King Hobo – Mauga

Déjà 10 ans sont passés depuis la sortie de King Hobo, premier album du groupe éponyme composé alors de quatre larrons bien moins connus qu’aujourd’hui… Car au sein du quatuor international figure un certain Jean-Paul Gaster, batteur d’un groupe encore confidentiel à l’époque (sauf pour nous), Clutch. Le duo qui l’accompagne est composé de Per Wiberg, qui jouit d’une forte notoriété déjà à l’époque en particulier en tant que clavier de Opeth, et Thomas “Juneor” Andersson – ces deux derniers composant deux tiers d’un autre trio plus actif sur disque que sur scène, les très recommandables Kamchatka. Quant au quatrième membre de l’aventure, il disparaîtra de l’image au fil des années, King Hobo évoluant désormais sous forme de trio. N’ayant pas pu assurer de concerts durant toutes les années consécutives à l’enregistrement de leur premier méfait, tout portait à croire que le groupe devait en rester au statut de projet méconnu culte gravé à l’arrache sur disque à l’issue d’une séance d’enregistrement entre potes… Tout faux : les zicos sont toujours restés en contact, et ont décidé en 2018 d’enregistrer quelques vieilles compos (vieilles de plusieurs années pur certaines), avec le projet de les emmener sur la route ensuite !

Prévenons tout de suite les plus étroits d’esprit : on ne trouvera pas sur cette galette de stoner pur jus – d’ailleurs le premier album n’en contenait pas non plus. Difficile en réalité de circonscrire le groupe à un genre musical bien défini : la créativité des trois larrons semble s’épanouir dans un spectre musical aussi vaste que riche, sans aucunes barrières. A ce titre “Hobo Ride” en intro donne une très mauvaise indication de ce qui nous attend sur le disque, proposant un riff et une rythmique 100% Clutch-iennes (et ce farceur d’Andersson d’opter en plus pour un refrain gueulé “à la Fallon” pour parfaire le tout). Blagueurs. Car la suite est bariolée, débridée, et ne devrait pas laisser grand monde stoïque. Quelques exemples : “King Blues” est une pure démonstration d’un blues lent et fiévreux où les complaintes d’Andersson, portées par des pointes de saxo du meilleur effet, sont bluffantes d’efficacité ; “Good Stuff” et son rock funky rappelle évidemment des plans de RHCP ; le morceau titre “Mauga” est un instrumental où Andersson (encore lui !) propose des plans latino / flamenco (!) ; “Listen Here” est un titre aussi nerveux qu’efficace, au refrain imparable ; quant à l’instrumental de clôture, le très étonnant “New Or-sa-leans”, il déroule une séquence mélodique remarquable, agrémentée de soli d’une redoutable justesse, d’une base de batterie jazzy impeccable, et même de plans… d’accordéon !

Vous l’aurez compris, cet album ne laissera personne indifférent ! Et c’est bien le fait de son principal musicien, à savoir évidemment… Jean-Paul Gaster ! Le maestro des fûts déroule sa maestria sur les 10 titres avec classe et talent, propose un jeu varié, adapté à chaque titre, qui apporte une identité bien spécifique à chacun. Son identité musicale remarquable, mise au service des compos, rejaillit sur tout le disque.
Enfin… à la réflexion… le musicien le plus important du trio est probablement plutôt… Thomas Andersson ! Car oui, le sympathique et fantasque guitariste développe lui aussi une variété de sons et de styles ébouriffante, excellant dans tous les genres qu’il aborde. Prolixe et efficace, le six-cordistes s’y entend aussi dès lors qu’il a l’occasion de coller des soli à chaque espace qui lui est offert, avec talent à chaque fois… Et que dire de sa performance vocale ? A l’aise dans tous les registres, puissant quand il le faut (le refrain de “Dragon’s Tail” ou le très catchy “Twilight Harvest”), et plus subtil lorsque c’est justifié (“King Blues” ou le poignant “How Come We’re Blind”), il apporte un élément essentiel à l’identité musicale du trio.
Mais au final… la question ne se pose pas vraiment… le musicien le plus important du trio est plus probablement… Per Wiberg ! Le plus discret du trio est en réalité à la fois l’homme de l’ombre musicalement (ses lignes de basse sont très sobres, mais apportent pourtant un élément mélodique et rythmique efficace et essentiel) mais aussi la pierre fondatrice du combo : à la manœuvre dans l’organisation des séances d’enregistrement, dans les compos, etc… Il apparaît des échos de tous comme le leader du groupe. Rarement un trio a-t-il proposé trois identités musicales si fortes et si complémentaires à la fois.

Mauga est un album d’une qualité remarquable, fruit d’un processus d’écriture et de jeu complètement atypique, largement lié à la rencontre de trois personnalités bien marquées. Pour certains ça manquera inéluctablement de fuzz, de riffs lourds et gras, de plans planants psyche… Mais ce qui est proposé au détour de ces 10 plages (d)étonnantes est une musique hybride, riche et redoutablement efficace, à l’exacte image de chacun des musiciens qui les ont composées et interprétées. Maintenant, il reste à concrétiser cette volonté a priori affirmée par le groupe d’amener King Hobo sur les planches… On touche du bois !

Saint Vitus – Saint Vitus

Décidément la carrière de Saint Vitus ne cessera de prendre de nouveaux départs. Wino ayant en quelque sorte trahi le clan avec cette affaire de drogue (parce qu’il avait vraiment moyen de gérer les choses autrement, il faudra un jour que je vous raconte cette hallucinante histoire), Dave Chandler et sa clique (enfin Henri Vasquez du coup) repêchent donc Scott Reagers, chanteur des débuts, qui n’a plus mis les pieds dans la musique depuis 1995. Un sacré pari – alors que se profilaient les 40 ans du groupe, et la tournée qui va avec, – de reprendre un type de l’avant succès doom du groupe (Born Too Late) dont personne dans le milieu n’avait entendu parler depuis plus de 20 ans. Mais son retour, couplé à l’arrivée de Pat Bruders (Crowbar entre autre) à la basse, semble avoir redonné vie à un Vitus qui ronronnait dans son antre depuis trop longtemps. Dave Chandler amène donc tout le monde chez Tony Reed (de Mos Generator, déjà derrière les manettes de Lillie F-65 en 2012) pour faire de nouveau rutiler sa Flying V.

Ce 9ème album est en de nombreux points remarquable. Enfin remarquable n’est peut être pas le mot. Parce qu’il n’y a rien ici qui révolutionne quoi que ce soit, loin de là, et la prod manque même un poil de punch. Mais quelle réjouissance, quel plaisir de retrouver Reagers, qui fait passer tout du long du disque un vrai plaisir et une vraie humilité, chantant quelques uns des refrains les plus mémorables d’un groupe qui compte déjà pas mal de perles dans sa discographie. C’est aussi que les riffs sont inspirés. Chandler abat un boulot phénoménal, accélérant souvent le tempo (ah ces racines punk hardcore), et plaçant toujours ces soli uniques dont lui seul a le secret. Un Chandler que l’on retrouve d’ailleurs au spoken word sur « City Park », pour un titre qui semble lui être particulièrement personnel.

Mais rassurez vous le bestiaire habituel est également de sortie, vengeance, mort et bain de sang émaillent l’album. « Bloodshed » puisqu’on en parle est un titre rapide à l’efficacité redoutable, parfait contrepoint à l’introduction doomy « Remains ». Bruders se fait entendre, fait la maille avec Vasquez pour recréer une section rythmique solide (ce qui a toujours été un point fort chez Vitus) et ce Saint Vitus 2019 (notez le même titre et la même sobriété que sur l’album de 84, le gris remplaçant le noir) est en tout point supérieur à son prédécesseur de 2012 (Lillie F-65 avec Wino), se plaçant finalement et en toute logique dans la lignée de Die Healing (1995). Et ce n’est pas la très punk hardcore sans concession « Useless » en fermeture qui me fera dire le contraire (les commentaires Youtube, reniant l’absence de doom sur ce titre sont à mourir de rire). Un album réjouissant de bout en bout. Une sacrée surprise.

 

Point Vinyle

Listenable, en sus du black classique, semble avoir choisi le nombre de vinyles pressés en tirant une poignée de dés de 20. On reconnaît bien là les rôlistes. Bravo. Pressages : silver (200), clear (1050), grey with white marbled (750), purple (300)

Valley Of The Sun – Old Gods

Le chemin vers le Stoner commence bien souvent par une passion pour les murs d’amplis, les cymbales tonitruantes, les distos massives et la bière faite maison. C’est bien ce qu’annonce ( A peu près)  Valley of The Sun, le quartette de Cincinnati signé chez Fuzzorama Records. Originellement trois musiciens ils sont passé à quatre pour ce troisième LP sorti le 24 mai, Old Gods.

“Old Gods”, le lancinant titre éponyme ouvre doucement l’album avec malgré tout un son lourd comme du plomb en fusion.  C’est ensuite quelque chose de plus groovy qu’à l’accoutumée qui se fait jour sur “All We Are” le second titre de l’album. D’office cela demande donc à être creusé par une lecture des autres titres.

Bien que l’histoire semble changer, on ne coupera pas à la fuzz, marque de fabrique de Fuzzorama (Hasard ou coïncidence?) si ce n’est de tout le genre Stoner. Cependant on remarque la constance d’un son plus lourd et plus mid-tempo que sur les albums précédents. Ce mid-tempo sur “Gaia Creates” s’enfonce dans la lenteur, le titre plane sur toute sa longueur et il faut attendre pour un regain de patate avec “Dim Vision”. On y retrouve la niaque du Valley of the Sun de Volume Rock.

Cet album “Old Gods est une méditation sur qui j’ai été, qui je suis maintenant et qui je voudrais devenir”, explique le guitariste / chanteur Ryan Ferrier, ce qui explique certaines évolutions stylistiques. L’approche est différente de celle de Volume Rock. Il y a une évolution de parcours au sein de l’album. Cette dernière fait que la galette est plus mélodique mais aussi plus grunge d’esprit.

La césure centrale “Shiva Destroys” offre à l’auditeur une batterie comme une l’intro des Stones sur “Sympathy For The Devil”. Cette interlude de percussions (Maracas et claves) et de batterie n’apporte pas grand-chose à l’album et aurait pu se trouver comme intermède d’un morceau. Mais ne soyons pas bégueule, cet aparté n’est pas déplaisant pour autant

La seconde partie de l’album revient dans le giron du savoir déployé au sein du précédent opus. Pour autant cette couche de mélodie teintée de mélancolie qui correspond potentiellement à ce devenir qu’évoque Ryan est déployée avec plus d’évidence. Ceci est particulièrement vrai pour “Dreams of Sands”. A la réflexion je me demande si Valley of The Sun ne suivrait pas un parcours identique à celui de Truckfighters qui avait abouti à l’album “V” que l’on connaît. Est-ce un hasard de plus si le label est le même?

De mon point de vue Old Gods reste un album fréquentable qui n’est pas déplaisant à l’oreille. Le travail des pistes offre une très belle qualité d’enregistrement et une maîtrise de l’œuvre de bout en bout. Néanmoins je ne saurais le conseiller à ceux qui comme moi aurait espéré une suite de carrière plus couillue et plus grasse pour Valley of The Sun. Au delà de ça, amateurs de mélodies lentes et de sons alourdis par la fuzz entrez, vous serez ici chez vous.

 

 

Abrahma – In Time for the Last Rays of Light

On a toujours été de fervents amateurs d’Abrahma ici à Desert-Rock. Trop rares sur disque et sur scène, la perspective d’un nouvel album des français nous a mis en joie ! Ayant complètement refondu/re-conçu son groupe autour de lui,  Sébastien Bismuth profite de ce line-up rafraîchi pour donner un nouvel élan au groupe… mais pas forcément celui que nous imaginions… dans le contexte de Desert-Rock !

Le trouble commence dès le premier titre, « Lost Forever », premier extrait de l’album, un très beau morceau (ayant bénéficié d’une vidéo audacieuse et réussie autour du concept de la dépression) qui rappelle parfois les titres les plus sombres de Hangman’s Chair. Dire que la suite est à l’avenant serait trompeur, et surtout réducteur au regard de la richesse développée par ce disque. Avec une durée moyenne des titres qui dépasse les sept minutes, Abrahma propose une profusion de riffs, de sons, d’arrangements, d’instruments, de breaks, de plans variés et élaborés… Prenez « Lucidly Adrift », on y retrouve des plans de metal (en mode classique, nerveux, voire extrême), des plans plus atmosphériques, un chant radicalement différent entre couplet, refrain et break (globalement, la performance vocale de Seb sur ce disque est rien moins que bluffante), tous types de sons ou arrangements de guitare (clair, saturé, joués en harmonie ou plus basiques lead/rythmique…), on y retrouve même des plans bourrins avec une batterie impressionnante en mode blast beat sur la fin ; on finit quasiment soufflé, éberlué.

L’album défile à cette image sur toute sa durée, dans une sorte de profusion de riffs, de breaks, de mélodies, de sonorités… L’auditeur est challengé en continu, ne peut jamais se reposer sur un titre un peu plus « confortable », il y a toujours un break sauvage qui l’attend un peu plus loin, un arrangement improbable mais réussi en fond, une montée en tension imprévisible qui s’installe… Impossible de cantonner Abrahma désormais à un genre musical ou un faisceau d’influences. Finis les plans stoner ou grunge, on pense désormais, en vrac, au fil des chansons, à Paradise Lost, The Devil’s Blood, certains Opeth, Type O negative, Ulver… la liste est sans fin ! En conséquence, In Time for the Last Rays of Light est un album qui requiert un investissement de la part de l’auditeur, ce n’est pas un album de « musique de fond » ; il doit être écouté et pas simplement entendu. Les écoutes qui se succèdent de fait font découvrir la profondeur des chansons, les subtilités qui les habillent et les structurent. On ne s’y ennuie jamais, non pas du fait d’une production artificiellement pompeuse, mais surtout par une qualité d’écriture que l’on sentait bien pointer sur les albums précédents du groupe, et qui trouve une certaine sorte d’aboutissement sur cette nouvelle, opulente galette.

Clairement, on n’est plus en face du Abrahma que l’on a connu. La maturité n’est pas la même, à l’évidence, mais le genre musical non plus… Abrahma laisse derrière lui le stoner qui a fondé ses premières incarnations (dont il se départissait progressivement sur ses deux premiers disques, admettons-le, si on se souvient de sa période en tant qu’Alcohsonic) et se fend d’un disque où se mêlent d’innombrables références metal riches et abouties. L’album est impressionnant de maîtrise, de qualité, de grandiloquence aussi. Il devrait logiquement trouver un public large, à sa dimension désormais. En revanche, il quitte notre périmètre musical de prédilection, et il est assez improbable que l’on le revoit dans nos pages à l’avenir. C’est donc avec une certaine nostalgie mais surtout plein d’espoir pour le groupe que l’on lui dit au revoir et bonne route.

The Progerians – Crush The Wise Men Who Refuse To Submit

Le nouvel album des Belges est arrivé et il va y avoir du sang ainsi que des tripes sur les murs de votre salon lorsque vous aurez posé l’aiguille de votre platine dans le sillon de la première face de ce double album qui évite superbement les redondances tout en conservant une grosse dose de sauvagerie tellement bienvenue. J’avais accroché sur la livraison précédente The Fabulous Progerians après m’être fait ramoner les fabriques à cérumen par ces lascars naguère durant un Desertfest sis dans le Plat Pays qui est le leur et je me délecte avec cette nouvelle production qui va poser un problème de mise en page à certains graphistes, vu son titre imposant, pour la coincer dans les colonnes de leurs canards si tant est qu’ils s’intéressent la moindre à une sensation européenne de grande classe internationale.

Crush The Wise Men Who Refuse To Submit, le second long-format de The Progerians sort sur Mottow Soundz qui compte parmi ses poulains une autre histoire belge qui envoie du lourd : La Muerte. Cette proximité nationale ainsi que discographique se prolonge, entre ces deux formations, dans la déclinaison de leur art entre urgence, aliénation et barbarie. Un mode d’expression nécessairement très qualitatif à mes yeux qui est soutenu par une pochette au visuel apocalyptique sur lequel se côtoient 2 diablotins dignes d’une illustration moyenâgeuse (la connivence avec Sardonis n’est par ailleurs pas uniquement visuelle ; les anciens s’en souviennent) sur fond d’usines, rappelant la célèbre Battersea Power Station, qui crachent aux cieux leurs fumées sombres. Le ton est donné : pas d’ode aux Combis VW et aux arcs-en-ciel psychédéliques dans ce bestiaire même si « Graven » est plus abordable dans un style heavy rock/stoner bien appuyé ; il en va de manière similaire avec  l’intro de « Netjeret » qui fait illusion quelques instants avant de se prolonger dans un style plus doom et fort répétitif sur lequel les chants sont scandés.

La puissance bestiale est omniprésente sur cette production qui synthétise une certaine urgence récoltée du punk, une noirceur doom et une glauquitude connexe aux formations sludge des bayous du sud profond des USA. Le quatuor excelle dans le registre qui bastonne clairement sur un tempo vif : « Destitute » incarne ce registre à merveille et promet d’être un énorme bourre-pif en live. Le groupe est aussi particulièrement pertinent dans le répertoire qui tient en tension son auditeur comme il le réalise avec le long « Your Manifest » et ses relents ethno qui s’achève sur fond de chants proches de la chorale et des martellements martiaux alors que son riff central aura tourné durant de longues minutes sans jamais verser dans le bourrin, mais en maintenant constamment une ambiance digne de la folie rampant dans les couloirs des asiles d’aliénés. Ce dernier titre met un point final à un disque qui débute aussi de manière introspective avec « Frankie Leads To Death » qui prend toutefois rapidement la puissance d’un troupeau de pachydermes déboulant sur fond de guitares distordues.

L’univers de Nine Inch Nails est touché du doigt sur « Oceania », avec talent, avant que les Belges ne se rabattent sur un doom possédé qui se meut de manière lancinante. La tuerie ultime de cette pièce imposante demeurant « Hold Your Cross » qui est une plage proche du doom traditionnel à la britannique et qui s’achève de manière orgasmique dans une extrême brutalité avec des hurlements en français après quelques couplets chantés en langue anglaise (ça ne vous rappelle pas leurs compagnons de label ?). Cette fameuse plage de 6 minutes contient tous les attributs de séduction impératifs à un titre de doom sérieux empreint de noirceur.

Vous aurez capté mon propos : le Progerians nouveau est une énorme collection de tueries homogènes dans leur vernis sombre, mais se déclinant chacune à sa manière et  surtout chacune de manière très aboutie. A la fois novatrices de par leurs orientations artistiques et terriblement accrochées au doom/sludge traditionnel, ces deux plaques – destinées à un public averti – incarnent le renouveau d’un genre qui a parfois de la peine à évoluer sans se vautrer dans le n’importe quoi. The Progerians s’en prend à notre intégrité mentale avec panache en commettant une réussite au rayon lourd et dément ; merci Messieurs !

Lo-Pan – Subtle

L’EP In Tensions paru il y a deux ans nous avait permis de calmer notre impatience dans l’attente d’un vrai nouveau long format de la part du quartette de Colombus, Ohio. Pour rappel, cet EP venait aussi témoigner de la courte période de présence d’Adrian Zambrano en tant que guitariste de la formation – son successeur, Chris Thompson, étant déjà intégré au groupe à l’époque de la sortie de l’EP, sans avoir encore participé au moindre enregistrement toutefois. Manifestement le changement de line up leur convient, puisque ce Subtle représente la première trace vinylique du nouveau six-cordiste au sein de la formation nord-américaine. Ils confirment aussi, après un début de carrière porté par le tsunami Small Stone records, leur attachement désormais à Aqualamb Records, obscur label indé qui a notamment la spécificité de proposer (c’est le cas pour ce disque) de véritables petits livres (100 pages pour Subtle) d’illustrations diverses pour enrichir l’expérience sonore – une belle initiative dans un monde de sur-digitalisation… [aperçu du contenu en bas de page]

On se plonge dans ce Subtle avec un plaisir réel – ce qui fut toujours le cas avec Lo-Pan admettons-le rétrospectivement, leur carrière n’ayant à ce jour pas encore connu de faux-pas. Avec le coup d’arrêt marqué par Small Stone il y a quelques années, un grand nombre de combos U.S. proposant différentes variantes de heavy-rock fuzzé à forte dose d’adrenaline (et différents degrés de metal) ont un peu disparu du paysage, dispersés, freinés, voire arrêtés. Lo-Pan émerge donc désormais un peu plus de la masse, de par sa longévité maintenant confirmée, mais aussi grâce à ses signes distinctifs majeurs. Pour ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de découvrir le groupe, Lo-Pan est un groupe qui présente en particulier deux composantes très marquantes, des éléments bien distinctifs : le premier est un talent de composition très intéressant, où se mèlent puissance et audace. La plupart des titres proposent un heavy rock chargé en groove, dispensé à grands coups de riffs testostéronés. “A l’américaine”, serait-on tenté de dire, les mélodies sont travaillées et visent à l’efficacité. On citera volontiers pour en faire la démonstration des titres comme “10 Days”, l’emblématique “Savage Heart” ou “The Law & the Swarm”, exemples de chansons qui ne nécessitent pas 10 écoutes pour dévoiler le talent d’écriture du groupe. L’ensemble est dédié au sacro-saint riff, qui tient la baraque sur chaque chanson, comme il se doit dans cette mouvance musicale. Mais le groupe n’hésite pas à se jeter dans des plans plus techniques, audacieux, ambiancés, avecd es rythmiques plus nuancées et variées – ce qui rend ses albums jamais ennuyeux…

L’autre élément marquant dans le groupe est le chant : Jeff Martin, colossal (dans tous les sens du terme) vocaliste du combo depuis une douzaine d’années maintenant, apporte au groupe son caractère et – répétons-le – un élément différenciant de poids (sans jeu de mot cette fois…). Son chant est puissant, pas très grave (ce qui étonne toujours un peu en premier lieu) et propose finesse et modulations bluffantes à plus d’une occasion. Il faut voir par exemple l’identité qu’il apporte à “10 Days” avec un chant simplement posé sur la rythmique, sans jamais pousser, adossant aux riffs de Thompson un panel de mélodies vocales que l’on pourrait considérer comme un quatrième instrument en tant que tel. Sur “Ascension Day” il emmène le titre sur des niveaux de tension remarquables grâce à des envolées impeccablement maîtrisées. On mentionnera aussi sa puissance sur “A Thousand Miles” avec des chœurs bienvenus, ou encore “Butcher’s Bill”, propice aux nuances vocales.

On passe et se re-passe l’album ainsi sans jamais se lasser en réalité, bien content de retrouver le groupe toujours vivace et avec de bons signes de créativité. Le genre musical étant ce qu’il est, on pourra penser occasionnellement qu’un ou deux titres apparaissent un peu plus rébarbatifs et répétitifs – ce qui nous freine un peu au moment de considérer Subtle comme leur meilleur opus à ce jour… Subtle ne l’est peut-être pas (le meilleur) mais c’est est un foutrement bon disque en tant que tel. On espère maintenant les voir venir le défendre sur scène par chez nous.

 

(aperçu du livret en accompagnement du disque)

Giuda – E.V.A.

Les Transalpins se rappellent à notre bon souvenir en débarquant sur Rise Above Records pour leur quatrième long format après être allé poser leurs amplis le temps de sortir un album sur le label emblématique du punk à roulette scandinave Burning Heart. Les inconditionnels de la formation pourraient se demander ce que Giuda peut bien venir foutre sur ce site vu que jamais nos colonnes ne se sont ouvertes à leurs précédentes productions pourtant fort qualitatives que ce soit en ce qui concerne leurs albums ou pour ce qui est de la kyrielle de singles disséminés sur une tripotée de structures plus ou moins grandes – et plus ou moins indépendantes – qui font vivre la musique de qualité hors des circuits à l’attention du grand public. Il y a plusieurs éléments qui expliquent cette arrivée soudaine du fer de lance de la scène bovver mondiale : la première relève de l’opportunité et réside dans le fait que le label, aux sympathiques sorties, qui est en charge de « E.V.A. » s’est donné la peine de nous l’envoyer, mais ce n’est pas la principale raison. La motivation qui prime est le fait que cette production est, à ce jour, clairement la plus glam des Italiens, la plus vintage dans son travail en studio et nettement la plus kraut dans sa conception empreinte d’incursion électroniques (que quelques puristes de Giuda peineront peut-être à surmonter). Bref on est bel et bien confronté à un objet, d’un peu plus de 30 minutes, qui fleure bon les seventies et demeure fort abordable (vous pourrez même l’écouter avec votre flirt du moment sans être taxé de lourd c’est vous dire l’aubaine !).

Les Italiens qui contribuent fortement à la bonne santé du revival bovver entraînant dans leur sillage les Faz Waltz, Shandy et autres Hard Wax commettent ce quatrième album après une longue absence et celui-ci va peut-être l’éloigner de sa fanbase originelle, mais pourrait bien lui attirer la sympathie de néophytes d’un genre prisé des usagers des tribunes des stades de foot. « E.V.A. » est en deçà de ces prédécesseurs à la première écoute, mais après quelques écoutes on se prend d’affection pour la dernière livraison des Romains.

Des titres comme « No Place To Hide » constituant l’exemple parfait du brûlot efficace qui fait le tour de la question en moins de 3 minutes. Le riff de base est impeccable, la mélodie immédiatement scotchée dans la boîte crânienne et il devient rapidement impossible de ne pas frapper le sol sur le rythme martelé de manière très uniforme tout au long du titre. D’autres plages, telle « Space Walk » dépassent de 30 secondes le format standard sur cette sortie avec un tempi très ralenti et un groove brillant sur lesquels des collages ajoutent de l’épaisseur plutôt bien sentie.

Certes, nous retrouvons Giuda là où nous ne l’attendions pas vraiment, mais cette collision entre Yuri Gagarin, Uncle Acid & the Deadbeats, Orange Goblin, The Standells et Cock Sparrer est une belle plaque de rock seventies rafraîchissante à l’attention de mélomanes qui ont ouvert leurs esprits.

Point Vinyle :

La première fournée de pressage s’inscrit dans la tradition de la scène originelle de ce groupe avec l’amplification bienvenue : 100 exemplaires transparents, 200 pièces bleu royal, 300 exemplaires rouge et 300 rondelles noir originel. Et tout ça mes enfants ne concerne que la première salve car nous pouvons prédire de nouvelles éditions dans les temps à venir. Les iconoclastes du cd ont eux aussi droit à une version particulière : 1’000 cds rouge (je vous vois sourire derrière vos écrans, mais il en faut pour tout le monde !).

 

Duel – Valley of Shadows

Heavy Psych Sounds signe à tout va, il faut croire que son patron Gabriele Fiori (Leader de Black Rainbows) a la communication facile et l’accolade généreuse. Ceci n’empêche qu’il ne soit exempt de discernement et qu’il sache dénicher des talents. Depuis leurs débuts, le label soutient le quartet Texan de Duel qui fait tout de même office de groupe par lequel il est bon de passer. Et puisqu’on en est là il sera bon de passer par l’écoute de leur nouvel opus Valley of Shadows paru ce 17 Mai.

D’entrée avec “Black Magic Summer” on reprend l’écoute de Duel là où l’on s’en était arrêté lors de la précédente audition. (Et je passe volontairement sur le Live sorti entre deux). Les voix suaves sur nuage de saturation sont belles comme une pub pour un yaourt bon pour ta flore intestinale mais là ce serait plutôt dû à une bière aux propriétés surprenantes. On ne change pas de registre et on repart sur les routes poussiéreuses du Stoner avec “Red Moon Forming”. Duel c’est un son à l’ancienne qui ne s’encombre pas de recherches innovantes à outrance. Le groupe fait montre cependant d’efficacité. La voix de Tom Frank accompagnée de celle du bassiste Shaunt Avants sont un véritable booster pour les compositions. Bien souvent le chœur de guitares offre une pleine bourre de Heavy old school et ce n’est jamais cliché.

Ce qui est bien avec Duel c’est que tu sais où tu vas, on reste dans une sorte de confort constant d’un album à l’autre. Parfois on croise quelques petites originalités comme un passage qui semble vouloir prendre des airs martiaux sur “Drifting Alone” mais qui revient vite dans ce que fait si bien Duel en offrant une montée mélodique et émotionnelle fort plaisante. A relever aussi sur “Strike and Disappear” une sorte de slow Heavy 80’s, le sirupeux en moins… mais attendez… oh bordel, ça repart fort on se croirait presque sur un album de Motörhead! Je monte le son, ça joue fort, ça joue vite, ouaip ça joue Rock’n’roll! Comme quoi on a beau être sur une qualité constante on ne s’ennuie pas le moins du monde.

L’album clôture sur “The Bleeding Heart” qui est une fois de plus une pure démonstration (Hard) Rock et swing sévère en emportant l’auditeur très vite sur les routes du Stoner le plus échevelé. Ça tire fort sur les cordes à grand renfort de bends, la batterie de Justin Collins roule comme un éboulement de frappes taillées dans le granit. La basse plante ses notes comme un marteau pilon. Il n’est pas improbable qu’il s’agisse là du meilleur morceau de l’album si on arrive à accepter que la clôture du morceau se tourne vers des prières tibétaines (?) et ne tombe pas des plus à propos en finissant la piste bien curieusement, provoquant même la frustration de l’auditeur.

Si tu cherches un album Stoner avec un esprit classique, si tu cherches à te muscler la nuque, si tu veux recevoir une dose de notes bien senties, cet album fera ton bonheur. Pour ceux qui connaissent déjà et apprécient le groupe, vous pourrez y foncer les yeux fermés je vous garantis que vous y retrouverez vos repères. On déplorera probablement la durée de 37 minutes de cet album, ce qui est, convenons-en, un peu court, ainsi qu’un formatage systématique des pistes autour des 4 minutes. En conclusion Valley Of Shadows vient s’intercaler très logiquement dans la discographie de Duel et ajouter une pierre de plus à leur œuvre qui on le souhaite continuera de s’élever.

The Well – Death And Consolation

The Well qui a sorti Death and Consolation le 26 avril chez Riding Easy Records n’en est pas à son coup d’essai. Le trio Texan en est à sa troisième production et avait pas mal séduit  la rédaction avec son Samsara et avec sa dernière galette Pagan Science qui étaient joliment emportées vers des terres de psychédélisme ; pour moi la découverte de ce groupe en Live avait été une bien appréciable genèse. Cette fois-ci ils reviennent donc en annonçant la couleur, on va parler de mort et de consolation, tout un programme!

Différent du précédent, moins hippie, l’album attaque sous des abords probablement plus agressifs. Le titre confirme que ce Death and consolation est une œuvre plus sombre où transpire un certain mal être.

Si comme moi tu n’es pas amateur de voix chargées de reverb, il est probable que tout ceci te paraisse un peu long. J’ai dû m’accrocher pour approcher l’œuvre et doucement venir chercher les petites perles qui émaillent la galette. Comme sur “Raven”, où le jeu de piano staccato apporte un peu de légèreté et d’entrain. C’est là très peu de choses mais c’est assez efficace, je l’admets. Si je prends cet exemple c’est que les petites réjouissances sont légions mais parfois à peine perceptibles.  Jette donc une oreille sur “Freedom Above”. Ce morceau est assez indicatif de ce qu’est l’album et fait apparaître dans sa conclusion le chant en solo de Lisa Alley, la bassiste qui par son attitude lascive donne à penser qu’il aurait dû être plus exploité car il aurait apporté un réel plus à l’œuvre. Le chant est d’ailleurs une composante majeure de l’identité de The Well et le couple Ian Graham et Lisa Alley chargé de sa reverb quasi une signature. Néanmoins parfois l’aspect larmoyant du chant, son aspect plaintif, finit par lasser. On pourrait penser à du Doom mais il y a quelques croches de trop pour que cela soit vraiment définissable par ce biais.

Il apparaît dès lors logique que les cordes soient assez torturées, et régulièrement les slides joués au médiator sonnent comme un bruit de gorge, un râle ou une plainte profonde. S’y ajoutent des Riffs lourds, souvent sabbathesques comme sur “Eyes of a god” et de ce point de vue l’intro de “Act II” pose là un riff massif et bien senti dont l’efficacité est bien réelle.

Death and Consolation propose une succession de riffs et d’atmosphères sinueuses comme un serpent. Il vient s’enrouler autour de toi et te libérer, se lover et disparaître. C’est une pièce étonnante que cette galette. Tout à la fois appréciable et laissant froid par instant. Si tu veux voir de quoi je parle, la conclusion de l’album au relents de Doom, “Endless Night” avec ses sons de cloches et les hurlements de gratte t’offriront de terminer la plaque comme si elle se disloquait, et c’est une belle fin que nous propose the Well, quelque chose d’assez logique.

Death and consolation ne trouvera pas amateur du côté de ceux qui recherchent fraîcheur et légèreté, mais si tu as l’esprit un peu torturé et l’angoisse facile tout en t’y complaisant tu devrais y trouver ton compte. Il s’agit là d’un album un peu inégal mais certainement pas de mauvaise facture, l’inégalité étant sans doute annoncé par le titre même, Death and Consolation. Une sorte d’œuvre en deux temps. On s’y penchera pour culture et on fera l’emplette de la galette en se disant “Pourquoi pas!”, après tout il y a bien du talent dans tout cela et très probablement une façon unique d’aborder le genre.

Stone From The Sky – Break a Leg

C’est en 2017 que Stone From the Sky m’est venu aux oreilles et m’a marqué par son inventivité au travers de son morceau ” Inside The Dalek “. Sans s’y arrêter on pourrait croire à la première audition à un groupe de Psych Allemand, pourtant ce trio instrumental vient du Mans et sait y faire pour plonger son auditeur dans un univers psychédélique dense et fort en émotions qui avait déjà convaincu notre rédaction. Cette année les Sarthois reviennent avec un nouvel album et un plein d’expériences scéniques. Ils signent cette fois leur plaque chez More Fuzz Records sous le titre Break a Leg.

L’album débute sous des auspices gavés au peyotl. On imagine au détour d’une route l’envol d’un hibou au milieu d’un pays sauvage encore nimbé de brouillard. L’ambiance rappelle la force d’un Samsara Blues Experiment, ou celle d’un My Sleeping Karma. Stone From The Sky livre une musique apaisante et propice à l’introspection avec ou sans psychotropes.

Ambiance orientalisante sur “Vena Cava” équilibre parfait des basses et des médiums qui donne toute sa profondeur au morceau. “Therapsida” montre d’ailleurs à quel point le trio sait s’équilibrer avec une introduction qui monte crescendo basse puis batterie puis guitare. Chaque instrument est une pièce d’un vaste puzzle qui vole en éclat à grand renfort de pédalier puis se reconstitue de lui-même sans cesse tout au long des 9 minutes de la piste. La structure laissant parfois penser à celle d’un Mother Engine

La longueur des morceaux est notable avec trois pistes de plus de 9 minutes et rien en dessous de 4. Pour autant l’agencement se fait toujours bien et je ne suis jamais arrivé à me dire que la suite serait la bienvenue. Stone From The Sky raconte bien les histoires et sait tenir son auditoire en haleine.

L’histoire qui s’y raconte colle bien au titre “Animal”, une composition qui sent le fauve et libère les instincts primaires du groupe. Un morceau brut inséré assez violemment dans l’album d’ailleurs, ce qui est un peu dommage, la transition avec “Atomic Valley” laissant voir les coutures, mais rassurez-vous ce n’est qu’un détail. Les breaks puissants et justes du batteur surviennent sur ce titre comme une évidence et les trois s’associent une fois de plus parfaitement pour garantir une ambiance pleine et profonde.

Le mix laisse parfois place à quelques légers désordres, ne gommant pas le souffle des amplis sur la piste finale, “Rataxès”, mais qu’importe, on oublie de nouveau très vite l’incident pour se confronter au roi des Rhinocéros qui vient de sa marche pesante faire trembler le sol et faire vibrer l’âme. Il s’agit à mon sens du meilleur titre de l’album, il navigue entre Rock Psych et Post-Rock, entrant dans une catégorie indéfinissable que j’affectionne particulièrement. “Rataxès” est un titre tout en gravité et en lourdeur émotionnelle il donne berce l’auditeur et l’emporte sur son dos, ce morceau est tout simplement beau et on ne lira plus jamais Babar de la même façon.

Stone From The Sky livre avec Break a Leg un album complet et immersif où ne pointe jamais la lassitude. Il faut avouer le talent du trio et admettre que cette seconde galette est jouissive. Un album à recommander, à faire tourner et à partager. Pas la peine de le porter au pinacle, il se place haut de lui-même tout en restant accessible.

Pour en écouter un bout, leurs compositions sont disponibles ici.

Crypt Trip – Haze County

A peine un an après Rootstock, le trio texan remet le couvert avec une nouvelle galette de pur trip old school. Rien de révolutionnaire sur ce Haze County, et encore moins déstabilisant si vous connaissez les efforts précédents du combo. Un album complètement formaté 60’s/70’s (9 chansons, 35 minutes), droit à l’essentiel.

Dans la foison de groupes de « rétro rock » en activité, Crypt Trip se distingue par des petits détails. Les vocaux de Ryan Lee, clairs, puissants, et son timbre chaleureux, bien mis en avant par un mix très bienveillant à son égard, sont l’un des atouts du trio. Voir à ce titre le début de “Hard Times”, tout en subtilité, “Death After Life” (où son positionnement rythmique pourra rappeler certains plans de Magnus Pelander de Witchcraft), ou encore “Free Rain” cette fois en mode écorché. Pour le reste, la formule power trio, finalement assez peu usitée pour ce type musical, apporte une réelle valeur ajoutée : le dispositif étant propice aux prises de risques, les plans instrus s’enchaînent avec un réel plaisir d’écoute ; gageons que c’est en live que cette dimension trouve son principal intérêt. Dans tous les cas, la formule fonctionne, s’appuyant sur le talent de trois excellents musiciens avant tout (et même le batteur, avec, chose assez rare sur disque, un solo de batterie sur “Gotta Get Away”…).

L’identité musicale sudiste s’impose dès l’introductif instrumental “Forward” sur une base de pedal steel guitare enjouée et chaleureuse. Pour le reste, on retrouvera les racines texanes émerger de plusieurs titres ici ou là (le lick de guitare de “Free Rain” par exemple, mais surtout le duo formé par le boogie rock “Wordshot” et le country “16 Ounce Blues” et leurs généreuses rasades de pedal steel encore).

Haze County n’est pas l’album du siècle, mais c’est un très bon album de rock “revival”, qui tire son épingle du jeu à travers un disque solide, varié, pas prétentieux pour un sou, et intègre. On aimerait vraiment voir ces loustics en live…

Tia Carrera – Visitors / Early Purple (EP)

On va la faire light, une fois n’est pas coutume. Le trio texan aura mis plus de huit (!) ans à nous proposer une suite au bien nommé The Quintessential. Dans l’intervalle, ils auront tout au plus proposé quelques poignées de concerts essentiellement dans leur région, mais sinon, rien de neuf. Ah si, secret de polichinelle : le duo fondateur Morales / Conn a officiellement recruté Curt Christenson, génial bassiste de Dixie Witch (que certains auront vu assurer la rythmique de Unida sur leur dernière tournée européenne). Un bassiste avec autant de groove a vite trouvé sa place au sein du jam band ultime, et cela fait plusieurs années qu’il occupe le poste en live.

Visitors / Early Purple, donc, l’EP du jour, ne comporte que 2 titres. Vous devinez leurs titres ? Ben ouais : “Visitors” et “Early Purple” !… Deux petites perles de jam rock torride, pur jus (lisez notre interview du groupe si vous ne les connaissez pas, mais pour résumer, les gars ne jouent jamais le même morceau 2 fois, et donc sur disque, ils appuient sur “record” et… voilà !).

“Visitors” du coup met plus d’une bonne minute à se lancer et trouver sa voie petit à petit (ça commence vraiment sur la base d’une intro très approximative, comme un jam en salle de répèt). Petit à petit le riff principal se distingue et trouve sa voie dans un dédale de soli et de wah-wah, à travers des dizaines d’impros de guitare toutes plus géniales par Morales. Quand le six-cordistes lève un peu le pied, ses compères en profitent pour caler des séquences basse-batterie parfaitement groovy. Et le bébé dépasse les 18 minutes.

Plus costaud mais presque aussi long (presque 17 minutes), “Early Purple” lâche son master-riff dès les premières secondes, un riff que Christenson fera sien pendant de longues séquences, ce qui permettra à Morales de digresser pendant de longues minutes, sans jamais faire ombrage encore une fois à ses deux compères. Plus classique et plus efficace aussi, ce titre déroule sans jamais ennuyer l’auditeur.

Musicalement, Tia Carrera nous rappelle juste avec ce petit EP qu’ils sont toujours au top de leur game. Aucun groupe ne leur arrive à la cheville dans cet exercice casse gueule mais si excitant du jam absolu. En revanche, cette nouvelle modeste offrande nous permet juste de ne pas oublier le combo, mais ne suffit pas à nous rassasier après 8 ans de disette et toujours pas d’occasion de les voir en live… D’autant plus qu’on apprend que ces deux titres figureront sur leur prochain album… à paraître en 2019 ! Bref, on va arrêter la rigolade les gars, et sortir le vrai morcif, parce que les amuse-gueules, ça va bien 5 minutes…

The Lumberjack Feedback – Mere Mortals

Dans le métal avoir deux batteurs c’est comme avoir un Hummer avec 6 roues. Ça fait costaud et ça impressionne mais ça ne sert à rien. Voilà ce qu’aurait pu être mon postulat de base si à l’origine on m’avait vendu The Lumberjack Feedback par ce biais. Il faut dire que lors de mes premières écoutes je n’ai pas tout de suite réalisé la présence de 2 batteurs puis je me suis dit qu’un poulpe ne pouvait pas tenir de baguettes et qu’il fallait revenir à la raison. Après l’excellent Blackened Visions, voici revenus les doomeux Lillois pour leur seconde plaque long format, Mere Mortal, tremblez faibles créatures que vous êtes!

Si l’attaque est puissante (“Therapy” et “Kill! Kill! Kill! Die! Die! Die!”) Mere Mortals est surtout hypnotique et organique, telle est ma vision de ce que le Doom français fait de mieux en ce moment. The Lumberjack Feedback prend aux tripes et à l’âme. Il ne s’agit pas d’un Doom monomaniaque et vulgaire, non, les temps, les compositions, la fluidité des notes plongent l’auditeur dans un bain unique. S’il est visqueux il est également apaisant et redonne de l’énergie, “New Order (Of the Ages) Part 1” en est l’exemple parfait. L’art des bienfaits du mal-être en somme.

Les cordes se tendent, gémissent comme à l’agonie. Mere Mortals est un champ de bataille particulier où tout est harmonieux et terrible. Les titres les uns après les autres montent à l’assaut, sans crainte, avec détermination et seule point dans leur chant la mélancolie de ces notes condamnées à s’éteindre au service d’une cause qui les dépasse. La facture martiale de l’œuvre de The Lumberjack Feedback est certes notable mais il y a bien plus que cela. C’est une œuvre vivante et intelligente qui puise dans les sentiments de l’auditeur autant que dans ceux des interprètes, à n’en pas douter.

The Lumberjack feedback parle de la mort mais aussi de l’univers. Il est de ces groupes qui attendent la fin des temps et embrassent pleinement cette perspective en simples mortels (Mere Mortals) qu’ils sont. Ne s’encombrant toujours pas de chant, le groupe tourne son Doom vers un Post Métal d’excellente facture, plus sombre encore qu’un Russian Circles mais tout aussi prenant. La musique y est obsédante et l’avalanche déclenchée par les deux batteurs semble ne vouloir jamais s’arrêter. Les cordes viennent apporter une tension insoutenable, laissant entrevoir l’explosion qui se prépare et respecte ainsi les préceptes d’un Alfred Hitchcock en matière de suspens. Mere Mortals s’écoute de bout en bout, chaque titre étant indissociable des autres.

Bien que l’œuvre soit sombre, elle s’ouvre vers quelque chose de plus lumineux vers sa conclusion, sur “A White Horse Called Death” en particulier. Une apogée en oxymore musical où les notes se font de plus en plus rares et où les accords plaqués vibrent longtemps comme dissociés des temps des batteries, comme deux partitions distinctes qui s’allient par un heureux hasard. Puis la clôture se fait avec “Kobe (Doors of Spirit)” et un retour à des coups de fouets rapides et étoffés. La fin du monde se sera faite en 48 minutes avant que ce dernier ne revienne à la vie. Le temps est une illusion, cela n’aura duré que l’espace d’un éclair et il faudra vite se rejouer le film encore et encore.

Une fois de plus The Lumberjack Feedback conquiert son auditoire avec un style particulier naviguant entre deux eaux. Mere Mortals est une œuvre faite d’âme et de cœur. En Sept pistes on retrouve déchaînement de violence et calme en faux semblants, mobilisant chacun des sens de l’auditeur. Ce dernier ressort de l’expérience augmenté et comblé. Il s’agit là d’un album à acquérir, à faire revivre aussi souvent que possible jusqu’à l’usure tant est qu’il soit possible d’en sonder l’entièreté!

 

Shotgun Sawyer – Bury The Hatchet

Le trio Californien de Shotgun Sawyer en association avec Ripple Music vient enterrer la hache de guerre par le biais de son second album Bury The Hatchet. Il faut dire que leur premier album sorti en 2016 Thunderchief avait quelques relents guerriers avec un artwork à base de chasseur bombardier F-105 ayant servi notamment au Viêt-Nam (Et très accessoirement le plus lourd de l’histoire dans sa catégorie, à bon entendeur…). Cette fois-ci Shotgun Sawyer est rentré au pays, et après avoir cramé le Delta du Mékong le trio se ressource dans le Delta du Mississippi.

Bury The Hatchet est un album particulier, bien qu’il hésite entre les genres il semble vouloir retrace l’histoire d’un pan de la musique du blues au heavy. Les influences sont nombreuses et classiques. Le tout nécessitant de l’application dans l’écoute.

L’influence de Led Zeppelin se fait sentir dès les premiers morceaux, la basse si on s’y arrête enchaine les plans et seraient à même de faire penser à “Communication Breakdown”, cette dernière associée à la batterie sur “(Let me) Take You Home” fait songer à un “Moby Dick”

Côté chant il manque peu de grain pour qu’il soit totalement sexy. On trouvera aussi dans cet album du ZZ Top avec l’intro de “Hombre”, du Steve Ray Vaughan version light sur “When The Sun Breaks”. A vrai dire, si l’album a cette couche heavy qui place Shotgun Sawyer parmi le groupe de pure Stoner, il est clair qu’on a entre les oreilles aussi un pur groupe de blues. De ceux qui cultivent la tradition du storytelling à la façon d’un Muddy Waters, le morceau le plus parlant à ce sujet étant sans doute “You Got to Run” qui évoque des souvenirs fictifs avec son “When I was a young boy, Mama tell me Son […] You got to run!”

Alors attention à ne pas vous méprendre, la couche blues est bien omniprésente, mais on parle bien de rock Heavy, peut-être pas le plus métal de tous, certes, mais les amplis envoient la saturation bien comme il se doit et il n’y a pas de hors sujet. Les slides à coup de bottleneck émaillent la galette et c’est bien une des facettes de Shotgun Sawyer, un son à l’ancienne, natif américain. Un son qui bien souvent prend l’auditeur pour l’emmener s’en griller une avec un bon verre de Bourbon. Ce son qui gentiment emmène l’auditeur depuis ce qui devait être un simple moment de détente vers un peu plus d’excès et au final te laisse dans le caniveau avec “Shallow Graves” et son Crunch enivrant comme une biture de première, arrivée par surprise

Bury The Hatchet ne se placera pas dans les monuments du genre, il y a quelque chose d’un peu trop superficiel dans tout cela mais passé se constat, l’ensemble tient la route plutôt pas mal, encaisse les assauts des écoutes répétées et offre un bon moment de détente. Au final Shotgun Sawyer reste dans la lignée de ce qu’il avait produit lors de sa première sortie. Un de ces groupes que l’on écoute quelques fois afin de se faire une opinion et sur lesquels on peine à se dire que l’on est totalement convaincu avant de le ranger dans un coin de sa mémoire. Cependant, il y a fort à parier qu’une fois que l’on retombe dessus dans sa discothèque après que le temps ait fait son œuvre, on le ressort avec  nostalgie et l’impression d’être passé à côté de quelque chose avant de le remettre à tourner sur sa platine quelques fois d’affilée.

 

Sunn O))) – Life Metal

On ne sait jamais vraiment quoi attendre d’un nouveau Sunn O))), au-delà de l’événement en soi. Pour l’auditeur qui en fait l’acquisition, c’est généralement un gros point d’interrogation qui met systématiquement plusieurs jours ou  semaines à se décanter.

On peut évidemment se projeter sur une « tendance » au regard de la discographie du groupe. Ce prisme apporte déjà son lot de perspectives : après un ode à la noirceur bien nommé Black One, puis une démonstration en songwriting obscur à travers un Monoliths & Dimensions qui repoussait en tous sens le cadre conventionnel, le duo protéiforme s’était montré plus « canalisé » avec un Kannon qui proposait un triptyque massif et plus homogène. Une formule qui appuyait la maturité du groupe, et affirmait sa vision extrême de la musique – et en même temps un exercice en nuances dans un cadre drone qui apparaît par nature au profane comme monolithique et statique (à ce titre, les collaborations Terrestrials et Soused qui ont amené la transition à Kannon semblent, avec le recul, avoir été des éléments plus structurants qu’il n’y paraît).

En tous les cas, cette évolution trouve sa continuité dans Life Metal : l’objet est une démonstration de densité et en même temps de cohérence. Une cohérence sonore d’abord : le duo a beau s’être fait plaisir en terme de subtilités de sons de guitares, effets, amplis, etc… l’auditeur un peu simpliste – à l’image de votre serviteur – n’y verra pas d’énorme nuance sonore dans les sons de guitare(s), qui sont quasiment le fil rouge instrumental de la galette. Plus globalement, la production de ces quatre monolithes musicaux (quatre plages, 1h10min au garrot… un beau bébé à digérer !) restitue cette cohérence de fond – ce qui était probablement l’un des résultats attendus par l’enregistrement « très analogue » (une démarche particulièrement intéressante pour un album de drone) obtenu en recourant aux services de Steve Albini.

Cette base étant établie, les différents morceaux vont finir de donner le ton du disque. Quatre morceaux donc, comme autant d’expériences différentes. Le premier titre et aussi le plus accessible, « Between Sleipnir’s Breath », déroule son riff majestueux et ses harmonies de leads aériennes, qui pavent le chemin aux vocaux de Hildur Guðnadóttir, en chœurs, qui apportent une sensibilité inédite à ce morceau puissant : le contraste entre la fragilité de la voix de la musicienne islandaise associée au son de guitare pachydermique, en fond, est d’une grande efficacité (une technique déjà entendue chez Sunn O)))… avec d’autres types de chant !). La seconde pièce maîtresse est « Troubled Air », où chaque accord de guitare est amené aux frontières vibrantes du feedback, poussées dans leurs retranchements par un SOMA toujours sur la brèche. Force du morceau, il est accompagné du clavier/Moog de TOS mais aussi d’un arrangement d’orgue grandiloquent (mais pas prépondérant) pour un apport mélodique bienvenu, qui empêche constamment le titre de pencher « du côté sombre ». Classieux et puissant.

S’ensuit le plus « classique » (toutes proportions gardées) « Aurora », morceau le moins accrocheur de l’album, qui déroule ses 19 minutes d’échanges intriqués entre les six-cordes de Anderson et O’Malley et une fin abrupte plutôt surprenante (ils avaient pourtant le temps de structurer une fin plus « soft »…). On a du mal à qualifier un morceau de 20 minutes de « titre de transition » mais on n’en est quand même pas loin… Surtout que la pièce qui vient clôturer l’album, « Novae », est l’un des points d’orgue du disque. Long de presque une demi-heure, il installe d’abord une ambiance sournoise à base de riffs bien catchy et d’orgue (plus l’haldorophone de Guðnadóttir qui pleure en fond), puis décolle plus loin petit à petit vers une atmosphère bien moins suffocante au milieu du morceau. Là, toute l’instrumentation s’interrompt pour écouter barrir (si si) le violoncelle de l’islandaise, qui amène un segment de drone bruitiste de dix bonnes minutes, comme une respiration, avant un retour en clôture à un riffing plus « traditionnel ».

Inutile de préciser que l’on ressort lessivé de l’écoute attentive (car une écoute « en musique de fond » est aussi possible, mais de moindre intérêt) et répétée de Life Metal. Comme toujours avec Sunn O))), les sourires goguenards de l’auditeur s’enchaînent avec les froncement de sourcils dubitatifs et les yeux écarquillés de surprise, en particulier dans les premières écoutes. Mais sur Life Metal au même titre que pour Kannon, l’écoute intégrale du disque devient vite une séquence intéressante en soi, au-delà de l’écoute ponctuelle d’un ou l’autre de ses titres. On aime l’album ou pas, mais on l’aimera comme un tout, et pas certains titres et pas d’autres. L’ambiance générale, moins traumatique et pesante que sur leurs albums précédents, rend les choses d’autant plus intéressantes, et oblige à se concentrer sur la musique elle-même, un drone puissant, exigeant, esthétique, basé sur les instruments et les musiciens, plutôt que sur les machines et la technique. Et dans ce secteur, Sunn O))) règne en maître.

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