubicon ainsi franchi, on se frottait un peu les mains à l’arrivée de ce nouveau disque en se demandant quelle autre profanation le trio anglais pouvait encore perpétrer sur ce genre musical très balisé… Même pas la peine d’appuyer sur « play » pour comprendre que, déjà, cette initiative sur leur album précédent n’a pas fait un long chemin : six chansons pour plus de 50 minutes d’album… les chansons long format sont revenues au goût du jour ! Il va donc falloir se pencher sur les compos pour évaluer si, à nouveau, évolution il y a…
La première approche ne défrise pas trop le vieux doomster blasé, car au niveau style et son, le groupe est bien sur ses fondamentaux : le doom de Conan est lourd, le son est (très) gras, les riffs sont prépondérants (le chant est rare et systématiquement mixé très en retrait), alourdis par une ligne de basse bitumeuse, et l’ensemble est piloté par une batterie puissante et sèche. Quelques nappes de claviers viennent parfois étayer le tout en fond (« Grief Sequence ») mais sinon, on ne change pas une équipe qui gagne. C’est aussi le cas du line-up du groupe, inchangé (ils semblent avoir trouvé avec Johnny King un batteur fiable capable de tenir au moins deux albums d’affilée), du recours à Chris Fielding (leur bassiste) pour produire le disque (il est un producteur reconnu et réputé, et accessoirement a produit ou enregistré tous les précédents albums de Conan, même quand il n’y jouait pas…), et de leur artwork, énième déclinaison toujours par Tony Roberts de l’imagerie « médiévalo-martiale » fantasy qui est désormais indissociable de la discographie du groupe. Pas vraiment les ingrédients d’une remise en cause fondamentale, a priori…
Au niveau compos, le constat n’est pas si radical, ce qui n’empêche pas de prendre un super pied à travers ces six compos, très complémentaires. On y retrouve du très bon Conan « classique » en mode doom mid-tempo, avec les très réussis « A Cleaved head No Longer Plots » (10 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale) et « Righteous Alliance » (presque 9 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale… ?!?), l’un des meilleurs titres du disque, avec un final qui n’est pas sans rappeler les immenses Bongripper (ultra lourd, ultra lent). Il y avait peut-être toutefois moyen de rendre ces titres plus efficaces en les réduisant un peu sur leur portion finale, qui manque « d’accroche ». Entre les deux, on aura aussi notre dose de doom « d’école », avec le plus lent « Equilibrium of Mankind », qui traîne son riff principal, gras et rampant, sur toute la durée du morceau, avec une batterie toujours en limite de contretemps… Petite joyeuseté qu’on sentait poindre sur Existential Void Guardian (et ses incursions extreme metal), Conan assume des influences metal plus affirmées, sur « Levitation Hoax » (sur sa première partie, avec des plans proches du thrash) ou plus encore sur « Ritual of Anonymity », dont la rythmique, encore plus nerveuse, va s’inspirer d’influences hardcore metal old school tout à fait bien intégrées (voir le refrain en particulier). L’album se termine par « Grief Sequence », un titre qui porte bien son nom, traînant sur presque un quart d’heure une trame musicale à base de clavier lancinant, une sorte d’orgue glaçant et grandiloquent, qui supporte un riff d’une extrême lenteur, le tout en mode instrumental. Bien exécuté, intéressant… mais probablement un peu trop long (presque un tiers de l’album, quand même…).
Bref, la qualité est là, et ce Evidence of Immortality est, tout simplement, un excellent album de doom. Il est (à nouveau) le signe que Conan développe son « fond de jeu » : il renforce ses basiques, tout en tentant quelques trucs ici ou là (rien de trop risqué, on reste en terrain connu). Le groupe est en maîtrise, mais aussi en démonstration de sa puissance éclatante sur son domaine musical. C’est bien… Etait-on en droit d’attendre autre chose ? A l’instar d’un Monolord, dans un registre musical différent mais proche, Conan ne propose toujours pas ici d’album qui va venir transcender sa discographie : les basiques ont été posés il y a bien longtemps maintenant (avec Monnos, mais surtout Blood Eagle, son album-matrice – c’est le même constat avec le Empress Rising de Monolord… sorti la même année !) et depuis, ils perfectionnent leur art petit à petit, mais toujours dans le même sillon musical. Frustrant ? Un peu, surtout quand, dans le contexte actuel, on est sur-stimulé musicalement, avec des propositions musicales sans arrêt, et de nouveaux groupes qui apparaissent tous les jours ou presque. Mais satisfaisant aussi : faire un bon album de doom est un exercice ardu, sur lequel de nombreux artistes se cassent les dents. Inutile dans ce contexte de gâcher notre plaisir et de se prendre la tête en sur-intellectualisant la chose (surtout sur un registre musical qui convoque largement la primitivité… bien servie ici) : dans son registre, Evidence of Immortality n’est peut-être pas parfait, mais il est l’un des meilleurs albums de doom sortis ces derniers temps, l’un des plus solides, homogènes et efficaces.
On sait peu de choses de ce jeune trio, si ce n’est qu’il s’est lancé il y a trois ans à peine, à Oslo. Avouons-le tout de go : dans la marée incessante de nouvelles productions qui se déverse quotidiennement dans nos oreilles, ce groupe aurait pu passer à l’as très aisément… si ce n’était pour ce sobriquet incongru (« les mecs mystérieux ») qui nous a titillé et incité à enchaîner quelques écoutes… ce qui fut loin d’être une mauvaise idée.
Rentrer dans ce disque n’est pourtant pas chose aisée, en particulier pour celles et ceux qui ont besoin de repères clairs, car Mystery Dudes part un peu dans tous les sens. Ils peuvent par exemple se lancer dans un bon vieux doom old school (le riff de « Evil Blood » rappellera quelques titres de Electric Wizard) pour le faire déraper au bout de quelques minutes sur des pentes dangereusement heavy rock, avant de revenir en terres doom… Déstabilisant. Ils peuvent aussi aller explorer des plans plus stoner-metal (le catchy « Ghost Train », l’instrumental heavy « Mondo Hopeless »…), du mid-tempo groovy (l’instrumental « Nebula ») ou même du punk (!) avec « Mexican Stand Up » ou le plutôt bien nommé… « Punk » (!!), pas leur titre le plus réussi toutefois, mais pas ridicule, en particulier pour son final.
L’ensemble, pris en bloc, s’avère un peu difficile à digérer, et l’on en ressort tout autant séduit (les riffs sont bien là, l’inventivité est au rendez-vous…) que circonspect (mais où vont-ils ?). S’il n’est toutefois pas l’album du siècle, ce premier disque de Mystery Dudes est en revanche un indicateur évident d’un groupe que l’on doit surveiller de près, sorte de touche-à-tout dont on aimerait néanmoins saisir la substantifique moelle, qui pour le moment nous échappe un peu…
C’est peu dire que My Sleeping Karma revient de loin. Moksha, son album précédent, date de plus de sept ans, et les fans du quatuor allemand n’ont eu qu’un album live à se mettre sous la dent pendant toutes ces années. Mais sept ans, pour quatre êtres humains, c’est long, et pour ces quatre là en particulier, ce fut éprouvant, à plus d’un titre. Les musiciens et amis ont été touchés à différents degrés par tout ce qui pouvait arriver de pire : décès, séparation, maladie grave… Forcément, la vraie vie prend le dessus et la musique passe au second plan, et Atma, dont les premières notes ont été écrites en 2017, ne voit le jour qu’aujourd’hui. Dans l’intervalle, l’écriture du groupe s’est imprégnée de ces expériences, pour un résultat… déstabilisant.
Il faut rappeler que musicalement, on avait laissé MSK avec son Moksha sur une ambiance plutôt altière, débridée, mélant les atmosphères pour un résultat haut en émotions et en expériences sensorielles ; au sommet de son art pensions-nous. La surprise intervenant après les premières écoutes de Atma n’en est que plus grande : même s’il ne fait pas l’ombre d’un doute une seule seconde qu’il s’agit de pur My Sleeping Karma, la densité du disque est d’une toute autre nature. Six chansons seulement, pas d’interlude ou de titres “remplissage”, on est dans le dur pendant près de 50 minutes. Musicalement, on le dit à nouveau, les bases de MSK sont toutes au rendez-vous, à un niveau de maturité tout simplement inédit. Le jeu de guitare de Seppi n’a jamais été aussi riche et inspiré, le jeu de basse de Matte n’a jamais été aussi présent, mélodiquement et en rythmique, la frappe de Steffen n’a jamais été aussi précise et puissante, et les arrangements de claviers de Norman n’ont jamais été aussi efficaces. Ce bilan-là s’impose dès la première poignée d’écoutes.
Mais il importe peu. Ce qui émerge plus fondamentalement d’Atma n’est en réalité pas une question d’interprétation mais d’écriture, et subséquemment d’ambiance développée. Autour du concept bouddhiste de l’Atma (un concept central décrivant le soi en tant qu’entité indépendante du corps et de l’esprit, crucial dans le cadre de nombreux principes fondateurs du bouddhisme), le quatuor déroule en six actes un parcours de vie, abordant les liens sentimentaux, la libération, le chaos, questionnant le poids de la divinité, et aboutissant, avec “Ananda”, au bonheur (que l’on imagine – ou espère – retrouvé). Pour porter ces concepts, MSK développe des chansons denses, très structurées mais jamais trop prévisibles, à l’image de “Prema” (choisi pour être proposé depuis quelques mois en primeur de l’album) qui développe plusieurs variantes de son riff principal sur la première section du disque, pour se transmuter en son milieu en une phase plus dynamique, légère et enlevée. “Mukti” prend la suite avec une intention différente : commençant par un segment plus léger, il s’alourdit sur la fin pour proposer un final tout en saturation et en puissance. Chaque titre vous prend ainsi par la main, vous emmène quelque part pour, en route, vous faire trébucher ou vous jeter sur un chemin de traverse, menant soit à un champ ensoleillé, soit à un cul de sac lugubre (ce qui était plutôt rare sur les disques précédents de MSK, proposant une approche plus optimiste fondamentalement). Bref, le truc vous prend par les tripes et ne vous relâche pas pendant la durée du disque, qui ne contient aucun morceau plus faible qu’un autre.
Atma est un disque d’une vraie beauté, profond et émouvant. Il est solide, à l’image de ses musiciens, forcés à la résilience, qui se sont reconstruits et retrouvés à travers la conception de cet album. Les fans de My Sleeping Karma y retrouveront évidemment le groupe qu’ils adorent, développant des mélodies remarquables et des compositions audacieuses et efficaces. Mais Atma a le potentiel pour captiver plus largement, pour toucher plus de monde et plus profondément. C’est en celà entre autres un disque remarquable, peut-être aussi parce que sa profondeur et sa noirceur assumée en font le partenaire parfait de cette époque sinistre, proposant néanmoins des lueurs de beauté porteuses d’un léger espoir.
S’il ne fait de doute pour personne ici que Nebula est un groupe majeur de la scène, je suis sûr que si je faisais une décente inopinée dans vos playlists, Spotify ou discothèques, je serai effaré du peu de Nebula que j’y trouverais. Du Monolord oui, ça dégouline sur les étagères ou dans l’iPod Shuffle, même les albums les plus dispensables, du Monster Magnet sans problème et du Kyuss à foison, en même temps c’est de saison. Mais Nebula semble plus être dans cette étrange case du respect poli. Le groupe dont personne n’ose dire du mal sans pour autant les écouter. La faute à qui, la faute à quoi ? Au peu de tournées ou apparitions marquantes en Europe ? La Faute à Eddie ? Car Glass remplace plus qu’il ne répare et ces incessants changements de line up ont sans aucun doute contribué à diluer l’intérêt de son groupe lorsqu’il était dans la fuzz de l’âge. Pourtant le début de carrière du trio (trois ex-Fu Manchu à la base, pour rappel) est pas loin d’être impeccable, nous ayant laissé au moins deux chefs-d’oeuvre et une poignée d’EP de grande qualité. Je rajoute au pot les Peel Sessions de 2008, on ne s’y était pas trompé dans notre chronique (ici). Mais depuis ? Depuis les départs d’Abshire et de Ruben Romano, et malgré des passages plus ou moins marquants de cadors tels Isaiah Mitchell (Earthless), Adam Kriney (La Otracina, autre groupe que vous n’écoutez pas assez !), Rob Oswald (Karma To Burn) ou Ian Ross (Roadsaw) ? Depuis, Nebula continue de creuser le sillon du psychédélisme heavy, comme statué sur son vrai faux album Heavy Psych, assemblé à la hâte pour le marché japonais mais à haute teneur en acide lysergique. Et puis le split, 10 ans d’inactivité au moment même du revival stoner. C’est ce qu’on appelle une vraie gestion de carrière.
Revenu d’entre les morts chez Heavy Psych (Sounds, le label, pas l’album, suivez un peu !), Nebula est désormais le projet d’Eddie Glass (était-ce différent avant ?), flanqué du fidèle Tom Davies (ex The Freaks, un groupe que vous n’écoutez jamais, ne faites pas genre) en poste depuis 2005 et Michael Amster, batteur de grand talent vu chez Mondo Generator et Blaak Heat (un groupe qui nous manque). Holy Shit (2019) est un album aussi honnête qu’oubliable et c’est peut-être ça qui a poussé Nebula dans la catégorie des groupes dont on ne dit pas de mal sans pour autant vraiment les écouter. C’est donc dans ce contexte de désintérêt quasi général que sort Transmissions From Mothership Earth (à l’heure d’écrire ces lignes, pas une version vinyle n’est encore sold out chez Heavy Psych, il n’y a donc pas que moi qui m’en suis détourné de ce groupe). Et pourtant…
Et pourtant ce disque a tout de la petite pépite estivale avec sa grosse demi-heure de fuzz épaisse, convoquant les premières heures du trio. À quelques fautes de goût près (“The Four Horseman”, le “single” clôturant l’album), Transmissions From Mothership Earth se veut solide, porté par un Michael Amster bien décidé à faire groover le disque à chaque pattern. C’est d’ailleurs à se demander si ses interventions sur Holy Shit étaient bridées par son côté « petit nouveau », parce que le gap entre les deux albums est abyssal sur ce point. Eddie Glass semble également avoir retrouvé l’envie de jouer de la guitare (lui qui joue souvent avec une Gibson SG, à la Iommi) et les riffs de « Warzone Speedwulff » (quel titre) ou « Highwired » (simple, basique, ultra efficace) sont absolument réjouissants. Il y a du Monster Magnet dans cet album, ou tout du moins une volonté de revenir au gros psychédélisme fuzzé du début des années 90 (« Wilted Flowers », « Melt Your Head », « I Got So High ») et tous ces petits effets, tous ces gros refrains et ces moments en suspension font de ce disque une vraie surprise, comme le sont les chouettes retours, ceux pour lesquels on avait abandonné toute idée d’être surpris. Et rien n’est plus beau qu’un réenchantement, même petit, même discret, comme ça au coeur de l’été.
Point vinyle :
Cette énième sortie chez Heavy Psych est proposée en bundle, avec des tonnes de goodies, en black bien sûr, en deux éditions limitées à 100 exemplaires, l’une transparente (plutôt jolie) et l’autre en tricolore (aussi affreusement colorée qu’un cul de babouin) ainsi que 400 disques en « aqua blue », beau et apaisant comme la mer adriatique. A noter que même si les versions couleur ont tendance à être toujours un peu plus chères, Heavy Psych a carrément une politique sur le sujet frôlant l’abus total. Reconnaissons tout de même que leurs pressages black sont par contre très abordables. Est-ce qu’elle n’est pas ici, finalement, la théorie du ruissellement ?
Mantar – le duo Allemand le plus bruyant de l’histoire – revient avec un album au titre particulièrement positif : Pain is Forever and This Is The End. Il faut dire que la pandémie a pas mal affecté ce groupe qui ne vit quasiment que de concerts, sans compter l’éprouvante phase de composition de l’album : Hanno Klärhardt (guitare/chant et unique compositeur du groupe) ayant dans un premier temps jeté l’intégralité de ses compostions, peu convaincu du rendu de ces dernières. Une fois l’inspiration retrouvée, il lui a fallu quitter la Floride (et son écureuil domestique) où il s’est installé, pour rejoindre Brême pour l’enregistrement. Par deux fois il s’est rendu sur place et par deux fois il a dû rentrer pour se faire opérer du genou, suite à d’infortunés accidents (d’abord en prenant une photo de son collègue batteur au mariage de ce dernier, puis en glissant dans un centre commercial). Bref quand ça veut pas, ça veut pas. Sans parler de l’actualité déprimante, les despotes succédant aux crises qui se transforment parfois en guerre. Alors oui, la douleur semble perdurer et qui contre-argumenterait si on parle de fin du monde?
Pourtant…
Pourtant PIFATITE (non ce n’est pas un nouveau virus) a fini par sortir et il s’agit probablement du meilleur album du groupe à cette date.
Prenez les molards imparables que sont « White Nights » (Death by Burning/2014) ou “Era Borealis” (Ode To The Flame/2016) et imaginez tout un album composé avec cette efficacité : Vous avez PIFATITE. Pas que The Modern Art Of Seting An Ablaze (2018) ait déçu, quoiqu’un peu long à mon goût, mais ce quatrième essai est une totale réussite. L’énergie punk sous-jacente au sludge/black’n’roll du duo explose en surface, accompagnant des riffs simples et efficaces, sur rythmiques puissantes – « comme si je cognais quelqu’un » confesse Erinç Sakarya lorsqu’on lui demande comment est son jeu de batterie. « Grim Reaping » saisit par son efficacité, « Hang’em Low (so the Rats Can Get’em) » par son énergie (et sa poésie), tout l’album marque, jusqu’aux dernières notes d’« Odysseus », dernier et meilleur morceau de l’album. De sa pochette au sample en ouverture d’« Orbital Plus », l’album est traversé par cette idée des dangers du culte, qu’il soit personnel ou en groupe. Mantar ironise sur cette société obsédée par l’opinion, par l’obsession du flux offrant des réponses simplistes aux questions complexes.
Pain is Forever and This Is The End, avec sa fureur et ses ambiances sombres tout en gardant chacun de ses morceaux extrêmement reconnaissables, réussit le tour de force d’apporter de la lumière dans sa noirceur, du refrain dans sa bouille sludge, du rock dans son vacarme. Un grand, grand album.
Point vinyle:
Preuve que Metal Blade croit en son nouveau poulain, pas moins de 8 versions couleurs limitées disponibles, plus une box et la version noire. Bref il y en a pour tous les goûts (et pour les amateurs de CD, mais collectionneurs quand même, un édition japonaise est dispo à l’import chez Chaos Reign).
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