Hebi Katana – Imperfection

Imperfection est déjà le quatrième album pour le pourtant jeune trio japonais Hebi Katana (« l’épée serpent »…), qui s’est formé en 2020 à peine. Jusqu’ici, ce qui vient en premier à l’esprit quand on parle de musiques fuzzées en provenance du pays du soleil levant, c’est soit des formations de psych rock propices aux jams aériens et enfumés (option pattes d’eph’ / patchouli), soit le stoner doomy glauque tendance Church of Misery… C’est faire peu de cas d’une scène plus vivace, qui manque surtout d’opportunités et de moyens de se développer. Saluons donc la dynamique de Hebi Katana, qui force un peu le destin en proposant une sortie via le label U.S. Ripple Music, l’opportunité espérons-le de lui apporter un peu plus de visibilité (le groupe a eu peu d’opportunités de jouer live hors de son pays jusqu’ici).

Il faut dire que sa musique mérite une attention particulière : dans un style difficile à décrire simplement (un illuminé du marketing leur aura attaché l’étiquette absurde et cliché de « samourai doom »), le groupe propose sur ce Imperfection sept titres qui vont balayer des dizaines styles différents, à chaque fois au service d’une chanson à l’identité prononcée. Certains mettront en avant une identité musicale diffuse, nous préfèrerons valoriser l’efficacité des compos et le plaisir inlassable à chaque nouvelle écoute.

La mise en musique est aussi riche que les styles abordés, avec un travail de production qui vient proposer tous types de sonorités, entre le très clair et le très saturé (« Bon Nou » en intro en illustre grossièrement le propos, avec ce rageur assaut punk rock qui vient renverser une intro acoustique mélodique). Le chant, assuré alternativement par le bassiste Laven ou le guitariste Nobu, est l’un des marqueurs importants du groupe. En anglais, il est livré sans accent (une remarque pas anodine quand on connaît un peu les japonais…) et avec une redoutable efficacité : le chant de Nobu, majoritaire, a un sens mélodique impeccable (avec des aspects un peu nasillards qui ne plairont pas à tout le monde, par exemple sur « Dead Horse Requiem ») tandis que celui de Laven, plus classique, est mieux adapté aux titres punchy (comme le redoutable « Blood Spirit Rising »).

Cette richesse de sons et de personnalités vient armer une poignée de compos particulièrement attachantes et accrocheuses, dont il est difficile de faire émerger des titres meilleurs que d’autres. On notera (pour les auditeurs sur vinyles) une face B moins « percutante », avec des titres plus denses, moins directs – mais certainement pas moins intéressants, à l’image du duo final « Yu Gen » et « Yume Wa Kareno », des titres complexes, plus lents mais renforcés en larges rasades doom bien lourdes. Si vraiment vous voulez un échantillon, on vous encourage à vous pencher sur « Doomed Echoes from Old Tree » (ci-dessous) pas forcément la meilleure compo du disque, mais la plus riche probablement.

Penchez-vous dans tous les cas sur ce groupe qui ne devrait pas vous laisser insensibles.

 


Elepharmers – Western Wilderness

Il aura fallu un hiatus de près de six ans pour que les Italiens d’Elepharmers ressortent un album. Rétrospectivement, le démarrage semblait sérieux : trois disques et une signature chez Electric Valley Records. Un parcours au sein d’influences space rock pas toujours orthodoxes, certes, mais sans éclats majeurs entre 2010 et 2019. Pourtant, leurs sonorités étranges auraient dû attiser notre curiosité et laissaient présager le meilleur pour l’avenir.
Pourquoi, alors, six ans entre le précédent album et ce Western Wilderness ? La réponse appartient au trio, et après tout, peu nous chaut : si la plaque s’avère bonne, c’est bien tout ce qui compte.

Les Sardes d’Elepharmers signent ici un retour à leurs sources rock et annoncent délaisser le space rock. Et c’est assez vrai : ce nouvel opus s’inscrit dans une veine plus classique du genre il suffit d’une oreille meme distraite pour recevoir “Burning The Nest” pour s’en convaincre.  Les riffs nerveux, soutenus par la linéarité de la batterie sur “The Call of the Wild” et “Dung Beetle”, ne démentent pas le propos. Le groupe joue avec les poncifs du style, certes, mais le fait avec talent. Les titres ne sont jamais ennuyeux, et l’on ne peut que recommander ces pistes vives où transpirent quelques soli et autres surprises loin d’être dégueulasses.

Se réinventer complètement n’est toutefois pas une mince affaire, et Arcentu comme Tower of Silence font la part belle aux mélodies en apesanteur, trahissant encore l’attachement du groupe pour le space rock. Reconnaissons cependant qu’ils ont clairement laissé derrière eux les aspects les plus barrés de leurs anciennes productions : le bref passage planant de “The Call of the Wild” ou les quelques secondes synthétiques au cœur de Genna Serapis” en sont sans doute la dernières rémanences.

Une fois l’écoute passée, le constat s’impose : la plaque est solide. Les sautillants “Drifter” et “Blind” marquent l’esprit par leurs compositions enjouées; un cœur d’album où pulse la vitalité d’Elepharmers. Qu’on ne se laisse pas abuser par leur nom : la lourdeur est peut-être leur étendard et ils lui font honneur avec “Genna Serapis”, mais ils restent malgré tout attachés aux intentions les plus rétro du genre. Solis hard rock de qualité, crunch désertique comme on l’aime… L’étiquette ne reflète pas tout à fait le produit, mais le titre de l’album, lui, tape dans le mille : Western Wilderness sent la poussière et le sans-plomb, une plaque qui file à toute allure sous un soleil radieux.

Elepharmers signe donc son retour aux affaires avec un Western Wilderness travaillé et construit avec talent. On espère croiser le trio bientôt dans quelques clubs proches de chez nous, histoire de prendre un shoot de poussière méditerranéenne plein les esgourdes.

Bell Witch and Aerial Ruin – Stygian Bough – Volume II

Même si les bases du projet sont très explicites (les noms des deux formations le composant figurent dans son titre) rappelons qu’il s’agit ici du volume II d’un partenariat dont le premier disque est sorti il y a cinq ans maintenant. D’un côté : Bell Witch, le duo à l’origine de l’incontestable pierre angulaire du Funeral Doom, avec son écrasant Mirror Reaper en 2017 (on ne vas pas vous en ressasser les tenants et aboutissants, et on vous encourage à vous pencher sur la question si vous êtes passé à côté…). De l’autre côté, un projet musical « one man band », Aerial Ruin, derrière lequel se cache Erik Moggridge, non seulement un ami de longue date de Bell Witch, mais surtout un partenaire de composition de toujours pour le duo. Dès lors, il faut appréhender ce projet partagé comme la volonté commune de faire émerger une tierce entité musicale de la part de ces musiciens.

A l’image du Volume I, la production commune de ces deux entités musicales produit une musique qui se situe… pile entre les deux ! Pour faire très schématique, Stygian Bough repose sur une base doom lente et un travail d’écriture très élaboré (la marque de Bell Witch), et y injecte des sonorités plus aériennes (aux influences folk au sens pur, bien loin des clichés de la guitare sèche au coin du feu), mélodiques, un chant clair, et des thématiques plus mystiques (des apports liés à l’entité Aerial Ruin).

Le résultat est donc une musique moins introspective et oppressante que le Funeral Doom très sombre de Bell Witch, mais plutôt un doom mélodique, très lent et souvent mélancolique, incarné ici sur quatre titres massifs (entre 11 et 19 minutes).

Même si l’on est prévenu, pourtant, la première mesure (et même les premières secondes) du disque sur « Waves Became the Sky » a failli nous sortir complètement du projet : une progression mélodique sur trois notes (riff ?) avec un chant en harmonie aux atours quasi-cléricaux… les clichés les plus caricaturaux et éculés sont là, jetés en pâture aux chroniqueurs blasés qui n’aura pas à en écouter plus pour classer le disque. Avec force abnégation, on pousse un peu, pour prendre la juste mesure de l’objet. Et autant prévenir tout de suite : il faut vraiment écouter copieusement le disque pour en appréhender la teneur ; on vous le dit souvent, mais c’est, ici plus qu’ailleurs, primordial. Sur ce premier titre par exemple, même si la trame mélodique est la même pendant douze minutes (les mêmes notes), les variations sont aussi nombreuses que subtiles, progressivement amenées, avec en particulier une transition en milieu de titre, pour préparer un dernier tiers qui, s’il n’est pas cataclysmique non plus (on est dans le monde du pas feutré sur un lit de décibels), propose une toute autre densité.

Chacun des titres a sa propre touche, développant son ambiance propre. On mentionnera notamment « King of the Wood », avec sa première moitié majestueuse, où les harmonies soutenues par le jeu de basse 6-cordes de Dylan Desmond font des merveilles, et sa seconde moitié plus sombre et complexe. Enfin, après un « From Dominion » moins ambitieux (un peu ampoulé dans son interprétation, surtout pour son segment central très aérien et sa conclusion) mais néanmoins efficace, « The Told and the Leadened » vient clôturer avec majesté ce disque : au long de ses 19 minutes, il prend l’auditeur par la main et l’emmène dans les méandres les plus sombres (son premier tiers, en gros), chaotiques ensuite, avant de faire jaillir la lumière (autour du second tiers) pour enfin le lâcher, inquiet, dans un environnement incertain voire agressif et hostile. Ça a l’air cliché ? Écoutez, vous verrez.

En conclusion, ce rappel, primordial : ce disque se digère TRÈS lentement. Il faut lui consacrer du temps, pour progressivement lui faire confiance, se laisser amadouer puis envoûter, voire hypnotiser. Il faut aussi le faire bénéficier d’un système sonore correct, pour valoriser le travail de production remarquable d’un autre ancien partenaire, qui fait son retour dans l’équation : Billy Anderson. Le dispositif instrumental a beau être simple sur le papier (une guitare, une basse, une batterie), leur enchevêtrement, plus ou moins complexe, et plus ou moins dense, leurs sons (acoustique, saturé, en solo ou rythmique…), l’articulation des séquences (avec un rôle décisif à nouveau du discret mais prodigieux batteur Jesse Shreibman), et le jeu sur les lignes de chant (clair, harmonies…) rendent l’écoute au casque passionnante. Bref, un disque compliqué à appréhender, difficile à catégoriser, mais qui saura ravir les audacieux – à l’image de son prédécesseur.

 


 

Black Charger – Small Town

Dans les dizaines d’albums de toutes (plate)formes, toutes origines, tous styles, reçus au fil d’une semaine, mois, année… on trouve des disques d’ambition ou d’originalités différentes. Dans cette marée de sorties, Blackcharger a retenu notre attention, alors qu’il n’avait a priori “rien pour lui” : ce premier album pour les natifs de l’âpre Osnabrück ne paye pas de mine, ne bénéficie pas de support prestigieux et puissant, pas de guest pompeux… rien d’autre qu’une musique séduisante, sincère et une certaine humilité dans l’intention.

C’est le son qui séduit en premier, cette guitare fuzzée aux limites de l’outrance qui fait tant de bien aux oreilles de l’amateur de stoner, qui vient graisser vos tympans dès l’intro de “Liquor Store”. Si vous voulez votre dose rapide, on vous orientera par exemple sur le morceau titre “Small Town”, dont la guitare arrive presque au niveau de saturation fuzzée d’un The Midnight Ghost Train. Se reposant sur une basse ronde et saturée, les compos développent un groove particulièrement enthousiasmant.

On pense à Slomosa (“Sound Outside”, “Walk with Me”) ici ou là, à Fu Manchu bien sûr, mais aussi 1000Mods, les premiers QOTSA (“Liquor Store”), etc… Le trio ne devrait pas s’offusquer de cette liste de références à la Prévert, d’autant plus que jamais ils ne tombent dans le plagiat ou l’influence un peu trop envahissante. Ils mènent leur barque et  délivrent une belle poignée de pépites catchy sans se prendre la tête, envoutant les stoner heads à grands coups de riffs et de groove turgescent. On vous laisse prendre votre dose avec “Super Ego” ci-dessous ou autres “Snakedance”.

Small Town n’est pas parfait : certains titres sont moins efficaces que d’autres, le chant mériterait un peu plus de travail pour tirer les compos encore plus vers le haut… Mais on revient à ce disque comme une petite gourmandise de plaisir coupable.

 


Kadavar – Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin

C’est avec au cœur un vent de soulagement que nous prenons la plume, l’oreille encore frétillante de l’écoute du dernier Kadavar. Le précédent album nous avait laissés sur une impression de fin d’ère : celle d’un éloignement définitif du groupe de son identité rétro rock, au profit d’autre chose d’encore indéfini. Et, pour notre plus grand bonheur, voici le tout neuf Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin (K.A.D.A.V.A.R), un album qui signe le retour aux affaires de nos Allemands préférés, avec une approche qui devrait réconcilier plus d’un déçu des productions berlinoises de ces six dernières années.

Dès la sortie du premier single, “Total Annihilation”, le quatuor avait surpris. D’une part, parce que leur précédent opus, I Just Want To Be A Sound, n’avait pas encore soufflé sa première bougie (à vrai dire, il avait à peine six mois). D’autre part, parce que le son de ce titre marquait un véritable retour en grâce du groupe : une pièce rétro rock, agressive et fougueuse, laissant espérer un album digne de ceux de la première heure.

Si l’esprit des débuts plane sur “The Children”, dont l’intro évoque brièvement “Bron-Y-Aur Stomp” de Led Zeppelin, et que “Lies” ouvre l’album avec une puissance toute nouvelle, il faut bien admettre que le retour aux sources n’est pas la seule valeur portée par ce disque.

Rien de rédhibitoire, n’allez pas nous faire dire ce qu’on n’a pas dit ! “Heartache” trace une voie du milieu parfaite entre Berlin et I Just Want To Be A Sound, démontrant que le groupe ne se renie pas. Kadavar caresse même les Beatles sur Explosion In The Sky” et continue d’innover avec “Stick It”, qui semble tout droit sorti d’un album pop bigarré et acidulé façon années 90.

Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin n’est ni un jouet ni une sucrerie pour enfants : c’est plus ardu que cela. Impossible de réduire cet album à un archétype, autant qu’il est impossible d’enfermer le groupe dans une case. Du lumineux “You Me Apocalypse” et ses patterns de batterie entraînants sur fond de chant gorgé de reverb, à l’intro plus inquiétante du titre “K.A.D.A.V.A.R”, qui exploite des sons numériques distordus et inhabituels, il y a à prendre et à laisser. Mais nul doute que “K.A.D.A.V.A.R” vous fera headbanger et épeler le nom du groupe à tue-tête, comme s’il fallait consacrer ce dernier une fois pour toutes.

Pour vous repérer dans ce disque, deux écoles s’affrontent. Ceux qui veulent relier les albums Kadavar à Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin en deux titres choisiront “Lies” et “K.A.D.A.V.A.R” : acidité du chant, entrain de la basse, mélodies rétro acides et agressives, tout y est. Ceux qui ont découvert le groupe avec I Just Want To Be A Sound trouveront leur réconfort dans “Explosion In The Sky” et “Stick It”, deux morceaux atypiques mais d’une belle inventivité.

En à peine plus de six mois, Kadavar prouve qu’il a de l’imagination à revendre. Comme Simon “Dragon” nous le confiait à la sortie d’un set : le groupe refuse de s’inscrire dans un schéma établi, quitte à dérouter ses plus fidèles auditeurs, dont nous sommes.

Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin , vous l’aurez compris, nous a convaincus et soulagés : heureux de pouvoir à nouveau vous écrire sur Kadavar avec passion. Certes, on ne se retrouve pas tout à fait en terrain connu, mais c’est justement ce qu’on attend d’un groupe qui a tant roulé sa bosse : qu’il se réinvente et nous surprenne à chaque sortie. Une attente que Kadavar comble encore une fois avec brio.

Kadavar, K.A.D.A.V.A.R !

 

Spaceship Landing : A Tribute to Kyuss

Fut un temps où les albums « tribute » suscitaient une certaine excitation, démultipliée quand la combinaison parfaite était proposée : le groupe célébré devait mériter et justifier l’hommage, et les artistes impliqués devaient être intéressants (qu’il s’agisse de groupes à faible notoriété ou au contraire de formations reconnues qui se frottent à un répertoire différent). Mais les années ont passé, les tribute insignifiants et sans intérêt se sont multipliés (avec des motivations… « diverses »), emmenés par des labels peu inspirés (voyant surtout là une occasion de mettre en avant leurs propres groupes) voire sans moyens. Résultat : la perspective d’un tribute à Kyuss cette fois ne nous a pas fait particulièrement sauter au plafond. Pour autant, c’est avec une oreille bienveillante que l’on a écouté celui-ci, proposant des groupes peu connus, ou peu exposés.

Après bon nombre écoutes, plusieurs approches se détachent de la part des groupes en action : certains se placent dans l’ombre du géant et n’apportent pas grand-chose aux titres originaux (soit par déférence, soit par… manque d’inspiration ou d’originalité), d’autres essayent des choses et se détachent plus ou moins de l’original (que ce soit pertinent ou parfois sans intérêt). Pourtant, ce critère ne suffit pas à apprécier chaque titre, certains peuvent être bons dans une approche ou dans l’autre !

Se frotter à des reprises de Kyuss, c’est forcément un exercice casse-gueule : ça passe ou ça casse. Sans même parler de l’empreinte culte colossale de la formation californienne, les compos, en termes de son, se distinguent par leur massif son de guitare-basse, et par le chant si particulier de John Garcia. En termes de reprise, un bon technicien de la guitare n’aura pas de mal à reproduire les parties de Homme. En revanche, quiconque tente de « faire du Garcia » ou de se distinguer par le chant se plante dans les largeurs (c’est le cas de pas mal de groupes ici, dont les chanteurs sont aux frontières de l’approximatif).

Avec 20 chansons, pour presque 1h45 en tout, on ne s’essaiera pas au track-by-track. Les grands gagnants de l’opération sont finalement assez rares, et dans des registres bien différents. On pense au « Odyssey » de ISAAK (une interprétation solide et un son puissant qui conviennent bien à ce titre qui se prête bien à cette locomotive guitaristique), « One Inch Man » par Loose Sutures (un arrangement vraiment bien vu, autour d’un groove psych renflé de plans de synthé space rock), « Freedom Run » par King Howl (respectent bien le groove original, et ne tombent pas dans le piège de singer Garcia) ou encore, dans son style bien à lui, « Space cadet » par les français de DoctoR DooM (une bonne maîtrise instrumentale et des arrangements pertinents).

Derrière, plusieurs groupes s’en sortent bien, sans susciter ni surprise ni admiration toutefois : Rainbow Bridge (un « Apothecaries’ Weight » avec quelques efforts dans le jeu et les sons de guitare), Folwark (« Whitewater » bien géré sur l’axe instrumentation et interprétation), les français de Mercure (version intéressante de « Size Queen », un choix original, doté d’arrangements intéressants, en particulier sur ce refrain un peu grandiloquent qui fonctionne bien) ou Wet Cactus (une vraie appropriation de la chanson, fidèle mais efficace). Au rang des déceptions, on notera les français de Poste 942, qui ne parviennent pas à transcender un « Demon Cleaner » probablement trop emblématique (trop fidèles à l’original, jusque dans les « yeah » du couplet, ils ne parviennent pas à se détacher assez de la chanson, malgré une bonne perspective sur la fin du titre). Les autres titres ne se détachent pas vraiment, et procurent tout au plus (pour certains) un petit plaisir d’écoute lié aux compos originelles.

Vous l’aurez compris, on n’est pas sur un disque incontournable : sans jamais être déshonorant (aucun groupe n’est ridicule…), le disque propose quelques moments intéressants, mais aussi beaucoup de morceaux sans réel intérêt. Les groupes se seront probablement fait plaisir, et se seront un peu fait connaître par ce biais – c’est déjà pas mal.

Primitive Man – Observance

En une douzaine d’années environ, Primitive Man s’est petit à petit retrouvé à la fois à la pointe de son style musical et… quasiment son seul représentant ! C’est plus facile d’être hégémonique dans ces conditions… Dans les faits, le trio a posé les bases d’une sorte d’hybridation entre le funeral doom, le drone, le sludge, le post metal, le noise, le black metal, etc… dont il est le seul à maîtriser la recette et l’ensemble des composantes.

Observance s’avère en être une illustration impeccable, robuste et intègre, nettoyée de toutes les sonorités « annexes », se construisant sur ses bases musicales les plus brutes. Parmi les formations s’illustrant dans les genres musicaux susmentionnés, aucune ne propose une synthèse similaire et aussi aboutie : lenteur, lourdeur, désespoir, noirceur, puissance, rugosité, douleur même parfois… Au bingo de la musique dépressive, Primitive Man coche direct toutes les cases : c’est tout ça à la fois, simultanément.

Il n’y a pas sur Observance (ni sur ses prédécesseurs d’ailleurs) de morceau plus léger qu’un autre, ni moins sombre, ni plus rapide… La formation parvient à nouveau (après le mastoc Immersion) à maintenir sur un album entier un niveau de tension difficile à atteindre par d’autres formations, tout en proposant un ensemble de compositions assez diversifié pour ne pas avoir envie de quitter l’album en cours d’écoute. Attention toutefois à la relativité du terme « diversifié » : la cohérence sonique du disque est redoutable (production massue), et les premières écoutes ne permettent d’entendre qu’un flot ininterrompu de séquences plus brutales et sinistres les unes que les autres. C’est au fil des passages du disque que se révèlent des nuances d’ambiance, de rythmiques, de gimmicks sonore (ah ce « toc toc toc » malaisant qui tisse la trame de la première partie de “Social Contract” ou ce presque aérien premier tiers de “Devotion”…) qui dessinent le parcours sonore de plus d’une heure proposé par la formation.

Il faut donc d’abord passer ces premières écoutes un peu complexes, ce qui pourra représenter un obstacle difficile à surmonter pour les Spotify-addicts et autres auditeurs à l’attention défaillante au bout de quelques minutes sans « twist » musical. Primitive Man est un groupe à digestion lente, et Observance ne change pas cet état de fait, au contraire. Le disque nécessite d’avoir envie d’entendre ça… envie de souffrir ? Au-delà du cliché facile, tâchons de reconnaître une certaine beauté, et en tout cas une vraie qualité dans cette musique. L’intention qu’elle matérialise en tant que forme artistique et en tant que vecteur de communication est redoutable d’efficacité – la plateforme parfaite à la transmission des messages sombres, froids et cyniques qu’embarque le trio.

Observance est à ce stade un point culminant de la carrière de Primitive Man : il affirme et affine les piliers qui faisaient de Immersion son premier aboutissement il y a quelques années, en mêlant maturité dans l’écriture et efficacité de la mise en son pour accompagner et renforcer son propos. On ne peut pas vraiment dire qu’un nouveau palier est franchi dans leur discographie, toutefois le groupe se positionne en leader dans son segment, avec un album encor supérieur. Avec le potentiel pour fédérer des publics de « franges » (paradoxe ?), Observance promet en tout cas de prochaines douloureuses prestations live. On a hâte.

 


Note : un extrait de 14 minutes ci-dessous, juste parce que pourquoi pas :

Wino – Create or Die

On ne vous fera pas l’affront de vous présenter Wino, son parcours ou sa discographie. Re-devenu plutôt actif ces derniers temps surtout avec The Obsessed, l’emblématique frontman s’est préalablement illustré dans de nombreuses formations, ayant souvent effleuré le statut de légende, pour surtout revêtir celui de musicien culte. Sa discographie longue comme le bras compte plusieurs disques solo jusqu’ici, qui n’ont en revanche jamais laissé de trace remarquable. Hétéroclites pour partie, hétérogènes surtout, ils ont à chaque fois apporté, sinon un album remarquable, en tout cas une pastille temporelle, image à un moment « T » de Wino, et de son inspiration du moment.

On ne s’attend pas à autre chose en lançant les premières rotations de ce Create or Die. Et du coup… on n’est pas déçu, finalement : le disque contient exactement ce qu’on imaginait, à savoir un patchwork de titres variés, à l’inspiration variable.

On a un peu de tout stylistiquement, à commencer, évidemment, par des mid-tempo de heavy rock U.S. custom, tranches d’americana fuzzées emblématiques de l’inspiration du bonhomme : « Anhedonia » en intro, « Us or Them », voire « Carolina Fox », un bon exemple de riffing sérieux mêlé à une rythmique qui tient plus de la nonchalance que d’un groove ténu. Wino s’emballe un peu plus avec un « Hopeful Defiance » qui porte les mêmes codes mais pousse les curseurs côté vitesse et saturation. Réussi.

Malheureusement, l’exercice global est plombé par plusieurs titres ramollos, à l’image de « Never Said Goodbye », bluette solide mélodiquement, mais un peu cliché, tendance « tire-larmes » cheesy. Plus loin « Lost Souls Fly » est encore plus gênant, traînant sa nonchalance sirupeuse sur plus de six minutes.

Le reste du disque est réservé à des plages acoustiques (« Cold and Wrong » ou « Noble Man », dépouillées à l’extrême, chant et guitare) ou électro-acoustiques, pour « New Terms » (gentil morceau influence western sur fond de banjo) ou « Bury Me in Texas » (mid tempo mollasson aux relents country servi par une slide guitar opportune).

Le bilan est donc évidemment mitigé. Ce nouvel effort solo du père Weinrich n’est en rien désagréable, il s’écoute sans déplaisir, et l’on passe un moment agréable. Malheureusement il n’apporte pas grand-chose de neuf ou de rafraîchissant dans le paysage musical actuel, ou même dans la discographie du productif frontman : prévisible dans le fond et la forme, on cherche en vain ce petit « supplément d’âme » qui peut inciter à y revenir avec gourmandise.


Wolvennest – Procession

Cinquième album déjà pour le sextet belge (belgo-français pour être précis ?), voilà qui confirme leur installation dans le long terme. Ils changent en revanche de crèmerie, s’associant au label compatriote Consouling Sounds pour ce nouveau LP. Son line-up évolue aussi un peu, avec l’adjonction d’un nouveau bassiste, VaathV, sans fracas, car ami du groupe de longue date.

La formation a toujours évolué dans une frange stylistique assez large qui, si elle emprunte au doom, pioche aussi à de nombreux râteliers, qui ont la lenteur et l’occulte en commun : metal atmo, post rock, black… Tout se fond dans leur musique, qui la rend conséquemment généralement pertinente pour un doomster un peu avisé et ouvert d’esprit. C’est avec cet esprit grand ouvert que l’on aborde cette nouvelle offrande.

Dans l’intention, ce disque ne diffère pas des propositions précédentes du combo, se positionnant toujours dans des chemins de traverse des genres susmentionnés, empruntant ici ou là les approches qui lui apparaissent pertinentes, sans se prendre la tête avec un carcan quelconque. On trouve donc beaucoup de choses dans ce nouveau disque, du doom atmosphérique (« Purple Poison », « Damnation »), des influences ethniques/ritualistiques (« Things that Breathe are Death », « Tarantism »…), de la folk U.S. (lointains échos des titres les plus sombres de Ry Cooder sur « Burial » et son jeu de slide) et même des influences new wave (ici ou là sur « The Shadow on your Side » par exemple, un titre très accrocheur, avec sa prod ample, son jeu de batterie brut de décoffrage, ses fonds de Theremin…).

Plusieurs titres émergent au fil des écoutes comme des points névralgiques du disque, des chansons auxquelles on s’accroche plus que d’autres, à l’image du single « Décharné » (en français dans le texte, oui), « Hunters » (son chant presque growlé) ou bien « Another Nail » avec sa batterie quasi martiale et son refrain mélodique.

Avec onze titres et 1h15 de musique (!!) il est toutefois difficile de digérer complètement cette belle pièce. Cette taille, colossale dans le monde musical actuel, faisant fi de nos désormais réduites capacités cérébrales (formatés que l’on est à ces productions répondant aux mêmes cahiers des charges), rend malheureusement ardu l’attachement à l’objet dans sa totalité, et il est difficile d’en faire émerger une vision globale. C’est d’autant plus le cas quand le disque balaye un spectre musical aussi large. Etouffant… mais jamais écœurant toutefois ! Les écoutes successives ne sont donc pas ennuyeuses, mais le spectre d’attention nécessaire est difficile à mobiliser sur une telle densité.

De manière subjective, on aurait donc probablement apprécié un disque plus resserré, plus sélectif dans ses compos, pour une efficacité plus immédiate. Mais est-ce que ce n’est pas aussi l’ambition du groupe, un niveau d’exigence qu’il attend de ses auditeurs, pour en quelque sorte « mériter » les fruits des écoutes du disque ? C’est bien possible – dans un monde de l’immédiateté, Wolvennest n’aurait de toute façon pas sa place. Un disque qui se mérite, donc, et qui n’est probablement pas à recommander aux amateurs de musique plus « directe ».

 


 

Monkeys On Mars – Monkeys On Mars


Les petits curieux que vous savez aussi être, se sont déjà repassés la version courte de « Seasonal Pyres » à disposition sur différents vecteurs internet depuis quelques semaines déjà. Cet amuse-bouche met la bave à la bouche, mais il ne saurait illustrer la profondeur de sa déclinaison standard qui aligne quelques mesures supplémentaires nécessaires au bonheur du mélomane.

Il s’agit de convenir que l’addition de 2 des plus populaires formations de la francophonie a de quoi exciter notre scène dont Monkey3 et Mars Red Sky sont certainement les meilleurs ambassadeurs à l’heure actuelle (et depuis un bout de temps déjà). Cette production, co-production transfrontalière, est résolument un produit du terroir francophone ; ça sort sur Mrs Red Sound la crémerie des protagonistes hexagonaux, mais pas que puisqu’on y retrouve une kyrielle de groupes excitants ! Ça a été capté par Guillaume dB de Monkey3 pour son band et par Benjamin Mandeau et Loïc Lambert à Bègles pour le trio du Sud-Ouest et ensuite mixé à Bordeaux qui est la ville spécialisée dans les assemblages. La production est sublimée par l’artwork de Johrice qui claque et illustre parfaitement le côté spécial ainsi que massif du contenu.

Tout ce beau monde transforme magnifiquement bien l’essai dont le seul véritable point négatif est sa durée – en gros 25 minutes – avec seulement 2 titres qui nous laisse un peu sur notre faim tant le potentiel est présent sur ces 2 bijoux de rock psychédélique lourdement assénés avec une double section rythmique (ça aide). Les inconditionnels de Mars Red Sky y trouveront leur compte notamment en raison du chant singulier du seul chanteur de ce combo qui comme sur les titres de sa formation viennent apporter une touche cristalline sur des titres assez viriles. Les fans de Monkey3 ne peuvent pas être déçu par ces compositions très proches du registre historique du groupe (plutôt période « Beyond The Black Sky » voire « The 5th Sun ») car le rendu final penche nettement du côté du Léman (aussi connu sous le nom de Lac de Genève) avec la voix en plus ce qui leur sied ma foi pas mal !

Au final, « Seasonal Pyres » ainsi que « Hear The Call » s’avèrent des joyaux d’un genre qui a su se réinventer au fil des années. Le propos est généreux, maîtrisé, heavy et envoûtant dans la lignée de ce que ces acteurs nous ont proposés au fil des années (et il y a du kilomètre au compteur mes cadets !).

Cette sortie affriolante transporte son auditeur de bout en bout en enchaînant admirablement les séquences douces et synthétiques sur lesquelles les voix éthérées se posent avec des soli de guitares psychédéliques ou des plans de bûcherons imparables exécutés de main de maître par les acteurs rythmiques en majorité sur cette sortie. Ce disque était fort attendu et il se situe pile poil là où on l’attendait : au rayon albums incontournables de l’année ! Que tous ses concepteurs soient remerciés pour ce brillant projet qui mériterait amplement une suite (je fais les yeux de Bambi des fois que ça marche).

Point Vinyle :

La déclinaison vinyle de cet ep, c’est un splatter transparent rouge et blanc dont les 1’000 copies de 12 pouces devraient trouver preneur assez rapidement. Pour les autres, il y a l’intangible version digitale ainsi qu’un cd fort pratique quand on ne désire pas décoller sa raie de son canapé toutes les 12 minutes.

 

Stonebirds – Perpetual Wasteland

Adieu Stonebirds. Le trio breton de sludge sombre et torturé annonce sa fin avec la sortie de son nouvel album Perpetual Wasteland. Depuis 2011, le groupe nous avait gratifiés de quelques plaques pointues, à l’atmosphère toujours lourde d’émotions. Pour son dernier voyage, Stonebirds s’appuie sur le titre final de Into the Fog… And the Filthy Air pour baptiser son ultime disque : Perpetual Wasteland.

Entrons tout de suite dans le vif du sujet : ce dernier voyage est à l’aune de leur carrière. Stonebirds nous emmène une fois encore entre plages aériennes et riffs telluriques. Le trio fignole, peaufine son art à l’extrême, faisant une bonne fois pour toutes fi des conventions du sludge et du doom. Stonebirds se plonge ici pleinement dans l’art du post-metal. “Croak” et ses chœurs servent de base mélodique, sur laquelle Fanch vient s’ajuster, épaulé par Sylvain pour offrir en contrepoint un chant d’une violente douleur. Cette douleur se transmet aux cordes, qui se changent en lames de rasoir sur plus d’un titre. L’efficacité de la guitare est martelée par la section rythmique : les mélodies de Fanch s’insèrent parfaitement entre les vibrations profondes de la basse et les gifles continues de la batterie d’Antoine.

Tout au long de Perpetual Wasteland, on bénéficie d’un travail d’orfèvre. Sur “So Far Away”, le tapping diffus, enregistré en arrière-plan et montant peu à peu en intensité, met paradoxalement en lumière le reste des pistes sonores. L’album condense à lui seul la dominante de la carrière de Stonebirds : la souffrance.” Sea of Sorrow” s’ouvre sur le son d’un électrocardiographe qui se mue en sanglots. La lourdeur des instruments sur le final de “Croak”, la complainte du chant qui se transforme en hurlement sur “Lit by Fire”… tout y est grave, viscéral, intense.

Avec Stonebirds, il est bon d’avoir mal. Perpetual Wasteland s’impose comme une ultime et nécessaire catharsis de nos propres turpitudes. En six titres le groupe atteint le sommet de son art et au-delà. Cet ultime album est un foudre de guerre, un fleuron du metal national. Un album à faire claquer, de gré ou de force, entre les oreilles de tout auditeur en mal de sensations, histoire de lui rappeler ce qu’est un vrai bon disque. Stonebirds tire sa révérence avec une pièce maîtresse, assez belle et puissante pour qu’on en vienne à regretter leur absence… ou à espérer, secrètement, que tout cela ne soit qu’un au revoir.

Birds of Nazca – Pangaea

Ce duo nantais de Stoner-Doom psychédélique, que nous suivons depuis ses débuts, ressort en autoprod une nouvelle galette : Pangaea. Dit comme ça, il n’est pas étonnant que vous ne sachiez pas qu’il s’agit de Birds of Nazca, qui reste somme toute encore un groupe confidentiel, à moins que vous ne soyez nantais ou que vous les ayez déjà vus sur scène, notamment au Westill 2025 où ils avaient fait forte impression et élargi leur fan base bien au-delà des marches bretonnes.

Avec Pangaea, sans surprise, ça fuzz lourd chez Birds of Nazca. L’album s’ouvre avec “Batagaa”, qui annonce clairement la couleur de ce qui va se jouer dans les pistes suivantes. Le duo peint ses atmosphères lourdes couche après couche, alterne entre batterie et guitare, et prend le temps de souffler avec des passages éthérés portés par les sustains de Guillaume, tandis que Romuald retient ses coups derrière les fûts.

Le psychédélisme de “Man Pupu Nyor” flirte avec les élans post-rock d’”Incahuasi”. Ce dernier morceau mêle ce style à l’atmosphère inquiétante de “Riftus” et puisqu’on parle de Post-Rock, c’est le titre éponyme qui lui fait la part belle. “Paegea” se pose alors comme un rappel à Isis avant de venir se clôturer avec d’apaisants bruits de canopée sous la pluie

Une constante de l’album Pangaea, c’est ce va-et-vient entre atmosphères lourdes et agressives et phases plus aériennes, comme sur “Gang Rinpoché”. L’album suit ainsi une trame linéaire, qui offre peu de répit à l’écoute – sauf quand, par excès d’enthousiasme peut-être, sur “Incahuasi” le duo explore diverses voies oubliant d’embarquer complètement l’auditeur, quelque peu décontenancé mais ravis de retrouver un esprit proche de My Sleeping Karma.

Il ne faut pas beaucoup de mots pour décrire Pangaea : un album linéaire, solide, sans grandes surprises pour qui connaît déjà le groupe. Une pièce à écouter comme on flâne tant Birds of Nazca nous offre une promenade sur la pangée des styles du Stoner, du Doom, du Psychédélisme et du Post.

Siena Root – Made in KuBa

Roh le beau double album que voilà, c’est Siena Root qui vient déposer sur l’autel du patchouli jam un live du sobriquet de Made In KuBa. Les Suédois ont eu le temps de livrer en presque vingt années de carrière une dizaine d’albums et de commettre quelques plaques d’un rock 70’s bien vivant (entendre album live quoi). Oui, ok, c’est une belle carrière mais tout le monde n’a pas forcément le temps de se pencher sur tout. et j’admets ma relative méconnaissance du groupe. Paf, c’est dit. C’est donc avec l’oreille de l’amateur averti mais également celle du défricheur que nous allons aborder cette écoute.
Déjà l’objet est un véritable album live en ce sens qu’il fait régulièrement intervenir le public et laisse la part belle à des musiciens en entracte, invectivant le public pour présenter tantôt les morceaux, tantôt les artistes le point d’orgue étant sans doute sur “The Summer is Old” où le solo de batterie associé aux cris du public plonge véritablement l’auditeur dans ce que furent les trois nuits d’enregistrement de l’album. Car en effet, Made in KuBa, malgré la chaleur tropicale qu’il dégage a été enregistré en Allemagne sur trois soirées au centre culturel de Iéna, le KulturBahnhof (KuBa).
Un live certes mais d’une qualité sonore indéniable, le groupe se targue de n’avoir eu recours à aucun artifice pour cet enregistrement analogique si ce n’est une post-prod audiophile qui ravira les amateurs les mieux équipés de Hi-Fi pour rondelles noires. Il en résulte qu’à l’écoute on est bluffé par l’absence totale de distorsions inattendues ou d’une faiblesse quelconque. Ceci faisant de cet enregistrement une parfaite promotion de l’identité live de Siena Root.
Le choix des compos à présent, Made in KuBa bien que enregistré lors de la tournée succédant l’album Revelation vient piocher allègrement dans presque toute la discographie du groupe, de “Mountain II” tirée de l’album de 2005 Mountain Songs à “Keeper of the Flame” et “Coïncidence & Fate” évidemment issus du Revelation de 2023.
Ce dernier morceau ouvre la plaque avec puissance et démontre que le groove de la voix de Zubaida Solid ne quittera pas le devant de la scène de tout le concert. Un groove qui vire à la soul sur “Keeper of the Flame” et sur l’envoûtant “In My Kitchen”. Ici le clavier et la basse sont les ingrédients indispensables au sort hypnotique dont Siena Root détient la recette. On se gave tout au long de ces 1 heure 24 de Blues et de Groove. On plonge avec délice dans le Kraut de “Wishing for More”. On se laisse bien volontiers aller à l’imprégnation toute Deep Purplesque de “Mountain II” mais une des pistes qui s’inscrit sans doute le plus durablement est “Imaginary Borders”. Sa pompe cloue chaque mesure dans l’encéphale hallucinée de l’auditeur transporté au cœur des 70’s. Cette dernière ne souffre d’ailleurs vraiment que de la concurrence de “Root Rock Pioneers” qui vient conclure l’album dans la sueur d’une jam endiablée.
Non content d’offrir un voyage temporel au travers de sa musique Siena Root offre un voyage temporel dans sa discographie on l’a vu. Le quartette n’omet rien de sa progression et sait se gréer de renforts quand cela s’avère nécessaire pour prendre la flûte ou se saisir des claviers. Il ressort de cet ensemble à six musiciens une parfaite occupation de l’espace sonore et d’un assemblage d’où l’on ne peut que ressortir convaincu.
Vous l’aurez compris, l’écoute a été très enthousiaste et on s’est ravis de retrouver ce qui fait l’attraction du groupe, ses prestations live. Plus que le partage de moments éphémères, Made in KuBa est la véritable carte de visite de Siena Root, une plongée dans une expérience à revivre dès que possible en passant le pas de sa porte pour aller à son tour donner de  la voix, comme le public qui a fait vibrer le KuBa durant trois soirées désormais passées à la postérité.

 

Cathedral – Society’s Pact with Satan

Quand l’info est tombée il y a quelques semaines d’un nouveau disque de Cathedral, plus de dix ans après leur séparation, on a été pris d’un frisson inédit… pour ensuite déchanter UN PEU lorsqu’il a été précisé qu’il s’agirait d’un seul titre, issu des sessions de The Last Spire, le dernier disque studio de la formation doom anglaise. La chanson a donc été enregistrée en 2012, mais pour une raison inconnue (quelques indices possibles ci-dessous), n’a pas été mixée et prise en considération pour être inclue dans le disque à l’époque. Elle a apparemment été retrouvée récemment par accident par Jaime Gomez Arellano, le producteur de l’époque, qui en a informé les musiciens, ayant depuis oublié jusqu’à  son existence… Une chanson = un disque ? Dans tous les cas, on est sur un cas étrange, qu’il nous tardait de disséquer.

Society’s Pact With Satan, de son petit nom, est effectivement un titre unique (dans tous les sens du terme, on va rapidement en prendre la mesure), que les afficionados de vinyl retrouveront donc artificiellement scindé en deux parties, une par face. Avec presque 30 min au total on est proche de la durée d’un album « classique », qui justifie donc une sortie autonome.

Cette chanson atypique s’avère quasiment protéiforme, et soyons honnête : on n’est pas loin d’y retrouver en réalité plusieurs chansons enchaînées, quatre ou cinq, en gros, soit l’équivalent d’une sorte de mini album.

La première section est construite autour d’un riff ultra-basique très doom, lent et lugubre, percé plusieurs fois par les incantations étranges et malaisantes de Dorrian (et des lignes de chant bien décalées… avec plus de pieds que de syllabes parfois…). Juste assez malsain pour poser le paysage. Après cinq minutes, apparaît une nouvelle séquence (chanson ?) autour d’un autre couplet riff & chant, déchiré d’abord par un break un peu tortueux et quelques leads disparates, puis plus loin par une autre séquence de soli bien plus remarquable, où une section de guitare plus « virtuose » enchaîne avec un plan à très fort apport mélodique.

Une transition amène à la section suivante (on est à 14 minutes, ça ressemble au passage entre la face A et la face B…), très aérienne cette fois, à forte théâtralité, à grands renforts d’orgues, et qui se clôture par une longue séquence de guitare acoustique classique. Cette dernière est balayée par un nouveau plan, qui amène probablement le tronçon le plus agressif du disque : un riff saccadé très simple, une batterie binaire redoutable, un petit lick de clavier en fond, et le chant robotique de Dorrian. On est sur une tranche de metal assez délectable, avec, après cette attaque assez riffue, une succession de breaks et de leads très réussie.

Comme un clin d’œil, on retourne ensuite au riff du premier titre pour quelques mesures, puis enfin au passage bruitiste qui servait aussi d’intro, histoire de plus encore « boucler la boucle » (une remarque : les diverses transitions cumulées prennent quand même presque 8 minutes en tout, soit plus d’un quart de la plaque…).

Après avoir ingurgité et bien digéré cette rondelle de haute densité musicale, on prend la mesure de sa dimension atypique : The Last Spire n’était pas le meilleur album de Cathedral, mais pas non plus le plus atypique : ses compos assez « classiques » (au regard de la discographie récente du groupe) auraient probablement mal accompagné cette plage « difforme », qui aurait difficilement trouvé sa place dans la dynamique de l’album. Pour autant, la richesse de sa composition la positionne dans une catégorie différente d’une « simple face B ». Dès lors, le format « presque album » sied bien à cette sortie.

Musicalement, ce n’est pas le meilleur de Cathedral, mais c’est du solide, et efficace. Quelques fulgurances succulentes et moments de grâce viennent même larver cette petite demi-heure de doom metal old school. On y retrouve avec ravissement des petits clins d’œil à la richesse musicale que pouvait proposer Cathedral (avec aussi – et c’est un peu le charme de la défunte formation anglaise – des moments plus étranges, voire moins réussis). Une sortie très appréciable, donc, et justifiée.

 


 

Ridge – No Trouble in this Town + Hymns From The Renascent Ghost

 

On aura rarement vu tel comeback… Les plus vieux se rappelleront peut-être de Ridge, groupe suédois qui avait sorti un album en 2001. Emmené par une vague (déferlante) de groupes scandinaves de stoner, le groupe proposait une musique probablement pas assez originale ou marquante pour faire émerger la formation, confrontée à une grosse et saine concurrence. Bref, le quatuor n’aura pas beaucoup vu le vingtième siècle, et l’on avait oublié jusqu’à l’existence de ce sympathique combo.

Avance rapide : 2025. Le label vétéran Daredevil Records, avec les moyens du bord, s’appuie sur une ressortie de leur ancien disque chez Ozium et annonce… DEUX nouveaux disques pour le groupe ! Non, pas un double album, mais bien deux albums distincts. C’est l’effet bouteille de ketchup : on secoue, rien ne sort, rien ne sort, rien ne sort, rien ne sort… et tout sort d’un coup ! 25 ans plus tard, Ridge sort donc deux LP d’un coup, avec que des compos inédites.

La sidération laisse vite place à la circonspection : si on avait une liste des groupes dont on espère secrètement la reformation (vous avez bien ce genre de liste, vous, non ?), Ridge ne figurerait pas forcément dans le top 10, nonobstant toutes les qualités de son premier effort, le sympathique A countrydelic and fuzzed experience in a colombian supremo.

Rapidement on prend la mesure que cette parenthèse de 25 ans n’a justement été que celà, une parenthèse, et que la formation a repris à peu près là où elle s’était arrêtée : ce duo d’albums reprend la recette des débuts du groupe… mais avec un quart de siècle de maturité derrière ! On retrouve donc deux disques remplis jusqu’à la gueule d’un stoner rock protéiforme, groovy en diable, qui ne rate pas une occasion de régaler.

En termes d’identité, difficile de distinguer les deux disques, on recommande donc de les écouter dans une même démarche. Dans une période où on nous bassine avec le supposé cerveau atrophié du commun des mortels, incapables soi-disant de se concentrer plus de 20 minutes sur un disque, passer 1h20 à écouter ces deux galettes d’affilée devrait procurer aux audacieux une rasade de plaisir inédit. En effet, on ne s’ennuie vraiment pas au fil des 22 compos (!), il y en a pour tous les goûts, toutes les teintes de stoner sont abordées, avec pour leitmotiv : groove et efficacité (5min30 maxi, on n’est pas là pour se regarder jouer). Pas de filler, que des pièces de choix : “C’est la vie (Going Down)” (avec son break endiablé), “The Boxer and The Blow” (et ses plans très Fu Manchu), “Mephisto’s Dance”, “The Fuck Off” (son refrain étrange mais tellement catchy !), “I. Take. Fight” (mid-tempo à la fuzz démoniaque et au groove indécent sur son break final), “My Wolf and I” ou “The Kraken’s Blues” (chaloupés comme du bon QOTSA)… N’en jetez plus !

Vous l’aurez compris, c’est un retour gagnant pour Ridge. Plus que ressasser le passé, la formation s’affirme dans le présent, et fait la démonstration par deux qu’il a toute pertinence dans notre époque. Sans prétention, avec talent, énergie et inspiration, ils proposent deux galettes de vrai plaisir fuzzé. A quand la suite ?

 


 

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