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Quand le duo le plus malfaisant du petit monde des musiques sales nous offre un disque à la pochette d’un blanc virginal uniquement décorée d’une fleur on est en droit de se demander s’il n’ y a pas une entourloupe.
Après avoir délicatement posé le bras de la platine sur le microsillon on découvre un morceaux calme et poétique où une voix féminine est accompagnée de plusieurs nappes de sons qui montent progressivement en évoluant de plus en plus vers la noise, ouf ! nous voilà rassuré : The Body est toujours porté sur les plans glauques.
Entouré cette fois encore de l’Assembly of Light Choir (une réunion d’une vingtaine de chanteuses basée à Providence, si si rappelez vous, le pays de Lovecraft) et pour l’occasion des zickos noise de Work/Death et de Ryan Seaton de Callers (wtf?), The Body continue sur sa lancée et prouve que même enfoncé dans la crasse jusqu’au cou on peut encore évoluer .
L’apport des parties chant de l’assemblée prouve qu’elles ont bien choisi leur nom car sans elles, le disque ne serait que noirceur et désespoir. De quoi faire passer Neurosis, Crowbar et autre rigolo de la scène sludge pour des musiciens de cirque. Le groupe serait plus à rapprocher de Khanate pour son penchant aigu pour les ambiances sombres et porteuses de malaise.
Le son est ici un condensé de saturations, de bruits et de contrastes, tout comme le disque qui combine des moments dépressifs au plus haut point et des parties lumineuses et porteuses d’espoir, le mix réussit à faire cohabiter tous ces sons ultra sales et distordus avec des violons et des chœurs si clairs.
En parlant de voix, celle du chanteur est l’exact opposé de celle des choristes, hurlée, à bout de souffle, déchirée, sans chaleur ni joie (no joy, ça vous dit quelque chose?), elle nous rappelle que si l’existence humaine est faite de promenade au soleil, de méditation et de recueillement, on se retrouve parfois en tête à tête avec l’inquisiteur général et dans les sous-sols qui lui servent de réserve.
Malheureusement l’effet est un peu gâché par le coté monocorde de celle ci, comme souvent lorsque l’on abuse d’un effet il perd en intensité (voir «Failure to Desire to Communicate» par exemple). Heureusement les ambiances sont variées et en arrivant au morceau suivant il y a toujours un regain de d’intérêt.
Quoiqu’il en soit je n’aimerais pas assister aux prises de chant en studio, j’espère qu’il existe un équivalent à la crème Nivea pour la gorge …
Ce disque me confirme que chez Thrill Jockey Records on aime les projets atypiques mais de haute qualité, dans un autre style ça me rappelle Relapse il y a quelques années. En tout cas très beau boulot de leur part en ce qui concerne le LP, on se retrouve avec un double 12” à lire en 45T (qualité max assurée !) dans une pochette en carton bien épais avec une impression superbe.
Pour une dégustation optimale, je vous suggère de mettre cet album en fond le soir pendant que vous lirez le dernier Disque-monde avec votre chat sur les genoux. Haaa non merde je me trompe de chro ! Bon alors plutôt en visitant les catacombes du mont Saint-Michel (je ne sais même pas si il y en a …).

J’ai toujours aimé me faire surprendre par un groupe, une musique, un album. Vous savez, cet instant où l’on bascule dans un monde que l’on n’attendait pas, distraits que nous étions, occupés par quelques tâches qui semblent, maintenant, superflues. Voilà, je dois vous parler de « Eve » (prononcez Yves mais enlevez-lui la moustache) de Ufomammut. Cet album paru en 2010 et qui, désormais, résonne en moi comme un exutoire cathartique, nécessaire et régulier.
Lors de la première écoute, mes oreilles intriguées revenaient sans cesse sur le développement de cet album, sur son incroyable cohérence et son fil directeur froid, à vous foutre les jetons. « Rhôôôô, on dirait une seule chanson » me dis-je, « une seule et même composition, tentaculaire et progressive » pensais-je même. Bien vu l’aveugle. Quand Ufomammut parle de « Eve », il l’entrevoit comme un seul morceau, découpé en 5 parties pour des raisons pragmatiques.
Ainsi, les plages I, II, III, IV et V déroulent, sans qu’on y trouve une once d’éléments incohérents. Elles développent un doom puissant et aérien qui serpente sur des plages de calme avant de vous étouffer, python-esque métaphore, dans ses phases de furies telluriques. “Eve” est en soi une progression, une histoire, l’écho d’un floydien “Atom Earth Mother” pas si lointain. Aaah, la comparaison est lâchée ! Dès qu’un morceau un peu long développe du cristallin et du malsain, dès qu’un cerveau acidulé se penche sur un instrument, la référence aux anglais apparaît. Pourtant, elle est foutrement juste pour le trio italien. Ses vocaux incantatoires se perdant dans la réverbération, cette basse qui lie les 45 minutes de l’album morceau, ces montées orgiaques explosant le moindre cil auditif . Le premier chapitre, “I”, vous laisse chancelant comme une merde après 15 minutes d’attaques non-stop, de vagues d’assauts sonores exponentiellement bourrines. On titube, hagard, la nausée nous envahit quand les notes angoissantes du II ième chapitre nous prennent. Voix en arrière plan, notes dissonantes, samples directeurs, lignes simples de guitare et puis, à nouveau, une explosion de sludge psychédélique. La honte et l’excitation d’enfreindre la morale suinte par toutes les idées de cet album. Ralentissement. Oh, juste une respiration pour mieux nous scarifier le cerveau avec un III ème mouvement brutal, rêche, dégueulasse qui bascule dans le versant sombre du psychédélisme. Vous savez, ce moment où sous psychotrope, vous avez conscience d’être perché et qui entraîne inévitablement le bad-trip. Le dernier mouvement de « Eve » est un quart d’heure de combat intense, pas contre la machine, non, mais contre le créateur. Ufomammut pousse le volume encore plus loin, la hargne encore plus fort, ils font littéralement dégueuler le doom de la platine. Puis ils concluent ces 45 minutes blasphématoires par les trois notes angoissantes qui parcourent la galette de long en large à la recherche du Malin.
Oeuvre totale, morceau magistral, « Eve » est une plongée dans l’évolution de la brutalité, dans la beauté de la transgression. De penser que les italiens aient composé ce morceau fleuve en partant d’une meuf qui a mangé une pomme, je n’ose imaginer la B.O. qu’ils pourraient sortir pour la « Grande Bouffe » de Marco Ferreri. Gros album. Grosse performance. Gros Groupe.

On sent chez les normands de Sons of Apache l’envie de bien faire. Du kit promotionnel reçu (bio, stickers, démo) à l’écriture des compos, il ressort du combo une énergie à faire pâlir de honte une batterie d’Iphone.
L’EP sorti en 2013 par l’entremise du label Nek-ros se compose de 5 titres aux influences variées, le groupe se réclamant aussi bien de Karma to Burn que de Tool ou Jimi Hendrix. Bref ça brasse large et c’est ce qui perd un peu les compos. L’ensemble mériterait un travail d’épure un peu plus poussé à mon sens. On se retrouve avec du bon riff stoner, celui de « Mammoth » par exemple mais certains choix me font sortir du morceau (traitement de la voix, solo de fin). « Amnesty for the green sun » mérite le détour avec son délié de guitare et son jeu de batterie qui traîne du côté du « Whitewater » de Kyuss. Le morceau trouve aussi son sens dans l’équilibre du mix où la basse ronfle plus que sur les autres morceaux et c’est tant mieux tant elle semble esseulée par moment. Depuis un an le groupe doit dérouiller ces titres sur scène et nul doute qu’ils ont pris de l’épaisseur.
Il sera intéressant de suivre l’évolution de Sons of Apache quant à l’écriture de leur musique. A l’image de « Amnesty for the green sun » qui est limpide dans sa construction, dans la volonté de ne suivre qu’une ou deux idées par titre, leur musique mérite cette simplification. Car lorsque les musiciens parviennent à cet équilibre, on se laisse volontiers porter par leur univers.
Par là: http://sonsofapache.net/node

Le gang de grizzly est de retour. Seulement un an après avoir enfumé les esprits avec leur « …And Justice For Y’ALL », les voilà qui nous assènent un nouveau gros coup de patte velue intitulé « Sixteen Tons ». Toujours remasterisé et ressorti pour la première fois en vinyle grâce à Season Of Mist, que nous réserve donc ce deuxième opus ? Eh bien les trois de Caroline du Nord en ont fini avec leurs digressions punk/metal du premier méfait, ici on ne parle que sludge ou doom gras. Toujours avec Billy Anderson derrière les manettes, le son massif est reconnaissable entre mille dans le noir de la tanière. Seule la voix semble plus lointaine, toujours outrageusement éraillée mais cette fois la hargne de l’ours mal léché vient du fond d’une caverne.
La basse mène toujours les débats de sa lourde et crade disto, lance les riffs pâteux comme une langue de lendemain de soirée et groove la baraque, bien soutenue par une batterie tout en cymbales. La six-cordes n’est pas en reste, tout aussi sale que sa camarade à quatre cordes, avec ses soli délicieusement désuets. Le trio semble avoir voulu enfoncer le clou après la bonne réception du premier opus. Mais c’est avec un clou rouillé et à mains nues qu’ils font le boulot. Pas de concession, le riff addictif de « Bull » dès la première chanson n’empêchera pas le doom crade plié en 2 min 30 s de « Time Served » dès le troisième titre. L’efficacité est toujours de mise avec des titres ramassés, véritable condensé de boueuses idées dégorgeant le whisky frelaté et les cigarettes contrefaites. Quand Weedeater prend le temps comme sur « Dummy » ce n’est pas pour s’épancher ou virevolter, non ce n’est que pour mieux contenir la rage dégoulinante de la bête blessée qu’ils sont.
Les grizzly sont partis à la chasse et n’ont ramené que de l’herbe à chiquer. L’instrumentale « #3 » donne la part belle à des samples de film avant que la basse acoustique de « Woe’s Me » prenne le relai. Blues de fin de soirée, quand l’oxygène a totalement cédé place à la fumée, que les verres collent au comptoir imbibé du sucre de l’alcool qui y a précédemment coulé à flots. A partir de là la répétition outrancière des riffs de « Buzz » nous fera croupir un peu plus face à la puissance bestiale du trio. Weedeater est en train de graver de ses griffes une épitaphe sur le bar. « Lines » redonne un semblant d’énergie, la bête n’est pas abattue, elle a encore envie d’en découdre. « Riff » nous enlise de nouveau dans le côté doom du sludge des américains, nous voilà véritablement aspirés dans le bang de ces messieurs, et ils nous font grassement bullés avant de nous expirés par « Kira May » instrumental tout en douceur.
L’empreinte indélébile de la baffe que vient de nous administrer Weedeater est maintenant gravée dans nos cages à miel.

Stone the crow… avec un pseudo pareil, emprunté à une chanson de Down, le gang de la Nouvelle-Orléans emmené par Pepper Keenan et Phil Anselmo, on s’attend forcément à un périple malsain dans la moiteur du bayou.
C’est chose faite dès l’intro lancinante de The rope, premier morceau de ce « From rope to oath », concept album et opéra rock, tendance lourd, voire même obèse, en 7 chapitres. On l’aura compris : le combo de Lyon ne vient pas de Calais et ne fait donc pas dans la dentelle !
Nos rhodaniens explorent une multitude d’ambiances et mélangent savamment décibels plombés, vocaux d’outre-tombe, et passages mélodiques très « Southern » à l’instar de l’excellent The truth, the grave and the owl et ses sublimes intermèdes acoustiques.
Stone the crow lorgne définitivement vers des Crowbar ou Eyehategod et se pose d’emblée en porte-drapeau du sludge made in France. Le Rhône a définitivement des airs du delta de Mississippi.

Cinq ans pour accoucher d’une nouvelle production, là où ils n’avaient jamais dépassé les trois ans d’écart entre deux albums, c’est un peu beaucoup. Surtout pour 35 petites minutes de musique… Et en plus, difficile à trouver, ce disque, obligé de le commander chez le disquaire, d’attendre… Une fois la galette entre les mains, enfin, notre estomac ne fait qu’un tour devant le vomitif artwork qui orne sa pochette. Bref, vous le sentez, on n’entame pas cette chronique avec la plus naïve bienveillance.
Premières écoutes, bon, on revient un peu à la raison : on retrouve nos emblématiques californiens là où on les attendait, et ce constat en soit est finalement confortant. Fu Manchu c’est un peu le gardien du temple, le phare qui guide les âmes perdues vers le chemin de la perpétuelle rédemption musicale… Pas de guests, pas de perturbation externe (ils produisent eux-mêmes le disque, en composent l’intégralité…), les bonhommes se retrouvent, font un nouveau disque de Fu Manchu et partent sur la route. Rien de criticable en soi.
Les premières écoutes de ce Gigantoid, passé donc le petit sourire en coin (“ah les cons, ils nous l’ont refait”…), laisse quelque peu circonspect. On a beau les aimer de manière irrationnelle, nos Fu, on aimerait aussi inconsciemment les trouver à la pointe du genre, en leaders innovants, capables de “tracer” la voie. Or là, rien de bien neuf a priori. Mais au bout du compte, les écoutes suivantes se révèlent plus satisfaisantes, car insidieusement on retrouve des choses très intéressantes sur ce disque. Même si “Dimension Shifter” figure probablement dans les meilleurs titres de la galette, il n’apporte pas grand-chose de neuf, au-delà d’une paire de riffs bien patauds, de soli impeccables, et globalement d’un son fuzzé qui fait plaisir. “Invaders on my back” en revanche entame une passerelle que finira de renforcer plus loin le brutal et expéditif “No Warning” (1 min 25) : un pas bien tranché vers un skate punk californien typique des productions du début des années 80 du côté de Venice et Long Beach. Certains titres plus dispensables (le pitoyablement titré “Anxiety Reducer”, le trop mid-tempo “Radio Source Sagittarius”) alternent avec des morceaux plus intéressants (l’alambiqué “Mutant”, un titre plus couillu qu’il n’y paraît, ou encore le groovy “Evolution Machine” et le puissant “Triplanetary”). Le tout se conclue avec talent par un titre de presque huit minutes, “The Last Question”, un titre nonchalant dans sa rythmique mais qui ne manque pas d’une certaine audace : on y trouve notamment un saxo en appui du refrain, et une seconde section où la basse de Davis dresse une nappe d’un groove incroyable pour porter des grattes en son clair ou aux sons spacy du meilleur goût.
Au final donc, Fu Manchu ne déçoit pas, mais ne révolutionne rien non plus. On a l’impression de dresser le même constat depuis les quinze dernières années du groupe, ce qui peut désarçonner au premier abord. Pourtant, la musique du quatuor se porte bien, on sent les musiciens challengés et impliqués dans ce qu’ils jouent, disposant d’un espace de création balisé, certes (par eux-mêmes), mais propice à des surprises subtiles et bel et bien présentes, là où on n’en attendait plus trop. Gigantoid n’est pas le meilleur album du groupe, mais il est sans doute le premier depuis une grosse décennie qui nous laisse croire et espérer que leur meilleur album n’est peut-être pas encore sorti, ce qui en soi est une petite révolution.

(2013)
Quatuor en provenance du grand nord, Evil Can Evil nous vient tout droit de Québec et malgré un son très moderne envoie du gros blues rock à l’ancienne .
Ici on joue bien droit dans ses bottes, la batterie en devient martial pendant que le reste des zicos groove au max, le résultat évoque ZZ Top période Eliminator.
Les bougres ont le chic pour trouver de bon riffs mais les font tellement revenir qu’on finit par s’en lasser. Dommage, en étant plus concis les morceaux seraient sacrément plus efficaces.
L’album oscille entre Stoner, Blues et Rock sixties, certaines mises en place et surtout l’approche global des morceaux rappellent ces groupes de Rock qui s’approprient les débuts du rock n’ roll en y injectant l’énergie du hard rock et la hargne du punk.
Ils chevauchent peut être l’hiver mais leur musique est bien chaude !

Autant commencer par là, ce groupe n’invente rien et ne va pas révolutionner votre façon d’écouter du doom . Voila, maintenant que vous êtes au courant, il faut aussi avouer que ce disque est super bien foutu et qu’on tape régulièrement du pied .
ça commence par un morceau instru bien ficelé, tendance gras et lourd à souhait, le son est là et le sens du riff aussi . Cool, c’est déjà pas si courant en ce moment …
Sur « Welldweller », le 2ème titre, le soufflé retombe lorsque le chant arrive, pas passionnant ni très habité tout ça. L’ambiance est un peu plombée et on est en plein dans le défaut majeur du groupe : plat et peu original.
Mais à nouveau je me retrouve à battre la mesure sur l’ouverture du morceau suivant, riff Sabbathien, nappe de chant, là, ça pète !
Au fur et à mesure de l’album la voix passe mieux et lorsqu’elle se couvre d’effets, ça fonctionne vraiment bien, le groupe se trouve une personnalité plus marquée et l’ensemble gagne en cohérence.
Rien que pour certains riffs de gratte et le son de celle ci, ça vaut le coup de se pencher sur l’album .
Pour jouer aux jeux des ressemblance, je rapprocherais le groupe d’Electric Wizard et de Spider kitten .
Un conseil pour finir : mettre le volume à 11, c’est toujours mieux avec ce genre de zik.

Doucement, sans grands changements fondamentaux, Yob continue album après album d’explorer les tréfonds de la musique heavy. Le trio d’Eugene, Oregon est désormais une référence en matière de doom caverneux aux pourtours souvent lumineux dont il est très difficile de rendre compte avec de simples mots. Depuis The Elaboration of Carbon, chaque opus est une entité figée, rendant compte de la puissance émotionnelle que le doom peut charrier, blues d’apocalypse ayant reconnu en Mike Scheidt la voix de son maître. Catharsis, The Illusion Of Motion ou The Unreal Never Lived sont autant de bijoux inclassables ne ressemblant à nul autre, pas même à leur prédécesseur. Pourtant, malgré une discographie sans faille, la notoriété de Yob est restée plutôt confidentielle les premières années, amenant même Scheidt à prendre la décision de saborder son projet musical en 2006. Depuis sa sortie du coma trois ans plus tard, le trio bénéficie d’un regain de popularité notable et enchaîne les festivals et prestations dantesques au Roadburn, refuge évident des plus grands groupes de doom et affilié, où les natifs la bande à Mike Scheidt, désormais épaulé par Aaron Rieseberg et Travis Foster, sera toujours le bienvenu. Cela étant, le nouveau trio cherche toujours a graver sur disque une preuve sonore aussi à la qualité aussi évidente que ce que la première mouture du combo avait proposé. En effet, si The Great Cessation et Atma comportent quelques titres dont l’efficacité live n’est pas à discuter, l’épreuve du temps n’aura pas permis à ces deux disques de se hisser à la hauteur des standards de la première période. Sentant pourtant qu’il traverse une période créatrice prolifique, Mike Scheidt multiplie, à partir de 2012, les collaborations et side project, inscrivant son nom dans les livrets d’albums de Lumbar, Red Fang, VhöL ainsi que dans celui d’un hommage à Townes Van Zant, tout ça sans compter le temps que lui a pris le travail sur la réédition de Catharsis chez Profound Lore. C’est dans cette atmosphère riche qu’il s’attèle à la composition du septième album de Yob, à jamais le grand projet de sa vie.
Publié à l’orée de leur énorme tournée de 6 semaines en Europe, cet opus est en tout point magistral : composé de quatre titres dantesques à la palette émotionnelle variée, Clearing the Path To Ascend est enfin l’album de référence attendu depuis presque dix ans. Si « In Our Blood » qui commence le disque est un titre classique dans la droite lignée des habituels morceaux d’ouverture de Yob (« Aeons », « Ball Of Molten Lead », « Burning the Altar », « Quantum Mystic » etc.), lente descente dans les contrées doom magnifiée par la voix suraigüe de Mike Scheidt, « Nothing to Win », le titre suivant est de loin le plus violent de la discographie du combo. Ouvert par un riff rappelant Morbid Angel, il maintient tout du long une tension énorme, ne s’aérant que le temps d’un pré-refrain dantesque. La suite semble montrer la nouvelle voie que s’en va explorer Yob : « Unmask The Spectre » hypnotise par sa sensibilité toute en lourdeur, glissant quelques plans grunge dans cette perfection prog/doom, continuant à explorer un peu ce que The Illusion of Motion avait initié, prenant ce qu’il faut chez Neurosis et l’emportant plus loin sur le chemin du metal sombre. Mais la vraie réussite de cet opus le clôt : « Marrow » (moelle) n’est rien d’autre qu’une pièce de près de 20 minutes dont la perfection en matière de sensibilité et de puissance est saisissante. Très Neurosienne dans sa composition, elle transpire pourtant par tous les ports la spiritualité de Scheidt (ce dernier est très porté sur la culture bouddhiste et les arts méditatifs). L’ajout de quelques nappes d’orgue (jouées par Billy Barnett, technicien qui a enregistré les derniers opus du groupe) donne un relief mélancolique supplémentaire au spleen véhiculé par ce titre, clôturant l’un des albums de la décennie. Simplement.
Point Vinyle :
C’est à Relapse Records qu’il échoit de publier la version vinyle du disque. Le travail est remarquable, contenant des impressions métalliques dorées (les 3 lunes) sur la pochette, la tranche, et la back pochette, petite attention permettant d’apprécier à sa juste valeur le magnifique travail de design d’Orion Landau (l’un des boss de Relapse Records, ayant un nom à figurer dans Star Wars). Il s’agit d’un double LP, proposé en 5 pressages (regular black, regular black 180g, gold, grey and clear).

(août 2014)
Nouveau venu dans le paysage Stoner Français, Tackleberry a tout de même de la bouteille, Romain, fondateur du groupe était en effet déjà derrière Soleil Vert et Medlar For Weasel et certains de ses comparses officiaient dans Slavery et Arafat. Avec ça, on est fixé, les gars devraient être capable de nous pondre un album sympathique!
L’objet entre les mains, on ne peut que féliciter le bon goût de la troupe: l’artwork est sobre et classe, le visu me rappelle certaines œuvres d’Hayao Miyazaki de par son coté onirique et calme (période Nausicaä principalement).
Une fois la galette dans le lecteur , la première chose qui frappe c’est le son, celui ci est vraiment bien foutu, basse bien grasse et hargneuse, guitares épaisses à souhait, ces messieurs se sont fait plaisir!
La zik oscille entre Metal typé coolos (Ugly Kid Joe/Anthrax et compagnie), Rock alternatif et Stoner à la Karma To Burn. A ce propos le son global lorgne vers le KTB version live, vous savez celui qui fait vibrer votre pantalon et tout ce qu’il contient.
Le travail mélodique des grattes est plutôt bienvenue et permet de se démarquer du lot en ne se contentant pas d’envoyer du gras à tout bout de champs.
Il faut bien reconnaître par contre que le chant est le point faible du groupe, on sent un peu trop le manque de maîtrise de l’organe. L’énergie et la volonté sont là mais il manque encore un brin de conviction . Au vu de la qualité des compos, une fois cette partie au point, je pense que le groupe franchira les paliers plus facilement.
Certains passages semblent retenus, sur « Freedom State » par exemple le break mélodique appelle un développement mais le groupe repart sur des passages déjà vu du morceau, ou encore « Red Field » un brin trop plat ( 1ere partie du titre) et répétitif .
Malgré ça, on tient là un groupe qui se donne les moyens et qui n’est pas loin d’arriver à ses fins grâce à un album dont il n’ont pas a rougir !

En moins de 2 ans, le temps d’un aller-retour Bretagne-Lune en voiture pépère (en faisant une pause toutes les 2h comme recommandé), Brain Pyramid a bâti de bien belles fondations à leur programme d’exploration sonique. Le début des recherches remontant à 2012, un EP sorti en 2013, un changement de bassiste et maintenant un premier album en 2014 chez Acid Cosmonaut, voilà un décollage dans les règles de l’art. Si l’EP Magic Carpet Ride avait déjà fait fort bonne impression dans nos pages que dire de cette nouvelle offrande !
Si les années 60/70 et les pionniers du rock groovy/blues/psyché à grands coups de disto, fuzz et autres effets en tout genre sont toujours la base des voyages astronautiques du trio, aujourd’hui ces derniers ont atteints un nouveau stade de leur conquête spatiale. Plus imposant dans leur son, plus extravaguant dans leur exécution, chaque fusée envoyée nous place direct en orbite. Ca commence tranquille avec un moteur qui se lance et une radio country mais quand la basse supra-fuzzée-wahwahmée débarque, la poussée est trop forte pour ne pas être collé à son siège. « Living in the outer space » nous introduit sans crier gare aux nouveaux artifices des bretons. On ne va pas à la découverte de l’immensité intersidérale sans du lourd avec soi. Le fuselage de l’ensemble est tellement massif, du fait d’une basse galactique, qu’il faut bien tout un arsenal de délay/chorus/flanger et j’en passe et des meilleurs pour propulser l’ensemble.
Levez les yeux, localisez les étoiles des premiers Atomic Bitchwax, Orange Goblin, Fu Manchu et Spiritual Beggars, voilà où situer Chasma Hideout dans la constellation stoner. Que de la première pression à froid, l’essence même d’un heavy-rock-psyché sans retenu. Riffs en béton, toujours bluesy dans l’âme mais qui dénuquent sévère avec un chant typé rock, voilà la recette d’un bon titre chez Brain Pyramid, « Lazy » en tête. L’apesanteur n’a d’effet sur nous que parce que la batterie matraque ces futs sans retenu. Mais attention quand le tempo se ralentit, le blues transpire du doom nappé de claviers comme sur « Lucifer » qui se débride néanmoins totalement à la fin. Et quand le groupe se permet toutes sortes de digression c’est l’exultation. Tantôt jazzy « Living in the outer space », carrément salsa du démon sur « Into the lightspeed », posé type « atterrissage en vue » avec « Chasma hideout », ou au travers des nombreux solos, quand les instrus se lancent à corps perdus dans d’inattendues folies c’est un vent solaire qui vous ébouriffent.
Magic Carpet Ride a donné le cadre, Chasma Hideout l’a explosé et l’a redéfinit plus volumineux que jamais. L’accent so sexy, so frenchy pourrait bêtement en rebuter quelques’ un mais comptant deux instrumentaux de haut-vols pour sept titres du cosmos, 46 minutes de jubilation ça ne se refuse pas. Ce serait criminel de ne pas s’envoyer en l’air avec eux.

Aujourd’hui direction Palerme en Italie où il existe visiblement de très jolie “nana”. La description que fait le groupe de sa musique est plutôt claire : les années 1990, heavy, desert, psych. Cela peut se résumer en une bonne grosse influence Kyussienne. Pour la fiche technique, on est en face de 13 morceaux allant de 40 secondes à 12 minutes. Visiblement, la plupart sont issus de jam avinées.
A l’oreille cela se confirme très vite, ce qui équivaut à pas mal d’incertitude sur la construction des plans, fait assez agréable. D’autres morceaux plus minoritaires restent plus classiques (“Goatpussy”, “Ken’s Revenge”, “Cosmic Cactus”) mais efficaces. Les premiers sont les plus intéressant. Certains sont comme constitués de deux morceaux imbriqués (“Day Two”, “Mousetrap”) et on assiste à de très nombreuses digressions psychédéliques. Globalement, l’album alterne efficacement les ambiances et on ressent une véritable envie ainsi qu’un plaisir certain de la part du groupe. Mais globalement on a aussi un peu l’impression d’être en plein milieu du Sons of Kyuss tend niveau prod crasseuse que sonorités. “Cameltoe” et “Red Grinder” font même directement écho à Kyuss. C’est un peu là le problème même si on ne boude pas son plaisir. Ce qui est sûr, c’est qu’au prochain coup, avec des influences un peu moins nettes, on se régalera ! Ciao !

En banlieue d’une ville texane, l’endroit semble désert, abandonné. Toute forme de vie paraît avoir quitté les lieux, même la végétation qui a ici repris ses droits se meurt. Un grondement se fait sentir, cela vient de cette maison. Le parvis est prêt à céder sous nos pas. Dégondée, la porte s’ouvre sur un intérieur dévasté, une horde est passée par ici. Le grondement continue… plus fort… De l’escalier qui mène au sous-sol, émane un épais nuage de fumée. La lumière est faible mais suffisante pour discerner des formes, des visages. La horde… Ce grondement… La fumée… Un groupe émerge de cette masse : Funeral Horse joue son Sinister Rites of the Master.
L’audience est comateuse. Leurs corps ne répondent plus qu’au trio texan qui les emmène par doom et par vaux à grands coups de savates punks bien placées. L’intro de « Until The Last Nation Falls » eu à peine le temps de leurs glacer le sang, que le mid-tempo du riff principal suintant le garage les avait scotchés avant le break proto-groovy-metal qui acheva ainsi l’œuvre séductrice de ces trois démons.
Cette séduction nous ne la connaissons que trop. Celle de cette âme rock qui se plaît à posséder les esprits des plus jeunes groupes. Celle qui anime de son feu sacré des troupeaux entiers de fervents disciples du son. Doom dans son atmosphère, punk dans son attitude, blues crasseux dans son ressenti, voire apaisant le temps d’un interlude. Quel que soit sa forme, c’est bien de lui que l’on parle. Ce rock qui vous salue du majeur quand il vous croise. Celui qui s’affranchit des bonnes manières. Celui qui dit « Fuck you I’m not famous ». Celui qui ne rebouche pas le dentifrice après utilisation. Cet esprit plane au dessus de nos têtes, se mêlant aux nappes de brouillard psychoactif.
Après la mise en transe de « Amputate The Hands of Thieves » qui accoucha d’un riff monolithique, l’harmonica mélancolico-funèbre de « Communist’s Blues » a dépecé les dernières particules de résistance qu’offrait notre raison. La rythmique en béton de « Executionner of Kings » ne saurait remettre les pièces en place. Nous n’avons que trop flirté avec le groupe, nous voilà aussi possédés. Avec une production brute, les titres sont aussi directs que prenants avec pour chacun des petites perles d’arrangements : samples, guest vocal, ou tout simplement par la maîtrise des instruments. Faisant fis des règles, c’est une large gamme d’influence qui fusionne et virevolte.
Inclassable et qui ne cherche pas à être classé, Funeral Horse assène en 28 minutes, sept coups de butoir, dont une reprise vite pliée mais bien appropriée de « The Working Man » de Rush, qui leur ouvrent les portes pour faire ce que bon leur semble. Hâte d’entendre leur prochaine prédication.

Entité doom nourrie à grands coups de séries B, voire Z, Electric Wizard a décomplexé en une poignée d’albums toute une génération de geeks trompant l’ennui et dépassant leur inadéquation sociale par le truchement d’un rétro rock occulte mêlant drogues, films érotiques 70’s et références pointues dans un grand barnum satanico-kitch plutôt inspiré. Enfants du shock rock, saisi par la violence de la scène de Détroit (D’Alice Cooper aux Stooges en somme), le gang du Dorset s’est transformé, dans un second temps, en une machine à pondre des hits, noyant ces derniers dans une production cracra devenue leur marque de fabrique. En effet, à l’instar de celle du pudding à l’arsenic, la recette d’Electric Wizard utilise une panoplie d’artefacts destinés à faire des grumeaux au fond de la marmite. Désormais devenu chef de file et influence déclarée d’une scène qui leur voue un (Witch)culte, le groupe annonce son come back discographique en 2014, avec Time To Die, retour annoncé à la hargne originelle, censé rivaliser, rayon noirceur et opacité musicale, avec l’intouchable Come My Fanatics. Il n’en fallait pas plus pour mettre en émoi les âmes damnées dégustant leur rock lentement, dans un épais voile de fumée.
Les vieilles cordes rouillées que tire malicieusement le magicien électrique ont touché au sublime par le passé, entraînant l’auditoire vers les abysses les plus profonds et les ambiances enfumées. Ainsi lorsque fut publié Black Masses en 2010, l’enthousiasme de beaucoup avait été douché, la faute à des titres moyens et une méthode montrant ses limites, ayant absolument besoin de haine sincère pour fonctionner. L’annonce de la publication de Time To Die a fait grand bruit : Oborn a d’abord mis fin à 20 ans de collaboration avec Rise Above Records, Dans une joyeuse ambiance rappelant plus « Règlement de comptes à OK Corral » que « La Fiancée de Frankenstein ». le ventripotent quasi homonyme d’Ozzy annonce alors avec fierté que son gangs de malpropres trouve refuge chez Spinefarm, repère douteux pour combos à l’hygiène déplorable en tournée (Children Of Bodom, Impaled Nazarene, Reverend Bizarre…). Enfin dans son élément, le Wizard enregistre le retour aux affaires de Greening (batterie) et l’incorporation de Clayton Burgess à la basse, informations suffisamment excitantes pour effacer l’amertume du split de Ramesses et la mise en sommeil de Satan’s Satyrs, dommages collatéraux d’un tel line up.
Mais voilà : Lorsque filtrent les premiers titres (et clips) de Time To Die, le doute s’installe. «I Am Nothing » puis « Sadiowitch » manquent de classe et auraient fait de vilaines b-sides à l’époque de Come My Fanatics. Peu inspiré, le groupe s’enlise dans les problèmes de personnel et Greening est débarqué, réglant ses comptes sur Facebook. Problème de drogue, d’argent, les points de vues diffèrent, mais tout le monde s’accorde pour dire que la prestation du batteur au Temples Festival était déplorable. Que reste-t’il alors du huitième album du combo, vendu par ses géniteurs comme un retour aux origines du mal ? Quelques moments de gloire certes, tel que les 10 minutes de “Incense for the Damned” et le très réussi “Time to Die”, quelques références à la contre culture qui font le sel du combo mais l’ensemble ne comble pas la faim de zombie tenaillant l’amateur de doom ténébreux, nourri depuis des années aux sillons malfaisant de Dopethrone et aux perles de cette période.
Il est ainsi difficile de comprendre réellement ce qui gène dans cet album. Est-ce l’effet d’annonce qui était trop présomptueux, ou simplement la recette qui reste sur l’estomac ? Néanmoins Time To Die déçoit et il a été très dur de résister à l’envie de terminer cette chronique par une analogie entre le titre de l’album et un conseil que le groupe serait bien inspiré de suivre.

A croire que le revival classic-rock est l’apanage des groupes germano-scandinave. Les chevelus de Heat nous venant tout droit de Berlin et s’inscrivant dans la mouvance des Witchcraft et comparses, on en vient à se poser la question. Ne nous coupons pas les cheveux en quatre néanmoins, quand la musique est bonne on ne va pas bouder son plaisir. Et son pied on le prend dans ce Labyrinth, deuxième sortie du quintet allemand aujourd’hui chez This Charming Man Records.
Pour être plus précis, nous sommes lancés dans un labyrinthe dit « unicursal » autrement appelé labyrinthe classique (classique ? vous avez dit classic ?), qui se veut sans impasse. Si le labyrinthe était déroulé, il n’y aurait qu’un fil unique : les gimmicks typés 70’s qui tapent toujours juste. Le groupe fait figure ici d’une Ariane qui nous guide entre riffs mélodiques, section rythmique goulûment groovy, solos à foison, synthé bien placé et chant incarné. D’un point de vue architectural ce dédale semble bien conçu avec les bons éléments à la bonne place. Mais ce qui fait vivre un édifice c’est sa réalisation en elle-même pas les plans.
Une belle harmonie se dégage de l’ensemble. Si « Siamese Smile » ne vous colle pas déjà une furieuse envie de vous lancer sourire aux lèvres dans une course frénétique contre le temps, « Free World » finira par vous convaincre. Deux morceaux suffiront à vous entraîner entre ces murs qui transpirent sincérité et qualité d’interprétation. Un arrangement par-ci, un riff par-là, certaines intro, vous rappelleront à n’en pas douter des titres de l’époque que fait revivre Heat. Et alors ? Une basse bien ronde, une batterie qui joue, deux guitares qui s’échangent riffs bluesy-boogie-rock et solos, un clavier qui apporte saveur et matière, une voix au bord de la fêlure, que demande le peuple ?!
« The Golden Age » avec 9 minutes au compteur est l’ilot central de l’album. Cœur de ce labyrinthe en 7 titres, passage obligé pour tous les envoutés de la mélodieuse attractivité qu’exerce le groupe. Changement de motifs, break en tout genre, passage rythmique, ici tous les fils se croisent, s’entremêlent et notre traversée ne pourra se poursuivre sans s’extasier devant les finitions. Les Berlinois savent varier les tempos, insuffler un élan presque épique, faire suinter le blues de leurs 6 cordes tout en restant fidèle à un sens mélodique à l’épreuve du temps. Les morceaux suivants sont à cette image et ainsi jusqu’au jam du titre éponyme qui clôt les festivités.
La conception est traditionnelle mais chaque passage, chaque détour de couloir offrent son lot de ravissement. Heat ne réinvente pas la roue, mais avec des jantes pareilles on a juste envie de vite en équiper sa caisse et d’avaler les kilomètres sous un soleil à faire fumer le bitume.
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