|

Un peu de recul suffit à prendre la mesure de la petite galaxie autour de Corrosion of Conformity et ses quatre musiciens hyperactifs : une palanquée de projets musicaux, pour certains émanant directement des périodes de « break » de C.O.C. (durant leur split ou leurs pauses un peu forcées, en particulier par la priorité donnée ces dernières années à Down, l’autre groupe de Keenan). Reed Mullin (batterie), au calme pendant une dizaine d’années (rappelons qu’il quitta C.O.C. au début des années 2000), n’a pas brillé dans l’intervalle par sa production discographique parallèle, ce qui ne l’empêcha pas d’initier un projet musical avec son pote Jason Browning (guitare) en 2009. Pour étoffer ce maigre line-up, Mullin reprend contact avec son ancien compère bassiste Mike Dean (basse), qui ne tarde pas à intégrer le projet, heureux de renouer avec son binôme rythmique presque dix ans après leurs dernières bacchanales musicales. Le jeune trio produit une première paire de chansons que Southern Lord sort en 7’’ en 2010 [les deux chansons figurent sur le présent disque, a priori du même enregistrement], permettant au groupe de se greffer à quelques tournées et tester leurs compos sur scène. Toutefois, le trio n’a jamais vraiment trouvé de franche « fenêtre de tir » pour être mieux mis en avant (qu’il s’agisse de tournée en headlining, de sortie de disque…), et c’est aujourd’hui seulement que le groupe trouve la voie discographique, à travers ce premier album, qui sort chez Ripple Music. Un album en quelque sorte posthume, Reed Mullin nous ayant quitté comme vous le savez en 2020. Il s’agit donc vraisemblablement ici de la première et dernière opportunité pour le groupe de se faire connaître largement… étrange situation.
C’est dans cet état de réflexion un peu ambigu que l’on se lance dans l’écoute de l’album, une écoute qui s’avère bien vite quelque peu délicate : le disque est assez difficile à cerner. Très largement porté par des musiciens qui affectionnent le jam, les titres déboulent sans prévenir, s’enchaînent sans forcément de logique claire, à l’image de cette intro instrumentale ultra mélodique (mais à la structure “à tiroirs”) qui passe le relais à “Asteroid”, un titre nerveux et groovy, que l’on croirait directement issu du répertoire de… Valient Thorr (ça vaut pour le chant aussi !). Etrange… Et ce n’est qu’un exemple, car les compos qui défilent ont au minimum deux points communs : ce sens du groove avant tout, avec toujours des rythmiques gouleyantes, mais aussi des structures alambiquées, conférant à l’ensemble un atour presque prog. La plupart des titres se développent et se déploient sur une succession de séquences, breaks, aller-retours… On est loin du socle standard couplet-refrain-couplet-refrain-solo-refrain, d’autant plus que le trio ne propose pas de titres à rallonges : avec onze morceaux pour 45 minutes, on atteint rarement la barre des 5 minutes par chanson. L’ensemble donne donc une impression roborative, d’un disque rempli jusqu’à la gueule d’idées, pour la plupart excellentes, mises bout à bout. Mais il y a peut-être trop à manger au final pour un seul repas, et le disque a du mal à passer et à maintenir la pleine attention sur la longueur… avec cette sensation paradoxale que son contenu est assez brillant en terme d’écriture. En aparté, on notera que les trois musiciens se partagent les lignes de chant sur l’album, avec une certaine réussite au global (ce qui contribue toutefois à l’impression d’un spectre musical “bariolé”).
Remis en contexte (un album-somme, récapitulatif probablement de toute l’existence du groupe), ce disque mérite bien cette densité. Débordant de riffs impeccables, de soli barrés et de courtes jams stellaires, le tout enrobé d’une prod assez sommaire mais efficace, ce disque généreux se mérite… mais il le vaut bien.

Existential Void Guardian, il y a quatre ans, nous avait laissé sur l’impression d’un Conan en début de transmutation, avec un album de morceaux courts et percutants, se détachant un peu (par ce biais) du dogme un peu trop classique selon lequel les chansons doom doivent être longues et lentes. Le rubicon ainsi franchi, on se frottait un peu les mains à l’arrivée de ce nouveau disque en se demandant quelle autre profanation le trio anglais pouvait encore perpétrer sur ce genre musical très balisé… Même pas la peine d’appuyer sur « play » pour comprendre que, déjà, cette initiative sur leur album précédent n’a pas fait un long chemin : six chansons pour plus de 50 minutes d’album… les chansons long format sont revenues au goût du jour ! Il va donc falloir se pencher sur les compos pour évaluer si, à nouveau, évolution il y a…
La première approche ne défrise pas trop le vieux doomster blasé, car au niveau style et son, le groupe est bien sur ses fondamentaux : le doom de Conan est lourd, le son est (très) gras, les riffs sont prépondérants (le chant est rare et systématiquement mixé très en retrait), alourdis par une ligne de basse bitumeuse, et l’ensemble est piloté par une batterie puissante et sèche. Quelques nappes de claviers viennent parfois étayer le tout en fond (« Grief Sequence ») mais sinon, on ne change pas une équipe qui gagne. C’est aussi le cas du line-up du groupe, inchangé (ils semblent avoir trouvé avec Johnny King un batteur fiable capable de tenir au moins deux albums d’affilée), du recours à Chris Fielding (leur bassiste) pour produire le disque (il est un producteur reconnu et réputé, et accessoirement a produit ou enregistré tous les précédents albums de Conan, même quand il n’y jouait pas…), et de leur artwork, énième déclinaison toujours par Tony Roberts de l’imagerie « médiévalo-martiale » fantasy qui est désormais indissociable de la discographie du groupe. Pas vraiment les ingrédients d’une remise en cause fondamentale, a priori…
Au niveau compos, le constat n’est pas si radical, ce qui n’empêche pas de prendre un super pied à travers ces six compos, très complémentaires. On y retrouve du très bon Conan « classique » en mode doom mid-tempo, avec les très réussis « A Cleaved head No Longer Plots » (10 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale) et « Righteous Alliance » (presque 9 minutes, un gros riff, une seconde moitié de titre plus expérimentale… ?!?), l’un des meilleurs titres du disque, avec un final qui n’est pas sans rappeler les immenses Bongripper (ultra lourd, ultra lent). Il y avait peut-être toutefois moyen de rendre ces titres plus efficaces en les réduisant un peu sur leur portion finale, qui manque « d’accroche ». Entre les deux, on aura aussi notre dose de doom « d’école », avec le plus lent « Equilibrium of Mankind », qui traîne son riff principal, gras et rampant, sur toute la durée du morceau, avec une batterie toujours en limite de contretemps… Petite joyeuseté qu’on sentait poindre sur Existential Void Guardian (et ses incursions extreme metal), Conan assume des influences metal plus affirmées, sur « Levitation Hoax » (sur sa première partie, avec des plans proches du thrash) ou plus encore sur « Ritual of Anonymity », dont la rythmique, encore plus nerveuse, va s’inspirer d’influences hardcore metal old school tout à fait bien intégrées (voir le refrain en particulier). L’album se termine par « Grief Sequence », un titre qui porte bien son nom, traînant sur presque un quart d’heure une trame musicale à base de clavier lancinant, une sorte d’orgue glaçant et grandiloquent, qui supporte un riff d’une extrême lenteur, le tout en mode instrumental. Bien exécuté, intéressant… mais probablement un peu trop long (presque un tiers de l’album, quand même…).
Bref, la qualité est là, et ce Evidence of Immortality est, tout simplement, un excellent album de doom. Il est (à nouveau) le signe que Conan développe son « fond de jeu » : il renforce ses basiques, tout en tentant quelques trucs ici ou là (rien de trop risqué, on reste en terrain connu). Le groupe est en maîtrise, mais aussi en démonstration de sa puissance éclatante sur son domaine musical. C’est bien… Etait-on en droit d’attendre autre chose ? A l’instar d’un Monolord, dans un registre musical différent mais proche, Conan ne propose toujours pas ici d’album qui va venir transcender sa discographie : les basiques ont été posés il y a bien longtemps maintenant (avec Monnos, mais surtout Blood Eagle, son album-matrice – c’est le même constat avec le Empress Rising de Monolord… sorti la même année !) et depuis, ils perfectionnent leur art petit à petit, mais toujours dans le même sillon musical. Frustrant ? Un peu, surtout quand, dans le contexte actuel, on est sur-stimulé musicalement, avec des propositions musicales sans arrêt, et de nouveaux groupes qui apparaissent tous les jours ou presque. Mais satisfaisant aussi : faire un bon album de doom est un exercice ardu, sur lequel de nombreux artistes se cassent les dents. Inutile dans ce contexte de gâcher notre plaisir et de se prendre la tête en sur-intellectualisant la chose (surtout sur un registre musical qui convoque largement la primitivité… bien servie ici) : dans son registre, Evidence of Immortality n’est peut-être pas parfait, mais il est l’un des meilleurs albums de doom sortis ces derniers temps, l’un des plus solides, homogènes et efficaces.

On sait peu de choses de ce jeune trio, si ce n’est qu’il s’est lancé il y a trois ans à peine, à Oslo. Avouons-le tout de go : dans la marée incessante de nouvelles productions qui se déverse quotidiennement dans nos oreilles, ce groupe aurait pu passer à l’as très aisément… si ce n’était pour ce sobriquet incongru (« les mecs mystérieux ») qui nous a titillé et incité à enchaîner quelques écoutes… ce qui fut loin d’être une mauvaise idée.
Rentrer dans ce disque n’est pourtant pas chose aisée, en particulier pour celles et ceux qui ont besoin de repères clairs, car Mystery Dudes part un peu dans tous les sens. Ils peuvent par exemple se lancer dans un bon vieux doom old school (le riff de « Evil Blood » rappellera quelques titres de Electric Wizard) pour le faire déraper au bout de quelques minutes sur des pentes dangereusement heavy rock, avant de revenir en terres doom… Déstabilisant. Ils peuvent aussi aller explorer des plans plus stoner-metal (le catchy « Ghost Train », l’instrumental heavy « Mondo Hopeless »…), du mid-tempo groovy (l’instrumental « Nebula ») ou même du punk (!) avec « Mexican Stand Up » ou le plutôt bien nommé… « Punk » (!!), pas leur titre le plus réussi toutefois, mais pas ridicule, en particulier pour son final.
L’ensemble, pris en bloc, s’avère un peu difficile à digérer, et l’on en ressort tout autant séduit (les riffs sont bien là, l’inventivité est au rendez-vous…) que circonspect (mais où vont-ils ?). S’il n’est toutefois pas l’album du siècle, ce premier disque de Mystery Dudes est en revanche un indicateur évident d’un groupe que l’on doit surveiller de près, sorte de touche-à-tout dont on aimerait néanmoins saisir la substantifique moelle, qui pour le moment nous échappe un peu…

C’est peu dire que My Sleeping Karma revient de loin. Moksha, son album précédent, date de plus de sept ans, et les fans du quatuor allemand n’ont eu qu’un album live à se mettre sous la dent pendant toutes ces années. Mais sept ans, pour quatre êtres humains, c’est long, et pour ces quatre là en particulier, ce fut éprouvant, à plus d’un titre. Les musiciens et amis ont été touchés à différents degrés par tout ce qui pouvait arriver de pire : décès, séparation, maladie grave… Forcément, la vraie vie prend le dessus et la musique passe au second plan, et Atma, dont les premières notes ont été écrites en 2017, ne voit le jour qu’aujourd’hui. Dans l’intervalle, l’écriture du groupe s’est imprégnée de ces expériences, pour un résultat… déstabilisant.
Il faut rappeler que musicalement, on avait laissé MSK avec son Moksha sur une ambiance plutôt altière, débridée, mélant les atmosphères pour un résultat haut en émotions et en expériences sensorielles ; au sommet de son art pensions-nous. La surprise intervenant après les premières écoutes de Atma n’en est que plus grande : même s’il ne fait pas l’ombre d’un doute une seule seconde qu’il s’agit de pur My Sleeping Karma, la densité du disque est d’une toute autre nature. Six chansons seulement, pas d’interlude ou de titres “remplissage”, on est dans le dur pendant près de 50 minutes. Musicalement, on le dit à nouveau, les bases de MSK sont toutes au rendez-vous, à un niveau de maturité tout simplement inédit. Le jeu de guitare de Seppi n’a jamais été aussi riche et inspiré, le jeu de basse de Matte n’a jamais été aussi présent, mélodiquement et en rythmique, la frappe de Steffen n’a jamais été aussi précise et puissante, et les arrangements de claviers de Norman n’ont jamais été aussi efficaces. Ce bilan-là s’impose dès la première poignée d’écoutes.
Mais il importe peu. Ce qui émerge plus fondamentalement d’Atma n’est en réalité pas une question d’interprétation mais d’écriture, et subséquemment d’ambiance développée. Autour du concept bouddhiste de l’Atma (un concept central décrivant le soi en tant qu’entité indépendante du corps et de l’esprit, crucial dans le cadre de nombreux principes fondateurs du bouddhisme), le quatuor déroule en six actes un parcours de vie, abordant les liens sentimentaux, la libération, le chaos, questionnant le poids de la divinité, et aboutissant, avec “Ananda”, au bonheur (que l’on imagine – ou espère – retrouvé). Pour porter ces concepts, MSK développe des chansons denses, très structurées mais jamais trop prévisibles, à l’image de “Prema” (choisi pour être proposé depuis quelques mois en primeur de l’album) qui développe plusieurs variantes de son riff principal sur la première section du disque, pour se transmuter en son milieu en une phase plus dynamique, légère et enlevée. “Mukti” prend la suite avec une intention différente : commençant par un segment plus léger, il s’alourdit sur la fin pour proposer un final tout en saturation et en puissance. Chaque titre vous prend ainsi par la main, vous emmène quelque part pour, en route, vous faire trébucher ou vous jeter sur un chemin de traverse, menant soit à un champ ensoleillé, soit à un cul de sac lugubre (ce qui était plutôt rare sur les disques précédents de MSK, proposant une approche plus optimiste fondamentalement). Bref, le truc vous prend par les tripes et ne vous relâche pas pendant la durée du disque, qui ne contient aucun morceau plus faible qu’un autre.
Atma est un disque d’une vraie beauté, profond et émouvant. Il est solide, à l’image de ses musiciens, forcés à la résilience, qui se sont reconstruits et retrouvés à travers la conception de cet album. Les fans de My Sleeping Karma y retrouveront évidemment le groupe qu’ils adorent, développant des mélodies remarquables et des compositions audacieuses et efficaces. Mais Atma a le potentiel pour captiver plus largement, pour toucher plus de monde et plus profondément. C’est en celà entre autres un disque remarquable, peut-être aussi parce que sa profondeur et sa noirceur assumée en font le partenaire parfait de cette époque sinistre, proposant néanmoins des lueurs de beauté porteuses d’un léger espoir.

S’il ne fait de doute pour personne ici que Nebula est un groupe majeur de la scène, je suis sûr que si je faisais une décente inopinée dans vos playlists, Spotify ou discothèques, je serai effaré du peu de Nebula que j’y trouverais. Du Monolord oui, ça dégouline sur les étagères ou dans l’iPod Shuffle, même les albums les plus dispensables, du Monster Magnet sans problème et du Kyuss à foison, en même temps c’est de saison. Mais Nebula semble plus être dans cette étrange case du respect poli. Le groupe dont personne n’ose dire du mal sans pour autant les écouter. La faute à qui, la faute à quoi ? Au peu de tournées ou apparitions marquantes en Europe ? La Faute à Eddie ? Car Glass remplace plus qu’il ne répare et ces incessants changements de line up ont sans aucun doute contribué à diluer l’intérêt de son groupe lorsqu’il était dans la fuzz de l’âge. Pourtant le début de carrière du trio (trois ex-Fu Manchu à la base, pour rappel) est pas loin d’être impeccable, nous ayant laissé au moins deux chefs-d’oeuvre et une poignée d’EP de grande qualité. Je rajoute au pot les Peel Sessions de 2008, on ne s’y était pas trompé dans notre chronique (ici). Mais depuis ? Depuis les départs d’Abshire et de Ruben Romano, et malgré des passages plus ou moins marquants de cadors tels Isaiah Mitchell (Earthless), Adam Kriney (La Otracina, autre groupe que vous n’écoutez pas assez !), Rob Oswald (Karma To Burn) ou Ian Ross (Roadsaw) ? Depuis, Nebula continue de creuser le sillon du psychédélisme heavy, comme statué sur son vrai faux album Heavy Psych, assemblé à la hâte pour le marché japonais mais à haute teneur en acide lysergique. Et puis le split, 10 ans d’inactivité au moment même du revival stoner. C’est ce qu’on appelle une vraie gestion de carrière.
Revenu d’entre les morts chez Heavy Psych (Sounds, le label, pas l’album, suivez un peu !), Nebula est désormais le projet d’Eddie Glass (était-ce différent avant ?), flanqué du fidèle Tom Davies (ex The Freaks, un groupe que vous n’écoutez jamais, ne faites pas genre) en poste depuis 2005 et Michael Amster, batteur de grand talent vu chez Mondo Generator et Blaak Heat (un groupe qui nous manque). Holy Shit (2019) est un album aussi honnête qu’oubliable et c’est peut-être ça qui a poussé Nebula dans la catégorie des groupes dont on ne dit pas de mal sans pour autant vraiment les écouter. C’est donc dans ce contexte de désintérêt quasi général que sort Transmissions From Mothership Earth (à l’heure d’écrire ces lignes, pas une version vinyle n’est encore sold out chez Heavy Psych, il n’y a donc pas que moi qui m’en suis détourné de ce groupe). Et pourtant…
Et pourtant ce disque a tout de la petite pépite estivale avec sa grosse demi-heure de fuzz épaisse, convoquant les premières heures du trio. À quelques fautes de goût près (“The Four Horseman”, le “single” clôturant l’album), Transmissions From Mothership Earth se veut solide, porté par un Michael Amster bien décidé à faire groover le disque à chaque pattern. C’est d’ailleurs à se demander si ses interventions sur Holy Shit étaient bridées par son côté « petit nouveau », parce que le gap entre les deux albums est abyssal sur ce point. Eddie Glass semble également avoir retrouvé l’envie de jouer de la guitare (lui qui joue souvent avec une Gibson SG, à la Iommi) et les riffs de « Warzone Speedwulff » (quel titre) ou « Highwired » (simple, basique, ultra efficace) sont absolument réjouissants. Il y a du Monster Magnet dans cet album, ou tout du moins une volonté de revenir au gros psychédélisme fuzzé du début des années 90 (« Wilted Flowers », « Melt Your Head », « I Got So High ») et tous ces petits effets, tous ces gros refrains et ces moments en suspension font de ce disque une vraie surprise, comme le sont les chouettes retours, ceux pour lesquels on avait abandonné toute idée d’être surpris. Et rien n’est plus beau qu’un réenchantement, même petit, même discret, comme ça au coeur de l’été.
Point vinyle :
Cette énième sortie chez Heavy Psych est proposée en bundle, avec des tonnes de goodies, en black bien sûr, en deux éditions limitées à 100 exemplaires, l’une transparente (plutôt jolie) et l’autre en tricolore (aussi affreusement colorée qu’un cul de babouin) ainsi que 400 disques en « aqua blue », beau et apaisant comme la mer adriatique. A noter que même si les versions couleur ont tendance à être toujours un peu plus chères, Heavy Psych a carrément une politique sur le sujet frôlant l’abus total. Reconnaissons tout de même que leurs pressages black sont par contre très abordables. Est-ce qu’elle n’est pas ici, finalement, la théorie du ruissellement ?

Mantar – le duo Allemand le plus bruyant de l’histoire – revient avec un album au titre particulièrement positif : Pain is Forever and This Is The End. Il faut dire que la pandémie a pas mal affecté ce groupe qui ne vit quasiment que de concerts, sans compter l’éprouvante phase de composition de l’album : Hanno Klärhardt (guitare/chant et unique compositeur du groupe) ayant dans un premier temps jeté l’intégralité de ses compostions, peu convaincu du rendu de ces dernières. Une fois l’inspiration retrouvée, il lui a fallu quitter la Floride (et son écureuil domestique) où il s’est installé, pour rejoindre Brême pour l’enregistrement. Par deux fois il s’est rendu sur place et par deux fois il a dû rentrer pour se faire opérer du genou, suite à d’infortunés accidents (d’abord en prenant une photo de son collègue batteur au mariage de ce dernier, puis en glissant dans un centre commercial). Bref quand ça veut pas, ça veut pas. Sans parler de l’actualité déprimante, les despotes succédant aux crises qui se transforment parfois en guerre. Alors oui, la douleur semble perdurer et qui contre-argumenterait si on parle de fin du monde?
Pourtant…
Pourtant PIFATITE (non ce n’est pas un nouveau virus) a fini par sortir et il s’agit probablement du meilleur album du groupe à cette date.
Prenez les molards imparables que sont « White Nights » (Death by Burning/2014) ou “Era Borealis” (Ode To The Flame/2016) et imaginez tout un album composé avec cette efficacité : Vous avez PIFATITE. Pas que The Modern Art Of Seting An Ablaze (2018) ait déçu, quoiqu’un peu long à mon goût, mais ce quatrième essai est une totale réussite. L’énergie punk sous-jacente au sludge/black’n’roll du duo explose en surface, accompagnant des riffs simples et efficaces, sur rythmiques puissantes – « comme si je cognais quelqu’un » confesse Erinç Sakarya lorsqu’on lui demande comment est son jeu de batterie. « Grim Reaping » saisit par son efficacité, « Hang’em Low (so the Rats Can Get’em) » par son énergie (et sa poésie), tout l’album marque, jusqu’aux dernières notes d’« Odysseus », dernier et meilleur morceau de l’album. De sa pochette au sample en ouverture d’« Orbital Plus », l’album est traversé par cette idée des dangers du culte, qu’il soit personnel ou en groupe. Mantar ironise sur cette société obsédée par l’opinion, par l’obsession du flux offrant des réponses simplistes aux questions complexes.
Pain is Forever and This Is The End, avec sa fureur et ses ambiances sombres tout en gardant chacun de ses morceaux extrêmement reconnaissables, réussit le tour de force d’apporter de la lumière dans sa noirceur, du refrain dans sa bouille sludge, du rock dans son vacarme. Un grand, grand album.
Point vinyle:
Preuve que Metal Blade croit en son nouveau poulain, pas moins de 8 versions couleurs limitées disponibles, plus une box et la version noire. Bref il y en a pour tous les goûts (et pour les amateurs de CD, mais collectionneurs quand même, un édition japonaise est dispo à l’import chez Chaos Reign).

Un groupe du nom de Smoke ça peut jouer que dans une seule catégorie, celle du stoner (faites un effort, le rapprochement est pas bien difficile). De plus le groupe étant signé chez Argonauta rien d’étonnant à cette hypothèse. Pourtant ces trois gars ne viennent pas du delta du Mississipi mais plutôt du Deltawerken en Hollande (CQFD). The Mighty Delta of Time est le nom de leur premier LP qui sort ces jours-ci et bien que peu porté sur la verdure, on s’est dit qu’il fallait choper la douille / le disque au vol.
Stoner certes mais plutôt dans sa branche southern avec des grattes en picking et aux sonorités quasi lap Steel. Bref, ça joue au bottle neck et ça envoie entre deux passes aériennes : “Ride” semble poser le décor de ce que sera cet album.
Ça envoie oui, les chœurs jouent le viril mais toujours mélodieux et je lorgne ici du côté de la piste “Bereft” qui au lieu de faire la poussive est un beau véhicule pour l’auditeur. Ce titre enchaîne avec un autre tout aussi contemplatif, “Riverbed”, et à ce point on se dit qu’il n’en aurait pas fallu plus de peur de l’indigestion. Pourtant c’est bien dans cette veine que continue The Mighty Delta of Time qui, tout de stoner vêtu, est surtout planant.
Les gars tiennent sur la durée non pas par une quelconque extraordinaire beauté des compos (qui néanmoins ne sont jamais dénuées de beaucoup de charme) ; on ira chercher plutôt dans l’atypique de litanies quasi mystiques ou des lourdes cartouches tirées par la basse et la batterie sur “Time” et “Umoya” (les deux morceaux de plus de 10 minutes de l’album)
En résumé, un album qui démarre fort puis, une fois à 20.000 pieds, qui prend un rythme de planeur pour une écoute linéaire avec de beaux moments. Voilà un groupe qui porte bien son nom et rappelle les sensations du hit avant la montée planante des encens prohibés. Ceci fait de The Mighty Delta of Time un album sensible. Sensible mais pas fragile ! OK ?!

Il y a une vingtaine d’années de cela, une poignée de labels se tiraient amicalement la bourre pour faire rayonner le stoner rock sur la planète. Alone Records était de ceux-là, avec une volonté affichée de développer la scène espagnole en particulier. Le label permettait de mettre en visibilité des formations très recommandables comme Viaje a 800, Fooz, El Paramo, Cuzo, Glow, Autoa… Gloire leur soit rendue pour cette noble tâche. Dans ce fringant roster figurait Orthodox, combo de doom assez classique, à la production assez rare, qui faisait un peu figure de précieux OVNI (à l’époque les groupes de doom venaient plutôt des contrées sombres, humides et froides, et les sévillans détonnaient un peu). Pour autant, leurs disques tenaient la dragée haute aux fers de lance du genre, mais leur discrétion (peu ou pas de concerts, sorties d’albums sporadiques…) ne leur permit jamais de réellement occuper la place méritée en termes de notoriété. Pour autant, nos trois ibères ont tracé leur chemin depuis bientôt deux décennies, sous l’indéfectible support de Alone Records (très peu actif depuis plusieurs années), et reposant sur les inamovibles mêmes trois amis. Leur musique a toutefois muté avec les années, et il est intéressant d’en faire le constat à l’écoute de ce Proceed.
Du doom old school classique, Orthodox a gardé les bases d’influence : leur musique s’appuie sur ce socle de rythmiques lentes, de frappe lourde et d’accordages graves. Mais leur soif d’exploration a pris un tournant assez radical il y a un peu plus de dix ans (rendant les allusions au groupe rares dans nos pages), tandis que le groupe s’est resserré en un simple duo (Marco et Borja, bassiste et batteur), injectant à tours de bras des influences débridées, produisant des albums intéressants mais assez barrés. Cette démarche exploratoire trouve une sorte de point culminant sur Proceed, tout en proposant une approche plus cohérente, probablement liée au retour de Ricardo, leur guitariste, au bercail, après une absence de plus d’une décennie. Pour donner plus de lustre encore à ces retrouvailles et à cette ambition retrouvée, comme un coup de poker, le trio fait appel à Billy Anderson (Sleep, Melvin, Neurosis, High on Fire, Eyehategod, Acid King…) à la production, pour superviser l’enregistrement et en effectuer le mix. Ce dernier fait exactement ce qu’on attend de lui : il apporte une cohérence sonore à l’ensemble, propose un rendu parfaitement sale (ni trop, ni trop peu) et donne la puissance sonore où elle s’impose (une batterie terrifiante, une basse oppressante, des riffs subtilement prépondérants et des leads parfaitement dérangeants).
Pour autant, l’écoute de Proceed n’est pas vraiment un long fleuve tranquille, loin s’en faut, et l’objet reste difficile à avaler, en particulier pour l’amateur de plaisirs simples et de dégustations rapides : Proceed est lourd, compliqué et riche, il explore beaucoup et propose beaucoup de choses. Il illustre très bien le riche spectre de genres musicaux pratiqué par le duo/trio : d’un socle évidemment doom, le groupe va se frotter à des plans presque post rock, dérivant sur des terrains déjà déminés par les brillants Eagle Twin (« Abendrot »), indus (on croirait entendre des plans de Ufomammut sur « Starve », avec sa frappe de mule et sa basse claquante), drone (« Starve » encore), et même des passages de doom presque jazzy (la conclusion de « The Long Defeat »). Et que dire du perturbant « The Son, The Sword, The Bread », qui fait tourner l’auditeur en bourrique sur presque dix minutes de plans bruitistes aux lignes instrumentales dissonantes, que l’on croirait même pas synchronisées. Rythmiques inconfortables, riffs malaisants et breaks imprévisibles viennent agrémenter chaque titre ou presque, annihilant toute éventualité de confort auditif ou même mental.
L’ensemble est rude, âpre à l’oreille, mais addictif : on aime à redécouvrir ce disque sur la longueur, se laisser capter par l’ambiance d’un passage, la force de tel autre, écraser par la frappe martiale de Borja, étourdir par les lignes de chant toutes cachées derrière le mur d’instruments… Difficile en revanche de qualifier la qualité du disque à l’aune d’un flux de productions plus conventionnel – on se gardera donc de le doter d’une quelconque notation, mais on le recommandera aux aventuriers du son pour lesquels le doom peut s’incarner dans un prisme musical plus large.

J’ai reçu ce matin une missive de la part de Red Sun Atacama, trio parisien qui fait le stoner avec beaucoup de passion et de tripes depuis 2015 et vient de signer chez Mrs Red Sound. Je vous partage ce qu’ils m’écrivent : “Cabron, sabemos donde vives !!”. Ah les chaleureux remerciements des groupes qui nous écrivent sans cesse. Dommage que je ne parle pas espagnol, mais avec l’habitude on sait à quoi s’en tenir! Et dire que je les avais traités de menteurs lors de ma précédente chronique.
La plaque, Darwin, est un rien plus longue que la précédente mais ce n’est pas pour autant qu’elle passe moins vite. Le rythme est sans doute la qualité majeure de RSA (l’acronyme du groupe, je ne donne aucune aide financière). De bout en bout Darwin nous fait frôler l’arrêt cardiaque en explosant le métronome. Avec cette même particularité, “Furies” s’inscrit dans la droite lignée des compos de Licancabur et lorsque le tempo se calme comme avec l’intro et le pont d’ “Antares” ou le pont de “Ribbons”, c’est toujours pour mieux reprendre son souffle et remettre le pied dedans ensuite, kicks de batterie à toute blinde.
Darwin est un album majoritairement instrumental, Clém réservant sa voix acide pour les meilleurs moments comme pour “Echoes” où non content de placer ses lyrics au bon endroit il livre un parfait solo de basse accompagné de percus, juste après le solo de gratte. Cette structure démontre la cohésion entre les musiciens. Celle-ci est présente sur tous les titres. Les trois gars s’emboitent le pas à merveille et se regroupent pile quand il faut c’est un bonheur de les entendre monter en ligne pour semer la bagarre tout au long de cette galette.
Le groupe ne reste pas sur ses acquis et insère ici et là, quelques moment plus calmes. Se faisant notre trio tente une incursion vers le psychédélisme et enrichissent ainsi leur fonds de commerce. Derrière ce travail de composition on se renferme assez peu sur soi pour laisser monter l’émotion. Tout ici part du ventre (si l’on excepte le morceau d’intro à la guitare flamenco). De la rage et de la force, quelques respirations certes mais pas d’envolée extatique ou introspective. Cela n’empêche pas pour autant Red Sun Atacama de placer ici et là quelques hameçons biens malins qui viennent choper l’auditeur par la manche (notamment la moitié de “Ribbons” qui en regorge et la conclusion pachydermique de “Revvelator” ).
Red Sun Atacama ne ment pas, c’est un pur groupe de stoner qui joue vrai et ils réchauffent les os au soleil brûlant de leur musique. Ils livrent à nouveau avec Darwin un album puissant et efficace qu’il faudra aller recevoir en live avec un protège dents. Un album qui a tenu ses promesses et ravira tous les amateurs du genre. (Sigan predicando la verdad del stoner, chicos)

Est-il encore nécessaire de présenter Valley of The Sun, le quartette de Cincinnati passé sous pavillon Ripple Music Records? On n’avait plus rien entendu depuis leur excellent Old Gods et le revoici avec l’étiquette de nouvelle génération du heavy et du stoner. A user les planches du vaste monde ils sont probablement montés en grade, voyons cela avec l’écoute de leur dernier né, The Chariot.
Valley of the Sun revient avec un album résolument Stoner. Rien d’étonnant. Le groupe creuse son sillon dans le genre depuis 2010, les gars ont eu le temps de se faire les dents et s’installent dans un créneau dont rien ne semble pouvoir les déloger.
La production léchée de la plaque résonne aussi propre et forte que pour le précédent album. On y croise des Chants entêtants comme sur “headlight” et de bout en bout les cordes ne faiblissent qu’en de très rares occasions comme pour “the chariot” afin d’accompagner le suave de la voix de Ryan Ferrier ou encore les chœurs de “Colosseum.”
Les appuis bluesys de “As Decay” qui coulent comme une évidence sont aussi perceptibles aux détours de morceaux gonflés à la testostérone. Car les morceaux savent montrer les muscles à la façon de “Sunblind”, blues rock sur vitaminé sans pour autant que l’enrobage sucré ne fonde totalement, en particulier avec l’à propos d’un passage à l’orgue bien senti.
Valley of The Sun confirme sa place et son identité. Pile là où on l’attendait The Chariot est plus qu’un véhicule lancé pleine balle, il s’agit d’un bonbon aussi doux qu’acidulé pour lequel on remet la main dans le paquet sans aucune culpabilité.

Les anglais de Desert Clouds sont de ces groupes qui portent très bien leur nom avec leur mélange de stoner rock à l’influence grunge très marqué et des sonorités psychédéliques appelant à l’évasion. Un brin taquin, ces hippies du grunge vont plus loin que le Brexit en nous proposant un très tentant Planexit.
Presque comme un cliché, le morceau éponyme ouvrant l’album rassemble toutes les qualités du groupe. Riff bien efficace basse grassouillette, chant écorché, on n’a à peine le temps de se chauffer la nuque que le morceau décolle pour filer vers des étoiles lointaines et stationner autour d’une flûte enchantée. On retrouve ce schéma grunge/psyché sur des morceaux comme “Staring the Sun at Midnight”, “Deceiver” ou “Speed of Shadow” mais avec des constructions plus ou moins différente. Les deux premiers morceaux jouant sur la répétition d’un riff avec une intensité crescendo alors que “Speed of Shadow” donne une plus grande place aux ambiances psychédéliques et sonne comme si les Doors étaient nés à Seattle.
Le groupe pousse cette atmosphère aérienne sur “Wheelchair” ou “Pearl Marmalade” mais conscient de ne pas endormir son auditeur, l’album est aussi parsemé de titres au son grunge plus énervés et rythmés comme “Mamarse”, “Willow” et “Revoltionnary Lies” qui viennent à chaque fois contrebalancer un des morceaux cités plus haut.
Dès la première écoute, on identifie le chant comme atout principal de ce “Planexit”. Forcément influencé par un Chris Cornell des premiers Soundgarden, il évolue aisément pour coller au timbre d’un Eddie Vedder sur “Pearl Marmalade” et “Deceiver” (en plus heavy sur ce dernier) ou de Jim Morrison sur l’errance 60’s de “Speed of Shadow” et intensifier le voyage musical. Car même si musicalement tout est carré et efficace, il manque à certains riffs ce côté entêtant qui permettrait à un titre comme “Staring at the Sun at Midnight” de passer dans une dimension plus épique. On sent cependant que Desert Cloud préfère travailler ses ambiances notamment avec une basse assez présente dans le mix (sur “Staring at the Sun at Midnight” encore lui comme par hasard mais aussi sur “Willow”) et pas mal de passage qui ont dû boucler pendant les répétitions (“Wheelchair”, “Pearl Marmalade”, “Planexit”).
Sans rénover son monde, Planexit est un album sérieux et intelligent dans sa tracklist qui prouve à nouveau que le mariage entre psyché et grunge est possible. Après tout, les hippies et les gosses des années 90 aimaient bien s’habiller de manière douteuse.

Nous avons jusqu’ici toujours été séduits par les productions de ce groupe australien au patronyme peu enthousiasmant. Derrière son frontman Paul Holden, les musiciens vont et viennent entre chaque sortie, sans que l’on n’ait senti de vraie fluctuation dans l’inspiration du groupe (ce qui laisse supposer le poids de son influence…). En progression constante, on espérait donc encore une bonne surprise après le déjà excellent The Balance of Nature Shifted sorti il y a deux ans.
Quelques écoutes suffisent à constater que le groupe ne s’est pas perdu en route, solide sur ses fondamentaux. Le premier de ces fondamentaux concerne sa production : sans jamais se départir de son son (un mix basse-batterie très classique mais solide, et une surcouche mélodique à renforts de guitares essentiellement) le groupe injecte une vraie réflexion dans ses choix de prod, sons de guitare, rares mais bienvenues nappes de clavier (pour des plans plus atmosphériques comme sur « Caged Animal » ou old school type orgue 70’s comme en fond sur « Scared »), chœurs parfois… avec l’efficacité comme leitmotiv. Sur ce socle de stoner mélodique nerveux gentiment fuzzé vient se greffer le chant de Holden : mixé bien en avant, il est décisif, sans pour autant se reposer sur une technicité ou originalité hors du commun – au service des compos uniquement. Bref, un savant équilibre, ajusté chanson par chanson, rarement mis à défaut.
Le dernier élément différenciant qui positionne ce You are Weightless dans le haut du panier est cette qualité d’écriture, en tout point remarquable : au bout d’une dizaine d’écoutes l’album devient addictif, et les écoutes suivantes viennent finir l’engrammation des chansons, que l’on se prend à fredonner inconsciemment à tous moments de la journée ensuite. Le phénomène est d’autant plus impressionnant avec le recul qu’il s’applique à 80% de l’album (il faut dire qu’avec 7 titres et 40 minutes de musique, Foot n’a pas pris le loisir de faire du gras, tout va à l’essentiel). Votre serviteur goûte un peu moins les mid-tempo (pourtant très catchy) que sont « Fire Dance » et « Caged Animal », mais difficile de critiquer le très malin « Gold Lion », « I’ll be just fine » (un riff impeccable, illuminé par un arrangement presque power pop brillant et un final de toute beauté avec une section de cordes en fond), ou encore le très heavy « Impossible ». Et que dire de ce prodigieux « Bitter », petite perle de robot rock groovy imparable, dont le lick de guitare (qui rappellera les meilleures inspirations de Josh Homme du début du siècle ou encore les illuminations plus récentes de Patròn) aura bien du mal à vous sortir de la tête.
Ce nouveau Foot, probablement leur meilleure galette à ce jour, est non seulement un excellent point d’entrée pour redécouvrir le quatuor de Melbourne, mais surtout un très bon album tout court. Il a de quoi séduire tout amateur d’un stoner rock travaillé, mélodique et efficace.

Si vous réécoutez le premier album de Electric Mountain sorti en 2017, vous vous dites immédiatement que ces trois mexicains ont dû écouter en boucle les albums de Dozer, Nebula et autres (early) Fu Manchu. Ou même plus encore Solarized ou Solace. Bref, ça leur a donné envie de s’y mettre et ils ont eu fichtrement raison. Donc déjà, allez écouter le premier album avant de découvrir celui-ci, c’est une belle pépite de stoner 100% pur jus. L’effet de surprise n’étant pas dans l’originalité des compos mais dans l’énergie et l’authenticité de la démarche.
Nous voici quelques années plus tard et le groupe nous balance Valley Giant. Electric Mountain pour le nom du groupe, Valley Giant pour l’album (et Electric Valley Records pour le label), on ne se démarque toujours pas et s’il n’y avait pas le chroniqueur enthousiaste que je suis pour vous pousser à aller découvrir, ce nom passerait peut-être sous vos radars de dénicheurs.euses avides de nouveautés.
Bref, pas besoin d’en écrire des tonnes, le groupe compense son manque d’originalité par une énergie et un souci évident du travail authentique et bien fait. Un peu comme un artisan qui ne fait rien de nouveau mais qui vous fait des choses de qualité à l’ancienne, Electric Mountain enchaîne les riffs à un rythme dingue et fuzz de partout sans complexe. Le groupe se permet aussi à l’image de “Morning Grace” un tempo plus lent au début, un beau changement de rythme et une écriture plus riche agrémentée de bons petits solos à la limite de l’impro. A partir des graines semées il y a quelques temps commence à germer une identité propre au groupe qui doit absolument continuer dans ce sens. Trouver son propre son, bien développer ses idées et surtout toujours garder cette pertinence dans l’esprit stoner qui les caractérise. “A Thousand Miles High”, instrumental qui conclut l’album est très prometteur. Intro soignée, les idées se développent en prenant leur temps (presque 9 minutes pour le morceau) et le groupe y fait preuve d’une belle richesse d’idées bien mises en œuvre. Du tout bon pour la suite que j’attends déjà avec impatience.
Après toutes ces années à écouter des disques par dizaines, je prends encore énormément de plaisir à revenir aux fondamentaux avec des groupes comme Electric Mountain qui ne cherchent pas à épater la galerie avec autres choses que du bon gros son et l’art du travail bien fait. Réapprenez les bases avec ce trio, c’est impossible de s’ennuyer.

Pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaissent pas, petit retour sur Besvärjelsen. Groupe suédois, chant principalement féminin, doom metal mélangé à d’autres styles, des membres ayant déjà roulé leur bosse dans d’autres groupes plus ou moins connus.
Et là vous me direz à raison, qu’est ce qui va distinguer ce groupe de tout un tas d’autres ? Déjà il y a ce qu’en disent les autres. On ne va pas se mentir, leur deux premiers EP (Villfarelser en 2015 et Exil en 2016) n’ont pas vraiment dépassé les frontières suédoises et les collections de die hard fans écoutant tout ce qui passe. Mais les échos étaient déjà assez positifs. Ce n’est qu’avec la sortie du très recommandable premier album Vallmo en 2018 que le groupe va véritablement se faire connaître des amateurs du genre. Quelques défauts, pas mal de qualités. Bref, on se note le nom du groupe dans la rubrique « à surveiller ».
Quelques mois plus tard le groupe se prête au projet lancé par Blues Funeral Recording pour un EP (Frost) dans la continuité du premier album. Pas de réelle avancée (une production tout de même un poil meilleure). A titre personnel, j’ai tout de même plus accroché sur cet EP que sur les productions précédentes. Mais on reste donc sur quelque chose de comparable, c’est déjà ça. Les voici de retour presque 3 ans plus tard avec un deuxième album sobrement intitulé Atlas.
Premier constat, mis à part la clôture de l’album, on ne dépasse pas les 6 minutes par titre étant même majoritairement en dessous des 5. On sent donc avant même la première écoute l’étiquette doom se polir quelque peu. Deuxième constat et ce dès les premières notes, la production est largement meilleure. Le budget enregistrement a dû être plus confortable et ça s’entend immédiatement. Troisième remarque tout aussi instantanée, si l’album est à l’image de ce premier titre très accrocheur et dynamique, l’étiquette Doom aura vraiment du mal à rester collée.
“The Cardinal Ride” d’ailleurs choisi comme extrait pour la promotion de la sortie, est clairement orienté dans une direction différente des précédentes sorties. Celles et ceux qui connaissent le groupe seront surpris.es à n’en pas douter. Cependant, ça sonne bien. C’est très accrocheur, c’est bien écrit, assez court et efficace. “Acheron” enchaine avec la même constatation. Des riffs plus courts mais soignés, un tempo plus soutenu et un son plus massif, moins dépouillé. Les arrangements et autres ajouts ont été peaufinés, c’est moins brut mais très agréable à l’oreille. Et le solo de guitare qui ne s’encombre pas de technicité est juste là pour une transition avant le retour du refrain. J’ai parfois l’impression d’écouter un autre groupe, clairement. Pas habituel. Premiers titres à l’opposé de ce qu’on attendait. Déception ou pas ? Et bien pas du tout. Certes la direction musicale semble avoir changé mais c’est peut-être un mal pour un bien. Le groupe parait plus à l’aise. Lea Amling Alazam semble par exemple plus épanouie vocalement. Consciemment ou pas, l’album proposé est clairement plus abordable pour un public réfractaire à l’étiquette Doom. Un peu comme Alunah dont l’étiquette Doom m’a toujours rendu perplexe, Besvärjelsen vise clairement un autre public. “Hourse of the Burning Light” est carrément à deux doigts du stoner FM avec son refrain hyper évident et son riff de base d’une simplicité assumée. Changement de direction certes, mais on ne renie pas son passé et le titre suivant “Paradise” ralentit clairement son rythme pour nous donner une compo assez classique et pause bienvenue dans ce milieu d’album. Car “Digerliden” reprend la route en ligne droite plein gaz juste après.
Bourré de qualités, cet album n’évite cependant pas quelques facilités. “Descent” est un titre bien trop simpliste dans son écriture prévisible et l’instrumental dépassant à peine les deux minutes est parfaitement dispensable ou aurait dû clairement être intégré comme intro au titre suivant “Obscured by Darkness” qui fait le job côté Doom like.
L’album se termine avec “Divided Ends”. On y retrouve quelques riffs plus longs, des changements de rythme et autres variations qui en font certainement le morceau le plus riche.
Je vous conseille fortement de découvrir cet album comme si c’était un nouveau groupe et de ne surtout pas attendre une suite directe de Vallmo. Car sinon vous risquez d’être déçu.e mais surtout de passer à côté d’un album très agréable à l’écoute et qui devrait permettre à Besvärjelsen d’être plus remarqué et de voir son nombres de fans largement progresser.

Un nouvel album de Sasquatch c’est toujours un petit événement en soi. Né au tout début du siècle, le trio californien (enfin plus complètement depuis que Craig Riggs est derrière les fûts) est à rapprocher de la première vague de vrais groupes de stoner… et cette espèce est en voie d’extinction ! Or bon an mal an, le groupe se rappelle régulièrement à nos souvenirs, trop rarement néanmoins, mais sans jamais donner de signe de fatigue. Ils nous proposent généralement une nouvelle galette tous les 3 ou 4 ans, sans jusqu’ici faire de faux pas qualitatif. Même si on a attendu celle-ci un peu plus longtemps (Maneuvers, son prédécesseur, date de 2017), l’album est en réalité enregistré depuis plus de deux ans (!!), mais les bandes ont attendu dans les cartons que le paysage s’éclaircisse (Covid, concerts, etc…) pour permettre au groupe de le défendre notamment sur scène.
Maneuvers (on vous en parlait ici) répondait parfaitement au clichesque concept « d’album de la maturité », sur lequel le groupe confirmait son talent dans son style de prédilection, mais se permettait en sus quelques expérimentations audacieuses, gonflant son son et élargissant son spectre sonore à partir d’influences plus vastes. Fever Fantasy est exactement dans la même tendance en proposant, tout simplement, un nouvel album de référence dans la discographie sans accroc du groupe. On y retrouve cette fois encore une belle série de titres de stoner nerveux et puissant (“Save the Day, Ruin the Night”, « Live Snakes », « Voyager »…) et une poignée de mid-tempo catchy et heavy (« Part of not knowing », « It lies beyond the Bay »…), qui déjà à eux seuls justifient l’acquisition de cette galette. On trouvera quelques pièces moins classiques aussi, à l’image de « Witch » ou de ce (un peu trop) long « Ivy », où le groupe développe des ambiances plus calmes et lentes. A noter l’apport par exemple sur ce dernier de claviers bien plus assumés que sur Maneuvers, qui apportent des nappes très intéressantes en fond des superbes soli de Gibbs.
Si vous ne connaissez pas encore Sasquatch, on est sur du stoner rock de référence, tout simplement, avec toujours ce son de gratte énorme et lourdement fuzzé dans les coins, cette basse ronde et groovy tissant une base mélodique omniprésente, cette rythmique plombée (quelle frappe de Riggs !)… L’ensemble est servi sur un lit de riffs incroyablement efficaces, qui finiront de tapisser le fond de vos conduits auditifs (le super heavy “Live Snakes”, le catchy “Voyager” couplé à un impeccable arrangement de claviers, “Cyclops”, le punchy “Save the Day, Ruin the Night”…) . Rajoutez à ça le brin de voix chaud et subtilement rocailleux de Keith Gibbs tout à fait emblématique (toutes proportions gardées, le gaillard fait souvent penser à Chris Cornell), et vous retrouvez tous les ingrédients de la recette qui fait depuis plus de deux décennies de Sasquatch l’un des référents incontestés de la scène stoner.
Fever Fantasy s’avère donc être rien moins que l’un des meilleurs disques de Sasquatch (d’aucuns oseront dire qu’il s’agit de l’un des cinq meilleurs – soyons fous), présentant un groupe solide, toujours inspiré malgré les années, fidèle à ses racines tout comme à ses fans. Ce nouveau disque propose non seulement une vraie tranche de jouissance auditive, mais surtout le potentiel d’une grosse poignée de nouveaux brulots propices à alimenter les prochaines set lists live du groupe. Le meilleur des deux mondes.
|
|