Duel – In Carne Persona

« In Carne Persona ». Si la traduction latine semble approximative (ou y a t-il une obscure référence qui échappe à tout le monde, google y compris), l’esprit est là : « In the Flesh », « dans la peau de l’autre » dirions-nous. Une impression renforcée par une pochette qui, elle aussi, semble inviter à aller chercher ce qu’il y a « derrière ». Difficile pour le connaisseur du groupe de ne pas faire de parallèle entre ce concept et la façon qu’a Duel, depuis 4 albums désormais, d’inCARNEr les différentes facettes du hard rock/heavy des 70’s. Comme tant de groupes stoner du moment, Duel s’est d’abord présenté avec une grande déférence pour Sabbath : riffs de plomb sur groove enlevé, Fear Of The Dead marque les esprits et positionne Duel sur le haut de la pile des dossiers fuzz à traiter. Witchbanger file quant à lui la métaphore en élargissant discrètement le spectre, notamment en ce qui concerne les harmonies de guitares, sous le haut patronage de Thin Lizzy, ou Trouble pour le côté plus américain. Valley of Shadows poursuit l’exploration de la décennie bénite du riff, lorgnant sans rougir vers le proto heavy 80’s. Une démarche que de nombreux groupes récents ont entamé, Horisont en tête.

Duel combine les meilleures habitudes des 70’s (rythme de publication effrénée, tournées constantes, albums ramassés, singles entêtants) avec le confort d’aujourd’hui : têtes d’ampli customs (Witchbanger, une toute petite marque d’Austin) et home-studio (le Red Nova Ranch). Mais ce qui est sa force est également sa limite : Duel va trop vite. In Carne Persona possède quelques indéniables qualités mais noie ses trouvailles dans un conformisme fatiguant. Tout ça manque de riffs marquants, de morceaux notables. Pour un très bon « Children of Fire », trop de « Wave of Your Hand », d’« Anchor » (qui rappelle les titres les plus faibles de QOTSA) ou « Bite Back » dont l’énergie ne suffit pas à transcender un terrible manque d’originalité. Le groupe a beau se lâche sur « Dead Eyes », retrouve un peu de mordant mais combien de fillers pour 2 bons morceaux ?

A force d’avoir les dents qui rayent le parquet, Duel semble s’être coincé une canine dans le bois et si ce coup d’arrêt n’aura pas d’incidence sur la qualité de ses prestations lives (à voir au Hellfest 2022, en espérant une tournée autour), difficile de ne pas se dire qu’il y avait matière un faire un très bon album en mixant Valley of Shadows et In Carne Persona. “In Carne of Shadows” ? Voilà le disque que j’aurai aimé avoir.

 

Le point vinyle :

Heavy Psych est devenu une belle machine à promotionner des groupes stoner, leur site, particulièrement bien fait, permet d’acquérir aisément les différents press couleurs (80 en transparent yellow/orange, 150 en green splatter red – tous deux réservés à la vente via le site – et 450 neon violet plus le pressage noir classique, que vous pouvez retrouver un peu partout). Heavy Psych a fait le choix de rendre leurs pressages limités plutôt chers, une démarche visant probablement à limiter la spéculation mais obligeant à passer un cap psychologique important à l’achat (16 euros pour un disque noir, 32 euros pour le pressage le plus limité mais ni gatefold ni goodies).

Crystal Spiders – Morieris

 

Crystal Spiders avait fait sa petite impression au sein de la rédaction l’année passée avec un album Molt qui nous avait permis de dresser un joli pédigrée au duo de Caroline du Nord. Inutile de vous refaire l’article, Maître Laurent vous avait déjà tout dit ici. Donc une année plus tard les Crystal Spiders font encore parler d’eux sur une configuration duo mutée en trio avec l’aide renouvelée de Mike Dean de Corrosion of Conformity pour enregistrer l’album Morieris sorti chez Ripple Music et que l’on a hâte de voir lâché sur les routes.

Roh mes enfants, qu’il est envoûtant cet album. Voilà des mois que je n’avais pas tiré autant de satisfaction d’une écoute attentive. Comme de par le passé on insistera sur la qualité de vocaliste de Brenna Leath qualité qui n’ôte rien à ses aptitudes en tant que bassiste. C’est toujours entre lourdeur et finesse, les deux instruments de sa voix et de sa gratte soufflent le chaud et le froid, l’aérienne envolée du chant et le riff collant comme de la glaise. Tradd Yancey de son côté frappe doom et lent et pourtant il sait ajouter de malicieux coups inattendus et toujours enjaillants ou bien cavaler comme un fou de peau en peau. A ce propos, que dire lorsque la musique s’accélère sur “Maelstrom”, que le chant se fait plus primal que la gratte vient saupoudrer le tout de notes incisives? Rien si ce n’est que c’est formidable, ça ralenti quand il faut, tout est calé pour le plaisir.

Morieris est taillé pour enchaîner les tours de platine, ça tient le pavé à tous les tempos et ça envoie toujours sans agresser, même sur “Pandora” et son esprit punk nanti d’une batterie énervée soutenant la voix soul de la chanteuse et le groove de sa basse.

Si de doom il est toujours question sur “En Media Res” qui se pose en marche funèbre pachydermique à la lourdeur duquel le très classique “Golden Paw” n’envie rien. Il faut reconnaître que l’amateur de doom retrouvera moins ses marques que dans le précédent opus Molt et cela poussera sans doute certains à dire que Morieris est moins bon. Je me refuse à me ranger à cet avis arguant plutôt du fait que les deux opus sont différents sans qu’il y ait une perte de qualité. Ce nouvel album exploite des idées déjà présentes précédemment et choisi de le faire à fond au détriment d’une probable zone de confort pour ceux qui était dans l’attente d’une redite…

Il résulte de la progression de Crystal Spiders de puissantes cavalcades et des passages si groovy qu’ils possèdent le corps de qui s’approche un peu trop près, le poussant par exemple à se repasser en boucle le titre “Offering”.

Morieris coche presque toutes les cases de l’album parfait. Il ne lui manque presque rien si ce n’est un titres ou deux mémorables pour atteindre le pinacle. Cependant est ce bien utile de minorer une plaque parce qu’il reste une marge de progression à ses auteurs ? Au contraire, Crystal Spiders nous a offert en moins d’un an une belle suite à sa précédente œuvre et nous laisse présager du meilleur à venir. Ce nouvel album vient alimenter l’histoire d’un groupe au travers duquel il devient urgent de ne plus passer.

 

Hooded Menace – The Tritonus Bell

La mode est un éternel recommencement et depuis que le metal est devenu quinquagénaire (13 février 1970 – ?), ce dernier semble de plus en plus regarder dans le rétroviseur. Une façon de consolider l’avenir, fort d’un passé sereinement intégré. Bien sûr le processus favorise le business de quelques petits malins, profitant de la vague nostalgique pour réchauffer du riff de seconde main et le vendre au prix du neuf, sans en préciser la provenance, mais ce n’est là que portion congrue. La scène extrême d’ailleurs est celle qui à la plus à gagner de ce retour en arrière, la course à la vitesse, la lenteur et à la méchanceté touchant inexorablement à sa fin. Tous les territoires semblent défrichés (la donjon synth est une réalité, il n’est plus possible de revenir en arrière), alors comment rester kvlt sans trahir ses idéaux ? A ce jeu, la carte du retour aux sources est une imparable gageure. C’est mathématique, les death, doom et black sont des produits mutagènes des années 80 et à l’heure du bilan c’est à cette décennie que tout ramène. Hooded Menace, saigneurs finlandais de la lenteur macabre ont entamé cette démarche avec Ossuarium Silhouettes Unhallowed dès 2018 : aérer le cadavre pour lui donner l’air vaillant, fémur au vent, libéré de sa cage (thoracique) funéraire, tenant à distance les plus mélomanes d’entre nous. Une démarche de « metal total », cet habile équilibre entre conservation des idéaux et accessibilité pour le grand public. Un album qui aurait dû porter le groupe un peu plus loin si la COVID n’était pas passée par là, si le groupe avait plus d’appétence pour le live, si la pochette de l’album n’avait pas été aussi sombre… Mais avec des « si » on met Hel-si-nki en bouteille et de toute façon The Tritonus Bell est désormais là pour régler le problème.

Ce disque est en tout point pensé pour asseoir la notoriété du groupe sans perdre un seul fan de la première heure le long du chemin (neigeux, dangereux, plein de pièges et de brigands) : le retour du moine encapuchonné sur la pochette (Hooded Menace aura mis quelques albums à comprendre qu’ils avaient une mascotte, et que la mascotte y a pas plus 80’s comme démarche), dans des teintes qui ne sont pas sans rappeler les Maîtres de l’Univers (dont 2021 marque également le retour), est un signe avant-coureur de ce qui va suivre. La musique elle, fait un bond de trente ans, dans son intention mélodique, sa construction rythmique et dans la prépondérance de riffs autour desquels se construisent les morceaux. On pense bien volontiers à Paradise Lost, au son d’Icon, à la radicalité de Gothic et à l’appétence mélodique de Medusa, mais on se dit surtout que les deux groupes ont puisé leur eau à la même source. L’ombre de Mercyful Fate plane au-dessus de « Blood Ornaments », il y a du Candlemass derrière « Chime Diabolicus » et même un peu de Maiden sur « Corpus Asunder », le tout revisité avec déférence par Lasse Pyykkö et les siens. Le tempo est certes plus enlevé, mais la voix des cavernes d’Harri Kuokkanen ainsi que les ambiances macabres qui ont fait la renommée d’Hooded Menace nous rappellent, au détour de chaque riff, que c’est bien de doom qu’il s’agit. D’un doom plus ouvert que jamais dont les appétences mélodiques et la science du riffing n’avait pas été entendu depuis des temps… Draconiens.

 

Point vinyle :

Ô rage, Ô damnation. La jolie box avec le patch et le pin’s est réservée à la version CD. Pire encore, c’est toujours sur ce vilain format que vous aurez droit à l’excellente reprise de W.A.S.P. « The Torture Nevers Stops ». Côté vinyle donc, quelques couleurs (Crystal Clear & White Marbled/250ex ; Purple/300ex / White Purple & Blue Marbred//200ex) ainsi que la version noire, noire comme l’âme des damnés. A vous de voir quel budget y mettre après avoir acheté… le CD.

Kadabra- Ultra

 

Kadabra c’est un Pokémon, oui! Mais c’est aussi un trio assez confidentiel de l’état de Washington dont le potentiel d’évolution est mis en valeur grâce à Heavy Psych Sounds Records. C’est chez eux que sort la première galette du groupe et ça s’appelle Ultra.

Six titres et rien en dessous des cinq minutes, c’est la structure de la plaque qui va révéler au monde le savoir-faire de ce groupe sabbathique (c’est comme sympathique mais avec du Black Sab’ dedans ). Plutôt que de se contenter d’enfoncer la porte ouverte du riff pesant joué midi tempo usé (mais inépuisé)  depuis cinquante ans, Kadabra donne à l’oreille de gourmandes structures assez modernes et séduit par ses parties de chant en chœur.

Là où les titres “Gaveyard” ou “Death” jouent sur un terrain entendu mais sans déplaisir on trouvera une vitalité souveraine et une fraîcheur indéniable sur “Bean King” et “Settle Me” qui bondissent sur la fuzz de la basse et les saccades de la batterie pendant que la gratte grasse et généreuse enrobe l’acidulé du chant.

Psychédélisme, stoner, flirt pop c’est ce qu’il y a dans Ultra. Grâce à ses agents de chant super doux, Ultra rendra vos tympans soyeux comme jamais. Pour un paquet d’Ultra acheté vous recevrez en cadeau des riffs finement maîtrisés, une batterie pleine de kicks efficaces et une production léchée.

Ultra est un disque de Kadabra à mettre entre toutes les oreilles et ce sans limite. Un premier travail qui risque de placer le groupe sur la liste des indispensables de toute bonne collection de disque alors rendez vous chez votre marchand de bonnes vibrations avant qu’il ne soit trop tard !

Goatfather – Monster truck

La rosette, les quenelles, le saucisson brioché, la tarte à la praline, la cervelle de Canut… La région lyonnaise n’est pas avare en spécialités culinaires à haute teneur en calories. Des mets qui ont du goût, qui tiennent au corps et qui font instantanément monter votre taux de diabète et de cholestérol en flèche. Mais Lyon est également l’une des grandes capitales du stoner hexagonal, à égalité avec Nantes, Bordeaux et Paris. Le collectif Lyon Stoner Doom s’emploie d’ailleurs depuis plusieurs années à promouvoir la scène stoner de la capitale des Gaules et l’une de ses têtes de gondole se nomme Goatfather.

Goatfather sévit dans nos contrées depuis 2014. 2016 vit la sortie de Hipster Fister, premier coup de semonce qui prouva au monde entier que le stoner hexagonal n’avait rien à envier aux autres scènes européennes et mondiales. De nombreuses dates, notamment aux côtés de Mars Red Sky, Stoned Jesus ou encore Planet of Zeus, ne feront qu’asseoir la réputation des lyonnais. Et en cette rentrée 2021, nos quatre gaillards se font un plaisir de nous balancer à la tronche un nouvel opus, sobrement intitulé Monster Truck, un titre qui en dit long sur les intentions de Goatfather.

Et en effet, dès le titre d’ouverture « Convoy », une seule solution possible : s’écarter du chemin pour ne pas se faire écraser par un rouleau-compresseur sonore. Une mise en bouche idéale pour ouvrir cet album qui continue avec un « Punish the punisher » aux guitares rutilantes. Le propos se muscle, tant au niveau du son que de la voix rauque et velue de Yann (affectueusement surnommé Olaf). On s’imagine aisément au volant d’un énorme truck américain, coude à la portière et pied au plancher sur une highway déserte. Ce n’est certes pas très original mais alors, c’est sacrément efficace, notamment le final qui ne fera aucun prisonnier et mettra à coup sûr le feu à la fosse.

« Blood of my brother » calme (un peu) le jeu avec, toujours, ce son monolithique et pachydermique, marque de fabrique du groupe. Amateurs de solis travaillés et d’effluves psychédéliques, passez votre chemin ! Du moins, écartez-vous du chemin de ce Monster Truck qui n’aura que faire de vos chemises à fleurs et de votre dégaine de hippie ! Goatfather vous filera un T-shirt noir orné d’une belle tête de mort (ou de bouc, du coup !) et vous fera troquer votre combi VW contre un sublime Peterbilt. Le titre éponyme ne ralentit pas la cadence avec, toujours, cette efficacité sonore qu’on pensait réservée aux groupes d’outre-Atlantique (hormis l’accent à couper au couteau de l’ami Olaf !).

Juste le temps de reprendre son souffle et de retourner la galette que « Don’t give up » reprend le rythme de plus belle avec un mid-tempo idéal pour un headbanging entre potes. « Mile after mile » poursuit la route de ce concept-album (car c’en est un, en quelque sorte) pour vous plonger cette fois-ci dans un tunnel sans autre lumière que celle des phares de votre truck filant à toute allure dans la nuit. Puis, comme pour annoncer la fin de cette démentielle virée, « In your face » vous prend par la gorge et fait dévier de sa trajectoire votre semi-remorque à grands coups de riffs dévastateurs et de hurlements sanglants. Ne reste qu’à déguster « Shelter », votre truck ayant définitivement quitté la route pour aller s’écraser au fond d’un ravin avec pour seul compagnon un doux mélange d’effluves de carburant, de sueur et de sang.

Monster truck est donc une redoutable machine de guerre. Goatfather a enfanté un truc tellement lourd et puissant qu’il tient la dragée haute à nombre de groupes internationaux dans un genre embouteillé et dans lequel pour se faire une place, impossible d’y aller en douceur. Il faut jouer des coudes et bousculer la concurrence. Ou leur rouler dessus, c’est encore plus efficace !

Upper Wilds – Venus

Upper Wilds est le groupe-projet du multi-instrumentiste Dan Friel (musicien new yorkais sur-productif, ayant fait ses armes dans diverses strates de la scène underground de Brooklyn), qui se fait épauler de deux discrets drilles pour dessiner les contours d’un trio. Venus, qui fait suite à Mars (2018) est en gros le troisième disque du trio, et il mérite à plus d’un titre une écoute curieuse et attentive… voire plus si affinités !

Friel n’est pas qu’un guitariste-compositeur, il est aussi un bidouilleur, de sons en particulier. Les sons produits sur le disque sonnent effectivement bien barrés, et c’est grâce à des vidéos du bonhomme qu’on comprend un peu plus d’où sortent ces sortes de gargarismes guitaristiques bien particuliers, sorte de kazoo de la six-cordes (!!).

Passées ces considérations somme toute assez accessoires, vient le temps de se pencher sur le disque en lui-même – une galette atypique à coup sûr. Mieux vaut déjà ne pas chercher à classifier le genre musical pratiqué, un exercice de style en soi : s’y retrouvent dans une danse orgiaque pèle-mêle une sorte de boogie rock fuzzé boosté au kraut rock psyche, chargé aux envolées space rock, le tout enrobé avec une sacrée énergie. C’est d’ailleurs cette dernière qui emporte en premier l’auditeur (voir l’ultra-boosté “Love Song #2”, qui carbure au fuzz amphétaminé, ou le frénétique “Love Song #6” – oui, soit dit en passant, les gars ne s’embêtent pas à trouver des titres aux chansons et proposent rien moins que dix “Love Songs”). Amis du mid-tempo, passez votre chemin. Bref, imaginez une partie de Mölkki visionnée en mode “avance rapide” sur un vieux VHS, où s’affrontent Devo, Andrew WK (!), Hawkwind, les Truckfighters… Oui ? Bon, non, finalement vous êtes encore loin du compte.

Venus est un disque-expérience remarquable d’efficacité, un disque qui va au delà de la curiosité. Si vous arrivez à vous frayer un chemin dans ce fouillis musical, vous êtes susceptible d’y prendre un sacré pied.

 


Heavy Temple – Lupi Amoris

Étonnante carrière que celle des pourtant jeunes Heavy Temple : le groupe existe depuis 2012, mais ne publie son premier LP que maintenant, presque 10 ans plus tard ! Dans l’intervalle, une palanquée de singles / EP, participations à compilations diverses… et à son crédit, des concerts à la pelle (dont une bonne part avant même d’avoir la moindre sortie vinylique à son actif). Il apparaît que la scène est un terrain de jeu où ils excellent… Le trio de Philadelphie a en revanche vu son line up sévèrement remanié au fil des années, avec pas loin d’une dizaine de musiciens qui se sont succédé à a guitare et à la batterie, autour de l’évidente frontwoman du groupe : High Priestess Nighthawk (bon, OK, c’est pas son vrai nom, mais avouez que c’est le nom de scène le plus cool que vous avez entendu depuis longtemps).

Le raccourci est vite pris : dans ce trouple, c’est clairement madame qui porte la culotte (amis de la misogynie ordinaire, bonsoir). Ce ne sont pas les premières mesures de “A Desert” qui vont nous faire revoir notre archaïque et si hâtif jugement : la vocaliste y déploie quelques lignes vocales aussi puissantes qu’accrocheuses, signes d’un coffre et d’une technique admirables. A n’en point douter, il s’agit d’un des points forts et caractéristiques les plus marquantes du groupe – la chanteuse dépote. Notons par ailleurs qu’elle assure le jeu de basse en complément. Pour autant – et les écoutes ultérieures en font la preuve – Heavy Temple n’est pas un “groupe à chanteuse” (définition du Grand Robert : groupe dont 80% de l’attrait auprès du public repose sur le fait d’avoir une chanteuse charismatique, rendant facultatif le besoin de faire preuve du moindre talent musical), loin s’en faut : les compos défilent et font montre d’une qualité d’écriture et d’interprétation qui forcent au respect. A ce titre, le même morceau introductif “A Desert”, où miss Nighthawk fait donc montre de ses remarquables talents vocaux, permet par exemple un peu plus loin non seulement de déguster un break groovy du plus bel effet, mais aussi un peu plus loin un bien sympathique solo (pas d’une grande technique, mais un vrai effort de mettre les lead en avant sur une si longue séquence est toujours appréciable). Si une autre preuve que le groupe ne repose pas que sur sa chanteuse devait être apportée au dossier, votre serviteur vous renvoie simplement à “Howling” en clôture, un titre… instrumental ! Rappelant occasionnellement Karma To Burn sur sa première moitié pour son riffing catchy nerveux, le titre présente des reflets plus variés sur sa seconde section.

La galette déroule donc ses morceaux dans un style musical pouvant s’apparenter à un stoner épique, empreint de heavy metal tout comme de doom old school. La variété est au rendez-vous : rythmiques heavy, mid-tempo énervés, envolées épiques… Une bien belle démonstration… en cinq chansons ! Car le voilà, déchirant, le lourd défaut de ce disque : cinq chansons seulement, pour moins de 33 minutes de musique, c’est chiche – en particulier quand on parle de l’unique LP d’un groupe ayant derrière lui presque dix ans de carrière ! Bien trop peu pour entériner la démonstration, et bien trop peu globalement pour satisfaire l’auditeur, légitimement exigeant de nos jours.

Reste que ces 5 chansons sont d’une redoutable qualité, et, même imparfaites, ces compositions proposent certains des plans musicaux les plus exaltants de ces derniers mois.  Seule la quantité est un peu insuffisante pour se mettre à la hauteur de ses ambitions (notre notation aurait été meilleure), c’est fort dommage. Mais il serait toutefois bien malvenu de se réfugier derrière cet argument pour faire l’impasse sur ce disque.

Yagow – The Mess

Yagow est un groupe discret d’activistes de la chose psyche, hébergés au sein d’un label discret d’activistes de la chose rock audacieux au sens large, Crazysane Records. Ce binôme a décidé de continuer leur collaboration sur ce second album, qui nous montre un jeune trio doté d’une maturité remarquable déjà à ce stade, moins de quatre ans après un premier album toutefois déjà prometteur.

Le trio allemand propose une très savante décoction sur une base très largement psyche, qu’il saupoudre copieusement de passages space rock, kraut rock, stoner rock… Sur le papier, ça semble pas fou-fou (c’est d’ailleurs le sentiment qui prédomine après une ou deux écoutes). Or avec un peu plus de recul, on prend la mesure de la très bonne gestion de cette sorte d’hybridation, avec toujours des choix de sonorités, de rythmiques, d’instrumentations, parfaitement adaptées : les riffs bien fuzzés de “Rise & Shine” et “Tres Calaveras” qui engagent les morceaux avec une certaine “poigne”, l’écho sur la voix sur “Bloom” pour appuyer l’esprit space et hypnotique, les claviers relevant le groove nonchalant de “Electric Electric”… Tout sonne bien sur ce disque ! Et même la voix très nasillarde de Jan Werner, copieusement chargée d’effets, qui pourrait vite sonner agaçante, se révèle un atout pour le groupe, et une caractéristique forte.

Quant à l’écriture, elles est à l’avenant, avec des titres qui d’une part sortent des sentiers (re)battus du genre, n’abusant jamais de la répétition à outrance, des claviers surabondants… L’efficacité est au rendez-vous, et la construction de chaque titre amène son lot de groove et de moments forts, le tout sans jamais se répéter (rythmiques variées, choix de prod différenciants…).

The Mess est probablement l’un des meilleurs disques de psych de 2021 jusqu’ici, fruit d’un trio germanique passionné du genre, investi et audacieux dans ses choix, n’hésitant pas à densifier son fond de jeu en picorant quelques inspirations dans des genres musicaux annexes et amis. L’ensemble est réussi, cohérent et jamais ennuyeux. Comme quoi il est possible de faire un bon album de psych rock sans tourner en rond…

 


 

Absynth – Plèbe 2178

On tend aujourd’hui l’oreille vers la Belgique, attiré par les complaintes démoniaques résonnant d’une cavité profonde et qui font vibrer les sous-sols de Charleroi depuis quatre ans maintenant. Les prophètes du jour se nomment Absynth, un quatuor inspiré signé chez Southcave Records et qui propose un doom puissant et grassouillet à souhait. Retroussez vos manches, décrassez-vous les boites à miel, car c’est une épaisse couche qu’on va se tartiner.

Après un EP éponyme sorti en 2017 et un single un an et demi plus tard, il faut attendre juillet 2021 pour enfin apprécier une pièce soigneusement usinée comme l’est ce premier album Plèbe 2178. Originellement prévu pour 2019, le bougre aura vu sa sortie repoussée, pour des raisons sans doute multiples, avant d’enfin nous arriver à l’orée de cet été dégueulasse. Et quelle découverte !

Tout commence avec « Pigs, Dogs & Whatever you want ». On arpente ici un rivage doom sombre, les pieds dans un marécage sludgy au tempo lent. Les grattes d’Antoine et Gaëtan flottent comme un épais brouillard saturé de toxines électriques qui vrillent l’esprit, tandis que basse et batterie imposent une rythmique puissante, percutante, tels les pas d’immenses créatures monstrueuses dont la simple vision des contours hérisse le poil. Là-dessus, le chant torturé d’Antoine vient par instant sévir, menaçant, à l’instar d’éclairs frappant sporadiquement cette plaine désolée de leurs inflexions surchargées.

Si vous ne deviez écouter qu’un titre, je vous aiguillerais de suite vers « Psychiatre Carcérale Pyschopathe ». Bon déjà, rien que pour le nom, mais ce titre se révèle aussi un véritable monument, érigé à la gloire du doom. D’abord une ligne de basse crade à souhait, vite rejointe par le jeu puissant et non moins habile de Douglas, qui derrière sa batterie débite les tronçons comme un furieux bucheron. La frénésie règne un moment avant que le calme s’impose peu à peu. On entre alors dans l’œil du cyclone, une accalmie saine évoquant par moment REZN. Puis, comme on s’y attendait, les guitares sonnent le glas de la trêve et l’univers explose à nouveau dans un groove abyssal d’une puissance dévastatrice.

Plèbe 2178 nous propose aussi des pièces comme Gasp, sorte d’interlude sonore dérangé, qui nous rappelle que le groupe, certes confiant de son identité, ne rechigne guère à verser dans l’expérimental et encore moins à nous en partager les résultats. « Black Land Rituel » prend le relai, morceau sorti en février 2019 et admirablement intégré à l’album. Album jouissant d’une prod et d’un mix aux petits oignons. Il n’y a qu’à comparer avec l’EP de 2017 pour se rendre compte du travail accompli et de la qualité du rendu.

Une belle promesse en somme. Si Absynth n’en est pas à sa première production, cet album à l’artwork de Willy McDope, représentant la cabine d’un vaisseau pirate dérivant aux confins de la galaxie, se positionne comme une très belle première pierre à un édifice qui atteindra, on l’espère, des sommets inégalés.

Iceburn – Asclepius

Plus de 20 ans après leur disparition, Iceburn revient par la petite porte avec cet album hybride (2 chansons seulement… mais presque 20 minutes chaque !) – et nous de nous pourlécher les babines ! Il faut dire que même si on avait laissé le groupe sur une touche un peu… “avant gardiste” (barré, quoi), on a depuis vu son fondateur, Gentry Densley, exploser (qualitativement) avec successivement son project Ascend avec le Lord, et surtout Eagle Twin, menant l’ensemble dans une progression étourdissante. En apprenant donc le retour aux affaires de Densley, qui a réactivé ce collectif (qui ne fut jamais vraiment groupe, puisqu’il en a toujours été le seul membre stable), qui plus est avec les trois autres membres fondateurs, on a eu du mal à dissimuler notre essitation.

Pour les retardataires, Iceburn, donc, est un collectif polymorphe, où les délires musicaux de Densley et ses copains trouvaient un véhicule parfait, navigant en eaux incertaines voire troubles, voguant entre doom et hardcore, jazz et rock progressif, noise et rock psyche… A noter : on parle d’une époque où le post-rock n’existait pas… Imprévisible à l’époque, Iceburn l’est toujours, et il faut d’abord s’accrocher pour avaler ces deux gros morceaux. Le sentiment d’être emporté un peu n’importe où sans trop comprendre et sans savoir. Même le chant de Densley, sa tessiture devenue si emblématique, clair mais tout en fond de gorge, s’il apporte la cohérence à l’ensemble, ne suffit pas à trouver et surtout garder ses repères. Ce ne sont pas les guitares qui vont nous aider dans cette entreprise : tranchantes dès lors qu’elles viennent asséner les foisons de riffs, mélodiques souvent, elles prennent des tours limite malaisants lors de plans en harmonie toujours sur la fine frontière entre le sublime et la dissonance (cet étourdissant solo au milieu de “Healing the Ouroburos”…). Quant au jeu de batterie de Chubba Smith, plus proche de percussions organiques souvent, il vient encanailler le tout et brouiller les pistes à chaque fois qu’une rythmique trop élémentaire pouvait être imaginée.

Les deux chansons sont (évidemment) très différentes, mais elles recèlent chacune en leur sein le potentiel de plusieurs chansons ! Une sorte de cheminement musical où les riffs s’enchaînent comme autant de séquences clés, emmenés par des breaks improbables ou des ponts presque majestueux. Même si une bonne part de la musique du groupe peut être rapprochée du doom (en particulier pour les séquences principales des chansons – cf le riff principal de “Dahlia Rides the Firebird”, emmené et trituré pendant la durée du morceau), on aura du mal à identifier un genre plus ou moins précis pour répertorier ce disque, qui emprunte aussi au psych, au metal, au kraut, au prog, au jazz… le tout sans jamais se départir d’un sens du groove bien particulier. On ne s’attendait pas à moins.

On peut probablement estimer que Asclepius est le meilleur disque de Iceburn – le plus dense à coup sûr, et le plus solide à plus d’un titre. Zéro remplissage, chaque seconde est utilisée avec soin, tout en prenant le temps d’installer les ambiances, d’organiser ses séquences… Inconfortable à plus d’un titre mais si chaleureux et généreux, ce disque se déguste avec un bonheur à chaque fois renouvelé (au bout de plus de trois mois, votre serviteur continue de le réécouter avec admiration). Un disque exigeant, qui se mérite, mais qui a tant à offrir. Un album d’esthètes.

 


 

Borracho – Pound of Flesh

 

Depuis 2007 Borracho s’est fait sa petite place sous le rouge soleil du monde stoner avec trois albums studio et une palanquée de splits, singles et autres compilations. Officiant à quatre, les comparses de Washington DC mettent en gage Pound of Flesh un nouvel album sans vanité mais plein d’énergie.

Poussées vocales qui bastonnent, lignes de basse puissamment blues et méthodiques quand il le faut, grattes continues et abrasives comme des sableuses, batterie qui botte des culs. Voilà ce qu’on attend d’un bon album de stoner. Voilà ce qu’offre à écouter Pound of Flesh.

Cette galette est propre, on peut retourner la chose dans tous les sens, on ne lui trouvera que peu de défaut, même lorsqu’elle se risque à jouer les originales. La darbouka de “Caravan” et les sonorités orientales qui l’accompagnent n’ont rien de déplaisant. “Dreamer” pastille d’une minute sous forme de balade coupe intelligemment l’album en deux, tout en contrastant avec les riffs musclés de “Judgement Day”, la piste suivante.

Avec un son mixé et masterisé aux petits oignons on ne tiendra pas grande rigueur à Borracho lorsque “It Came From The Sky” se termine coupée net ne laissant pas le temps à la dernière note de mourir. On pourra toujours chercher quelques autres défauts mineurs mais soyons justes, ils n’impactent pas la qualité de la galette.

A côté de ça, après une annonce digne d’une pub de supermarché (qui deviendra gimmick sur “Foaming at The Mouth”), “Dirty Money” assène un chant scandé en duo et du gras qui suinte des cordes. On sent l’ozone dégagée par l’électricité qui alimente les micros lorsque le tempo se calme avant de repartir pleine balle. Un titre forgé dans le rock’n’roll, tout comme “Year of The Swine” avec notamment son solo outrancier.

Pound of Flesh est d’une linéarité exemplaire dans sa montée en tension et se conclut  avec un “Burn It Down” introduisant quelques discrètes lignes de clavier avant que le morceau ne décharge toute sa rage. Un titre qui après quelques écoutes se scande en martelant le rythme du poing et permet de sortir de l’écoute avec un profond sentiment de satisfaction.

Borracho avec Pound of Flesh fait un stoner sans grande surprise bien que se détachant de ses précédentes productions par une approche plus personnelle. Le groupe livre une besogne pleine de conscience professionnelle qui ne manquera pas d’apporter entière satisfaction à l’auditeur dès les premières écoutes sans pour autant avoir la prétention de se placer comme un must have. Un album plaisir, ni plus ni moins.

 

1968 – Salvation, If You Need…

Salvation, if you need… est le premier véritable LP des anglais de 1968, sympathique quatuor ayant choisi ce sobriquet pour célébrer l’année qui pour eux a enfanté le plus d’albums mythiques. C’est en soi un indice bien lourdingue sur leurs influences musicales (sans suspense : Hendrix, Cream, Steepenwolf, Blue Cheer, The Doors, Jethro Tull…). Après une poignée de EP (studio ou live), quelques dates sporadiques essentiellement dans l’axe Manchester – Londres mais aussi outre-atlantique, le groupe sort enfin son 1er véritable album chez les croates No Profit Recordings, des gens d’oreille.

Il ne faut ni une dizaine d’écoutes ni l’oreille absolue pour identifier la veine musicale dont émerge 1968 : nos quatre britons ont pioché dans tout ce qui a fait les années fastes de la fin 60’s et se le sont ré-approprié pour en proposer une émanation stoner/rétro rock d’excellente tenue. Ils mettent à profit les 10 plages de leur galette (dont une reprise des gallois de Budgie) pour faire une belle démonstration de leur savoir faire, un échantillonnage des compétences acquises durant leur pas-si-courte carrière. Leur rock est (généralement) énergique, sans être énervé, les guitares sont saturées, et le chant de Jimi, puissant et onctueusement erraillé, participe à une bonne part de l’identité musicale du groupe. Le riffing est de bonne tenue, servant un vrai talent de composition, qui fait que l’on ne s’ennuie pas à l’écoute de ce disque. Cerise sur le gâteau, le groupe s’y entend pour balancer quelques plans d’un groove fiévreux, à l’image de ce furieux break aux trois-quarts du bien nommé “Railroad boogie”, ou la très courte “Expressway”. Quelques rasades de blues rock viennent aussi servir quelques plages en mid-tempo plutôt bien fichues (“Small Victories”, “God Bless”).

Toutefois, malgré (selon la bio) un soin bien particulier apporté à l’enregistrement, la production de l’album interroge : la mise en avant des vocaux est un choix qui se défend très bien. En revanche, afficher une guitare aussi famélique dans le mix est vraiment regrettable, à l’image de ce “Expressway” où elle est complètement mangée par la basse. Cette mise en son pénalise un peu le disque, qui peine du coup à se positionner dans l’ensemble des productions “modernes” – ce qui est pour partie leur volonté, c’est facile à admettre.

Quoi qu’il en soit, Salvation, If You Need… est un bon disque pour tout stoner-head qui aime son heavy rock baigné aux volutes des sixties/seventies.

 


Kal-El – Dark Majesty

Que dites-vous ? Vous entendez un lourd son infusé au fioul pour moteur spatial ? une voix qui s’élève jusqu’aux étoiles du firmament, le tout présenté par un artwork digne d’une affiche de midnight movie des années 70 ? Pas de doute, vous êtes dans le sillage de Kal-El. Un peu plus d’un an après la sortie du très bon Witches of Mars, le quintet basé en Norvège nous emporte à nouveau dans les profondeurs galactiques avec sa dernière production : Dark Majesty.

Pour l’occasion, changement de crémerie. Après des années de bons et loyaux services chez Argonauta Records, c’est désormais Majestic Mountain qui a le privilège d’officier avec l’équipe du capitaine Ulven. Ensemble, les cinq larrons nous régalent de huit pistes de leur stoner interstellaire, dont « Mica », « Dark Majesty » et « Spiral » étaient déjà accessibles respectivement en janvier, juin puis aout.

Côté son, on se retrouve très vite en terres conquises. Des grattes ultra-fuzzées enchainées à une section rythmique au groove ne tolérant rien d’autre que d’amples hochements de têtes. Bon, rien de nouveau sous le soleil, même pour une galaxie aussi lointaine me direz-vous ? Ce n’est pas faux… Car ce qui fait véritablement la patte de Kal-El, ce pour quoi l’on est capable de l’identifier en un claquement de doigts, c’est la voix. Ce chant proche d’un Ozzy Osbourne les testicules coincés dans un étau et les yeux brillants d’un feu sacré. Elle plane au-dessus de la masse agitée des instruments comme le vaisseau orbitant autour du trou noir à des vitesses proches de celle de la lumière.

Avec une prod comme celle-ci, difficile de ne pas tomber sous le charme, elle s’avère monumentale, tout comme le mix qui permet d’envoyer de la lourdeur sans pour autant perdre les instruments dans un imbroglio sonore dégueu. Comme quoi pour faire du sale, c’est important d’avoir du matos propre. En revanche, côté « rythme », l’album a tendance à perdre de son souffle sur la longueur. J’ignore si cela s’avère davantage lié aux écoutes successives répétées qu’à un véritable défaut d’écriture, mais le ressenti demeure. Si « Kala Mishaa » apporte une réelle fraîcheur via sa narration riche, en dépit de ses dix minutes, « Vimana » laisse un sentiment de trop-plein, de saturation. L’une des deux semblerait presque en trop. Que l’on s’entende, cela reste un merveilleux mélange de riffs écrasants, de voix mélodieuse, entraîné par une basse féroce, et entrecoupé de sections plus calmes. A priori, rien à déplorer donc. Hélas, il n’en reste pas moins que même le plus réussi des groove mid-tempo peut souffrir de quelques longueurs.

En soi, cela ne retire rien à la beauté de l’odyssée spatiale que propose Kal-El. Comme « Temple » l’illustre si bien, le groupe maîtrise sa recette et continue d’emporter les oreilles curieuses dans une aventure épique qui sait se renouveler tout en conservant ce qui fait son identité. Un album à écouter, les yeux fermés, l’esprit orbitant autour de Sagittarius A pendant que les secondes se transforment en heures, et les heures en siècles de contemplation.

Little Jimi – The Cantos

 

Little Jimi est un jeune trio bordelais exempt de basse et signé pour The Cantos, sa seconde production, sur le label Mrs Red Sound. Rien que ça, un label qui produit notamment Witchfinder et Mars Red Sky devrait suffire à vous faire pardonner l’absence de basse et vous pousser à lire la suite de cette chronique.

En premier lieu arrêtons nous sur la pochette de l’album illustrée par les excellents Arrache Toi Un Œil et qui résume à elle seule l’album. Soit six chants épiques d’une aventure fantastique qui justifient le titre de l’album en convoquant les récits homériques et la tradition grecque de l’hymne itinérant.

En outre, Little Jimi c’est un peu le frangin tranquille de Little Kevin, là où l’on imagine que le personnage de BD se tapait des traces de sucre glace en écoutant du Motorhead à fond, le groupe qui nous occupe lui est un enfant serein, vivant dans sa bulle de longs voyages introspectifs et pleins de couleurs pastel en écoutant King Cirmson .

Pour qualifier The Cantos on évitera tout de suite la référence à Pink Floyd, argument trop évident  en regard de la réalisation de Little Jimi et du space rock/prog en général. Ce qu’on retiendra plus volontiers c’est que le trio réalise un assemblage qui lui est propre et qui fonctionne à merveille.

Pour peu que l’on accepte de se laisser porter par la mollesse cotonneuse de l’esprit de l’album, on trouvera là un lieu de réjouissance à chaque écoute.  La mesure est toujours pondérée mais la lourdeur s’invite régulièrement au cours des compositions qui ne se départissent pas pour autant de leur nature première. Comme dans “First Cantos” ou “Palace Afternoon”, de puissants instants complètent à merveille l’ouverture calme et systématique des pistes.

L’album The Cantos pris dans sa globalité est fait de morceaux qui s’imbriquent étroitement pour offrir  à l’auditeur 42 minutes de cohésion dans un univers musical riche et immersif que l’on pourrait résumer dans le titre “Matchetehew”. (A titre personnel je retiendrai surtout le morceau le plus stoner et le plus percutant qu’est “Indian Rain”, une aventure à lui tout seul même s’il n’est pas des plus représentatifs.)

Le travail de Little Jimi sur The Cantos est assez surprenant, il navigue sur les eaux d’un consensus musical dans lequel on ne trouve de défaut que dans les qualités. Une galette sans aspérités, polie à souhait, fédératrice du plus grand nombre à n’en pas douter. Voyons à présent comment le temps passe sur ce beau travail de Little Jimi et surtout comment cet album sera défendu lors de sessions live qui nécessairement le dénuderont de sa structure globale et du très bon travail de mastering pour livrer les morceaux plus crûment qu’en studio.

 

Moon Coven – Slumber Wood

Après deux disques passés relativement inaperçus, sortis chez Transubstans Records, Moon Coven se fait mettre le grappin dessus par le label US Ripple Music, plateforme intéressante pour permettre à ce jeune quatuor suédois de sortir du quasi-anonymat, avec cette troisième production, Slumber Wood. Et il ne faut pas longtemps pour réaliser qu’ils le méritent : très vite, leur musique captive l’auditeur, happé par ce son qui emprunte autant au doom moderne ultra mélodique qu’au psych le plus enivrant. C’est dans cette hybridation impeccable que Moon Coven trace sa voie, à grands coups de riffs lourds et entêtants, délicieusement fuzzés (les premières secondes du riff quasi-graveleux de “Further” suffiront à convaincre les plus obtus).

Ce faisant, le groupe se joue avec majesté des écueils des genres musicaux suscités, en évitant par exemple d’abuser des compos à rallonge qui ne racontent plus rien au bout de 3 minutes. Avec 8 titres pour 42 minutes, le format du disque est impeccable, et un seul morceau dépasse la jauge des 7 minutes. Les chansons défilant, les repères se dissolvent petit à petit : on capte pas mal de ce qu’on aime chez Mars Red Sky, c’est vrai (ce son lourd et ces mélodies entêtantes, ce travail de compo…), on pense aussi à Uncle Acid dans l’approche musicale visant à établir une proposition musicale cohérente et consistante, très incarnée, assumée… Au final, on se surprend à détecter des influences que le groupe n’a pas forcément (ces leads de guitare à la My Sleeping Karma sur le splendide “Bahgu Nag”, ce chant chargé de reverb à la Acid King, etc…), qui font finalement surtout écho à ce qui se fait de mieux dans le genre, tout simplement. Il y a pire façon d’appréhender un album, vous en conviendrez.

Si pour vous le doom ces derniers mois (années ?) tourne un peu en rond, Moon Coven est le groupe qu’il vous faut : loin du précepte comme quoi l’évolution d’un genre musical l’amène forcément dans ces extrêmes, les suédois développent une voie musicale plus audacieuse, pour un pari qui est déjà réussi. Derrière ce son – qui déjà justifie de se pencher plus que sérieusement sur ce groupe – Moon Coven tisse une série de compositions malines et efficaces, sans point faible, qui vont finir de vous hanter pendant des semaines et des semaines. Un disque qui ne paye pas de mine de premier abord, mais qui se révèle aussi infectieux qu’intelligent.

 


 

 

Se connecter