Big Scenic Nowhere – Vision Beyond Horizon

On avait quitté Big Scenic Nowhere à l’été dernier alors que le “groupe” (difficile d’appeler cela un groupe, plutôt une réunion de grosses têtes du stoner pour un projet unique) venait de faire paraître, sous l’étiquette « Postwax » qui nous aura bien occupé l’an dernier, un EP 2 titres franchement bon. Evidemment, ce genre de projet engendre rarement une suite et on s’était fait une raison : Dying on the mountain n’était pas voué à la descendance… Mais c’était sans compter sur les petits comiques Bob Balch (Fu Manchu) et Gary Arce (Yawning Man) qui se sont dits que, finalement, combler les attentes du public n’était pas une si mauvaise idée que çà… Merci à eux pour l’attention !

Du coup, on demande aux copains Tony Reed (Mos Generator), Alain Johannes (Queens Of The Stone Age), Mario Lalli (Fatso Jetson, Yawning Man) et Per Wiberg (Spiritual Beggars, Kamchatka) s’ils veulent rempiler… Difficile de résister quand deux légendes du stoner de cette envergure vous demandent un truc, surtout quand c’est pour participer à un projet dans ce genre donc tout le monde répond présent. Du coup, inutile de vous dire qu’on a affaire ici à l’un des plus beaux castings de ces dernières années pour un album stoner. Le gratin du gratin. La crème de la crème. The best of show. Et forcément, c’est avec la bave aux lèvres qu’on pose délicatement mais fébrilement Vision beyond horizon sur la platine, sûr de découvrir le Graal du desert rock, la pierre de Rosette du stoner… Surtout que l’EP paru il y a quelques mois est encore sur toutes les lèvres et dans toutes les mémoires…

Les hostilités débutent avec « The glim », sublime complainte désertique magnifiée par la voix d’Alain Johannes. D’entrée, on est en apesanteur mais vous allez vite redescendre avec « The paranoid ». A peine cent secondes de pure giclée d’adrénaline qui vous pètent à la tronche telle une canette de soda trop secouée. Un peu vain mais bon… Le fuzz reprend ses droits avec « Then I was gone », enchaîné avec l’aérien « Mirror image » et ses vocaux durs et menaçants. Et c’est là qu’on mesure la qualité de cet opus, qui passe d’un bon gros punk des familles à des sonorités floydiennes avant de prendre un virage à 180 degrés pour nous perdre dans le désert. La preuve avec « Hidden wall » (peut-être le meilleur titre de l’album) et sa coolitude toute californienne. La tête dans les étoiles et les oreilles dans la lune…

« Shadows from the altar » et sa monolithique gratte n’a pas franchement vocation à révolutionner le genre mais sert plutôt d’écrin aux voix de Lisa Alley et Iam Graham des formidables The Well. Pas le temps de dire fuzz qu’on retourne au beau milieu des cactus avec « En las sombras », la « seconde partie » en quelque sorte de « Hidden wall » avec, encore et toujours, cette ambiance feutrée, propice au coït dans le sable. Et ce n’est rien à côté de « Tragic motion lines » qui déboule juste derrière. Là, c’est sûr, vous allez avoir le chibre en branle ! Ne reste plus qu’à déguster « The war years » qui clôt cet opus, petite bulle de douceur avant de retrouver cet affreux monde rempli de gens qui toussent et qui râlent.

Merci, une fois de plus, à Big Scenic Nowhere d’avoir osé aller plus loin que le simple « one-shot project » de Dying on the mountain avec ce splendide Vision beyond horizon, magnifique hommage au stoner sous toutes ses formes. Certes, il faudra sans doute à vos oreilles plusieurs écoutes pour bien appréhender l’objet (en tout cas, il m’en a fallu près d’une dizaine pour vraiment apprécier cet album) mais, croyez-moi, cela en vaut la peine. Bon, allez, on ose demander une suite à Vision beyond horizon ? Comme dirait Manu : chiche !

Colour Haze – We Are

 

– Madame Dumont! Qu’est-ce que c’est que cette odeur de patchouli dans les couloirs ? C’est un hospice ici, pas une parfumerie !

– Pardon Monsieur le directeur, c’est les pensionnaires de la chambre Colour Haze qui ont encore fumé du hachich dans les toilettes . Ils pensent qu’on ne sentira rien avec le patchouli.

– Bon, je suppose que vu leurs états de service et compte tenu de leur dernier album, We Are, nous allons passer pour cette fois.

Commenter un album de Colour Haze n’est pas si aisé. Il y a l’âge et le respect qui lui est dû. Vingt-quatre années de carrière et quatorze albums ça force le respect. Les quatre compères (Oui, rappelez-vous Jan Faszbender officie pour le groupe depuis 2018) sont plus kraut que jamais (Notamment sur les titres, “I’m With You” et “Be With Me”) , le style dans lequel nos seniors s’inscrivent délaisse l’agressivité saturée qui avait pu faire le rehaut de certaines plaques sans pour autant oublier de nous gratifier d’un peu de graisse à ouïr sur le titre “We Are”.

Avec Colour Haze  l’acte de création n’est pas industriel, il est plutôt à voir sous l’angle de l’artisanat. Un savoir-faire indéniable, une pièce d’atelier où chacun apporte son bout de connaissance en cohésion totale avec un plan établi .  Il ne s’agit pour autant pas de voir dans We Are une pièce d’école non plus. L’artisanat dont je parle est commandé par le plaisir du savoir faire plus que par l’académisme ou la recherche de l’ancrage dans un style bien défini.

We Are est un mélange savant où les gars arrivent à s’égarer dans un jeu qui pourrait les faire croire sourds les uns aux autres, il en laissent l’impression sur la première partie de “The Real”. Puis, toujours, la machine se met en ordre, à grand renfort de clavier et de basse les pièces s’emboîtent à pour donner naissance à de l’organique, un assemblage sans bavure. Cependant, s’il n’y a pas d’école il y a tout de même sur cet album une marque de fabrique qu’illustre parfaitement”Life”. Cette dernière tient en ceci : Du calme et de l’universel porté par des blasts qui font éclore la force vitale des compositions dans un transport que l’on souhaite toujours collectif. “We Are”, oui en effet cette plaque soutient l’identité de Colour Haze.

Jeunes loups, prenez garde de ne pas mettre vos pairs trop vite dans des mouroirs dès que leur age est devenu improbable ou que leur voix s’éraille (Comme c’est le cas pour Stefan sur cet album), ils sont toujours verts en dedans et du haut de leurs expériences (Psychotropiques?) ils ont encore de quoi vous en faire voir de toutes les couleurs. Les brumes de Colour Haze sont le fruit d’un savoir qu’il serait malheureux d’oublier et qui mérite d’être porté aux oreilles de tous. We Are en est l’exemple même.

 

Major Kong – Off The Scale

 

La Pologne chercherait-elle le devant de la scène ? Après la récente parution du dernier album de Spaceslug, c’est au tour de Major Kong de sortir du bois avec son nouveau plain format Off The Scale. Pour ceux qui n’ont pas encore découvert la gifle venue de l’Est, Major Kong est un trio de Lublin qui joue sur la corde basse de la fuzz depuis 2010 et délivre un son lourd et entêtant avec quatre LP velus, autant d’EP et un Split.

On retrouve le groupe là où on l’avait laissé en 2017 lors de la sortie de Brace For Impact. (j’exclus volontairement le 4 Way Split avec Dopelord, Weedpecker et Spaceslug) D’entrée la filiation avec ce qui avait déjà était fait est telle que je me demande quelle est la part de foutage de gueule dans cette ouverture . Elle débute comme un resucée du précédent album, mais évolue finalement vers quelque chose d’intrigant au clavier avant de se couper brutalement.  A la réflexion le titre aurait dû me prévenir “Robots Building Robots Building Robots”.

Le jeu basse/batterie sous forme de samba metal sur “Fading Memory of Planet Earth” construit une piste pleine de finesse où la guitare passe comme bien souvent au second plan et joue la taquinerie alors qu’un discret clavier apporte une texture supplémentaire au titre. Je me suis arrêté également sur “Bionic Revolution” et sa basse fuzz extrême qui sonne avec originalité. Des phrases courtes et saccadées qui portent l’auditeur. Du rythme du rythme et encore du rythme voilà la clé de Major Kong alors que monte un thème aussi envoûtant qu’un de ceux d’Iron Maiden mélangé à celui d’un jeu vidéo des années 80.  La révolution c est reprendre quelque part dans le passé pour réinventer le futur. Pari réussi pour le trio qui compose là un titre nanti de deux pistes pour une gratte dédoublée et un jeu de synthé décidément bien présent sur cette plaque.

Je parle du rythme et Major Kong c’est ça, une décharge électrique dans le cul toutes les demi secondes pour décoller sans t’en apercevoir sur le bien nommé “The Takeover” et planer avec des boosters dans le dos sur toute la longueur de “Night Out In Absorbia” où basse et synthé font des merveilles tant sur les tympans que sur le cortex.

En revanche l’incapacité du groupe à achever un morceau proprement est très frustrante. “One Step From The Void” se termine sur une note qui aurait pu en annoncer d’autres et on a beau avoir touché le vide de l’espace avec la fin de cette dernière piste je suis resté sur ma faim rempli d’une colère rentrée de môme à qui on retire son hochet.

L’album est bigrement bien foutu, léché et équilibré dans son ensemble, facile d’accès mais riche. Le titre absolu selon moi restera “Bionic  Révolution”. Peu d’écueils donc à déplorer sur cette plaque si ce n’est un manque total de délicatesse dans la conclusion de certains titres. Si la dernière tournée européenne du groupe avait permis de jeter un peu de lumière sur le trio, cet album ne devrait pas passer inaperçu et faire de Major Kong (Si ce n’est déjà le cas) une des coqueluches du stoner/doom polonais.

 

Lowrider – Refractions

Dire qu’on l’aura attendu ce nouvel opus est un euphémisme. Rendez-vous compte, vingt putain de longues années pour que le quatuor ponde son successeur. Mais avant d’en parler, il convient de bafouiller quelques mots sur l’histoire des suédois afin de contextualiser l’événement que représente cette nouvelle sortie.

L’histoire de Lowrider donc est un chapitre cocasse, fou, passionné et passionnant du courant qui nous anime ; taxé d’ersatz nordique de Kyuss sans âme ni ambition à la sortie de Ode to Io, splitté mais pas vraiment 3 ans après celui-ci, oublié puis gagnant une place de choix dans le cœur des nouveaux auditeurs du genre, revenant sporadiquement lors de one shot live (dont un Hellfest dantesque en 2014), le groupe n’avait de cesse depuis d’annoncer un nouvel album et puis non, et puis si, provoquant aussi bien frustration que colère, dédain qu’envie dévorante chez leurs fans de plus en plus nombreux. L’attente fut telle qu’on ne savait plus sur quel pied danser. Légende du genre ou véritable quadra capitalisant sur leur unique succès ? J’avoue moi-même avoir douté des gonzes malgré leur talent et toute la sympathie qu’ils dégagent sur et en dehors de la scène.

Et puis, par le truchement de Blues Funeral Recordings et de ses Postwax Series (sortie exclusive à qualité variable de groupes à qualité certaine dont Elder et Domkraft) nous voici enfin avec le successeur de Ode to Io.

Vingt ans après donc,

« Refractions ».

Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’attente en valait la peine. N’espérez pas de révolution, de changement stylistique improbable ou claudicant, non, Lowrider fait ce qu’il sait faire de mieux. Du Lowrider. Et du bon, bon sang de fuzz ! La maîtrise de cet effet est leur signature, leur identité. Peu de groupe peuvent se targuer de gérer aussi bien cette saturation si particulière. Les six titres que composent le nouvel effort sont autant de pépites qui ne déçoivent jamais. Les riffs, les patterns de batteries, ces quelques ajouts de clavier parfaitement amenés, cette basse ronde et déliée, on écoute un très bon album de desert-rock. Refractions passe l’exercice de l’écoute multiple avec brio et l’on est surpris à chaque fois par de nouvelles trouvailles de production.

Oh bien sûr, il y a par ci par là quelques lourdeurs, quelques idées un peu trop mise en avant et qui pourraient déprécier l’album. On arrive toutefois à en faire abstraction, on est même étonné par la capacité des quatre musiciens à composer de longs morceaux, « Pipe Rider » et « Sernanders Krog » dépassant les 8 minutes sans souffrir de longueurs ni de perte d’intensité. Le tout grâce à une production maîtrisée faisant la part belle aux grosses guitares pleines de fuzz et de wah-wah, au chant « Greenleaf spirit » de Peder nous racontant de véritables histoires, à cette capacité qu’a Lowrider à écrire de vraies et bonnes chansons tout simplement.

Au moment de conclure, on relance Refractions, sans réfléchir  On ne demandera jamais à Lowrider de faire autre chose que du Lowrider, et ils le font à merveille sur ce nouvel album. Il s’agit là simplement d’un des meilleurs albums de desert-rock paru ces dernières années. Frais, inventif, couillu, gourmand, avec du corps et de l’esprit, finalement l’attente en valait la peine. Confidence pour confidence, le prochain devrait arriver bien plus tôt, les sessions d’enregistrement étant en cours. Mais allez savoir, avec Lowrider on ne sait jamais. C’est ce qui fait de ce groupe un cas à part et passionnant.

Acid Mammoth – Under Acid Hoof

Il paraît que le mammouth, cet énorme pachyderme au pelage laineux, est éteint depuis près de 15000 ans ! Euh, dites, mesdames et messieurs les scientifiques, vous en êtes bien certains ? Je pose juste la question… Parce qu’avec tous ces groupes ravivant la bête soit-disant disparue (au hasard : Mammoth Storm, Mammoth Weed Wizard Bastard, Mammothwing, Mammoth Mammoth… liste non-exhaustive), on se demande vraiment si ce mastodonte n’est pas toujours de ce monde !

Parlons donc d’Acid Mammoth, fondé en 2015 par Chris Babalis Jr. et Dimosthenis Varikos, 2 potes fondus de rock et de gros son. Ils enrôlent avec eux leur copain Mario Louvaris mais aussi Chris Babalis Sr qui n’est autre que le géniteur de Chris (vous avouerez que ce n’est pas commun !). Un premier album éponyme (que je vous conseille vivement) est sorti en 2017 et voilà que déboule la suite, intitulée Under acid hoof, parue en début d’année chez Heavy psych sounds records.

Concernant Acid Mammoth, il y a un petit truc que j’ai oublié de mentionner : ils sont grecs… je vois d’ici vos yeux s’illuminer, votre crinière frétiller d’impatience et votre barbichette se ruer sur la première pinte… Dire que la scène stoner grecque est fantastique est un doux euphémisme tant la qualité est constante et chaque nouveau groupe qui en sort est bien souvent prétexte à un vidage de compte en banque en règle pour se délecter de jolies galettes colorées. Bon, assez parlé chiffons, il est comment, cet Acid Mammoth deuxième du nom ?

Si vous avez adoré le premier, vous allez surkiffé le second, c’est indéniable…  Enregistré aux Descent studios et mixé par Dionysis Dimitrakos (tout comme le premier opus) et bénéficiant d’un sublime artwork du renommé Bianca Studio, Under acid hoof est la suite logique du premier éponyme d’Acid Mammoth. 5 titres, 35 minutes, c’est brut, concis, efficace. Introduit par un riff menaçant que n’aurait pas renié Tommy Iommi himself, “Them” ouvre l’opus par un bon gros parpaing doom qui tombe sur votre tête. Rythmique barbare puissante, guitare fuzzée qui grogne, basse ronflante, tout y est ! Et cette voix « ozzyesque » qui surmonte le tout… pour paraphraser une célèbre chaîne de malbouffe volatile, c’est bon à s’en lécher les doigts ! “Tree of woe” enchaîne, toujours avec un riff de 3 accords (forcément, dans le doom, plus de 3 accords, c’est du Joe Satriani !) et cette voix qui navigue entre Ozzy et Thomas Jager (Monolord). Toujours aussi brutal, toujours aussi menaçant, bref toujours aussi bon ! “Tusks of doom” est construit sur le même moule, tout comme “Jack the riffer” (quel titre !) et son riff qui vous étrangle l’estomac et vous retourne les tripes. Y a pas à dire, le doom, c’est la vie ! A noter la paire de guitares père-fils, parfaitement complémentaire. Cinquième et dernier titre, “Under acid hoof” parachève le travail de façon magistrale.

Son à déniaiser une nonne, production grandiose mais pas grandiloquente, Under acid hoof est un concentré d’excellent doom bien grassouillet comme on l’aime. Acid Mammoth fera sans aucun doute partie des groupes à suivre sur scène cette année (s’ils daignent fouler nos contrées) et Under acid hoof fera, à coup sûr, partie de mes albums préférés de cette année 2020 qui commence déjà très fort.

Ryte – Ryte

 

Sortir son premier album chez Heavy Psych Sounds n’est peut-être pas un exploit mais ça fait partie de ces petites choses de la vie qui te font un peu te gorger d’orgueil. En tout cas il n’est pas impossible que cela ait été le cas pour les petits nouveaux de Ryte. Alors chassons tout de suite la confusion possible, il ne s’agit pas de Ryte le trio du nord de la France mais de Ryte le quartet Viennois qui t’envoie valser d’une mornifle et s’affaire depuis quelques années autour de son album éponyme enfin finalisé.

Ce premier album se présente sous la forme de quatre titres épais où d’aucun trouvera son compte sans l’ombre d’un doute. Le fait est que l’on passe par toutes les strates du genre rien qu’avec le titre d’intro, “Raging Mammoth” qui laisse glisser des pralines stoner et doom ainsi qu’un assaisonnement space rock sur la même piste.

“Shaking pyramid” assume son titre, avec dès la quatrième minute une basse et une batterie qui swinguent, montent en puissance derrière une cascade de notes cristallines des grattes dans l’esprit d’un Santana. Cela ne dure qu’une minute, mais croyez-moi cela fait tout le sel du titre, même si la dérive vers des relent de Sleep n’est pas pour déplaire une poignée de minutes plus loin. Le fait est notable car il libère au passage les voix dont l’absence jusqu’à ce stade aurait fait croire à un album totalement instrumental. Pour autant la chose reste anecdotique et fini par s’éteindre pour laisser le groupe reprendre en vigueur et de la fin de ce même titre nous amener vers une suite plus vive et entraînante

Même si Ryte flirte avec le prog sur “Monolith” ce sont toujours les mêmes pérégrinations entre stoner et doom qui ressortent. Le titre une fois de plus confirme la densité des morceaux et l’envie de partir dans tous les sens. Le pari est risqué et explique sans doute la durée des pistes; deux de huit, une de Douze et une de dix. Le groupe utilise pleinement le format long  pour les truffer ses compositions d’idées et de genres. La cuisine est toujours inventive et on se laisse tantôt bercer tantôt emporter avec force. Il faut dire que Arik le guitariste chanteur et Shardik le batteur ont déjà de la bouteille et bossent ensemble depuis belle lurette, pas étonnant que la maturité de l’album puisse être garantie sur facture.

Alors que ‘l’album tire à sa fin et qu'”Invaders” se pare des atours des classiques du doom, il faudra être attentif et entendre la modernité qui est assez présente et permet de ne pas sortir frustré de la galette. Le retour du chant cependant m’a fait prendre conscience qu’une couche supplémentaire n’aurait pas été de trop. La voix de Arik est suffisamment intrigante pour qu’on puisse regretter qu’elle ne soit pas plus exploitée, voire pas exploitée du tout.

Heavy Psych Sound se trompe rarement, les Italiens peuvent s’enorgueillir de capter bon nombre de talents au sein desquels Ryte. Un format juste court comme il faut pour porter une boite pleine d’idées sans frôler l’indigestion, Ryte est de ces albums qui s’inscrivent dans le cercle des productions qualitatives et suffisamment denses que pour apporter un plein de fraîcheur nécessaire dans un monde où l’on tourne souvent autour des mêmes choses. Ici l’arbre est joli et on ne va pas aller chercher la forêt qu’il cache.

 

Spaceslug – Reign of the Orion

Non désireux de trahir leur étonnante régularité, les trois Polonais de Spaceslug ont profité de la période qui précède Noël pour inspirer les indécis de dernière minute. Ils nous proposent donc pour mettre sous le sapin rien moins que leur quatrième album, Reign of the Orion. Opus qui, à la différence des jolis Time Travel Dilemma et Lemanis, vient agrémenter cette collection grandissante d’artwork mornes et finalement assez fades qu’ils nous servent depuis 2017. Après quelques sorties chez Oak Island Record et une distribution parfois assurée par Kozmic Artifactz, c’est finalement au label polonais BSFD records que revient la seule charge de s’occuper du petit dernier. Ce qui a notamment pour conséquence un manque de communication duquel découlera une sortie assez discrète. Bien évidemment l’habit ne fait pas le moine, et on s’empresse de déballer le paquet pour voir ce que ces cinq pistes ont à nous offrir.

Côté son, on baigne dans un space rock très atmosphérique dont les sonorités de guitare font désormais l’empreinte du groupe. Cette espèce de note planante chargée d’une fuzz lourde, tel un appel à se rassembler, présent sur « Down to the sun » comme sur presque chaque ouverture d’album. Là encore Spaceslug ne déçoit pas ses fans et enfonce un clou déjà bien emmanché. L’album se voit par ailleurs affublé d’une meilleure qualité de prod que les précédents, souffrant parfois d’un son peu clair. En revanche, à la différence des précédents opus, ces cinq pistes se révèlent moins énervées qu’à l’habitude. Certains pourraient déplorer dans Reign of the Orion la petite explosivité bien sale qui venait si justement assaisonner les préparations passées.

Prenons l’exemple de « Trees Of Gold ». Un morceau d’à peine quatre minutes se démarquant du reste par sa nature douce et aérienne, presque angélique. Batterie au repos, guitare et clavier tout en mélodies éthérées, chant diaphane ; un ensemble évoquant étrangement du Tame Impala et qui trouve pourtant naturellement sa place dans le registre du groupe, tout en apportant paradoxalement une certaine fraîcheur.

Une preuve supplémentaire que le groupe de Kamil, Jan et Bartosz cherche à explorer de nouveaux territoires, tout en conservant l’essence faisant de lui un mésestimé et pourtant incontournable de la décennie.

Wheel of Smoke – Sonic Cure

 

Quintette qui n’est pas formé de lapins de six semaines, Wheel of Smoke réalise avec Sonic Cure sa cinquième production, celle-ci est signée chez Polder Records. On pourrait s’attendre à une galette de pur Stoner fonçant tête baissée avec un nom de groupe comme Wheel of Smoke, surtout que ce dernier vient de Louvain, capitale belge de la bière et ville estudiantine de renom. Il n’en est rien, Sonic Cure nous fait voyager vers d’autres contrées cosmiques et bien plus sensuelles.

Avec une introduction orientalisante et dans l’air du temps chez les aficionados du psychédélisme. Sonic Cure ne se dévoile pas immédiatement. Il m’a fallu attendre “Beamed” et son prog désuet pour confirmer que le quintette joue sur des bases rétro assumées. Mais avec une guitare qui apporte de la profondeur à la compo et un tempo de plus en plus lancinant, le tout devient vite jouissif et conclu sur un fond électro acoustique donnant à rebondir sur l’intro du morceau suivant cette piste. “On a Wave” à la façon d’un Naxatras ( Je t’invite à mettre ce titre en abime avec “White Morning”) démarre mid tempo puis se faisant de plus en plus vif, en vient à gratter de façon sympathique du côté  des six cordes.

Décidément Wheel of Smoke ne fait rien comme ses prédécesseurs, ils ont le talent d’avoir digéré le savoir des anciens pour offrir quelque chose d’autre. L’intro de “Electric I” m’en est témoin avec sa beauté simple et à peu de frais où semble flotter l’esprit du Pink Floyd. L’originalité faite de classique est aussi dans “Brainshaker” qui s’introduit aux portes du funky puis glisse fièrement vers le prog avec des claviers “belle époque”

Sur chaque piste la qualité de l’enregistrement est notable avec un son chaleureux et profond. Définitivement Sonic Cure oppose le “déjà entendu au-delà du raisonnable” et la recomposition des genres. La piste éponyme a beau jouer des sons réinterprétés à l’infini, le morceau ne pousse pas l’exercice jusqu’au poncif et évolue avec une dentelle musicale aussi fine que celle venue de Bruges.

Wheel Of Smoke est à l’image de son pays. Sous des dehors mornes et pâles mais intriguant il faut y revenir et y vivre un certain temps pour s’apercevoir qu’il s’y cache des trésors. J’ai dû pas mal user la galette avant de me mettre à l’ouvrage, les six pistes de Sonic Cure ne sont pas un remède de cheval mais plutôt un traitement de fond qui te feront du bien à l’âme. Un album à jouer sans excès mais avec régularité.

Esoteric – A Pyrrhic Existence

Achille, héros mythique de la guerre de Troie (Brad Pitt, jupette, trampoline) a un fils, Pyrrhus (qui a surement eu des petits enfants mais on ne sait pas si ces derniers l’appelaient Papyrrhus) qui a donné son nom à un art, la danse en armes, la Pyrrhique, consistant à simuler un combat entre Hoplites, fantassins lourdement armés (300, Zack Snyder, abdos dessinés à la peinture), joutant, chutant et se relevant, simulant la guerre. Cette introduction n’a pas vraiment de rapport avec l’album mais vous non plus vous ne saviez pas ce que veut dire « Pyrrhic » et je vous ai épargné quelques recherches internet. De rien.

Birmingham (Usines, gris, Peaky Blinder, gens moches, heavy metal) est le temple de la musique lourde. Je vous ferais bien une liste des groupes qui en viennent mais ça me prendrait 3 pages. Disons simplement qu’en plus de Sabbath, il s’agit de la ville natale de ni plus ni moins que Judas Priest, Plant, Doom, Robert Plant, John Bonham, Magnum, G.B.H., Phil Lynott, Babylon Zoo, Godflesh, Duran Duran, Benediction, Chicken Shack, Blaze Bayley, Quartz, Napalm Death, The Streets, Anal Nathrakh, Yes, UB40 et Bolt Thrower. Que des cadors (et Godflesh) en somme se sont extraits de la cité ouvrière pour faire régner la lourde musique partout à travers ce que le globe compte de pays pollués. Et depuis juillet 92 (un mois plutôt clément à Birmingham, il fait 7 degrès et il n’avait plu que 23 jours c mois-là) la ville a rajouté Esoteric au panthéon de ses rejetons les plus lents.

Esoteric s’efforce depuis 6 albums à jouer un death funéraire, aussi lent que possible, un magma sombre et désespéré, habilement nommé funeral doom. Ce genre de musique crépusculaire vient avec deux contraintes :

  • la longueur des albums, car développer son propos avec des rythmes aussi lents amène forcement à tirer sur la corde du double albums, corde qu’Esoteric s’est enroulé autour du cou depuis bien longtemps, proposant son heure et demi syndicale depuis The Maniac Vale en 2008.
  • Le temps de productions entre deux albums, qui chez Esoteric est de 5 ans. On ne parle pas tant de gestation que de digestion à ce niveau là.

Le groupe (Greg Chandler surtout, soyons honnête, tant l’homme qui porte un micro casque sur scène est la vraie tête de l’ésotérisme) semble avoir mis dans A Pyrrhic Existence, tout le désespoir que Birmingham contient (j’y suis allé, y en a à tous les coins de rue, tu marches dedans, ça colle aux bottes c’est l’enfer) et ce qui, au premier abord, ressemble à une impénétrable forteresse de tristesse (faut se fader 1h30 de dépression, y a de quoi flinguer un date, faites attention), finit, au fil des écoutes, par révéler quelques dédales, quelques passages rendant accessible la cité aux voyageurs attentifs. L’album est divisible en deux phases, deux fois 50 minutes, deux pièces d’une même face (ou le contraire) que « Consuming Lies » vient délimiter. Et par touches, la beauté se révèle à celui qui prend le temps d’écouter. Le solo au feeling triste à la fin de « Descent »,  le riff sur-heavy au bout de 5 minutes 20 de « Consuming Lies” ou l’étouffante fin de « Culmination » suivant l’un des riffs les plus rapides du groupe (qui serait, pour comparaison, l’un des plus lents de Slayer, s’il était d’eux). Un disque aussi lourd que beau sur lequel plane autant Pink Floyd que Satan (le démon pas le groupe). Et je vais m’arrêter là avant que la lecture de cette chronique soit aussi longue que l’écoute de cet album, assurément l’un des plus magistraux de l’année.

 

Point vinyle :

Season of Mist nous a gratifié de quelques pressages, triples vinyles de superbes factures : black (500 ex), black/red marbled (200 ex) et turquoise (400 ex). Tout est sold out, seul discogs ou un magasin bien intentionné pourra vous dépanner. Mais sur le site du label vous pouvez commander le pin’s. C’est cool aussi.

Domkraft – Slow Fidelity

La série de sorties Postwax se termine en beauté pour cette année 2019 (la suite est attendue pour 2020) avec cet opus proposé par les suédois de Domkraft. On rappelle le concept pour ceux qui ont vécu dans une caverne ces derniers mois : le label Blues funeral a lancé un concept baptisé Postwax en début d’année. En gros, vous filez une participation et le label vous envoie chez vous de belles galettes de groupes choisis (ou volontaires) pour enregistrer du matériel inédit. Vous recevez 7 albums ou EP de 7 groupes différents, parmi lesquels Elder ou Besvarjelsen, des one-shot projects comme Big Scenic Nowhere (avec un casting de fou furieux) mais aussi Lowrider ou encore Spotlights (prévus et hautement attendus pour 2020). Il y a quelques jours est parue la galette de Domkraft avec, oh surprise, la participation d’une légende en la personne de Mark Lanegan himself !

Pour l’instant, difficile de faire la fine bouche en évoquant le projet Postwax tant la qualité est au rendez-vous : Elder s’est surpassé, Besvarjelsen a assuré, Big Scenic Nowhere fut un grand moment alors, chers amis de Domkraft, il faut continuer sur la lancée ! On le sait depuis leur premier méfait qui date de 2015 : Domkraft ne fait pas dans la dentelle. Son sludge massif, rugueux, marécageux et boueux, sa basse lourde comme une chape de plomb qui tombe sur votre pied, sa batterie martelée sans ménagement, sa voix plaintive sortie des enfers : Domkraft, c’est du solide… Une musique à réserver aux oreilles habituées au genre car elle ne se laisse pas facilement apprivoiser, et on s’en rend compte dès les premières minutes de « Through The Ashes » : heureusement que nos dents sont solidement arrimées à notre mâchoire ! Après neuf minutes cataclysmiques et éprouvantes (qui, paradoxalement, semblent pourtant n’en durer que deux), « Mud Collider » enchaîne avec, toujours, ce tempo hypnotique (même si je trouve la batterie trop en retrait par rapport au duo basse-guitare). C’est là qu’intervient la voix lancinante de Mark Lanegan et l’on se rend compte que, finalement, son timbre n’apporte pas grand-chose à la musique de Domkraft… Un peu décontenancé sans doute par une voix qui ne colle pas franchement au sludge (bah oui, quoi, d’habitude çà beugle et çà éructe !), on retrouve heureusement les hurlements d’outre-tombe de Martin Wegeland au milieu de tout çà… Arrive le dernier des trois titres de cet EP, intitulé « Where We Part Ways », magnifique complainte de près de quinze minutes bénéficiant de la sublime voix de la non moins sublime Lea Amling Alazam (membre des formidables Besvarjelsen) et de Marty des Slomatics. A noter que ce dernier titre est proposé également en version instrumentale mais uniquement sur la version CD.

Cette cuvée Postwax 2019 s’achève en beauté avec ce superbe EP à conseiller sous le sapin de tous ceux qui aiment Domkraft, le rock, la musique et la vie en général. Bref, procurez-vous d’urgence (s’il en est encore temps) ce petit bijou qui égaiera sans aucun doute vos repas de fêtes et qui, j’en suis sûr, ravira les oreilles de votre belle-mère au moment de passer à la bûche…

 

Grotto – Lantern of Gius

En recrutant Grotto dans les rangs, on a eu le nez creux chez Stickman Records. Inutile de dire qu’après le succès écrasant d’Elder ces dernières années, promouvoir des groupes aux sonorités similaires a de quoi faire saliver. Après s’être penchée sur l’EP puis les deux albums du trio sortis successivement en 2016 et 2017, la maison allemande a dû convenir qu’il était temps de placer les jetons sur le dernier album de Grotto en vue de rafler la mise.

On nous propose donc cet automne un album à l’artwork rien moins que psychédélique composé de seulement deux pistes ; « Lantern of Gius », éponyme de l’album et « The 12Th Vigil ». Attention toutefois à ceux qui s’inquièteraient d’un si modeste inventaire, chacun des morceaux s’étire sur exactement 17 minutes. De quoi voir du pays.

Niveau son, l’influence d’Elder est ici d’une évidence frappante. Des riffs atmosphériques percutants systématiquement renforcés par la grosse caisse, un groove dense et profond, le tout habillé de phrasés de guitare hauts en couleur et mélodieux. Une musique 100 % instrumentale empruntant finalement plus au rock progressif et au post-rock qu’au stoner. Hélas, après plusieurs écoutes de Lantern of Gius et en dépit de ses indéniables qualités d’écritures, on perçoit une certaine redondance, un manque de relief. Les pistes ont beau durer et enchainer les séquences, tout a tendance à se ressembler et donne parfois la sensation de tourner en rond.

Néanmoins, le potentiel reste bien palpable. Nous sommes dans ces morceaux n’existant que pour transporter dans un univers bien distinct. Une épopée, un voyage qui se fait assis sur son canapé, les yeux fermés et l’esprit ouvert. Nul doute qu’une fois isolée l’essence de ce qui fait leur musique et affranchie des influences parfois ombrageuses qui les surplombent, le trio belge fera rêver.

Mama’s Gun – Mama’s Gun

Un certain John Lennon a déclaré un jour : « le rock français, c’est comme le vin anglais, çà n’existe pas ». Bon, il faut bien reconnaître qu’à son époque, la musique en France se cantonnait à Michel Sardou, Mike Brant, Michel Polnareff ou encore au trio de poètes Brel/Brassens/Ferré. Heureusement, depuis, force est de constater que tout cela s’est quand même amélioré avec des groupes comme Téléphone, Trust ou Noir Désir qui auront, en leur temps, permis de mettre un bon coup de pied au cul des bien-pensants qui ne juraient que par la variétoche juste bonne à passer chez Pascal Sevran et Jacques Martin. Et puis, avec l’avènement de notre cher stoner favori, de nombreuses formations émergent un peu partout dans l’Hexagone (je pense aux lillois de Glowsun, aux perpignanais de Deadly vipers, aux rémois de Dirty raven ou aux bordelais de Mars Red Sky pour ne citer que quelques exemples).

Parmi eux, on peut désormais ajouter les limougeaux de Mama’s gun, trio formé en 2016. Les 3 garçons se disent fans de Queens Of The Stone Age et de Led Zeppelin (la base, quoi…) mais aussi de Clutch ou encore Dewolff. Evidemment, avec des influences pareilles, difficile de se louper… et le premier titre « Shield and shelter » le confirme bien avec une rythmique très bluesy et la voix pleine de feeling de Théo Jude. Une belle entrée en matière, même si on aurait aimé que la grosse caisse de Théo (car oui, nous avons ici affaire à un chanteur/batteur !) soit bien moins en retrait, cela aurait sans doute donné encore plus de pêche au morceau. « Both sides of your mind » emboîte le pas avec, comme pour le titre d’ouverture, cette même rythmique enlevée, cette même voix douce et vindicative à la fois et, malheureusement, toujours ce manque de peps dans le mixage de la batterie.

Et puis, dès le troisième titre, « Dead legends », le doute m’habite (hum, coquin va…) : les deux premiers titres étaient construits sur le même moule, à savoir le sempiternel « intro/couplet/refrain/pont/solo de guitare », tout comme ce troisième titre. Alors, loin de moi l’idée de critiquer le groupe car je ne suis qu’un modeste chroniqueur (ce qui est assez différent du critique, vous en conviendrez) et je n’aime pas taper sur ce que, moi-même, je serai bien incapable de réaliser mais force est de constater que, malgré la qualité intrinsèque de chaque composition, il manque ce petit grain de folie, cette petite incartade loin des sentiers balisés, cette prise de risque qui les ferait se démarquer de la meute. Pourtant, les très enlevés « Itchcock » et « Greed », le puissant « Electrical redeemer » ou la petite douceur qu’est « Righteous hand » prouvent que Mama’s gun peut arriver à se transcender.

Alors, que dire de plus de ce premier LP des petits frenchies ? Que c’est une excellente entrée en matière, que cet album doit être mis entre les oreilles de tous ceux qui soutiennent la scène stoner française (et des autres, tant qu’à faire !) et qu’on ne souhaite que des bonnes choses à ces petits jeunes plein de talent et de bonne volonté. Manque sans doute un petit quelque chose pour s’extasier devant cet opus mais ils sont encore jeunes, laissons-leur le temps de peaufiner leur musique et nous revenir encore plus forts et meilleurs dans quelques mois. En tout cas, félicitations pour ce premier effort et recevez tous nos encouragements pour la suite !

Mos Generator – Spontaneous Combustions

Quel fascinant et étonnant objet musical que Mos Generator… Le groupe, emmené par son emblématique leader Tony Reed, a jusqu’ici produit une discographie aussi foisonnante qu’hors norme et… illisible : presque autant de labels que d’albums, des live, des démos, des captations studio, des reprises… Sa page Bandcamp, qui n’est même pas exhaustive, ressemble plus à un jeu de l’oie en ligne qu’à une discographie. Il faut dire que Reed est un musicien aussi productif que talentueux : le bonhomme n’est pas seulement un guitariste doué et inspiré, il est aussi un multi-instrumentiste redoutable (qui enregistre souvent ses disques seul en jouant tous les instruments), un producteur reconnu, un musicien de tournée (cf les dépannages en tant que bassiste vis-à-vis de ses potes australiens de Seedy Jeezus), etc…

Le trio américain, qu’on n’avait pas entendu sur disques depuis un peu plus d’un an, retrouve le chemin de nos platines à travers ce disque atypique : Spontaneous Combustions n’est pas un album en tant que tel, il est le fruit d’une session d’enregistrement jam. Le groupe a mis à profit la disponibilité d’un local pour quelques heures, a usé d’un matériel d’enregistrement rudimentaire, et s’est mis pour défi d’enregistrer quatre titres dans la journée… sans rien avoir composé (précisons en toute rigueur que l’un des quatre titres émane de trames musicales écrites quelques mois auparavant). Avant de crier au génie, rappelons que le groupe est coutumier de ces exercices (en tout cas pour produire ses démos) et que leur capacité d’improvisation est largement au-dessus de la moyenne de leurs contemporains (on se rappellera par exemple que lors de son passage au Hellfest 2014 le groupe est monté sur scène sans la moindre idée de quelles chansons ils allaient jouer). Quoi qu’il en soit, ça ne diminue pas l’ampleur de la performance. Maintenant, reste à vérifier qu’au-delà de l’exercice de style, Spontaneous Combustions est un disque intéressant en soi…

Quatre compos qui vont chacune taquiner les 10 minutes, c’est deux faces de vinyl correctement remplies. On retrouve sur ces quatre séquences la richesse musicale qui caractérise la carrière de Mos Generator, avec en particulier comme dénominateur commun, plus que d’habitude (et l’exercice s’y prête particulièrement), un penchant blues très affirmé. Qualitativement, logiquement, tout n’est pas du même niveau, mais l’exercice veut ça : les respirations, les accélérations, les breaks, les riffs… dans une jam, ça sort comme ça sort, et ça n’est pas toujours du génie pur du premier coup – sauf que là, pas possible de revoir le truc, il y a une seule prise, et pas d’overdubs. Mais les bons moments sont légion : le suave « Things to Unremember » et son riff sabbathien, le jam blues de « Age Zero » et ses plans à la Gary Moore, le très bon « Bonehenge (parts 1&2) » plein d’inventivité (bien heavy, lardé de fulgurances prog rock ici ou là)… On sera plus réservé sur certains points, comme les prises vocales/chœurs de « Who Goes There ? » (pas un détail, car c’est la base du morceau), quelques longueurs sur la première moitié de « Age Zero »… Encore une fois, pas de quoi jeter le bébé avec l’eau du bain, loin s’en faut.

Spontaneous Combustions n’est donc ni un album de Mos Generator au sens traditionnel du terme (aux compos structurées et affinées, au son polissé) mais n’est pas non plus ce que l’on pouvait craindre, à savoir « un album de musiciens » où l’onanisme luthier est roi. Il s’agit d’un disque atypique, imparfait par nature, chaleureux et intéressant, où le feeling de Reed et de sa petite troupe transpirent de bout en bout. Il est plus à rapprocher des productions de groupes comme Tia Carrera que de la discographie traditionnelle de Mos Generator.

Stoned Monkey – Stoned Monkey

« Stoned Monkey » : le sobriquet choisi par ce jeune (né en 2017) trio transalpin pour leur petit orchestre fait plus penser à une blague potache qu’à un méchant combo de sludge doom. Pourtant, c’est bien dans cet environnement propre et distingué qu’ils évoluent (ou plutôt se vautrent). Le groupe cite de plein gré la provenance de ses principales influences à trouver chez Weedeater, Sleep, Bongripper, Belzebong et Eyehategod. Pour tout vous dire, votre serviteur aurait pu jouer le quarté dans le désordre dès la première écoute et aurait remporté son poids en herbe qui fait rire (ce qui fait un sacré paquet) : Eyehategod pas trop (sauf par le je-m-en-foutisme qui transpire de chacun des 6 titres de la galette, et pour le systématisme des intro/outro en mode feedback), Bongripper un peu (le son de basse en général, monstrueux, et quelques détails à l’image de l’intro de « Green House » qui pendant quelques secondes rappelle le « Slow » du classieux quatuor de Chicago), Sleep aussi (pour le Doooooooom en général, et les bruits de pipes et autres toussements emblématiques des usagers de fumette psychotrope), Weedeater pour les plans sludge gras du bide, mais surtout, surtout Belzebong (et un peu Bongzilla à la croisée de ces deux derniers). Ils partagent avec ces derniers, en plus de cette assez présente (vous l’aurez compris) inspiration pour tout ce qui tourne autour du canabis, une même vision du doom grassouillet, riche en riffs à headbang, en mode 100% instrumental. On rajoutera aussi des groupes comme Church of Misery (« Stoned as Fuck »), etc…

Une fois qu’on a cerné le biotope du primate, reste à évaluer l’animal lui-même : en l’occurrence, Stoned Monkey propose quelque chose d’assez malin, en se positionnant sur un sillon où, effectivement, hormis les pas si vieux Belzebong, peu de groupes jeunes se font connaître. Est-ce que ça suffira à les voir s’imposer sur la scène musicale internationale ? Le potentiel commercial du genre étant ce qu’il est, peu probable de dépasser l’underground là-dessus (ce qui peut déjà être pas mal en soi). Ensuite, leur galette (leur première, rappelons-le) est perfectible : déjà, elle est bien trop courte : 6 titres, ça pourrait passer s’ils étaient denses et riches, mais là le tout fait 28 minutes, on est un peu léger pour un LP de stoned doom. Les titres sont bons toutefois, franchement, le riff est gras et souvent efficace, et la plupart des compos laissent vite oublier l’absence de chant (toutes n’étant pas du même niveau toutefois). La prod est aussi perfectible, à l’image de ce son de gratte très erratique, chaud et gras comme un glaviot parfois (l’intro de « U Bot » ou le break de « Stoned as Fuck », impeccable) mais bien trop léger d’autres fois (« Green House », des passages de « Pain of Mind ») : la gratte de tout groupe de stoned doom doit être fondue dans le bitume chaud, ses cordes distendues claquant contre le manche et jouée avec les doigts trempés dans le saindoux…

Mais ce sont des ajustements, et gageons que les jeunes italiens, s’ils se développent dans cette veine musicale et avec de si bonnes intentions, pourront être dans un avenir pas très lointain pourvoyeurs de plaisirs auditifs régressifs de premier ordre. La relève ? Peut-être bien…

 

Solace – The Brink

Il y a presque dix ans, Solace sortait A.D. et accouchait de l’album de l’année. Et puis… plus rien. La faute à un mauvais karma qui poursuit le groupe depuis ses débuts. Inactivité oblige, certains membres de Solace se sont envolés vers d’autres cieux : Rob Hultz a posé sa basse au sein de Trouble tandis que Jason est juste parti, ses hurlements primitifs sous le bras.

Les bras, Tommy Southard et Justin Daniels, les deux gratteux du groupe ne les ont pas baissés. Et c’est avec trois nouveaux comparses que les Jordan/Pippen du dirt metal ont su réactiver Solace. Alors que l’on n’osait plus y croire, le groupe est une nouvelle fois relancé et nous offre ici son quatrième album : The Brink.

Affichant 67 minutes pour 11 titres (dont un interlude de moins de deux minutes), la galette nous rassure sur un point avant même d’avoir été posée sur la platine : après dix ans de silence, le combo du New-Jersey a beaucoup de choses à dire et n’a pas renoncé à sa soif de morceaux épiques et complexes.

Épique, le titre d’ouverture intitulé « Breaker of the way » l’est assurément. Affichant plus de 8 minutes au compteur, ce morceau pose les bases de la cuvée 2019 de Solace. Car si Justin Goins possède une voix « chantée » au timbre proche de celui de son prédécesseur, les violents rugissements de Jason ont été troqués contre un hammond (?) qui surprend dès les premières secondes du morceau. Déjà audible sur le titre « Bird of Ill Omen », sorti il y a deux ans maintenant sur une cassette auto-produite, le clavier est en effet largement présent sur The Brink.

Couplé à l’approche NWOBHM des deux guitares, les cordes frappées donnent une profondeur supplémentaire à la musique de Solace, musique pourtant déjà riche. Aussi bien greffé sur du mid-tempo (« Desert Coffin ») que sur des titres plus ‘metal’ (« Waste People »), ce nouvel élément apporte un groove incontestable et alourdit le coup de massue que l’on se prend en pleine poire.

Fort de ce nouvel atout dans sa manche, le combo va donc dérouler pendant plus d’une heure dans la plus pure veine Solacienne. Les titres sont toujours sinueux et complexes, les riffs sont carrément monstrueux, les solis et les breaks incroyables, et les ambiances oscillent au gré des titres entre doom raffiné et heavy gras. Qu’il s’agisse de l’explosivité du final de « The light is a lie », de la majestuosité de l’éponyme « The Brink », la richesse intrinsèque de « Bird of Ill Omen » ou du raffinement de « Shallows Fade », chaque seconde de The Brink est une source inépuisable de plaisir auditif.

Quinze jours seulement avant la fin de l’année, les ‘ricains ont fait la nique à l’ensemble de la concurrence en pondant une nouvelle fois l’album de l’année. Fort d’une discographie demeurant sans fausse note, Solace est un groupe toujours aussi dangereux. Il ne vous reste qu’à commander ce nouvel album (en CD car l’édition vinyl est depuis longtemps sold-out) les yeux fermés pour l’écouter religieusement comme il se doit, avec une bière à la main. A votre santé m’sieu-dames ! Et surtout : Die drunk !

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