Installé dans le paysage stoner depuis 2009 Geezer a creusé son trou discrètement mais a su consolider sa position grâce à une bonne dose de talent et des astuces de vieux routard dont il parsème ses productions. Les plus assidus d’entre vous se souviendrons que le power trio américain avait failli nous laisser sur le carreau avec son précédent Psychoriffadelia qui n’avait dû son “salut” qu’à un effort d’objectivité de la part de notre rédacteur. Je ne sais pas s’il serait faux de dire que le groupe se cherche, mais voyager d’un blues rock pur jus au stoner passe encore, changer de label cinq fois en sept ans cela pose tout de même des questions. En effet, le trio ricain signe cette fois chez Heavy Psych Sounds, l’aspirateur à bonnes vibrations, tout ceci démarre donc sous de bon auspices.
Groovy dit tout avec sa pochette psychédélique hommage à l’herbe à chat qui fait glouglou dans le tube en verre. Il n’y a que deux façons de jouir de la chose. Le cul dans un fauteuil le pied battant mesure où à allure modérée en mode croisière au volant de sa caisse sous le soleil printanier. Chaque chanson rappelle le titre de la plaque, c’est groove, suavement groovy. Il n’y a pas d’excès, les notes détendent la couenne et mollement on se laisse envahir par l’esprit de Geezer, cette sorte de blues qui a revêtu sa salopette en jeans et son chapeau de paille.
La basse imprime à l’auditeur le hochement de tête, les incursions psychédéliques de la gratte comme l’intro de “Dead Soul Scroll” finissent invariablement dans le giron d’undes dernieres productions du trio, un blues sur lit de saturation. “Groovy”, titre éponyme joue la carte du groove hard rock des familles, un blues gras qui s’habille ici du son d’une cow bell qui avait déjà fait mouche en introduction de l’album sur “Dig”. Ils sont nombreux les exemples de ce savoir-faire espiègle qui caractérise Geezer.
Le Gros beat paresseux et répétitif de la basse de Richie Touseull sur “Atlas Electra” qui emmène tel un tapis roulant la gratte de Patt Harrington vers un solo aussi fluide que celui de “Awake”. Le passage batterie/chant sur le refrain de “Dead Soul Scroll”. La première partie du solo de “Drowning on Empty”. La chaleur du son des cordes toujours subtil et enveloppant. La reverb, les boucles, le jeu électro acoustique sur “Slide Mountain”, la rythmique de “Black Owl”. Il serait vain d’essayer de détailler toutes les astuces dont regorge Groovy mais ce qui est sûr, c’est que leur luxuriance assure à l’album une belle longévité sur la platine.
Groovy est une galette structurée mais elle part aussi dans le plus pur esprit jam, quitte à s’y perdre comme au cours de “Slide Mountain” ou de “Black Owl”. Cependant qu’on se rassure cela ne diminue pas la qualité de l’album, tout au plus cela fait se fait poser la question de savoir si l’album est génial ou juste très bon et si tu es obligé de te poser la question c’est que tu as déjà la réponse. Groovy est un très bon album qui recycle nombre d’éléments qui ont assuré l’engouement pour les première plaque du trio. En plus de recycler Geezer ajoute suffisamment de discours pour pousser à une réécoute gourmande. Pour autant les aficionados de l’album éponyme de 2014 devront se faire à l’idée que leur stoner lourd et accrocheur s’est mué en quelque chose d’autre. Bien plus posé, plus proche de l’ambiance bluesy de l’EP Gage ou de Electrically Recorded Handmade Heavy Blues, cet album fait office de retour aux sources avec un soupçon de cool psychédélique en plus.
Encore une fois Geezer nous offre un album plein d’astuces, d’hameçons joyeux qui te chopent par la manche ou le bas du futal pour te rendre. Le trio conforte sa positon avec ce Groovy, entre blues et hard Rock Geezer affirme sa mutation, son implantation dans un créneau moins corrosif mais toujours stoner. Créneau duquel on ne voudrait pas voir le groupe délogé.
Il y a bien longtemps, dans une page lointaine, très lointaine nous avions parlé de Arrakis Soit en 2015, (sur cette page ici), spicy trio de Thessalonique qui portait sur la musique un singulier regard azuré et composait d’instinct des morceaux introspectifs. Il aura fallu de nombreuses années (Quatre en l’occurrence) pour que ce groupe à force d’entraînement devienne le “court chemin”, une entité capable de produire à la perfection un son qui brouille les frontières temporelles de la musique. Quoi de plus normal pour un jam band psyché me direz-vous?
Grosse évolution côté enregistrement, Ammu Dia aussi bon fut-il n’avait pas la qualité sonore de ce Technonology Vol. I. Un travail en profondeur qui apporte de la maturité à la musique de Arrakis. Cette liberté on la retrouve dans le ton, elle est perceptible dès l’ouverture sur “A Night In Tokyo” (A vrai dire, perceptible dès la pochette de l’album qui annonçait pas mal de bruit). D’ores et déjà les samples et les effets posés sur la guitare augurent de quelque chose d’un peu hors norme au sein du genre psychédélique en touchant du doigt l’esprit de l’acid jazz le plus intoxiqué
Cette plaque entièrement instrumentale embrasse des mélodies éthérées avec “Pareidolia” et ses sonorités entre expérimentation et post quelque chose. Ce morceau se verrait bien comme un travelling sur un désert d’après la bombe. Les mélodies hypnotiques de la basse sont notables de bout en bout de l’album, sur “Hypothalamous” elle sublime les riffs progs énervé de la gratte. Sur “Dream Explained” et “Animan”, avec sa saturation elle impose un beat agressif là où guitare et batterie jouent au yoyo avant que le tout ne s’envoie en l’air dans une belle orgie trioliste à grand renfort de Wahwah
Si parfois la qualité de la galette est ternie par une tendance à la perte de contrôle, Technontology Vol. I semble comme le premier opus, composé d’une traite sous les auspices de la culture jam band psychédélique. Les six morceaux composant ce premier volume, de ce qui sera à terme un diptyque, s’enchaînent avec une densité certaine sans pour autant être lourds à digérer.
Technontology Vol. I n’est sans doute pas un album pour toutes les oreilles, il irritera les amateurs de productions carrées et consensuelles. Par contre si votre esprit est tourné vers le psych à tendance corrosive et que vous cherchez un peu de fraîcheur au sein des productions actuelles, il est fort probable que vous trouviez chez Arrakis de quoi vous amuser quelques temps et sans doute scruterez-vous avec impatience la sortie du second volet d’ores et déjà en cours de constitution.
La scène se passe au petit matin dans le garage de Heavy Psych Sounds à Rome, maison sérieuse fondée aux alentours de 2008 dans l’arrière-cour du groupe Black Rainbows par un Gabriele Fiori en mal de prod.
– Merde Gabriele, c’est quoi encore ce bordel, ça fait des semaines qu’on t’entend rameuter tout le monde jusque sur les réseaux sociaux !
– Stai zitto! dammi la chiave di dodici
– La clé de douze ? Ok, tiens. Mais… mais t’as tout démonté, les sept précédentes plaques!
– si, anche gli album di debutto
– Ah oui, je vois un bout de Carmina Diabolo ici et là de Stellar Prophecyet de ce coté les chromes de Hawkdope. Faut dire on s’y attendait un peu avec les copains, ça fait quelques années que tu fais de la récup’ sur tes anciennes machines. Je ne critique pas, hein! On trouve ça cool et on attend toujours avec impatience vos sorties d’atelier.
Donc, oui chers lecteurs j’ai eu l’occasion d’essayer le nouveau bolide de Black Rainbows, un beau coupé cabriolet pour trois musiciens et une caisse de whisky (ou un auditeur, au choix). Coté moteur on retrouve un bon vieux 12 titres qui tourne à l’essence enrichie, à la fuzz et au crunch.
Un vrai bolide tout en souplesse grâce à une suspension signée Fabio Sforza de Forward Studio et qui avait déjà prêté main forte pour le projet Pandaemonium. L’alternateur est signé Filippo Ragazzoni, batteur de son état et membre de la maison Black Rainbows depuis seulement un album. Enfin, nouveauté dans l’atelier, tenant la basse, on trouve Eduardo Mancini qui va pouvoir prouver qu’il sait y faire, car tout l’enjeu dans cette boutique c’est de passer de stagiaire à associé, ce qui n’est pas une gageur quand on regarde l’historique du turn over de Black Rainbows.
La virée en Cosmic Ritual Supertrip que j’ai pu faire s’est avérée être un véritable Mad Max musical. Dans cet engin, tout n’est que métal, huile, essence et caoutchouc. “Radio666”, “Master Rocket Power Blast” entre autre sont des titres tout en mécanique et ils font mouche à chaque écoute en refilant des envies de bougeotte au milieux d’un désert poussiéreux, au volant d’un bolide décapotable.
A bord de cette galette j’ai pu savourer le cliquettement des fûts , qui percutent comme les soupapes d’un moteur de old timer et sur “Hypnotized By The Solenoid” ils injectent suffisamment de nitroglycérine dans le moulin pour te coller au siège. Soudain, la galette motorisée ne fonctionne plus à la nitro mais au propergol et fait décoller les passagers au delà de la stratosphère, jusque dans l’orbite de “Glittereyzed” pour ensuite dériver tout au long du paisible “The Great Design”.
L’ambiance de Cosmic Ritual Supertrip virevolte entre stoner poussiéreux et psychédélisme spatial mais c’est clairement sans surprise. Le bolide est fait de pièces empruntées aux précédentes productions. En ouvrant la boite à gant on n’est donc pas surpris d’y trouver l’incantation swing “Sacred Graal”, soit un condensé de ce qui fait la force de Black Rainbows.
On passe à l’arrière de la plaque motorisée, sur le siège moelleux de “Searching For Satellites Part I & II” qui offre une atmosphère tout en électro acoustique. On s’y enfonce repus mais pas à bout de force, en tout cas pas assez pour passer à coté d’une ultime accélération avec un “Fire Breather” pied au plancher.
Cosmic Ritual Supertrip c’est une virée au cœur du désormais classique son de Black Rainbows. Un trip entre influences 70’s et nouvelle vague psychédélique. Il n’y a en fait pas grand-chose à dire en regard du parcours du groupe, si ce n’est qu’à chaque mesure l’auditeur peut s’accrocher à un détail qui fait tout le sel des compositions et les inscrit au fer rouge sur ses tympans. A ceux qui se demandent quel est le meilleur album de Black Rainbows, je réponds qu’ils n’en ont jamais fait qu’un seul, toujours réarrangé, retravaillé mais toujours aussi soigné et sans compromission.
Déjà, dès sa création en 2016 du côté de Clermont-Ferrand, on prédisait un bel avenir à Witchfinder, pourvoyeur d’un doom sludge de grande classe et capable, par sa seule force de frappe, de réveiller les monts d’Auvergne. Leur premier album éponyme tabassait comme rarement dans l’hexagone et la tournée les réunissant aux côtés de Witchthroat Serpent en 2017 avait conforté nos espérances : Witchfinder sera de ces groupes qui révèleront au monde la qualité de la scène rock française. D’ailleurs, leurs premières parties de Red Fang, Dopethrone, Ufomammut ou Kadavar en témoignent : nos amis auvergnats ont réussi à se faire un nom, écrit bien en gras, voire en lettres de sang.
2019 voit le trio s’engager avec MRS Red Sound, label fondé par les gars de Mars Red Sky, qui s’y connaissent un peu en bonne musique. Bien que leur registre soit assez éloigné du stoner psychédélique contemplatif des girondins, cette signature va permettre à Witchfinder de briguer une plus grande légitimité sur le circuit. Et la sortie cette même année de Hazy rites (l’album sort ces jours-ci en vinyle avec un peu de retard à cause de l’épidémie de Covid-19) va enfoncer le clou à la force du poing, un clou bien rouillé qui vous filerait le tétanos encore plus rapidement que le chlamydia sur le tournage d’un porno. Car oui, la musique de Witchfinder surclasse sans mal la concurrence hexagonale, mais pas que. Les gaillards, costauds comme des bûcherons et barbus comme des vikings, terrasseraient une forêt landaise à mains nues avec leur doom cataclysmique enregistré depuis les profondeurs du monde. On marche sur les traces de Monolord, Electric Wizard, Bongzilla et toute cette clique de joyeux drilles responsable d’un nombre incalculable de viols collectifs d’âmes païennes qui se sont, depuis, converties à la vénération du Malin. Et puis, les garçons se sont donnés la peine d’enregistrer leur album en Pologne, nouvelle terre sainte du doom européen ayant enfanté des enfants de choeur du nom de Spaceslug, Dopelord, Major Kong, Weedpecker ou encore Belzebong.
Méticuleusement, Witchfinder s’immisce dans votre inconscient avec la douceur et la délicatesse d’un semi-remorque sans frein lancé du haut d’un col des Alpes. Cà vibre, çà grésille, çà virevolte et, surtout, çà vous remue les tripes sans ménagement. C’est simple : du début (le ténébreux « Ouija ») à « Satan’s haze » (qui rougit les amplis et votre petit cul flasque en dix minutes éprouvantes mais grisantes) en passant par « Wild trippin’ » (quelle intro de basse!), l’auditeur est convié à une messe noire totalement maîtrisée de bout en bout. Hazy rites, mystique et planant, ésotérique et satanique, mélancolique et ténébreux, possède la classe charbonneuse d’un grand album de doom, tout simplement. Et cela, même si les éternels râleurs trouveront cet album trop redondant et crieront au plagiat des groupes cités plus haut. En même temps, dans un genre régi par des codes bien définis (à savoir : rythmique lancinante, accords tenant sur les doigts d’une main et voix plaintive et lointaine), difficile de s’écarter du chemin balisé depuis des décennies…
Tout est réuni pour faire de Witchfinder le futur étendard d’un genre qui, s’il peine à se renouveler au fil du temps, continue à nous éblouir par la grâce de sa lumière noire, blafarde et caverneuse. Car oui, même s’ils n’ont pas (encore) la classe, la carrière et la légitimité internationale d’un Black Sabbath, d’un Saint-Vitus ou d’un Electric Wizard, Witchfinder s’apprête à graver son nom sur les tables de loi du doom. Rien de moins. Et cela, grâce à ce Hazy rites, l’un des meilleurs albums doom de ces dernières années.
Il y aura un jour où El Paraiso Records aura la reconnaissance qu’il mérite. Fondé par des membres de Causa Sui pour les albums du groupe et sortir leurs autres projets musicaux, le label ne cesse de fournir des pépites allant mêler le psych-rock avec le jazz, la folk ou encore le rock sudiste. Il est d’ailleurs conseillé d’aller y découvrir des groupes comme Papir, Astral TV (pour toi, fan de synthétiseurs) mais aussi Kanaan !
Arrivé chez El Paraiso Records en 2018 avec leur premier album Windborne, les norvégiens se sont rapidement fait remarquer avec leur musique tantôt planante et lumineuse, tantôt plus pesante avec des rythmiques sentant bon le stoner-rock. Accompagné par le guitariste de Causa Sui, Kanaan refait surface en début d’année avec l’Ep Odense Sessions et ses 46 minutes d’improvisations exaltantes et se démarque au passage des ambiances de Windborne. C’est donc avec une certaine excitation que l’on se plonge dans Double Sun, le second album de Kanaan sorti il y a quelques semaines.
Et c’est avec un mélange de frénésie et d’intérêt que l’on repart en plongée dans l’univers de ce Double Sun. Car l’énorme atout de Kanaan est de créer d’excellents contrastes dans leur musique rendant chaque écoute différente en fonction de l’attention que l’on porte à chaque titre. Déjà visible sur Windborn, Kanaan continue de virer vers des sonorités chaudes, un brin jazzy par endroit, et y ajoute des éléments plus stoner, notamment sur ce bon gros riff présent dans “Double Sun Pt1” ou sur la première partie de “Mountain”. Le son pesant de la basse et les rythmes plus fiévreux de la batterie et des diverses percussions viennent accentuer ces ambiances désertiques sur “Öresund” et “Double Sun Part2”.
Les guitares sont plus proches des jams psychédéliques et aériennes des Odense Sessions. Sauf que là où elles ralentissent le tempo sur “Mountain” avec un solo nous propulsant en apesanteur, elles viennent derrière emballer le morceau “Öresund” ou le trip presque bruitiste “Worlds Apart” (c’est quand même cool que ce titre arrive à se maintenir à flot alors que chaque musicien part dans une direction et un rythme différent). Et puis on a ce synthé et cet orgue qui viennent se mélanger parfaitement aux thèmes de Double Sun en y apportant une profondeur supplémentaire et quelques effets bien sentis renforçant cette idée de flottaison autour d’étoiles lumineuses.
En finalité, l’écoute de Double Sun est un vrai voyage musical de l’ouverture “Words Together”, et ses ressemblances au “Breathe (in the air)” des Pink Floyd, au final hypnotique de “Double Sun Pt2”. Chaque titre est complémentaire du suivant et donne cette sensation d’assurance dans les volontés musicales des norvégiens. Malgré sa construction autour de jams psychédéliques, Double Sun conserve une certaine efficacité facilitant grandement son appréciation et ouvre la porte aux auditeurs moins friands des trips à rallonge façon Earthess. Il accompagnera très bien nos premières ballades post-confinement !
Après Relic chez Argonauta Records en 2017, Rift chez Kozmik Artifactz en 2018, il revient cette fois-ci à Ripple Music d’apporter sa pierre à l’édifice d’album en « R » de Forming The Void en produisant le dernier opus des Américains intitulé Reverie. Quand on songe à l’émergence du groupe ces dernières années au sein de la sphère du doom qui tache, on imagine sans peine la volonté des labels de vouloir estampiller leurs marques sur l’une de ses galettes.
Changement de crémière d’un côté, changement de bassiste de l’autre. La refonte de la section rythmique amorcée avec Thomas Colley sur Rift s’achève avec l’arrivée du nouveau joueur de quatre cordes Thorn Letulle. Pour autant, ces nouveautés n’altèrent guère le Heavy rock progressif et introspectif du quatuor louisianais. « Sage » mis de côté, ce dernier album s’éloigne un tantinet du percutant tellurique de Rift pour flotter davantage dans la portion atmosphérique et spectrale de leur musique. Paradoxalement, les morceaux s’étirent rarement au-delà des cinq minutes (pour un total d’environ 37). Leur format quasi identique donne l’impression d’une série de produits similaires tous éjectés du même moule. Les apparences se révèlent pourtant très trompeuses.
Comme à l’habitude, chaque piste est un voyage à elle seule. « Onward Through The Haze », l’épopée astrale avec comme guide une basse profonde habillée d’une mystérieuse mélodie ; « Trace The Omen », douce balade où l’on sent la toile cosmique s’étendre vers l’infini, propice tant au déploiement des intrigants phrasés de Shadi Omar Al-Khansa qu’à l’envoutant chant de James Marshall. Là-dessus surgit « Manifest », la pièce maîtresse, le noyau de ce fruit que l’on déguste couche par couche. Derrière la chair sucrée se tapit un cœur granitique sculpté dans de puissants riffs, une rythmique hypnotique et un groove lourd. En somme tout le savoureux dont nous avaient habitués les précédents albums. Petit bémol pour « Electric Hive » qui, en dépit du style, verse dans une certaine redondance mélodique, voire quelque peu assourdissante avec une écriture trop similaire entre refrain et couplet. Cette platitude rythmique, qui dénote du reste des pistes, pourrait en conduire certains à l’indigestion à la suite de multiples écoutes. Par chance, « Ancient Satellite » et « The Ending Cometh » viennent vite corriger ce bref changement de trajectoire pour nous ramener sous une orbite plus familière. Tout en nuance juste et subtilité, l’écriture est réussie, la technique maîtrisée et l’équilibre restauré.
Reverie apparaît donc comme un trésor supplémentaire d’artisanat au sein d’un atelier à la renommée grandissante. Une production alliant performance et innovation, tout en collant à l’essence de ce qu’est le groupe, et qui s’inscrit donc naturellement dans l’univers vaste et plein de mysticisme des Louisianais. Une galette qui mérite une fois encore les louanges dont on l’affuble.
Sept ans depuis le dernier album de Loading Data, ça peut paraître long. Trop peut-être même ? Toujours est-il que ce n’est pas sous cette étiquette que Loïk, le tenace et intègre leader du plus ricain des groupes français, sort sa nouvelle production. Ne soyons pas dupes, les musiciens ont défilé au sein de Loading Data avec les années, autour du charismatique et fidèle frontman, si bien qu’on n’aurait pas vu grande différence si le disque nous avait été présenté en tant que Loading Data. La maturité aidant, le temps est peut-être venu aussi d’assumer pour Lo le rôle de moteur exclusif de la formation ? Aucun malaise là-dedans, le guitariste-vocaliste a toujours été à l’origine de toute la musique du groupe. Et puis avec un blase comme “Patrón” pour son projet, il ne faut pas longtemps pour comprendre qui tient la barre…
Pour entériner cette “continuité” avec sa formation précédente, Lo s’est encore attaché les services de l’esthète du son Alain Johannes (déjà producteur du dernier Loading Data) pour enregistrer son disque, mis en boîte il y a… presque quatre ans ! Notre parisien a pris sa guitare et son pote Aurélien Barbolosi dans ses bagages direction Los Angeles, et a appelé quelques musiciens locaux jamais éloignés de la sphère “Josh Homme” (Nick Oliveri, Joy Castillo, Barrett Martin, Alain Johannes ici à la basse…) pour lui prêter main forte… Mais faites fi du name dropping (qui remplira bien son office pour aider à remplir les chroniques du disque par bon nombre de nos confrères), car si comme nous vous avez religieusement suivi l’évolution de Loading Data (et même depuis Four Track Junction) depuis une bonne vingtaine d’années, la filiation musicale ne fera aucun doute : même si, via ce prestigieux casting, Lo donne à son album les moyens de ses ambitions, et un certain vernis sonore incontestable, c’est SA musique.
De quoi parle-t-on d’ailleurs, musicalement ? Rien en tout cas qui ne choquera celles et ceux qui aiment Loading Data, on retrouve immédiatement ce style familier mêlant robot-rock / desert-rock et chant crooner ultra grave. Cette tessiture vocale entre le baryton et la basse est la marque de fabrique de Lo et de ses projets – qu’on aime ou pas, on n’entend pas ça tous les jours ! Concernant la partie musicale/instrumentale, là aussi, on retrouve les échos auxquels on est habitués, ces sonorités tellement proches du QOTSA des années 2000-2005. Il faut se faire une raison toutefois : plutôt que de crier au manque d’inspiration, voire au plagiat, prenons conscience que le faisceau d’influence de Lo est manifestement très proche de celui de Josh Homme, et surtout, reconnaissons la ténacité et l’intégrité musicale du frontman, qui a toujours évolué dans cette tendance musicale depuis une vingtaine d’années, sans jamais retourner sa veste ni jouer d’opportunisme. Il y a quelques moments plus pertinents que d’autres concernant ce travail de mise en son en particulier (les choeurs en fond sur la fin de “Seventeen” pourraient avoir été piochés dans Lullabies to Paralyze, de même que les arrangements de guitare de l’intégralité de “Hold me Tight”…) mais globalement tout est bien approprié.
L’essentielle qualité de l’album se trouve dans ses compositions : onze titres à l’écriture soignée, bien enjolivés en studio, pour autant de mélodies accrocheuses. Reconnaissons à Lo un véritable talent d’écriture, une capacité remarquable à imbriquer et entremêler ses mélodies vocales entêtantes à des riffs et licks de guitare super catchy. Autre facteur différenciant de sa musique, le groove n’est jamais loin (“Who do you dance for”, “Very bad Boy”, “Around my Neck”…). Par dessus, se greffent une multitude d’arrangements et de choix instrumentaux atypiques, parfaitement adaptés à chaque chanson (difficile d’y distinguer la vision initiale du chanteur-guitariste de l’apport réel de Johannes à la production), qui rendent l’écoute du disque addictive et jamais ennuyeuse : qu’il s’agisse d’une production a minima (la mise en son basique de “Seventeen” ou “The Maker”) ou d’arrangements plus pompeux (le final de chansons comme “Room with a View” avec ses superpositions de guitares ou plus encore de “Jump in the Fire” avec ses choeurs et ses couches instrumentales qui l’emmènent sur les plate bandes du Faith No More de “Just a Man”), on se retrouve avec une galette variée, riche de sons et de mélodies. Le point culminant est atteint avec le remarquable “How to Land”, qui propose une sorte de best of de l’album condensé sur un titre, avec une particularité : un refrain où le chant de Lo, moins grave, gagne de manière significative en puissance et en efficacité… Un enseignement pour l’avenir ?
Cet album, vous l’aurez compris, plaira en premier lieu à celles et ceux qui revendiquent leur amour pour les ramifications les plus mélodiques du desert rock référentiel, celui incarné par le QOTSA du début du siècle, Masters of Reality, les earthlings?, etc… Assumant pleinement un vaste faisceau d’influences (en gros : une cinquantaine d’années de rock californien), Lo les agglomère dans son projet solo, proposant un disque bien écrit et bien produit, atypique et charmeur. Forcément, il ne conviendra pas aux amoureux exclusifs de doom ténébreux et de sludge crasseux, donc à réserver à un public d’amateurs avertis.
Les italiens de Supernaughty sont actifs depuis 2014. Ce sont 4 copains bien sous tous rapports qui ont décidés, un beau jour, d’officialiser une formation qui joue ensemble depuis près d’une décennie. En 2015, l’inévitable premier EP est dégainé, prétexte à de nombreuses prestations, notamment en première partie de la tournée de Fatso Jetson. 2016 voit le remplacement du bassiste et deux ans plus tard, premier album, justement intitulé Vol.1, paru déjà chez Argonauta. 7 chansons composées sous influence grunge, heavy rock et stoner pour un résultat intéressant bien que pas franchement mémorable. De retour en studio après quelques prestations (notamment aux côtés de Kal-El ou Deville), 2020 voit la sortie du toujours délicat deuxième album, celui qui vous consacre ou vous jette aux orties.
Déjà, avant de parler musique, parlons visuel, et celui de Temple contient tous les poncifs du genre : couleurs chaudes savamment accordées, la sempiternelle montagne qui dégueule de lave bouillante, deux dinosaures au sol (et plusieurs ptérodactyles dans le ciel) et… 4 jeunes créatures courtement vêtues puisqu’elles sont complètement nues (exceptée la voluptueuse donzelle à droite qui a réussi à sauver un mini-short dans la bataille). Et ces jeunes demoiselles semblent vénérer ce qui ressemble à un plug anal géant surmontées de tourelles, comme un tank porno géant… Si besoin était de marquer les esprits, c’est déjà fait, merci messieurs ! Bon, c’est pas le tout mais on est là pour la zik avant tout, non ? Même si un bel emballage flatte toujours le chroniqueur avide de belles pochettes (à l’heure de la dématérialisation qui gâche souvent le plaisir), ce qu’on aime c’est se dégourdir les cages à miel…
Autant prévenir tout de suite les béotiens qui ne connaissent pas les italiens : çà tabasse, çà envoie le pâté, c’est gras comme une poutine au saindoux et… on aime çà ! « The way I wish to die » ouvre le bal de fort belle manière, même si la voix d’Angelo Fagni ressemble comme deux cordes de guitare à celle de Klaus Meine, frontman de Scorpions… 3 minutes douche comprise, autant dire qu’on a pas le temps de s’ennuyer… « Biogrinder » enfonce le clou avec un mid-tempo aux guitares volontaires mais, déjà, un sentiment de déjà-entendu envahit l’auditeur qui, même s’il sait que Supernaughty n’a pas la prétention de réinventer la roue, aurait aimé un peu plus de folie et d’audace même s’il ne peut s’empêcher de dodeliner de la caboche en cadence. « Hellboar » rassure par sa rythmique plombée au napalm et les riffs pachydermiques de Filippo Del Bimbo et Angelo Fagni dans un beau duel à douze cordes. Sans doute le titre le plus enthousiasmant de la galette. Suit l’ultra-heavy « Warehouse demon » (quel son de basse!) avant un interlude de 80 secondes intitulé… « Plug »… Vous voyez, je n’avais pas rêvé !
Le puissant « Temple » continue de charmer les oreilles avec, cette fois, un titre assez doom dans sa construction et sa production qui appelle à la bagarre en fosse (vous vous souvenez, le truc où on était tous collés les uns aux autres?) avant un « Here comes the argonauts » qui achèvera les plus solides du pit. On approche déjà de la fin avec une dernière salve intitulée « BiGB », furieuse épopée hard-rock (et son petit solo qui va bien) qui conclut en beauté vous laissera un sourire aux lèvres.
Supernaughty n’a pas loupé son coup avec Temple, seconde offrande du quatuor transalpin qui mérite plus qu’une écoute distraite. Pour les amateurs de grosses guitares, de heavy rock, de grunge et… de Scorpions ! Album chaudement recommandé.
Dopelord, quartet polonais avait fait souffler un petit vent frais depuis sur la planète doom avec son autoprod sur le lablel Green Plague Records en 2018. Children Of The Haze s’était démarqué par une approche entre classicisme et originalité. Cette fois ci l’objet flirte avec les limites de l’EP mais il s’agit bien d’un long format (Avec 36 minutes réglementaires, il n’y aura pas de rab’ vous êtes prévenus.). Voyons donc ce que ce que nous livrent les arcanes de Sign of the Devil.
Lourd comme un Monolord d’entrée de jeu, l’album pourrait être de ceux que l’on a tôt fait d’oublier. Pourtant la plaque s’avère être une source de plaisir à chaque écoute. Nos quatre doomeux jouent des rythmes entêtants qui portent la plaque jusqu’à ce qu’émergent des soli grinçants et agressifs comme sur “Heil Satan”. A l’instar de leur précédente production on ne nage pas dans l’originalité permanente, cependant le rythme fait tout. Il est obsédant sur chaque morceau. Il force la nuque à s’incliner et cette chose rythmique qui possède le corps et l’âme de nombreux groupes du circuit apporte ici quelques inattendus comme des passages au clavier sortis de films 80’s et particulièrement notables sur “Heil Satan” ou “Doom Bastards”.
Ces deux morceaux que l’on a tôt fait d’identifier comme l’âme de la bête sont servis par un mix de voix sludgy et claire qui apporte une profondeur héritière de la précédente production. (“Heathen” n’est à ce propos pas le titre le plus en reste)
Sign of the Devil offre à l’auditeur une constante évolution mélodique, navigant même dans les eaux de la balade sur “Bastards of Doom” et révélant l’aspect composite des morceaux de façon flagrante. Dopelord évolue finement. Plus qu’entre les morceaux, il évolue au cours des compositions pour y dissimuler quelques facettes rétro et enlevées que “Headless Decapitator” va remettre sur le tapis mais avec bien plus de force qu’ailleurs. L’album semble dès lors conçu comme un live, une set liste bien foutue qui attaque dans le lourd, s’envole et clôture sur un rappel bourrin tout en rapidité.
Avec cet album Dopelord confirme qu’il a trouvé son tempo de croisière dans la prolongation de son précédent album Children of the Haze. Quant à sa position au sein des LP, je reste dubitatif, j’en aurait bien repris un peu tout de même.
Magnus Pelander a toujours été un cas à part dans l’industrie musicale et Witchcraft a toujours été son bébé, sa créature. Le gars a usé un nombre incalculable de zicos qui ont dû se plier au bon vouloir du bonhomme, n’étant que des faire-valoir tout juste bon à jouer en fermant bien consciencieusement leur gueule avant de se faire jeter (ou de partir, dépités ou lassés). Sauf que le suédois est un génie, le genre de type qui, s’il récitait l’annuaire pendant 4 heures en concert, aurait toujours l’adoubement d’un public dévoué à sa cause. Et cela fait 20 ans que çà dure ! Cette année voit la sortie d’un nouvel album de Witchcraft, sobrement intitulé Black metal et, connaissant l’amour de Pelander pour les contre-pieds et les virages à 180 degrés, on se dit béatement qu’on va avoir droit à un bon gros pavé croustillant, suintant l’incendie d’église et la visite de manoir perdu dans une forêt menaçante. Et comme on s’y attendait, le bonhomme va nous surprendre. Mais cent fois plus…
Car oui, ce nouvel album de Witchcraft est surprenant à plus d’un titre : déjà, il y a cette pochette immaculée, virginale, minimaliste. Dans une frange du rock régie par les artworks qui dégueulent de couleurs pas toujours du meilleur goût, un retour aux fondamentaux est appréciable (souvenez-vous que la plus mythique pochette des Beatles est un monochrome…). Et ce sentiment de minimalisme, il va se poursuivre jusque sur le diamant de votre platine car, en effet, Witchcraft nous a pondu un album… qui ne contient aucun autre instrument qu’une guitare ! Et tenez-vous bien, elle est acoustique, en plus ! Eh oui, Magnus Pelander vous a encore bien eu !
Et encore, vous n’avez rien entendu… Qu’elles soient sublimes complaintes d’une tristesse insondable ou blues incandescents venus tout droit des champs de coton, ces chansons sont taillées pour vous tirer des larmes et vous dresser les poils. Et croyez-moi, la mission est accomplie avec brio ! 7 chansons toutes plus belles les unes que les autres, façonnées à l’os par un artiste sûr de son talent et qui n’a que faire des conventions de l’industrie musicale. Le bonhomme fait ce qu’il veut et ceux qui n’aiment pas n’ont qu’à changer de trottoir. D’ailleurs, au passage, cet album, qui semble avoir été pensé, écrit et réalisé en solo, mérite-t-il l’étiquette « nouvel album de Witchcraft » ? On peut, du coup, légitimement se poser la question de la pérennité de Witchcraft en tant que groupe… Pelander va-t-il continuer dans cette voie, poursuivre dans son exploration musicale au gré de ses envies ? L’avenir nous le dira…
En tout cas, cet album est à prendre comme il a été conçu : comme l’envie d’un musicien d’explorer de nouveaux horizons et de s’écarter des carcans parfois trop restrictifs de l’industrie musicale. En cela, c’est une magnifique ode à la pureté, un vibrant hommage à cet art qui nous fait tant vibrer. A ceux qui voudraient trouver un sens à la démarche, n’y cherchez rien d’autre qu’une énième parenthèse enchantée à une discographie foisonnante et de qualité. Certes, Black metal va en déconcerter plus d’un, c’est évident, mais l’objet en lui-même reste un fascinant poème sans ampli, viscéralement ancré dans l’histoire de la musique enregistrée tout en restant accessible à tous.
La Suède serait-elle devenue l’eldorado du classic rock contemporain, au même titre que la Grèce soit devenue la mecque du stoner actuel ? On peut le penser, tant la propension qu’à le pays à enfanter des merveilles chaque semaine est impressionnante… L’un des derniers représentants en date et l’un des moins manchots du lot se nomme Gaupa, quintette originaire de la ville de Falun, l’une des principales zones d’extraction minière du pays qui accueille l’usine d’assemblage des camions Scania. Voilà pour l’histoire et le décor. Mais ce qui nous intéresse ici, ce ne sont ni les 44 tonnes ni le cuivre sorti des entrailles de la terre mais la zik, rien que la zik. Et croyez-moi, amatrices et amateurs de classic rock à la sauce seventies, vous allez être servi(e)s…
Après un premier EP paru en 2018 (mais seulement disponible depuis quelques semaines sur support physique sous un sublime artwork de l’ami Jo Riou), Gaupa nous a envoyé Feberdrom début avril, album qui suit le single « Alfahonan (Shooting blanks) » balancé en éclaireur en janvier dernier. La pochette, plus conventionnelle que l’EP éponyme mais tout aussi psychédélique et superbe, représente à nouveau un lynx (traduction de « gaupa » en suédois). « Vakuum » ouvre les hostilités avec, dès les premières secondes, la voix tétanisante, frissonnante de pureté d’Emma Näslund, prêtresse blonde et son organe qui rappelle, fatalement, une certaine Björk dans ses intonations et son timbre de voix. Ceux qui attendaient une suite naturelle à l’EP précédemment cité seront tout de même un poil déçus : plus conventionnel dans son approche, Gaupa a mûri et a comme gommé les imperfections de son son qui apparaît dès lors comme lisse, peut-être trop diront certains.
Bon, malgré ce léger défaut, Feberdrom est euphorisant de bout en bout : entre le puissant « Where emperors grow » (quelle voix encore une fois!), l’envoûtant « Grycksbo ganglat » (mot compte triple au Scrabble) ou le tétanisant « Mjolksyra » (et sa basse qui vibre plus qu’un malade de Parkinson), l’auditeur, quelle que soit son orientation musicale, saura trouver de quoi se repaître. Que l’on soit amateur de grosses guitares, d’envolées lysergiques ou tout simplement nostalgique des seventies, Gaupa saura vous emporter.
Au final, difficile de reprocher quoi que ce soit à Feberdrom, hormis peut-être un manque de cohérence entre les titres qui font de cet album une somme d’individualités fortes en goût plutôt qu’un repas gastronomique de l’entrée au dessert. Sans atteindre le niveau d’un 3 étoiles, on est quand même mieux servis qu’au fast-food ! Entre leur EP éponyme et ce premier essai au format LP, Gaupa tape dans le mille et on attend la suite avec impatience…
Alors, autant vous gâcher le plaisir de la chute et vous spoiler la fin avant même le début de la chronique : cette compilation Women of doom est un fantastique pétard mouillé. Voilà, c’est dit, vous pouvez donc reprendre une activité normale ou vous pencher sur un autre disque… Merci, à bientôt…
Plus sérieusement, essayons de comprendre ensemble pourquoi cette compilation, parue chez Blues funeral, n’apportera rien au doom, aux femmes et à la musique en général. Commençons par évoquer l’idée principale du projet: sélectionner, parmi les artistes de notre vénérée scène doom-stoner, quelques artistes représentatives du courant et mettre en avant la scène féminine. Les intentions sont bonnes, il faut le reconnaître (même si, fatalement, sortir une compilation 100% féminine rappelle que les demoiselles sont en minorité dans le petit cercle très fermé des stonerheads barbus), mais le souci est ailleurs : la sélection n’a ni queue ni tête, n’est aucunement représentative (ou sont donc les Acid King, Messa, Kylesa, Windhand, Alunah ?) et surtout, aucun titre ne donne forcément envie de découvrir la discographie des artistes présents (par exemple, le dernier album de Year Of The Cobra vaut mille fois mieux que ce piteux et médiocre “Broken” chanté par Amy Tung). Bon, un ou deux titres méritent une écoute (notamment celui de Besvarjelsen, toujours impeccable). Mais mettez-vous une seconde à la place de quelqu’un qui n’y connaît absolument rien et qui, sur un malentendu, tombe sur cette compilation… Le pauvre, il va penser que ce qu’il écoute, c’est du doom et c’est ce qui se fait de mieux dans le genre ! Pauvre de lui…
Autre grief de ce genre d’initiative : « sexualiser » le doom et faire du « doom chanté par une femme » une catégorie musicale à part entière… Le doom EST une catégorie à part entière, qu’il soit chanté ou non par une femme. Dans une période plutôt difficile pour les prédateurs sexuels et les pervers en tous genres, difficile de ne pas voir, dans cette compilation, une tentative maladroite de rendre hommage à la scène féminine. L’intention est louable mais elle tombe un peu à l’eau. Je ne suis pas une femme mais si j’en étais une, je me dirais : « ah ouais, comme çà il nous faut une compilation pour se faire connaître, pour faire savoir qu’on existe. Et en plus, ils ont choisi des bouses ! V’là la publicité pourrie ! ». J’ai l’impression que les décideurs de ce projet sont tous des mecs qui se sont dits : « bon, les gars, on va faire une jolie galette, on va prendre les premiers noms qui viennent en tapant « women » et « doom » sur Google et, comme çà, elle vont nous lâcher la grappe… De toute façon, elles sont tellement peu sur le circuit qu’elles ne nous prendront pas la tête longtemps ! ».
Et c’est là tout le souci de la musique métal en général (et de la scène stoner en particulier) : c’est un monde d’hommes et les femmes, malgré un talent souvent indéniable et reconnu, resteront toujours les faire-valoir d’une musique machiste qui n’a que faire des « brailleuses » en jupette qui montent sur scène à moitié à poil… Ne vous méprenez pas, je ne suis absolument pas ce genre de type, je ne fais que constater une triste réalité : combien de fois avez-vous déjà entendu au milieu d’une foule : « putain, il est baisable ce guitariste à la grosse barbe ! », ou alors « je lui ferai bien sa petite affaire à ce batteur au T-shirt noir ! » ? Honnêtement, jamais, et vous ne l’entendrez sans doute jamais… Malheureusement, la femme a toujours été vu comme un objet de désir, une Jessica Rabbit devant laquelle se pavanent des dizaines de loups de Tex Avery…
Alors, même si les intentions de Blues Funeral sont louables, ce genre de compilation est un peu vaine. Simplement car, que ce soit un homme, une femme, un pangolin ou une armée de martiens qui chante, ce qui comptera toujours c’est ce que la musique vous procure, vous fait ressentir, qu’elle vous émeuve ou vous terrifie, qu’elle vous fasse planer ou danser, qu’elle vous fasse vous sentir vivant, tout simplement… Et ce disque montre les limites du projet : la qualité est mise au second plan au profit du fait que ce soit une femme qui chante. Et c’est dommage, vraiment dommage…
Los Natas. Le nom du trio argentin réveille chez les plus vieux d’entre nous des souvenirs plein les oreilles. A l’époque, les années 2000 paraissaient encore loin, les groupes de stoner se comptaient sur les doigts d’une main (OK, de quelques mains…), mais personne ne savait encore qu’ils jouaient du “stoner”. Los Natas était de cette engeance, et a abreuvé nos jeunes années d’une discographie pleine d’un rock riche et sableux, aventureux et débridé, à la fois respectueux des codes et faisant preuve d’une liberté exaltante. Un peu plus d’une demi-douzaine d’albums plus ou moins déstructurés, des splits, des EP, des apparitions dans des compils obscures… Le groupe fut pour le moins productif, proposant en 2006 et 2009 ses deux derniers albums, les plus solides (pas forcément les plus aventureux), chez Small Stone Records. Et puis pschitt, disparus. Quelques années plus tard, en 2012, le split est entériné.
Depuis, le “grand public” est passé à autre chose, pensant la cause perdue. Pourtant, comme depuis leurs débuts, le groupe est resté actif. Enfin, pas le groupe, mais surtout Sergio Chotsourian (Sergio Ch.) son leader et fondateur. Depuis la fin de Los Natas, le bonhomme a lancé son petit label, où il offre le gîte et le couvert à des groupes argentins de toutes natures, allant des artistes folk locaux jusqu’aux délires bruitistes… N’étant jamais si bien servi que par soi-même, il propose régulièrement des sorties pour ses propres projets musicaux personnels, qu’il s’agisse de ses productions solo (sous son nom Sergio CH.) ou de son groupe-projet… Soldati ! Depuis quatre ans, le bougre dissémine des bribes ou brouillons de ce qui constituera son tant attendu premier album, que nous retrouvons enfin dans nos petites mains numériques, les yeux brillants et les lèvres tremblantes (j’en fais trop là ? Vous me dites hein…).
Dès les premières notes, les saveurs complexes mais primitives de Los Natas nous reviennent rapidement en bouche – et en premier lieu cette production brute de décoffrage, qui laisse juste assez d’espace à quelques très modestes effets, pour dérouler un tapis rouge aux nappes fuzzées dressées par la gratte de Sergio. Plus de dix ans après Nuevo Orden de la Libertad, son chant apparaît plus rauque et plus “nasillard” (même si dans les faits cette évolution fut plus progressive), en tout cas plus frontal et assumé (voir à cet effet l’intro de l’album, “From Skulls”, lancé presque a capella – un choix presque déstabilisant). Tout comme pour Los Natas avec son compère Walter, c’est avec Lucas Cassinelli à la 4-cordes que Sergio mène la barque Soldati (nous ne nous pencherons pas plus avant sur la volatilité des batteurs dans l’ensemble des formations de Sergio…) depuis les débuts. Manifestement un choix décisif au vu de la lourdeur du son de cette galette.
Après de très nombreuses écoutes, il est évident que Soldati n’est pas une vilaine résurgence de Los Natas, et c’est aussi remarquable qu’honorable. Pourtant les différences sont difficiles à cerner. Fondamentalement, Doom Nacional (quel titre d’album, bon sang !) est un album solide, cohérent et dense (là où Los Natas pouvait glisser ici un instrumental planant, là une décharge punk, pour ponctuer ses disques). Ses compos sont malines, efficaces, mises en son avec intelligence et anticonformisme. On est souvent déstabilisé par l’originalité du mix, en particulier par la mise en exergue de ce chant espagnol si marquant, même si au final ce sont les séquences musicales qui sont le plus nombreuses. Il faut dire que le guitariste n’a pas oublié la science du riff, loin s’en faut : “Suicide Girl”, “La Electricidad Del Arbol Caido”,… le mid-tempo qui bastonne n’a plus de secret pour lui. Sans parler de ce groove, probablement la touche sud-américaine, qui pousse au headbanging tridimensionnel… En tout cas, aucun titre n’affaiblit la galette, tous ont leur place (il n’y en a que 7 en même temps…) et participent à développer une ambiance à la fois confortable et atypique dans le paysage sonore des albums de ces dernières années.
Pour autant, l’album ne plaira pas qu’aux nostalgiques (et pourtant, quel ravissement de se plonger dans les très Kyuss-iens “Solar Tse” ou “Un Tren al Sol”…) mais fondamentalement aux amateurs de stoner pour ce qu’il a de plus pur, hors mode, à l’esprit libre et frondeur.
12 ans… Voilà plus de 12 ans qu’Elder fait partie de notre paysage musical pour en devenir un des groupes majeurs des années 2010. Du stoner des débuts à l’odyssée épique et progressive de Reflections of a Floating World, le trio devenu quatuor a sans cesse fait évoluer ses influences et s’écarte, album après album, de cette scène stoner. Leur trip quasi kraut rock, The Gold & Silver Sessions, sorti en 2019, marque d’ailleurs un tournant dans les motivations musicales d’Elder. A l’instar des dernières sorties du groupe, Omens devrait donc apporter son lot de surprises et est particulièrement attendu pour voir la direction prise par la bande de Nick DiSalvo.
Si le single “Embers” sorti il y a quelques semaines laissait encore planer le doute sur la volonté du groupe, avec des riffs et un refrain efficaces venant s’incorporer avec réussite aux parties plus progressives, le morceau “Omen” ouvrant l’album élimine lui toutes incertitudes. Intro spatiale ramenant tout de suite au rock progressif des années 70, structures plus lentes, boucles psychédéliques basées sur un clavier nettement plus présent qu’auparavant… Elder assume d’emblée les orientations prog / krautrock de leur dernier EP et que l’on retrouvait déjà par petites touches sur Reflections of a Floating World.
Omens est donc musicalement beaucoup plus aéré que ses prédécesseurs. Cette épuration du son permet au groupe de mettre en valeur chaque instrument et notamment les lignes de basse qui redeviennent parfaitement audibles sur cet album. Le titre “Halcyon” symbolise cette nouvelle orientation et résume à lui seul toutes les qualités d’Omens. Avec son feu d’artifice de mélodies aériennes partant par moment dans des vibes plus massives, le morceau nous rend apte à léviter pour nous faire parcourir des contrées oubliées. “In Procession” part aussi dans cette même voie de trip atmosphérique mais en y rajoutant ce côté épique des guitares arrivant à faire tressaillir nos barbes de confinés à chaque écoute.
Seulement voilà, Omens souffre d’un défaut jusqu’ici inconnu chez Elder. Il est inégal… L’utilisation plus poussée des synthétiseurs est intéressante au départ mais devient redondante dans ses effets, rendant le tout assez linéaire sans créer de réels moments marquants. On sent aussi l’absence de Matt Couto à la batterie, qui, de part sa technique et son groove, arrivait à sublimer le son du groupe (le nouveau batteur est loin d’être mauvais, mais la différence de feeling est audible).
Ce sentiment d’inégalité de l’album est accentué par le chant : même s’il y reste globalement peu présent, les lignes vocales ne s’intègrent pas toujours dans les ambiances d’Omens, notamment avec des effets pouvant surprendre sur certains titres, venant parfois même interrompre et perturber l’écoute de phases instrumentales méritant d’être développées. Il est d’ailleurs étonnant de ne voir aucun titre complètement instrumental sur Omens au vu des portes que semblait ouvrir l’EP The Gold & Silver Sessions.
Au final, l’écoute d’Omens laisse une sensation bizarre. Cet album propose un son globalement magnifique (peu être le meilleur du groupe jusqu’ici) et arrive tout de même à nous faire planer assez loin (“Halcyon”, “In Procession”, la fin d'”Omens”). Il propose aussi certains éléments qui ne fonctionnent pas aussi bien que prévus et cela rend l’appréciation de l’album moins évidente que d’habitude. Omens n’est ni une grande réussite, ni un échec, alors prenez cet album tel qu’il est. Mettez de côté les différences entre Omens et les autres albums d’Elder, acceptez ses défauts, donnez lui un peu de votre temps, et il saura vous séduire avec ses qualités.
Les 1000mods, ont vu se développer autour d’eux une véritable hype. L’engouement du public pour le quartette les positionne comme l’œil du cyclone de la scène stoner grecque et chacune de leurs sorties est attendue de pied ferme avec l’espoir de recevoir un peu de la gifle qu’ils délivrent en live à chacun de leurs sets.
Cette année ils libèrent leur quatrième long format, Youth of Dissent, et avec un titre pareil on s’attend à ce que l’haleine chaude et sulfureuse d’une jeunesse révoltée envers à peu près tout ce qui constitue un establishment souffle sur la plaque et nous mette quelques tartes ainsi que des fourmis dans les membres. Sortons donc les banderoles et armons nous de nos plus beaux pavés : voici venue l’heure de la contestation.
A la première lecture, les compositions paraissent trop polies et sans l’agressivité des précédents albums. On contesterait donc en pantoufles avec ce Youth of Dissent. L’esprit s’est métamorphosé et ne livre plus la sauvagerie tribale de morceaux comme “She”, “El Rolito” ou encore “Electric Carve”.
Jusqu’à présent les compositions étaient assez généralement construites selon l’adage “le calme avant la tempête” et l’introduction tantôt planante, tantôt pesante, passait le plat aux corps de morceaux énervés. Pour Youth of dissent, la gratte s’est faite plus claire, la voix moins hurlée. Et lorsque sur le titre éponyme on s’attend à l’explosion de puissance, le soufflé retombe pour livrer un peu plus d’atmosphérique ou des passages à peine alourdis par la tonalité du jeu de gratte. Le cactus perd ses épines, l’intro de “Less is More” est fade comme un titre rétro 90’s d’une soupe radiophile se voulant héritière du grunge. La larmoyance introductrice de “Young” me donne même à penser que tout a merdé, tout ou presque.
En effet, si l’ouverture vocale de l’album m’a déçu, j’admets que le brûlot de la voix n’est pourtant pas mort. Il revient, on sent qu’il est contenu mais présent sur “Blister” et totalement libéré sur la conclusion de “So Many days”. Une fois cela dit, côté instruments, “21st Space Century” propose l’intro qu’on attendait d’un 1000mods, batterie martiale, gémissements des cordes en vent annonciateur de la déferlante du corps du morceau (qui ne viendra pas, puisqu’il s’agit d’un interlude de deux minutes). Le rythme échevelé de “Pearl” où Dani s’anime et scande le refrain en donnant à l’auditeur envie de bondir… Voilà ce que j’espérais, on retrouve ses marques et ça valait le coup d’attendre.
“11 Mirrors” en point d’orgue ? Batterie tribale faisant monter la sauce, chant abrasif, grattes mid tempo à la limite du doom, le tout pour gravir les pentes d’un Mont Parnasse metal et finir par hurler à la face du monde sa vraie nature, à peu de choses près. C’est en effet d’à peu prés qu’il est question car il faut tout de même aller chercher à plusieurs reprises pour commencer à comprendre des titres comme “Warped”, “So Many Days” ou l’introductif “Lucid”.
Avec ce Youth of Dissent 1000mods sort d’un carcan dans lequel on aurait aimé le voir s’enfermer. Il ne s’agit pas de l’album le plus réussi des grecs car il n’est pas aussi immédiat que les précédents, mais il faut lui reconnaître un certain nombre de tentatives qui selon l’humeur de l’auditeur ou son opiniâtreté à se repasser l’album passeront pour moyennes ou rafraîchissantes à défaut de décevantes.