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The Sixth Storm, “la sixième tempête”, en l’occurrence aussi la sixième production long format de Count Raven… Le disque nous est tombé dessus sans crier gare, alors que l’on croyait le groupe mort et enterré pour de bon, douze ans (!!) après un Mammons War qui, s’il était loin d’être mauvais, commençait quand même à sentir la naphtaline… Faut dire que des groupes de doom qui ont débuté dans les années 80 et qui restent actifs et pas ridicules, on peut en compter sur les doigts de la main du Baron Empain. Count Raven en fait partie, et pourtant ils n’ont jamais vraiment réussi à se hisser au statut culte qu’ils méritent. La faute à quoi ? Une discographie sans faux pas mais sans album de référence évident, un line up instable, bon nombre de splits et autres interruptions de carrière pour des durées plus ou moins claires, une présence scénique famélique… Et pourtant, donc, le groupe trace sa route, se relève après bientôt 35 ans d’existence, et sort dette sixième offrande, que l’on a écouté, reconnaissons-le, un peu à reculons… Le risque de déception était fort : qu’attendre finalement d’un groupe qui évolue dans le même cadre musical depuis plus de trois décennies, qu’ont-ils encore à proposer ?
Déjà, il convient de prendre acte du line-up : le quasi-despotique leader Dan Fondelius est toujours épaulé de la même section rythmique depuis une demi-douzaine d’années, c’est un symptôme de stabilité remarquable dans la carrière du groupe. La recette n’a pas changé au moins depuis le début de ce siècle : ça reste lui qui porte le son Count Raven, au chant et à la guitare. Côté guitare, Count Raven est et reste un groupe à riffs, et The Sixth Storm n’y déroge pas, loin s’en faut, ils s’y comptent à la pelle : “The Nephilims”, “The Giver and the Taker”, “Baltic Storm”… C’est bien simple, chaque titre s’appuie sur un ou plusieurs riffs aussi solides qu’efficaces. Côté vocaux, son chant reste percutant, détonnant dans le paysage du doom moderne, avec une vraie personnalité. C’est (et ça a toujours été) l’un des principaux signes distinctifs du groupe, l’une de ses forces. La prouesse principale de Fondelius tient encore plus dans sa capacité à proposer des mélodies vocales fortes et vraiment marquantes. C’est d’autant plus utile qu’il n’y a qu’une guitare chez Count Raven, les vocaux permettant de compenser le manque de guitare lead sur certains plans.
Quand vient le moment de comparer ce sixième opus à ses cinq illustres prédécesseurs, on en arrive invariablement à le trouver dans leur parfaite continuité. Déjà, avec 1h15 de musique, les suédois se montrent encore une fois généreux. La quantité est là mais la qualité est aussi au rendez-vous : sans se réinventer, le trio sonne bien (j’ai failli écrire “moderne”…) et écrit bien. On trouve bon nombre de petites perles de créativité disséminées ici ou là, refrains hyper catchy et autres joyeusetés venant démultiplier l’intérêt des titres. Prenez “Blood Pope” par exemple : non content de lâcher un gros riff dès l’intro du couplet, ils se permettent de tronquer la chanson en plein milieu par un break heavy et malin, un peu venu de nulle part, et de finir en mode doom sabbathien bien dark. Forcément, on est moins fans des titres mielleux dont le Comte Corbac a coutume, ici un bien dégoulinant “Heaven’s Door”, puis une clôture sur le prophétique “Goodbye”, longue bluette à cordes et piano bien dégueulasse. Mais laisser ces titres faire ombrage à quelques autres pièces maîtresse serait purement malhonnête, et on vous redirigera vers les très massifs “Oden” (épique ET lent, si si) ou “The Nephilims” (plus de 10 minutes d’un titre à tiroirs assez remarquable) pour le constater.
On s’attendait honnêtement à trouver un album de vieux doomeux bedonnants, exsangues d’inspiration, à rabâcher leur Sabbath en pantoufles. On trouve finalement un trio qui s’assume dans son genre (dont il est désormais l’un des derniers défenseurs actifs dans la scène musicale actuelle), à l’aise, et surtout… pertinent ! Count Raven ne sonne pas daté ! Bien au contraire, ils font montre d’un talent renouvelé pour les compos doom old school à rallonge, à haute teneur riffique. Une très bonne surprise, et fondamentalement un très bon album de (vrai) doom.
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Déjà six années d’existence, deux captations live et un second album à compter de maintenant pour Djiin le quartet de Rennes et Nantes. Peu de productions studio pour ce groupe certes mais il est loin d’avoir oublié de retenir notre attention lors de ses préstations scéniques, comme ce fut le cas à Bégles en 2019 au What’s in the wood Festival ou plus récemment en 2021 aux Volcano Sessions Vol.6. C’est avec curiosité que je suis allé poser mes esgourdes sur Meandering Soul et voir si le l’esprit du live avait transpiré dans cet opus alors que pour être tout à fait honnête j’étais resté un peu sur ma faim avec le précédent album (Sans même bien savoir pourquoi d’ailleurs.)
C’est une plongée dans une atmosphère mystérieuse en clair obscur dès les premières notes de “Black Circus”. Une musique qui sait être immersive et confiner au mystique comme avec l’intro de “Warmth of Death” puis les chœurs de son outro. “White Valley” comme “Void” de leur côté jouent de la puissance des effets des instruments électrifiés. Le tout se mêlant à un sel orientalisant, marque de fabrique du groupe.
Meandering Soul fait le plein de cordes torturées, d’âmes damnées, de cris suraigus puisés dans la douleur. Dans ces entrelacs, la voix tantôt abrasive, tantôt sensuelle de Chloé la transforme en ogresse capable de dévorer l’attention de son auditeur. Ce monopole de l’attention ferait presque oublier les musiciens qui entourent la frontwoman, comme sur “Red Desert”, où pourtant ses comparses sont le vaisseau qui la porte et la transcendent.
Le titre de l’album illustre sa conception, Meandering Soul, l’esprit sinueux, vient creuser un sillon dans de multiples univers, rock psychédélique, doom, heavy, traditionnel ou oriental. On pourrait résumer ces aller-retours entre les mondes avec “Waxdoll” , titre garage pop à l’énergie punk. qui par miracle va gratter du côté du prog et du kraut, en particulier avec les habiles solis de Tom le guitariste.
L’album est une machine à remonter le temps qui s’inscrit dans le contemporain pour remonter vers les 70’s. Le tout mis en abîme comme cetteoutro qui répond à l’intro par un réemploi thématique. , Djiin réveille l’auditeur de sa torpeur puis, de prise de conscience en révolte, oscille, navigue et finit toujours par s’envoler.
Six morceaux pour 40 petites minutes, quelle frustration, le format est court pour s’acclimater à tant d’étrangeté. Ce frais Meandering Soul, s’il donne encore parfois une impression de patchwork, affirme la cohésion du quartet qui, s’il continue dans cette voie, va finir par placer la barre encore plus haut dans ses prochaines productions.
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Un son unique, mélange de stoner instrumental et de heavy progressif, des artworks beaux comme des toiles de maître, des concerts mémorables à travers nos contrées mais aussi en Europe : c’est peu dire que les Manceaux de Stone From The Sky ont, depuis 2014, réussi à marquer de leur empreinte la scène stoner hexagonale et européenne. Novembre 2021, voici que déboule la quatrième offrande studio du combo (qui vient de s’attacher les services d’un nouveau batteur), intitulée Songs From The Deepwater. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’artwork est au moins aussi sublime que les précédents, avec cette nuée de murènes protégeant jalousement le logo du groupe. Pour le côté visuel, c’est un sans-faute… Et pour la musique ?
D’emblée, on est plongé dans une ambiance cotonneuse et éthérée avec Godspeed, ses délicats arpèges de guitare, ses percussions qui vous caressent les oreilles, cette ambiance à la fois orientale et vaporeuse, comme au temps des meilleurs méfaits des maîtres du prog des seventies. Mais en un peu plus musclée malgré tout ! Une mise en bouche idéale, d’une part parce qu’elle donne furieusement envie d’en savoir plus et que d’autre part, on sent le groupe au sommet de son art, un art qu’il maîtrise toujours à la perfection. Stone From The Sky navigue désormais dans les eaux du post-rock et délaisse le côté psychédélique de ses compositions pour quelque chose de bien plus lourd, avec un son de basse plus épais, plus présent. Des noms comme Caspian, voire même Russian Circles, viennent à l’esprit. Des pointures du genre, que Stone From The Sky s’amuse à titiller. Pas un vain compliment !
Le Squinfus (drôle de titre !) enfonce le clou et se présente comme le titre le plus costaud de toute la discographie du trio. Préparez-vous à déguster un bon gros pot de rillettes durant six minutes éprouvantes mais grisantes ! Karoshi calme (un peu) le jeu avec un son bien plus apaisé, moins brutal mais tout aussi beau. Un titre qui démontre une fois de plus que SFTS a mûri et a parfaitement apprivoisé ce nouveau line-up (bien que l’ancien batteur Dylan ait participé à l’élaboration des compositions depuis 2018). Et quel son de basse, encore une fois ! The Annapurna Healer (et son final totalement grandiose et épique) poursuit le voyage et démontre un parfait agencement des titres, qui s’enchaînent à la perfection pour offrir une sorte d’entité globale totalement immersive. Ce n’est pas un album concept à proprement parler mais pourtant, c’est un album d’une cohérence absolue, un voyage de 40 minutes, un parcours initiatique, un envol vers des contrées lointaines et jusqu’ici rarement explorées par un groupe hexagonal.
On poursuit avec City I Angst, le premier extrait dévoilé en septembre dernier, qui dévoile des sonorités à la fois atmosphériques et abrasives. Bien plus prog dans son approche avec ses changements de rythmes et d’ambiances, il démontre tout ce qui fait le nouveau virage entrepris par le trio. Puis arrive 49.3 Nuances De Fuzz (!), son riff qui rentre immédiatement dans votre esprit et ses 7 minutes délectables. Et on termine en beauté avec Talweg, parfaite conclusion (et chantée s’il-vous-plaît !) à cet album dont l’écoute aura été un bonheur de chaque instant, un instant bien trop court et qui sera passé à toute vitesse.
L’exercice de l’album de stoner instrumental est bien souvent casse-gueule et beaucoup s’y sont cassé les dents car difficile d’emporter l’auditeur sans le lasser à un moment donné. SFTS y parvient avec les honneurs et les plus réfractaires au genre devraient y trouver leur bonheur. Le trio Manceau nous offre, avec Songs From The Deepwater, l’un des meilleurs albums instrumentaux de l’année. Et pas seulement français, mais bien de l’année 2021. Un incontournable du groupe et du genre.
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Avec la régularité d’une montre suisse, deux ans après le controversé No Comfort, le trio suédois remet le couvert avec son cinquième LP, son second chez Relapse Records. Avec le même sens inexistant de la surprise, leur galette propose cinq nouvelles chansons (pour rappel : tous leurs albums ont cinq ou six chansons) pour quarante petites minutes ; pas leur plus gros bébé, loin s’en faut. Le plus beau alors ? Rentrons dans les entrailles de la bête pour le savoir…
Décidément pas motivés pour jouer la carte de l’originalité, il ne faut pas longtemps pour reconnaître la “patte Monolord” sur ce disque, par ailleurs enregistré par leur propre batteur : leur doom mélodique devenu emblématique est décliné en cinq versions qui ne visent aucunement à révolutionner quoi que ce soit. Et grand bien leur fasse… On retrouve donc sans déplaisir sur ce disque du gros riff de gratte, du gros riff de basse, du gros break à headbanger (lentement ou moins lentement), un son de basse gras à souhait, le chant clair toujours un peu aérien de Thomas… S’il est dit que c’est à la qualité de ses riffs que l’on mesure un album de doom, alors ce Your Time to Shine est loin de démériter.
Côté compos, comme toujours avec Monolord, on est loin de l’album plein : il y a des moments de grâce (le dernier tiers de “To Each their Own”, le riff d’intro dévastateur de “The Siren of Yersinia” puis son break central, l’intro de “To Each their Own”…) mais à côté de ça encore et toujours des sections plus convenues, un peu faciles. Il y a des essais sympas ici ou là (les arrangements de cordes sur la fin de “The Siren of Yersinia”, les deux dernières minutes très “Planet Caravan” de “Your Time to Shine”…) mais rien qui n’emmène cette galette à un niveau d’ambition que l’on attend toujours de la part de nos trois sympathiques doomsters scandinaves.
Pour autant, il serait intellectuellement malhonnête de ne pas reconnaître à ce disque, et à Monolord en général, le talent qui est le sien, dans le sillon musical qui est (désormais) le leur. Le tort que l’on a (et votre serviteur est le premier à battre sa coulpe) est de croire ou d’avoir cru un jour que Monolord serait le parangon du genre, l’avenir du doom, son nouveau porte-étendard. Le trio ne l’a jamais revendiqué, et le vent de fraîcheur amené en son temps par la paire Empress Rising / Vaenir nous aura un peu induit en erreur. En réalité, Monolord est et a toujours été ce groupe de doom franc du collier qui injecte plus qu’à son tour de fortes rasades de plans mélodiques et plus aérés. Puristes et trve doomsters, passez votre chemin : Monolord n’est pas (et n’a jamais vraiment été) un groupe pour vous !
Passées ces réflexions, le constat implacable par se dessiner : Your Time to Shine est finalement un bon album. Pas l’album de l’année, pas le meilleur Monolord non plus, mais au regard de la production des derniers mois, il propose des compos intéressantes, variées, et, rappelons-le, un quota satisfaisant de riffs. A prendre tel qu’il est, il y a de quoi se faire plaisir.
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En quatre ou cinq ans, Green Lung s’est installé dans le paysage underground et a donc choisi le meilleur vrai label de genres underground pour sortir sa seconde galette, Svart records. Un très bon moyen de s’installer dans le temps, d’autant plus que les labels susceptibles de sortir ce genre de musique de nos jours ne se comptent pas sur beaucoup de doigts.
Si vous ne connaissez pas Green Lung (“Poumon Vert”), son sobriquet pourrait vous induire en erreur en imaginant un groupe dans la veine de gros lourdauds consommateurs d’herbe verte tels que Weedeater, Dopelord et autres joyeusetés lentes et/ou crasseuses au sobriquet évoquant largement les vertes volutes. Green Lung produit en réalité un heavy rock nerveux et rétro, mélange de vieux doom à la Candlemass ou Count Raven, partageant avec ce style de groupes cet effort particulier apporté aux vocaux, le chant de Tom Templar ici se révélant dès les premières écoutes être l’un des éléments les plus marquants de la musique du groupe : avec son timbre subtilement nasillard et ses envolées surprenantes (voir “Reapers Scythe”), il marque la musique du groupe de son empreinte. Mais ses collègues ne sont pas en reste, le quintette anglais proposant une série de compos riche d’instrumentations réussies, avec une panoplie étoffée de claviers toujours pertinents (on pense aux premiers Spiritual Beggars aussi), de la guitare sèche (le très beau “Graveyard Sun”) ou énervée (“Doomsayer”, “You Bear the Mark”), en rythmique mais aussi en soli : quelle joie régressive de voir cet exercice aussi futile que ringard trouver une place aussi remarquable ! Scott Black, seul 6-cordiste de la formation, brille de mille feux sur tous les fronts guitaristiques.
Au bout d’une demi-douzaine d’écoutes, les compos gagnent une sorte de familiarité, elles se frayent une place dans notre inconscient pour devenir des sortes d’évidence. Le fruit d’une production remarquable aussi, qui se permet de donner du clinquant et un son moderne à une recette old school.
On est donc face à un album dont la qualité et la richesse croissent au fil du temps, un disque dont on ne se lasse pas, qui satisfera autant les amateurs de vieux doom psych que ceux de retro rock à la sauce “allemando-scandinave” de la dernière décennie, le tout baigné dans une énergie qui emporte l’enthousiasme de quiconque se présente avec un esprit un peu ouvert. Une bien belle rondelle ma foi.
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Bogwife jusqu’ici est un groupe qui n’a pas vraiment eu l’opportunité de se faire remarquer. Quartet danois formé il y a à peine trois ans, le groupe a sorti un album en 2020 passé complètement sous les radars, sur un label pas moins discret. En sait-on beaucoup plus sur le groupe ? Pas vraiment. Est-ce qu’on a besoin d’en savoir plus ? Pas vraiment non plus.
Du coup on s’enfile la galette assez vite sans trop se poser de question. Les cinq titres proposés ne laissent pas trop de doute sur les tendances musicales affichées (et assumées) : Bogwife propose un doom assez classique (école anglaise grand cru, du début du siècle, en gros), mâtiné d’influences stoner psych bien joufflues. Ainsi, si l’ombre du Electric Wizard “milieu de carrière” traîne sur cette galette (un peu trop de “Witchcult Today” dans le riff de “Celestial Dawn” ?), elle se retrouve épaulée de plans lourds et planants emblématiques d’Acid King, et d’un sens mélodique qui ne va jamais tomber très loin des plate bandes de Mars Red Sky. Une plutôt bonne compagnie a priori, donc.
Dans ces conditions, l’écoute de ces cinq titres est un véritable ravissement auditif pour tout amateur des formations suscitées : amateurs de gros riffs lents et efficaces étirés en longueur, avec un chant lointain paumé derrière les amplis, le tout baigné dans une fuzz vaporeuse et croustillante, ce disque devrait vous plaire. Il va sans dire que les compos, sans être révolutionnaires, ne manqueront pas, et ce dès le troisième ou quatrième tour de piste, de vous faire hocher lentement de la tête en rythme : développant un grand sens mélodique, les cinq titres proposent assez de variations et de riffs accrocheurs pour faire passer quelques délicieuses heures, la tête embrumée…
A Passage Divine est donc un bien agréable album de doom quasiment régressif : peu de nouveautés dans ce style rebattu a priori, mais l’incorporation de genres annexes bienvenus, porté par un vrai respect des principes fondateurs du genre, accompagné d’une écriture fort efficace, rendent le tout fichtrement efficace. Et donc un peu court : 36 minutes, c’est un peu trop light à ce niveau. Dommage.
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« In Carne Persona ». Si la traduction latine semble approximative (ou y a t-il une obscure référence qui échappe à tout le monde, google y compris), l’esprit est là : « In the Flesh », « dans la peau de l’autre » dirions-nous. Une impression renforcée par une pochette qui, elle aussi, semble inviter à aller chercher ce qu’il y a « derrière ». Difficile pour le connaisseur du groupe de ne pas faire de parallèle entre ce concept et la façon qu’a Duel, depuis 4 albums désormais, d’inCARNEr les différentes facettes du hard rock/heavy des 70’s. Comme tant de groupes stoner du moment, Duel s’est d’abord présenté avec une grande déférence pour Sabbath : riffs de plomb sur groove enlevé, Fear Of The Dead marque les esprits et positionne Duel sur le haut de la pile des dossiers fuzz à traiter. Witchbanger file quant à lui la métaphore en élargissant discrètement le spectre, notamment en ce qui concerne les harmonies de guitares, sous le haut patronage de Thin Lizzy, ou Trouble pour le côté plus américain. Valley of Shadows poursuit l’exploration de la décennie bénite du riff, lorgnant sans rougir vers le proto heavy 80’s. Une démarche que de nombreux groupes récents ont entamé, Horisont en tête.
Duel combine les meilleures habitudes des 70’s (rythme de publication effrénée, tournées constantes, albums ramassés, singles entêtants) avec le confort d’aujourd’hui : têtes d’ampli customs (Witchbanger, une toute petite marque d’Austin) et home-studio (le Red Nova Ranch). Mais ce qui est sa force est également sa limite : Duel va trop vite. In Carne Persona possède quelques indéniables qualités mais noie ses trouvailles dans un conformisme fatiguant. Tout ça manque de riffs marquants, de morceaux notables. Pour un très bon « Children of Fire », trop de « Wave of Your Hand », d’« Anchor » (qui rappelle les titres les plus faibles de QOTSA) ou « Bite Back » dont l’énergie ne suffit pas à transcender un terrible manque d’originalité. Le groupe a beau se lâche sur « Dead Eyes », retrouve un peu de mordant mais combien de fillers pour 2 bons morceaux ?
A force d’avoir les dents qui rayent le parquet, Duel semble s’être coincé une canine dans le bois et si ce coup d’arrêt n’aura pas d’incidence sur la qualité de ses prestations lives (à voir au Hellfest 2022, en espérant une tournée autour), difficile de ne pas se dire qu’il y avait matière un faire un très bon album en mixant Valley of Shadows et In Carne Persona. “In Carne of Shadows” ? Voilà le disque que j’aurai aimé avoir.
Le point vinyle :
Heavy Psych est devenu une belle machine à promotionner des groupes stoner, leur site, particulièrement bien fait, permet d’acquérir aisément les différents press couleurs (80 en transparent yellow/orange, 150 en green splatter red – tous deux réservés à la vente via le site – et 450 neon violet plus le pressage noir classique, que vous pouvez retrouver un peu partout). Heavy Psych a fait le choix de rendre leurs pressages limités plutôt chers, une démarche visant probablement à limiter la spéculation mais obligeant à passer un cap psychologique important à l’achat (16 euros pour un disque noir, 32 euros pour le pressage le plus limité mais ni gatefold ni goodies).
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Crystal Spiders avait fait sa petite impression au sein de la rédaction l’année passée avec un album Molt qui nous avait permis de dresser un joli pédigrée au duo de Caroline du Nord. Inutile de vous refaire l’article, Maître Laurent vous avait déjà tout dit ici. Donc une année plus tard les Crystal Spiders font encore parler d’eux sur une configuration duo mutée en trio avec l’aide renouvelée de Mike Dean de Corrosion of Conformity pour enregistrer l’album Morieris sorti chez Ripple Music et que l’on a hâte de voir lâché sur les routes.
Roh mes enfants, qu’il est envoûtant cet album. Voilà des mois que je n’avais pas tiré autant de satisfaction d’une écoute attentive. Comme de par le passé on insistera sur la qualité de vocaliste de Brenna Leath qualité qui n’ôte rien à ses aptitudes en tant que bassiste. C’est toujours entre lourdeur et finesse, les deux instruments de sa voix et de sa gratte soufflent le chaud et le froid, l’aérienne envolée du chant et le riff collant comme de la glaise. Tradd Yancey de son côté frappe doom et lent et pourtant il sait ajouter de malicieux coups inattendus et toujours enjaillants ou bien cavaler comme un fou de peau en peau. A ce propos, que dire lorsque la musique s’accélère sur “Maelstrom”, que le chant se fait plus primal que la gratte vient saupoudrer le tout de notes incisives? Rien si ce n’est que c’est formidable, ça ralenti quand il faut, tout est calé pour le plaisir.
Morieris est taillé pour enchaîner les tours de platine, ça tient le pavé à tous les tempos et ça envoie toujours sans agresser, même sur “Pandora” et son esprit punk nanti d’une batterie énervée soutenant la voix soul de la chanteuse et le groove de sa basse.
Si de doom il est toujours question sur “En Media Res” qui se pose en marche funèbre pachydermique à la lourdeur duquel le très classique “Golden Paw” n’envie rien. Il faut reconnaître que l’amateur de doom retrouvera moins ses marques que dans le précédent opus Molt et cela poussera sans doute certains à dire que Morieris est moins bon. Je me refuse à me ranger à cet avis arguant plutôt du fait que les deux opus sont différents sans qu’il y ait une perte de qualité. Ce nouvel album exploite des idées déjà présentes précédemment et choisi de le faire à fond au détriment d’une probable zone de confort pour ceux qui était dans l’attente d’une redite…
Il résulte de la progression de Crystal Spiders de puissantes cavalcades et des passages si groovy qu’ils possèdent le corps de qui s’approche un peu trop près, le poussant par exemple à se repasser en boucle le titre “Offering”.
Morieris coche presque toutes les cases de l’album parfait. Il ne lui manque presque rien si ce n’est un titres ou deux mémorables pour atteindre le pinacle. Cependant est ce bien utile de minorer une plaque parce qu’il reste une marge de progression à ses auteurs ? Au contraire, Crystal Spiders nous a offert en moins d’un an une belle suite à sa précédente œuvre et nous laisse présager du meilleur à venir. Ce nouvel album vient alimenter l’histoire d’un groupe au travers duquel il devient urgent de ne plus passer.
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La mode est un éternel recommencement et depuis que le metal est devenu quinquagénaire (13 février 1970 – ?), ce dernier semble de plus en plus regarder dans le rétroviseur. Une façon de consolider l’avenir, fort d’un passé sereinement intégré. Bien sûr le processus favorise le business de quelques petits malins, profitant de la vague nostalgique pour réchauffer du riff de seconde main et le vendre au prix du neuf, sans en préciser la provenance, mais ce n’est là que portion congrue. La scène extrême d’ailleurs est celle qui à la plus à gagner de ce retour en arrière, la course à la vitesse, la lenteur et à la méchanceté touchant inexorablement à sa fin. Tous les territoires semblent défrichés (la donjon synth est une réalité, il n’est plus possible de revenir en arrière), alors comment rester kvlt sans trahir ses idéaux ? A ce jeu, la carte du retour aux sources est une imparable gageure. C’est mathématique, les death, doom et black sont des produits mutagènes des années 80 et à l’heure du bilan c’est à cette décennie que tout ramène. Hooded Menace, saigneurs finlandais de la lenteur macabre ont entamé cette démarche avec Ossuarium Silhouettes Unhallowed dès 2018 : aérer le cadavre pour lui donner l’air vaillant, fémur au vent, libéré de sa cage (thoracique) funéraire, tenant à distance les plus mélomanes d’entre nous. Une démarche de « metal total », cet habile équilibre entre conservation des idéaux et accessibilité pour le grand public. Un album qui aurait dû porter le groupe un peu plus loin si la COVID n’était pas passée par là, si le groupe avait plus d’appétence pour le live, si la pochette de l’album n’avait pas été aussi sombre… Mais avec des « si » on met Hel-si-nki en bouteille et de toute façon The Tritonus Bell est désormais là pour régler le problème.
Ce disque est en tout point pensé pour asseoir la notoriété du groupe sans perdre un seul fan de la première heure le long du chemin (neigeux, dangereux, plein de pièges et de brigands) : le retour du moine encapuchonné sur la pochette (Hooded Menace aura mis quelques albums à comprendre qu’ils avaient une mascotte, et que la mascotte y a pas plus 80’s comme démarche), dans des teintes qui ne sont pas sans rappeler les Maîtres de l’Univers (dont 2021 marque également le retour), est un signe avant-coureur de ce qui va suivre. La musique elle, fait un bond de trente ans, dans son intention mélodique, sa construction rythmique et dans la prépondérance de riffs autour desquels se construisent les morceaux. On pense bien volontiers à Paradise Lost, au son d’Icon, à la radicalité de Gothic et à l’appétence mélodique de Medusa, mais on se dit surtout que les deux groupes ont puisé leur eau à la même source. L’ombre de Mercyful Fate plane au-dessus de « Blood Ornaments », il y a du Candlemass derrière « Chime Diabolicus » et même un peu de Maiden sur « Corpus Asunder », le tout revisité avec déférence par Lasse Pyykkö et les siens. Le tempo est certes plus enlevé, mais la voix des cavernes d’Harri Kuokkanen ainsi que les ambiances macabres qui ont fait la renommée d’Hooded Menace nous rappellent, au détour de chaque riff, que c’est bien de doom qu’il s’agit. D’un doom plus ouvert que jamais dont les appétences mélodiques et la science du riffing n’avait pas été entendu depuis des temps… Draconiens.
Point vinyle :
Ô rage, Ô damnation. La jolie box avec le patch et le pin’s est réservée à la version CD. Pire encore, c’est toujours sur ce vilain format que vous aurez droit à l’excellente reprise de W.A.S.P. « The Torture Nevers Stops ». Côté vinyle donc, quelques couleurs (Crystal Clear & White Marbled/250ex ; Purple/300ex / White Purple & Blue Marbred//200ex) ainsi que la version noire, noire comme l’âme des damnés. A vous de voir quel budget y mettre après avoir acheté… le CD.
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Kadabra c’est un Pokémon, oui! Mais c’est aussi un trio assez confidentiel de l’état de Washington dont le potentiel d’évolution est mis en valeur grâce à Heavy Psych Sounds Records. C’est chez eux que sort la première galette du groupe et ça s’appelle Ultra.
Six titres et rien en dessous des cinq minutes, c’est la structure de la plaque qui va révéler au monde le savoir-faire de ce groupe sabbathique (c’est comme sympathique mais avec du Black Sab’ dedans ). Plutôt que de se contenter d’enfoncer la porte ouverte du riff pesant joué midi tempo usé (mais inépuisé) depuis cinquante ans, Kadabra donne à l’oreille de gourmandes structures assez modernes et séduit par ses parties de chant en chœur.
Là où les titres “Gaveyard” ou “Death” jouent sur un terrain entendu mais sans déplaisir on trouvera une vitalité souveraine et une fraîcheur indéniable sur “Bean King” et “Settle Me” qui bondissent sur la fuzz de la basse et les saccades de la batterie pendant que la gratte grasse et généreuse enrobe l’acidulé du chant.
Psychédélisme, stoner, flirt pop c’est ce qu’il y a dans Ultra. Grâce à ses agents de chant super doux, Ultra rendra vos tympans soyeux comme jamais. Pour un paquet d’Ultra acheté vous recevrez en cadeau des riffs finement maîtrisés, une batterie pleine de kicks efficaces et une production léchée.
Ultra est un disque de Kadabra à mettre entre toutes les oreilles et ce sans limite. Un premier travail qui risque de placer le groupe sur la liste des indispensables de toute bonne collection de disque alors rendez vous chez votre marchand de bonnes vibrations avant qu’il ne soit trop tard !
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La rosette, les quenelles, le saucisson brioché, la tarte à la praline, la cervelle de Canut… La région lyonnaise n’est pas avare en spécialités culinaires à haute teneur en calories. Des mets qui ont du goût, qui tiennent au corps et qui font instantanément monter votre taux de diabète et de cholestérol en flèche. Mais Lyon est également l’une des grandes capitales du stoner hexagonal, à égalité avec Nantes, Bordeaux et Paris. Le collectif Lyon Stoner Doom s’emploie d’ailleurs depuis plusieurs années à promouvoir la scène stoner de la capitale des Gaules et l’une de ses têtes de gondole se nomme Goatfather.
Goatfather sévit dans nos contrées depuis 2014. 2016 vit la sortie de Hipster Fister, premier coup de semonce qui prouva au monde entier que le stoner hexagonal n’avait rien à envier aux autres scènes européennes et mondiales. De nombreuses dates, notamment aux côtés de Mars Red Sky, Stoned Jesus ou encore Planet of Zeus, ne feront qu’asseoir la réputation des lyonnais. Et en cette rentrée 2021, nos quatre gaillards se font un plaisir de nous balancer à la tronche un nouvel opus, sobrement intitulé Monster Truck, un titre qui en dit long sur les intentions de Goatfather.
Et en effet, dès le titre d’ouverture « Convoy », une seule solution possible : s’écarter du chemin pour ne pas se faire écraser par un rouleau-compresseur sonore. Une mise en bouche idéale pour ouvrir cet album qui continue avec un « Punish the punisher » aux guitares rutilantes. Le propos se muscle, tant au niveau du son que de la voix rauque et velue de Yann (affectueusement surnommé Olaf). On s’imagine aisément au volant d’un énorme truck américain, coude à la portière et pied au plancher sur une highway déserte. Ce n’est certes pas très original mais alors, c’est sacrément efficace, notamment le final qui ne fera aucun prisonnier et mettra à coup sûr le feu à la fosse.
« Blood of my brother » calme (un peu) le jeu avec, toujours, ce son monolithique et pachydermique, marque de fabrique du groupe. Amateurs de solis travaillés et d’effluves psychédéliques, passez votre chemin ! Du moins, écartez-vous du chemin de ce Monster Truck qui n’aura que faire de vos chemises à fleurs et de votre dégaine de hippie ! Goatfather vous filera un T-shirt noir orné d’une belle tête de mort (ou de bouc, du coup !) et vous fera troquer votre combi VW contre un sublime Peterbilt. Le titre éponyme ne ralentit pas la cadence avec, toujours, cette efficacité sonore qu’on pensait réservée aux groupes d’outre-Atlantique (hormis l’accent à couper au couteau de l’ami Olaf !).
Juste le temps de reprendre son souffle et de retourner la galette que « Don’t give up » reprend le rythme de plus belle avec un mid-tempo idéal pour un headbanging entre potes. « Mile after mile » poursuit la route de ce concept-album (car c’en est un, en quelque sorte) pour vous plonger cette fois-ci dans un tunnel sans autre lumière que celle des phares de votre truck filant à toute allure dans la nuit. Puis, comme pour annoncer la fin de cette démentielle virée, « In your face » vous prend par la gorge et fait dévier de sa trajectoire votre semi-remorque à grands coups de riffs dévastateurs et de hurlements sanglants. Ne reste qu’à déguster « Shelter », votre truck ayant définitivement quitté la route pour aller s’écraser au fond d’un ravin avec pour seul compagnon un doux mélange d’effluves de carburant, de sueur et de sang.
Monster truck est donc une redoutable machine de guerre. Goatfather a enfanté un truc tellement lourd et puissant qu’il tient la dragée haute à nombre de groupes internationaux dans un genre embouteillé et dans lequel pour se faire une place, impossible d’y aller en douceur. Il faut jouer des coudes et bousculer la concurrence. Ou leur rouler dessus, c’est encore plus efficace !
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Upper Wilds est le groupe-projet du multi-instrumentiste Dan Friel (musicien new yorkais sur-productif, ayant fait ses armes dans diverses strates de la scène underground de Brooklyn), qui se fait épauler de deux discrets drilles pour dessiner les contours d’un trio. Venus, qui fait suite à Mars (2018) est en gros le troisième disque du trio, et il mérite à plus d’un titre une écoute curieuse et attentive… voire plus si affinités !
Friel n’est pas qu’un guitariste-compositeur, il est aussi un bidouilleur, de sons en particulier. Les sons produits sur le disque sonnent effectivement bien barrés, et c’est grâce à des vidéos du bonhomme qu’on comprend un peu plus d’où sortent ces sortes de gargarismes guitaristiques bien particuliers, sorte de kazoo de la six-cordes (!!).
Passées ces considérations somme toute assez accessoires, vient le temps de se pencher sur le disque en lui-même – une galette atypique à coup sûr. Mieux vaut déjà ne pas chercher à classifier le genre musical pratiqué, un exercice de style en soi : s’y retrouvent dans une danse orgiaque pèle-mêle une sorte de boogie rock fuzzé boosté au kraut rock psyche, chargé aux envolées space rock, le tout enrobé avec une sacrée énergie. C’est d’ailleurs cette dernière qui emporte en premier l’auditeur (voir l’ultra-boosté “Love Song #2”, qui carbure au fuzz amphétaminé, ou le frénétique “Love Song #6” – oui, soit dit en passant, les gars ne s’embêtent pas à trouver des titres aux chansons et proposent rien moins que dix “Love Songs”). Amis du mid-tempo, passez votre chemin. Bref, imaginez une partie de Mölkki visionnée en mode “avance rapide” sur un vieux VHS, où s’affrontent Devo, Andrew WK (!), Hawkwind, les Truckfighters… Oui ? Bon, non, finalement vous êtes encore loin du compte.
Venus est un disque-expérience remarquable d’efficacité, un disque qui va au delà de la curiosité. Si vous arrivez à vous frayer un chemin dans ce fouillis musical, vous êtes susceptible d’y prendre un sacré pied.
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Étonnante carrière que celle des pourtant jeunes Heavy Temple : le groupe existe depuis 2012, mais ne publie son premier LP que maintenant, presque 10 ans plus tard ! Dans l’intervalle, une palanquée de singles / EP, participations à compilations diverses… et à son crédit, des concerts à la pelle (dont une bonne part avant même d’avoir la moindre sortie vinylique à son actif). Il apparaît que la scène est un terrain de jeu où ils excellent… Le trio de Philadelphie a en revanche vu son line up sévèrement remanié au fil des années, avec pas loin d’une dizaine de musiciens qui se sont succédé à a guitare et à la batterie, autour de l’évidente frontwoman du groupe : High Priestess Nighthawk (bon, OK, c’est pas son vrai nom, mais avouez que c’est le nom de scène le plus cool que vous avez entendu depuis longtemps).
Le raccourci est vite pris : dans ce trouple, c’est clairement madame qui porte la culotte (amis de la misogynie ordinaire, bonsoir). Ce ne sont pas les premières mesures de “A Desert” qui vont nous faire revoir notre archaïque et si hâtif jugement : la vocaliste y déploie quelques lignes vocales aussi puissantes qu’accrocheuses, signes d’un coffre et d’une technique admirables. A n’en point douter, il s’agit d’un des points forts et caractéristiques les plus marquantes du groupe – la chanteuse dépote. Notons par ailleurs qu’elle assure le jeu de basse en complément. Pour autant – et les écoutes ultérieures en font la preuve – Heavy Temple n’est pas un “groupe à chanteuse” (définition du Grand Robert : groupe dont 80% de l’attrait auprès du public repose sur le fait d’avoir une chanteuse charismatique, rendant facultatif le besoin de faire preuve du moindre talent musical), loin s’en faut : les compos défilent et font montre d’une qualité d’écriture et d’interprétation qui forcent au respect. A ce titre, le même morceau introductif “A Desert”, où miss Nighthawk fait donc montre de ses remarquables talents vocaux, permet par exemple un peu plus loin non seulement de déguster un break groovy du plus bel effet, mais aussi un peu plus loin un bien sympathique solo (pas d’une grande technique, mais un vrai effort de mettre les lead en avant sur une si longue séquence est toujours appréciable). Si une autre preuve que le groupe ne repose pas que sur sa chanteuse devait être apportée au dossier, votre serviteur vous renvoie simplement à “Howling” en clôture, un titre… instrumental ! Rappelant occasionnellement Karma To Burn sur sa première moitié pour son riffing catchy nerveux, le titre présente des reflets plus variés sur sa seconde section.
La galette déroule donc ses morceaux dans un style musical pouvant s’apparenter à un stoner épique, empreint de heavy metal tout comme de doom old school. La variété est au rendez-vous : rythmiques heavy, mid-tempo énervés, envolées épiques… Une bien belle démonstration… en cinq chansons ! Car le voilà, déchirant, le lourd défaut de ce disque : cinq chansons seulement, pour moins de 33 minutes de musique, c’est chiche – en particulier quand on parle de l’unique LP d’un groupe ayant derrière lui presque dix ans de carrière ! Bien trop peu pour entériner la démonstration, et bien trop peu globalement pour satisfaire l’auditeur, légitimement exigeant de nos jours.
Reste que ces 5 chansons sont d’une redoutable qualité, et, même imparfaites, ces compositions proposent certains des plans musicaux les plus exaltants de ces derniers mois. Seule la quantité est un peu insuffisante pour se mettre à la hauteur de ses ambitions (notre notation aurait été meilleure), c’est fort dommage. Mais il serait toutefois bien malvenu de se réfugier derrière cet argument pour faire l’impasse sur ce disque.
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Yagow est un groupe discret d’activistes de la chose psyche, hébergés au sein d’un label discret d’activistes de la chose rock audacieux au sens large, Crazysane Records. Ce binôme a décidé de continuer leur collaboration sur ce second album, qui nous montre un jeune trio doté d’une maturité remarquable déjà à ce stade, moins de quatre ans après un premier album toutefois déjà prometteur.
Le trio allemand propose une très savante décoction sur une base très largement psyche, qu’il saupoudre copieusement de passages space rock, kraut rock, stoner rock… Sur le papier, ça semble pas fou-fou (c’est d’ailleurs le sentiment qui prédomine après une ou deux écoutes). Or avec un peu plus de recul, on prend la mesure de la très bonne gestion de cette sorte d’hybridation, avec toujours des choix de sonorités, de rythmiques, d’instrumentations, parfaitement adaptées : les riffs bien fuzzés de “Rise & Shine” et “Tres Calaveras” qui engagent les morceaux avec une certaine “poigne”, l’écho sur la voix sur “Bloom” pour appuyer l’esprit space et hypnotique, les claviers relevant le groove nonchalant de “Electric Electric”… Tout sonne bien sur ce disque ! Et même la voix très nasillarde de Jan Werner, copieusement chargée d’effets, qui pourrait vite sonner agaçante, se révèle un atout pour le groupe, et une caractéristique forte.
Quant à l’écriture, elles est à l’avenant, avec des titres qui d’une part sortent des sentiers (re)battus du genre, n’abusant jamais de la répétition à outrance, des claviers surabondants… L’efficacité est au rendez-vous, et la construction de chaque titre amène son lot de groove et de moments forts, le tout sans jamais se répéter (rythmiques variées, choix de prod différenciants…).
The Mess est probablement l’un des meilleurs disques de psych de 2021 jusqu’ici, fruit d’un trio germanique passionné du genre, investi et audacieux dans ses choix, n’hésitant pas à densifier son fond de jeu en picorant quelques inspirations dans des genres musicaux annexes et amis. L’ensemble est réussi, cohérent et jamais ennuyeux. Comme quoi il est possible de faire un bon album de psych rock sans tourner en rond…
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On tend aujourd’hui l’oreille vers la Belgique, attiré par les complaintes démoniaques résonnant d’une cavité profonde et qui font vibrer les sous-sols de Charleroi depuis quatre ans maintenant. Les prophètes du jour se nomment Absynth, un quatuor inspiré signé chez Southcave Records et qui propose un doom puissant et grassouillet à souhait. Retroussez vos manches, décrassez-vous les boites à miel, car c’est une épaisse couche qu’on va se tartiner.
Après un EP éponyme sorti en 2017 et un single un an et demi plus tard, il faut attendre juillet 2021 pour enfin apprécier une pièce soigneusement usinée comme l’est ce premier album Plèbe 2178. Originellement prévu pour 2019, le bougre aura vu sa sortie repoussée, pour des raisons sans doute multiples, avant d’enfin nous arriver à l’orée de cet été dégueulasse. Et quelle découverte !
Tout commence avec « Pigs, Dogs & Whatever you want ». On arpente ici un rivage doom sombre, les pieds dans un marécage sludgy au tempo lent. Les grattes d’Antoine et Gaëtan flottent comme un épais brouillard saturé de toxines électriques qui vrillent l’esprit, tandis que basse et batterie imposent une rythmique puissante, percutante, tels les pas d’immenses créatures monstrueuses dont la simple vision des contours hérisse le poil. Là-dessus, le chant torturé d’Antoine vient par instant sévir, menaçant, à l’instar d’éclairs frappant sporadiquement cette plaine désolée de leurs inflexions surchargées.
Si vous ne deviez écouter qu’un titre, je vous aiguillerais de suite vers « Psychiatre Carcérale Pyschopathe ». Bon déjà, rien que pour le nom, mais ce titre se révèle aussi un véritable monument, érigé à la gloire du doom. D’abord une ligne de basse crade à souhait, vite rejointe par le jeu puissant et non moins habile de Douglas, qui derrière sa batterie débite les tronçons comme un furieux bucheron. La frénésie règne un moment avant que le calme s’impose peu à peu. On entre alors dans l’œil du cyclone, une accalmie saine évoquant par moment REZN. Puis, comme on s’y attendait, les guitares sonnent le glas de la trêve et l’univers explose à nouveau dans un groove abyssal d’une puissance dévastatrice.
Plèbe 2178 nous propose aussi des pièces comme Gasp, sorte d’interlude sonore dérangé, qui nous rappelle que le groupe, certes confiant de son identité, ne rechigne guère à verser dans l’expérimental et encore moins à nous en partager les résultats. « Black Land Rituel » prend le relai, morceau sorti en février 2019 et admirablement intégré à l’album. Album jouissant d’une prod et d’un mix aux petits oignons. Il n’y a qu’à comparer avec l’EP de 2017 pour se rendre compte du travail accompli et de la qualité du rendu.
Une belle promesse en somme. Si Absynth n’en est pas à sa première production, cet album à l’artwork de Willy McDope, représentant la cabine d’un vaisseau pirate dérivant aux confins de la galaxie, se positionne comme une très belle première pierre à un édifice qui atteindra, on l’espère, des sommets inégalés.
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