Elephant Tree – Habits

On va tout de suite délivrer la conclusion de cette chronique.

Il ne sert à rien de développer, tenter de filer une métaphore ou d’expliquer comment cet album est construit, ni quelles sont ses articulations, climax et dénouements.

Angoissant autant qu’angoissé, anxiogène et pourtant aérien, massif, intime, électrique et folk, le nouvel album d’Elephant Tree pue la maturité à tous les étages.

Le groupe fait montre d’une identité personnelle franche et affirmée depuis sa naissance, laissant sur le bas-côté tous les groupes copistes, traçant son propre sillon, loin, bien loin des influences par trop évidentes dont on pourrait l’affubler.

Elephant Tree est un groupe mélodique, au savoir-faire indéniable en la matière et ce nouvel opus Habits enfonce plus profondément encore ce constat.

Mais là où son prédécesseur semblait parfois indolent et insouciant, la nouvelle création des anglais, redevenu quatuor, ne souffre d’aucune faiblesse adulescente et se permet un mélange des genres absolument magique. Shoegaze, folk, americana, post-rock par moments, résolument mélodique dans le chant, ce nouvel album dresse une mappemonde sonore ébouriffante où le travail sur les textures et les ambiances passe au révélateur les joies et souffrances de ses commanditaires.

Un mur de son, une batterie bien plus précise qu’avant, une basse gourmande, un chant travaillé, un mixage d’orfèvre tambouillent les huit nouveaux titres qu’on parcourt d’une traite, impressionné par la richesse offerte à nos oreilles.

La musique d’Elephant Tree n’est ni compliquée ni technique mais elle est généreuse, massive, aimante et passionnante car parcourue de doutes. Elle est passionnée car sûre de ses forces et belle puisque fragile tout simplement. Avec Habits le groupe nous offre un voyage majestueux que l’on refait à l’envie, une des meilleures livraisons de 2020, et un album de chevet pour de longues années à venir.

Chapeau bas messieurs.

 

 

Lord Fowl – Glorious Babylon

« Avec un son rappelant autant Thin Lizzy que Queen première période ou encore Iron Maiden sous l’ère Paul DiAnno, Lord Fowl propose sa vision du rock avec lequel les musiciens ont été élevés. Des chansons qui vous font sentir vivants… ». Voilà en substance ce que nous apprend la biographie de Lord Fowl qui accompagne l’album tel qu’il nous a été envoyé il y a quelques jours. Le genre d’information qui peut provoquer 2 choses : soit vous vous dites : « tiens, encore un de ces groupes parmi tant d’autres qui va nous balancer une nouvelle fois son rétro-rock seventies sans âme, ou alors une âme pompée sans vergogne sur les groupes précités », soit vous vous lancez dans une écoute sans aucun préjugé et vous décidez de gratter votre chronique sans autre base que la zik que vous vous mettez dans le cornet.

Formé en 2007 du côté de New Haven, ville portuaire du Connecticut bien connue pour abriter la célèbre université de Yale, Lord Fowl a fait paraître 2 albums, successivement en 2008 et 2012, avant un long break de près de 8 ans et la sortie de ce Glorious Babylon. Une éternité à l’heure où un groupe qui ne fait pas parler de lui durant 3 mois tombe aux oubliettes et est irrémédiablement chassé par toute une meute de nouveaux groupes aux dents longues. Mais c’était sans compter sur la bande à Vechel Jaynes, le chanteur-guitariste de la troupe, et accessoirement l’un des très rares musiciens blacks de la scène stoner (il n’y a guère que Robert Aiki Aubrey Lowe du groupe Om qui me vienne à l’esprit). L’album s’appelle donc Glorious Babylon, un titre de circonstance, autant pour le groupe (Babylone étant la cité multiculturelle par excellence) que pour l’humanité (qui doit actuellement travailler sans discrimination de race, de religion ou de richesse face à une saloperie qui décime aveuglément).

Les hostilités s’ouvrent avec « Fire discipline » et on se retrouve à onduler de la crinière sans retenue avec un musculeux mid-tempo toutes guitares dehors au groove venimeux proche des meilleurs méfaits de Rival Sons. C’est carré, c’est précis, les changements de rythme sont parfaits et c’est surtout une excellente introduction qui donne immédiatement envie d’en savoir plus. Le titre éponyme et ses choeurs à la Paul Rodgers rappelle fatalement Free et Bad Company et toute cette clique qui fit tant de bien au rock du début des années 70. 3 minutes douche comprise, comme au bon vieux temps… « Get lost » poursuit notre exploration des glorieuses seventies avec un titre plus basique dans son approche (pas de grandes effluves guitaristiques, rythmique moins massive…) mais dans la veine des 2 titres précédents. Pas de doute, nos quatre gaillards ont bien potassé la discothèque des parents pendant ces 8 années de silence…

« Deep empty » lorgne cette fois-ci du côté des grandioses Blue Oyster Cult avec un titre au riff d’intro qui fait penser au fameux « Burning for you » des ostréiculteurs. Le rythme est plus posé et plus calme, juste avant l’arrivée des deux gratteux qui nous offrent un concert à 4 mains et 12 cordes de grande classe. Très progressif dans son approche, ce titre est le plus intéressant et finalement sans doute le plus enivrant de cette galette après plusieurs écoutes car il démontre une maîtrise totale des musiciens. « The wraith », titre le plus long de l’album (un peu plus de cinq minutes), est le plus doux des 10 titres proposés mais aussi le plus alambiqué dans sa construction, alternant passages calmes et puissants. Et toujours cette voix, subtil mélange de Ozzy Osbourne, Chris Cornell et Steven Tyler (imaginez un peu la tronche du gosse!). « In search of » ne relâche pas la pression et offre un hommage à peine dissimulé à toutes les grandes formations du type Mountain (il y a du « Mississippi queen » dans « In search of ») ou Guess Who (« American woman »). « The gramercy riffs » convoque les grandes années des Black Crowes, formation plus contemporaine qui elle aussi a puisé son inspiration dans la même tambouille que Lord Fowl, mais aussi du hair metal de Van Halen et autre Motley Crue (surtout sur le refrain). Influences metal 80’s que l’on retrouve sur « Red cloud » (mur de guitares, rythmique volontaire) avant de replonger la tête la première dans les années 70 avec le très funky « Epitaph » (quel groove!) et de conclure avec « Space jockey », mélancolique et sublime conclusion à cette galette qui nous aura fait sacrément voyager…

Formidable melting-pot d’influences et de sonorités, le projet de Lord Fowl aurait pu s’avérer sacrément casse-gueule vu le nombre d’ingrédients utilisés et la différence de saveur entre chaque. Pourtant, le cocktail s’avère savoureux, voire même absolument délicieux. Le dosage est parfait entre hommage et plagiat, la recette fonctionne parfaitement (pour peu qu’on apprécie les groupes pré-cités) et on ne souhaite désormais qu’une seule chose : ne pas avoir à attendre 8 années de plus pour y gouter à nouveau…

 

Sigiriya- Maiden Mother Crone

Sigiriya est probablement l’un des groupes les moins actifs depuis leur début de carrière, il y a un peu plus de dix ans de cela. Un groupe discret, donc, et peu (re)connu, en tout cas pas à la hauteur ni de son pédigrée, ni de ses qualités. Car pour rappel, le groupe s’est créé avec 80% des musiciens des extreme-doomeux d’Acrimony (quelques années après le split), gage de qualité s’il en est. Et même si finalement seuls deux musiciens d’Acrimony restent dans la formation actuelle, leur guitariste, Stuart O’Hara, a aussi traîné ses guêtres dans d’autres formations au moins aussi rugueuses (on citera Iron Monkey ou Dukes of Nothing, par exemple). Un beau CV, donc, mais peu d’action ; quelques prestations live éparses, dont quelques festivals, auront maintenu en tension une poignée d’amateurs, mais c’est peu. La perspective d’un nouvel album, leur troisième, plus de six ans après Darkness Died Today, nous a donc mis dans tous nos états.

Maiden Mother Crone est un disque dense et il est difficile d’en percer la coquille en quelques minutes, ni même quelques écoutes. Leur son et style musical n’a pas beaucoup changé avec les années : Sigiriya propose toujours un stoner âpre, pesant et puissant, une sorte d’hybride de sludge, de metal et de stoner. Une passion pour le mid-tempo pénétrant et lugubre, une machine à headbanging calée sur un riffing de premier choix. L’intégration (depuis plusieurs années maintenant) de Matt Williams au chant apporte un vrai facteur différenciant au groupe, qui bénéficie d’un vocaliste puissant et efficace, désormais un marqueur bien établi de l’identité sonore du groupe. Le reste, outre une section rythmique en béton, repose sur les solides épaules du susmentionné O’Hara, véritable guerrier de la 6-cordes, artisan aussi à l’aise dans l’orfèvrerie fine que dans la démolition lourde : le gaillard dresse des ambiances sonores à couper au couteau, qui donnent à l’album et à ses compos une densité remarquable. Il occupe aussi souvent le premier plan à travers des leads jamais démonstratifs mais toujours bien sentis (les soli sur « Cwn Annwn », les leads de « Arise »). Il est aussi responsable d’une série de riffs et mélodies remarquables (« Mantis », « Piece of my Mind »). Intégré dans un travail d’écriture d’une grande finesse (!), mêlant intelligence et efficacité, le talent de O’Hara se greffe à l’inspiration de ses collègues pour produire une série de titres imparables.

L’acte volontaire de se confronter à ce disque un peu rude de premier abord devient progressivement payant, et l’on se félicite vite d’avoir donné sa chance au produit. Maiden Mother Crone s’avère être un disque fort et marquant. Un disque qui colle aux pattes, addictif, dont on a du mal à se défaire. Un disque sans temps faible (huit chansons pour 45 minutes, probablement le format le plus efficace), où se mélangent des émotions de toutes natures, des inspirations riches et une somme de talents remarquable. Un disque pas facile, mais le plaisir se mérite.

 

Un extrait :

Siena Root – The Secret Of Our Time

Les amateurs de rock des années 60 et 70 sont aux anges depuis quelques années maintenant. En effet, une pelletée de groupes contemporains décortiquent, s’inspirent et parfois pillent les influences et sonorités des grandes années de l’histoire du rock. Il faut dire qu’à cette époque, la qualité des disques sortis frise la perfection et des pépites sortaient chaque semaine, voire chaque jour, pépites désormais vénérées et recherchées par nombre de collectionneurs lors de bourses aux disques où tous les coups sont permis pour dénicher le Graal ultime. Ces groupes contemporains, donc, ont décidé que la musique actuelle devait puiser dans son histoire et, plutôt que d’inonder son disque d’effets modernes, de vocoders à profusion et d’électro qui tâche, ces passeurs de mémoire composent et enregistrent à l’ancienne, sans overdubs, avec une production minimaliste. C’est le cas de Siena Root.

Siena Root est un groupe franchement passionnant depuis qu’il a vu le jour en 1997 du côté de Stockholm. La Suède qui est, depuis, devenu l’épicentre du mouvement retro rock avec, en tête de gondole, des formations comme Graveyard parmi tant d’autres. Eclectique autant dans ses choix de carrière (insertion de sonorités orientales, profusion d’invités de renom, discographie foisonnante) que pour la sortie de chaque album toujours différent du précédent, Siena Root est un groupe difficile à cerner au premier abord et encore plus difficile à suivre pour les fans. Ces jours-ci, un nouvel album débarque, intitulé The secret of our time, et autant le dire tout de suite : cette galette est, à mes yeux, la meilleure chose que Siena Root a produit en presque 25 ans de carrière.

Accueilli par des sonorités de clavier d’un autre temps, l’auditeur est ensuite convié à se délecter d’une musique contemplative, inspirée et qui sonne franchement datée (mais dans le bon sens du terme) et surtout, oh surprise, une voix féminine déboule sans prévenir… C’est celle de Zubaid Solid, l’une des deux frontwomen engagées pour l’occasion. « Final stand », titre d’ouverture, c’est un peu l’enfant illégitime que Deep Purple aurait eu avec Kraftwerk. Etonnant mais jubilatoire. « Siren song » poursuit l’expédition des seventies avec, cette fois-ci, un mid-tempo bluesy au possible teinté, encore une fois, des claviers purpeliens chers au regretté Jon Lord. Cette avalanche de sons datés pourra en rebuter certains qui crieront au scandale, au plagiat ou à je ne sais quelle vacherie (même si leurs arguments pourront tenir sans aucun doute la route) mais Siena Root le fait avec une telle envie de rendre hommage, un tel désir de mémoire pour ces pionniers qui, reconnaissons-le, ont eux aussi parfois plagié leurs ainés… Un juste retour des choses, dirons-nous…

La suite, « Organic intelligence », nous emmène cette fois-ci du côté de San Francisco en plein summer of love. La voix volontaire de Lisa Lystram, seconde chanteuse de l’album et que l’on avait déjà pu découvrir sur le single « In the fire » paru l’an dernier, convoque les fantômes de Grace Slick (Jefferson Airplane) et on croirait découvrir des chutes de l’album Surrealistic pillow… Savoureux. « Mender », plus soul dans l’âme, permet de jouir de l’extraordinaire feeling de Lisa, décidément très en voix depuis le début. C’est elle le pilier sur lequel repose la réussite et la qualité de cette galette. Difficile d’imaginer ce qu’aurait donné ces compositions sans sa voix chaude et sensuelle. On notera également quelques belles parties de guitare qui se poursuivent avec « In your head », un titre beau à pleurer (et quel jeu d’orgue Hammond!) qui vous prendra aux tripes à coup sûr. Evidemment, les headbangers compulsifs passeront leur chemin, sans parler des doomeux buveurs de sang qui n’y trouveront pas leur compte… Mais bon, d’autres groupes sauront les contenter…

« When a fool wears the crown » démarre en fanfare la seconde face avec, une fois de plus, un orgue jubilatoire, une voix démentielle et une rythmique sensationnelle. Sans parler d’un solo mixant guitare et orgue simplement bandant… C’est à ce moment-là que l’intro de « Daughter of the mountains », la pépite de ce disque qui n’en manquait pourtant pas depuis le début, fait son apparition et caresse vos oreilles. La grâce d’un tel titre vous laisse pantois, la bouche grande ouverte façon loup de Tex Avery et vous fout les poils en quelques secondes. « Have no fear » vous emmène doucement mais sûrement vers l’orgasme final, intitulé « Imaginary borders », ses notes de flûte chamanique et, encore et toujours, cet orgue Hammond et cette voix qu’on croirait irréelle, comme sortie d’un rêve.

Amateurs de space rock à la Hawkwind ou de retro rock à la Blues Pills, laissez-vous emporter par ce maelstrom de sensations qu’est The secret of our time, l’une des plus belles choses qui soit arrivé au rock ces dernières années. Même si nombre d’auditeurs resteront au bord du chemin (il faut être un tant soit peu réceptif à ce genre pas forcément calibré pour plaire au plus grand nombre), nul doute que ceux qui resteront dans le bus feront un retour vers le futur qu’ils n’oublieront pas. Pendant plusieurs années… En tout cas, moi, je ne suis pas près d’en redescendre !

 

Datura4 – West Coast Highway Cosmic

On ne vous apprend rien si vous êtes des habitués de ces pages et de la scène stoner contemporaine en général : l’Australie est devenu, avec la Grèce et la Suède (chacun aura son tiercé, voici le mien), la Sainte-trinité de la scène stoner actuelle. Des groupes par dizaines, tous plus bons les uns que les autres, débarquent à intervalles réguliers pour nous abreuver de rétro-rock savoureux, de stoner psychédélique imbibé ou de doom sépulcral. En 2009, c’est aux antipodes du monde qu’est né Datura4, sorte de super-groupe de l’île-continent renfermant des hauts dignitaires du stoner australien. Tout ce beau monde se réunit pour des gigs dans les bars de la banlieue de Perth avec, à sa tête, un certain Dom Mariani. Le bonhomme, membre du West Australian Hall Of Fame, est une légende dans son pays depuis les années 80 et sa participation au groupe The Stems, une institution australienne comme peut l’être Nirvana pour la ville de Seattle. Après avoir bourlingué avec une dizaine de formations, ce grand fan des Beatles et de Creedence Clearwater Revival roule désormais sa bosse avec Datura4 depuis 2009. Demon blues fut le premier coup de semonce en 2015, Hairy mountain enfoncera le clou en 2016, Blessed in the boogie concluera cette première trilogie de merveilles en 2019. Ce mois-ci, nouvelle offrande du combo avec West coast highway cosmic et sa féérique pochette aux couleurs chaudes.

Dès les premières secondes de « West coast highway cosmic », on est projeté plus de 60 ans en arrière dans le quartier Haight-Ashbury de San Francisco, épicentre du mouvement hippie. Grace Slick et Janis Joplin discutent en terrasse, des chevelus portant de superbes chemises à fleurs vous saluent derrière leurs lunettes roses et Grateful Dead est programmé le soir même au Fillmore. En un seul titre, vous êtes amoureux de cet album et vos oreilles remercient déjà Dom Mariani, le Doc Brown australien, et sa troupe. « Wolfman woogie » délaisse le LSD pour un blues-rock fiévreux parcouru par de subtiles notes d’harmonica, à l’ancienne… « Mother medusa », plus basique dans son approche du genre, est magnifié par le jeu de guitare sublime de Mariani, suivi par un mid-tempo intitulé « A darker shade of brown » qui voit le retour en fanfare des claviers de Bob Patient. La première face (oui madame, le vinyle est de retour depuis quelques années, faut s’y faire…) se termine avec le fantastique « You’re the only one », ballade désertique à écouter au coin du feu entre les cactus et les coyotes. Bon, déjà, avec la face A, on se dit qu’on tient un des albums majeurs de 2020. Et il reste encore une face à découvrir…

La face B s’ouvre en fanfare avec « Rule my world », formidable blues-rock digne des plus beaux méfaits de Clapton avant sa période bibine. La découverte de la caverne aux merveilles se poursuit avec « Give » qui poursuit le rêve éveillé que tout amateur de rock psychédélique vintage vit depuis qu’il a posé la galette sur la platine. On commence à manquer de superlatifs pour évoquer cette musique organique, trippante, jouissive comme peut l’être « You be the fool », véritable déclaration d’amour à un rock psyché suranné et qui sent la cave mais rien de péjoratif là-dedans car c’est souvent à cet endroit qu’on y conserve les meilleurs crus… Allez, dernière ligne droite avec « Get out » et sa rythmique à la Status Quo qui vous fera dandiner sur votre canapé avant un « Evil people pt.1 » planant et musclé au possible.

Avec un tel album réalisé de main de maître, d’une variété et d’une richesse rares dans le milieu et d’une qualité égale du début à la fin (ce qui est assez rare pour être signalé), Datura4 signe là un masterpiece de rock psyché old-school, une petite friandise pour vos oreilles et un soleil éblouissant qui va illuminer et réchauffer votre moral. En ces temps difficiles, c’est bon de se vider la tête et de laisser divaguer son esprit et, avec West coast highway cosmic, vous tenez entre vos mains le compagnon de jeu idéal.

 

Camel Driver – \ /

 

Camel Driver pourrait devenir spécialiste des pochettes d’albums mettant en scène un dromadaire ,(oui, je suis certain que c’est un dromadaire et je suis persuadé que tu ne veux pas savoir comment je l’ai appris), pour leur second LP le trio met en abîme le camélidé de l’artwork précédent et attire l’attention par ce biais. De fait je me dis qu’il en faut parfois peu pour attirer l’attention de l’auditeur et du côté du titre nos zikos de Kiel ont probablement appliqué ce principe. \ /, voilà un titre qui ne ressemble à aucun autre et qui pourrait laisser présager un grand foutoir au sein de la plaque.

L’ouverture feutrée et paisible de \ / laisse rapidement la place au second titre “Marrazahn” où le gratteux égraine les notes à la vitesse d’un parangon de Radio Moscow. Cette pulsation entre calme et fougue va battre tout au long des cinquante minutes de l’album,  un enchaînement de titres mid tempo entre planant et pesant, intercalés de compositions plus excités. Pour ceux qui avaient suivi le précédent album, il faut dire que cette plaque est moins chargée d’énergie juvénile, plus épurée et ses titres plus construits.

En Jam band Stoner psyché instrumental, Camel Driver trahit probablement l’originalité du titre de son album mais pas ses frères d’arme. On retrouve dans leur musique les oscillations d’un My sleeping Karma, la saveur d’un Stone From The Sky ou en filigrane des sonorités gavées de Mother Engine et consorts. (“Vulcan” résume assez bien tout cela) En revanche avec son nom, Camel Driver ne triche pas, et affirme son amour des sons orientaux régulièrement. Cependant ce n’est jamais lourdement imposé, le trio saupoudre ses titres de petites phrases en forme de rappels comme avec “Inferno”, “Marrazahn” ou “Bazaar”. Ce dernier titre d’ailleurs contient quelques lignes de basse dont il faut louer la qualité. Les harmoniques balayent toute objectivité quant à l’analyse du titre et ce très beau travail emporte ensuite l’auditeur vers des contrées plus agressives,  donnant à entendre un grand écart entre Jazz fusion et Métal.

Il faut peu d’écoutes pour comprendre que ce trio c’est un peu Ripolin,  peignant couche sur couche. Le millefeuille fonctionne plutôt pas mal d’ailleurs mais il faut avouer que parfois c’est un poil le foutoir comme sur “From Ignition To Full Thrust” qui passe par toutes les étapes des genres précités et fonce vers le Post Rock. A ce propos, je m’interroge toujours quand un groupe a pris beaucoup de temps entre deux plaques (Ici, il aura fallu six ans). N’a-t-il pas trop de choses à dire et ne se perd-il pas dans ses ambitions ? Cette question posée je dois admettre cependant que “From Ignition To Full Thrust” m’a paru savoureux. Cette migration vers le post Rock pourrait même constituer une suite logique pour l’écriture de Camel Driver.

A embrasser \ / dans sa globalité je me demande un peu avide ce que pourrait donner la prochaine plaque de ce groupe qui a de quoi causer pendant des heures. Les cinquante minutes de cette galette paraissent bien peu même au fil des écoutes et on souhaite ardemment une suite rapide pour Camel Driver afin de se fixer sur leur évolution. En attendant, je ne saurai que vous recommander l’acquisition de ce sublime artwork et de cette production des plus enthousiasmantes.

 

Howard – Obstacle

Quel exercice plus délicat que d’évoluer dans le monde du « classic rock » ? Quel agrès plus difficile que celui des Purple pères, des Doors darons et autres tontons Zeppelin ? Les codes du genre ont tellement été assimilés, digérés, recrachés depuis 50ans, un demi-siècle nom de nom, que s’attaquer à ce style et vouloir y défendre sa patte relève soit du suicide soit d’une foi inébranlable en ses capacités.

Howard the band ne se pose, à vrai dire, pas la question. Il fonce dedans au travers des sept compositions qui charpentent son premier album, Obstacle.

Soutenu par une ossature guitare-batterie-orgue, le trio navigue sur ce long fleuve peu tranquille qui serpente depuis la fin des années 60. A l’aise techniquement, les musiciens ont donc le loisir de développer leur sens de la mélodie et ont l’intelligence de laisser s’exprimer le claviériste, là où d’autres groupes ne s’en servent que d’appui ou de faire valoir au gras riff des guitares. Chez Howard, quand le clavier s’exprime, ce sont les autres qui écoutent et structurent, charpentent le morceau. Ca virevolte, on sent les notes se prendre dans les barbes et les jams exploser les HP des amplis. On traverse l’opus en terrain connu et satisfait de la partition exécutée par le groupe. On écoute l’album sans véritable désagrément, sans faute de composition.

Cependant on le traverse sans être transcendé non plus.

Howard a parfaitement assimilé l’argumentaire de ses pairs mais il lui reste à intégrer plus intensément son identité, ses particularités, ses imperfections même. En effet, on ressort de l’écoute avec ce sentiment du travail trop bien fait, trop proprement exécuté. Le chant par exemple, est impeccable, propre, à l’excès à vrai dire. En live, le groupe est coupable de décharges électriques vraiment salaces, d’assauts rythmiques telluriques, de chants éraillés et conquérants. En live, le trio interprète, vit ses compositions, chose qu’il n’a pas su faire sur cet album, tout du moins retranscrire.

On ne retrouve pas l’électrisante excitation que le trio façonne sur les planches, cette jouissance, ce travail physique qu’il nous assène en face à face.

Rien de grave dans ce constat, le trio est encore jeune et aura tout le temps de peaufiner son identité sonore, sa patte. Voyons dans Obstacle un manifeste de ce dont est capable Howard et gageons que la prochaine étape sera celle de l’affirmation de sa personnalité et de son émancipation. Après tout, il est dans l’ordre logique de « tuer le père » un jour ou l’autre.

Smoke Mountain – Queen of Sin

Auteur d’un vague EP publié discrétos il y a un peu plus de deux ans, on ne peut pas dire que Smoke Mountain bénéficie d’une renommée énorme dans nos contrées. C’est l’excellent label italien Argonauta qui propose à ces jeunes floridiens de mettre le pied à l’étrier avec ce premier album. Le groupe propose une configuration un peu atypique – il s’agit en l’occurrence d’une sorte de trio-fratrie (la frangine Pitt au chant, les frangins à la guitare et la batterie…) – ce qui a rajouté à notre curiosité au moment de découvrir leur première vraie production.

Dès les premiers tours de pistes, le son du groupe aura laissé de côté une partie des auditeurs : proposant une mise en son rêche et brute de décoffrage, pour une sorte de garage-doom old school, ils ne séduiront probablement pas les amateurs de productions léchées. En revanche, les amateurs de son gras et sale, où la guitare sur-fuzzée baveuse à souhait occupe 80% du spectre sonore, avec en sus des lignes de chant que l’on croirait enregistrées dans la salle de bain, seront séduits d’emblée – ce fut le cas de votre serviteur.

Composante primordiale de ce son bien caractéristique, la guitare se taille la part du lion, en particulier en l’absence de basse ! Il faut toutefois modérer cette hypothèse : on entend distinctement des lignes de basse (ou assimilables) à de nombreuses reprises, probablement exécutées à travers une “baguitar” ((c) Collyn Mc Coy) ou équivalent de guitare avec 2 cordes de basse, voire simplement à l’enregistrement (une piste basse et une piste gratte). En tous les cas, le juge de paix sera le live…

L’enchantement sonore ayant opéré, reste au groupe à maintenir son pouvoir de séduction à travers un ensemble de compos qualitatives. Proposant un disque aux caractéristiques peu éloignées du nombre d’or musical (8 pistes, 35 min, pas loin de la divine proportion d’un album doom old school classique), le groupe ne se disperse pas et concentre son effort sur huit morceaux solides, efficaces et accrocheurs. Ça commence fort avec un morceau-titre au riff nonchalant absolument délectable, déroulant à l’envie pendant cinq grosses minutes, avec des vocaux à la Acid King. Le titre ne décroche pas une seule seconde de sa trame, pour le plus grand plaisir de nos cervicales. “The Master Serpent” démontre immédiatement que le groupe s’y entend aussi dès qu’il faut faire parler la poudre à travers un mid-tempo plus nerveux. Et plus loin, “I Walk Alone” complète le panorama du potentiel du trio via un titre plus mélodique mais aussi intéressant. L’un des titres les plus recommandables du disque est aussi son plus décalé : “Deathproof” rend un hommage inconscient (!!) au “Big Bang Baby” des Stone Temple Pilots (une chanson génialement catchy d’un groupe alors en pure perdition artistique). Le résultat est une sorte de glaviot doom qui vous fera headbanguer avec un rictus malin pendant des heures… Globalement, la proportion de riffs démonte-nuques est juste redoutable, on vous renvoie aux premières secondes de “Midnight Woman”, “Touch of the Sun” ou “Devil Woman” pour en prendre la juste mesure. Ça se termine sous un tombereau de goudron avec le somptueusement vicieux “End of Days”.

Avec ce Queen of Sin, Smoke Mountain propose une petite perle doom vintage mêlant hommage aux grands classiques (le son, les compos sans chichis), efficacité (compos redoutables, instrumentation a minima) et modernisme dans l’écriture. Un vrai nectar pour les oreilles du doomeux, et un groupe à surveiller.

 


 

Dirt Woman – The Glass Cliff

Attention : album surprise ! Tous les éléments pour un album “moyen” étaient réunis, on aurait dû mieux se méfier. D’abord, le groupe, un vague quatuor, est en provenance d’un coin paumé dans le Maryland, et a pour le moment très peu joué sur scène. Ils ont signé chez Grimoire Records, petit label discret de la Cote Est qui tape large (du death au post hardcore en gros) mais pointu. C’est leur premier album, le groupe est né il y a moins de trois ans… ça sent pas la maturité a priori. Manque plus qu’un sobriquet un peu convenu, par ailleurs propice aux suspections de misogynie (en réalité un hommage à un bienfaiteur local dont c’était le surnom…), un genre musical que la bio décrit comme “psychedelic doom” (90% des albums mis sur le marché dans notre genre, quoi) et on est bien…

Heureusement, il n’en faut pas beaucoup pour rapidement faire tomber les barrières mentales et commencer à déguster ce disque qui a bien du mal désormais à quitter la playlist de votre serviteur. Ce “pas beaucoup” c’est juste cinq chansons finalement (pour quand même une petite heure au total – une jauge pas difficile à atteindre quand trois des titres dépassent les treize minutes), autant de petits bijoux d’inventivité, de trésors d’efficacité, comme on en trouve rarement sur un même disque.

Musicalement, difficile de faire rentrer Dirt Woman dans une case, disons qu’ils couvrent un spectre qui va de Acid King (pour les plans doomeux et la voix hantée de Zoe Koch) à Uncle Acid and the Deadbeats (pour le sens mélodique et certains arrangements vocaux). Oui, ça fait deux fois “acid”, c’est bien, vous suivez. Mais chaque titre picore dans cet éventail musical et se construit son identité. “Lady of the Dunes” déroule son riff de base à deux notes (si si) sur plus de sept minutes, avec des variantes, des breaks, des ponts, de l’air, de l’oppression… Tout le disque est résumé sur ce titre d’ouverture. “Creator” est le titre qui paye le plus gros tribut à Acid King, sans jamais plagier le trio nord-californien, faisant tourner ses 2 riffs-colosses sur treize minutes où l’ennui ne vient jamais. Les titres suivants sont du même acabit, avant d’arriver à ce “Starhawk” remarquable, qui jumelle vocaux envoutants (ces chœurs à la Uncle Acid sur le couplet…) et mélodie super catchy, le tout noyé sous une dose d’un fuzz délicieusement crunchy. Le titre déroule en enchaînant les breaks pesants et envolées guitaristiques surprenantes mais parfaitement incorporées, pour un final étonnamment enlevé, entre audace et insolence – une apothéose mélodique qui fera se retourner plus d’un doomeux intégriste dans son cercueil de carton pâte.

Il n’y a en tout cas guère de meilleur résumé que cette dernière plage pour cet album : un disque solide, à la fois respectueux d’un genre – le doom – dont ils utilisent les codes avec une efficacité redoutable, et doté d’un sens mélodique impeccable. Une qualité d’écriture mêlant inspiration, talent et audace, qui amène leur doom à une sorte de statut hybride, de nature à satisfaire autant l’amateur inconditionnel du genre que l’amateur de stoner plus mélodique. Un disque d’une synthèse remarquable, dont vous aurez du mal à vous départir.

Candlemass – The Pendulum (EP)

Si le sujet Candlemass venait sur la table à un diner mondain metalleux (ce genre de trucs n’existe surement que dans ma tête mais c’est déjà ça), l’affaire se résumerait approximativement à « c’est le groupe du bassiste qui a un prénom de bière belge dont le premier album a pas vraiment marché mais est devenu culte, après le groupe a pas mal roulé sa bosse avec le petit gros teigneux qui se faisait appeler Messie, puis les chanteurs se sont succédés et à partir du moment où ils ont sorti un disque de chansons à boire en suédois en 1993, tous le monde a passé son chemin en regardant ses pieds. Mais c’est vrai que depuis 2005 ça turbine pas mal, c’est toujours la même recette mais moi tu sais des riffs pompés à Sabbath et un mec qui met soit « death » soit « doom » dans ses titres d’albums c’est ma came, alors j’achète toujours un peu par reflexe, comme l’Équipe magazine le samedi matin ».

Après il y a la version die hard, celle qui peut vous faire fondre le cerveau rien que sur les 3 derniers albums (1 album et deux EP, mais c’est même pas là le plus compliqué). Vous êtes prêts ? Je me lance : 2018, Leif et sa bande, avec un certain Mats Leuven au chant, sortent un EP, House Of Doom conformément à leurs engagements de ne plus se faire suer à faire des albums. L’EP sort en partenariat avec un site de paris en ligne et tout allait bien lorsque soudain Ghost devient un phénomène mondial et traine dans son sillage l’influence Candlemass, les invitant à les rejoindre en tournée, à jouer lors de remises de prix etc. Ce bon Leif dégage la bonne pâte Leuven pour récupérer l’évidence Langqvist, évidence financière avant tout mais ce n’est pas si grave, il reste un formidable chanteur. Et en quelques mois, Candlemass va revenir sur tout ses principes : une tournée (on avait dit plus jamais), un album (ça aussi c’était fini) et ce que l’on ne savait pas à l’époque c’est que The Door To Doom, l’album qui a effacé House of Doom (vraiment effacé puisqu’ils ont réenregistré les titres de l’EP) devait être un long concept album pour servir de B.O. à un jeu vidéo. Ainsi, début 2019 Leif, Ruby sur l’ongle, nous sort un énième EP The Pendulum, contenant 6 chutes de studio de leur album (attendez, vous avez réenregistré les 4 titres de l’EP précédent alors que vous aviez 6 autres titres sous le coude ? SERIEUSEMENT ??). Voilà donc pourquoi début 2020 sort cet EP contenant un titre finalisé et 5 démos, histoire de… Histoire de on n’en sait trop rien en fait.

Alors cet EP vaut il le coup ? Non bien sûr, évidemment que non. Sauf si, comme moi vous prenez un plaisir déviant à entendre le riff de « Symptom of the Universe » galoper sur « The Pendulum » ou celui d’« Electric Funeral » pour « Snakes Of Goliath » ou que vous êtes suffisamment accroc au groupe pour vous passionner pour les notes de livret dans lesquelles Edling explique que telles paroles n’ont pas été finies, ou que « Porcelain Skull » a finalement été refilé à Avatarium.

Il aurait tout de même été plus honnête messieurs/dames de chez Napalm Records de le préciser ne serait-ce que dans votre VPC que cet EP est une arnaque. Ça m’aurait pas empêché de l’acheter, stupide comme je suis, mais y a des braves gens par ici qui ne méritent pas, eux, de tomber dans le panneau.

 

Point vinyle :

400 clear, 200 gold, 200 red et 100 yellow, et une version noire. La seule restant à l’achat. Mais à moins d’être un dangereux obsessionnel, je vous en prie ne l’achetez pas.

 

The Heavy Eyes – Love Like Machines

Autant on n’avait jamais été déçu par le groupe de Memphis, autant son précédent effort, He Dreams of Lions, nous avait mis une jolie claque en son temps (cinq ans déjà). A l’arrivée de ce quatrième opus, Love Like Machines, on était donc plutôt enthousiastes. Et l’enthousiasme s’est maintenu au fil des écoutes. Pas de changement radical dans le genre musical pratiqué en tout cas, on retrouve nos gaillards un peu où on les avait laissés, dans un heavy rock fuzzé, un peu moins psyche peut-être. Changement dans le groupe en revanche, car le trio est devenu quatuor, avec l’adjonction d’un second guitariste. On attendra de voir en live ce qu’apporte ce changement (sur album, ce n’est pas marquant, hormis quelques solos fort bienvenus).

On va se répéter : vous n’allez pas être chamboulé musicalement par ce Love Like Machines si vous connaissiez les productions précédentes du groupe. Grosses guitares, gros groove, un chant impeccable (Tripp Shumake est au dessus du lot – clairement les groupes américains misent plus souvent sur l’apport d’un vrai chanteur, et l’on entend bien la valeur ajoutée que ça apporte)… Comme d’hab’. Ce qui transparaît assez vite en revanche, c’est la maturité acquise par le groupe, qui délivre ici dix plages toutes intéressantes, variées, efficaces dans leurs genres… Comme c’est souvent le cas pour ces disques foisonnant, il faut un peu s’accrocher pour digérer tout ça et apprécier chaque chanson, car lors des premières écoutes ça part un peu dans tous les sens, et on manque de repères. Ce n’est jamais très agréable. Mais heureusement le plaisir arrive vite, et fort ! Les compos marquantes se font rapidement jour, et restent longtemps à l’esprit ensuite : on citera par exemple la très groovy “Hand of Bear”, le catchy “Bright Light” ou encore “The Profession”, petite bluette power-fuzzée du meilleur goût et chargée en soli.

Mais la crème de la crème se révèle vite à côté de ces excellents titres. On pense au très malin “Anabasis” en intro, mid-tempo très bien écrit, emmené par une intro et une conclusion en électro acoustique, autour d’un riff bien accrocheur. On pense aussi à ce délicieux mais décalé “Vera Cruz”, un titre qui ressort des tiroirs et fait sien le groove irrésistible du QOTSA de début de millénaire, pour une efficacité incroyable. Mais on pense surtout, surtout, à ce dévastateur “Made for the Age”, sur lequel le groupe transcende un riff démoniaque pour une compo redoutable, toute en guitares acérées chargées en fuzz, porté par le chant groovy de Shumake, tout en maîtrise, et un petit déluge de solo sur la fin. Un titre très difficile à oublier…

Pour les morceaux les plus atypiques, The Heavy Eyes propose des formats plus courts, plus digestes, à l’image du mid-tempo tortueux “Late Night”. Forcément tout n’a pas le même impact (on notera un “A Cat named Haku” un peu indigent), mais le niveau général est assez remarquable.

On recommandera donc sans réserve ce disque aux esthètes du stoner tendance heavy rock, aux amoureux du riff véloce et de bon goût, et plus globalement aux amateurs de compositions soignées et racées. Un très bon disque.

Diarchy – Splitfire

 

Les fans d’ondes psychédéliques vous le diront, la musique indienne a toujours été une source d’inspiration que l’on soit dans les années 60, ou que l’on regarde juste derrière nous (My Sleeping Karma, au hasard). De par ses sonorités et structures, cette frange de la musique est une vraie invitation à écouter ses sentiments et à la méditation… Le duo de musicien qui compose Diarchy vient lui aussi d’Inde mais ne décorera pas nos cheveux de jolies fleurs jaunes et violettes. Ce qui motive Diarchy, c’est de foncer avec son second album Splitfire comme une balle dans un chamboule-tout !

Après une première sortie certes sympathique, mais classique et sans surprise, le duo à buché  pendant 3 ans et le résultat s’en ressent dès l’ouverture de Splitfire. Le titre “Kamal Hossen” démarre au quart de tour avec un son beaucoup plus massif, des riffs nerveux et une batterie aussi puissante que précise. Diarchy se déplace clairement vers un heavy/stoner US  et, niveau influence, on pense très rapidement à des groupes comme Karma to Burn, Slo Burn ou certains Fu Manchu. Autant vous dire qu’on a affaire à un album bouillonnant, toujours efficace et nuancé par le groove conservé de leur premier album ! Les parties de guitare nous emmènent dans des tourbillons de riffs implacables et de breaks à la limite du métal alternatif. La voix de Prakash Rawat cherche à se faire calme mais s’emporte tout aussi vite, et développe un sentiment de colère déjà bien présent musicalement. Ce sentiment devient encore plus palpable sur “Splitfire” ou sur la brutale transition de l’instrumentale “Kraanti” (révolution en hindi, de quoi mettre dans l’ambiance).

Fort heureusement, Splitfire n’est pas que fureur et énergie. L’album est parsemé de passages plus mélodiques permettant à l’auditeur de souffler. On a ce dernier morceau acoustique, aux ambiances de bayou, renvoyant tout droit dans les ruelles de Banghalore. Les mélodies aux influences indiennes évidentes de “Home” feront aussi leur effet mais c’est surtout le titre “Tirunelveli” qui montre toutes les qualités mélodiques de Diarchy. Ce titre s’entremêle à la perfection avec la piste suivante, “Gone Too Late”, et dévoile des similitudes très étonnantes avec les français de Stone From The Sky (la connexion est très peu probable, mais il y a du “Welcome to Trantor” dans ces deux morceaux).

Splitfire nous met face à un heavy/stoner généreux, percutant, varié et devrait rapidement conquérir nos cœurs de stoner. Si cette réussite est grandement due aux qualités d’écritures du duo indien, la qualité du mixage/mastering porté en partie par James Plotkin (Sunn O))), Pelican, Earth) est à souligner. Autre bonne nouvelle, Diarchy sort cet album avec le tout jeune label Unherd Music. On vous conseille d’aller y jeter une oreille, ce label met en avant des groupes du coin plutôt intéressants (Rainburn, Dirge…etc.).

 

 

 

 

Demonic Death Judge – The Trail

 

“Une jolie pochette trompeuse et un bain de boue, Chic! Chic! Chic!” Voilà ce que je me suis dit à la livraison de The Trial de Demonic Death Judge. Car oui, les Finlandais se sont forgé une solide réputation sur la scène sludge avec leurs quatre précédents albums entre bûches dans les dents et poutres dans l’estomac.

L’ouverture sur “Cougar Charmer” déroute, morceau intime où la gratte seule laisse entendre les frottement et gestes du guitariste mais très vite c’est la levé de rideau avec “Filthy as Charged”. La banane aux lèvres on prend de plein fouet le rock graisseux de DDJ en pleine poire ce qui n’est rien comparé au moment où l’agressivité du chant intervient pour te donner envie de brailler de concert mais pourtant…

Pourtant, d’agressivité il n’est plus tellement question ici. Il y a eu “écrémage” du gras qui faisait la lourdeur des plaques précédentes (On est passé de 50% à 30% de matière grasse, ce n’est pas de l’allégé pour autant), désormais  DDJ prend en “subtilité”. C’est un travail assez notable sur la gratte avec ses boucles bluesy tout au long de l’album et en particulier sur le premier tiers de “Elevation” ou sur le passage atmosphérique aux alentours du milieu du même morceau. La batterie n’est pas en reste et fait entendre l’ajout de multiples jouets à frapper autour des fûts et l’apparition d’un saxo ou d’un harmonica laisse à la première écoute un peu pantois.

N’allez cependant pas croire que Demonic Death Judge s’est transformé en jeune premier, il est toujours à même de te cracher de l’épais et du massif, façon “Shapeshifting Serpents” qui remet les pendules à l’heure si besoin en était avec du lourd, du répétitif et du lourd (je l’ai déjà dit ?) tout à la fois en imposant des parties aux sonorités bien plus subtiles. A ce propos j’ai lorgné du côté de la basse sur “Flood” et ça m’en a foutu la boule au ventre, quelques notes suffisant à rendre le tout efficace et beau de mélancolie.

Cet album est étrange, il est une fusion entre blues, rock et sludge, les pistes des assemblages émotionnels entre envie d’en découdre, ouverture volubile et exubérance oratoire.  La batterie de “Fountain of Acid” sur fond de distos psychédéliques le tout associé a une touche de tribal barré migrant vers le sombre confirme la chose : là où on s’attendait à prendre une fessée ou à transpirer sur un matelas crasseux dans la plus simple exploration de la bestialité des sens on se retrouve en même temps maltraité et câliné. Le dernier coup de boutoir de la piste éponyme et de “We Have to kill” ne suffisant pas à apaiser la frustration de ne pas retrouver le DDJ que l’on connaît lors d’une première écoute. Car oui, j’admets que frustration il y eut.

Pour soigner ce pincement au cœur l’écoute contextualisée et répétée est nécessaire, Il convient quand même de se rappeler que la trajectoire de DDJ n’était pas dans le tout bourrin, il avait eu un précédent entre Skygods et Seaweed. Ce dernier album était déjà empreint de mélodies profondément sombres et d’un apaisement évident. On peut donc considérer que The Trail est dans la droite ligne des précédents. DDJ joue toujours la carte du sludge et s’assagit pour laisser mieux s’exprimer son goût du lumineux voilà tout.

En conclusions “The Trail” c’est un peu l’album qui désarçonne à la première écoute, ça semble foutraque et WTF. Puis d’écoute en écoute, on se calme, on respire et on appréhende la pièce différemment. Demonic Death Judge est en pleine mutation, ce n’est pas le premier ni le dernier groupe à en passer par là et cette mutation le classe toujours haut sur l’échelle des rejetons du désert, je crois que nous ne pouvons dès lors que les en remercier.

 

Hayvanlar Alemi – Psychedelia in Times of Turbulence

Rafraîchissante surprise qu’ Hayvanlar Alemi, trio turc loin d’être des perdreaux de l’année puisque les gonzes officient depuis 1999. Le groupe, basé à Ankara et dont le nom pourrait être traduit par le « royaume des animaux » ancre ses patounes légères dans un stoner psychédélique instrumental créant un lien subtil entre orient et occident de par ses influences.

On parcourt donc leur nouvel opus « Psychedelia in Times of Turbulence » avec étonnement puisque chacune des sept compositions que composent l’album narre un véritable propos. Invité au voyage par les musiciens, on se prend à imaginer de longues heures de route à l’écoute de ce groupe. Pour vous donner une idée on pourrait classer Hayvanlar Alemi à côté des cousins sud-américains de Güacho, bien calé entre Blaak Heat pour le propos oriental de l’affaire et le label El Paraiso Records pour cette petite tendance à l’acidité. Sept titres et aucune redondance, le groupe maîtrisant parfaitement la temporalité de sa musique. On n’est jamais pris par l’ennui ni par la lassitude, ce qui, convenons-en, n’est pas une mince affaire dans ce genre de stoner.

Alternant entre jam psychédélique, guitare saturée et mantra road-tripé, Hayvanlar Alemi n’est pas avare en idées surprenantes. L’écoute de « Swans of St. Aarhus » dernier morceau de l’opus vous convaincra, j’en suis sûr, de laisser une place de choix aux Turcs dans vos playlists.

Il n’est jamais trop tard pour découvrir un groupe. Poser une oreille sur Psychedelia in Times of Turbulence de Hayvanlar Alemi sera, je vous le garantis, une plaisante expérience, au point de revenir plusieurs fois sur ces petits voyages musicaux et de chercher à en savoir plus sur ce groupe créatif et talentueux.

Caskets Open – Concrete Realms of Pain

Caskets Open trace son discret petit chemin depuis plus de douze ans, depuis sa petite ville de Keuruu, perdue en plein milieu de la sauvage Finlande. Concrete Realms of Pain est son quatrième album, le premier sur le discret mais qualitatif label polonais Nine Records. On avait bien aimé les productions précédentes du trio, on s’est donc penché sur ce disque avec intérêt. Passé le cap psychologique de la pochette, entre premier degré WTF et second degré glauque, on retrouve le groupe qu’on connaissait, indubitablement. Pour celles et ceux qui n’ont jamais écouté Caskets Open, la première écoute est déstabilisante. D’abord parce que le groupe invoque de vieux démons oubliés et en particulier, de manière prépondérante, des échos de Type O Negative, très vite apparents. Ce son de basse dès l’intro de « Four Shrines » (ou encore sur « Pale Hunter » ou « Blossom ») donne des frissons en rappelant le jeu du géant vert. Quelques arrangements, lignes vocales ou autres détails ici ou là, mais surtout un travail d’écriture, qui reprend à son compte la lenteur et l’effort mélodique propres au groupe de Brooklyn, finissent de nous ramener quelques années en arrière dans la discographie de TON.

Mais Caskets Open va aussi piocher dans des inspirations plus variées, et notamment dans les branches hardcore old school, et en particulier des racines lointaines du NYxHC, via des accents emblématiques de vieux Cro-Mags par exemple (voir la fin de « Four Shrines » pour illustrer, ou la violence pure de l’intro du rageur « Tadens Tolthe »). Mais ce n’est pas tout, on retrouve aussi des choses plus rapides, avec des plans qui évoquent par exemple les Misfits, à l’image de ce couplet de « Riding on a Rotting Horse » (voire même de Danzig en solo, à l’image du son de « Tunnel Guard », et des lignes vocales ici ou là qui peuvent rappeler les intonations du Evil Elvis). Le tout baigne dans des tonalités sludge et surtout une ambiance doom poisseuse, emportée par un amour du tempo lent qui est quand même le dénominateur commun de la plupart des groupes de doom plus classiques. Caskets Open a beau évoluer dans ce spectre musical depuis au moins To Serve The Collapse (leur second album où ont commencé à apparaître ces rythmes rapides et nerveux), on peut affirmer qu’ils ont atteint une certaine maîtrise de l’exercice avec ce nouvel album.

De fait, si l’amoureux des influences sur-citées va inévitablement kiffer cette indéniable et réjouissante reconnaissance musicale, le produit fini s’avère, comme on l’imagine, un peu décousu. Certains titres partent un peu dans tous les sens, sans jamais vraiment se trouver, à l’image de quelques plages un peu plus faibles, comme « White Animal » ou « Tadens Tolthe » (ce dernier étant un exemple parfait d’un morceau qui comporte quelques très intéressants morceaux de bravoure, mais qui au global ne se retranscrit pas en une identité propre). A l’inverse, certains titres font mouche, en se reposant surtout sur un travail que l’on sent focalisé sur la mélodie et le riff (comme « Blossom », qui parvient à intégrer sans trop de mal un long break de pur hardcore thrashisant, ou « Soul Stained Glass », un titre bien maturé).

Concrete Realms of Pain s’avère au final être un album aussi rafraîchissant qu’il est rugueux musicalement. l’album n’est pas parfait, mais il n’y a aucun vrai raté, et à chaque fois, le groupe tente des choses et ne se bride pas. Par ailleurs, il convoque des échos que finalement on n’entend pas tant dans le doom « moderne », malheureusement, et en particulier l’influence de groupes comme Type O Negative, dont le talent mélodique et l’attitude feraient tant de bien à une vague doom qui depuis une ou deux décennies se prend un peu trop systématiquement au sérieux. Son écoute est donc tout à fait recommandable, à plus d’un titre : nostalgie, envie de nouveauté ou a minima d’inspirations un peu « alternatives », car au final il n’y a pas de révolution musicale non plus à l’horizon… mais ce décloisonnement, en soi, apporte des perspectives plutôt enthousiasmantes.

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