Forming The Void — Reverie


Après Relic chez Argonauta Records en 2017, Rift chez Kozmik Artifactz en 2018, il revient cette fois-ci à Ripple Music d’apporter sa pierre à l’édifice d’album en « R » de Forming The Void en produisant le dernier opus des Américains intitulé Reverie. Quand on songe à l’émergence du groupe ces dernières années au sein de la sphère du doom qui tache, on imagine sans peine la volonté des labels de vouloir estampiller leurs marques sur l’une de ses galettes.

Changement de crémière d’un côté, changement de bassiste de l’autre. La refonte de la section rythmique amorcée avec Thomas Colley sur Rift s’achève avec l’arrivée du nouveau joueur de quatre cordes Thorn Letulle. Pour autant, ces nouveautés n’altèrent guère le Heavy rock progressif et introspectif du quatuor louisianais. « Sage » mis de côté, ce dernier album s’éloigne un tantinet du percutant tellurique de Rift pour flotter davantage dans la portion atmosphérique et spectrale de leur musique. Paradoxalement, les morceaux s’étirent rarement au-delà des cinq minutes (pour un total d’environ 37). Leur format quasi identique donne l’impression d’une série de produits similaires tous éjectés du même moule. Les apparences se révèlent pourtant très trompeuses.

Comme à l’habitude, chaque piste est un voyage à elle seule. « Onward Through The Haze », l’épopée astrale avec comme guide une basse profonde habillée d’une mystérieuse mélodie ; « Trace The Omen », douce balade où l’on sent la toile cosmique s’étendre vers l’infini, propice tant au déploiement des intrigants phrasés de Shadi Omar Al-Khansa qu’à l’envoutant chant de James Marshall. Là-dessus surgit « Manifest », la pièce maîtresse, le noyau de ce fruit que l’on déguste couche par couche. Derrière la chair sucrée se tapit un cœur granitique sculpté dans de puissants riffs, une rythmique hypnotique et un groove lourd. En somme tout le savoureux dont nous avaient habitués les précédents albums. Petit bémol pour « Electric Hive » qui, en dépit du style, verse dans une certaine redondance mélodique, voire quelque peu assourdissante avec une écriture trop similaire entre refrain et couplet. Cette platitude rythmique, qui dénote du reste des pistes, pourrait en conduire certains à l’indigestion à la suite de multiples écoutes. Par chance, « Ancient Satellite » et « The Ending Cometh » viennent vite corriger ce bref changement de trajectoire pour nous ramener sous une orbite plus familière. Tout en nuance juste et subtilité, l’écriture est réussie, la technique maîtrisée et l’équilibre restauré.

Reverie apparaît donc comme un trésor supplémentaire d’artisanat au sein d’un atelier à la renommée grandissante. Une production alliant performance et innovation, tout en collant à l’essence de ce qu’est le groupe, et qui s’inscrit donc naturellement dans l’univers vaste et plein de mysticisme des Louisianais. Une galette qui mérite une fois encore les louanges dont on l’affuble.

Patrón – Patrón

Sept ans depuis le dernier album de Loading Data, ça peut paraître long. Trop peut-être même ? Toujours est-il que ce n’est pas sous cette étiquette que Loïk, le tenace et intègre leader du plus ricain des groupes français, sort sa nouvelle production. Ne soyons pas dupes, les musiciens ont défilé au sein de Loading Data avec les années, autour du charismatique et fidèle frontman, si bien qu’on n’aurait pas vu grande différence si le disque nous avait été présenté en tant que Loading Data. La maturité aidant, le temps est peut-être venu aussi d’assumer pour Lo le rôle de moteur exclusif de la formation ? Aucun malaise là-dedans, le guitariste-vocaliste a toujours été à l’origine de toute la musique du groupe. Et puis avec un blase comme “Patrón” pour son projet, il ne faut pas longtemps pour comprendre qui tient la barre…

Pour entériner cette “continuité” avec sa formation précédente, Lo s’est encore attaché les services de l’esthète du son Alain Johannes (déjà producteur du dernier Loading Data) pour enregistrer son disque, mis en boîte il y a… presque quatre ans ! Notre parisien a pris sa guitare et son pote Aurélien Barbolosi dans ses bagages direction Los Angeles, et a appelé quelques musiciens locaux jamais éloignés de la sphère “Josh Homme” (Nick Oliveri, Joy Castillo, Barrett Martin, Alain Johannes ici à la basse…) pour lui prêter main forte… Mais faites fi du name dropping (qui remplira bien son office pour aider à remplir les chroniques du disque par bon nombre de nos confrères), car si comme nous vous avez religieusement suivi l’évolution de Loading Data (et même depuis Four Track Junction) depuis une bonne vingtaine d’années, la filiation musicale ne fera aucun doute : même si, via ce prestigieux casting, Lo donne à son album les moyens de ses ambitions, et un certain vernis sonore incontestable, c’est SA musique.

De quoi parle-t-on d’ailleurs, musicalement ? Rien en tout cas qui ne choquera celles et ceux qui aiment Loading Data, on retrouve immédiatement ce style familier mêlant robot-rock / desert-rock et chant crooner ultra grave. Cette tessiture vocale entre le baryton et la basse est la marque de fabrique de Lo et de ses projets – qu’on aime ou pas, on n’entend pas ça tous les jours ! Concernant la partie musicale/instrumentale, là aussi, on retrouve les échos auxquels on est habitués, ces sonorités tellement proches du QOTSA des années 2000-2005. Il faut se faire une raison toutefois : plutôt que de crier au manque d’inspiration, voire au plagiat, prenons conscience que le faisceau d’influence de Lo est manifestement très proche de celui de Josh Homme, et surtout, reconnaissons la ténacité et l’intégrité musicale du frontman, qui a toujours évolué dans cette tendance musicale depuis une vingtaine d’années, sans jamais retourner sa veste ni jouer d’opportunisme. Il y a quelques moments plus pertinents que d’autres concernant ce travail de mise en son en particulier (les choeurs en fond sur la fin de “Seventeen” pourraient avoir été piochés dans Lullabies to Paralyze, de même que les arrangements de guitare de l’intégralité de “Hold me Tight”…) mais globalement tout est bien approprié.

L’essentielle qualité de l’album se trouve dans ses compositions : onze titres à l’écriture soignée, bien enjolivés en studio, pour autant de mélodies accrocheuses. Reconnaissons à Lo un véritable talent d’écriture, une capacité remarquable à imbriquer et entremêler ses mélodies vocales entêtantes à des riffs et licks de guitare super catchy. Autre facteur différenciant de sa musique, le groove n’est jamais loin (“Who do you dance for”,  “Very bad Boy”, “Around my Neck”…). Par dessus, se greffent une multitude d’arrangements et de choix instrumentaux atypiques, parfaitement adaptés à chaque chanson (difficile d’y distinguer la vision initiale du chanteur-guitariste de l’apport réel de Johannes à la production), qui rendent l’écoute du disque addictive et jamais ennuyeuse : qu’il s’agisse d’une production a minima (la mise en son basique de “Seventeen” ou “The Maker”) ou d’arrangements plus pompeux (le final de chansons comme “Room with a View” avec ses superpositions de guitares ou plus encore de “Jump in the Fire” avec ses choeurs et ses couches instrumentales qui l’emmènent sur les plate bandes du Faith No More de “Just a Man”), on se retrouve avec une galette variée, riche de sons et de mélodies. Le point culminant est atteint avec le remarquable “How to Land”, qui propose une sorte de best of de l’album condensé sur un titre, avec une particularité : un refrain où le chant de Lo, moins grave, gagne de manière significative en puissance et en efficacité… Un enseignement pour l’avenir ?

Cet album, vous l’aurez compris, plaira en premier lieu à celles et ceux qui revendiquent leur amour pour les ramifications les plus mélodiques du desert rock référentiel, celui incarné par le QOTSA du début du siècle, Masters of Reality, les earthlings?, etc… Assumant pleinement un vaste faisceau d’influences (en gros : une cinquantaine d’années de rock californien), Lo les agglomère dans son projet solo, proposant un disque bien écrit et bien produit, atypique et charmeur. Forcément, il ne conviendra pas aux amoureux exclusifs de doom ténébreux et de sludge crasseux, donc à réserver à un public d’amateurs avertis.

 


Supernaughty – Temple

Les italiens de Supernaughty sont actifs depuis 2014. Ce sont 4 copains bien sous tous rapports qui ont décidés, un beau jour, d’officialiser une formation qui joue ensemble depuis près d’une décennie. En 2015, l’inévitable premier EP est dégainé, prétexte à de nombreuses prestations, notamment en première partie de la tournée de Fatso Jetson. 2016 voit le remplacement du bassiste et deux ans plus tard, premier album, justement intitulé Vol.1, paru déjà chez Argonauta. 7 chansons composées sous influence grunge, heavy rock et stoner pour un résultat intéressant bien que pas franchement mémorable. De retour en studio après quelques prestations (notamment aux côtés de Kal-El ou Deville), 2020 voit la sortie du toujours délicat deuxième album, celui qui vous consacre ou vous jette aux orties.

Déjà, avant de parler musique, parlons visuel, et celui de Temple contient tous les poncifs du genre : couleurs chaudes savamment accordées, la sempiternelle montagne qui dégueule de lave bouillante, deux dinosaures au sol (et plusieurs ptérodactyles dans le ciel) et… 4 jeunes créatures courtement vêtues puisqu’elles sont complètement nues (exceptée la voluptueuse donzelle à droite qui a réussi à sauver un mini-short dans la bataille). Et ces jeunes demoiselles semblent vénérer ce qui ressemble à un plug anal géant surmontées de tourelles, comme un tank porno géant… Si besoin était de marquer les esprits, c’est déjà fait, merci messieurs ! Bon, c’est pas le tout mais on est là pour la zik avant tout, non ? Même si un bel emballage flatte toujours le chroniqueur avide de belles pochettes (à l’heure de la dématérialisation qui gâche souvent le plaisir), ce qu’on aime c’est se dégourdir les cages à miel…

Autant prévenir tout de suite les béotiens qui ne connaissent pas les italiens : çà tabasse, çà envoie le pâté, c’est gras comme une poutine au saindoux et… on aime çà ! « The way I wish to die » ouvre le bal de fort belle manière, même si la voix d’Angelo Fagni ressemble comme deux cordes de guitare à celle de Klaus Meine, frontman de Scorpions… 3 minutes douche comprise, autant dire qu’on a pas le temps de s’ennuyer… « Biogrinder » enfonce le clou avec un mid-tempo aux guitares volontaires mais, déjà, un sentiment de déjà-entendu envahit l’auditeur qui, même s’il sait que Supernaughty n’a pas la prétention de réinventer la roue, aurait aimé un peu plus de folie et d’audace même s’il ne peut s’empêcher de dodeliner de la caboche en cadence. « Hellboar » rassure par sa rythmique plombée au napalm et les riffs pachydermiques de Filippo Del Bimbo et Angelo Fagni dans un beau duel à douze cordes. Sans doute le titre le plus enthousiasmant de la galette. Suit l’ultra-heavy « Warehouse demon » (quel son de basse!) avant un interlude de 80 secondes intitulé… « Plug »… Vous voyez, je n’avais pas rêvé !

Le puissant « Temple » continue de charmer les oreilles avec, cette fois, un titre assez doom dans sa construction et sa production qui appelle à la bagarre en fosse (vous vous souvenez, le truc où on était tous collés les uns aux autres?) avant un « Here comes the argonauts » qui achèvera les plus solides du pit. On approche déjà de la fin avec une dernière salve intitulée « BiGB », furieuse épopée hard-rock (et son petit solo qui va bien) qui conclut en beauté vous laissera un sourire aux lèvres.

Supernaughty n’a pas loupé son coup avec Temple, seconde offrande du quatuor transalpin qui mérite plus qu’une écoute distraite. Pour les amateurs de grosses guitares, de heavy rock, de grunge et… de Scorpions ! Album chaudement recommandé.

Temple by Supernaughty
 

Dopelord – Sign Of The Devil

Dopelord, quartet polonais avait fait souffler un petit vent frais depuis sur la planète doom avec son autoprod sur le lablel Green Plague Records en 2018. Children Of The Haze s’était démarqué par une approche entre classicisme et originalité.  Cette fois ci l’objet flirte avec les limites de l’EP mais il s’agit bien d’un long format (Avec 36 minutes réglementaires, il n’y aura pas de rab’ vous êtes prévenus.). Voyons donc ce que ce que nous livrent les arcanes de Sign of the Devil.

Lourd comme un Monolord d’entrée de jeu, l’album pourrait être de ceux que l’on a tôt fait d’oublier. Pourtant la plaque s’avère être une source de plaisir à chaque écoute. Nos quatre doomeux jouent des rythmes entêtants qui portent la plaque jusqu’à ce qu’émergent des soli grinçants et agressifs comme sur “Heil Satan”. A l’instar de leur précédente production on ne nage pas dans l’originalité permanente, cependant le rythme fait tout. Il est obsédant sur chaque morceau. Il force la nuque à s’incliner et cette chose rythmique qui possède le corps et l’âme de nombreux groupes du circuit apporte ici quelques inattendus comme des passages au clavier sortis de films 80’s et particulièrement notables sur “Heil Satan” ou “Doom Bastards”.

Ces deux morceaux que l’on a tôt fait d’identifier comme l’âme de la bête sont servis par un mix de voix sludgy et claire qui apporte une profondeur héritière de la précédente production. (“Heathen” n’est à ce propos pas le titre le plus en reste)

Sign of the Devil offre à l’auditeur une constante évolution mélodique, navigant même dans les eaux de la balade sur “Bastards of Doom” et révélant l’aspect composite des morceaux de façon flagrante. Dopelord évolue finement. Plus qu’entre les morceaux, il évolue au cours des compositions pour y dissimuler quelques facettes rétro et enlevées que “Headless Decapitator” va remettre sur le tapis mais avec bien plus de force qu’ailleurs. L’album semble dès lors conçu comme un live, une set liste bien foutue qui attaque dans le lourd, s’envole et clôture sur un rappel bourrin tout en rapidité.

Avec cet album Dopelord confirme qu’il a trouvé son tempo de croisière dans la prolongation de son précédent album Children of the Haze. Quant à sa position au sein des LP, je reste dubitatif, j’en aurait bien repris un peu tout de même.

 


Witchcraft – Black metal

Magnus Pelander a toujours été un cas à part dans l’industrie musicale et Witchcraft a toujours été son bébé, sa créature. Le gars a usé un nombre incalculable de zicos qui ont dû se plier au bon vouloir du bonhomme, n’étant que des faire-valoir tout juste bon à jouer en fermant bien consciencieusement leur gueule avant de se faire jeter (ou de partir, dépités ou lassés). Sauf que le suédois est un génie, le genre de type qui, s’il récitait l’annuaire pendant 4 heures en concert, aurait toujours l’adoubement d’un public dévoué à sa cause. Et cela fait 20 ans que çà dure ! Cette année voit la sortie d’un nouvel album de Witchcraft, sobrement intitulé Black metal et, connaissant l’amour de Pelander pour les contre-pieds et les virages à 180 degrés, on se dit béatement qu’on va avoir droit à un bon gros pavé croustillant, suintant l’incendie d’église et la visite de manoir perdu dans une forêt menaçante. Et comme on s’y attendait, le bonhomme va nous surprendre. Mais cent fois plus…

Car oui, ce nouvel album de Witchcraft est surprenant à plus d’un titre : déjà, il y a cette pochette immaculée, virginale, minimaliste. Dans une frange du rock régie par les artworks qui dégueulent de couleurs pas toujours du meilleur goût, un retour aux fondamentaux est appréciable (souvenez-vous que la plus mythique pochette des Beatles est un monochrome…). Et ce sentiment de minimalisme, il va se poursuivre jusque sur le diamant de votre platine car, en effet, Witchcraft nous a pondu un album… qui ne contient aucun autre instrument qu’une guitare ! Et tenez-vous bien, elle est acoustique, en plus ! Eh oui, Magnus Pelander vous a encore bien eu !

Et encore, vous n’avez rien entendu… Qu’elles soient sublimes complaintes d’une tristesse insondable ou blues incandescents venus tout droit des champs de coton, ces chansons sont taillées pour vous tirer des larmes et vous dresser les poils. Et croyez-moi, la mission est accomplie avec brio ! 7 chansons toutes plus belles les unes que les autres, façonnées à l’os par un artiste sûr de son talent et qui n’a que faire des conventions de l’industrie musicale. Le bonhomme fait ce qu’il veut et ceux qui n’aiment pas n’ont qu’à changer de trottoir. D’ailleurs, au passage, cet album, qui semble avoir été pensé, écrit et réalisé en solo, mérite-t-il l’étiquette « nouvel album de Witchcraft » ? On peut, du coup, légitimement se poser la question de la pérennité de Witchcraft en tant que groupe… Pelander va-t-il continuer dans cette voie, poursuivre dans son exploration musicale au gré de ses envies ? L’avenir nous le dira…

En tout cas, cet album est à prendre comme il a été conçu : comme l’envie d’un musicien d’explorer de nouveaux horizons et de s’écarter des carcans parfois trop restrictifs de l’industrie musicale. En cela, c’est une magnifique ode à la pureté, un vibrant hommage à cet art qui nous fait tant vibrer. A ceux qui voudraient trouver un sens à la démarche, n’y cherchez rien d’autre qu’une énième parenthèse enchantée à une discographie foisonnante et de qualité. Certes, Black metal va en déconcerter plus d’un, c’est évident, mais l’objet en lui-même reste un fascinant poème sans ampli, viscéralement ancré dans l’histoire de la musique enregistrée tout en restant accessible à tous.

Gaupa – Feberdrom

La Suède serait-elle devenue l’eldorado du classic rock contemporain, au même titre que la Grèce soit devenue la mecque du stoner actuel ? On peut le penser, tant la propension qu’à le pays à enfanter des merveilles chaque semaine est impressionnante… L’un des derniers représentants en date et l’un des moins manchots du lot se nomme Gaupa, quintette originaire de la ville de Falun, l’une des principales zones d’extraction minière du pays qui accueille l’usine d’assemblage des camions Scania. Voilà pour l’histoire et le décor. Mais ce qui nous intéresse ici, ce ne sont ni les 44 tonnes ni le cuivre sorti des entrailles de la terre mais la zik, rien que la zik. Et croyez-moi, amatrices et amateurs de classic rock à la sauce seventies, vous allez être servi(e)s…

Après un premier EP paru en 2018 (mais seulement disponible depuis quelques semaines sur support physique sous un sublime artwork de l’ami Jo Riou), Gaupa nous a envoyé Feberdrom début avril, album qui suit le single « Alfahonan (Shooting blanks) » balancé en éclaireur en janvier dernier. La pochette, plus conventionnelle que l’EP éponyme mais tout aussi psychédélique et superbe, représente à nouveau un lynx (traduction de « gaupa » en suédois). « Vakuum » ouvre les hostilités avec, dès les premières secondes, la voix tétanisante, frissonnante de pureté d’Emma Näslund, prêtresse blonde et son organe qui rappelle, fatalement, une certaine Björk dans ses intonations et son timbre de voix. Ceux qui attendaient une suite naturelle à l’EP précédemment cité seront tout de même un poil déçus : plus conventionnel dans son approche, Gaupa a mûri et a comme gommé les imperfections de son son qui apparaît dès lors comme lisse, peut-être trop diront certains.

Bon, malgré ce léger défaut, Feberdrom est euphorisant de bout en bout : entre le puissant « Where emperors grow » (quelle voix encore une fois!), l’envoûtant « Grycksbo ganglat » (mot compte triple au Scrabble) ou le tétanisant « Mjolksyra » (et sa basse qui vibre plus qu’un malade de Parkinson), l’auditeur, quelle que soit son orientation musicale, saura trouver de quoi se repaître. Que l’on soit amateur de grosses guitares, d’envolées lysergiques ou tout simplement nostalgique des seventies, Gaupa saura vous emporter.

Au final, difficile de reprocher quoi que ce soit à Feberdrom, hormis peut-être un manque de cohérence entre les titres qui font de cet album une somme d’individualités fortes en goût plutôt qu’un repas gastronomique de l’entrée au dessert. Sans atteindre le niveau d’un 3 étoiles, on est quand même mieux servis qu’au fast-food ! Entre leur EP éponyme et ce premier essai au format LP, Gaupa tape dans le mille et on attend la suite avec impatience…

Various Artists – Women Of Doom

Alors, autant vous gâcher le plaisir de la chute et vous spoiler la fin avant même le début de la chronique : cette compilation Women of doom est un fantastique pétard mouillé. Voilà, c’est dit, vous pouvez donc reprendre une activité normale ou vous pencher sur un autre disque… Merci, à bientôt…

Plus sérieusement, essayons de comprendre ensemble pourquoi cette compilation, parue chez Blues funeral, n’apportera rien au doom, aux femmes et à la musique en général. Commençons par évoquer l’idée principale du projet: sélectionner, parmi les artistes de notre vénérée scène doom-stoner, quelques artistes représentatives du courant et mettre en avant la scène féminine. Les intentions sont bonnes, il faut le reconnaître (même si, fatalement, sortir une compilation 100% féminine rappelle que les demoiselles sont en minorité dans le petit cercle très fermé des stonerheads barbus), mais le souci est ailleurs : la sélection n’a ni queue ni tête, n’est aucunement représentative (ou sont donc les Acid King, Messa, Kylesa, Windhand, Alunah ?) et surtout, aucun titre ne donne forcément envie de découvrir la discographie des artistes présents (par exemple, le dernier album de Year Of The Cobra vaut mille fois mieux que ce piteux et médiocre “Broken” chanté par Amy Tung). Bon, un ou deux titres méritent une écoute (notamment celui de Besvarjelsen, toujours impeccable). Mais mettez-vous une seconde à la place de quelqu’un qui n’y connaît absolument rien et qui, sur un malentendu, tombe sur cette compilation… Le pauvre, il va penser que ce qu’il écoute, c’est du doom et c’est ce qui se fait de mieux dans le genre ! Pauvre de lui…

Autre grief de ce genre d’initiative : « sexualiser » le doom et faire du « doom chanté par une femme » une catégorie musicale à part entière… Le doom EST une catégorie à part entière, qu’il soit chanté ou non par une femme. Dans une période plutôt difficile pour les prédateurs sexuels et les pervers en tous genres, difficile de ne pas voir, dans cette compilation, une tentative maladroite de rendre hommage à la scène féminine. L’intention est louable mais elle tombe un peu à l’eau. Je ne suis pas une femme mais si j’en étais une, je me dirais : « ah ouais, comme çà il nous faut une compilation pour se faire connaître, pour faire savoir qu’on existe. Et en plus, ils ont choisi des bouses ! V’là la publicité pourrie ! ». J’ai l’impression que les décideurs de ce projet sont tous des mecs qui se sont dits : « bon, les gars, on va faire une jolie galette, on va prendre les premiers noms qui viennent en tapant « women » et « doom » sur Google et, comme çà, elle vont nous lâcher la grappe… De toute façon, elles sont tellement peu sur le circuit qu’elles ne nous prendront pas la tête longtemps ! ».

Et c’est là tout le souci de la musique métal en général (et de la scène stoner en particulier) : c’est un monde d’hommes et les femmes, malgré un talent souvent indéniable et reconnu, resteront toujours les faire-valoir d’une musique machiste qui n’a que faire des « brailleuses » en jupette qui montent sur scène à moitié à poil… Ne vous méprenez pas, je ne suis absolument pas ce genre de type, je ne fais que constater une triste réalité : combien de fois avez-vous déjà entendu au milieu d’une foule : « putain, il est baisable ce guitariste à la grosse barbe ! », ou alors « je lui ferai bien sa petite affaire à ce batteur au T-shirt noir ! » ? Honnêtement, jamais, et vous ne l’entendrez sans doute jamais… Malheureusement, la femme a toujours été vu comme un objet de désir, une Jessica Rabbit devant laquelle se pavanent des dizaines de loups de Tex Avery…

Alors, même si les intentions de Blues Funeral sont louables, ce genre de compilation est un peu vaine. Simplement car, que ce soit un homme, une femme, un pangolin ou une armée de martiens qui chante, ce qui comptera toujours c’est ce que la musique vous procure, vous fait ressentir, qu’elle vous émeuve ou vous terrifie, qu’elle vous fasse planer ou danser, qu’elle vous fasse vous sentir vivant, tout simplement… Et ce disque montre les limites du projet : la qualité est mise au second plan au profit du fait que ce soit une femme qui chante. Et c’est dommage, vraiment dommage…

Soldati – Doom Nacional

Los Natas. Le nom du trio argentin réveille chez les plus vieux d’entre nous des souvenirs plein les oreilles. A l’époque, les années 2000 paraissaient encore loin, les groupes de stoner se comptaient sur les doigts d’une main (OK, de quelques mains…), mais personne ne savait encore qu’ils jouaient du “stoner”. Los Natas était de cette engeance, et a abreuvé nos jeunes années d’une discographie pleine d’un rock riche et sableux, aventureux et débridé, à la fois respectueux des codes et faisant preuve d’une liberté exaltante. Un peu plus d’une demi-douzaine d’albums plus ou moins déstructurés, des splits, des EP, des apparitions dans des compils obscures… Le groupe fut pour le moins productif, proposant en 2006 et 2009 ses deux derniers albums, les plus solides (pas forcément les plus aventureux), chez Small Stone Records. Et puis pschitt, disparus. Quelques années plus tard, en 2012, le split est entériné.

Depuis, le “grand public” est passé à autre chose, pensant la cause perdue. Pourtant, comme depuis leurs débuts, le groupe est resté actif. Enfin, pas le groupe, mais surtout Sergio Chotsourian (Sergio Ch.) son leader et fondateur. Depuis la fin de Los Natas, le bonhomme a lancé son petit label, où il offre le gîte et le couvert à des groupes argentins de toutes natures, allant des artistes folk locaux jusqu’aux délires bruitistes… N’étant jamais si bien servi que par soi-même, il propose régulièrement des sorties pour ses propres projets musicaux personnels, qu’il s’agisse de ses productions solo (sous son nom Sergio CH.) ou de son groupe-projet… Soldati ! Depuis quatre ans, le bougre dissémine des bribes ou brouillons de ce qui constituera son tant attendu premier album, que nous retrouvons enfin dans nos petites mains numériques, les yeux brillants et les lèvres tremblantes (j’en fais trop là ? Vous me dites hein…).

Dès les premières notes, les saveurs complexes mais primitives de Los Natas nous reviennent rapidement en bouche – et en premier lieu cette production brute de décoffrage, qui laisse juste assez d’espace à quelques très modestes effets, pour dérouler un tapis rouge aux nappes fuzzées dressées par la gratte de Sergio. Plus de dix ans après Nuevo Orden de la Libertad, son chant apparaît plus rauque et plus “nasillard” (même si dans les faits cette évolution fut plus progressive), en tout cas plus frontal et assumé (voir à cet effet l’intro de l’album, “From Skulls”, lancé presque a capella – un choix presque déstabilisant). Tout comme pour Los Natas avec son compère Walter, c’est avec Lucas Cassinelli à la 4-cordes que Sergio mène la barque Soldati (nous ne nous pencherons pas plus avant sur la volatilité des batteurs dans l’ensemble des formations de Sergio…) depuis les débuts. Manifestement un choix décisif au vu de la lourdeur du son de cette galette.

Après de très nombreuses écoutes, il est évident que Soldati n’est pas une vilaine résurgence de Los Natas, et c’est aussi remarquable qu’honorable. Pourtant les différences sont difficiles à cerner. Fondamentalement, Doom Nacional (quel titre d’album, bon sang !) est un album solide, cohérent et dense (là où Los Natas pouvait glisser ici un instrumental planant, là une décharge punk, pour ponctuer ses disques). Ses compos sont malines, efficaces, mises en son avec intelligence et anticonformisme. On est souvent déstabilisé par l’originalité du mix, en particulier par la mise en exergue de ce chant espagnol si marquant, même si au final ce sont les séquences musicales qui sont le plus nombreuses. Il faut dire que le guitariste n’a pas oublié la science du riff, loin s’en faut : “Suicide Girl”, “La Electricidad Del Arbol Caido”,… le mid-tempo qui bastonne n’a plus de secret pour lui. Sans parler de ce groove, probablement la touche sud-américaine, qui pousse au headbanging tridimensionnel… En tout cas, aucun titre n’affaiblit la galette, tous ont leur place (il n’y en a que 7 en même temps…) et participent à développer une ambiance à la fois confortable et atypique dans le paysage sonore des albums de ces dernières années.

Pour autant, l’album ne plaira pas qu’aux nostalgiques (et pourtant, quel ravissement de se plonger dans les très Kyuss-iens “Solar Tse” ou “Un Tren al Sol”…) mais fondamentalement aux amateurs de stoner pour ce qu’il a de plus pur, hors mode, à l’esprit libre et frondeur.

 


Elder – Omens

12 ans… Voilà plus de 12 ans qu’Elder fait partie de notre paysage musical pour en devenir un des groupes majeurs des années 2010. Du stoner des débuts à l’odyssée épique et progressive de Reflections of a Floating World, le trio devenu quatuor a sans cesse fait évoluer ses influences et s’écarte, album après album, de cette scène stoner. Leur trip quasi kraut rock, The Gold & Silver Sessions, sorti en 2019, marque d’ailleurs un tournant dans les motivations musicales d’Elder. A l’instar des dernières sorties du groupe, Omens devrait donc apporter son lot de surprises et est particulièrement attendu pour voir la direction prise par la bande de Nick DiSalvo.

Si le single “Embers” sorti il y a quelques semaines laissait encore planer le doute sur la volonté du groupe, avec des riffs et un refrain efficaces venant s’incorporer avec réussite aux parties plus progressives, le morceau “Omen” ouvrant l’album élimine lui toutes incertitudes. Intro spatiale ramenant tout de suite au rock progressif des années 70, structures plus lentes, boucles psychédéliques basées sur un clavier nettement plus présent qu’auparavant… Elder assume d’emblée les orientations prog / krautrock de leur dernier EP et que l’on retrouvait déjà par petites touches sur Reflections of a Floating World.

Omens est donc musicalement beaucoup plus aéré que ses prédécesseurs. Cette épuration du son permet au groupe de mettre en valeur chaque instrument et notamment les lignes de basse qui redeviennent parfaitement audibles sur cet album. Le titre “Halcyon” symbolise cette nouvelle orientation et résume à lui seul toutes les qualités d’Omens. Avec son feu d’artifice de mélodies aériennes partant par moment dans des vibes plus massives, le morceau nous rend apte à léviter pour nous faire parcourir des contrées oubliées. “In Procession” part aussi dans cette même voie de trip atmosphérique mais en y rajoutant ce côté épique des guitares arrivant à faire tressaillir nos barbes de confinés à chaque écoute.

Seulement voilà, Omens souffre d’un défaut jusqu’ici inconnu chez Elder. Il est inégal… L’utilisation plus poussée des synthétiseurs est intéressante au départ mais devient redondante dans ses effets, rendant le tout assez linéaire sans créer de réels moments marquants. On sent aussi l’absence de Matt Couto à la batterie, qui, de part sa technique et son groove, arrivait à sublimer le son du groupe (le nouveau batteur est loin d’être mauvais, mais la différence de feeling est audible).

Ce sentiment d’inégalité de l’album est accentué par le chant : même s’il y reste globalement peu présent, les lignes vocales ne s’intègrent pas toujours dans les ambiances d’Omens, notamment avec des effets pouvant surprendre sur certains titres, venant parfois même interrompre et perturber l’écoute de phases instrumentales méritant d’être développées. Il est d’ailleurs étonnant de ne voir aucun  titre complètement instrumental sur Omens au vu des portes que semblait ouvrir l’EP The Gold & Silver Sessions.

Au final, l’écoute d’Omens  laisse une sensation bizarre. Cet album propose un son globalement magnifique (peu être le meilleur du groupe jusqu’ici) et arrive tout de même à nous faire planer assez loin (“Halcyon”, “In Procession”, la fin d'”Omens”). Il propose aussi certains éléments qui ne fonctionnent pas aussi bien que prévus et cela rend l’appréciation de l’album moins évidente que d’habitude. Omens n’est ni une grande réussite, ni un échec, alors prenez cet album tel qu’il est. Mettez de côté les différences entre Omens et les autres albums d’Elder, acceptez ses défauts, donnez lui un peu de votre temps, et il saura vous séduire avec ses qualités.

 


1000mods – Youth Of Dissent

 

Les 1000mods, ont vu se développer autour d’eux une véritable hype. L’engouement du public pour le quartette les positionne comme l’œil du cyclone de la scène stoner grecque et chacune de leurs sorties est attendue de pied ferme avec l’espoir de recevoir un peu de la gifle qu’ils délivrent en live à chacun de leurs sets.

Cette année ils libèrent leur quatrième long format, Youth of Dissent, et avec un titre pareil on s’attend à ce que l’haleine chaude et sulfureuse d’une jeunesse révoltée envers à peu près tout ce qui constitue un establishment souffle sur la plaque et nous mette quelques tartes ainsi que des fourmis dans les membres. Sortons donc les banderoles et armons nous de nos plus beaux pavés : voici venue l’heure de la contestation.

A la première lecture, les compositions paraissent trop polies et sans l’agressivité des précédents albums. On contesterait donc en pantoufles avec ce Youth of Dissent. L’esprit s’est métamorphosé et ne livre plus la sauvagerie tribale de morceaux comme “She”, “El Rolito” ou encore “Electric Carve”.

Jusqu’à présent les compositions étaient assez généralement construites selon l’adage “le calme avant la tempête” et l’introduction tantôt planante, tantôt pesante, passait le plat aux corps de morceaux énervés. Pour Youth of dissent, la gratte s’est faite plus claire, la voix moins hurlée. Et lorsque sur le titre éponyme on s’attend à l’explosion de puissance, le soufflé retombe pour livrer un peu plus d’atmosphérique ou des passages à peine alourdis par la tonalité du jeu de gratte. Le cactus perd ses épines, l’intro de “Less is More” est fade comme un titre rétro 90’s d’une soupe radiophile se voulant héritière du grunge. La larmoyance introductrice de “Young” me donne même à penser que tout a merdé, tout ou presque.

En effet, si l’ouverture vocale de l’album m’a déçu, j’admets que le brûlot de la voix n’est pourtant pas mort. Il revient, on sent qu’il est contenu mais présent sur “Blister” et totalement libéré sur la conclusion de “So Many days”. Une fois cela dit, côté instruments, “21st Space Century” propose l’intro qu’on attendait d’un 1000mods, batterie martiale, gémissements des cordes en vent annonciateur de la déferlante du corps du morceau (qui ne viendra pas, puisqu’il s’agit d’un interlude de deux minutes). Le rythme échevelé de “Pearl” où Dani s’anime et scande le refrain en donnant à l’auditeur envie de bondir… Voilà ce que j’espérais, on retrouve ses marques et ça valait le coup d’attendre.

“11 Mirrors” en point d’orgue ? Batterie tribale faisant monter la sauce, chant abrasif, grattes mid tempo à la limite du doom, le tout pour gravir les pentes d’un Mont Parnasse metal et finir par hurler à la face du monde sa vraie nature, à peu de choses près. C’est en effet d’à peu prés qu’il est question car il faut tout de même aller chercher à plusieurs reprises pour commencer à comprendre des titres comme “Warped”, “So Many Days” ou l’introductif “Lucid”.

Avec ce Youth of Dissent 1000mods sort d’un carcan dans lequel on aurait aimé le voir s’enfermer. Il ne s’agit pas de l’album le plus réussi des grecs car il n’est pas aussi immédiat que les précédents, mais il faut lui reconnaître un certain nombre de tentatives qui selon l’humeur de l’auditeur ou son opiniâtreté à se repasser l’album passeront pour moyennes ou rafraîchissantes à défaut de décevantes.

 

Elephant Tree – Habits

On va tout de suite délivrer la conclusion de cette chronique.

Il ne sert à rien de développer, tenter de filer une métaphore ou d’expliquer comment cet album est construit, ni quelles sont ses articulations, climax et dénouements.

Angoissant autant qu’angoissé, anxiogène et pourtant aérien, massif, intime, électrique et folk, le nouvel album d’Elephant Tree pue la maturité à tous les étages.

Le groupe fait montre d’une identité personnelle franche et affirmée depuis sa naissance, laissant sur le bas-côté tous les groupes copistes, traçant son propre sillon, loin, bien loin des influences par trop évidentes dont on pourrait l’affubler.

Elephant Tree est un groupe mélodique, au savoir-faire indéniable en la matière et ce nouvel opus Habits enfonce plus profondément encore ce constat.

Mais là où son prédécesseur semblait parfois indolent et insouciant, la nouvelle création des anglais, redevenu quatuor, ne souffre d’aucune faiblesse adulescente et se permet un mélange des genres absolument magique. Shoegaze, folk, americana, post-rock par moments, résolument mélodique dans le chant, ce nouvel album dresse une mappemonde sonore ébouriffante où le travail sur les textures et les ambiances passe au révélateur les joies et souffrances de ses commanditaires.

Un mur de son, une batterie bien plus précise qu’avant, une basse gourmande, un chant travaillé, un mixage d’orfèvre tambouillent les huit nouveaux titres qu’on parcourt d’une traite, impressionné par la richesse offerte à nos oreilles.

La musique d’Elephant Tree n’est ni compliquée ni technique mais elle est généreuse, massive, aimante et passionnante car parcourue de doutes. Elle est passionnée car sûre de ses forces et belle puisque fragile tout simplement. Avec Habits le groupe nous offre un voyage majestueux que l’on refait à l’envie, une des meilleures livraisons de 2020, et un album de chevet pour de longues années à venir.

Chapeau bas messieurs.

 

 

Lord Fowl – Glorious Babylon

« Avec un son rappelant autant Thin Lizzy que Queen première période ou encore Iron Maiden sous l’ère Paul DiAnno, Lord Fowl propose sa vision du rock avec lequel les musiciens ont été élevés. Des chansons qui vous font sentir vivants… ». Voilà en substance ce que nous apprend la biographie de Lord Fowl qui accompagne l’album tel qu’il nous a été envoyé il y a quelques jours. Le genre d’information qui peut provoquer 2 choses : soit vous vous dites : « tiens, encore un de ces groupes parmi tant d’autres qui va nous balancer une nouvelle fois son rétro-rock seventies sans âme, ou alors une âme pompée sans vergogne sur les groupes précités », soit vous vous lancez dans une écoute sans aucun préjugé et vous décidez de gratter votre chronique sans autre base que la zik que vous vous mettez dans le cornet.

Formé en 2007 du côté de New Haven, ville portuaire du Connecticut bien connue pour abriter la célèbre université de Yale, Lord Fowl a fait paraître 2 albums, successivement en 2008 et 2012, avant un long break de près de 8 ans et la sortie de ce Glorious Babylon. Une éternité à l’heure où un groupe qui ne fait pas parler de lui durant 3 mois tombe aux oubliettes et est irrémédiablement chassé par toute une meute de nouveaux groupes aux dents longues. Mais c’était sans compter sur la bande à Vechel Jaynes, le chanteur-guitariste de la troupe, et accessoirement l’un des très rares musiciens blacks de la scène stoner (il n’y a guère que Robert Aiki Aubrey Lowe du groupe Om qui me vienne à l’esprit). L’album s’appelle donc Glorious Babylon, un titre de circonstance, autant pour le groupe (Babylone étant la cité multiculturelle par excellence) que pour l’humanité (qui doit actuellement travailler sans discrimination de race, de religion ou de richesse face à une saloperie qui décime aveuglément).

Les hostilités s’ouvrent avec « Fire discipline » et on se retrouve à onduler de la crinière sans retenue avec un musculeux mid-tempo toutes guitares dehors au groove venimeux proche des meilleurs méfaits de Rival Sons. C’est carré, c’est précis, les changements de rythme sont parfaits et c’est surtout une excellente introduction qui donne immédiatement envie d’en savoir plus. Le titre éponyme et ses choeurs à la Paul Rodgers rappelle fatalement Free et Bad Company et toute cette clique qui fit tant de bien au rock du début des années 70. 3 minutes douche comprise, comme au bon vieux temps… « Get lost » poursuit notre exploration des glorieuses seventies avec un titre plus basique dans son approche (pas de grandes effluves guitaristiques, rythmique moins massive…) mais dans la veine des 2 titres précédents. Pas de doute, nos quatre gaillards ont bien potassé la discothèque des parents pendant ces 8 années de silence…

« Deep empty » lorgne cette fois-ci du côté des grandioses Blue Oyster Cult avec un titre au riff d’intro qui fait penser au fameux « Burning for you » des ostréiculteurs. Le rythme est plus posé et plus calme, juste avant l’arrivée des deux gratteux qui nous offrent un concert à 4 mains et 12 cordes de grande classe. Très progressif dans son approche, ce titre est le plus intéressant et finalement sans doute le plus enivrant de cette galette après plusieurs écoutes car il démontre une maîtrise totale des musiciens. « The wraith », titre le plus long de l’album (un peu plus de cinq minutes), est le plus doux des 10 titres proposés mais aussi le plus alambiqué dans sa construction, alternant passages calmes et puissants. Et toujours cette voix, subtil mélange de Ozzy Osbourne, Chris Cornell et Steven Tyler (imaginez un peu la tronche du gosse!). « In search of » ne relâche pas la pression et offre un hommage à peine dissimulé à toutes les grandes formations du type Mountain (il y a du « Mississippi queen » dans « In search of ») ou Guess Who (« American woman »). « The gramercy riffs » convoque les grandes années des Black Crowes, formation plus contemporaine qui elle aussi a puisé son inspiration dans la même tambouille que Lord Fowl, mais aussi du hair metal de Van Halen et autre Motley Crue (surtout sur le refrain). Influences metal 80’s que l’on retrouve sur « Red cloud » (mur de guitares, rythmique volontaire) avant de replonger la tête la première dans les années 70 avec le très funky « Epitaph » (quel groove!) et de conclure avec « Space jockey », mélancolique et sublime conclusion à cette galette qui nous aura fait sacrément voyager…

Formidable melting-pot d’influences et de sonorités, le projet de Lord Fowl aurait pu s’avérer sacrément casse-gueule vu le nombre d’ingrédients utilisés et la différence de saveur entre chaque. Pourtant, le cocktail s’avère savoureux, voire même absolument délicieux. Le dosage est parfait entre hommage et plagiat, la recette fonctionne parfaitement (pour peu qu’on apprécie les groupes pré-cités) et on ne souhaite désormais qu’une seule chose : ne pas avoir à attendre 8 années de plus pour y gouter à nouveau…

 

Sigiriya- Maiden Mother Crone

Sigiriya est probablement l’un des groupes les moins actifs depuis leur début de carrière, il y a un peu plus de dix ans de cela. Un groupe discret, donc, et peu (re)connu, en tout cas pas à la hauteur ni de son pédigrée, ni de ses qualités. Car pour rappel, le groupe s’est créé avec 80% des musiciens des extreme-doomeux d’Acrimony (quelques années après le split), gage de qualité s’il en est. Et même si finalement seuls deux musiciens d’Acrimony restent dans la formation actuelle, leur guitariste, Stuart O’Hara, a aussi traîné ses guêtres dans d’autres formations au moins aussi rugueuses (on citera Iron Monkey ou Dukes of Nothing, par exemple). Un beau CV, donc, mais peu d’action ; quelques prestations live éparses, dont quelques festivals, auront maintenu en tension une poignée d’amateurs, mais c’est peu. La perspective d’un nouvel album, leur troisième, plus de six ans après Darkness Died Today, nous a donc mis dans tous nos états.

Maiden Mother Crone est un disque dense et il est difficile d’en percer la coquille en quelques minutes, ni même quelques écoutes. Leur son et style musical n’a pas beaucoup changé avec les années : Sigiriya propose toujours un stoner âpre, pesant et puissant, une sorte d’hybride de sludge, de metal et de stoner. Une passion pour le mid-tempo pénétrant et lugubre, une machine à headbanging calée sur un riffing de premier choix. L’intégration (depuis plusieurs années maintenant) de Matt Williams au chant apporte un vrai facteur différenciant au groupe, qui bénéficie d’un vocaliste puissant et efficace, désormais un marqueur bien établi de l’identité sonore du groupe. Le reste, outre une section rythmique en béton, repose sur les solides épaules du susmentionné O’Hara, véritable guerrier de la 6-cordes, artisan aussi à l’aise dans l’orfèvrerie fine que dans la démolition lourde : le gaillard dresse des ambiances sonores à couper au couteau, qui donnent à l’album et à ses compos une densité remarquable. Il occupe aussi souvent le premier plan à travers des leads jamais démonstratifs mais toujours bien sentis (les soli sur « Cwn Annwn », les leads de « Arise »). Il est aussi responsable d’une série de riffs et mélodies remarquables (« Mantis », « Piece of my Mind »). Intégré dans un travail d’écriture d’une grande finesse (!), mêlant intelligence et efficacité, le talent de O’Hara se greffe à l’inspiration de ses collègues pour produire une série de titres imparables.

L’acte volontaire de se confronter à ce disque un peu rude de premier abord devient progressivement payant, et l’on se félicite vite d’avoir donné sa chance au produit. Maiden Mother Crone s’avère être un disque fort et marquant. Un disque qui colle aux pattes, addictif, dont on a du mal à se défaire. Un disque sans temps faible (huit chansons pour 45 minutes, probablement le format le plus efficace), où se mélangent des émotions de toutes natures, des inspirations riches et une somme de talents remarquable. Un disque pas facile, mais le plaisir se mérite.

 

Un extrait :

Siena Root – The Secret Of Our Time

Les amateurs de rock des années 60 et 70 sont aux anges depuis quelques années maintenant. En effet, une pelletée de groupes contemporains décortiquent, s’inspirent et parfois pillent les influences et sonorités des grandes années de l’histoire du rock. Il faut dire qu’à cette époque, la qualité des disques sortis frise la perfection et des pépites sortaient chaque semaine, voire chaque jour, pépites désormais vénérées et recherchées par nombre de collectionneurs lors de bourses aux disques où tous les coups sont permis pour dénicher le Graal ultime. Ces groupes contemporains, donc, ont décidé que la musique actuelle devait puiser dans son histoire et, plutôt que d’inonder son disque d’effets modernes, de vocoders à profusion et d’électro qui tâche, ces passeurs de mémoire composent et enregistrent à l’ancienne, sans overdubs, avec une production minimaliste. C’est le cas de Siena Root.

Siena Root est un groupe franchement passionnant depuis qu’il a vu le jour en 1997 du côté de Stockholm. La Suède qui est, depuis, devenu l’épicentre du mouvement retro rock avec, en tête de gondole, des formations comme Graveyard parmi tant d’autres. Eclectique autant dans ses choix de carrière (insertion de sonorités orientales, profusion d’invités de renom, discographie foisonnante) que pour la sortie de chaque album toujours différent du précédent, Siena Root est un groupe difficile à cerner au premier abord et encore plus difficile à suivre pour les fans. Ces jours-ci, un nouvel album débarque, intitulé The secret of our time, et autant le dire tout de suite : cette galette est, à mes yeux, la meilleure chose que Siena Root a produit en presque 25 ans de carrière.

Accueilli par des sonorités de clavier d’un autre temps, l’auditeur est ensuite convié à se délecter d’une musique contemplative, inspirée et qui sonne franchement datée (mais dans le bon sens du terme) et surtout, oh surprise, une voix féminine déboule sans prévenir… C’est celle de Zubaid Solid, l’une des deux frontwomen engagées pour l’occasion. « Final stand », titre d’ouverture, c’est un peu l’enfant illégitime que Deep Purple aurait eu avec Kraftwerk. Etonnant mais jubilatoire. « Siren song » poursuit l’expédition des seventies avec, cette fois-ci, un mid-tempo bluesy au possible teinté, encore une fois, des claviers purpeliens chers au regretté Jon Lord. Cette avalanche de sons datés pourra en rebuter certains qui crieront au scandale, au plagiat ou à je ne sais quelle vacherie (même si leurs arguments pourront tenir sans aucun doute la route) mais Siena Root le fait avec une telle envie de rendre hommage, un tel désir de mémoire pour ces pionniers qui, reconnaissons-le, ont eux aussi parfois plagié leurs ainés… Un juste retour des choses, dirons-nous…

La suite, « Organic intelligence », nous emmène cette fois-ci du côté de San Francisco en plein summer of love. La voix volontaire de Lisa Lystram, seconde chanteuse de l’album et que l’on avait déjà pu découvrir sur le single « In the fire » paru l’an dernier, convoque les fantômes de Grace Slick (Jefferson Airplane) et on croirait découvrir des chutes de l’album Surrealistic pillow… Savoureux. « Mender », plus soul dans l’âme, permet de jouir de l’extraordinaire feeling de Lisa, décidément très en voix depuis le début. C’est elle le pilier sur lequel repose la réussite et la qualité de cette galette. Difficile d’imaginer ce qu’aurait donné ces compositions sans sa voix chaude et sensuelle. On notera également quelques belles parties de guitare qui se poursuivent avec « In your head », un titre beau à pleurer (et quel jeu d’orgue Hammond!) qui vous prendra aux tripes à coup sûr. Evidemment, les headbangers compulsifs passeront leur chemin, sans parler des doomeux buveurs de sang qui n’y trouveront pas leur compte… Mais bon, d’autres groupes sauront les contenter…

« When a fool wears the crown » démarre en fanfare la seconde face avec, une fois de plus, un orgue jubilatoire, une voix démentielle et une rythmique sensationnelle. Sans parler d’un solo mixant guitare et orgue simplement bandant… C’est à ce moment-là que l’intro de « Daughter of the mountains », la pépite de ce disque qui n’en manquait pourtant pas depuis le début, fait son apparition et caresse vos oreilles. La grâce d’un tel titre vous laisse pantois, la bouche grande ouverte façon loup de Tex Avery et vous fout les poils en quelques secondes. « Have no fear » vous emmène doucement mais sûrement vers l’orgasme final, intitulé « Imaginary borders », ses notes de flûte chamanique et, encore et toujours, cet orgue Hammond et cette voix qu’on croirait irréelle, comme sortie d’un rêve.

Amateurs de space rock à la Hawkwind ou de retro rock à la Blues Pills, laissez-vous emporter par ce maelstrom de sensations qu’est The secret of our time, l’une des plus belles choses qui soit arrivé au rock ces dernières années. Même si nombre d’auditeurs resteront au bord du chemin (il faut être un tant soit peu réceptif à ce genre pas forcément calibré pour plaire au plus grand nombre), nul doute que ceux qui resteront dans le bus feront un retour vers le futur qu’ils n’oublieront pas. Pendant plusieurs années… En tout cas, moi, je ne suis pas près d’en redescendre !

 

Datura4 – West Coast Highway Cosmic

On ne vous apprend rien si vous êtes des habitués de ces pages et de la scène stoner contemporaine en général : l’Australie est devenu, avec la Grèce et la Suède (chacun aura son tiercé, voici le mien), la Sainte-trinité de la scène stoner actuelle. Des groupes par dizaines, tous plus bons les uns que les autres, débarquent à intervalles réguliers pour nous abreuver de rétro-rock savoureux, de stoner psychédélique imbibé ou de doom sépulcral. En 2009, c’est aux antipodes du monde qu’est né Datura4, sorte de super-groupe de l’île-continent renfermant des hauts dignitaires du stoner australien. Tout ce beau monde se réunit pour des gigs dans les bars de la banlieue de Perth avec, à sa tête, un certain Dom Mariani. Le bonhomme, membre du West Australian Hall Of Fame, est une légende dans son pays depuis les années 80 et sa participation au groupe The Stems, une institution australienne comme peut l’être Nirvana pour la ville de Seattle. Après avoir bourlingué avec une dizaine de formations, ce grand fan des Beatles et de Creedence Clearwater Revival roule désormais sa bosse avec Datura4 depuis 2009. Demon blues fut le premier coup de semonce en 2015, Hairy mountain enfoncera le clou en 2016, Blessed in the boogie concluera cette première trilogie de merveilles en 2019. Ce mois-ci, nouvelle offrande du combo avec West coast highway cosmic et sa féérique pochette aux couleurs chaudes.

Dès les premières secondes de « West coast highway cosmic », on est projeté plus de 60 ans en arrière dans le quartier Haight-Ashbury de San Francisco, épicentre du mouvement hippie. Grace Slick et Janis Joplin discutent en terrasse, des chevelus portant de superbes chemises à fleurs vous saluent derrière leurs lunettes roses et Grateful Dead est programmé le soir même au Fillmore. En un seul titre, vous êtes amoureux de cet album et vos oreilles remercient déjà Dom Mariani, le Doc Brown australien, et sa troupe. « Wolfman woogie » délaisse le LSD pour un blues-rock fiévreux parcouru par de subtiles notes d’harmonica, à l’ancienne… « Mother medusa », plus basique dans son approche du genre, est magnifié par le jeu de guitare sublime de Mariani, suivi par un mid-tempo intitulé « A darker shade of brown » qui voit le retour en fanfare des claviers de Bob Patient. La première face (oui madame, le vinyle est de retour depuis quelques années, faut s’y faire…) se termine avec le fantastique « You’re the only one », ballade désertique à écouter au coin du feu entre les cactus et les coyotes. Bon, déjà, avec la face A, on se dit qu’on tient un des albums majeurs de 2020. Et il reste encore une face à découvrir…

La face B s’ouvre en fanfare avec « Rule my world », formidable blues-rock digne des plus beaux méfaits de Clapton avant sa période bibine. La découverte de la caverne aux merveilles se poursuit avec « Give » qui poursuit le rêve éveillé que tout amateur de rock psychédélique vintage vit depuis qu’il a posé la galette sur la platine. On commence à manquer de superlatifs pour évoquer cette musique organique, trippante, jouissive comme peut l’être « You be the fool », véritable déclaration d’amour à un rock psyché suranné et qui sent la cave mais rien de péjoratif là-dedans car c’est souvent à cet endroit qu’on y conserve les meilleurs crus… Allez, dernière ligne droite avec « Get out » et sa rythmique à la Status Quo qui vous fera dandiner sur votre canapé avant un « Evil people pt.1 » planant et musclé au possible.

Avec un tel album réalisé de main de maître, d’une variété et d’une richesse rares dans le milieu et d’une qualité égale du début à la fin (ce qui est assez rare pour être signalé), Datura4 signe là un masterpiece de rock psyché old-school, une petite friandise pour vos oreilles et un soleil éblouissant qui va illuminer et réchauffer votre moral. En ces temps difficiles, c’est bon de se vider la tête et de laisser divaguer son esprit et, avec West coast highway cosmic, vous tenez entre vos mains le compagnon de jeu idéal.

 

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