Camel Driver – \ /

 

Camel Driver pourrait devenir spécialiste des pochettes d’albums mettant en scène un dromadaire ,(oui, je suis certain que c’est un dromadaire et je suis persuadé que tu ne veux pas savoir comment je l’ai appris), pour leur second LP le trio met en abîme le camélidé de l’artwork précédent et attire l’attention par ce biais. De fait je me dis qu’il en faut parfois peu pour attirer l’attention de l’auditeur et du côté du titre nos zikos de Kiel ont probablement appliqué ce principe. \ /, voilà un titre qui ne ressemble à aucun autre et qui pourrait laisser présager un grand foutoir au sein de la plaque.

L’ouverture feutrée et paisible de \ / laisse rapidement la place au second titre “Marrazahn” où le gratteux égraine les notes à la vitesse d’un parangon de Radio Moscow. Cette pulsation entre calme et fougue va battre tout au long des cinquante minutes de l’album,  un enchaînement de titres mid tempo entre planant et pesant, intercalés de compositions plus excités. Pour ceux qui avaient suivi le précédent album, il faut dire que cette plaque est moins chargée d’énergie juvénile, plus épurée et ses titres plus construits.

En Jam band Stoner psyché instrumental, Camel Driver trahit probablement l’originalité du titre de son album mais pas ses frères d’arme. On retrouve dans leur musique les oscillations d’un My sleeping Karma, la saveur d’un Stone From The Sky ou en filigrane des sonorités gavées de Mother Engine et consorts. (“Vulcan” résume assez bien tout cela) En revanche avec son nom, Camel Driver ne triche pas, et affirme son amour des sons orientaux régulièrement. Cependant ce n’est jamais lourdement imposé, le trio saupoudre ses titres de petites phrases en forme de rappels comme avec “Inferno”, “Marrazahn” ou “Bazaar”. Ce dernier titre d’ailleurs contient quelques lignes de basse dont il faut louer la qualité. Les harmoniques balayent toute objectivité quant à l’analyse du titre et ce très beau travail emporte ensuite l’auditeur vers des contrées plus agressives,  donnant à entendre un grand écart entre Jazz fusion et Métal.

Il faut peu d’écoutes pour comprendre que ce trio c’est un peu Ripolin,  peignant couche sur couche. Le millefeuille fonctionne plutôt pas mal d’ailleurs mais il faut avouer que parfois c’est un poil le foutoir comme sur “From Ignition To Full Thrust” qui passe par toutes les étapes des genres précités et fonce vers le Post Rock. A ce propos, je m’interroge toujours quand un groupe a pris beaucoup de temps entre deux plaques (Ici, il aura fallu six ans). N’a-t-il pas trop de choses à dire et ne se perd-il pas dans ses ambitions ? Cette question posée je dois admettre cependant que “From Ignition To Full Thrust” m’a paru savoureux. Cette migration vers le post Rock pourrait même constituer une suite logique pour l’écriture de Camel Driver.

A embrasser \ / dans sa globalité je me demande un peu avide ce que pourrait donner la prochaine plaque de ce groupe qui a de quoi causer pendant des heures. Les cinquante minutes de cette galette paraissent bien peu même au fil des écoutes et on souhaite ardemment une suite rapide pour Camel Driver afin de se fixer sur leur évolution. En attendant, je ne saurai que vous recommander l’acquisition de ce sublime artwork et de cette production des plus enthousiasmantes.

 

Howard – Obstacle

Quel exercice plus délicat que d’évoluer dans le monde du « classic rock » ? Quel agrès plus difficile que celui des Purple pères, des Doors darons et autres tontons Zeppelin ? Les codes du genre ont tellement été assimilés, digérés, recrachés depuis 50ans, un demi-siècle nom de nom, que s’attaquer à ce style et vouloir y défendre sa patte relève soit du suicide soit d’une foi inébranlable en ses capacités.

Howard the band ne se pose, à vrai dire, pas la question. Il fonce dedans au travers des sept compositions qui charpentent son premier album, Obstacle.

Soutenu par une ossature guitare-batterie-orgue, le trio navigue sur ce long fleuve peu tranquille qui serpente depuis la fin des années 60. A l’aise techniquement, les musiciens ont donc le loisir de développer leur sens de la mélodie et ont l’intelligence de laisser s’exprimer le claviériste, là où d’autres groupes ne s’en servent que d’appui ou de faire valoir au gras riff des guitares. Chez Howard, quand le clavier s’exprime, ce sont les autres qui écoutent et structurent, charpentent le morceau. Ca virevolte, on sent les notes se prendre dans les barbes et les jams exploser les HP des amplis. On traverse l’opus en terrain connu et satisfait de la partition exécutée par le groupe. On écoute l’album sans véritable désagrément, sans faute de composition.

Cependant on le traverse sans être transcendé non plus.

Howard a parfaitement assimilé l’argumentaire de ses pairs mais il lui reste à intégrer plus intensément son identité, ses particularités, ses imperfections même. En effet, on ressort de l’écoute avec ce sentiment du travail trop bien fait, trop proprement exécuté. Le chant par exemple, est impeccable, propre, à l’excès à vrai dire. En live, le groupe est coupable de décharges électriques vraiment salaces, d’assauts rythmiques telluriques, de chants éraillés et conquérants. En live, le trio interprète, vit ses compositions, chose qu’il n’a pas su faire sur cet album, tout du moins retranscrire.

On ne retrouve pas l’électrisante excitation que le trio façonne sur les planches, cette jouissance, ce travail physique qu’il nous assène en face à face.

Rien de grave dans ce constat, le trio est encore jeune et aura tout le temps de peaufiner son identité sonore, sa patte. Voyons dans Obstacle un manifeste de ce dont est capable Howard et gageons que la prochaine étape sera celle de l’affirmation de sa personnalité et de son émancipation. Après tout, il est dans l’ordre logique de « tuer le père » un jour ou l’autre.

Smoke Mountain – Queen of Sin

Auteur d’un vague EP publié discrétos il y a un peu plus de deux ans, on ne peut pas dire que Smoke Mountain bénéficie d’une renommée énorme dans nos contrées. C’est l’excellent label italien Argonauta qui propose à ces jeunes floridiens de mettre le pied à l’étrier avec ce premier album. Le groupe propose une configuration un peu atypique – il s’agit en l’occurrence d’une sorte de trio-fratrie (la frangine Pitt au chant, les frangins à la guitare et la batterie…) – ce qui a rajouté à notre curiosité au moment de découvrir leur première vraie production.

Dès les premiers tours de pistes, le son du groupe aura laissé de côté une partie des auditeurs : proposant une mise en son rêche et brute de décoffrage, pour une sorte de garage-doom old school, ils ne séduiront probablement pas les amateurs de productions léchées. En revanche, les amateurs de son gras et sale, où la guitare sur-fuzzée baveuse à souhait occupe 80% du spectre sonore, avec en sus des lignes de chant que l’on croirait enregistrées dans la salle de bain, seront séduits d’emblée – ce fut le cas de votre serviteur.

Composante primordiale de ce son bien caractéristique, la guitare se taille la part du lion, en particulier en l’absence de basse ! Il faut toutefois modérer cette hypothèse : on entend distinctement des lignes de basse (ou assimilables) à de nombreuses reprises, probablement exécutées à travers une “baguitar” ((c) Collyn Mc Coy) ou équivalent de guitare avec 2 cordes de basse, voire simplement à l’enregistrement (une piste basse et une piste gratte). En tous les cas, le juge de paix sera le live…

L’enchantement sonore ayant opéré, reste au groupe à maintenir son pouvoir de séduction à travers un ensemble de compos qualitatives. Proposant un disque aux caractéristiques peu éloignées du nombre d’or musical (8 pistes, 35 min, pas loin de la divine proportion d’un album doom old school classique), le groupe ne se disperse pas et concentre son effort sur huit morceaux solides, efficaces et accrocheurs. Ça commence fort avec un morceau-titre au riff nonchalant absolument délectable, déroulant à l’envie pendant cinq grosses minutes, avec des vocaux à la Acid King. Le titre ne décroche pas une seule seconde de sa trame, pour le plus grand plaisir de nos cervicales. “The Master Serpent” démontre immédiatement que le groupe s’y entend aussi dès qu’il faut faire parler la poudre à travers un mid-tempo plus nerveux. Et plus loin, “I Walk Alone” complète le panorama du potentiel du trio via un titre plus mélodique mais aussi intéressant. L’un des titres les plus recommandables du disque est aussi son plus décalé : “Deathproof” rend un hommage inconscient (!!) au “Big Bang Baby” des Stone Temple Pilots (une chanson génialement catchy d’un groupe alors en pure perdition artistique). Le résultat est une sorte de glaviot doom qui vous fera headbanguer avec un rictus malin pendant des heures… Globalement, la proportion de riffs démonte-nuques est juste redoutable, on vous renvoie aux premières secondes de “Midnight Woman”, “Touch of the Sun” ou “Devil Woman” pour en prendre la juste mesure. Ça se termine sous un tombereau de goudron avec le somptueusement vicieux “End of Days”.

Avec ce Queen of Sin, Smoke Mountain propose une petite perle doom vintage mêlant hommage aux grands classiques (le son, les compos sans chichis), efficacité (compos redoutables, instrumentation a minima) et modernisme dans l’écriture. Un vrai nectar pour les oreilles du doomeux, et un groupe à surveiller.

 


 

Dirt Woman – The Glass Cliff

Attention : album surprise ! Tous les éléments pour un album “moyen” étaient réunis, on aurait dû mieux se méfier. D’abord, le groupe, un vague quatuor, est en provenance d’un coin paumé dans le Maryland, et a pour le moment très peu joué sur scène. Ils ont signé chez Grimoire Records, petit label discret de la Cote Est qui tape large (du death au post hardcore en gros) mais pointu. C’est leur premier album, le groupe est né il y a moins de trois ans… ça sent pas la maturité a priori. Manque plus qu’un sobriquet un peu convenu, par ailleurs propice aux suspections de misogynie (en réalité un hommage à un bienfaiteur local dont c’était le surnom…), un genre musical que la bio décrit comme “psychedelic doom” (90% des albums mis sur le marché dans notre genre, quoi) et on est bien…

Heureusement, il n’en faut pas beaucoup pour rapidement faire tomber les barrières mentales et commencer à déguster ce disque qui a bien du mal désormais à quitter la playlist de votre serviteur. Ce “pas beaucoup” c’est juste cinq chansons finalement (pour quand même une petite heure au total – une jauge pas difficile à atteindre quand trois des titres dépassent les treize minutes), autant de petits bijoux d’inventivité, de trésors d’efficacité, comme on en trouve rarement sur un même disque.

Musicalement, difficile de faire rentrer Dirt Woman dans une case, disons qu’ils couvrent un spectre qui va de Acid King (pour les plans doomeux et la voix hantée de Zoe Koch) à Uncle Acid and the Deadbeats (pour le sens mélodique et certains arrangements vocaux). Oui, ça fait deux fois “acid”, c’est bien, vous suivez. Mais chaque titre picore dans cet éventail musical et se construit son identité. “Lady of the Dunes” déroule son riff de base à deux notes (si si) sur plus de sept minutes, avec des variantes, des breaks, des ponts, de l’air, de l’oppression… Tout le disque est résumé sur ce titre d’ouverture. “Creator” est le titre qui paye le plus gros tribut à Acid King, sans jamais plagier le trio nord-californien, faisant tourner ses 2 riffs-colosses sur treize minutes où l’ennui ne vient jamais. Les titres suivants sont du même acabit, avant d’arriver à ce “Starhawk” remarquable, qui jumelle vocaux envoutants (ces chœurs à la Uncle Acid sur le couplet…) et mélodie super catchy, le tout noyé sous une dose d’un fuzz délicieusement crunchy. Le titre déroule en enchaînant les breaks pesants et envolées guitaristiques surprenantes mais parfaitement incorporées, pour un final étonnamment enlevé, entre audace et insolence – une apothéose mélodique qui fera se retourner plus d’un doomeux intégriste dans son cercueil de carton pâte.

Il n’y a en tout cas guère de meilleur résumé que cette dernière plage pour cet album : un disque solide, à la fois respectueux d’un genre – le doom – dont ils utilisent les codes avec une efficacité redoutable, et doté d’un sens mélodique impeccable. Une qualité d’écriture mêlant inspiration, talent et audace, qui amène leur doom à une sorte de statut hybride, de nature à satisfaire autant l’amateur inconditionnel du genre que l’amateur de stoner plus mélodique. Un disque d’une synthèse remarquable, dont vous aurez du mal à vous départir.

Candlemass – The Pendulum (EP)

Si le sujet Candlemass venait sur la table à un diner mondain metalleux (ce genre de trucs n’existe surement que dans ma tête mais c’est déjà ça), l’affaire se résumerait approximativement à « c’est le groupe du bassiste qui a un prénom de bière belge dont le premier album a pas vraiment marché mais est devenu culte, après le groupe a pas mal roulé sa bosse avec le petit gros teigneux qui se faisait appeler Messie, puis les chanteurs se sont succédés et à partir du moment où ils ont sorti un disque de chansons à boire en suédois en 1993, tous le monde a passé son chemin en regardant ses pieds. Mais c’est vrai que depuis 2005 ça turbine pas mal, c’est toujours la même recette mais moi tu sais des riffs pompés à Sabbath et un mec qui met soit « death » soit « doom » dans ses titres d’albums c’est ma came, alors j’achète toujours un peu par reflexe, comme l’Équipe magazine le samedi matin ».

Après il y a la version die hard, celle qui peut vous faire fondre le cerveau rien que sur les 3 derniers albums (1 album et deux EP, mais c’est même pas là le plus compliqué). Vous êtes prêts ? Je me lance : 2018, Leif et sa bande, avec un certain Mats Leuven au chant, sortent un EP, House Of Doom conformément à leurs engagements de ne plus se faire suer à faire des albums. L’EP sort en partenariat avec un site de paris en ligne et tout allait bien lorsque soudain Ghost devient un phénomène mondial et traine dans son sillage l’influence Candlemass, les invitant à les rejoindre en tournée, à jouer lors de remises de prix etc. Ce bon Leif dégage la bonne pâte Leuven pour récupérer l’évidence Langqvist, évidence financière avant tout mais ce n’est pas si grave, il reste un formidable chanteur. Et en quelques mois, Candlemass va revenir sur tout ses principes : une tournée (on avait dit plus jamais), un album (ça aussi c’était fini) et ce que l’on ne savait pas à l’époque c’est que The Door To Doom, l’album qui a effacé House of Doom (vraiment effacé puisqu’ils ont réenregistré les titres de l’EP) devait être un long concept album pour servir de B.O. à un jeu vidéo. Ainsi, début 2019 Leif, Ruby sur l’ongle, nous sort un énième EP The Pendulum, contenant 6 chutes de studio de leur album (attendez, vous avez réenregistré les 4 titres de l’EP précédent alors que vous aviez 6 autres titres sous le coude ? SERIEUSEMENT ??). Voilà donc pourquoi début 2020 sort cet EP contenant un titre finalisé et 5 démos, histoire de… Histoire de on n’en sait trop rien en fait.

Alors cet EP vaut il le coup ? Non bien sûr, évidemment que non. Sauf si, comme moi vous prenez un plaisir déviant à entendre le riff de « Symptom of the Universe » galoper sur « The Pendulum » ou celui d’« Electric Funeral » pour « Snakes Of Goliath » ou que vous êtes suffisamment accroc au groupe pour vous passionner pour les notes de livret dans lesquelles Edling explique que telles paroles n’ont pas été finies, ou que « Porcelain Skull » a finalement été refilé à Avatarium.

Il aurait tout de même été plus honnête messieurs/dames de chez Napalm Records de le préciser ne serait-ce que dans votre VPC que cet EP est une arnaque. Ça m’aurait pas empêché de l’acheter, stupide comme je suis, mais y a des braves gens par ici qui ne méritent pas, eux, de tomber dans le panneau.

 

Point vinyle :

400 clear, 200 gold, 200 red et 100 yellow, et une version noire. La seule restant à l’achat. Mais à moins d’être un dangereux obsessionnel, je vous en prie ne l’achetez pas.

 

The Heavy Eyes – Love Like Machines

Autant on n’avait jamais été déçu par le groupe de Memphis, autant son précédent effort, He Dreams of Lions, nous avait mis une jolie claque en son temps (cinq ans déjà). A l’arrivée de ce quatrième opus, Love Like Machines, on était donc plutôt enthousiastes. Et l’enthousiasme s’est maintenu au fil des écoutes. Pas de changement radical dans le genre musical pratiqué en tout cas, on retrouve nos gaillards un peu où on les avait laissés, dans un heavy rock fuzzé, un peu moins psyche peut-être. Changement dans le groupe en revanche, car le trio est devenu quatuor, avec l’adjonction d’un second guitariste. On attendra de voir en live ce qu’apporte ce changement (sur album, ce n’est pas marquant, hormis quelques solos fort bienvenus).

On va se répéter : vous n’allez pas être chamboulé musicalement par ce Love Like Machines si vous connaissiez les productions précédentes du groupe. Grosses guitares, gros groove, un chant impeccable (Tripp Shumake est au dessus du lot – clairement les groupes américains misent plus souvent sur l’apport d’un vrai chanteur, et l’on entend bien la valeur ajoutée que ça apporte)… Comme d’hab’. Ce qui transparaît assez vite en revanche, c’est la maturité acquise par le groupe, qui délivre ici dix plages toutes intéressantes, variées, efficaces dans leurs genres… Comme c’est souvent le cas pour ces disques foisonnant, il faut un peu s’accrocher pour digérer tout ça et apprécier chaque chanson, car lors des premières écoutes ça part un peu dans tous les sens, et on manque de repères. Ce n’est jamais très agréable. Mais heureusement le plaisir arrive vite, et fort ! Les compos marquantes se font rapidement jour, et restent longtemps à l’esprit ensuite : on citera par exemple la très groovy “Hand of Bear”, le catchy “Bright Light” ou encore “The Profession”, petite bluette power-fuzzée du meilleur goût et chargée en soli.

Mais la crème de la crème se révèle vite à côté de ces excellents titres. On pense au très malin “Anabasis” en intro, mid-tempo très bien écrit, emmené par une intro et une conclusion en électro acoustique, autour d’un riff bien accrocheur. On pense aussi à ce délicieux mais décalé “Vera Cruz”, un titre qui ressort des tiroirs et fait sien le groove irrésistible du QOTSA de début de millénaire, pour une efficacité incroyable. Mais on pense surtout, surtout, à ce dévastateur “Made for the Age”, sur lequel le groupe transcende un riff démoniaque pour une compo redoutable, toute en guitares acérées chargées en fuzz, porté par le chant groovy de Shumake, tout en maîtrise, et un petit déluge de solo sur la fin. Un titre très difficile à oublier…

Pour les morceaux les plus atypiques, The Heavy Eyes propose des formats plus courts, plus digestes, à l’image du mid-tempo tortueux “Late Night”. Forcément tout n’a pas le même impact (on notera un “A Cat named Haku” un peu indigent), mais le niveau général est assez remarquable.

On recommandera donc sans réserve ce disque aux esthètes du stoner tendance heavy rock, aux amoureux du riff véloce et de bon goût, et plus globalement aux amateurs de compositions soignées et racées. Un très bon disque.

Diarchy – Splitfire

 

Les fans d’ondes psychédéliques vous le diront, la musique indienne a toujours été une source d’inspiration que l’on soit dans les années 60, ou que l’on regarde juste derrière nous (My Sleeping Karma, au hasard). De par ses sonorités et structures, cette frange de la musique est une vraie invitation à écouter ses sentiments et à la méditation… Le duo de musicien qui compose Diarchy vient lui aussi d’Inde mais ne décorera pas nos cheveux de jolies fleurs jaunes et violettes. Ce qui motive Diarchy, c’est de foncer avec son second album Splitfire comme une balle dans un chamboule-tout !

Après une première sortie certes sympathique, mais classique et sans surprise, le duo à buché  pendant 3 ans et le résultat s’en ressent dès l’ouverture de Splitfire. Le titre “Kamal Hossen” démarre au quart de tour avec un son beaucoup plus massif, des riffs nerveux et une batterie aussi puissante que précise. Diarchy se déplace clairement vers un heavy/stoner US  et, niveau influence, on pense très rapidement à des groupes comme Karma to Burn, Slo Burn ou certains Fu Manchu. Autant vous dire qu’on a affaire à un album bouillonnant, toujours efficace et nuancé par le groove conservé de leur premier album ! Les parties de guitare nous emmènent dans des tourbillons de riffs implacables et de breaks à la limite du métal alternatif. La voix de Prakash Rawat cherche à se faire calme mais s’emporte tout aussi vite, et développe un sentiment de colère déjà bien présent musicalement. Ce sentiment devient encore plus palpable sur “Splitfire” ou sur la brutale transition de l’instrumentale “Kraanti” (révolution en hindi, de quoi mettre dans l’ambiance).

Fort heureusement, Splitfire n’est pas que fureur et énergie. L’album est parsemé de passages plus mélodiques permettant à l’auditeur de souffler. On a ce dernier morceau acoustique, aux ambiances de bayou, renvoyant tout droit dans les ruelles de Banghalore. Les mélodies aux influences indiennes évidentes de “Home” feront aussi leur effet mais c’est surtout le titre “Tirunelveli” qui montre toutes les qualités mélodiques de Diarchy. Ce titre s’entremêle à la perfection avec la piste suivante, “Gone Too Late”, et dévoile des similitudes très étonnantes avec les français de Stone From The Sky (la connexion est très peu probable, mais il y a du “Welcome to Trantor” dans ces deux morceaux).

Splitfire nous met face à un heavy/stoner généreux, percutant, varié et devrait rapidement conquérir nos cœurs de stoner. Si cette réussite est grandement due aux qualités d’écritures du duo indien, la qualité du mixage/mastering porté en partie par James Plotkin (Sunn O))), Pelican, Earth) est à souligner. Autre bonne nouvelle, Diarchy sort cet album avec le tout jeune label Unherd Music. On vous conseille d’aller y jeter une oreille, ce label met en avant des groupes du coin plutôt intéressants (Rainburn, Dirge…etc.).

 

 

 

 

Demonic Death Judge – The Trail

 

“Une jolie pochette trompeuse et un bain de boue, Chic! Chic! Chic!” Voilà ce que je me suis dit à la livraison de The Trial de Demonic Death Judge. Car oui, les Finlandais se sont forgé une solide réputation sur la scène sludge avec leurs quatre précédents albums entre bûches dans les dents et poutres dans l’estomac.

L’ouverture sur “Cougar Charmer” déroute, morceau intime où la gratte seule laisse entendre les frottement et gestes du guitariste mais très vite c’est la levé de rideau avec “Filthy as Charged”. La banane aux lèvres on prend de plein fouet le rock graisseux de DDJ en pleine poire ce qui n’est rien comparé au moment où l’agressivité du chant intervient pour te donner envie de brailler de concert mais pourtant…

Pourtant, d’agressivité il n’est plus tellement question ici. Il y a eu “écrémage” du gras qui faisait la lourdeur des plaques précédentes (On est passé de 50% à 30% de matière grasse, ce n’est pas de l’allégé pour autant), désormais  DDJ prend en “subtilité”. C’est un travail assez notable sur la gratte avec ses boucles bluesy tout au long de l’album et en particulier sur le premier tiers de “Elevation” ou sur le passage atmosphérique aux alentours du milieu du même morceau. La batterie n’est pas en reste et fait entendre l’ajout de multiples jouets à frapper autour des fûts et l’apparition d’un saxo ou d’un harmonica laisse à la première écoute un peu pantois.

N’allez cependant pas croire que Demonic Death Judge s’est transformé en jeune premier, il est toujours à même de te cracher de l’épais et du massif, façon “Shapeshifting Serpents” qui remet les pendules à l’heure si besoin en était avec du lourd, du répétitif et du lourd (je l’ai déjà dit ?) tout à la fois en imposant des parties aux sonorités bien plus subtiles. A ce propos j’ai lorgné du côté de la basse sur “Flood” et ça m’en a foutu la boule au ventre, quelques notes suffisant à rendre le tout efficace et beau de mélancolie.

Cet album est étrange, il est une fusion entre blues, rock et sludge, les pistes des assemblages émotionnels entre envie d’en découdre, ouverture volubile et exubérance oratoire.  La batterie de “Fountain of Acid” sur fond de distos psychédéliques le tout associé a une touche de tribal barré migrant vers le sombre confirme la chose : là où on s’attendait à prendre une fessée ou à transpirer sur un matelas crasseux dans la plus simple exploration de la bestialité des sens on se retrouve en même temps maltraité et câliné. Le dernier coup de boutoir de la piste éponyme et de “We Have to kill” ne suffisant pas à apaiser la frustration de ne pas retrouver le DDJ que l’on connaît lors d’une première écoute. Car oui, j’admets que frustration il y eut.

Pour soigner ce pincement au cœur l’écoute contextualisée et répétée est nécessaire, Il convient quand même de se rappeler que la trajectoire de DDJ n’était pas dans le tout bourrin, il avait eu un précédent entre Skygods et Seaweed. Ce dernier album était déjà empreint de mélodies profondément sombres et d’un apaisement évident. On peut donc considérer que The Trail est dans la droite ligne des précédents. DDJ joue toujours la carte du sludge et s’assagit pour laisser mieux s’exprimer son goût du lumineux voilà tout.

En conclusions “The Trail” c’est un peu l’album qui désarçonne à la première écoute, ça semble foutraque et WTF. Puis d’écoute en écoute, on se calme, on respire et on appréhende la pièce différemment. Demonic Death Judge est en pleine mutation, ce n’est pas le premier ni le dernier groupe à en passer par là et cette mutation le classe toujours haut sur l’échelle des rejetons du désert, je crois que nous ne pouvons dès lors que les en remercier.

 

Hayvanlar Alemi – Psychedelia in Times of Turbulence

Rafraîchissante surprise qu’ Hayvanlar Alemi, trio turc loin d’être des perdreaux de l’année puisque les gonzes officient depuis 1999. Le groupe, basé à Ankara et dont le nom pourrait être traduit par le « royaume des animaux » ancre ses patounes légères dans un stoner psychédélique instrumental créant un lien subtil entre orient et occident de par ses influences.

On parcourt donc leur nouvel opus « Psychedelia in Times of Turbulence » avec étonnement puisque chacune des sept compositions que composent l’album narre un véritable propos. Invité au voyage par les musiciens, on se prend à imaginer de longues heures de route à l’écoute de ce groupe. Pour vous donner une idée on pourrait classer Hayvanlar Alemi à côté des cousins sud-américains de Güacho, bien calé entre Blaak Heat pour le propos oriental de l’affaire et le label El Paraiso Records pour cette petite tendance à l’acidité. Sept titres et aucune redondance, le groupe maîtrisant parfaitement la temporalité de sa musique. On n’est jamais pris par l’ennui ni par la lassitude, ce qui, convenons-en, n’est pas une mince affaire dans ce genre de stoner.

Alternant entre jam psychédélique, guitare saturée et mantra road-tripé, Hayvanlar Alemi n’est pas avare en idées surprenantes. L’écoute de « Swans of St. Aarhus » dernier morceau de l’opus vous convaincra, j’en suis sûr, de laisser une place de choix aux Turcs dans vos playlists.

Il n’est jamais trop tard pour découvrir un groupe. Poser une oreille sur Psychedelia in Times of Turbulence de Hayvanlar Alemi sera, je vous le garantis, une plaisante expérience, au point de revenir plusieurs fois sur ces petits voyages musicaux et de chercher à en savoir plus sur ce groupe créatif et talentueux.

Caskets Open – Concrete Realms of Pain

Caskets Open trace son discret petit chemin depuis plus de douze ans, depuis sa petite ville de Keuruu, perdue en plein milieu de la sauvage Finlande. Concrete Realms of Pain est son quatrième album, le premier sur le discret mais qualitatif label polonais Nine Records. On avait bien aimé les productions précédentes du trio, on s’est donc penché sur ce disque avec intérêt. Passé le cap psychologique de la pochette, entre premier degré WTF et second degré glauque, on retrouve le groupe qu’on connaissait, indubitablement. Pour celles et ceux qui n’ont jamais écouté Caskets Open, la première écoute est déstabilisante. D’abord parce que le groupe invoque de vieux démons oubliés et en particulier, de manière prépondérante, des échos de Type O Negative, très vite apparents. Ce son de basse dès l’intro de « Four Shrines » (ou encore sur « Pale Hunter » ou « Blossom ») donne des frissons en rappelant le jeu du géant vert. Quelques arrangements, lignes vocales ou autres détails ici ou là, mais surtout un travail d’écriture, qui reprend à son compte la lenteur et l’effort mélodique propres au groupe de Brooklyn, finissent de nous ramener quelques années en arrière dans la discographie de TON.

Mais Caskets Open va aussi piocher dans des inspirations plus variées, et notamment dans les branches hardcore old school, et en particulier des racines lointaines du NYxHC, via des accents emblématiques de vieux Cro-Mags par exemple (voir la fin de « Four Shrines » pour illustrer, ou la violence pure de l’intro du rageur « Tadens Tolthe »). Mais ce n’est pas tout, on retrouve aussi des choses plus rapides, avec des plans qui évoquent par exemple les Misfits, à l’image de ce couplet de « Riding on a Rotting Horse » (voire même de Danzig en solo, à l’image du son de « Tunnel Guard », et des lignes vocales ici ou là qui peuvent rappeler les intonations du Evil Elvis). Le tout baigne dans des tonalités sludge et surtout une ambiance doom poisseuse, emportée par un amour du tempo lent qui est quand même le dénominateur commun de la plupart des groupes de doom plus classiques. Caskets Open a beau évoluer dans ce spectre musical depuis au moins To Serve The Collapse (leur second album où ont commencé à apparaître ces rythmes rapides et nerveux), on peut affirmer qu’ils ont atteint une certaine maîtrise de l’exercice avec ce nouvel album.

De fait, si l’amoureux des influences sur-citées va inévitablement kiffer cette indéniable et réjouissante reconnaissance musicale, le produit fini s’avère, comme on l’imagine, un peu décousu. Certains titres partent un peu dans tous les sens, sans jamais vraiment se trouver, à l’image de quelques plages un peu plus faibles, comme « White Animal » ou « Tadens Tolthe » (ce dernier étant un exemple parfait d’un morceau qui comporte quelques très intéressants morceaux de bravoure, mais qui au global ne se retranscrit pas en une identité propre). A l’inverse, certains titres font mouche, en se reposant surtout sur un travail que l’on sent focalisé sur la mélodie et le riff (comme « Blossom », qui parvient à intégrer sans trop de mal un long break de pur hardcore thrashisant, ou « Soul Stained Glass », un titre bien maturé).

Concrete Realms of Pain s’avère au final être un album aussi rafraîchissant qu’il est rugueux musicalement. l’album n’est pas parfait, mais il n’y a aucun vrai raté, et à chaque fois, le groupe tente des choses et ne se bride pas. Par ailleurs, il convoque des échos que finalement on n’entend pas tant dans le doom « moderne », malheureusement, et en particulier l’influence de groupes comme Type O Negative, dont le talent mélodique et l’attitude feraient tant de bien à une vague doom qui depuis une ou deux décennies se prend un peu trop systématiquement au sérieux. Son écoute est donc tout à fait recommandable, à plus d’un titre : nostalgie, envie de nouveauté ou a minima d’inspirations un peu « alternatives », car au final il n’y a pas de révolution musicale non plus à l’horizon… mais ce décloisonnement, en soi, apporte des perspectives plutôt enthousiasmantes.

King Buffalo – Dead Star

 

En cette période de confinement, nous avons tous besoin de nous évader un petit peu. Et comme par hasard, les américains de King Buffalo sont de retour avec Dead Star, un nouvel EP fait pour élargir les murs de nos salons et de nos esprits. Pour ceux qui auront la chance de les découvrir avec Dead Star, King Buffalo c’est d’abord un couple batterie/basse au groove hypnotisant. C’est par-dessus une guitare aussi psychédélique que lourde amenant des soli peut variés mais toujours bien ficelés. Et pour compléter cela, nous avons la somptueuse et multiforme voix de Sean McVay.

On retrouve dès l’ouverture de ce nouvel EP le morceau “Red Star pt.1/pt.2” et ses 16 minutes (morceau le plus long du groupe, c’est à noter). Le titre est parfaitement maîtrisé par le groupe avec une première partie au groove puissant et psychédélique puis une seconde partie beaucoup plus énergique dans les riffs. Le chant peu présent se fait envoutant  et nous plonge un peu plus dans l’univers des américains. On pense tout d’abord aux ambiances de Om notamment sur la première partie du morceau, mais un élément vient très vite faire penser à Samsara Blues Experiment… le synthéthiseur !

King Buffalo aime expérimenter autour de sa base psych rock/rock progressif et sur Dead Star leur son s’est fortement fait influencer par cet instrument. Plus ou moins mis en valeur, il est présent sur chaque piste pour apporter une épaisseur supplémentaire aux mélodies ou pour distiller une ambiance spatiale propre au synthé. Le groupe pousse l’expérimentation jusqu’à proposer sur “Ecliptic” un trip futuriste façon  John Carpenter où le synthé vient prendre toute la place sur le reste. l’interlude est court mais le voyage est marquant et se poursuit sur “Eta Carinae” qui fait danser les étoiles sur fond de riffs sabbathiens. L’EP est aussi ponctué par deux autres interludes plus acoustiques, portées par les harmonies guitare-voix qu’affectionne particulièrement le groupe.

Tout comme Repeater sorti en 2016, Dead Star reste un bon EP en proposant des instants de grâce propre au groupe (“Red Star pt.1/pt.2” ou “Dead Star”). On peut préférer le format album de King Buffalo, car plus complet et permettant de plonger plus loin dans l’univers du groupe. Mais le format EP leur donne une liberté permettant de les observer sous un angle différent. A voir donc si on retrouve du Dead Star sur la prochaine sortie du groupe, mais en attendant, restons dans notre fusée  pour profiter de leur musique.

 

Lucifer – III

Vous l’avez sans doute déjà remarqué dans votre entourage : dites à vos proches que vous écoutez du rock et vous serez, suivant le genre que vous écoutez, un barbu hirsute gavé de bière qui passe son temps à glander (stoner), un hippie sur le retour qui ne pense qu’à s’envoyer des pétards (psych) ou, et c’est sans doute le plus mal vu de tous les genres, un dangereux égorgeur de chats buveur de sang (doom). Bon, j’exagère à peine (quoique ma vénérable grand-mère vous dira le contraire…) mais le petit microcosme du stoner regorge de personnes adorables, serviables et, la plupart du temps, sacrément calées en histoire du rock. Alors, fatalement, quand vous vous mettez à écouter le dernier bébé d’un groupe dénommé Lucifer, les fanatiques de Christine Boutin montent sur leurs grands chevaux pour répandre la bonne parole évangélique et hurlent à qui veut l’entendre (oui, d’ailleurs, qui sont ces gens qui veulent l’entendre ? Au bûcher!) que le rock n’est que dépravation, satanisme, croix retournées et ôde au Malin.

A ces ayatollahs du bon goût qui bouffent du pain sec et picolent de la Villageoise tous les dimanches matin lors de leurs réunions païennes (interdites depuis le Coronamachin, il faut bien des points positifs au confinement), nous conseillons l’écoute du troisième album de Lucifer, justement et fort logiquement dénommé III. Ici, malgré le patronyme du groupe fondé en 2014, point de violence, pas une goutte de sang et encore moins d’appel à retourner les cimetières. En effet, malgré des chansons prénommées “Ghosts”, “Midnight phantom”, “Leather demon” ou “Cemetery eyes”, on a plus droit à un tour de manège façon manoir hanté chez Disney qu’à un incendie d’église du côté de la Norvège. Et ce n’est aucunement une critique, bien au contraire : c’est mélodique, fort bien achalandé côté guitares et la voix de la délicieuse Johanna Sardonis surmonte le tout avec grâce et délicatesse.

Si vous aimez le doom pur et dur, il est évident que l’écoute de Lucifer vous laissera dubitatif (ce qui ne signifie pas « mon chibre à des poils », soyons clairs) mais pour ceux qui aiment le bon rock à l’ancienne avec juste assez de clair-obscur, cet album saura contenter vos cages à miel. Et puis, si vous voulez pousser le vice, la maison vous recommande de vous pencher sur l’album “Destroys minds & reaps souls” de Coven pour vous rendre compte que, déjà en 1969, une sublime demoiselle du nom de Jinx Dawson donnait dans la magie noire et les rites vaudous. 50 ans plus tard, Lucifer en est le digne héritier…

Villagers Of Ioannina City – Age Of Aquarius

Il était une fois 5 garçons vivant à Ioannina, charmante ville de plus de 110.000 âmes nichée au bord d’un lac et située au nord-ouest de la Grèce. C’est une ville étudiante, jeune et vivante et c’est donc ici que vivent nos 5 gaillards, tous férus de rock. Nous sommes en 2010, la scène stoner grecque est sur le point d’éclore et, avec lui, le groupe Villagers of Ioannina city, un nom de scène d’une simplicité évidente. Une première démo est enregistrée mais le succès est relatif, le pays n’étant pas (encore) friand du genre. Pourtant, le groupe décide de mixer stoner et folk traditionnel grec pour un résultat, s’il n’est pas encore au top niveau pour lutter contre les grosses écuries, assez original pour attirer l’attention sur eux.

Quatre ans passent, les Villageois arpentent les salles du pays et balancent une première salve du nom de « Riza ». Addictif dès les premières secondes et bénéficiant de compositions psychédéliques à la fois étranges et magnifiques, l’album trouve son public, le groupe fait la tournée des festivals estivaux et se fait un nom dans le circuit. Puis, plus rien, 5 longues années de mise en sommeil. Et 5 ans sans nouvelles, dans le petit monde du stoner, c’est long, très long. Trop long. Mais on l’a vu avec le dernier Lowrider ces dernières semaines, plus c’est long, plus c’est bon…

Septembre 2019, nos amis villageois sont de retour et balancent sur la toile l’album « Age of aquarius » (l’album sort ces jours-ci en physique chez Napalm Records)… L’intro, justement intitulée Welcome, déclare à qui veut l’entendre « bienvenue dans une nouvelle ère »… Villagers of Ioannina city a affuté ses gammes, décortiqué religieusement la production actuelle et en a tiré cet objet, « Age of aquarius », sous un artwork d’une beauté à couper le souffle. Pourtant, du souffle, il va vous en falloir pour reprendre votre respiration après le titre éponyme, couplé à Welcome, près de 12 minutes en apnée totale ou la voix angélique d’Alex Karametis vous entraîne dans un tourbillon de sensations, comme un tour de Space mountain mais en cent fois plus intense. Cà continue avec un sublime Part.V qui vous laisse pantois de bonheur, en apesanteur sur le monde des vivants avec des arpèges de guitare divins et toujours cette voix d’une sublime douceur qui vous emporte loin, très loin… On ne va pas détailler tous les titres car ce serait redondant et le dictionnaire ne comprend pas assez de superlatifs pour exprimer ce que l’on peut ressentir à l’écoute d’un tel monument.

« Age of aquarius » est sublime de bout en bout, ce qui n’était pas gagné d’avance vu sa longueur de 66 minutes. Mais cette heure et ces 6 minutes de bonheur font éclater les barrières entre les genres, rassemblent les humains et brisent les conventions qui veulent que le stoner soit une musique de niche. Un nouveau cap a sans doute été franchi par Villagers of Ioannina city : celui d’atteindre la cîme de l’Olympe, tutoyer les cieux et s’approcher un peu plus du paradis. En tout cas, l’auditeur, lui, en est plus proche que jamais…

 

Cycle – Cosmic Clouds

Lee Dorrian continue sa mission d’activiste de la cause, avec depuis quelques temps la branche “Relics” de son label Rise Above, destinée à réhabiliter d’anciens groupes (généralement anglais) passés en quelque sorte à côté du succès que leur talent aurait pourtant justifié. Il faut dire que les années 70 proposaient aux artistes une grande liberté, mais aussi peu de structure d’accompagnement : pour 1 groupe dont le succès explosait et qui se retrouvait convoité par les plus grosses maisons de disques, des dizaines de formations plus obscures ne bénéficiaient d’aucune visibilité et s’étiolaient, usés ou démotivés. C’est un peu le cas avec Cycle : le groupe du Nord-Est de l’Angleterre s’est construit au début des années 70 un succès populaire local incontestable, a sorti un premier album autoproduit, publié à quasiment 100 exemplaires ! Quelques années plus tard, ils en ont enregistré un second en 1973… qui n’est jamais sorti ! Le groupe s’étant arrêté ensuite, les enregistrements ont pris la poussière, et Dorrian nous propose donc enfin de les entendre, évidemment un peu tardivement, avec un son impeccable pour des enregistrements d’époque.

Le disque proposé par Rise Above Relics reconstitue donc l’entièreté des enregistrements du groupe : ses deux albums, mais aussi deux raretés (des démos de 1975, avant qu’ils ne se séparent). Soit plus d’1h20 de musique quand même ! Un gros bébé à digérer, que le puriste pourra écouter album par album… A noter que l’édition CD propose un beau livret de 40 pages, avec documents d’époque et notes détaillées sur la carrière du groupe.

N’y allons pas par quatre chemins : le potentiel du groupe ne met que quelques minutes à se faire jour. Les premiers titres, leur variété, leur richesse, leur inventivité, suffisent à installer ce qui est un acquis pour le reste de l’écoute du disque : le talent est au rendez-vous. Le premier album (les six premiers titres) propose déjà en lui seul une vitrine foisonnante du spectre musical du groupe : du rock garage de “Rich Man, Poor Man, Pig” à la pure balade ultra catchy “Mr Future”, en passant par le trippant “Father of Time” en mode heavy space rock, et même cette imparable bluette électro-acoustique “S.B. Blues” faisant penser à du Santana (les leads de guitare, les percus), bref tout y passe.

Le second album ne montre aucune baisse de régime, en proposant lui aussi une demi-douzaine de brulots où se dessine une recrudescence d’influences prog, mais aussi space rock (voir la suite de “Father of Time”, dont on retrouve une vision plus “space” avec bruitages dignes des Hawkwind les plus cheesy), sans jamais s’éloigner d’une belle structure rock / heavy rock, à travers quelques perles comme ce galopant “Travelling Man” ou un “In the Beginning” à tiroirs, suave mid-tempo chaud comme la braise, au son de gratte juste rêche comme il faut sur les attaques heavy, et lisse et coulant sur les plans les plus calmes. De manière aussi logique que finalement vertigineuse, les dernières démos du groupe l’amènent encore vers de nouveaux territoires, avec un “Walking Through the Darkness” qui les voit se frotter au funk-soul (cette attaque de guitare, cet orgue…) tout en balayant plein d’autres courants en moins de 6 minutes, tandis que l’annonciateur “Dawning of the Last Life” les voit proposer un mid tempo un peu alambiqué où les sonorités space rock un peu clichés (beep beep bloop) viennent finir d’enrober le morceau.

Quatorze chansons, donc, où se mêlent trésors d’inventivité (des breaks venus de nulle part, des arrangements chelous, des plans instrumentaux décalés), mais surtout deux facteurs qui font toute la qualité de ce disque : en premier lieu, le talent de composition de ces trois britons laisse rêveur, les riffs et les mélodies sont incroyables (croyez-en la parole de votre humble serviteur : après une seule écoute, vous vous rappellerez des mélodies de “Confusion”, Mr Future” ou autres “Earth & Sun”), les structures variées, les instrus toujours bienvenus… Après de nombreuses écoutes, on est à chaque fois un peu plus bluffé. L’autre facteur clé de cette galette, c’est ce sentiment d’ouvrir une fenêtre directe vers les “vraies 70’s”, à travers un groupe qui n’a probablement pas pu apporter une pierre significative à l’édifice musical dont on a hérité (faute à pas de chance, cf. intro de cette chronique) mais qui en propose une image authentique et qualitative, avec tout ce qui caractérisait cette période musicale pour les groupes de rock : des bases blues solides, une créativité débridée, et des plans musicaux “dans leur jus”. On dégustera ainsi des montagnes de soli de guitare remarquables, un son de basse rond et groovy, et globalement tout ce qui fait le charme de ce son souvent copié mais jamais égalé (car protéiforme).

En résumé, de multiples sentiments émergent à l’écoute de ce disque. Celui d’un profond gâchis avant tout, et donc d’une certaine tristesse finalement, d’entendre la qualité d’un groupe qui n’aura pas pu laisser la trace qu’il méritait dans l’histoire de la musique. Mais le plaisir d’écoute l’emporte au final, et on a du mal à se défaire de ce disque remarquable.

Bible Black Tyrant – Encased in Iron

Bible Black Tyrant est avant tout le bébé de Aaron D.C. Edge, multi-instrumentiste barré, mono-maniaque du riff qui fait saigner et du mur du son, à l’initiative de plein de projets musicaux ces dernières années, qui ont rarement dépassé la production d’un album, voire d’un EP… On a en particulier entendu parler de lui quand le projet Lumbar a émergé il y a  quelques années à l’occasion d’un album : largement vu comme un super-groupe avec Mike Scheidt (Yob) et Tad Doyle (Tad), le projet était en fait initié et porté par Edge, en maître d’œuvre discret d’un album qui aura néanmoins déçu au regard de son casting trois étoiles. Par ailleurs, Edge étant atteint de sclérose en plaque, et pièce maîtresse de chacun des projets, difficile de les envisager plus loin que sur albums, le musicien ne pouvant que difficilement envisager de se produire en live au vu de son handicap. C’est donc sur disque que l’on a le plus souvent l’opportunité de l’entendre, ce qui fut le cas il y a une paire d’années avec le premier disque de Bible Black Tyrant : Regret Beyond Death nous avait alors présenté une galette complexe, proposant une sorte de sludge à la froidure extrême, pas si loin du post rock, un disque hybride foisonnant d’idées et de sonorités. Doté d’un artwork dans le même concept (motif gris clair / gris foncé), on reçoit donc le second disque du groupe, trio presque devenu duo, puisque la formation s’est resserrée autour de Edge et Tyler Smith, batteur extraordinaire qui s’est notamment révélé sur le dernier Eagle Twin.

Ça commence âpre et sec avec « A Snowflake of Death’s Denial » qui laboure les tympans sur un riff bien craspec jumelé à un pattern de batterie martial, qui rappelle le Conan des débuts. Le tout est vite balayé par une séquence de plusieurs minutes où s’enchaînent des plans variés, sur un lit claquant de basse bien saturée, avant de se replonger vers un final reprenant le riff introductif. Un peu déboussolé, on se prend direct « Valorous » en pleine face, un glaviot sludge-doom pur-jus porté par une paire de riffs (couplet + refrain) définitifs et toujours un chant mélangeant avec une subtilité infinie déglutition grasse et aboiements hargneux. « Panic Inducer » prend la suite et porte bien son nom : le titre de 7 minutes enquille les ruptures de rythmes violentes et séquences WTF (ce violoncelle geignard explosé par ce déluge d’amplis), au risque de susciter chez l’auditeur sensible et non-averti toutes sortes de crises (cardiaque, d’angoisse, d’anxiété, de foi(e)…). Retour du violoncelle en intro de « Infinite Stages of Grief », une courte décharge de gros sludge qui tergiverse un peu moins. Et le tout se termine par un vilain « Sickening Thrum », larvé lui aussi de breaks vicieux en embuscade et d’une montagne de riffs salaces.

Le mini-album se résume donc finalement bien à la description aussi imparfaite de ces 5 coups de poings nerveux, piochant musicalement dans diverses variantes d’un sludge aussi gras que lent, mais jamais monolithique – loin s’en faut. Un dénominateur commun se dessine, basé sur des compos dénuées de toute forme traditionnelle de structure musicale, le tout embarqué avec cohérence par un socle sonore qui donne tout le liant à ce projet : des lignes vocales où se partagent agression et goût du gras, une mur de grattes présent sur tous les plans (riffs-montagnes, ambiances sonores variées, rythmiques foutraques) et un jeu de batterie balayant tous les registres, de la lourdeur basique des plans les plus dooms jusqu’aux plans les plus barrés. L’ensemble se révèle toutefois un peu court (moins de trente minutes, même aussi denses, c’est quand même juste), mais avec le recul plus massif encore que le premier album : plus homogène, plus mature, plus cohérent… Le propos est plus maîtrisé globalement, même si, paradoxalement, la musique de Bible Black Tyrant reste aussi imprévisible qu’insondable.

Ce disque vous l’aurez compris aura du mal à trouver sa place dans la discographie du fanatique exclusif de psyche rock tendance folk acoustique.  Il trouvera en revanche tout son sens pour accompagner les porteurs d’idées noires et les amateurs d’ambiances crasses, ceux qui aiment écouter leur musique mâchoire serrée et nuque tendue. Une agression en règle, à la musicalité complexe.

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