Livré dans un artwork élégant représentant une harpie prête au sacrifice sur un fond de côte où la mer vient s’écraser en monceaux d’écume, le troisième album du groupe de Salt Lake City, Moon Wizard, fait envie. Leur doom mélodique, n’ayant rien de reprochable jusqu’à présent, suscite la curiosité d’entamer cette nouvelle galette de 43 minutes, signée chez les polyvalents Hammerheart Records.
Dès les premières notes, on est cueilli par un doom élégant aux mélodies plutôt fédératrices de ce quartette bien installé dans son style. Les pistes se déroulent ensuite sans heurts, plus calmement que ce qu’aurait pu annoncer l’artwork nautique.
Moon Wizard est fédérateur, certes, grâce à des mélodies soutenues par une distorsion sur la voix, qui accompagne parfaitement la saturation des guitares, et le fond de batterie souvent ultra rapide. Cependant, une outro décrescendo sur “Mothership” manque d’inspiration : on aurait préféré une véritable conclusion pour un morceau dont la prosodie capte rapidement l’attention de l’auditeur pour s’y installer durablement, devenant ainsi la pierre angulaire de l’album Sirens.
On remarque une certaine proximité entre “Luminare” et “Epoch” dans les modulations du chant, créant une impression de redondance. Si l’écoute est distraite, on peut être tenté de revenir en arrière pour s’assurer que les morceaux ne sont pas en doublon. Mais cette impression s’efface rapidement avec le pont central d’”Epoch” et son dialogue guitare-batterie, d’une efficacité redoutable dans sa simplicité. Le solo qui y est englobé s’exécute tout en légèreté, soutenu par une basse routinière mais structurante. On navigue sur des flots très hospitaliers, et les chœurs de “Phantom”, déroulés sur une partition un peu plus percutante et saccadée, n’offrent pas un raz-de-marée mais une croisière fort agréable où la houle nous berce.
Avec Sirens, Moon Wizard installe tranquillement son savoir-faire : une production soignée, un ensemble cohérent et doomy comme on aime. Il y a dans cet album une pincée de modernité difficile à expliquer, associée à la solidité des anciens. Sans doute que les sorciers sont effectivement sortis à la pleine lune pour composer cette œuvre génératrice de satisfaction et qui s’estompera au matin venu pour nous laisser le souvenir d’avoir croisé la route d’une œuvre de jolie facture.
Sorti assez discrètement sur le toujours assez jeune label Sound of Liberation, ce second album de Kant aurait pu passer inaperçu. Il faut dire que ses atours vintage aboutis laissent en premier lieu penser à une énième resucée de cette veine retro rock d’où émergèrent en premier les Witchraft, Graveyard et consorts.
Des titres comme “Baba Yaga” nous emmènent directement dans cette voie, avec son riff Kadavar-esque en diable et ce couplet aérien que l’on croyait issu d’un vieux Graveyard. Mais un break au groove de forcené nous met un peu les idées en place, et on s’embarque sur la suite… Pas de révolution constatée après ça, mais des marqueurs forts qui se dessinent : un son, d’abord, profondément ancré dans le rock / hard rock 70’s dans toutes ses composantes. Ce son de guitare, ce chant avec beaucoup trop d’écho, ces grattes en harmonie, cette basse groovante qui n’hésite pas à emballer le tout d’une galopante rythmique à chaque fois que c’est utile, et ces soli épiques qui décollent et s’emballent à tous moments… Zéro nouveauté en termes de production, si ce n’est ce sentiment de quasi-familiarité qui fait que l’on rentre dans ce disque comme dans notre vieille paire de chaussons, sans effort. En contrepartie, ce n’est pas là que se fera la différence avec l’ensemble des groupes de la mouvance susmentionnée.
C’est côté compos que Kant montre une inspiration assez remarquable, car le groupe ne propose sur ce disque que des titres mélodiquement aboutis, mûrs et efficaces. Mais surtout, il larve sa galette de véritables moments de grâce, qui donnent tout leur sel à ce disque qui n’est clairement pas mièvre, comme une première écoute distraite pourrait le faire craindre. On prendra en exemple le riff royal de l’intro du disque, “The Great Serpent”, le break doom metal assumé sur “Dark procession” ou bien l’incorporation discrète de la flute traversière sur le bluesy “Traitors Lair”. Une base musicale riche, qui vient interpeler et intéresser à chaque écoute – en sus du plaisir sonore “de base” que procure ce style musical, lorsqu’il est joué avec même fièvre et la même passion que celle qui anime clairement ces quatre jeunes gens.
Ce Paranoia Pilgrimage n’est pas un “Game changer” dans le paysage musical assez balisé du retro rock que nous connaissons bien : il s’inscrit dans cette veine et en propose sa version. Le moins que l’on puisse constater, c’est le talent qu’il met à son ouvrage, et l’intégrité de son approche. Quand en plus il y adjoint une qualité d’écriture au dessus de la moyenne, on se retrouve avec un disque fort recommandable dans le genre, pour les fans de Kadavar, Witchcraft (les anciens), Black Sabbath et consorts.
Et si nous retournions en Italie ?! Et si on s’intéressait de nouveau à un pouveau jeune groupe signé chez Argonauta ?! C’est la proposition que l’on vous fait avec le trio Bozoo qui a sorti début octobre son premier album éponyme ! Les italiens mijotent depuis 2019 un stoner sauce années 90 avec tout ce qu’il faut de rock, voire de grunge, de cette même période, et avaient déjà produit un EP au son très rustique mais qui annonçait déjà la couleur, avec notamment deux titres que l’on retrouve sur ce premier album (“Rolling” et “Two Holes”).
Bozoo propose un premier album plutôt audacieux avec 11 titres au compteur pour une durée de 46 minutes et plusieurs titres qui viennent titiller les 5 / 6 minutes de plaisir. Car oui, on va vous spoiler tout de suite, l’écoute de Bozoo est un petit délice de stoner rock énergique et frais. Exemple dès le premier morceau avec “Mayday” et son riff complètement rock’n’roll. De l’audace aussi sur la première partie de l’album où les titres s’enchaînent avec de légères transitions qui donnent une agréable sensation de connexion entre eux (de “Flushing Action” à “Skizzen” grosso modo).
Côté sonorités, le groupe se balade dans les références rock 90’s sans une originalité folle mais sans non plus tomber dans le plagiat évident. Ils sont même plutôt malins à venir mélanger les couleurs au sein des morceaux, comme “Rolling” qui démarre dans ce stoner rock un peu bizarre à la QOTSA et qui va progressivement se muer vers le grunge désespéré d’un Nirvana. En fonction des titres on verra donc apparaître des teintes de QOTSA (“Flushing Action”, “Scott Mary”), référence récurrente notamment sur le chant et les riffs plus rock, de Brant Bjork (“They Call me Nobody”) mais aussi des choses plus rarement associées au genre comme Smashing Pumpkins (le riff de “Cut”) voire même Weezer (le riff principal et la voix sur “Skizzen”), tout cela en gardant une vraie cohérence et efficacité tout au long de l’album.
Références mises de côté, Bozoo propose un stoner rock puissant qui laisse présager des concerts où la sueur coule à flot, notamment avec les gros riffs musclés de “Skizzen”, “Scott Mary” et son solo de basse bouillonnant ou encore “Two Holes”. Le trio tente beaucoup de choses pour rendre cet album à la fois efficace, frais et lourd, difficile à partir de là de ne pas apprécier un minimum leur musique. On a hâte de voir la suite, et pourquoi pas de les voir venir visiter la France (chacun son tour après tout !).
En 2017, Electric Wizard sortait son déstabilisant (et assez médiocre) dernier album, Wizard Bloody Wizard, et s’en allait logiquement le défendre sur scène, toutes voiles dehors. Bon, c’est Electric Wizard, pas le Grateful Dead, donc une grosse tournée pour le quatuor de doomsters, c’est entre 15 et 20 dates par an – mais pour eux, c’est massif. Ça dure trois ans et – on vous laisse faire le calcul… – Bim ! Le COVID frappe ! Dans l’incertitude du devenir du groupe dans ce contexte pandémique obscur, mais néanmoins porté par ce vent favorable et un très bon feeling sur les planches, Electric Wizard prend son petit enregistreur 16 pistes, descend quelques heures dans son local de répèt’, et s’en va s’enregistrer, comme ça, à l’arrache, sans plan particulier autre que capturer son état de forme du moment. Depuis, le groupe a quitté sa caverne pour une poignée de dates ces dernières années, mais bien loin du rythme qu’ils s’était imposé avant le COVID.
« It’s raw as fuck », nous prévient Jus Oborn, en fin et subtil analyste musical qu’il est. Il a raison, en l’occurrence, et c’est vraiment le fil rouge de ce disque : la production est rudimentaire, ça pue le live, et c’est produit (littéralement) dans une cave. Le matériel, basique, permet néanmoins d’atteindre un son garage bien supérieur à une modeste démo, suffisant pour retranscrire à la fois la puissance de la machine Wizard, tous amplis dehors, tout autant que la saleté du son qui vient embellir ses riffs emblématiques. Avouons-le : après la production bien trop clinquante et fluette de Wizard Bloody Wizard, ce retour à quelque chose de parfaitement glauque est salvateur, et ce son vient nous caresser et rafraîchir les cages à miel, comme un subtil vent froid et humide qui viendrait balayer les plaines austères de la campagne anglaise. Deux guitares, une batterie (et pour les experts acousticiens, une basse quelque part, paraît-il), tout est là ! Comme en live, quelques samples viennent égayer le tout, en intro ou outro, et comme en live aussi, les morceaux sont joués un peu plus aigus que sur disque. Bref, écouteurs posés sur les oreilles, on s’y croirait.
C’est ce bon vieux « Dopethrone » qui nous met dans le ton, avec son riffing monolithique, dans sa version live, « courte » de moins de 10 minutes, et donc emmené par ce son rudimentaire mais puissant. La set list, on en prend la mesure assez vite, apporte peu de surprises : si le groupe se sentait bien sur ses prestations live, c’est aussi parce qu’il était dans sa zone de confort. On enquille donc les classiques (avec peut-être un peu de fraîcheur pour le plus rare « Scorpio Curse » qui vient se nicher au milieu), d’où émergent quelques glorieux moments. On pense aux excellents siamois « The Chosen few » (très bien en version longue) et « Witchcult Today » (et leurs riffs « escaliers » respectifs, qui se répondent comme « en miroir »), ou encore à cette très bonne version de « Funeralopolis » et son final à rallonge, chargé en groove psych bien lourd et jams saignantes. Point d’orgue du disque, « Black Mass », bien ralenti par rapport à son pendant studio, permet surtout à Oborn de vomir ses tripes sur chaque nouveau refrain petit à petit au fil du morceau, dans un vivifiant et oppressant excès de colère.
Alors, un live COVID, qui sort quatre ans après son enregistrement, pour un groupe dont le dernier album date de plus de sept ans maintenant, ça nous dit quoi sur Electric Wizard aujourd’hui ? Ben pas grand-chose, malheureusement, et toute extrapolation serait probablement vaine. Depuis bien longtemps on n’a plus espoir de voir se dessiner un semblant de parcours de carrière classique, voire linéaire, pour le duo/quatuor anglais, qui décidément, ne fait rien comme les autres. Bien sûr qu’on aurait préféré un nouvel album… Mais est-on content du plaisir auditif proposé par cette pièce ? Evidemment. Donc on fait avec ce qu’on nous donne, et c’est déjà pas si mal. Et au vu du marché du disque actuellement, leur intention n’est vraisemblablement pas celle de se garnir les poches… Si ce disque ne nous dit rien sur la santé et l’inspiration des doomsters anglais, il nous rappelle qu’ils sont toujours là et bien là, et que même s’ils se font mordiller les mollets par des pelletées de rejetons ces dernières années, rares sont ceux qui peuvent prétendre à ce talent et cette efficacité-là.
Ce trio écossais mène sa petite barque discrètement depuis 2016, mais du fait d’un premier album sorti sur un label confidentiel, d’une activité scénique famélique (et en tous les cas limitée au Royaume Uni) et d’un break aux parfums de COVID, le son du groupe n’était pas jusqu’ici parvenu jusqu’à nos oreilles. Du fait de sa signature chez les toujours qualitatifs Kozmik Artifactz (et intrigués par le sobriquet du groupe, son jeu de mot grossier mais rigolo) cette galette incite au minimum à la curiosité.
De manière assez intéressante, le groupe développe un style qui est très fortement empreint d’une aura de jam band revendiquée… mais il couvre un spectre finalement bien plus large, et c’est bien ce point qui les distingue. Le trio est tout de même particulièrement à l’aise dans un stoner groovy et fuzzé, tel qu’illustré par l’introductif « Jump Into the River » (qui se révèle en outre être une bonne plateforme pour le chant bien chaud de Craig Carnegie), ou le très catchy « Media Content », un mid-tempo bien fait, qui appuie à bon escient sur l’accélérateur autour des refrains nerveux et de soli parfaitement réjouissants. Ces plans plus heavy viennent apporter une bienvenue densité à la galette (voir le morceau titre, particulièrement bien charpenté, ou le tendu « Pleasure Monkey », un titre bonus dont le riff rappelle furieusement celui du très lourd « The Beginning… At Last » de… Black Label Society !).
Mais le groupe affiche quand même un peu partout ses velléités de jam band assumées, soit au détour de certains plans leads (que l’on sent bien propices à des extensions live débridées), soit via des titres complets, réceptacles déjà prévus dans ce but : c’est le cas de « Gentleman’s Surprise », qui fleure bon l’impro, sur une rythmique groovy parfaitement emblématique du style, ou encore les dix dernières minutes de « Rough Guide to tripping Through The Desert », qui s’avèrent néanmoins moins enthousiasmantes (car peut-être un peu trop débridées, justement, et manquant de fil directeur).
Au final, ce When the Wheels Fall Off se révèle très appréciable, très qualitatif, et assez diversifié pour ne pas lasser. Il permet de découvrir un groupe qui, nous l’espérons, traversera un jour la Manche pour venir poser ses amplis sur des scènes du Vieux Continent, où, d’évidence, sa musique prendra une autre dimension encore.
Encore un album d’un groupe italien de psych chez Go Down Records ?… Fut un temps où le label transalpin, (légitimement) chauvin, nous gratifiait de un ou deux disques de groupe de psych italien chaque mois, parmi lesquels figuraient des productions assez dispensables parfois, mais avec de vraies pépites aussi. Revenus ces dernières années à une production quasiment famélique, le label doit être vu comme plus sélectif aussi, et c’est avec une oreille plus intéressée que l’on se penche sur ses sorties désormais. En l’occurrence, Veuve est un trio italien qui n’en est pas à son coup d’essai, ayant déjà sorti deux autres albums, sur d’autres labels. S’il n’avait pas su capter notre oreille à l’époque, il n’est pas trop tard pour faire leur découverte, d’autant que le groupe vient à peine de dépasser les dix ans d’existence.
Avouons tout de suite que les premières écoutes nous ont désarçonné, votre serviteur s’attendant (satané cliché adossé au label) à une production de psych rock assez classique. Même si ce Pole n’est pas radicalement à l’opposé non plus, la richesse de sa proposition musicale nous a surpris (litote). Le groupe gravite autour de la planète stoner, mais jamais trop près, ce qui lui évite d’en revêtir les apanages les plus clichesques, jamais. Sa course dans l’espace le fait a contrario côtoyer d’autres planètes, comme autant de sphères d’influences plus ou moins marquées : prog/psych (l’intro de « Land of Denial » – son riff de basse, son arpège de guitare mélodique – vous rappellent Elder ? Oui nous aussi), doom (l’intro de « Quest for Fire » – son riff, son chant – crie Monolord à gorge déployée), post-rock old school (cette intro de « Inner Desert » qui rappelle les vieux Dredg), blues, grunge, space rock (ce discret clavier en fond sur le break de « the Thaw ») … On peut néanmoins aussi entendre parfois des échos de 1000Mods, Kyuss (le Kyuss plus « explorateur » de Circus…) ou autres groupes plus classiques dans les sphères stoner… Le plus surprenant dans tout ça tient dans le fait que, souvent, ces passages très variés viennent s’articuler dans la même chanson ! Mais le tout se fait de manière fluide, efficace, et la construction des titres fait montre d’une réelle maturité.
Très largement instrumentale, la musique du groupe peut toutefois se reposer sur le chant solide et efficace de Riccardo Quattrin. Pour le reste, on est sur une base musicale simple sur le papier (guitare, basse, batterie) mais qui semble bien plus riche et dense sur disque (superbe travail de production, malgré un budget que l’on imagine restreint).
Pole est un disque dont on a du mal à se détacher. Il est tellement imaginatif et audacieux qu’il n’ennuie jamais, et tellement bien écrit qu’il propose des dizaines de séquences captivantes et accrocheuses. Vous aurez du mal à vous départir du couplet super-mélodique de « Thrive on Empty Temples », du riff nerveux de « Land of Denial » ou de celui, lourd et doomy, de « Quest for Fire ». C’est toutefois sur ses pièces les plus longues (« The Sudden Light » et surtout « Inner Desert ») que Veuve excelle, développant des plages aux structures fluides, adressant un spectre musical et d’émotions riche et surtout bien assorti. Deux titres envoutants, éprouvants (voir la section centrale de « Inner Desert », avant un final aérien et puissant), parfaitement servis, une fois encore, par une instrumentation et des lignes vocales particulièrement bien senties.
Pole n’est pas un petit disque sans prétention comme on en rencontre parfois, de ceux que l’on peut oublier quelques mois et que l’on prend plaisir à réécouter à chaque fois. C’est un disque qui, sans jamais « sonner prétentieux », est ambitieux et fort. Bien ancré dans votre lecteur de disque, il aura du mal à en sortir, pour peu que votre cerveau soit disponible à la variété musicale sur laquelle il repose.
Le label transalpin Argonauta est rarement le dernier à proposer des groupes intéressants, généralement jeunes et à découvrir. C’est donc avec une oreille attentive et intéressée (le label est rarement pris à défaut de bon goût) que l’on s’est penché sur le cas de ce jeune et discret trio londonien, à travers leur premier album, faisant suite à une paire de EP produits durant leurs quatre premières années d’existence.
Proposant quatre morceaux pour 43 minutes environ, on peut présumer que l’influence première du disque est assez éloignée de la discographie des Ramones. Le groupe se décrit comme un pourvoyeur de doom metal, mélangeant (je cite) space rock et blues psychédélique. Une fois n’est pas coutume, la bio s’avère assez fiable, et l’on entend bien tout cela sur leur galette : évoluant dans une configuration assez classique (guitare, basse, batterie) le trio œuvre en instrumental complet et tisse de longues pièces musicales sur la trame de riffs solides. La lenteur du socle dynamique convoque des influences stoner doom assez classiques, sans jamais verser dans le post-metal, malgré la froideur de la constitution musicale et de la production, bien sentie. Dans cet exercice, les rapprochements avec Bongripper sont inévitables. Si le trio anglais ne pourra pas souffrir la comparaison avec les illustres doomsters américains, que ce soit en termes d’efficacité, d’inventivité et de puissance globalement, ce rapprochement fait sens très souvent au fil de l’écoute du disque.
C’est en particulier le cas sur « Estate », titre introductif plus court et plus accrocheur, dont les arrangements notamment sur la fin du morceau rappellent le travail à deux guitares de Bongripper (du coup, oui, il y a triche, Borehead n’ayant qu’un seul guitariste…). Les titres suivants sont tous intéressants et les écoutes s’enchaînent sans temps faible et sans ennui côté auditeur : le travail d’écriture et de construction est bien présent et fonctionne bien, avec des morceaux qui prennent le temps de s’installer, pour mieux déployer un ou deux riffs principaux à chaque fois, et une évolution sur le temps long (entre 10 et 14 minutes) qui emmène l’auditeur dans différentes sphères émotionnelles, avec des passages plus lourds, légers, tendus, oppressants, libérateurs… On notera que le trio ne tombe jamais dans le travers de complexifier à outrance ses compos, d’accumuler les séquences, breaks et plans alambiqués : l’écueil paradoxalement trop facile de verser dans le « prog » est évité, ce qui en soi est un effort remarquable (l’efficacité plutôt que la quantité et la démonstration).
Borehead montre avec ce Vita Est Morte Est Vita qu’il a les bonnes clés pour se développer. Son approche musicale n’est pas inédite ni singulière, mais elle se retrouve assez rarement aussi affirmée chez d’autres groupes, a fortiori aussi jeunes. Avec des riffs encore plus efficaces (ils sont déjà pas mal) et un travail encore plus audacieux sur l’écriture (et la production, cruciale pour ce style musical), il pourra emmener sa musique vers des sphères encore plus ambitieuses. Mais en l’état, pour un premier album, la qualité est bien au rendez-vous.
Il n’y a pas beaucoup de déserts sur les rives du Lac de Genève, mais il y a un trio instrumental qui balance depuis 15 piges un groove emprunt de la marque du son de la Californie du Sud. Après « And Water Flows » en 2013 et « Below The Eternal Sky » en 2018, la triplette helvétique se rappelle à nos bons souvenirs avec une digression autour des créatures, histoires sans parole, mais avec une putain de rythmique, captée en banlieue de la Cité de Calvin.
Avec un effectif stable depuis les débuts de cette aventure musicale, Six Months Of Sun croise régulièrement notre route pour balancer des sets follement intenses au cours desquels nous avons toujours été musicalement comblés et fort enthousiasmés. L’énergie live de c’t’équipe a été remarquablement transcrite par Serge Morattel au Rec Studio du Lignon (dans la cité où j’ai poussé) qui s’est chargé de la captation, du mix ainsi que du mastering et c’est au duo Cold Smoke Records (à qui on doit notamment les sorties de Hey Satan fans le rayon qui nous touche) et Urgence Disk (le label hyper prolifique et complètement touche à tout mené par mon pote Dam dans les murs de l’épicentre culturel de Genève : l’Usine ; une structure qui comptabilise pas loin de 370 sorties excusez du peu) que nous devons cette production qui fait grave taper du pied.
Musicalement, les connaisseurs de l’assemblée vont y retrouver leur compte avec une architecture stable question déploiement des titres : Christophe Grasset à la guitare vient plaquer des riffs distordus sur une énorme structure rythmique menée par Daniel Stettler qui tape telle la mule sur ses fûts et Cyril Chal qui envoie des grosses lignes de basse (remarquablement mises en avant par l’ingé-son) ; « Gevaudan » en étant l’illustration parfaite. Constitué comme une oeuvre à dévorer chapitre après chapitre (et pas comme un alignement de titres à se cogner indépendamment les uns des autres comme la consommation de masse nous le propose actuellement), ces 9 plages se succèdent de manière cohérente en osant parfois prendre des chemins de traverse, mais en ne décevant jamais sur les 35 minutes de temps de jeu. Les ovnis (« Dobhar Chu » et ses nappes synthétiques) ou le final électronique (« Dahu » qui est un peu la victoire des machines sur le power trio) soutiennent un alignement d’ogives comme « Jersey Devil », « Vatnagedda » ou « Shai-Hulud » propices à faire lever la cornette aux inconditionnels des regrettés Karma To Burn (pour qui le gratteux avait ouvert lors d’une Fête de la Musique mythique à Genève avec un autre groupe).
Difficile de ne pas se laisser séduire par une production d’un tel niveau qui vient soutenir la forme phénoménale de notre scène francophone laquelle ne s’arrête pas aux frontières de la Macronie (c’est Schengen les gars !). Ca sort juste avant que le barbu vêtu de rouge vienne se perdre dans les cheminées régionales alors faites-vous plaisir et ruez vous sur cette galette de grande classe dont « Ningen » est la fève qui va vous défoncer les dents. Merci les 3 rois mages : vous me faites sacrément plaisir avec cette livraison du terroir qui démontre encore une fois que nos régions ont un putain de talent !
Alors que nous digérons toujours l’excellent second album de Delving, dont nous vantions les qualités ici, Nick Di Salvo (Elder) revient déjà avec son autre projet solo (même s’il est ici bien plus entouré sur la partie studio), Weite, et un second album nommé Oase. Au départ monté comme une session jam, Weite devient rapidement un groupe à part entière composé de Ingwer Boysen (Delving) à la basse, Michael Risberg (Elder, Delving) et Ben Lubin (Lawns) aux guitares, Fabien de Menou (Perilymph) aux claviers, et donc aussi de Nick Di Salvo (Elder, Delving) mais qui ici opère en tant que batteur.
Il ressort de cette association un premier album Assemblage, sorti en 2023, un regroupement des jams du groupe en quatres morceaux nous emmenant dans des terres où le rock psyché des années 70, le krautrock et les synthés sont rois. Cet Assemblage restait plutôt agréable à écouter, notamment avec ces quelques touches plus jazzy, bien qu’assez sobre techniquement et posait de bonnes bases pour la suite de l’histoire.
Oase démarre sur “Versteinert” où l’on est hypnotisé par les notes de guitares puis entraîné paresseusement dans le rêve par la répétition des deux mélodies principales du morceau. Voilà le mood général de l’album qui se veut comme sept failles dans l’espace temps où l’auditeur peut s’échapper et se laisser aller à la contemplation et l’introspection. Du lumineux “Time Will Paint Another Picture”, à la lente première partie de “The Slow Wave”, tout nous ramène à cette une invitation à s’évader dans une boucle de synthés, une mélodie à la flûte ou une ligne de basse qui rebondit…
Avec toute cette douceur, Weite n’oublie pas de disposer ça et là quelques fulgurances comme sur “Roter Traum”, idéalement placé en milieu d’album, avec son riff saillant et sa seconde partie où les couleurs d’Elder se ressentent avec ce côté légèrement épique dans les guitares et les synthés. Idem sur la dernière partie de “Versteinert” ou sur “The Slow Wave” qui feint de nous envoyer voir morphée avant de basculer dans un trip jazz acide qui gagne au fur et à mesure en lourdeur.
Oase fait partie de ces albums que l’on peut qualifier de moelleux tant ils sont agréables à écouter. Le seul défaut de cet album sera de ressembler à Delving et à Elder dans ses moments les plus aériens… est-ce vraiment un défaut au vu de la qualité de ces groupes ? Certainement que non mais un peu plus de prises de risques ou d’expérimentations sur ce type de production n’aurait gêné personne (et si au final c’était Elder, groupe principal de Nick, le vrai laboratoire à idées ?). Techniquement toujours aussi impeccable, les cinq musiciens entremêlent avec intelligence l’univers krautrock avec un rock psychés empruntant beaucoup à Genesis notamment sur certains passages où basse et claviers se répondent (“Versteinert”, “Eigengrau”) voire sur les ambiances presques naïves de “Time Will Paint Another Picture”. Le travail de composition est aussi bien plus abouti que sur Assemblage, ce qui enrichit chaque nouvelle écoute de Oase !
Le trio parisien Starmonger n’en est pas tout à fait à son coup d’essai avec Occultation, son deuxième album. Ce dernier s’inscrit dans la veine stoner, avec des accents classiques et une douceur certaine. À noter pour l’occasion un changement à la basse, ainsi qu’une signature chez le discret label Interstellar Smoke Records.
Dès les premiers accords, on pourrait craindre un énième Sabbath-like , mais ce sentiment disparaît rapidement. Starmonger fait preuve d’une vraie maîtrise du riff et de la rythmique, guidant l’auditeur d’une atmosphère à l’autre, tout en explorant des idées fédératrices. Citons par exemple ce solo de guitare suspendu à la basse qui mène à l’outro de “Black Loge”, les saillies doom de “Serpent”, ou encore le contraste du son de basse dans “Phobos”, accompagné d’une palette vocale riche.
L’originalité majeure de la production de Starmonger réside dans le chant. Souvent assisté de delay ou de reverb, migrant souvent vers un chœur, gagnant ainsi en puissance pour apporter une touche particulière à des morceaux comme “Conjunction”, “Page of Swords” ou “Phobos”.
Globalement, l’écoute de l’album est agréable. Si la production semble un peu fragile sur “Mothra” et “Page of Swords”, où l’album mériterait une plus grande ampleur, on se laisse néanmoins séduire par l’attaque des cordes bien placée ou par ce chant, à la fois puissant et lancinant.
Starmonger ne débute peut-être pas tout à fait, mais livre un Occultation encore frêle sur ses bases. L’œuvre est vacillante, certes, mais elle possède déjà des qualités qui augurent du meilleur pour l’avenir. On aurait tort de passer à côté de cet album, qui sait capter l’attention par ses originalités et qui, espérons-le, saura nous offrir moult petits.
Plus de treize ans se sont passés depuis l’excellent The Wretch, dernier album en date de la solide discographie du trio de doomsters cultes de l’Indiana. Le groupe revient de loin, quand on se rappelle de l’annonce de son fondateur, une paire d’années après ce disque, du split du groupe, après le décès de son bassiste Jason McCash (d’overdose). Quelque espoir sera apparu au détour de 2020, et une sorte de petite tournée de reformation, mais le COVID étant passé par là, on n’y croyait plus (d’autant plus après d’autres décès dans les membres historiques du groupe). C’est étonnamment chez Svart Records que le groupe nous revient avec ce disque au visuel rudimentaire (quel dommage de la part d’un groupe qui nous a habitué à de beaux artworks d’inspiration Heroic Fantasy) mais porteur de tant de promesses…
Le groupe, qui a évolué au même moment que la féconde vague de groupes de doom metal les plus cultes (Reverend Bizarre, Saint Vitus, Witchfinder General, Count Raven, Pentagram, Trouble…) débarque dans un contexte musical tout à fait différent aujourd’hui : depuis quelques années, le mythique trône du doom metal a du mal à trouver son prétendant naturel. De nombreux candidats s’en sont approchés, avec des stratégies différentes, et dans des genres parfois connexes – qui plus penchés sur le stoner doom, qui en parsemant leur musique de reflets occultes, qui encore en recourant aux sonorités plus « modernes » du post metal ou plus obscures même du black metal…
N’y allons pas par quatre chemins, The Gates of Slumber reviennent directement aux affaires pour prétendre à leur place légitime sur le trône, une place dont leur longue absence les a logiquement éloignés (loin des yeux, loin du cœur…).
S’ils devaient gagner le trône au combat, ils sont manifestement venus bien armés : de riffs, en premier lieu. Comme s’il en pleuvait, ils sont tous impeccablement affutés, efficaces, et leur tranchant est sans égal (« At Dawn », étouffant, « Embrace the Lie », le rampant « The Plague », etc…). Les crânes éclatent sous leurs coups de boutoirs, et de fins soli viennent émailler ces scènes barbares (aaargh, ce lead cristallin qui vint conclure « The Plague » pendant quelques secondes, ou ce solo blues fiévreux sur « Full Moon Fever »…). En guise de robuste armure, les guitares de Karl Simon peuvent compter sur une rythmique solide, mais pas que : Steve Janiak à la basse ne fait pas que plomber chaque mélodie avec ses lignes de basse mélodiques, il participe aux compos en apportant ses propres inclusions de 4-cordes, qu’il s’agisse de porter le riff principal (« The Fog », « We Are Perdition » en relais direct de la guitare) ou de proposer d’efficaces petits coups de boutoir ici ou là (les saccades martiales de « We Are Perdition »).
Le combat délivré est déjà féroce, mais narré par Simon, il devient rien moins qu’épique : le chant du guitariste est toujours aussi chaud, puissant, juste, plein de nuances… Il vient impeccablement compléter le socle musical du combo.
L’assaut se produit à travers 6 salves successives (6 minutes de moyenne par morceau, parfait – ni bâclé, ni exagérément allongé), sans aucun temps mort ni point faible. Chaque compo est différente, avec des rythmes et des ambiances différentes : de la lenteur extrême de « The Fog » à la vigueur de « Full Moon Fever », on passe par toutes les ambiances. Mais surtout, le plan de combat ne se limite pas à ces attaques simplistes : c’est très bien fait, très bien pensé, mais en outre chaque titre, malgré une identité singulière forte, contient en son sein plusieurs idées malines, qui viennent apporter non seulement du relief mais de l’efficacité.
La production du disque en revanche induit un biais un peu subjectif dont il faut tenir compte : tandis que certains groupes de doom privilégient un son sale, glauque et poussiéreux, The Gates of Slumber, l’album, s’appuie sur une armurerie plus clinquante et propre. Chaque instrument trouve bien sa place, tout est parfaitement positionné bien en haut dans le spectre sonore, c’est beau, c’est propre, c’est puissant, c’est pile à la limite entre classicisme old school et modernité. Et le tout sans oublier la part d’occultisme et de mysticisme consubstantielle au genre musical, ni cette portion de gras sans laquelle le bon doom ne serait « que » du doom. Mais voilà, certains pourraient rechercher plus de poussière dans leur mix ou un cloaque sonore plus nauséabond.
Au bout de trente-cinq minutes d’un combat en sens unique, The Gates of Slumber a fait le ménage dans sa cour remplie de prétendants aux ambitions et moyens variés, presque tous rendus à leur statut de modeste vassal. Elles ne sont pas nombreuses, les formations qui peuvent prétendre à si bel ouvrage… Tout naturellement, leur « black album » à eux (!) vient donc assoir leur légitimité tout en haut, parmi les hautes sphères du genre. On ne peut pas décemment se prévaloir d’une quelconque affection pour le doom metal et ne pas reconnaître dans ce disque l’une de ses plus belles œuvres. Très propre (trop propre ?), le disque ne prête le flanc à aucune critique rationnelle. Les années diront s’il est assez solide pour maintenir ce statut.
Ce discret quatuor allemand sort aujourd’hui son second album seulement en 12 ans d’existence, émaillés de hauts et de bas, et de sorties sporadiques. On connaissait surtout Deaf Lizard pour avoir accueilli en son sein un chanteur français à ses débuts (qui chantait en français, avec un “décalage” un peu étrange, sur une musique déjà sympathique). Exit le frenchie depuis pas mal d’années déjà, et c’est l’occasion de redécouvrir ce groupe.
The Last Odyssey est un de ces petits albums de stoner pur jus, qui font leur chemin en toute discrétion, sans que grand monde ne s’arrête dessus. A tort : avec humilité et avec une authentique intégrité stylistique, le quatuor propose un disque très plaisant, qui a le grand tort de ne rien proposer d’original. Quelle horreur ! Sauf qu’au final, le plaisir est bien là, au détour de plusieurs titres : « Nuclear » en intro de stoner instru classique, « The Devil’s Show » qui se lance comme un titre d’Acid King (même son, même goût du riff, même vitesse d’exécution…), « City of Life » et son boogie absolument prodigieux, « Independent Terror » et son groove de scélérat (cette deuxième moitié…).
Soyons honnête : la face B (les trois derniers titres en gros) sont moins exaltants et se cherchent un peu en circonvolutions parfois inutiles. Pour autant, on a au final une poignée de titres vraiment excitants qui ne fournissent rien d’autre qu’une rasade de plaisir sans prise de tête. C’est déjà pas mal pour un groupe qui n’affiche pas d’autre prétention, et qui donc remplit parfaitement son contrat.
Album posthume ? Difficile à dire, en tous les cas c’est avec une certaine émotion que nous avons reçu ce disque, quelques mois après que le groupe poitevin ait annoncé mettre ses activités en sommeil pour une durée indéterminée… Avec presque vingt ans d’activité au compteur tout de même, TBDLB (merci de votre compréhension) aura ancré sa carrière dans l’underground du doom metal français, gravitant dans des sphères que l’on qualifiera soit de confidentielles, soit de cultes ; en tous les cas bien loin d’un retentissant succès public. Il faut dire qu’avec son doom sans concession, sa discographie famélique (c’est leur troisième album seulement) et son apathie scénique (une moyenne de deux ou trois concerts par an sur l’ensemble de sa carrière…), le quintette n’aura pas vraiment mis l’effort dans une dynamique carriériste.
Du point de vue discographique, les deux premiers albums du groupe, apportaient deux approches subtilement différentes de leur vision musicale : Blood for the Bloodking (dans l’aspiration de sa redoutable démo The Beast Must Die), d’abord, proposait un doom âpre, lourd et au son de guitare rêche, très riff-oriented, avec une prod rêche et brut de décoffrage. Lost n’ Drunk ensuite a apporté une évolution un peu plus mélodique, un recours à des plans plus psyche aussi, un usage de la fuzz un peu différent et un son un peu plus soigné. Nuances que tout cela, en tous les cas, car l’identité du groupe est restée forte et reconnaissable entre mille : un doom metal d’un classicisme confondant, trouvant sa source dans les pères géniteurs du genre (on nommera dans le lot Witchfinder General, Cathedral, Reverend Bizarre…), joué avec liberté et fantaisie, mais sans jamais dévier des piliers stylistiques : lenteur, lourdeur, riff, occultisme…
Clans of the Alphane Moon ne déroge pas à ce socle musical, on n’en est pas étonné. Côté compos, on est comme toujours sur une grosse base doom, lente et riffue… très riffue d’ailleurs : ce troisième méfait est probablement leur disque le plus efficace, avec un ensemble de chansons solide. Et pourtant, la pièce est difficile à avaler : 1h10 au garrot, sept chansons (oui, ça fait dix minutes par chanson en moyenne, heavydemment), on pouvait s’attendre à quelques passages dispensables. On exagèrerait en affirmant que la tension est la même du début à la fin, et quelques passages auraient pu être zappés, mais globalement, on est sur un excellent ratio qualité / quantité. Du gros riff, donc, on le répète, produit en nombre par la paire Opyat / Pierre : un titre un riff au minimum, caviardés comme il se doit par des breaks velus, des envolées de leads épiques… La base instrumentale apporte un plaisir particulièrement régressif, et avec un peu de recul, se positionne un peu entre leurs deux premiers albums au niveau de l’intention : de la rudesse, du riff, mais aussi de la mélodie, des plans plus travaillés… Sur ce socle, l’emblématique Bottleben vient poser ses vocaux bien particuliers, qui feront peut-être grincer des dents ceux qui ne connaissent pas le groupe : son chant puissant, largement mis en avant dans la prod, a des atours théâtraux et incantatoires qui peuvent, pour certains, faire ombrage au socle musical. C’est pourtant bien là l’identité du groupe (on vous met en particulier “Flames of Sagitarius” en écoute ci-dessous qui présente toutes les facettes du groupe : du riff, du lead a gogo, des lignes de chant parfois super catchy ou complètement décalées… tout est là !).
Le disque se détache en outre de ses prédécesseurs par une production largement plus travaillée, avec une mise en son qui met bien plus en valeur la musique du quintette (on jettera juste un voile pudique sur ce son de caisse claire très discutable – un détail). Et l’on en arrive progressivement au constat qu’il s’agit probablement du disque le plus mature du groupe, la parfaite synthèse de sa modeste discographie. Selon les goûts et les aspirations de chacun(e), il peut ou pas s’agir de leur meilleur disque, mais dans tous les cas il apporte une vraie complémentarité. Le résultat reste donc le même : si vous êtes fans du groupe, achetez le disque, il ne vous décevra pas. Et si vous ne connaissez pas le groupe, achetez le disque, il vous offrira une excellente porte d’entrée vers leur (modeste) discographie.
On ne peut pas dire que la scène néo-zélandaise ait été ces dernières années un vivace pourvoyeur de riffs fuzzés… est-ce que ça ne serait pas en train de changer ? Après Earth Tongue il y a quelques semaines, voilà débouler un jeune quintet en provenance de Wellington. Même s’il n’a démarré qu’en 2021, ils sortent ici leur second album en trois ans, et ce dernier nous a passablement excité.
Dès les premières écoutes, l’on est (ac)cueilli par le chant de la nouvelle chanteuse Jem Tupe, qu’il est difficile de ne pas distinguer : sa voix chaude et puissante, sa technique parfaitement adaptée, sont – très légitimement – mis en avant dans la musique du groupe (et en particulier à travers une production qui la met bien en évidence). Qu’elle propose des lignes de chant suaves et chaudes (le début de “Guardians”) ou à l’extrême surpuissantes (l’époustouflant final de “Yggdrasil”), elle n’est absolument jamais prise en défaut, et rend un vrai service aux compos. Elle donne une bonne part de l’identité du groupe et de son son, et c’est un réel atout.
Mais on pourrait vous citer plein de groupes insipides qui ne se reposent que sur les cordes vocales de leur chanteuse pour construire leur carrière (il y en a un qui vient à l’esprit plus vite que les autres toutefois…), et ce n’est pas le cas ici – car bon sang de bonsoir, ça riffe ! Encore une fois, le groupe ne rentre pas dans cette lignée de groupes évoluant sans ligne directrice claire, entre retro rock 70’s et mid-tempi gentiment fuzzés. Musicalement, le groupe fait dans le costaud, le gras et le poilu. On est toujours très franchement et très clairement en contrées stoner, même si le groupe maîtrise une sacrée variété de tempi et de variantes du style. Et on ne s’ennuie jamais, à l’image de “Wasted Space”, de son couplet tout en groove sautillant donnant la main à un refrain puissant aux limites du doom, pour terminer sur un déluge de leads fuzzées et wah-wah-isées. Tout ça est maîtrisé et diablement efficace, et on a du mal à se départir de toutes ces pépites : le doomy “The Depths”, “Prisoner” et son riff metal, le groovy “Disarm the King”, la bien nommée “Desert Song” ou même la quasi-balade puissante “Northern Lights”. Huit titres, 35 minutes, rien à jeter.
Vous ne gâcherez pas votre argent en faisant l’acquisition de cette excellente galette. Il sera probablement difficile de voir le groupe en concert (sait-on jamais…) mais déjà sur disque, c’est une réussite.
Un peu désorientés par leur quatrième album, Excruciation, sorti il y a quatre ans, c’est avec circonspection que nous nous sommes concentrés sur l’écoute de ce nouvel album, pas aidés par un léger manque de confiance vis-à-vis du label Ripple (qui ces derniers mois nous a habitués à des sorties plus hétéroclites que dans ses grandes années) et un visuel un peu décalé, que l’on imaginerait plutôt orner un album de neo-metal lambda. En outre, le trio américain ressemble de plus en plus ces derniers mois à un projet si ce n’est despotique, en tout cas proche du (gentil) népotisme : Ron Vanacore a changé son bassiste en 2022, et, suite au départ récent de son batteur, vient de le remplacer par… son propre fils, Logan, apparemment un jeune prodige de 14 ans (c’est néanmoins l’ancien batteur Brian Harris qui apparaît sur le disque).
Dans tous les cas, pas de doute, c’est bien autour de Ron que tourne la musique du combo : ses riffs surnagent complètement et structurent les morceaux (et constituent la pierre de soutènement de la production), bien accompagnés par son chant si emblématique. En effet, et ça peut surprendre en première écoute si vous ne connaissez pas le groupe, à l’instar d’un Steve Hennessey (sHeavy) par exemple, la voix de Vanacore, puissante et sournoisement nasillarde, ressemble très souvent à celle d’Ozzy (de l’époque où il pouvait chanter avec ses propres cordes vocales, sans ordinateur…).
En outre, la filiation Sabbathienne ne tient pas qu’à ça : l’inspiration du groupe quintessentiel transpire de la plupart des compos de ce Delirium qui, de l’aveu même du groupe, se veut reposer sur ses plus profondes bases musicales. Et ne parlons même pas de cette efficace reprise du génial « R.I.P. » des doomsters cultes de Witchfinder General…
Plus globalement, ce sens profond du master riff, très Iommi-esque dans l’approche, vient charpenter l’ensemble de ce Delirium, comme Curse the Son ne l’avait probablement pas fait depuis ses deux premiers albums. Côté riffs, on aura du mal à trouver plus efficace que ceux de « Suffering is Ours » ou de « Delirium ».
Pour autant le trio sait montrer qu’il n’est pas qu’un ersatz fadasse de Black Sab’, avec des compos plus originales, à l’image du catchy « Deliberate Cruelty » ou de « Liste of the Dead » (dont plus d’une fois sur le couplet on se dit qu’il n’aurait pas dépareillé dans la discographie d’un… Soundgarden !).
Bref, malgré un plan de carrière confusant, Curse the Son, avec ce Delirium, décrit comme l’album du « R.A.Z. », confirme ses modestes ambitions. De retour à ses bases, le trio compose un album solide, intéressant, qui ne se perd jamais en circonvolutions stériles, et dispense un plaisir d’écoute qu’on ne retrouve que rarement dans les productions récentes.