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Alors que nous digérons toujours l’excellent second album de Delving, dont nous vantions les qualités ici, Nick Di Salvo (Elder) revient déjà avec son autre projet solo (même s’il est ici bien plus entouré sur la partie studio), Weite, et un second album nommé Oase. Au départ monté comme une session jam, Weite devient rapidement un groupe à part entière composé de Ingwer Boysen (Delving) à la basse, Michael Risberg (Elder, Delving) et Ben Lubin (Lawns) aux guitares, Fabien de Menou (Perilymph) aux claviers, et donc aussi de Nick Di Salvo (Elder, Delving) mais qui ici opère en tant que batteur.
Il ressort de cette association un premier album Assemblage, sorti en 2023, un regroupement des jams du groupe en quatres morceaux nous emmenant dans des terres où le rock psyché des années 70, le krautrock et les synthés sont rois. Cet Assemblage restait plutôt agréable à écouter, notamment avec ces quelques touches plus jazzy, bien qu’assez sobre techniquement et posait de bonnes bases pour la suite de l’histoire.
Oase démarre sur “Versteinert” où l’on est hypnotisé par les notes de guitares puis entraîné paresseusement dans le rêve par la répétition des deux mélodies principales du morceau. Voilà le mood général de l’album qui se veut comme sept failles dans l’espace temps où l’auditeur peut s’échapper et se laisser aller à la contemplation et l’introspection. Du lumineux “Time Will Paint Another Picture”, à la lente première partie de “The Slow Wave”, tout nous ramène à cette une invitation à s’évader dans une boucle de synthés, une mélodie à la flûte ou une ligne de basse qui rebondit…
Avec toute cette douceur, Weite n’oublie pas de disposer ça et là quelques fulgurances comme sur “Roter Traum”, idéalement placé en milieu d’album, avec son riff saillant et sa seconde partie où les couleurs d’Elder se ressentent avec ce côté légèrement épique dans les guitares et les synthés. Idem sur la dernière partie de “Versteinert” ou sur “The Slow Wave” qui feint de nous envoyer voir morphée avant de basculer dans un trip jazz acide qui gagne au fur et à mesure en lourdeur.
Oase fait partie de ces albums que l’on peut qualifier de moelleux tant ils sont agréables à écouter. Le seul défaut de cet album sera de ressembler à Delving et à Elder dans ses moments les plus aériens… est-ce vraiment un défaut au vu de la qualité de ces groupes ? Certainement que non mais un peu plus de prises de risques ou d’expérimentations sur ce type de production n’aurait gêné personne (et si au final c’était Elder, groupe principal de Nick, le vrai laboratoire à idées ?). Techniquement toujours aussi impeccable, les cinq musiciens entremêlent avec intelligence l’univers krautrock avec un rock psychés empruntant beaucoup à Genesis notamment sur certains passages où basse et claviers se répondent (“Versteinert”, “Eigengrau”) voire sur les ambiances presques naïves de “Time Will Paint Another Picture”. Le travail de composition est aussi bien plus abouti que sur Assemblage, ce qui enrichit chaque nouvelle écoute de Oase !
Le trio parisien Starmonger n’en est pas tout à fait à son coup d’essai avec Occultation, son deuxième album. Ce dernier s’inscrit dans la veine stoner, avec des accents classiques et une douceur certaine. À noter pour l’occasion un changement à la basse, ainsi qu’une signature chez le discret label Interstellar Smoke Records.
Dès les premiers accords, on pourrait craindre un énième Sabbath-like , mais ce sentiment disparaît rapidement. Starmonger fait preuve d’une vraie maîtrise du riff et de la rythmique, guidant l’auditeur d’une atmosphère à l’autre, tout en explorant des idées fédératrices. Citons par exemple ce solo de guitare suspendu à la basse qui mène à l’outro de “Black Loge”, les saillies doom de “Serpent”, ou encore le contraste du son de basse dans “Phobos”, accompagné d’une palette vocale riche.
L’originalité majeure de la production de Starmonger réside dans le chant. Souvent assisté de delay ou de reverb, migrant souvent vers un chœur, gagnant ainsi en puissance pour apporter une touche particulière à des morceaux comme “Conjunction”, “Page of Swords” ou “Phobos”.
Globalement, l’écoute de l’album est agréable. Si la production semble un peu fragile sur “Mothra” et “Page of Swords”, où l’album mériterait une plus grande ampleur, on se laisse néanmoins séduire par l’attaque des cordes bien placée ou par ce chant, à la fois puissant et lancinant.
Starmonger ne débute peut-être pas tout à fait, mais livre un Occultation encore frêle sur ses bases. L’œuvre est vacillante, certes, mais elle possède déjà des qualités qui augurent du meilleur pour l’avenir. On aurait tort de passer à côté de cet album, qui sait capter l’attention par ses originalités et qui, espérons-le, saura nous offrir moult petits.
Plus de treize ans se sont passés depuis l’excellent The Wretch, dernier album en date de la solide discographie du trio de doomsters cultes de l’Indiana. Le groupe revient de loin, quand on se rappelle de l’annonce de son fondateur, une paire d’années après ce disque, du split du groupe, après le décès de son bassiste Jason McCash (d’overdose). Quelque espoir sera apparu au détour de 2020, et une sorte de petite tournée de reformation, mais le COVID étant passé par là, on n’y croyait plus (d’autant plus après d’autres décès dans les membres historiques du groupe). C’est étonnamment chez Svart Records que le groupe nous revient avec ce disque au visuel rudimentaire (quel dommage de la part d’un groupe qui nous a habitué à de beaux artworks d’inspiration Heroic Fantasy) mais porteur de tant de promesses…
Le groupe, qui a évolué au même moment que la féconde vague de groupes de doom metal les plus cultes (Reverend Bizarre, Saint Vitus, Witchfinder General, Count Raven, Pentagram, Trouble…) débarque dans un contexte musical tout à fait différent aujourd’hui : depuis quelques années, le mythique trône du doom metal a du mal à trouver son prétendant naturel. De nombreux candidats s’en sont approchés, avec des stratégies différentes, et dans des genres parfois connexes – qui plus penchés sur le stoner doom, qui en parsemant leur musique de reflets occultes, qui encore en recourant aux sonorités plus « modernes » du post metal ou plus obscures même du black metal…
N’y allons pas par quatre chemins, The Gates of Slumber reviennent directement aux affaires pour prétendre à leur place légitime sur le trône, une place dont leur longue absence les a logiquement éloignés (loin des yeux, loin du cœur…).
S’ils devaient gagner le trône au combat, ils sont manifestement venus bien armés : de riffs, en premier lieu. Comme s’il en pleuvait, ils sont tous impeccablement affutés, efficaces, et leur tranchant est sans égal (« At Dawn », étouffant, « Embrace the Lie », le rampant « The Plague », etc…). Les crânes éclatent sous leurs coups de boutoirs, et de fins soli viennent émailler ces scènes barbares (aaargh, ce lead cristallin qui vint conclure « The Plague » pendant quelques secondes, ou ce solo blues fiévreux sur « Full Moon Fever »…). En guise de robuste armure, les guitares de Karl Simon peuvent compter sur une rythmique solide, mais pas que : Steve Janiak à la basse ne fait pas que plomber chaque mélodie avec ses lignes de basse mélodiques, il participe aux compos en apportant ses propres inclusions de 4-cordes, qu’il s’agisse de porter le riff principal (« The Fog », « We Are Perdition » en relais direct de la guitare) ou de proposer d’efficaces petits coups de boutoir ici ou là (les saccades martiales de « We Are Perdition »).
Le combat délivré est déjà féroce, mais narré par Simon, il devient rien moins qu’épique : le chant du guitariste est toujours aussi chaud, puissant, juste, plein de nuances… Il vient impeccablement compléter le socle musical du combo.
L’assaut se produit à travers 6 salves successives (6 minutes de moyenne par morceau, parfait – ni bâclé, ni exagérément allongé), sans aucun temps mort ni point faible. Chaque compo est différente, avec des rythmes et des ambiances différentes : de la lenteur extrême de « The Fog » à la vigueur de « Full Moon Fever », on passe par toutes les ambiances. Mais surtout, le plan de combat ne se limite pas à ces attaques simplistes : c’est très bien fait, très bien pensé, mais en outre chaque titre, malgré une identité singulière forte, contient en son sein plusieurs idées malines, qui viennent apporter non seulement du relief mais de l’efficacité.
La production du disque en revanche induit un biais un peu subjectif dont il faut tenir compte : tandis que certains groupes de doom privilégient un son sale, glauque et poussiéreux, The Gates of Slumber, l’album, s’appuie sur une armurerie plus clinquante et propre. Chaque instrument trouve bien sa place, tout est parfaitement positionné bien en haut dans le spectre sonore, c’est beau, c’est propre, c’est puissant, c’est pile à la limite entre classicisme old school et modernité. Et le tout sans oublier la part d’occultisme et de mysticisme consubstantielle au genre musical, ni cette portion de gras sans laquelle le bon doom ne serait « que » du doom. Mais voilà, certains pourraient rechercher plus de poussière dans leur mix ou un cloaque sonore plus nauséabond.
Au bout de trente-cinq minutes d’un combat en sens unique, The Gates of Slumber a fait le ménage dans sa cour remplie de prétendants aux ambitions et moyens variés, presque tous rendus à leur statut de modeste vassal. Elles ne sont pas nombreuses, les formations qui peuvent prétendre à si bel ouvrage… Tout naturellement, leur « black album » à eux (!) vient donc assoir leur légitimité tout en haut, parmi les hautes sphères du genre. On ne peut pas décemment se prévaloir d’une quelconque affection pour le doom metal et ne pas reconnaître dans ce disque l’une de ses plus belles œuvres. Très propre (trop propre ?), le disque ne prête le flanc à aucune critique rationnelle. Les années diront s’il est assez solide pour maintenir ce statut.
Ce discret quatuor allemand sort aujourd’hui son second album seulement en 12 ans d’existence, émaillés de hauts et de bas, et de sorties sporadiques. On connaissait surtout Deaf Lizard pour avoir accueilli en son sein un chanteur français à ses débuts (qui chantait en français, avec un “décalage” un peu étrange, sur une musique déjà sympathique). Exit le frenchie depuis pas mal d’années déjà, et c’est l’occasion de redécouvrir ce groupe.
The Last Odyssey est un de ces petits albums de stoner pur jus, qui font leur chemin en toute discrétion, sans que grand monde ne s’arrête dessus. A tort : avec humilité et avec une authentique intégrité stylistique, le quatuor propose un disque très plaisant, qui a le grand tort de ne rien proposer d’original. Quelle horreur ! Sauf qu’au final, le plaisir est bien là, au détour de plusieurs titres : « Nuclear » en intro de stoner instru classique, « The Devil’s Show » qui se lance comme un titre d’Acid King (même son, même goût du riff, même vitesse d’exécution…), « City of Life » et son boogie absolument prodigieux, « Independent Terror » et son groove de scélérat (cette deuxième moitié…).
Soyons honnête : la face B (les trois derniers titres en gros) sont moins exaltants et se cherchent un peu en circonvolutions parfois inutiles. Pour autant, on a au final une poignée de titres vraiment excitants qui ne fournissent rien d’autre qu’une rasade de plaisir sans prise de tête. C’est déjà pas mal pour un groupe qui n’affiche pas d’autre prétention, et qui donc remplit parfaitement son contrat.
Album posthume ? Difficile à dire, en tous les cas c’est avec une certaine émotion que nous avons reçu ce disque, quelques mois après que le groupe poitevin ait annoncé mettre ses activités en sommeil pour une durée indéterminée… Avec presque vingt ans d’activité au compteur tout de même, TBDLB (merci de votre compréhension) aura ancré sa carrière dans l’underground du doom metal français, gravitant dans des sphères que l’on qualifiera soit de confidentielles, soit de cultes ; en tous les cas bien loin d’un retentissant succès public. Il faut dire qu’avec son doom sans concession, sa discographie famélique (c’est leur troisième album seulement) et son apathie scénique (une moyenne de deux ou trois concerts par an sur l’ensemble de sa carrière…), le quintette n’aura pas vraiment mis l’effort dans une dynamique carriériste.
Du point de vue discographique, les deux premiers albums du groupe, apportaient deux approches subtilement différentes de leur vision musicale : Blood for the Bloodking (dans l’aspiration de sa redoutable démo The Beast Must Die), d’abord, proposait un doom âpre, lourd et au son de guitare rêche, très riff-oriented, avec une prod rêche et brut de décoffrage. Lost n’ Drunk ensuite a apporté une évolution un peu plus mélodique, un recours à des plans plus psyche aussi, un usage de la fuzz un peu différent et un son un peu plus soigné. Nuances que tout cela, en tous les cas, car l’identité du groupe est restée forte et reconnaissable entre mille : un doom metal d’un classicisme confondant, trouvant sa source dans les pères géniteurs du genre (on nommera dans le lot Witchfinder General, Cathedral, Reverend Bizarre…), joué avec liberté et fantaisie, mais sans jamais dévier des piliers stylistiques : lenteur, lourdeur, riff, occultisme…
Clans of the Alphane Moon ne déroge pas à ce socle musical, on n’en est pas étonné. Côté compos, on est comme toujours sur une grosse base doom, lente et riffue… très riffue d’ailleurs : ce troisième méfait est probablement leur disque le plus efficace, avec un ensemble de chansons solide. Et pourtant, la pièce est difficile à avaler : 1h10 au garrot, sept chansons (oui, ça fait dix minutes par chanson en moyenne, heavydemment), on pouvait s’attendre à quelques passages dispensables. On exagèrerait en affirmant que la tension est la même du début à la fin, et quelques passages auraient pu être zappés, mais globalement, on est sur un excellent ratio qualité / quantité. Du gros riff, donc, on le répète, produit en nombre par la paire Opyat / Pierre : un titre un riff au minimum, caviardés comme il se doit par des breaks velus, des envolées de leads épiques… La base instrumentale apporte un plaisir particulièrement régressif, et avec un peu de recul, se positionne un peu entre leurs deux premiers albums au niveau de l’intention : de la rudesse, du riff, mais aussi de la mélodie, des plans plus travaillés… Sur ce socle, l’emblématique Bottleben vient poser ses vocaux bien particuliers, qui feront peut-être grincer des dents ceux qui ne connaissent pas le groupe : son chant puissant, largement mis en avant dans la prod, a des atours théâtraux et incantatoires qui peuvent, pour certains, faire ombrage au socle musical. C’est pourtant bien là l’identité du groupe (on vous met en particulier “Flames of Sagitarius” en écoute ci-dessous qui présente toutes les facettes du groupe : du riff, du lead a gogo, des lignes de chant parfois super catchy ou complètement décalées… tout est là !).
Le disque se détache en outre de ses prédécesseurs par une production largement plus travaillée, avec une mise en son qui met bien plus en valeur la musique du quintette (on jettera juste un voile pudique sur ce son de caisse claire très discutable – un détail). Et l’on en arrive progressivement au constat qu’il s’agit probablement du disque le plus mature du groupe, la parfaite synthèse de sa modeste discographie. Selon les goûts et les aspirations de chacun(e), il peut ou pas s’agir de leur meilleur disque, mais dans tous les cas il apporte une vraie complémentarité. Le résultat reste donc le même : si vous êtes fans du groupe, achetez le disque, il ne vous décevra pas. Et si vous ne connaissez pas le groupe, achetez le disque, il vous offrira une excellente porte d’entrée vers leur (modeste) discographie.
On ne peut pas dire que la scène néo-zélandaise ait été ces dernières années un vivace pourvoyeur de riffs fuzzés… est-ce que ça ne serait pas en train de changer ? Après Earth Tongue il y a quelques semaines, voilà débouler un jeune quintet en provenance de Wellington. Même s’il n’a démarré qu’en 2021, ils sortent ici leur second album en trois ans, et ce dernier nous a passablement excité.
Dès les premières écoutes, l’on est (ac)cueilli par le chant de la nouvelle chanteuse Jem Tupe, qu’il est difficile de ne pas distinguer : sa voix chaude et puissante, sa technique parfaitement adaptée, sont – très légitimement – mis en avant dans la musique du groupe (et en particulier à travers une production qui la met bien en évidence). Qu’elle propose des lignes de chant suaves et chaudes (le début de “Guardians”) ou à l’extrême surpuissantes (l’époustouflant final de “Yggdrasil”), elle n’est absolument jamais prise en défaut, et rend un vrai service aux compos. Elle donne une bonne part de l’identité du groupe et de son son, et c’est un réel atout.
Mais on pourrait vous citer plein de groupes insipides qui ne se reposent que sur les cordes vocales de leur chanteuse pour construire leur carrière (il y en a un qui vient à l’esprit plus vite que les autres toutefois…), et ce n’est pas le cas ici – car bon sang de bonsoir, ça riffe ! Encore une fois, le groupe ne rentre pas dans cette lignée de groupes évoluant sans ligne directrice claire, entre retro rock 70’s et mid-tempi gentiment fuzzés. Musicalement, le groupe fait dans le costaud, le gras et le poilu. On est toujours très franchement et très clairement en contrées stoner, même si le groupe maîtrise une sacrée variété de tempi et de variantes du style. Et on ne s’ennuie jamais, à l’image de “Wasted Space”, de son couplet tout en groove sautillant donnant la main à un refrain puissant aux limites du doom, pour terminer sur un déluge de leads fuzzées et wah-wah-isées. Tout ça est maîtrisé et diablement efficace, et on a du mal à se départir de toutes ces pépites : le doomy “The Depths”, “Prisoner” et son riff metal, le groovy “Disarm the King”, la bien nommée “Desert Song” ou même la quasi-balade puissante “Northern Lights”. Huit titres, 35 minutes, rien à jeter.
Vous ne gâcherez pas votre argent en faisant l’acquisition de cette excellente galette. Il sera probablement difficile de voir le groupe en concert (sait-on jamais…) mais déjà sur disque, c’est une réussite.
Un peu désorientés par leur quatrième album, Excruciation, sorti il y a quatre ans, c’est avec circonspection que nous nous sommes concentrés sur l’écoute de ce nouvel album, pas aidés par un léger manque de confiance vis-à-vis du label Ripple (qui ces derniers mois nous a habitués à des sorties plus hétéroclites que dans ses grandes années) et un visuel un peu décalé, que l’on imaginerait plutôt orner un album de neo-metal lambda. En outre, le trio américain ressemble de plus en plus ces derniers mois à un projet si ce n’est despotique, en tout cas proche du (gentil) népotisme : Ron Vanacore a changé son bassiste en 2022, et, suite au départ récent de son batteur, vient de le remplacer par… son propre fils, Logan, apparemment un jeune prodige de 14 ans (c’est néanmoins l’ancien batteur Brian Harris qui apparaît sur le disque).
Dans tous les cas, pas de doute, c’est bien autour de Ron que tourne la musique du combo : ses riffs surnagent complètement et structurent les morceaux (et constituent la pierre de soutènement de la production), bien accompagnés par son chant si emblématique. En effet, et ça peut surprendre en première écoute si vous ne connaissez pas le groupe, à l’instar d’un Steve Hennessey (sHeavy) par exemple, la voix de Vanacore, puissante et sournoisement nasillarde, ressemble très souvent à celle d’Ozzy (de l’époque où il pouvait chanter avec ses propres cordes vocales, sans ordinateur…).
En outre, la filiation Sabbathienne ne tient pas qu’à ça : l’inspiration du groupe quintessentiel transpire de la plupart des compos de ce Delirium qui, de l’aveu même du groupe, se veut reposer sur ses plus profondes bases musicales. Et ne parlons même pas de cette efficace reprise du génial « R.I.P. » des doomsters cultes de Witchfinder General…
Plus globalement, ce sens profond du master riff, très Iommi-esque dans l’approche, vient charpenter l’ensemble de ce Delirium, comme Curse the Son ne l’avait probablement pas fait depuis ses deux premiers albums. Côté riffs, on aura du mal à trouver plus efficace que ceux de « Suffering is Ours » ou de « Delirium ».
Pour autant le trio sait montrer qu’il n’est pas qu’un ersatz fadasse de Black Sab’, avec des compos plus originales, à l’image du catchy « Deliberate Cruelty » ou de « Liste of the Dead » (dont plus d’une fois sur le couplet on se dit qu’il n’aurait pas dépareillé dans la discographie d’un… Soundgarden !).
Bref, malgré un plan de carrière confusant, Curse the Son, avec ce Delirium, décrit comme l’album du « R.A.Z. », confirme ses modestes ambitions. De retour à ses bases, le trio compose un album solide, intéressant, qui ne se perd jamais en circonvolutions stériles, et dispense un plaisir d’écoute qu’on ne retrouve que rarement dans les productions récentes.
Vessel, duo australien composé de Jordan Forster à la guitare et Mason Matheson au chant et à la basse vient de sortir son nouvel album The Somnifer, un effort médicamenteux pour le guitariste, véritable thérapie conçue pendant cette damnée période de Covid-19.
En s’appropriant le thème du sommeil, le six-cordiste tente de concilier ses angoisses et traumas avec les composantes de cet état indispensable à la vie. Car on le sait, même s’il est propice à la régénération, le sommeil est loin d’être un chemin de tout repos. Accalmie, REM, état paradoxal, autant d’étapes que Vessel tente de retranscrire dans son nouvel effort.
On traverse donc dix titres à la croisée du doom cathédrale et du stoner graillon, de l’harmonisation 80’s aux effets psychés sur les voix. Il y a du bon (« Draining the Labyrinth ») et du moins vaillant (« Image Reharsal Reaction »). La multiplicité des styles rend difficile l’adhésion totale à l’ensemble, on peut sortir de l’album comme facilement y revenir par la grâce de certains instants, à l’image de « False awakening Continuum ».
Globalement Vessel n’est jamais autant meilleur que quand il est instrumental et minimaliste.
On ne doute pas un instant de la sincérité de Vessel dans ses envies et ses compositions. Le duo est même généreux dans l’effort et le partage. On sent transpirer les années d’angoisses et de doutes aux travers des compositions mais le groupe devrait resserrer son propos et ses idées pour être plus impactant. On garde une oreille alerte quant au devenir du groupe.
Nous avons eu la joie de chroniquer le premier album de Wizard Must Die il y a quelques années (à lire ici). Les voici de retour avec une nouvelle production, cette fois adossée à la boîte de production Klonosphere, le tout dans un joli packaging fait de géométries et de tons pastel, le nouvel album s’appelle L’Or Des Fous et on l’aborde avec le doute de devoir se confronter à une production qui n’aurait pas sa place ici. En effet, Wizard Must Die fait office d’ovni tant le trio lyonnais nous avait laissé entrevoir sa capacité à piocher dans un répertoire vaste, stoner certes, mais aussi empreint d’indie rock et de mille autres choses.
L’expérience peut s’avérer fastidieuse si l’on cherche à tout appréhender d’un coup mais ce qui est sûr c’est que l’écoute elle, devient vite un voyage. Les plus simples aimeraient que cela soit d’un morceau à l’autre. Mais la réalité des Lyonnais est évidemment plus complexe. Au sein d’un même morceau, des riffs puissants côtoient l’atmosphère suspendue d’une réflexion profonde, à la manière de “Close To The Edge”.
Qu’il s’agisse de “The Breach” ou de “The Disappearance of Camille Saint-Saëns”, on ne cesse de se demander où le groupe souhaite nous emmener. Pourtant, on se laisse porter, et même si la tête nous tourne en nous demandant ce qui se passe, on trouve toujours une saillie à laquelle se raccrocher, comme l’emploi du piano sur “The Disappearance of Camille Saint-Saëns” ou ce saxo inattendu sur “Clouds Are Not Spheres”, dont la conclusion fragile évoque une boîte à musique. Voici quelques surprises que vous trouverez dans cet album.
Si l’on se demande souvent en écoutant Wizard Must Die si l’étiquette stoner, ou toute autre étiquette approchante, peut s’appliquer, le doute est rapidement dissipé face à l’acidité d’un riff de guitare comme celui de “Flight 19”, avant qu’il ne soit rejoint par la basse et la batterie, balayant tout sur leur passage. Et comme rien n’est binaire, le doute initial revient vous titiller dès l’outro plus subtile du morceau.
Wizard Must Die joue à souffler le chaud et le froid sans discontinuer. Le trio décompose ses pistes comme autant de sous-morceaux, de pépites prises dans la roche, comme la mélodie et le chant en français de “L’Or des Fous”, un titre fort mal choisi tant pour la piste que pour l’album, car il n’est pas question de pyrite ici. Il y a bien plus de valeur dans cet album à la production soignée. Cette dernière démontre le niveau atteint par Christophe Hogommat et son studio d’enregistrement.
Ce disque n’est pas anodin. Il suffit de regarder l’artwork, une fois de plus signé par La Discorde, pour comprendre qu’il s’agit d’un objet qui ne ressemble à rien d’autre, si ce n’est au précédent qu’il vient compléter à merveille. Vous l’aurez compris, dans cette chronique, il y a peu d’objectivité : il faudrait tuer le magicien, car le sort de L’Or Des Fous est efficace et ne laisse guère place à d’autres critiques que celle d’une galette déconcertante, ardue d’approche mais reliée par un fil précieux qui assemble les pistes entre elles.
Ce retour en très grande forme de Wizard Must Die n’aura cessé de nous faire voyager tout au long des 6 pistes et 47 minutes de L’Or Des Fous. Le temps de décantation de l’œuvre est certes long, mais le trio délivre, une fois de plus, un album borderline et éminemment poétique.
Pour la quatrième fois en quatre ans, le discret mais très qualitatif label américain Desert Records, confortablement ensablé au coeur du Nouveau Mexique, sort un split album ambitieux et intéressant (lancé via crowdfunding, dispo désormais via son bandcamp – cf plus bas). Ce volume 4 est non seulement orienté doom, mais met aussi en avant la scène musicale de l’Utah, à travers Eagle Twin et The Otolith. Chaque groupe se fend de deux chansons, pour un total de vingt minutes chacun environ ; on s’attend évidemment à du lent et lourd.
Eagle Twin est un objet bien singulier dans la sphère « élargie » de la chose doom. Le duo, mené par Gentry Densley, est peu productif (et trop rare sur les planches) mais chacun de ses disques est une franche réussite, poussant dans ses retranchements un genre un peu trop étriqué pour eux. L’annonce de nouveaux titres (plus de six ans après son dernier disque) ne pouvait donc pas nous laisser insensible, et c’est la bave aux lèvres que l’on s’est jeté sur ce split.
Attardons-nous d’abord, donc, sur leurs deux nouveaux titres. Comme prévu, il faut un bon paquet d’écoutes pour en appréhender la teneur, le duo américain n’aimant rien de plus que de déconstruire son doom radical et le mêler à des structures aux limites du progressif, enchaînant les plans, plus écrasants ou étourdissants les uns que les autres. C’est le cas de ce « Horn vs. Halo » introductif, qui commence sur un lit mélodique convoquant discrètement des sonorités ethniques presque primitives (on pense aux chants indiens, d’autant plus avec le recours au chant de gorge diphonique toujours confusant de Densley). Rapidement, le gaillard y pose un riff de colosse, qu’il tord en tous sens pendant 10 minutes, autour de tergiversations guitaristiques diverses, harmonies malaisantes, breaks impitoyables… On n’y compte plus les envolées épiques ou les passages de rouleaux compresseurs sordides, quand le groupe choisit, pour le dernier tiers, de nous prendre par la main vers une issue moins sombre. « Qasida of the Dark Doves » ne propose pas de changement stylistique majeur : on est toujours déchiré entre riffs massifs et accords dissonants, sur un morceau un peu moins déstructuré toutefois (tout est relatif).
On passe ensuite aux deux titres de The Otolith (groupe né des cendres de Subrosa, sans Rebecca Vernon), dont le style pratiqué ne surprend guère : on est en plein dans un doom mélodique sombre et (paradoxalement ?) très lyrique, violon très présent (en lead/mélodie ou en support rythmique) et un chant où presque systématiquement se mêlent en chœur celui de Sarah Pendleton et celui de Kim Cordray, l’un assez convenu, et l’autre sur-aigu et quasi opératique. L’ensemble vise la grandiloquence, c’est très dark et emphatique, et conséquemment ça s’éloigne un peu du doom quintessentiel, primitif et âpre. Il y a peu de riff ou de socle mélodique basique, mais c’est plein de couches mélodiques harmonisées qui viennent se conforter l’une l’autre.
Affichons-le directement : le split mérite clairement le coup, pour la partie de Eagle Twin en premier lieu, et même rien que pour ce colossal premier titre. Sa densité, sa richesse, font qu’il dévoile encore ses trésors après (littéralement) des dizaines d’écoutes. On appelle ça une composition rentable ! En considérant le reste du disque comme du bonus, tout le monde est gagnant.
On avait laissé Wormsand sur leur excellent premier album Shapeless Mass ! Profitant à fond de la période post Covid, le trio mentonnais a enfin pu tourner à fond en France mais aussi en Europe, assurant notamment les premières parties de Mars Red Sky ou Dopethrone et en se produisant dans des festivals comme les Volcano Sessions. 3 ans après, il est temps pour le ver de sable de ressortir des tréfonds d’Arrakis pour nous engloutir avec leur deuxième album You, The King.
Il suffit de quelques secondes sur “Daydream”, titre d’ouverture de l’album, pour prendre une première baffe sonore. Wormsand attaque avec un morceau puissant, efficace, qui casse sa rythmique pour nous emmener dans des mélodies plus mélancoliques et teintées de rock 90’s, et survolé par l’envoutant chant clair de Clément. Le ton est donné, le trio est toujours plein de cette colère sombre, désespérée, qui ne s’efface que pour faire apparaître des sentiments de mélancolie, fatalité et parfois, aux alentours d’une mélodie ou d’un chant plus fragile, d’un peu de lumière.
Cependant, on peut aussi rapidement remarquer que les chemins empruntés par Wormsand diffèrent de ceux du premier album ou même de leur EP éponyme. Déjà côté chant, l’association chant clair / chant guttural (un des atouts phares du groupe) est nettement moins marquée avec une présence beaucoup plus forte du premier. Choix payant puisque la voix de Clément rend chaque refrain entêtant (“Daydream”, “Black Heaven”) et équilibre plus les émotions de l’album. Attention cependant à ne pas oublier les explosions gutturales de Clément et Tom qui peuvent faire chavirer n’importe quel morceau dans les abysses (“Digging Deep”, mais surtout “Drown” et son final fracassant) !
Musicalement ensuite, le groupe laisse plus d’espaces à ses riffs de pachydermes et accentue son côté mélodie quitte même à insérer des solos de guitares sur certains titres. Outre “The Crown”, un doux (mais toujours inquiétant) interlude qui fait écho à l’outro de “You, The King”, ce penchant plus mélodique se ressent particulièrement avec le morceau “The Final Dive” où seules les notes de guitares malsaines en milieu de morceau viennent rappeler la menace qui peut surgir à tout moment.
Mais alors où est la puissance et le fracas dont on parlait sur “Daydream” ?! On nous aurait menti ?! Eh bien non car ce You, The King est un album malin. Si les breaks vicieux sont moins présents, les riffs sont garantis triples épaisseurs et viennent vous hanter jusqu’à être fredonnés dans l’ascenseur. Si le chant guttural est moins présent, il vient vous submerger à chaque apparition (ce cri sur “To Die Alone”). Et s’il vous manque un peu de violence, écoutez un peu Tom qui s’applique à nous enfoncer un peu plus dans le sol à chaque coup de cymbales et dont le jeu subtil permet fait constamment le lien entre la fureur brute et la technicité de l’ensemble !
Vous l’aurez compris, You, The King est un album aussi déroutant que réussi. Sans chercher à se révolutionner, Wormsand apporte ici des évolutions intelligentes à sa base stoner tranchant / sludge obscur un poil psyché. Techniquement le groupe maîtrise son sujet sans se perdre dans des complexités stériles et le cocktail d’émotions est toujours aussi savoureux, surtout avec cette thématique du roi en déclin qui fait écho à tout un univers SF/fantasy dont le groupe est friand. Un seul conseil donc, foncez vers cet album et si vous n’en avez pas encore eu l’occasion, foncez voir Wormsand en concert pour vous imprégner encore plus par leur musique (ou prendre une bûche de ramonage en pleine face) !
Youth of Dissent, le précédent album des grecs, nous avait clairement déçus. Probablement parce qu’on aime le groupe dans cette case où ils excellent, celle d’un stoner rock trappu et groovy, rapide ou mid-tempo. En essayant de briser ce si confortable carcan, avec quelques pointes de maladresses en plus, 1000 Mods n’a pas recueilli beaucoup de suffrages avec ce disque (même s’il est parvenu à en valoriser une poignée de titres dans ses set lists live). En apprenant qu’ils avaient eu recours pour ce Cheat Death au même co-producteur, Matt Bayles, on avait le droit d’être inquiet (même si l’américain a quelques jolis noms à son tableau de chasse). De plus, en douce, le quatuor est devenu trio : suite au départ de Giannis en début d’année (pour “raisons personnelles”), le groupe n’a pas jugé utile de le remplacer et continue son chemin en mode power trio, apparemment (constat que la production du disque ne nous fait pas ressentir – attendons le live !).
Avouons-le, on était déjà prêts à ne pas aimer ce disque. Les premières écoutes, où les premières impressions pensent capter titres trop mous et astuces trop faciles, viennent conforter cet avis. Hommes de peu de foi que nous sommes… Avec un peu plus d’abnégation, les (at)traits réels de ce disque se font progressivement jour. Car oui, Cheat Death s’avère finalement être un bon, voire un très bon disque. En premier lieu, il propose quelques unes des compos les plus efficaces de la carrière du groupe (qui en connaît pourtant un rayon dans ce domaine !). C’est le cas du morceau-titre de l’album, avec son riff acéré et son très intelligent refrain multi-couches, “The One Who Keeps Me Down” et son riff méga-énervé et méga-accrocheur, “Overthrown” qui commence par un riff mollasson mais d’une belle efficacité, articulé avec un break plus rapide et surtout un final époustouflant (quel solo ! ça va être dur en live avec un seul guitariste…), ou même “Love”, étonnamment, un titre joué en électro-acoustique, aux atours quasi-pop, qui devient vite entêtant et propose une montée en pression très intéressante… En outre, le groupe larde son œuvre de purs moments de grâce, emblématiques de leur maturité et compétence en tant que songwriters (on pense aux différents arrangements de “Götzen Hammer”, au petit lick de guitare qui vient finir le refrain de “Astral Odor” comme une évidence, à la construction de la seconde moitié de “Misery”et en particulier son final, au break post-refrain articulé avec un petit solo sur “Cheat Death”, et évidemment au final de “Grey, Green Blues” et son arrangement de clavier particulièrement judicieux en fond, etc…
Après ce concert de louanges, on s’apprêterait presque à lui décerner le titre d’album de l’année. Sauf que non, Cheat Death souffre de quelques petites scories qu’on ne peut pas taire. En premier lieu on notera plusieurs titres trop longs, pour aboutir à… un album trop long ! Plus d’une heure de musique, on n’a rien contre a priori, mais ici cela nuit à l’efficacité. On aurait pu avoir un disque bien plus efficace en arrêtant “The One Who Keeps Me Down” au bout de 3 min, “Götzen Hammer” à 3:40 avant ce break malaisant, “Astral Odor” après 4 min quand il commence à se répéter, “Speedhead” à 2:30, ou encore en retirant quelques segments redondants de “Love” ou “Grey, Green Blues”… Par ailleurs tout n’est pas magique ici, et aussi mémorable soient-ils, certains morceaux sont moins intéressants : c’est le cas de “Astral Odor”, “Speedhead” (qui fera plaisir aux fans de Motörhead, mais trop cliché pour mettre en valeur 1000Mods), la bluette acoustico-instrumentalo-pop “Bluebird” (intéressante mais trop longue)… Mais vous savez quoi ? Repassez-vous la discographie du quatuor-devenu-trio, et vous vous rappellerez qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil : même ses albums les plus emblématiques souffrent parfois des mêmes maux… (dans des proportions différentes).
Cheat Death est donc sans l’ombre d’un doute un bon album, et il redonne des couleurs et des perspectives à une carrière discographique qui nous faisait un peu peur (les prestations live enflammées du groupe nous ont toujours rassuré sur sa bonne dynamique, heureusement). Il permet en outre au groupe d’atteindre deux objectifs : celui de procurer un vrai plaisir d’écoute (sur le long terme aussi, via des compos d’excellente facture) et celui de fournir quelques cartouches toutes neuves pour renouveler un peu son vieillissant arsenal live et rafraîchir un peu ses set lists. C’est donc sans réserve que l’on peut conseiller l’acquisition et l’écoute de ce disque qui, sans toucher au génie pur, propose quand même de grands et beaux moments de stoner rock.
L’exercice merveilleux que voilà, écrire sur la ligne de front entre deux forces passion se livrant une guerre sans merci. Étant totalement étranger à l’univers et la musique de Gnome, me voilà bloqué entre les gardiens d’une musique se voulant grave, obéissante à des lois précises et codées, abhorrant la joie dans le metal, et une horde de trublions décomplexés ne jurant que par l’hédonisme et la liberté de casser les codes. Je grossis le trait bien sûr, mais les débats passionnés autour de ce trio belge chapeauté me donnent cette impression.
A l’origine Sleepless Titan, Gnome le devient parce que ses musiciens estiment que la dérision et l’absurde ont aussi le droit de cité dans un genre bien trop sombre et sérieux. Quelques pas de danse à la con et trois bonnets ridicules plus tard, le savoir visuel carton pâte du trio devient une marque de fabrique et des objets de merch qui s’arrachent. Mais quid de la musique ?
L’objet de curiosité que devient Gnome, attisant passions, joie et colère ne tient-il que par sa singulière image ?
Il serait bien réducteur de les cantonner à cette posture de stand-upper Lidl de la scènes stoner. La vérité c’est que quand on lance Vestiges of Verumex Visidrome c’est le gros riff bien gras de « Old Soul » qui nous saisit, un son bien heavy et syncopé qui parcourra l’ensemble de l’album. Un troisième effort qui foisonne d’idées, passe d’une basse wha-whatée à mort à un saxo rock bien 90’s, ose le grand écart entre chorale mystique et groove funky, le tout charpenté par un héritage sabbathien en diable. C’est travaillé, précis même si la créativité du trio mériterait par moment d’être épurée pour plus de claque dans la gueule.
Le chant est une composante essentielle de l’identité « Gnome ». Il fait que l’absurde devient un rouage nécessaire à cette machine. Growl et crécelle, mélodie à scander, chœur 8°6, voix angéliques, un champ infini de possibilités vocales nous est proposé. C’est parfois trop, par moment audacieux et justement placé, souvent baroque.
Vestiges of Verumex Visidrome est une expérience singulière à mi-chemin entre Red Fang et Devo. Une vraie proposition à l’identité visuelle et sonore forte qui, bien sûr, suscite les débats tant elle cherche à sortir des clous. Divertissant et travaillé à défaut d’être novateur, vous traverserez l’album en dodelinant du chapeau, le sourire aux oreilles. Il faudra accepter aussi que la fosse de vos prochains fest’ soit remplie de téléphones et de cabochons pointus gâchant ainsi méchamment la beauté de l’instant. Turfurlututu. Sale temps pour les petites gens.
“Pourquoi” est sans l’ombre d’un doute le mot qui revient le plus souvent à l’esprit lors des écoutes répétées de ce disque. Mais petit retour arrière avant ça pour rappeler un peu le contexte… enfin, pas la peine de revenir très loin : il y a à peine 9 mois sortait ce qui, sur le papier, s’annonçait sensationnel. Un projet de “all stars” du stoner / doom concentrés sur un objectif qui naviguait quelque part entre premier degré fanboy et fantasme conceptuel un peu WTF : jouer des reprises de Slayer, parangon du speed metal, en mode stoner doom, rythmes ralentis et accordages bien grave… L’album n’aura malheureusement pas tenu toutes ses promesses, et le projet a un peu fait pschiit. Quelle surprise donc de voir déjà le projet se relancer pour sortir un deuxième disque la même année (!!).
Pour des raisons probablement pragmatiques, le groupe se resserre sur trois musiciens : Bob Balch, forcément, à l’initiative du projet, Esben Williams le batteur de Monolord (pratique : il fait aussi le mix et le mastering) et Amy Tung, de Year of the Cobra (pratique : elle fait basse et chant). Exit les autres contributeurs du premier disque : Scott Reeder, Peder Bergstrand et Laura Pleasants.
Selon Balch, le trio se serait engagé dans la reprise intégrale du EP de Slayer Haunting the Chapel (pourquoi ? On aurait eu tant de suggestions alternatives, tant qu’à jouer le jeu…), mais au bout du troisième titre, ils ne seraient pas parvenus à faire sonner convenablement “Captor of Sin”. Difficulté insurmontable qui les fait vite prendre un tournant finalement assez prévisible : au diable les préceptes fondateurs du groupe/projet, ils se sont donc attelés à composer de nouveaux titres. Mais avec quelle idée en tête ? Faire du metal lent ? Faire du doom ? Quel concept ? Personne ne le sait en réalité, mais on se retrouve donc avec cette galette de six titres sur la platine.
Deux reprises, donc, “Chemical Warfare” (assez réussie, pas le titre le plus mélodique de Slayer à l’origine, qu’ils parviennent à bien arranger) et “Haunting the Chapel” (dont l’enchaînement de riffs passe bien dans cette version très ralentie, qui développe une identité propre intéressante). Le reste, ce sont quatre compos, donc, et la question du concept continue de nous hanter : comment on fait pour composer des chansons du projet Slower ? Est-ce que l’on écrit des chansons de speed metal avant de les ralentir ? Est-ce que l’on vise à faire du stoner doom académique ? On ne le saura jamais, mais en tout cas les quatre titre ne sont pas inintéressants. C’est particulièrement le cas de “Hellfire” qui introduit le disque et a été judicieusement choisi comme premier extrait : très bon riff, bel arrangement très ample sur le refrain, bon choix de production (la voix d’Amy avec cet écho subtil)… Plus loin “Gates of Hell” fait preuve d’un grand classicisme dans le genre musical pratiqué (mais efficace) et “Sins of the Dead” propose des choses intéressantes (un refrain qui rappellera ce que l’on aurait pu entendre chez Mars Red Sky par exemple, un long solo où Balch se fait plaisir…). Plus de réserves sur le morceau-titre “Rage and Ruin”, que l’on aurait beaucoup plus de difficulté à rapprocher du concept initial, avec ses nombreuses plages plus atmosphériques, et son riff moins structurant.
Sur les cendres à peine chaude de son premier album-concept innovant, Slower n’aura pas attendu longtemps pour installer un vrai groupe/projet qui déjà se détache de son idée initiale pour proposer autre chose. Ce “autre chose” trouvera-t-il sa place dans l’aréopage de formations évoluant déjà dans ce style musical, chacune avec des degrés d’implication, d’intégrité et de talent variables ? Loin d’être infamant, Rage and Ruin montre des choses intéressantes, et à ce titre mérite qu’on y jette une oreille. Les éléments fondateurs de l’intention sont plus intrigants, et on revient inévitablement à la question… pourquoi ?
Black Elephant revient après un long silence. Leur dernière galette remonte à 2020, et la chronique correspondante est disponible ici. Ce trio transalpin ne déchaîne jamais un engouement fulgurant et récolte d’ordinaire une mention honorable, voire juste passable. Alors, qu’y a-t-il de particulier dans les jams stoner et psyché du sombre pachyderme, pour qu’on revienne encore une fois pour la sortie de leur nouvel opus, The Fall of Gods ?
Bien que produit avec sérieux en studio, peut-être est-ce ce son DIY as fuck qui caractérise Black Elephant et fait figure de totem d’immunité rock’n’roll par excellence. Ou bien ce mélange de styles, oscillant entre indie rageur et pur stoner, qui imprègne The Fall of Gods du début à la fin. La voix y reste toujours en retrait, laissant la part belle aux soli enflammés d’un grand-papi du riff. Chaque piste invite à se délecter de sonorités aériennes et psychédéliques, portées par une batterie puissante, comme celle de “Vedova Nera”. L’enchaînement instrumental qui suit cette piste illustre à lui seul la capacité du groupe à sortir des sentiers battus, tout en assumant un chant en italien que l’on retrouve plus loin sur l’album ; une singularité qui garantit à Black Elephant l’attention de l’auditeur.
Pour revenir à ces chemins peu conventionnels, Black Elephant divague comme à son habitude, passant d’une intention à l’autre, donnant l’impression d’un assemblage de pistes éclectiques plutôt qu’une œuvre homogène. On vous avait prévenus. En écoutant attentivement The Fall of Gods, on prend plaisir à découvrir un break stoner bien senti après une introduction quasi-blues rock sur “Cuori Selvaggi”. Sur la mystique “Jupiter”, on atteint un moment suspendu, hors du temps, qui fait oublier la fin abrupte de “Dissociale”. Ce dernier titre, construit dans une atmosphère post-metal, s’évanouit d’un coup sans prévenir, dommage après une ambiance aussi prometteuse et inattendue.
Au final, on pourrait passer notre chemin en disant que The Fall of Gods est un album où l’on trouve à boire et à manger, mais Black Elephant réussit encore une fois ce tour de force : nous attraper par la manche et nous faire écouter jusqu’au bout un album peu commun, où chaque détail contribue au sel de l’ensemble et pousse l’auditeur à vouloir encore appuyer sur le bouton play.
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