On a tous dans notre entourage un bon pote à qui on laisse tout passer… Il ne donne pas de nouvelles pendant quatre ans? Pas grave, le jour où on se revoit, notre relation est restée comme la dernière fois qu’on s’est vus et on pardonne… Il porte exactement les mêmes fringues qu’il y a quatre ans? Ce T-shirt élimé jusqu’au col lui va si bien, va pour cette fois… Il n’a absolument pas évolué dans son discours, il parle toujours des mêmes sujets? Bon, passons, mais on commence à se dire qu’il serait peut-être temps de passer à autre chose, d’arrêter de ressasser son passé et de regarder devant soi, de prendre des risques, de quitter le sentier pour partir à la découverte…
Eh bien, en musique, c’est un peu la même chose: on a tous un groupe de chevet, une formation dont on attend avec impatience le nouveau single qu’on écoutera en boucle jusqu’à la nausée, ce même groupe qu’on espère ne jamais nous décevoir, pour lequel on est prêt à faire des centaines de kilomètres pour se retrouver compressé aux crash-barrières en se disant: « j’espère que ce sera aussi bien que la dernière fois…». Ces groupes se nomment AC/DC, Iron Maiden, Rammstein ou Black Sabbath (parmi des centaines d’autres), dont les pauvres mécréants hermétiques à leur musique vous diront qu’ils pondent inlassablement la même tambouille depuis des décennies. A ces béotiens, rétorquez-leur que leur ignoble musique urbaine vocodée ressemble à ce que mon chien évacue chaque matin en faisant admirer son séant aux passants…
Tout çà pour dire qu’il y a 4 ans, le premier album de Mammoth Storm m’avait enchanté dès la première écoute et que ce nouvel opus, intitulé Alruna, m’a laissé dubitatif, à tel point que je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé de galette et que je n’avais pas posé Fornjot à la place! Daniel Arvidson (ex-Draconian) maltraite toujours autant sa basse et ses cordes vocales, les compositions s’étirent toujours sur plus de sept minutes chacune et le doom sombre et caverneux proposé par le groupe est toujours aussi prenant et sépulcral. Oui mais voilà, dans la phrase précédente, on trouve trois fois le mot «toujours», ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour qui cherche un peu de nouveauté, pour qui attend un tant soit peu d’innovation dans la musique d’un groupe qu’il apprécie.
Alors évidemment, la production est gigantesque, l’artwork est encore une fois splendide mais il manque ce parfum de la découverte qu’on a humé il y a quatre ans en découvrant Fornjot. Mammoth Storm fait du Mammoth Storm mais reste sur ses acquis sans s’éloigner d’un centimètre de sa ligne directrice, là où l’auditeur aurait apprécié un petit grain de folie, une prise de risque, un minimum d’innovation. Vous allez me dire: «ouais mais AC/DC, Black Sabbath et les autres ont produit le même album pendant des années et on ne leur en a jamais voulu». Puisse les dieux du rock donner la même longévité et la même carrière à Mammoth Storm et on en reparlera à ce moment-là…
Originaire de Reading, ville du comté de Bershire située sur la Tamise, Morass Of Molasses sortait en juin son deuxième album chez Wasted State Records. Le trio se forme en mars 2013 et se compose alors de Bones Huse à la guitare baritonne et au chant, de Phil Williams à l’autre gratte et de Chris West, dit « The Beast » à la batterie. Ensemble, ils produisent un EP intitulé So Flow Our Fate en 2015, puis sortent leur premier album deux ans plus tard, These Paths We Tread. Dans ce dernier, le percussionniste Raj Puni s’invite et trouve peu à peu sa place dans la bande. Puis, à l’aube de la création de The Ties That Bind, il remplace Chris derrière les futs.
Leur style appartient à cette famille d’hybride aussi à l’aise pour agiter les têtes que pour ouvrir la porte d’univers psychédéliques et fantaisistes. Cet album raconte une histoire ; les pistes qui se succèdent en sont les chapitres, et les mélodies des descriptions du décor. Tout commence par un paisible pincé de corde d’environ une minute faisant office d’introduction. Tel le conteur du village au coin du feu glanant peu à peu son audience afin que débute son récit. De là, « Woe Betide » et « Death of All » lâchent la bride aux instincts les plus bestiaux du groupe. Un départ annonciateur d’un stoner musclé à la rythmique endiablée couverte d’un chant un tantinet braillard. On y découvre cependant des interludes calmes, avec des lyrics proches du murmure en totale opposition aux séquences précédentes.
Dès la quatrième piste, lorsque l’oreille s’avère à température, on change d’ambiance avec « Estranger ». La fureur s’efface sur ce titre aux ascendances nettement plus blues qui évoque la langueur délicieuse d’All Them Witches. Et lorsque « Legend of the Five Sons » commence, on comprend que The Ties That Bind c’est avant tout une histoire de rythme narratif. Ne jamais autoriser l’auditeur à anticiper l’écoute, ne jamais permettre une quelconque redondance. La voix est accompagnée d’une flûte traversière, le chant des oiseaux remplacent les cymbales et il revient à la guitare sèche de conter l’histoire. On va même jusqu’à s’imaginer dans une taverne médiévale sur « As Leaves Fall » avec ses percus sourdes et sa flûte mélodieuse.
Mais à nouveau, lorsque l’on pourrait commencer à s’habituer à cette douceur instrumentale, à cette tendre hypnose, le groupe nous prend à revers. Voici l’heure des péripéties de « Personna Non Grata ». Une composition de sept minutes avec ses propres rebondissements qui enchaîne sur la puissante « In Our Sacred Skin ». Un chant déchirant, des riffs cisaillant et une batterie punitive qui nous amène à un final inattendu.
Avec ce deuxième album, Morass Of Molasses nous projette dans sa forêt magique. Un lieu sombre, plein de créatures mystérieuses et d’enchantements. C’est une épopée qui s’écoute comme un seul et même titre, sans discontinuité. Un conte qui, s’il ne prend pas vie au coin du lit un livre entre les mains, en détient une substance identique.
– San Diego Californie, c’est une succession de vans aux peintures fleuries, de vestes à franges, de jeunes gens aux cheveux longs ou encore seins nus qu’il nous est offert de voir. Un vent de liberté souffle sur la ville…Erm, pardon… Marty! arrête de jouer avec le convecteur temporel et revenons à notre bonne vieille année 2019.
– Mais Doc’ c’est pas le convecteur temporel, c’est la platine disque….
– Ah? Oh? quésséqueçà? Sacri Monti? leur deuxième LP, Waiting Room For The Magic Hour? Bon, je suppose qu’on va devoir en parler maintenant ?! allons-y!
C’est en effet une véritable machine à remonter le temps que ce quintet à belles moustaches. On entre immédiatement dans leur univers par un titre éponyme follement Spacerock digne d’un Camel. Puis sur “Fear & Fire” comment ne pas penser à Deep Purple? Les attaques du clavier de Evan Wenskay suivi des guitares de Brenden Dellar et Dylan Donovan sont celles qui firent les belles heures d’un Rock Psyché qui allait devenir Hard Rock.
L’intro de “Armistice” les passages atmosphériques de “Starlight” dont les Loop sonnent comme du Pink Floyd, j’ai l’impression de retrouver la discothèque de mes vieux alors que je perçais encore l’acné de mon visage. La porte du désert est fort probablement là, même si n’a pas été convié Black Sabbath. “Affirmation” roule entre les notes d’un “House of The Rising Sun”, les sons éthérées d’un Floyd et le chant suave d’un Mick Jagger sur “Angie”. Sacri Monti sort les émotions par l’évocation des piliers de la culture Rock, je veux bien hurler au manque d’originalité mais à quoi bon, la musique m’enveloppe et j’y suis bien. Pour le final, Sacri Monti fait venir Led Zep avec “You Beautiful Demon” qui résonne avec sa guitare semi acoustique comme la plus country des chansons de ces prédécesseurs.
La structure de l’album est entre l’objet construit et la Jam Session. Il n’est pas improbable que lorsque la musique s’envole les gars improvisent totalement. Cependant aucun des musiciens ne tire plus son épingle du jeu qu’un autre. Certes il en découle que l’album ne marquera pas l’esprit par une inventivité particulière ou le charisme musical supérieur d’un des membres du groupe. Il est probable même qu’aussi vite écouté il aura disparu de ta mémoire…Quoique, peut-être pas. Wainting Room Fot The Magic Hour sonne comme une habile compilation de te toute une époque sans en être une copie conforme et j’avoue n’avoir à aucun moment boudé mon plaisir lors des écoutes, j’y reviendrai de temps en temps pour traire de mon œil la larme d’une nostalgie fallacieuse venue d’une époque que je n’ai pas connu.
Pour embrasser cet album, on s’allonge sur le toit du van Volkswagen à l’ouest du désert vers l’océan, là où les nuits sont claires et on regarde les étoiles, lueurs d’un temps lointain où notre chapelle du rock s’inventait. On revient de Waiting Room For The Magic Hour comme d’une balade sur les chemins empruntés par nos aïeux hippies. “Non, Marty, tu n’as pas rêvé, regardes, tu as encore du sable de Pacific Beach plein les godasses. Mets-en un peu de côté et passons à autre chose.”
Nom: Salem’s bend. Origine: Los Angeles, Californie. Fonction: passeurs de sonorités vintage… Tel pourrait être le CV de Bobby Parker (guitare et chant), Kevin Schofield (basse et chant) et Zack Huling (batterie). Après un premier album éponyme paru il y a 3 ans, Salem’s bend propose «Supercluster», un véritable manifeste de classic rock, une ode au rock décomplexé et un hommage à peine dissimulé à tous ces groupes des années 70 qui jouaient dans leur cave, se produisaient dans des bars miteux à la recherche d’une hypothétique reconnaissance et à tous ces tâcherons du rock qui composaient et gravaient sur des galettes produites à une poignée d’exemplaires la musique qui venaient de leurs tripes et non pas faite pour remplir les caisses d’un producteur ou d’une maison de disques.
L’album commence par un «Spaceduster» à l’intro calme qui emmène petit à petit sur un riff musclé et huilé (qui rappelle immédiatement celui de «Breadfan» de Budgie, un groupe seventies que la maison vous conseille chaudement de découvrir si ce n’est déjà fait). Ce titre d’ouverture est l’une des nombreuses pépites de «Supercluster», avec des vibrations seventies absolument irrésistibles, un pont bien psyché et gorgé de réverb et un solo de guitare sublime. Le trio californien revendique des inspirations naviguant entre Black Sabbath (encore et toujours eux…), Judas Priest et Led Zeppelin et force est de constater qu’on reconnaît aisément la patte des trois mastodontes britanniques. Noirceur, puissance et feeling blues, tout y est.
On se surprend à fermer les yeux pour mieux ressentir toutes les nuances et on se retrouve vite à taper du pied sans s’en rendre compte et, surtout, sans pouvoir le contrôler! Mention spéciale au formidable «Heavenly manna» et ses multiples chemins tortueux, ses incessants changements de rythme et cette sublime guitare hispanisante qui apporte toute sa fraîcheur et son originalité au morceau. L’un des meilleurs titres du genre paru cette année, sans aucun doute. Comme à la grande époque, Salem’s bend propose le petit interlude instrumental qui va bien avec l’aérien «Winds of Ganymede». Il ne manque plus qu’un solo de batterie et on est complet… Ah, on me signale dans l’oreillette qu’il intervient à la fin de «Thinking evil», titre dont l’intro vous foutra les poils, même en ce chaud mois de juillet…
Production, sonorités, compositions et même artwork, tout rappelle ces fameuses et mythiques années 70, décennie de tous les possibles. Et Salem’s bend nous y ramène sans prendre le temps de monter dans la DeLorean, juste en s’abreuvant du meilleur pour en tirer la substantifique moelle du bonheur et du plaisir rock tel qu’il devrait toujours être. Alors, montez dans le vaisseau spatial Salem’s bend, plaisir garanti!
On va pas se mentir : l’album précédent de Worshipper (son premier), lui aussi sorti chez Tee Pee, ne nous avait pas forcément transcendé. On a par ailleurs eu l’opportunité de voir le quatuor bostonien sur scène (il a assuré la première partie européenne de The Skull en 2019), en particulier au Desertfest Berlin, où il nous a… laissés de marbre. C’est donc avec un enthousiasme très modéré (notez bien le sens de la litote de votre serviteur) que nous avons accueilli leur second album.
Le premier constat qui vaille est que le groupe, encore jeune, s’est manifestement bien aguerri, grâce à la scène notamment, et propose avec Light In The Wire, une galette meilleure que son prédécesseur à tous points de vue. En revanche, il ne propose pas de virage stylistique remarquable, et l’on retrouve ce gros heavy rock traditionnel déroulé à l’envi sur trois quarts d’heure, empruntant aux grosses références du doom rock US. On pense très souvent aux vieux Trouble, ou même plus précisément à sa résurgence The Skull, qui s’inscrit directement dans cette tendance musicale précise (à travers des titres comme « Who Holds The Light ? » aux riff et soli bien caractéristiques), ou encore à Pentagram (« Arise » et son riff principal par exemple). On note aussi quelques résurgences NWOBHM ici ou là (les rythmiques en cavalcade et les plans de gratte harmonisés de « Wither On The Vine »), et donc plus globalement un spectre d’influences ratissant entre les mid-70s et les mid-80s.
Qualitativement, ce disque est inattaquable : il propose un ensemble de compos solides et efficaces, une prod impeccable (jamais trop ronflante, mais jamais cheap non plus, exactement à l’image des influences musicales susmentionnées) et une interprétation jamais prise à défaut (cf un jeu de guitares omniprésent et protéiforme, toujours au rendez-vous). Il n’est pourtant pas à recommander à tout un chacun, à savoir que le genre musical couvert ici est devenu très « daté », et il est fort probable que certains plans vous fassent lever les sourcils, a fortiori si vous êtes plus familiers des production du siècle en cours. Les guitares lead par exemple sont prépondérantes, avec sur chaque titre une large portion qui leur est dédiée : de généreuses séquences de soli, souvent enchaînés les uns après les autres, voient les guitares de Necochea et Brookhouse se passer le témoin pendant de longues minutes… mais ces plages, parfaitement menées, sont redoutables d’efficacité si on sait les apprécier ! Après, on reste dans le monde de l’americana, à savoir une propension au mid-tempo aux limites du raisonnable (seuls deux ou trois titres sur l’album appuient un peu sur l’accélérateur…) et quelques jaillissements quasi-FM parfois (« Nobody Else », encore un mid-tempo dont le riff aiguisé et le refrain semblent taillés sur mesure pour un public amateur de hard rock un peu plus lisse). Le travail sur les voix peut parfois, lui aussi, laisser un peu… sans voix (désolé, elle était facile). Les refrains – et même certains couplets – sont très souvent doublés ou chantés en harmonie (« Visions from Beyond », « Comin Through »…), parfois chargés d’écho (« Arise »…), symptomatiques en tout cas d’un travail sur les lignes vocales partagé entre Brookhouse (lead) et Maloney (backing, très présent), travail auquel encore une fois on n’est plus habitué dans les productions des dernières décennies…
Les compos sont redoutables d’efficacité, les riffs bien sentis, tout ça a été travaillé et éprouvé avant d’être enregistré, on ne se moque pas de nous. On notera le faux-pas que constitue l’indolent « Light In The Wires », une fluette balade électro-acoustique sans relief, dont le modeste crédit est balayé d’un geste dès que retentit ce hideux Bontempi au son peudo-spatial qu’un producteur probablement atteint d’un trouble ORL ce jour-là aura laissé négligemment passer. Mais c’est bien le seul écueil de ce disque par ailleurs solide.
Si vous aimez ce style de musique et de compos, vous trouverez chez Worshipper un des rares groupes jeunes et récents à s’emparer de ce flambeau et à pousser ce genre musical un peu suranné dans ses retranchements. L’album ne révolutionnera donc rien, mais propose en particulier à ceux qui ont usé les vinyls de certains groupes cités plus haut de quoi apporter un peu de sang frais à leur discographie ; un plaisir en soi.
Mais qu’a-t-il bien pu se passer en 1782 pour qu’en 2018, Marco Nieddu et Gabriele Fancellu, 2 jeunes italiens qui viennent tout juste de créer leur formation doom, aient choisi ce nom? La première publication du roman «Les liaisons dangereuses»? La fondation de la ville de Bangkok? C’est l’année de naissance de Michel Drucker? Non, la raison est toute autre (et bien plus en rapport avec leur style musical…): c’est en 1782 qu’Anna Göldin fut torturée avant d’être décapitée et ce fut l’une des toutes dernières personnes en Europe à avoir été condamnée à mort pour sorcellerie. On comprend alors mieux le magnifique artwork du single «She was a witch», paru en janvier 2019 chez Electric records. Ce single arrivera jusqu’aux oreilles du fameux label Heavy psych sounds, basé à Rome, qui signera le duo pour un premier album paru en mai dernier.
Le doom, qui plus est occulte, est régi par des règles immuables: une rythmique pesante et lourde comme une après-midi de canicule, une guitare vrombissante et granuleuse ne proposant pas plus de 3 accords par chanson (allez, on monte à 4 pour les grands gourmands…) et une ambiance morbide et sombre comme une visite des catacombes de Rome. Autant vous le dire tout de suite, 1782 coche bien toutes les cases. Evidemment, le problème avec les règles, c’est qu’il est difficile de se démarquer quand tout le monde suit le même schéma. Et c’est sans doute le seul reproche à formuler au duo à l’écoute de ce premier essai: c’est très bien fait, c’est parfaitement produit mais voilà, on a l’impression de déjà avoir entendu çà quelque part…
Après une courte introduction qui donne immédiatement le ton (le glas sonne et le bûcher est prêt), on entre tout de suite dans le vif du sujet avec «Night of Draculia» qui permet de découvrir le chant plaintif et lointain de Marco Nieddu, à mi-chemin entre Uncle Acid et Monolord. Suivent des titres caverneux et poisseux comme «The spell (Maleficium vitae)» (et ses chœurs incantatoires), le single «She was a witch» (qui bénéficie de la participation de Gabriele Fiori de Black Rainbows, accessoirement patron du label Heavy psych records) ou encore le monolithique «Black sunday» qui sont tous d’excellents titres pour se dévisser les cervicales. La guitare vrombit de plaisir, la batterie martèle ses incantations, les vocaux glacent le sang et l’album aurait très bien pu s’intituler «Le headbanging pour les nuls», on n’aurait rien trouvé à redire… A noter la très sympathique reprise de «Celestial voices» de Pink Floyd, un choix étonnant et audacieux.
Vous l’aurez compris, 1782 ne révolutionnera pas le doom occulte mais il se pose comme l’une des belles surprises du genre. Les amateurs de doom poisseux et cadavérique y trouveront naturellement leur bonheur mais ne comptez pas sur 1782 pour convertir les réfractaires à ce type de sonorités. Une musique pour initiés à mettre malgré tout entre toutes les oreilles car la qualité des compositions et l’implication du duo sont bien réelles.
Elder, meilleur groupe de la terre depuis Alphaville nous reviens après deux ans d’absence et leur dantesque “Reflections of a Floating World”. En 2017 les américains nous délivraient une véritable merveille d’écriture, de savoir-faire, un écrin dantesque aux contours bien trop sexy pour nous autres mortels, le maître étalon de leur discographie.
La suite les vit arpenter scènes internationales et festivals dédiés où l’apport d’un second guitariste prolongea la richesse de leur opus sur les planches. Une véritable innovation qui permit à DiSalvo d’exprimer plus encore son amour du lead éternel et d’apporter un espace supplémentaire à la section rythmique.
2 ans après donc. Une attente interminable et la venue, enfin, du petit dernier. “Petit” en effet car EP dans le fond et la forme : ce disque s’inscrit dans l’initiative “Postwax” lancée par le label Blues Funeral, qui consiste en 7 albums dont les sortiées sont planifiées sur un an (Elder est le premier), avec des inédits uniquement, de la part de groupes aussi variés que Elder – donc, Lowrider, Domkraft avec Mark Lanegan, Spotlights, Big Scenic Nowhere (Bob Balch, Gary Arce, Nick Oliveri,…), Besvarjelsen…
“The Gold & Silver Sessions” apparaît après écoute plus comme piste de réflexions qu’objet définitif. Entendre par là que les trois titres composant ce nouvel essai semblent s’étirer plutôt comme de longs jams et de belles tentatives de faire éclore une nouvelle grammaire chez Elder que de véritables compositions avec âmes et gonades saillantes.
Nouvelle grammaire donc puisqu’une part conséquente de l’espace sonore est offerte aux sons clairs et aux idées limpides. Un axe hyper cohérent avec une certaine esthétique développée notamment chez Stickman Records. Il suffit de ré-écouter le dernier album de Weedpecker et les longs titres de Motorpsycho pour se rendre compte de cet amour des instants limpides, de la note précise peu ou prou napée d’un léger crunch. Cette volonté d’éclaircir littéralement les propos permet une écriture plus claire dans les envies prog des groupes. Un bon point donc qui permet en plus d’offrir un champ de fréquences large pour les ajouts de claviers et autres nappes de spatialisation.
Les trois titres sans distinction, et malgré leur durée variable, peinent à trouver un véritable but laissant l’auditeur sur ce goût étrange d’inachevé. Les fameuses guirlandes de notes-lead ne sont plus les maîtres à bord et cette relative absence désarçonne quelque peu. Il ne ressort pas non plus de cette écoute de maître-riff scotchant le sang et les envies.
On traverse le EP avec la satisfaction d’entendre le groupe tenter de nouvelles saveurs mais avec la frustration de ne pas le voir les magnifier pour ensuite les exploser en un grandiose cataclysme sonore. On se surprend parfois à souhaiter que le titre s’arrête tant les riffs principaux ne soulèvent pas l’enthousiasme, “Illusory Motion” pour ne pas le citer.
“The Gold & Silver Sessions” comprend dans son titre ce qu’il faut attendre de lui. Des sessions. Et donc du bon, du moins bon, de l’inattendu mais aussi du passable. Des réflexions donc, des axes de travail qui permettront au groupe de s’ouvrir à d’autres horizons et de sortir une suite qui fasse honneur à son prédécesseur. Difficile donc de juger le nouvel effort du combo et de le considérer comme un élément essentiel de la discographie. Il sera intéressant, par contre, d’y revenir une fois le prochain long effort développé.
Derrière sa musique aux atours répétitifs et lancinants, difficile en réalité de taxer Earth de faire du surplace musicalement. Ses derniers albums en sont une excellente illustration, proposant chacun des types de composition différents, et surtout des sons et influences toujours bien spécifiques sur chaque disque. Il était donc dit que ce Full Upon her Burning Lips ne ressemblerait pas à ses prédécesseurs, et dès la première écoute l’on peut confirmer cette hypothèse.
Un seul et unique fait directeur a structuré ce disque : après une carrière de trente (!) ans, Carlson fait « lean » : il pense sa musique en termes de simplicité, voire de dénuement, enlève tout ce qui dépasse, ne sur-intellectualise plus sa composition, ne rentre plus dans la course à l’armement dès qu’il s’agit de sonorités (matériel, amplis, pédales), ne chante pas (il était marginal, il n’est pas jugé utile ici… donc il gicle ! 100% instrumental)… Le bonhomme voit simple, et a fortiori concernant son line-up : il donne rendez-vous en studio à sa partenaire des deux dernières décennies (qui fut aussi son épouse plusieurs années) Adrienne Davies, et à deux (c’est Carlson qui se charge de la basse), ils se lancent dans l’écriture du disque, avec simplement quelques trames de base.
Le résultat est… dépouillé, évidemment. Mais réussi. Le talent mélodique du guitariste transpire par chaque riff, chaque accord : réduit à son minimum, son jeu de guitare, au son cristallin (la saturation est largement revue à la baisse ici, probablement le disque de Earth au son le plus clair) est le plus efficace. Ses riffs et segments mélodiques, toujours lents et souvent joués ad lib (ses bases drone minimalistes restent présentes parfois), sont tous impeccablement ciselés et surtout écrits avec un soucis de l’efficacité qui fait mouche : le refrain de « Cats on the Briar », porté par le jeu aérien et dépouillé de Davies, le dépouillé et lent « An Unnatural Carousel » et ses accords toujours justes, la redoutable mélancolie de « A Wretched Country of Dusk » qui prend aux tripes… Le talent de composition de Carlson n’est jamais pris à défaut.
Tout n’y est pas parfait, on notera en particulier un « gros morceau » qui ne tient pas complètement ses promesses, à travers les 11min30 de « She Rides an Air of Malevolence », un format propice à un déluge d’ambiances épiques et qui ne s’envole jamais autant qu’on ne l’espèrerait. Mais aucun titre de « remplissage » ne figure sur ce beau bébé de plus d’une heure de musique.
On tient donc probablement là l’album le plus dépouillé de Earth, le plus « minimaliste » en termes d’instrumentation et de son, mais certainement pas en terme de finesse de composition, domaine où au contraire Carlson met à profit ses années d’expérience pour nous proposer un disque mature et riche de mélodies.
L’an dernier, aussi discrète que fut sa sortie, Love Jail avait assis Dommengang à la table des groupes prometteurs, à surveiller de près. Il n’aura pas fallu attendre très longtemps (même pas un an et demi) pour recevoir son successeur, leur troisième album en l’occurrence, No Keys. Le ressenti est vite confirmé : l’album est éclatant de maîtrise, de créativité et de talent.
Tant qu’à valser entre les étiquettes, on peut caler Dommengang dans une veine heavy psyche qui étend ses ramifications au blues rock, au hard rock, etc… En effet, le trio excelle dans la composition de titres groovy et nerveux, aux sonorités tantôt planantes tantôt plus tendues, où saturation et sons clairs se font perpétuellement la cour. Le groupe se distingue par un talent d’écriture qui rend chaque titre malin, efficace et accrocheur, le tout étant servi par une prod discrète mais qui ne tombe jamais dans le piège de sonorités vieillottes (réflexe facile des groupes qui se revendiquent de racines musicales du siècle précédent).
Les pépites sont nombreuses, mais n’allez pas plus loin que le premier titre, « Sunny Day Flooding », pour vous convaincre : intro basse mâchoires serrées, leads guitare libératrices, chant chargé de reverb emballant, on est pris par la main jusqu’au refrain impeccablement ciselé. Il en va de même pour « Wild Wash », son riff de basse énervé et ses vocaux harmonisés captivants… Le groupe ne manque pas de facettes et de surprises, à l’image de ce « Kudzu » jovial et entraînant, qui rappellera à travers son voluptueux solo central les grands Domadora dans un contexte jam band instrumental. C’est d’ailleurs en format instrumental que le trio tombe certaines de ses meilleures cartes, à l’image de ce très bon « Arcularius – Burke » qui mélange structure prog et séquences jam emballantes sans jamais provoquer l’ennui ni se répéter sur ses presque sept minutes.
Quelques titres sont moins enthousiasmants sur le long terme, mais… même le terne « Earth Blues » ou le très lent et planant « Stir the Sea » restent des titres marquants et mémorables après 2 ou 3 écoutes à peine. Le tout se termine dans une extase psych-blues (!) avec le fiévreux « Happy Death (Her Blues II) », où le chant onctueusement nasillard (!!) de Brian Markham en intro fait écho aux vaporeux riff bluesy de Dan Wilson, accompagnées exceptionnellement (et opportunément) sur ce titre de langoureuses nappes de clavier. Chaud.
Peu aidés par une sortie assez discrète, il serait dommage que la qualité de cette galette – et de ce groupe – passent encore inaperçus. On encourage les découvreurs de talent et les amoureux de bons groupes dans les veines musicales sus-mentionnées de se pencher avec bienveillance sur cet album qui le mérite à bien des égards.
Les production Russes ne sont pas légion. Nous avions déjà abordé le cas de The Re-Stoned ici même, il y a peu ou prou un an et demi. Le trio remet le couvert avec son septième album Ram’s Head. Les moscovites passent cette fois sous le label Kozmik Artifactz avec une galette de plus de 44 minutes que nous avons pris le soin de faire tourner sur notre platine un beau nombre de fois.
Après un Chronoclasm qui confirmait la place de Jam Band du trio, force est de constater que Ram’s Head n’apporte rien de neuf sous le soleil. C’est toujours cette culture Jam carrée qui prédomine et marque au fer rouge le The Re-Stoned. Sorti d’une peur certaine d’avoir affaire à une redite lassante avec l’entrée en matière “Chromagnetic stomp”, il devient cependant notable que la basse de Vladimir Kislyakov assied une œuvre mid-tempo avec assez de lourdeur pour l’ancrer dans la mémoire de l’auditeur. Pris dans leur ensemble, les instruments sont si serrés qu’on pourrait se demander si le tout n’a pas été enregistré dans un photomaton.
Après un début d’album moyennement envoutant, le moteur du camion repart s’emballe, retombe et repart lentement tel un vieux KamAZ Soviétique sur les routes de l’Oural. Lancé à pleine vitesse il surmonte le cahot d’une piste faite de la guitare de Ilya Lipkin toujours gravillonnée par la basse. Les titres dans leur ensemble sont qualitatifs et le solo de batterie de “Acid truck” qui ne donne pas de leçon permet tout de même de constater l’assimilation d’une rythmique entre Led Zep’ et Santana. La batterie est tenue cette fois, spécialement pour le studio, non plus par Anton Yalovchuck mais par Maximilian Maxotsky. Les gars ont fait un choix plutôt futé au vu de son talent.
“Orange sky & bottle neck” qui sonne comme Geezer (Pas Buttler, le groupe hein!) laisse dubitatif quant au fait que tout ceci ait été écrit. Il souffle sur les compos toujours cet inaltérable facture propre aux Jam Bands. Le final “Dune Surfer” est un pur Desert Rock teinté d’effets Space Rock qui enfonce le clou tout en se reposant sur les bases solides d’un son 70’s velu. Alors d’avis d’amateur de ces genres, il faut admettre que le tout est plutôt bien foutu.
Finalement avec ce Ram’s Head, The Re-Stoned ne sort pas de son postulat de base pour autant il évolue vers des terres moins psychédéliques que précédemment et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. On regrettera seulement une structure bipartite de l’album qui, de fait, casse la linéarité de l’audition et n’engage pas forcément du premier coup à se laisser porter par la musique inscrite sur la plaque. Il faudra un peu d’opiniâtreté pour aller chercher cet œuvre, mais une fois que vous en aurez ouvert les portes, vous pourrez trouver matière à vous réjouir, pendant un temps au moins.
Comme pas mal de groupes directement impactés par la lourde interruption d’activité de Small Stone, Roadsaw s’est fait discret pendant plusieurs années… On ne s’en est pas trop aperçu vu d’ici, le groupe US ayant été très peu présent sur le vieux continent depuis… ben toujours, en fait. Dommage, car le groupe de Boston a des arguments pour convaincre… Huit ans ont donc passé depuis leur galette précédente, où seuls quelques concerts ricains nous ont rappelé que le groupe restait vaguement actif. Dans l’intervalle, le redoutable frappeur Craig Riggs (par ailleurs chanteur du désormais trio) a aussi rejoint les rangs de Sasquatch, un autre combo à l’actualité neurasthénique dont l’activité ne devrait pas trop perturber celle de Roadsaw… malheureusement ! C’est (comme beaucoup) chez Ripple qu’ils trouvent un nouveau foyer accueillant pour sortir leurs galettes et permettre, espérons-le, de reprendre la route, et pourquoi pas l’avion !
Tinnitus The Night porte par son titre (et par son artwork équivoque, à la colorimétrie éprouvante) une intention qui est assez vite confirmée : l’album se goûte à fort volume, la frontière du plaisir se trouvant au plus près des limites sonores de vos cages à miel, avec une bière mi-fraîche en canette comme facteur facilitant. Quatuor devenu trio depuis quelques années, Roadsaw, tel un Motörhead du heavy stoner, porte haut l’étendard d’un hard rock fuzzé en mode “no bullshit”, une musique sans prétention, qui vise bas mais juste. Car le talent d’écriture de nos trois lascars n’est toujours pas mis à défaut sur ce huitième long format. L’auditeur se retrouvera bluffé (littéralement) de constater qu’au bout de la troisième écoute à peine il est capable de fredonner bon nombre de riffs et refrains, d’anticiper certains breaks bien velus… On parle du refrain de “Knock’Em All Down”, de celui de “Find What you Need”, du riff sur-saturé et doublé d’une frappe de mule de “Along for the Ride”, du bourrin “Final Phase” (le son de ces deux derniers rappelleront aux esthètes le bon vieux Milligram), etc… Overdose de riffs Tout n’est pas rose non plus, et la galette comporte quelques titres un peu plus dispensables (comme le très catchy “Fat Rats”). Le groupe ouvre aussi la porte aux titres de tempo plus lents, à l’image de “Peel” ou “Silence” (carrément une balade), une évolution qui, sans choquer, n’est pas non plus particulièrement inspirante. Notons aussi un “Midazolam” de 7 minutes épique, lent et puissant, porté par un chant hanté de Riggs.
Bref, Tinnitus The Night est un bon album, et un bon Roadsaw. Il s’adresse aux bourrins “plus subtils qu’on ne croît”, ceux qui aiment leur riffs bien tassés et leur son de guitare bien gras, mais toujours au service de compos finement ciselées, à l’efficacité redoutable.
La discographie de Thou s’apparente à un véritable chaos. Alors qu’on les attendait au tournant, la bave aux lèvres, depuis le redoutable Heathen, ils débarquent en 2018 avec… une fournée de EP disparates (compos, reprises, expérimentations, réinterprétations…) censés paver le chemin vers ce nouveau long format, Magus. Plutôt que de nous y préparer, ces EP ont tout fait pour nous perdre en route ! Ou plutôt, de manière plus réaliste, ils ont eu la vertu de nous rappeler que Thou n’est ni prévisible, ni conformiste. Le trouble étant semé, on ne savait pas trop à quoi s’attendre quand enfin Magus a débarqué.
Le sextette louisianais met très, très vite les pendules à l’heure en plaçant le colossal “Inward” en ouverture des hostilités. Ce morceau-fleuve suintant de plus de dix minutes vient illustrer tout ce qui fait Thou : une base musicale riche, des compos audacieuses, et un chant puissant – Bryan Funck growle avec une efficacité toujours aussi bluffante. Musicalement, les riffs s’enchaînent, les breaks défilent, structurant des plans aux rythmiques variées, lourdes comme des charpentes de plomb ou plus aériennes. Le final du titre, parfaitement arrangé, bien loin du sludge “traditionnel”, nous rappelle que l’on n’a pas affaire à n’importe quel groupe. C’est le cas un peu plus loin du superbe “The Changeling Prince”, petit bijou de torpeur doom sludgy dont la base instrumentale peut même rappeler les heures les plus mélodiques de groupes comme Yob. Dans certains cas, le manque de mélodicité du growl peut en revanche un peu desservir certains morceaux, à l’image de “In the Kingdom of Meaning”, où le refrain très peu modulé par Funck vient un peu aplatir un riff très bien construit (il est d’ailleurs accompagné sur ce titre par leur vocaliste-amie Emily McWilliams, qui joue parfaitement son rôle de “contre-point”). Mais plus globalement, reconnaissons au chanteur de sortir comme souvent MVP de la production du groupe, son trait le plus caractéristique et l’un de ses plus gros vecteurs de puissance.
Comme il nous y avait préparé avec Heathen, Magus est long. Riche, dense, massif et… long. Plus de 75 minutes, c’est colossal de nos jours – mais est-il utile de rappeler que Thou est dans le conformisme de la production vinylique comme un pitbull dans un jeu de quilles ? Tout comme Heathen (encore !), le combo larde son album de quelques petits intermèdes de quelques minutes, des pastilles sans beaucoup plus d’intérêt que celui d’aider à digérer ces monceaux d’immondices évoluant plus souvent autour des 10 minutes par têtes de pipes. L’album est donc difficile à avaler d’une traite, et à écouter en boucle. Il faut longtemps pour l’assimiler, mais l’effort est largement récompensé au final.
Décidément, les comparaisons avec son prédécesseur sont nombreuses. La question qui mord les lèvres est donc de savoir si Magus est encore meilleur que Heathen ? Probablement pas. Il est tout aussi intéressant en revanche, mais il n’amène pas le groupe à un autre niveau. Ses compos plus étayées et riches, sa prod colossale et ses arrangements superbes emmènent Thou sur des séquences très intéressantes, ce qui devrait suffire à convaincre les amateurs du groupe louisiannais de se pencher dessus, ainsi qu’un public plus large désormais. Est-ce que Magus sera l’album de l’explosion pour Thou ? Les mois suivants nous auront montré que la réponse est plus nuancée, le groupe n’ayant pas encore pu exploser auprès d’un public bien plus large. Probablement l’étape suivante.
Les « Frenchies » d’origine établis à Londres ne nous avaient pas tant donné signe de vie ces derniers temps et c’est avec une certaine surprise que j’ai vu débarquer le successeur de « Before The Shore » sorti en 2016. Habitué des prestations de ce groupe paneuropéen depuis ses débuts, c’est avec curiosité que je me suis passé cette quatrième production une première fois, puis une deuxième, puis moult fois car celle-ci recèle, en son sein, une telle multitude d’incursions, de plans, d’ajouts, d’ambiances, de collages, etc. qu’il est ardu d’en tirer des conclusions à l’issue d’une écoute unique. Hé ouais mon gars : ce skeud-là n’intègre pas la catégorie des sorties cataloguées au premier survol et ne se range pas sur l’étagère des bandes-son formatées pour les ascenseurs voire les superettes ! Ce disque n’emprunte par ailleurs pas un chemin qui lui ouvrira les ondes de la bande FM vu son formatage, mais je ne suis pas convaincu que de nos jours ce mode de consommation musicale fasse encore du sens hormis pour les amateurs de tronçons routiers embouteillés.
La pièce-centrale de Bright Curse, Romain, a à nouveau modifié la composition de son groupe dont il est le seul élément présent non seulement depuis l’origine, mais aussi depuis sa sortie datant d’il y a trois années seulement (c’est désormais à quatre qu’ils s’y foutent pour envoyer du son). Le garçon vieilli, son style évolue et le son de cette plaque prend quelques distances avec le mix de doom traditionnel british et de psychédélisme pratiqué jusqu’ici hormis en ce qui concerne quelques titres dont la conséquente entrée en matière : « Smoke Of The Past » sur laquelle les parties vocales sont mises très en avant sur fond de riffs overdrivés. L’auditeur nage en terrain connu sur la première plage qui explose les 10 minutes ainsi que sur « Laura » qui lui emboîte le pas. Le deuxième titre constituant le seul morceau au format standard en se situant aux alentours des 5 minutes. Si les deux premières compositions ne peuvent pas renier leurs influences grunge par certains aspects, les influences de la scène rock francophone des mêmes années sont quant à elles présentes non seulement sur le final de « Smoke Of The Past » : Noir Désir, mais aussi sur l’intimiste « Une Virée » qui suinte le Diabologum période « #3 » (une perle du genre dont je recommande l’écoute au passage).
La fameuse « Virée » se distingue comme étant la plage la plus concise de cet opus avec ses moins de 3 minutes et elle sert de piste de lancement à « Shadows » qui tape dans le trip éthéré durant une dizaine de minutes : ça frôle presque l’expérimental durant de longues minutes avant de se débrider peu après la moitié pour renouer avec un univers en lien avec nos pages en plaçant la basse (grailleuse) sur le devant de la scène avec une certaine réussite.
Le titre éponyme met un terme à cette nouvelle livraison dans un registre qui hésite entre hard rock traditionnel et revival de la scène de Seattle de la fin du siècle passé (plus Mother Loves Bone que Nirvana) ; le tout assaisonné avec une pincée de rock prog des années septante. L’intérêt majeur de ce titre touche-à-tout résidant dans l’adjonction bien sentie de cuivres donnant une patine fort séduisante à l’exploration artistique qu’il incarne.
Bright Curse fait montre, une nouvelle fois, d’une créativité incroyable en se frottant finalement à toutes les racines qui ont contribué à faire du stoner ce qu’il est, mais en prenant ces distances avec ce style musical. Cette plaque saura séduire les amateurs de sensations aériennes qui ont l’esprit ouvert ainsi que les petits curieux en quête d’insonorisations nouvelles pour tiser voire fumer de l’herbe qui rend nigaud !
Voir un groupe que l’on apprécie mettre la clef sous la porte laisse toujours un goût amer ; Kyuss, Dozer, Tank86, etc. vous voyez de quoi je parle. Une sensation d’inachevé, un regret de n’avoir su en profiter davantage. On espère toujours qu’un beau jour, à la faveur de certains remord, les membres dispersés viendront à se réunir à nouveau. Et parfois, comme dans le cas de Nebula, cela se produit bel et bien.
Après une séparation presque aussi longue que ne l’a été leur carrière, le trio Californien se reforme en 2017 pour le plus grand plaisir de l’univers stoner. Eddie Glass et Tom Davies remontent aussitôt sur scène, accompagnés du non moins talentueux Michael Amster derrière les futs. Ensemble, les gaillards s’affichent en tournée notamment au Hellfest et Desertfest, comme si de rien n’était. Et en vue d’enfoncer le clou qui marquera définitivement leur retour dans le game, ils pondent l’inopiné Holy Shit.
On entre direct dans le vif du sujet avec « Man’s Best Friend » et « Messiah ». Ces morceaux nous replongent dans ce stoner énervé, nuancé par des solos psychés souvent parsemés de wah-wah, le tout maquillé d’un far bien garage qui donne son ton grunge si caractéristique au groupe. « It’s all over », une fois ses 2 min 45 s de chauffe effectuée donne des franches envies de traversée du désert derrière le guidon d’une bécane au pot d’échappement troué, et n’est d’ailleurs pas sans évoquer la fougue d’un « Giant » ou d’un « Ignition ».
Toutefois, si l’on retrouve les fondamentaux de la matière Nebula dans ces premières pistes, on découvre aussi de singulières nouveautés. Mêlant groove d’un autre monde, chœurs et mélodie chaleureuse, « Fistful of Pills » s’apparente à un interlude surf rock tout ce qu’il y a de plus surprenant. Une énergie suave retrouvée dans « Gates of Eden » même si c’est le psyché et la réverbe qui dominent. Puis les ascendances divergent encore dans « Let’s Get Lost », sa guitare crado et son chant grésillant à la limite du nasillard. Une composition rappelant assez Iggy Pop et The Stooges dans son style. Pour couronner le tout, la neuvième pièce de ce nouvel édifice semble s’articuler autour de l’essence constituant les précédents morceaux. Un amalgame d’énergies s’étalant sur plus de sept minutes avec une mélodie plutôt redondante, un fuzz troqué pour une guitare sèche et une basse aussi ronde et douce que la caresse d’un soleil sur une plage des caraïbes.
Par certains aspects, on se sent finalement assez loin du désert duquel Nebula est issu. Même si la longue absence du groupe, et certainement le désir d’innover, justifie sans mal cet écart. Le stoner du trio a toujours été dilué dans un rock très 70’ et garage, mais à présent la corde ‘surf’ s’ajoute à leur arc musical. À chacun de voir s’il se sent de tirer une nouvelle flèche avec, ou bien simplement d’en apprécier le souvenir.
“Lecteur, c’est toi qui sent la sueur ?! Ah non, ça vient de cet album juste là !”
Je m’approche donc avec prudence de l’album, il suinte… L’objet est agressif et psychédélique. Une hydre rouge y fait face à un monolithe cyclopéen sur fond d’éruption volcanique. Ce disque sent fort, une odeur de transpiration et d’acide. Sur la pochette le nom de Kaleidobolt.
“C’était donc ça! le nouvel album du power trio finlandais qui vient tout juste de signer sa troisième œuvre chez Svart Records et qui a pour titre Bitter !”
Alors que je pose la galette sur la platine, je me brûle les doigts et je me doute que les oreilles ne vont pas tarder à suivre. “Another Toothpick” qui ouvre le bal me saute à la gueule et la référence éruptive de la pochette fait tout de suite sens. On retrouve cette énergie propre aux prestations lives du groupe. Un psychédélisme hystérique où s’enchaînent les riffs sur un tempo hors norme. La piste est déstructurée et flirte avec l’enharmonie tout en proposant des breaks mélodiques et profonds. Si je cherche confirmation de cette impression, c’est “I am the Seer” qui m’en offre un autre bel exemple. Déstructuré, Heavy, Psychédélique il m’a emmené aux portes d’un autre monde où règne la folie. La Basse si elle invoque le Prog est bien souvent distancée par une gratte en plein délire et une batterie aux sonorités parfois Bonhamienne.
Le bassiste Marco Menestrina a déclaré: “Nous visons une musique dangereuse, en passe de devenir une masse critique et de s’effondrer à tout moment” Bah tiens donc, c’est réussi! Bitter est un effondrement gravitationnel. La musique massive comme une planète se contracte sous l’effet de sa propre attraction. Puis elle finit par exploser et se disperser violemment. Cet album dispose d’un noyau de Stoner sur lequel ce qui l’entoure s’effondre, rebondit et se retrouve projeté dans l’espace
Il est difficile de trouver des mots pour définir ce qui se passe sur la plaque, mais si tu as déjà assisté à un set live de Kaleidobolt, tu en garderas sans doute plus le souvenir de son énergie que de sa musique. Bitter a cette même particularité, il est pour moi le reflet de ces dernières années passées à écumer les scènes européennes. L’évolution du groupe est certaine, mais on retrouve néanmoins une confirmation des impressions du précédent album “The Zenith Cracks”. Un Jam Band où percent cultures jazz et blues avec une maîtrise technique très nette.
Il faut absolument aller écouter “Deadpan Blues” dont l’introduction est à la croisée des Doors et de Led Zeppelin et où le corps du morceau explose et retombe comme du métal fondu en conclusion. Kaleidobolt ressuscite la folie lysergique des années 70 et retrace la carte d’un rock heavy que l’on croyait loin derrière nous.
“Hydra” clôture l’album dans un délire total où j’ai perdu mes sens. 9’32 de pur psychédélisme agressif, passant des hurlements de la guitare au bottleneck fondus dans la reverb à un chant plaintif sur cordes mordantes. La dérive est totale et aboutit à un tiers de morceau planant dans les volutes d’une fumée de psychotrope où la basse virtuose soutient un ensemble en apparence déstructuré, mais en apparence seulement.
Bitter n’est pas l’album du commun. Tout le monde n’y trouvera pas son compte. Il faut passer outre le puissant fumet qui en émane, le goûter pleinement et longtemps pour en dévoiler toutes les subtilités. Il est puissant certes, mais pas que! C’est aussi un nid de petites subtilités qui cumulées offrent une pièce talentueuse. Cette plaque est dense, pleine de ressources et ces lignes ne me suffiront pas pour exprimer tout ce qu’on peut y trouver. Ce qui est certain, c’est que Kaleidobolt est pour moi définitivement un groupe live et aura su avec cet album en livrer toute la force en studio.