Möuth est un jeune trio suédois, sans signe particulier en apparence, en activité depuis moins d’un an, sortant un album à l’artwork un peu clichesque, sur un label tout à fait confidentiel… Dans un monde normal, la probabilité que l’on accorde plus de 5 minutes à un tel cas est extrêmement faible. Pour autant, l’alignement des planètes fut favorable… et le talent du groupe a fait le reste.
En droite provenance de Stockholm, Fredrik Aspelin, Erik Nordström et Martin Sandström (so cliché) se sont rassemblés derrière ce sobriquet à tréma, et moins d’un an plus tard, direct, ils ont enregistré ce disque. Quelques concerts ici ou là, dont un Duna Jam, et Paf ! Un album. 40 minutes, huit morceaux et demi – limite prétentieux, les jeunes. Enfin « jeunes » : en grattant un peu cette image d’Epinal, on comprend que les musiciens sont en fait de vieux amis, qui sont plus proches de la quarantaine que de la vingtaine, et qu’ils ont tous traîné leurs guêtres dans plusieurs formations suédoises, peu connues toutefois. Möuth se veut donc un vaisseau de leurs intentions musicales convergentes, une plateforme leur permettant de mêler leurs appétences et un soucis d’efficacité, les années et l’expérience aidant.
Il ne faut pas attendre longtemps avant de déceler qu’on a là quelque chose d’atypique, et finalement d’extrêmement qualitatif.
En revanche, la musique du trio est difficile à décrire simplement : les pieds sont bien ancrés dans une base de heavy rock assez énergique, avec des emprunts assez massifs à tous les sous-genres du stoner, du psyche, voire du grunge ici ou là… Tandis que le socle musical est très instrumental, le chant de Nordström vient apporter un élément bien distinctif à la musique du groupe… avec des passages parfois un peu nasillards (« Mantra » par exemple) qui pourront en première approche déstabiliser un peu. Mais globalement, le bonhomme sert bien les compos, ses lignes de chant s’appliquant efficacement et sans outrance à des sections où l’instrument se sert quand même la part du lion : une structure rythmique riche qui sait délivrer de bonnes portions de groove lorsque nécessaire, et des plans de guitare en apport mélodique à la rythmique, ou via des leads efficaces et sans outrecuidance.
Sur le papier, c’est du vu et revu maintes et maintes fois, ça donne pas forcément envie. Mais à l’écoute, il se passe quelque chose : non seulement ce disque est blindé de petites perles de composition complètement addictives, mais il est traversé de véritables moments de grâce. Au rayon efficacité, difficile de faire mieux que « Holy Ground » : gros riff nerveux (5 notes de musique, la base), refrain court et percutant, break / leads avec solo flamboyant mais pas flambeur en final… Du travail d’orfèvre. Parfois, le trio se pare de ses plus beaux atours psyche, allant jusqu’à se vautrer dans des plans aux confins du kraut rock, pour un résultat absolument impeccable (« Dirt », le remarquable et léger « Alike » qui convoque les groupes de kraut old school mêlé à des reflets presque… surf rock, puis garage rock !). On ne détaillera pas chaque titre, chacun apportant une nuance supplémentaire à un disque qui n’en manque pas, mais on pourra zoomer sur probablement le point culminant de ce disque, « Sheep » : sous ses atours de mid-tempo un peu dark, le titre se dévoile sur sa dernière moitié toute instrumentale à travers une succession de plans de pure perfection musicale : leads glorieux (jamais d’enfumage technique) avec renforts impeccables de wah-wah, riffs acérés, contre-riffs (!), le tout arrive couche après couche, pour mener à un final jouissif.
Difficile de prédire de quoi seront faits les lendemains de Möuth : peu exposés (label confidentiel, peu de médias en parleront…), peu présents sur scène (en outre ce ne sont plus de jeunes loups capables de passer des mois en tournée), il est à craindre que le trio suédois reste un petit secret de niche. Ça ne diminue pas la qualité de ce Global Warning, une petite perle dans un paysage musical qui parfois tourne un peu en rond.
Et hop, comme tous les deux ans envion, il est temps d’accueillir un nouveau Mantar ! Toujours dans leur veine résolument « chill & feel good », la production du jour s’intitule Post Apocalyptic Depression, encore un signe d’un disque s’annonçant acidulé et onctueux à l’oreille.
S’il est un groupe qui se prête mal à la sur-intellectualisation, c’est bien Mantar – pour autant, une analyse très basique permet de faire émerger le premier constat sur ce disque : 12 chansons pour 35 minutes au total, on est sur une moyenne de moins de trois minutes par chanson (plus de quatre minutes en moyenne sur son prédécesseur Pain Is Forever and This Is The End), l’évolution est brutale… dans tous les sens du terme d’ailleurs. Tandis que leur album de 2022 les représentait dans une sorte d’aboutissement en terme d’écriture, avec des morceaux denses, riches et bien pensés, cette nouvelle production ne propose donc que des titres « maigres », avec uniquement la chair et le muscle sur les os, pas de gras : du riff, du couplet-refrain bien accrocheur, des mini breaks… ça ne va pas chercher plus loin ! Lorsque l’opportunité d’un solo intervient, il ne dure que quelques secondes (voir pour rire celui de « Pit of Guilt », joué sur 3 notes simplement). L’intention musicale est clairement dans une veine punk sur ce disque : pied au plancher, droit au but, pas mal de rythmiques binaires… Le tout baigne dans une mixture sludge metal tout à fait classique pour le groupe (voire extreme metal, cf. « Axe Death Scenario » et son break aux relents death metal), mais sans l’enrobage d’une production bulldozer. Le duo a affiché cette intention de proposer un disque brut de décoffrage, élaboré et enregistré rapidement, se reposant sur l’instinct et l’intention musicale, sans trop réfléchir. On peut dire que le contrat est rempli.
Côté compositions, il est difficile de faire émerger quelques titres de ce maelstrom d’ultra violence, et au bout de quelques écoutes, on se prend à entonner tous les refrains, qu’il s’agisse du mid-tempo groovy « Rex Perverso », du heavy « Principle of Command », des grungy « face of Torture » et « Dogma Down », du punky « Halsgericht », du rapide « Pit of Guilt »… Ne parlons pas des très accrocheurs « Church of Suck » (2 minutes de la parfaite hybridation musicale entre tous les style susmentionnés) ou « Axe Death Scenario »… N’en jetez plus ! Un titre = un hymne au sludge metal chanté le poing vers le ciel.
Mantar continue son parcours avec ce Post Apocalyptic Depression, sans lasser, avec cette fois un twist rafraîchissant qui rend ce punk-isant cinquième album studio assez attachant. Les compos sont certes basiques, par nature et par intention, mais d’une efficacité et d’une homogénéité que le duo a rarement atteintes jusqu’ici, ce qui rend l’écoute répétée de ce disque jamais lassante.
Evidemment, Mantar s’éloigne encore un peu plus de nos accointances musicales, ici à Desert-Rock, mais on s’y est habitué, et s’il se détachait encore plus de ses racines sludge, il n’est pas impossible qu’on coupe une bonne fois le cordon ombilical bientôt… Mais en attendant, on en reprend quand même volontiers une bonne tranche.
La Charente-Maritime, territoire rock par excellence, qui a enfanté tant de groupes légendaires… Ah ben non, en fait. Sur ces terres peu propices, Walnut Grove DC trace sa route depuis un bon paquet d’années, avec quelques rondelles autoproduites sous le bras et quelques rares incursions scéniques selon une ligne temporelle mal définie. Difficile, dans ce contexte, de percer véritablement sur la scène française, bien que nous ayons déjà eu l’occasion d’apprécier leurs prestations, notamment dans le sillage de Mudweiser, avec qui ils ont partagé plusieurs dates. Deeper, leur nouvel album, vient ainsi nourrir l’espoir d’un palier supplémentaire à franchir pour mieux ancrer le groupe dans notre paysage musical. C’est dans cet esprit que nous l’avons abordé.
Musicalement, la table n’est jamais renversée, mais l’identité du groupe reste solidement affirmée : dans la veine heavy rock fuzzé, Walnut Grove DC déroule son gros stoner dans les mêmes sillons tracés ces quinze dernières années par Orange Goblin. Testostérone, fuzz, saturation, énergie : ça transpire Motörhead, et il serait malavisé de faire la fine bouche. On retrouve tout cela dans une poignée de titres fédérateurs comme “Tumble Weed” ou le très rock sudiste “Room 330”. Quoi qu’il arrive, l’intention de prendre du plaisir est toujours palpable, qu’il s’agisse des chœurs de “Have a Break” ou des riffs musclés de “Turn Around”.
Le quatuor, disons-le sans ambages, se heurte aux contraintes de l’autoproduction : le groupe est son propre client, et son son évolue peu. On en retiendra la cohérence, mais on regrettera l’absence d’un petit vent de fraîcheur. On aurait notamment aimé un travail différent sur le chant : les vocaux de Vinvin sont efficaces, puissants et percutants comme il faut, mais peut-être trop en avant dans le mix. Résultat : l’accent anglais, parfois perfectible, nous sort un peu du trip par moments. Cela dit, pour un auditoire franco-français habitué au minimalisme linguistique, ce n’est pas un gros problème. Espérons même qu’au-delà de nos frontières, cela apporte une touche d’exotisme et de fraîcheur à l’oreille anglophile.
Au final, Deeper s’impose comme un album à toute vitesse, qui malgré une production en dessous de ce que l’on pourrait attendre, consolide la position de groupe rock et stoner qui joue la sécurité. Vu l’engouement pour un style sans fioriture et le plaisir qu’on peut éprouver à se laisser aller à cette galette, il ne serait pas surprenant que cette dernière vienne se faire une belle place dans les playlists d’un nombre certain d’auditeurs. Espérons même qu’au passage le groupe y gagnera un label qui le valorisera comme il se doit. C’est bien tout le mal qu’on leur souhaite. Exit les charentaises : on enfile son cuir et ses bottes de moto pour une virée à dos de Deeper.
On pourrait écrire des pages et des pages sur la situation de Pentagram, sur comment on en est arrivé là… Alors on va faire court : après une tournée d’adieu (!) l’an dernier, passée par l’Europe, tous les musiciens du groupe, sauf Bobby Liebling, ont annoncé les uns après les autres quitter la formation… Quelques jours avant la fin de cette tournée, on apprenait que le label Heavy Psych Sounds avait signé le « groupe » et comptait sortir leur nouvel album (!) et quelques rééditions au passage. Un line up était annoncé un mois plus tard à peine, pour épauler Bobby dans l’élaboration de ce nouveau disque, et une poignée de concerts a été montée rapidement à l’automne pour tester cette nouvelle formation et quelques nouvelles compos sur les planches… En quelques mois, la carrière de Pentagram a repris un virage bien WTF… et ce n’est pas le premier de leur histoire !
Le line-up bricolé pour l’occasion ? La fine fleur du mercenariat stoner doom, avec Henry Vasquez à la batterie (vieux baroudeur du doom metal old school : Saint Vitus, Spirit Caravan, etc…), Tony Reed de Mos Generator à la guitare (et à la production du disque, on en reparlera), et son bassiste au sein de Mos Generator, Scooter Haslip.
Dès les premières écoutes, on comprend très vite que tout est fait pour capitaliser sur Bobby Liebling – mais pas forcément sur son talent ou sa créativité, plus sur son personnage : pochette de disque immonde dominée par son regard torve, divers artworks nases dévoilés ces derniers mois où il figure aléatoirement… Plus significatif encore, il semble quasiment déifié sur le disque tout entier : la production de l’album repose sur la sonorisation de ses lignes de chant, cristallines, parfaitement intelligibles, prépondérantes… Jusqu’ici le chant de Liebling n’a jamais été mis en avant sur ses disques, souvent en retrait derrière les sections instrumentales, valorisant des musiciens qu’il avait le talent de très bien choisir. Et pour cause (attention blasphème) : il n’a jamais vraiment été un grand vocaliste (ce qui n’enlève rien à ses nombreuses qualités).
Musicalement, les repères sont compliqués à cerner sur ce Lightning in a Bottle – ce qui en soit n’est pas si confusant pour les habitués de la carrière de Pentagram. Bon courage pour faire émerger une véritable identité à ce disque ! Les compos semblent venir de tous horizons, dont certaines sentent bon les chutes de studio de Mos Generator (« Live Again », franchement…), ou pire, sont littéralement des titres de Mos Generator recyclés sans effort (« I Spoke to Death »). En même temps, avec un album enregistré (et composé ?) en si peu de temps, on ne peut pas s’attendre à autre chose qu’à du pragmatisme. C’est le cas aussi pour les paroles, avec moins de la moitié des titres crédités à Bobby (beaucoup ont été écrits par Vasquez, manifestement arrivé en studio avec son petit calepin bien rempli…).
Bref, tout ça fleure bon la catastrophe annoncée, tous les ingrédients pour un raté sont réunis. Et pourtant… Ce disque est loin d’être mauvais. Et il faut probablement, largement, en attribuer le mérite à Tony Reed, musicien génial (que peu de monde écoute) et producteur talentueux. Le gaillard est une machine à composer, productif à outrance, que ce soit via la pléthorique discographie de son bébé, Mos Generator, ou bien via ses projets plus ou moins liés au stoner. En tant que musicien, le bonhomme n’hésite pas en outre à prêter main forte à ses amis pour des tournées ou des enregistrements, à la basse ou la guitare. Ce bagage lui permet de développer une science remarquable de la musique fuzzée, et sa capacité à écrire « à la manière de » est un des éléments clés de la relative réussite de ce disque (ne soyons pas dupes : malgré ce qui est dit dans les crédits, c’est manifestement lui qui a composé 95% de la musique de la galette). En tant que producteur enfin, sa réputation de technicien n’est plus à faire ces dernières années. Pour résumer son CV, Reed est un musicien surdoué, qui sait s’adapter à toutes les situations. Bref, le candidat parfait pour bricoler quelque chose vite fait / bien fait dans un contexte aussi tordu…
En résultat, on se retrouve avec 11 compos (assez courtes : 41 minutes en tout) variées, par leur style ou leur qualité. On y retrouve du heavy rock nerveux (« In the Panic Room », “Thundercrest”…), du hard rock gentiment stoner (“Dull Pain”, “Solve the Puzzle”…), du lent « doomy & creepy » (« I Spoke to Death”, “Walk the Sociopath”…). Il y a du bon, mais aussi du mediocre (ce “I Spoke to Death » assez téléphoné, « Lady Heroin », entêtant mais énervant, à l’instar du mielleux « Spread your Wings »…). En revanche la « patte Reed » permet à chaque titre, à sa manière, d’être très efficace, par un travail mélodique qualitatif, à défaut d’être renversant d’originalité. On retrouve donc une poignée de riffs remarquables sur ce disque (« Lighting in A Bottle » par exemple) qui ont un vrai potentiel.
A noter que rien moins que trois titres bonus sont proposés : deux titres qui sonnent encore beaucoup comme du Mos Generator et ne feront probablement pas date, et une version alternative de « Lady Heroin » dont on a du mal à voir la pertinence (c’est soit un excès égotique de Reed-producteur « regardez comme je peux faire sonner ce titre différemment en touchant ce bouton et celui-ci sur ma table de mixage », soit un excès égotique de Reed-compositeur « ce titre est tellement accrocheur que je vous en remets une couche en changeant un peu le son, je ne sais pas choisir la meilleure version »).
Le constat sur ce disque est donc mitigé : alors que tout semblait mis en œuvre pour générer un incident industriel d’ampleur, Lightning in A Bottle n’est pas raté. Il contient quelques compos intéressantes, qui ne déshonorent pas la réputation et la carrière de Pentagram (encore une fois, prenons un peu de perspective : rares sont les disques du groupe qui ne contiennent que de bons titres !) et qui permettront d’injecter un peu de nouveauté dans des set lists qui commençaient un peu à tourner en rond (et oui, on peut s’attendre à ce que la « tournée d’adieu » de l’an dernier ait été une simple « tournée d’au revoir »…). Reste ce goût un peu amer d’un disque créé pour de mauvaises raisons, dans des conditions peu louables, pour capitaliser sur la personnalité de Bobby, ce dernier devenant paradoxalement une sorte de marionnette dans son propre groupe. Pentagram est -il devenu un groupe en viager ?
Le groupe au nom le mieux trouvé de sa génération sort enfin une galette qui nous donne l’occasion de jacter un peu autour de leur rock psychédélique de qualité. Ce quartette limougeaud ne fait pas grand bruit, bien qu’un travail de sape méticuleux en live fasse parfois bruisser leur nom aux oreilles des amateurs de trips sonores. Stronger Than Arnold sort donc, avec la seule aide de ses bras musclés, Odd Structures Lost In The Depth Of Space.
Odd Structures Lost In The Depth Of Space est un album aussi kraut que délicieusement inspiré par les débuts de Slift. Ça tricote dès les premières notes de “Vibrations From Another World” et livre une masse compacte de mélodies (basse, guitare, batterie, chant et même saxo ) tout au long des 14’30 de “Citadel”, qui trippe sans déraisonner. Un exercice de style passé haut la main, ce dont on se convainc dès les riffs échevelés de “Sulfate”.
On gonfle aussi un peu les muscles sur “One Vision, One Key, One Mind”, et plus encore sur “Mapterra”. Et même si ce n’est pas le Arnold de “Conan le Barbare” qui a pris la tête de l’escouade, mais plutôt celui de “Jumeaux”, on ne tombe jamais dans le travers saumâtre de “Un flic à la maternelle”. Rien n’est prétexte ni opportunité ; l’art est maîtrisé. Stronger Than Arnold chasse le riff comme son homologue de celluloïd chasse le Predator.
Odd Structures Lost In The Depth Of Space, c’est un album de bonne humeur à rebondissements, digne d’un remake Space opera de Last Action Hero, dont on ressort avec le sourire et un peu de rêve en plus dans la tête. On ne pourra certes pas remettre de palme à Stronger Than Arnold pour son œuvre, mais à défaut, un bouquet de cactus devrait jouer le même rôle.
Le trio anglais Dunes et son label Ripple Music profitent du calme des sorties de ce début d’année pour propulser leur nouvel opus, Land Of The Blind. Cet album vient compléter avec brio une discographie déjà légèrement garnie (essentiellement d’ EP et d’un live) depuis 2017. Si le groupe ne brille pas sur la scène stoner par sa productivité, il mérite néanmoins une attention particulière pour sa capacité à faire rayonner le genre, avec des sonorités que l’on pourrait qualifier de modernes.
Dès la première écoute, même distraite, on perçoit l’équilibre des titres, où la fuzz surgit précisément là où il faut. Une écoute plus attentive révèle tout le potentiel d’un son chaleureux, dont la profondeur n’est nullement affaiblie par un chant plus acide (Tradition quand tu nous tiens). Et du chant, il en est question tout au long de l’album. Que ce soit par le leader ou par les interventions subtiles de ses comparses, chaque titre regorge de nuances. “Tides” en est un parfait exemple, à tel point que l’on se surprend à enchaîner les écoutes pour mieux s’imprégner des compositions et savourer ce plaisir gourmand.
Cela dit, Dunes ne fait pas partie de ces groupes qui foncent tête baissée à travers le désert au coucher du soleil. La batterie, bien que riche en frappes, impose un rythme lent et pesant, tandis que la basse et la guitare en amplifient l’écho.
Le chant, harmonieux et lancinant, berce l’auditeur entre “Cactus” et “Northern Scar”, avant de culminer avec “Riding The Low”, véritable tonnelet de poudre (Pour le tonneau il faudra encore attendre). Ce dernier titre, avec son intensité croissante dans le dernier tiers, s’impose clairement comme le morceau le plus incisif de Land Of The Blind.
Cependant, pas de place à l’ennui entre ces moments forts : “One Eyed Dog”, avec ses boucles fuzzées, et “Cactus”, déployant des phrases redondantes au chant, en témoignent largement.
Lorsque l’album s’achève avec “Riding Slow”, on est accompagné dans une redescente toute en légèreté. Les effets sur la voix et la douceur des percussions donnent l’impression de flotter littéralement sur une musique mi-solide, mi-liquide. Dunes invente presque un nouvel état sonore, pour ceux qui n’auraient pas opté pour quelques agapes lysergiques avant l’écoute.
Sans révolutionner les codes du stoner, Dunes nous offre avec Land Of The Blind une œuvre de qualité, poursuivant avec élégance l’héritage d’un univers kyussien. Et il y a fort à parier qu’après quelques écoutes, leur musique trouvera une place durable dans votre mémoire.
Livré dans un artwork élégant représentant une harpie prête au sacrifice sur un fond de côte où la mer vient s’écraser en monceaux d’écume, le troisième album du groupe de Salt Lake City, Moon Wizard, fait envie. Leur doom mélodique, n’ayant rien de reprochable jusqu’à présent, suscite la curiosité d’entamer cette nouvelle galette de 43 minutes, signée chez les polyvalents Hammerheart Records.
Dès les premières notes, on est cueilli par un doom élégant aux mélodies plutôt fédératrices de ce quartette bien installé dans son style. Les pistes se déroulent ensuite sans heurts, plus calmement que ce qu’aurait pu annoncer l’artwork nautique.
Moon Wizard est fédérateur, certes, grâce à des mélodies soutenues par une distorsion sur la voix, qui accompagne parfaitement la saturation des guitares, et le fond de batterie souvent ultra rapide. Cependant, une outro décrescendo sur “Mothership” manque d’inspiration : on aurait préféré une véritable conclusion pour un morceau dont la prosodie capte rapidement l’attention de l’auditeur pour s’y installer durablement, devenant ainsi la pierre angulaire de l’album Sirens.
On remarque une certaine proximité entre “Luminare” et “Epoch” dans les modulations du chant, créant une impression de redondance. Si l’écoute est distraite, on peut être tenté de revenir en arrière pour s’assurer que les morceaux ne sont pas en doublon. Mais cette impression s’efface rapidement avec le pont central d’”Epoch” et son dialogue guitare-batterie, d’une efficacité redoutable dans sa simplicité. Le solo qui y est englobé s’exécute tout en légèreté, soutenu par une basse routinière mais structurante. On navigue sur des flots très hospitaliers, et les chœurs de “Phantom”, déroulés sur une partition un peu plus percutante et saccadée, n’offrent pas un raz-de-marée mais une croisière fort agréable où la houle nous berce.
Avec Sirens, Moon Wizard installe tranquillement son savoir-faire : une production soignée, un ensemble cohérent et doomy comme on aime. Il y a dans cet album une pincée de modernité difficile à expliquer, associée à la solidité des anciens. Sans doute que les sorciers sont effectivement sortis à la pleine lune pour composer cette œuvre génératrice de satisfaction et qui s’estompera au matin venu pour nous laisser le souvenir d’avoir croisé la route d’une œuvre de jolie facture.
Sorti assez discrètement sur le toujours assez jeune label Sound of Liberation, ce second album de Kant aurait pu passer inaperçu. Il faut dire que ses atours vintage aboutis laissent en premier lieu penser à une énième resucée de cette veine retro rock d’où émergèrent en premier les Witchraft, Graveyard et consorts.
Des titres comme “Baba Yaga” nous emmènent directement dans cette voie, avec son riff Kadavar-esque en diable et ce couplet aérien que l’on croyait issu d’un vieux Graveyard. Mais un break au groove de forcené nous met un peu les idées en place, et on s’embarque sur la suite… Pas de révolution constatée après ça, mais des marqueurs forts qui se dessinent : un son, d’abord, profondément ancré dans le rock / hard rock 70’s dans toutes ses composantes. Ce son de guitare, ce chant avec beaucoup trop d’écho, ces grattes en harmonie, cette basse groovante qui n’hésite pas à emballer le tout d’une galopante rythmique à chaque fois que c’est utile, et ces soli épiques qui décollent et s’emballent à tous moments… Zéro nouveauté en termes de production, si ce n’est ce sentiment de quasi-familiarité qui fait que l’on rentre dans ce disque comme dans notre vieille paire de chaussons, sans effort. En contrepartie, ce n’est pas là que se fera la différence avec l’ensemble des groupes de la mouvance susmentionnée.
C’est côté compos que Kant montre une inspiration assez remarquable, car le groupe ne propose sur ce disque que des titres mélodiquement aboutis, mûrs et efficaces. Mais surtout, il larve sa galette de véritables moments de grâce, qui donnent tout leur sel à ce disque qui n’est clairement pas mièvre, comme une première écoute distraite pourrait le faire craindre. On prendra en exemple le riff royal de l’intro du disque, “The Great Serpent”, le break doom metal assumé sur “Dark procession” ou bien l’incorporation discrète de la flute traversière sur le bluesy “Traitors Lair”. Une base musicale riche, qui vient interpeler et intéresser à chaque écoute – en sus du plaisir sonore “de base” que procure ce style musical, lorsqu’il est joué avec même fièvre et la même passion que celle qui anime clairement ces quatre jeunes gens.
Ce Paranoia Pilgrimage n’est pas un “Game changer” dans le paysage musical assez balisé du retro rock que nous connaissons bien : il s’inscrit dans cette veine et en propose sa version. Le moins que l’on puisse constater, c’est le talent qu’il met à son ouvrage, et l’intégrité de son approche. Quand en plus il y adjoint une qualité d’écriture au dessus de la moyenne, on se retrouve avec un disque fort recommandable dans le genre, pour les fans de Kadavar, Witchcraft (les anciens), Black Sabbath et consorts.
Et si nous retournions en Italie ?! Et si on s’intéressait de nouveau à un pouveau jeune groupe signé chez Argonauta ?! C’est la proposition que l’on vous fait avec le trio Bozoo qui a sorti début octobre son premier album éponyme ! Les italiens mijotent depuis 2019 un stoner sauce années 90 avec tout ce qu’il faut de rock, voire de grunge, de cette même période, et avaient déjà produit un EP au son très rustique mais qui annonçait déjà la couleur, avec notamment deux titres que l’on retrouve sur ce premier album (“Rolling” et “Two Holes”).
Bozoo propose un premier album plutôt audacieux avec 11 titres au compteur pour une durée de 46 minutes et plusieurs titres qui viennent titiller les 5 / 6 minutes de plaisir. Car oui, on va vous spoiler tout de suite, l’écoute de Bozoo est un petit délice de stoner rock énergique et frais. Exemple dès le premier morceau avec “Mayday” et son riff complètement rock’n’roll. De l’audace aussi sur la première partie de l’album où les titres s’enchaînent avec de légères transitions qui donnent une agréable sensation de connexion entre eux (de “Flushing Action” à “Skizzen” grosso modo).
Côté sonorités, le groupe se balade dans les références rock 90’s sans une originalité folle mais sans non plus tomber dans le plagiat évident. Ils sont même plutôt malins à venir mélanger les couleurs au sein des morceaux, comme “Rolling” qui démarre dans ce stoner rock un peu bizarre à la QOTSA et qui va progressivement se muer vers le grunge désespéré d’un Nirvana. En fonction des titres on verra donc apparaître des teintes de QOTSA (“Flushing Action”, “Scott Mary”), référence récurrente notamment sur le chant et les riffs plus rock, de Brant Bjork (“They Call me Nobody”) mais aussi des choses plus rarement associées au genre comme Smashing Pumpkins (le riff de “Cut”) voire même Weezer (le riff principal et la voix sur “Skizzen”), tout cela en gardant une vraie cohérence et efficacité tout au long de l’album.
Références mises de côté, Bozoo propose un stoner rock puissant qui laisse présager des concerts où la sueur coule à flot, notamment avec les gros riffs musclés de “Skizzen”, “Scott Mary” et son solo de basse bouillonnant ou encore “Two Holes”. Le trio tente beaucoup de choses pour rendre cet album à la fois efficace, frais et lourd, difficile à partir de là de ne pas apprécier un minimum leur musique. On a hâte de voir la suite, et pourquoi pas de les voir venir visiter la France (chacun son tour après tout !).
En 2017, Electric Wizard sortait son déstabilisant (et assez médiocre) dernier album, Wizard Bloody Wizard, et s’en allait logiquement le défendre sur scène, toutes voiles dehors. Bon, c’est Electric Wizard, pas le Grateful Dead, donc une grosse tournée pour le quatuor de doomsters, c’est entre 15 et 20 dates par an – mais pour eux, c’est massif. Ça dure trois ans et – on vous laisse faire le calcul… – Bim ! Le COVID frappe ! Dans l’incertitude du devenir du groupe dans ce contexte pandémique obscur, mais néanmoins porté par ce vent favorable et un très bon feeling sur les planches, Electric Wizard prend son petit enregistreur 16 pistes, descend quelques heures dans son local de répèt’, et s’en va s’enregistrer, comme ça, à l’arrache, sans plan particulier autre que capturer son état de forme du moment. Depuis, le groupe a quitté sa caverne pour une poignée de dates ces dernières années, mais bien loin du rythme qu’ils s’était imposé avant le COVID.
« It’s raw as fuck », nous prévient Jus Oborn, en fin et subtil analyste musical qu’il est. Il a raison, en l’occurrence, et c’est vraiment le fil rouge de ce disque : la production est rudimentaire, ça pue le live, et c’est produit (littéralement) dans une cave. Le matériel, basique, permet néanmoins d’atteindre un son garage bien supérieur à une modeste démo, suffisant pour retranscrire à la fois la puissance de la machine Wizard, tous amplis dehors, tout autant que la saleté du son qui vient embellir ses riffs emblématiques. Avouons-le : après la production bien trop clinquante et fluette de Wizard Bloody Wizard, ce retour à quelque chose de parfaitement glauque est salvateur, et ce son vient nous caresser et rafraîchir les cages à miel, comme un subtil vent froid et humide qui viendrait balayer les plaines austères de la campagne anglaise. Deux guitares, une batterie (et pour les experts acousticiens, une basse quelque part, paraît-il), tout est là ! Comme en live, quelques samples viennent égayer le tout, en intro ou outro, et comme en live aussi, les morceaux sont joués un peu plus aigus que sur disque. Bref, écouteurs posés sur les oreilles, on s’y croirait.
C’est ce bon vieux « Dopethrone » qui nous met dans le ton, avec son riffing monolithique, dans sa version live, « courte » de moins de 10 minutes, et donc emmené par ce son rudimentaire mais puissant. La set list, on en prend la mesure assez vite, apporte peu de surprises : si le groupe se sentait bien sur ses prestations live, c’est aussi parce qu’il était dans sa zone de confort. On enquille donc les classiques (avec peut-être un peu de fraîcheur pour le plus rare « Scorpio Curse » qui vient se nicher au milieu), d’où émergent quelques glorieux moments. On pense aux excellents siamois « The Chosen few » (très bien en version longue) et « Witchcult Today » (et leurs riffs « escaliers » respectifs, qui se répondent comme « en miroir »), ou encore à cette très bonne version de « Funeralopolis » et son final à rallonge, chargé en groove psych bien lourd et jams saignantes. Point d’orgue du disque, « Black Mass », bien ralenti par rapport à son pendant studio, permet surtout à Oborn de vomir ses tripes sur chaque nouveau refrain petit à petit au fil du morceau, dans un vivifiant et oppressant excès de colère.
Alors, un live COVID, qui sort quatre ans après son enregistrement, pour un groupe dont le dernier album date de plus de sept ans maintenant, ça nous dit quoi sur Electric Wizard aujourd’hui ? Ben pas grand-chose, malheureusement, et toute extrapolation serait probablement vaine. Depuis bien longtemps on n’a plus espoir de voir se dessiner un semblant de parcours de carrière classique, voire linéaire, pour le duo/quatuor anglais, qui décidément, ne fait rien comme les autres. Bien sûr qu’on aurait préféré un nouvel album… Mais est-on content du plaisir auditif proposé par cette pièce ? Evidemment. Donc on fait avec ce qu’on nous donne, et c’est déjà pas si mal. Et au vu du marché du disque actuellement, leur intention n’est vraisemblablement pas celle de se garnir les poches… Si ce disque ne nous dit rien sur la santé et l’inspiration des doomsters anglais, il nous rappelle qu’ils sont toujours là et bien là, et que même s’ils se font mordiller les mollets par des pelletées de rejetons ces dernières années, rares sont ceux qui peuvent prétendre à ce talent et cette efficacité-là.
Ce trio écossais mène sa petite barque discrètement depuis 2016, mais du fait d’un premier album sorti sur un label confidentiel, d’une activité scénique famélique (et en tous les cas limitée au Royaume Uni) et d’un break aux parfums de COVID, le son du groupe n’était pas jusqu’ici parvenu jusqu’à nos oreilles. Du fait de sa signature chez les toujours qualitatifs Kozmik Artifactz (et intrigués par le sobriquet du groupe, son jeu de mot grossier mais rigolo) cette galette incite au minimum à la curiosité.
De manière assez intéressante, le groupe développe un style qui est très fortement empreint d’une aura de jam band revendiquée… mais il couvre un spectre finalement bien plus large, et c’est bien ce point qui les distingue. Le trio est tout de même particulièrement à l’aise dans un stoner groovy et fuzzé, tel qu’illustré par l’introductif « Jump Into the River » (qui se révèle en outre être une bonne plateforme pour le chant bien chaud de Craig Carnegie), ou le très catchy « Media Content », un mid-tempo bien fait, qui appuie à bon escient sur l’accélérateur autour des refrains nerveux et de soli parfaitement réjouissants. Ces plans plus heavy viennent apporter une bienvenue densité à la galette (voir le morceau titre, particulièrement bien charpenté, ou le tendu « Pleasure Monkey », un titre bonus dont le riff rappelle furieusement celui du très lourd « The Beginning… At Last » de… Black Label Society !).
Mais le groupe affiche quand même un peu partout ses velléités de jam band assumées, soit au détour de certains plans leads (que l’on sent bien propices à des extensions live débridées), soit via des titres complets, réceptacles déjà prévus dans ce but : c’est le cas de « Gentleman’s Surprise », qui fleure bon l’impro, sur une rythmique groovy parfaitement emblématique du style, ou encore les dix dernières minutes de « Rough Guide to tripping Through The Desert », qui s’avèrent néanmoins moins enthousiasmantes (car peut-être un peu trop débridées, justement, et manquant de fil directeur).
Au final, ce When the Wheels Fall Off se révèle très appréciable, très qualitatif, et assez diversifié pour ne pas lasser. Il permet de découvrir un groupe qui, nous l’espérons, traversera un jour la Manche pour venir poser ses amplis sur des scènes du Vieux Continent, où, d’évidence, sa musique prendra une autre dimension encore.
Encore un album d’un groupe italien de psych chez Go Down Records ?… Fut un temps où le label transalpin, (légitimement) chauvin, nous gratifiait de un ou deux disques de groupe de psych italien chaque mois, parmi lesquels figuraient des productions assez dispensables parfois, mais avec de vraies pépites aussi. Revenus ces dernières années à une production quasiment famélique, le label doit être vu comme plus sélectif aussi, et c’est avec une oreille plus intéressée que l’on se penche sur ses sorties désormais. En l’occurrence, Veuve est un trio italien qui n’en est pas à son coup d’essai, ayant déjà sorti deux autres albums, sur d’autres labels. S’il n’avait pas su capter notre oreille à l’époque, il n’est pas trop tard pour faire leur découverte, d’autant que le groupe vient à peine de dépasser les dix ans d’existence.
Avouons tout de suite que les premières écoutes nous ont désarçonné, votre serviteur s’attendant (satané cliché adossé au label) à une production de psych rock assez classique. Même si ce Pole n’est pas radicalement à l’opposé non plus, la richesse de sa proposition musicale nous a surpris (litote). Le groupe gravite autour de la planète stoner, mais jamais trop près, ce qui lui évite d’en revêtir les apanages les plus clichesques, jamais. Sa course dans l’espace le fait a contrario côtoyer d’autres planètes, comme autant de sphères d’influences plus ou moins marquées : prog/psych (l’intro de « Land of Denial » – son riff de basse, son arpège de guitare mélodique – vous rappellent Elder ? Oui nous aussi), doom (l’intro de « Quest for Fire » – son riff, son chant – crie Monolord à gorge déployée), post-rock old school (cette intro de « Inner Desert » qui rappelle les vieux Dredg), blues, grunge, space rock (ce discret clavier en fond sur le break de « the Thaw ») … On peut néanmoins aussi entendre parfois des échos de 1000Mods, Kyuss (le Kyuss plus « explorateur » de Circus…) ou autres groupes plus classiques dans les sphères stoner… Le plus surprenant dans tout ça tient dans le fait que, souvent, ces passages très variés viennent s’articuler dans la même chanson ! Mais le tout se fait de manière fluide, efficace, et la construction des titres fait montre d’une réelle maturité.
Très largement instrumentale, la musique du groupe peut toutefois se reposer sur le chant solide et efficace de Riccardo Quattrin. Pour le reste, on est sur une base musicale simple sur le papier (guitare, basse, batterie) mais qui semble bien plus riche et dense sur disque (superbe travail de production, malgré un budget que l’on imagine restreint).
Pole est un disque dont on a du mal à se détacher. Il est tellement imaginatif et audacieux qu’il n’ennuie jamais, et tellement bien écrit qu’il propose des dizaines de séquences captivantes et accrocheuses. Vous aurez du mal à vous départir du couplet super-mélodique de « Thrive on Empty Temples », du riff nerveux de « Land of Denial » ou de celui, lourd et doomy, de « Quest for Fire ». C’est toutefois sur ses pièces les plus longues (« The Sudden Light » et surtout « Inner Desert ») que Veuve excelle, développant des plages aux structures fluides, adressant un spectre musical et d’émotions riche et surtout bien assorti. Deux titres envoutants, éprouvants (voir la section centrale de « Inner Desert », avant un final aérien et puissant), parfaitement servis, une fois encore, par une instrumentation et des lignes vocales particulièrement bien senties.
Pole n’est pas un petit disque sans prétention comme on en rencontre parfois, de ceux que l’on peut oublier quelques mois et que l’on prend plaisir à réécouter à chaque fois. C’est un disque qui, sans jamais « sonner prétentieux », est ambitieux et fort. Bien ancré dans votre lecteur de disque, il aura du mal à en sortir, pour peu que votre cerveau soit disponible à la variété musicale sur laquelle il repose.
Le label transalpin Argonauta est rarement le dernier à proposer des groupes intéressants, généralement jeunes et à découvrir. C’est donc avec une oreille attentive et intéressée (le label est rarement pris à défaut de bon goût) que l’on s’est penché sur le cas de ce jeune et discret trio londonien, à travers leur premier album, faisant suite à une paire de EP produits durant leurs quatre premières années d’existence.
Proposant quatre morceaux pour 43 minutes environ, on peut présumer que l’influence première du disque est assez éloignée de la discographie des Ramones. Le groupe se décrit comme un pourvoyeur de doom metal, mélangeant (je cite) space rock et blues psychédélique. Une fois n’est pas coutume, la bio s’avère assez fiable, et l’on entend bien tout cela sur leur galette : évoluant dans une configuration assez classique (guitare, basse, batterie) le trio œuvre en instrumental complet et tisse de longues pièces musicales sur la trame de riffs solides. La lenteur du socle dynamique convoque des influences stoner doom assez classiques, sans jamais verser dans le post-metal, malgré la froideur de la constitution musicale et de la production, bien sentie. Dans cet exercice, les rapprochements avec Bongripper sont inévitables. Si le trio anglais ne pourra pas souffrir la comparaison avec les illustres doomsters américains, que ce soit en termes d’efficacité, d’inventivité et de puissance globalement, ce rapprochement fait sens très souvent au fil de l’écoute du disque.
C’est en particulier le cas sur « Estate », titre introductif plus court et plus accrocheur, dont les arrangements notamment sur la fin du morceau rappellent le travail à deux guitares de Bongripper (du coup, oui, il y a triche, Borehead n’ayant qu’un seul guitariste…). Les titres suivants sont tous intéressants et les écoutes s’enchaînent sans temps faible et sans ennui côté auditeur : le travail d’écriture et de construction est bien présent et fonctionne bien, avec des morceaux qui prennent le temps de s’installer, pour mieux déployer un ou deux riffs principaux à chaque fois, et une évolution sur le temps long (entre 10 et 14 minutes) qui emmène l’auditeur dans différentes sphères émotionnelles, avec des passages plus lourds, légers, tendus, oppressants, libérateurs… On notera que le trio ne tombe jamais dans le travers de complexifier à outrance ses compos, d’accumuler les séquences, breaks et plans alambiqués : l’écueil paradoxalement trop facile de verser dans le « prog » est évité, ce qui en soi est un effort remarquable (l’efficacité plutôt que la quantité et la démonstration).
Borehead montre avec ce Vita Est Morte Est Vita qu’il a les bonnes clés pour se développer. Son approche musicale n’est pas inédite ni singulière, mais elle se retrouve assez rarement aussi affirmée chez d’autres groupes, a fortiori aussi jeunes. Avec des riffs encore plus efficaces (ils sont déjà pas mal) et un travail encore plus audacieux sur l’écriture (et la production, cruciale pour ce style musical), il pourra emmener sa musique vers des sphères encore plus ambitieuses. Mais en l’état, pour un premier album, la qualité est bien au rendez-vous.
Il n’y a pas beaucoup de déserts sur les rives du Lac de Genève, mais il y a un trio instrumental qui balance depuis 15 piges un groove emprunt de la marque du son de la Californie du Sud. Après « And Water Flows » en 2013 et « Below The Eternal Sky » en 2018, la triplette helvétique se rappelle à nos bons souvenirs avec une digression autour des créatures, histoires sans parole, mais avec une putain de rythmique, captée en banlieue de la Cité de Calvin.
Avec un effectif stable depuis les débuts de cette aventure musicale, Six Months Of Sun croise régulièrement notre route pour balancer des sets follement intenses au cours desquels nous avons toujours été musicalement comblés et fort enthousiasmés. L’énergie live de c’t’équipe a été remarquablement transcrite par Serge Morattel au Rec Studio du Lignon (dans la cité où j’ai poussé) qui s’est chargé de la captation, du mix ainsi que du mastering et c’est au duo Cold Smoke Records (à qui on doit notamment les sorties de Hey Satan fans le rayon qui nous touche) et Urgence Disk (le label hyper prolifique et complètement touche à tout mené par mon pote Dam dans les murs de l’épicentre culturel de Genève : l’Usine ; une structure qui comptabilise pas loin de 370 sorties excusez du peu) que nous devons cette production qui fait grave taper du pied.
Musicalement, les connaisseurs de l’assemblée vont y retrouver leur compte avec une architecture stable question déploiement des titres : Christophe Grasset à la guitare vient plaquer des riffs distordus sur une énorme structure rythmique menée par Daniel Stettler qui tape telle la mule sur ses fûts et Cyril Chal qui envoie des grosses lignes de basse (remarquablement mises en avant par l’ingé-son) ; « Gevaudan » en étant l’illustration parfaite. Constitué comme une oeuvre à dévorer chapitre après chapitre (et pas comme un alignement de titres à se cogner indépendamment les uns des autres comme la consommation de masse nous le propose actuellement), ces 9 plages se succèdent de manière cohérente en osant parfois prendre des chemins de traverse, mais en ne décevant jamais sur les 35 minutes de temps de jeu. Les ovnis (« Dobhar Chu » et ses nappes synthétiques) ou le final électronique (« Dahu » qui est un peu la victoire des machines sur le power trio) soutiennent un alignement d’ogives comme « Jersey Devil », « Vatnagedda » ou « Shai-Hulud » propices à faire lever la cornette aux inconditionnels des regrettés Karma To Burn (pour qui le gratteux avait ouvert lors d’une Fête de la Musique mythique à Genève avec un autre groupe).
Difficile de ne pas se laisser séduire par une production d’un tel niveau qui vient soutenir la forme phénoménale de notre scène francophone laquelle ne s’arrête pas aux frontières de la Macronie (c’est Schengen les gars !). Ca sort juste avant que le barbu vêtu de rouge vienne se perdre dans les cheminées régionales alors faites-vous plaisir et ruez vous sur cette galette de grande classe dont « Ningen » est la fève qui va vous défoncer les dents. Merci les 3 rois mages : vous me faites sacrément plaisir avec cette livraison du terroir qui démontre encore une fois que nos régions ont un putain de talent !
Alors que nous digérons toujours l’excellent second album de Delving, dont nous vantions les qualités ici, Nick Di Salvo (Elder) revient déjà avec son autre projet solo (même s’il est ici bien plus entouré sur la partie studio), Weite, et un second album nommé Oase. Au départ monté comme une session jam, Weite devient rapidement un groupe à part entière composé de Ingwer Boysen (Delving) à la basse, Michael Risberg (Elder, Delving) et Ben Lubin (Lawns) aux guitares, Fabien de Menou (Perilymph) aux claviers, et donc aussi de Nick Di Salvo (Elder, Delving) mais qui ici opère en tant que batteur.
Il ressort de cette association un premier album Assemblage, sorti en 2023, un regroupement des jams du groupe en quatres morceaux nous emmenant dans des terres où le rock psyché des années 70, le krautrock et les synthés sont rois. Cet Assemblage restait plutôt agréable à écouter, notamment avec ces quelques touches plus jazzy, bien qu’assez sobre techniquement et posait de bonnes bases pour la suite de l’histoire.
Oase démarre sur “Versteinert” où l’on est hypnotisé par les notes de guitares puis entraîné paresseusement dans le rêve par la répétition des deux mélodies principales du morceau. Voilà le mood général de l’album qui se veut comme sept failles dans l’espace temps où l’auditeur peut s’échapper et se laisser aller à la contemplation et l’introspection. Du lumineux “Time Will Paint Another Picture”, à la lente première partie de “The Slow Wave”, tout nous ramène à cette une invitation à s’évader dans une boucle de synthés, une mélodie à la flûte ou une ligne de basse qui rebondit…
Avec toute cette douceur, Weite n’oublie pas de disposer ça et là quelques fulgurances comme sur “Roter Traum”, idéalement placé en milieu d’album, avec son riff saillant et sa seconde partie où les couleurs d’Elder se ressentent avec ce côté légèrement épique dans les guitares et les synthés. Idem sur la dernière partie de “Versteinert” ou sur “The Slow Wave” qui feint de nous envoyer voir morphée avant de basculer dans un trip jazz acide qui gagne au fur et à mesure en lourdeur.
Oase fait partie de ces albums que l’on peut qualifier de moelleux tant ils sont agréables à écouter. Le seul défaut de cet album sera de ressembler à Delving et à Elder dans ses moments les plus aériens… est-ce vraiment un défaut au vu de la qualité de ces groupes ? Certainement que non mais un peu plus de prises de risques ou d’expérimentations sur ce type de production n’aurait gêné personne (et si au final c’était Elder, groupe principal de Nick, le vrai laboratoire à idées ?). Techniquement toujours aussi impeccable, les cinq musiciens entremêlent avec intelligence l’univers krautrock avec un rock psychés empruntant beaucoup à Genesis notamment sur certains passages où basse et claviers se répondent (“Versteinert”, “Eigengrau”) voire sur les ambiances presques naïves de “Time Will Paint Another Picture”. Le travail de composition est aussi bien plus abouti que sur Assemblage, ce qui enrichit chaque nouvelle écoute de Oase !