Ahab – The Boats of The Glen Carrig

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Avec un genre aussi codifié que celui du funeral doom, il n’est pas chose aisée d’éviter l’écueil de la répétition, de la standardisation, bref, de l’ennui. Les allemands d’Ahab, experts en navigation et équipés de leur meilleure boussole ont su habilement éviter cette regrettable trajectoire, grâce à un savoir faire original. Vouant une véritable fascination pour l’univers marin, à tel point que le groupe se définit comme pratiquant de « nautik doom », Ahab nous propose depuis ses débuts des concepts albums basés sur des récits de ce genre. Melville et son Moby Dick évidemment, Edgar Poe sur The Giant, et William Hope Hodgson pour ce nouveau The Boats Of The Glen Carrig, dont le titre est entièrement tiré d’un texte de l’auteur. Ce roman d’horreur fantastique nous relate les pérégrinations d’un groupe de naufragés devant faire face à diverses monstruosités océaniques et calvaires marins, du genre pieuvre géante tapie dans l’ombre qui ne se contentera pas d’un petit jet d’encre si on vient l’emmerder. C’est installé dans cette ambiance sympathique et fanfaronne que l’on se lance dans l’écoute du dernier Ahab.

Avec The Giant sorti en 2012, le groupe avait rompu avec son funeral doom d’origine en ajoutant de nombreux passages purement atmosphériques et en atténuant l’envergure massive des riffs, ce qui avait hérissé le poil des premiers fans doomsters. Pourtant, le groupe avait insufflé une vraie bouffée d’air frais à sa musique. L’inquiétante créature sous-marine vivant jusqu’ici dans les eaux profondes est alors devenue amphibienne, et s’est mise à remonter de temps en temps à la surface pour pouvoir aérer son doom pachydermique, le sauvant de la noyade dans les eaux de la lassitude. C’est donc un Ahab plus mélodique, moins monotone mais aussi moins lourd que l’on avait eu le plaisir de découvrir sur cet album, qui nous avait mis l’eau à la bouche – notez la parfaite adéquation de l’expression – pour la suite des événements.

Dès l’écoute du titre inaugural, « The Isle », on comprend rapidement que l’album se situe dans la pure continuité de son prédécesseur. Pas de retour aux origines avec un doom lourd et pesant, mais une volonté de poursuivre la voie entrouverte sur  The Giant. On retrouve donc la même formule gagnante, faite de succession d’ambiances planantes survolées par un chant clair, à un growling posé d’épais riffs balançant du steak (de thon). En somme, nous soufflera Lucas élève en classe de CM1, la parfaite métaphore du calme olympien des eaux et de la tempête. Le morceau suivant intitulé « The Thing That Made Search » nous fait languir plus de trois minutes sur le même schéma que précédemment, avant de décoller et de nous offrir un riff sincèrement jouissif porté par un chant guttural en pleine forme. Force est de constater qu’Ahab excelle dans ses moments de déchainement mais semble peiner un peu plus lorsqu’il s’agit de planter un décor onirique et rêveur. Ces passages atmosphériques construits autour de quelques arpèges farcis de reverb et de delay à en exploser, souffrent parfois d’une simplicité excessive et d’un son bien trop mielleux, à la limite du niais. C’est frustrant, d’autant plus que l’on sait que le groupe est capable de bien mieux, et qu’il pourrait nous offrir un bien plus beau voyage. Surtout avec la somptueuse voix claire de Daniel, si reposante. « Red Foam (The Great Storm) », comme son nom l’indique, est là pour nous secouer et c’est les bras grands ouverts que nous l’accueillons. Sur ce morceau le plus rapide et le plus court jamais composé par le groupe, on se laisse volontiers tabasser par les méchantes vagues aux lames acérées. Ahab tente ici une petite incursion doom sludge que l’on commençait déjà à fleurer sur The Giant, et c’est loin de déplaire.

Passant d’un extrême à l’autre avec joie, « The Weedmen » est le morceau le plus lent et long du groupe. On s’approche du Ahab des débuts, où le tempo sous Lexomyl, la résonance titanesque des guitares et une basse à faire trembler le plancher océanique esquissent une parfaite ambiance de fin du monde. Dans cette mer de désespoir, de petites accalmies viennent nous trouver de manière inattendue. Un lointain larsen, un accord étincelant, une batterie assagie qui retient ses coups… Ces petits passages sonnent juste et ne dénotent pas pour autant avec l’ensemble, contrairement aux moments durant lesquels le groupe s’essaie et se vautre dans un excès de sentimentalisme où le charme opère difficilement. Le dernier titre, « To Mourn Job », nous le prouve encore une fois. Le groupe devrait faire preuve de plus de retenue ou de finesse quand il s’agit de calmer le jeu, au risque de devenir grossier et d’abimer la cohérence à son œuvre. Ce morceau nous permet en tout cas d’apprécier la petite barbichette de Kerry King que l’on aperçoit discrètement pointer derrière le cabestan. Le groupe est définitivement doué pour chiner le bon riff.

Écouter un disque d’Ahab reste une expérience sensorielle particulière. L’approche de la composition par la littérature altère la musique, elle la charge d’émotions, d’images, de bruits, d’odeur. Ahab utilise les mots des livres pour assoir une ambiance très prenante et faire voyager le plus loin possible. C’est ce qui fait la force majeure de ce groupe et qui rend son écoute toujours  riche en émotion. The Boats Of Glen Carrig ne présente aucune prise de risque particulière par rapport à son ainée, et possède même quelques imperfections pouvant parfois lasser l’auditeur. Mais il n’échappe pas pour autant à la règle : quiconque mettra la main sur ce disque sera fatalement projeté au royaume de Poséidon. Et rendre visite aux Dieux, ça ne se refuse pas.

Kadavar – Berlin

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2 avis sur cet album :

L’histoire de Kadavar est celle d’une success story. Une fable comme la musique n’en donne plus depuis des lustres. Trois Allemands, l’un de l’Est, l’un de l’Ouest et un Autrichien (ne chipotons pas, parlez-en à Guy Roux) se retrouvent à Berlin, sans le sous. Ils s’habillent dans les friperies ce qui, conjugué à leurs cheveux longs et leur aspect élancé, leur donne un coté efféminé. Seules leurs immenses barbes empêchent le doute d’être permis. Puisqu’ils se sont rencontrés dans un bar, c’est également dans ce genre d’endroits que le trio se rôde et obtient un phénoménal following en 2012, alors qu’est à peine publié leur premier et éponyme album. Leur set en clôture du Desertfest de Berlin la même année, avec Toner Low et Abrahma,  leur donne leur premier rayonnement international.  Leur musique se place dans la continuité de ce que Witchcraft ou Graveyard avaient accompli, ressuscitant l’esprit 70’s, cru et sauvage. Usine à riffs et à refrains entêtants, les multiples labels et pressages ayant vu passer les droits du disque ne se plaignent pas des retombées commerciales. Il n’en faudra pas plus à Nuclear Blast pour récupérer la bête à trois têtes et publier Abra Kadavar au plus vite. Les tournées s’enchainent et le bassiste, Phillip Lippitz, dit Mammut jette l’éponge pour des raisons familiales et professionnelles. Il a tout simplement un… bar à gérer. Il est alors remplacé par un français, Simon Bouteloup, vu du coté d’Aqua Nebula Oscillator, groupe que Kadavar a côtoyé le temps d’un split. Le trio visite toutes les salles et festivals possibles et retourne en studio dans la foulée pour n’en ressortir qu’avec leur troisième album sous le bras.

Ce dernier se nomme donc Berlin. S’il est légitime de penser à cet instant à Lou Reed ou David Bowie, ayant eux aussi vu en la capitale Allemande et sa liberté (à l’Ouest) après guerre, l’endroit idoine pour laisser libre court à leur créativité, c’est plutôt un hommage appuyé à la ville qui les a soudés et propulsés sur le devant de la scène que le trio semble vouloir faire référence. Coté son, les teutons poursuivent leur quête du rock passéiste revenu dans l’air du temps. Leur premier album, porté par l’imparable « Black Sun » restera comme l’un des grands moments de ce revival dont l’exploitation forcenée, surtout par certains labels ayant fait des choix de productions lisses, aura vite tendance à lasser. La suite discographique de Kadavar souffre à mon sens de ce problème : ce genre de rock rétro ne souffre d’aucune faiblesse possible. Si les riffs ne sont pas inspirés, le disque est mauvais. Si les sonorités sont trop aventureuses, l’essence du genre est bafouée. Le droit à l’erreur n’existe pas et rares sont les combos ayant évité les écueils combiné de la redire ET de la « trahison » au cours de leur carrière. Berlin prend le parti de rejouer la carte du vieux rock efficace en apparence et en cela propose quelques belles réussites (« Last Living Dinosaur », « Into The Night » entre autres) mais se vautre lorsqu’il prend le parti de la surproduction (l’insupportable single « The Old Man ») ou pêche par un riff ou un refrain moins percutant (« Thousand Miles Away », « Lord Of The Sky », « Pale Blue Sky »…).  Pire, la relative longueur du disque en devient son véritable défaut. Berlin aurait franchement gagné à être présenté plus ramassé, sur 6 titres, comme l’était le premier disque du combo. Ce défaut, à mon sens, était également celui d’Abra Kadavar.

Difficile donc de parler de bon album lorsque ce dernier est porté par un single plus que décevant et laisse après écoute une impression de remplissage. Pour les quelques bons moments à sauver, que de pistes éculées !

Pour finir Kadavar propose en bonus track une reprise d’un obscur morceau de l’artiste Nico, connue outre Rhin pour ses accointances avec le Velvet Underground. C’est à mon sens ce qui m’a éloigné du trio depuis le premier album : cette sensation de recherche de la sophistication au détriment de l’instinctif, concept louable auquel je ne suis absolument pas sensible.

Iro22

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Je partage avec mon bien-aimé et respecté collègue ce constat d’un album hétérogène, qui a en outre mal été introduit par l’intermédiaire d’un single insipide (“The Old Man”). En revanche, la production de l’album, basique, brute, me paraît parfaitement adaptée, voire même relevant d’une prise de risque plaisante pour un groupe de cette envergure : le trio est enregistré “comme en live”, avec quasiment toujours le même son de guitare, quelques effets sur la voix à peine et… trois instruments seulement ! Or combien de trio auraient, portés par les meilleures intentions, ajouté une piste de guitare rythmique pour accompagner les incartades solo de leur guitariste lead et remplir le spectre sonore ? Rien de tel ici où les envolées guitaristiques de Lupus Lindemann (toujours aussi bien senties, précisons-le par la même occasion) trouvent une large bande passante dans le mix de l’album. De fait, l’énergie live du combo se retrouve ici une nouvelle fois retranscrite au mieux possible grâce à ce travail de prod.

Mais là où le groupe se démarque de la masse de groupes de la même tendance “vintage”, c’est par son talent de composition. C’est vrai, il y a des titres de remplissage, assez médiocres, inutiles ; on le regrettera. Mais à côté de ça, quels groupes sont aujourd’hui en mesure d’écrire des titres aussi efficaces que “Last Living Dinosaur” ou “Thousand Miles Away From Home”, des mid-tempo qui ne sont pas dans mes titres favoris, mais dont on est obligé de louer l’évidente qualité, et les subtiles touches de talent pur que l’on y trouve ici ou là au détour d’une ligne vocale, d’un break venu de nulle part ou d’une rythmique atypique (voir par exemple la ligne de basse complètement décalée qui introduit “Filthy Illusion”). Et que dire de “Stolen Dreams”, une perle de groove énergique qui pourrait presque à elle seule justifier l’achat de cette galette… Enfin, Kadavar conforte sa fanbase avec son lot de pépites directement enracinées dans la fin des 60’s : “Lord Of The Sky”, “Pale Blue Eyes” ou “See The World With Your Own Eyes” remplissent le cahier des charges avec brio.

Bref, on attendait un album énorme de Kadavar, qui est ces dernières années remonté très haut sur le podium des groupes live les plus intéressants dans ce genre musical. Berlin n’est pas le colosse attendu, malheureusement, mais c’est un très bon album, qui rassure sans être non plus exempt de (relatives) prises de risques. Le disque a par ailleurs le mérite de montrer que le trio berlinois n’est pas prêt de laisser sa place aux jeunes loups aux dents longues qui le regardent d’en bas.

Laurent

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 Point Vinyle :

C’est qu’il va être pressé celui là !

Il s’agit d’un double LP gatefold et Nuclear Blast en prévoit :

  • 300 en blanc exclusivement disponibles sur leur mailorder.
  • 300 en violet exclusivement disponibles sur leur mailorder.
  • 300 transparents pour les US.
  • 500 en bicolore rouge et blanc.
  • 200 en vert.
  • 300 en rouge.
  • 300 en bleu pour les US.
  • Une édition standard noire.

Orchid – Sign Of The Witch (EP)

Orchid

Fondé à San Francisco en 2006, le quatuor peut se targuer d’avoir rapidement franchi les frontières parfois étriquées de la scène stoner – ou plus précisément celles du revival des glorieuses seventies – pour acquérir une certaine notoriété (bien méritée). Cette notoriété fait qu’aujourd’hui certains qualifient des productions comme étant proches d’Orchid alors que – soyons un peu sérieux – ça ressemble à du Black Sabbath tout court. C’est à ce genre de petits détails que l’on différencie les trucs qui marchent auprès du grand public et ceux qui demeurent circonscrits à notre galaxie parfois si hermétique.

Bref, Orchid qui n’a sorti « que » deux réels longs formats depuis sa création peut s’appuyer sur une fanbase fort loyale qui met la main au porte-monnaie à chaque fois que la formation réédite une de ses productions sur une plaque de vinyle d’une nouvelle couleur et j’en sais quelque chose ! Je me permets tout de même de douter que ces artistes se tapent une vie de star grâce aux ventes de leurs prods… Pour en revenir à nos moutons noirs, les Ricains sortent cet été leur cinquième EP ; cela semble être leur stratégie et force est de constater que ça marche plutôt bien. Car outre les habituels inconditionnels de stoner, de plus en plus de vieux aficionados du hard rock des temps jadis se bousculent aux premiers rangs de leurs prestations si j’en crois les dernières performances du groupe auxquelles j’ai eu la chance d’assister. Ces récentes performances permirent par ailleurs à Orchid d’intégrer aux setlists la majorité des titres composant ce nouvel EP.

C’est donc sans réelle surprise que j’ai découvert les quatre plages au sommaire de « Sign Of The Witch ». Dans une version digitale peu prisée des mélomanes c’est certain puisque bien compressée, mais les addicts peuvent se tourner vers les nombreuses déclinaisons de cette pièce déjà disponibles en CD (je sais c’est pas très typé mélomane comme support), en dix pouces noir standard ou alors en – déjà – cinq couleurs de l’arc-en-ciel… La surprise – mauvaise – était sur ce coup à mettre au crédit de l’artwork typé 3D qui marque une claire régression lorsqu’on le compare à ses deux prédécesseurs que sont « Wizard Of War » et « Heretic » ; la réception des supports physiques achetés à vil prix par la suite m’a d’ailleurs confirmé cette impression qui m’avait vu quitter leurs stands de merch de la tournée bredouille (et sans regret). L’emballage ne faisant pas le produit, force est d’avouer que la continuité est présente en ce qui concerne le – bon – son.

« Helicopters », « John The Tiger », le titre éponyme ainsi que « Strange Winds » forment un tout très cohérent qui ne va pas déstabiliser les suiveurs de ces Américains du Nord : c’est du Orchid pur jus et c’est monstre bien. Des gros relents des années septante (comme on dit en Suisse) avec un renfort de tambourins balancés par le vocaliste Theo Mindell en live, des riffs aboutis soutenant les soli de Mark Thomas Baker l’unique guitariste de la formation (exercice plus difficile sur scène en ce qui concerne le titre « Sign Of The Witch » qui superpose les couches de six-cordes) ainsi que la batterie de Carter Kennedy qui envoie du gras aux côtés de la basse nickel de Keith Nickel sur les passages rapides de « Helicopters » – laquelle se rapproche de l’œuvre des défunts Hellacopters – ou se retire tout en douceur sur l’apaisé « Strange Winds ».

Au final, Orchid parvient une fois de plus à me combler sans me désorienter en livrant une plaque qui ne marquera pas son histoire, mais renforcera sa position de figure incontournable du renouveau du rock psychédélique ; l’épique « John The Tiger » illustrant à merveille ce renouveau dans la continuation.

Elephant Riders – Supernova

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Je sais que tu aimes défricher de nouveaux territoires lecteur. Que la sensation d’avoir trouvé la dernière pépite en provenance de la planète stoner te hérisse le poil. Tu éprouves même un ptit plaisir narcissique à la faire découvrir ensuite à tes potes, admiratifs de ta culture musicale. Sache qu’ici, avec les espagnols d’Elephant Riders, on ne ré-invente pas la poudre, on ne fait pas dans la recherche et le développement. Non. Par contre, on bourre son fusil de cartouches ayant déjà fait de gros trous dans le milieu (je laisse volontairement planer le doute sur cette phrase), et on tire franchement dans la cible de ses aînés. Avec dextérité.

La « Supernova » des chevaucheurs de pachyderme est sortie en 2014 et propose une traînée de titres catchy et rock à la manière de papa Clutch. « Dressed in black » nous le prouve d’emblée. Ça galope vite et bien. En deux minutes et des poussières, le combo assène de l’efficacité, une pointe d’aérien dans les ponts, le tout porté par une voix puissante et directive. La galette est parcourue par du riff stoner traditionnel mais efficace. Quand Elephant Riders tape dans le mid-tempo, « Animal Eyes » par exemple, il caresse les plans vocaux et mélodiques d’un ASG, le tout martelé sèchement par une section rythmique précise. De manière générale, on traverse l’album assez agréablement mais sans réelles surprises. Les compos mériteraient plus de prises de risques, notamment sur les structures où l’on tourne en rond, attendant le pont pour un poil de sortie de route. Mais c’est carré, énergique, et l’album pose les fondations pour plus de personnalisation. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter les huit minutes bien étirées de « End of the road ». Arpèges clairs au début, exercice de caisse claire militaire pour annoncer le départ, le sexy espagnol dans la diction anglaise, harmoniques puis mur de riff, solo inspiré, mélancolie éraillée font de ce titre une transition intéressante pour le futur du groupe. Il transpire enfin de réelle conviction intime en finissant sur un blues de guitare inspiré. La tristesse peut être moteur chez Elephant Riders.

Le deux titres, « Challenger/Lone Wolf » paru en 2015, reste dans la lignée de son grand-frère. En bien ou en mal, on retrouve les mêmes ingrédients malaxés dans la galette précédente. Pour s’inscrire dans la durée, le groupe va devoir faire plus s’il veut capter l’attention au milieu de la masse graisseuse et grouillante de groupes stoner qui sévit à l’heure actuelle.

Difficile donc de se démarquer. Le stoner d’Elephant Riders est efficace et puissant mais gagnerait en qualité et en originalité si les espagnols creusaient le sillon de leurs faiblesses personnelles.  « Sans maîtrise, la puissance n’est rien » disait Pirelli, ce philosophe pneumatique italien, mais sans faille la musique se désincarne aussi. Gageons que les ibériques évoluent plus sur le prochain album. Mais attention ! Elephant Riders reste un beau défenseur de la scène espagnole et je ne bouderai pas mon plaisir à siroter une petite blonde devant un de leur concert.

The Machine – Solar Corona

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Fondé à Rotterdam par trois amis lycéens, The Machine fait référence au “Machine Gun” d’Hendrix, au “Welcome to the Machine” de Pink Floyd et au “Green Machine” de Kyuss. Voilà un beau métissage qui peut sembler surprenant mais qui prend tout son sens dès la première écoute de ce Solar Corona, leur second album.

La formule de The Machine est en effet assez simple : la part belle aux solis d’une guitare sous grande influence d’un blues psyché, des riffs ravageurs soutenus par une section rythmique très solide, et des passages expérimentaux plus planants.

Le premier morceau éponyme de l’album démarre sur un riff kyussien à souhait, et comme annonciateur du carnage qui arrive : guitare qui explose et batterie qui se déchaine dans un torrent qui détruit tout sur son passage, la Machine est lancée. S’en suit un long solo sous acide et au son poussiéreux, solo que l’on retrouvera quasiment tout au long des sept morceaux de l’album (surtout surtout “Jam No. Pi”, “Moons of Neptune”, à la structure très similaire).

“X”, le morceau le plus court et le plus rapide de l’album ferait remuer n’importe quel cul de jatte, avec une guitare qui délaisse ses solos habituels pour ne plus faire dans la dentelle et balancer du gras. Sur “Infinite”, on se rend compte que la guitare n’est pas le seul instrument que David maîtrise, sa voix accompagne également à merveille cette belle ballade bluesy.

Mais la pierre angulaire de cet album reste “Caterpillar’s Mushroom”, brûlot absolument divin d’une quinzaine de minutes. On y perçoit toute la subtilité du jeu de guitare de David, tout autant capable de poser ses notes avec une facilité et une légèreté déconcertante comme d’envoyer trois rondins de bois par seconde avec un riff monstrueux et entêtant. Après la tempête vient le calme, le silence, puis des sons à la réverbération cosmique, nous sommes perdus dans l’espace. Mais… Que vois-je? Qu’entends-je ? Oui, c’est bien ce sacré riff, il est venu me sauver. Il n’est jamais loin. On avait tord de penser que c’était fini.

Certains pourront probablement être lassés par le côté parfois démonstratif de cet album, il n’empêche qu’il ravira sans problème les amateurs de jams dans l’espace, de desert rock et de Corona au Soleil. Merci pour le voyage The Machine.

Dog’N’Style – Dog’N’Style

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‘Festif’, c’est l’adjectif qui vient immédiatement à l’esprit à l’écoute de ce premier EP autoproduit de Dog’N’Style, jeune combo lorrain de 24 mois. ‘Festif’ car le point commun des cinq titres de ce Dog’n’Style est de vous refiler une furieuse envie de rejoindre le mosh-pit.

Biberonnés au Jack et bercés aux sons d’une multitude de styles, le quatuor proposent une musique caractérisée par une richesse et une diversité incroyable, tout en étant animée en permanence par cette devise chère à l’Olympique de Marseille : droit au but.

Stoner de loin, mais loin d’être complètement hors-stoner, le groupe castagne sévère tout au long des ces 21 minutes. Le tout accompagné, cerise sur le gâteau, d’un chant qui n’est pas sans rappeler sieur Corey Taylor sur certains passages.

Parmi ces cinq titres, on retiendra bien évidemment le tube « Sluts and Whiskeys » dont le groove furieux doit actuellement bercer les longues journées de Phil Rudd, fervent adepte de cette philosophie. Mais surtout, l’excellent « Mr. Coyote », morceau certainement le plus ambitieux de cet EP. Dog’N’Style est assurément un groupe qui ne restera pas inconnu très longtemps.

OHHMS – Cold

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En octobre dernier, OHHMS sort de nulle part et publie son premier EP chez Holy Roar Records, intitulé Bloom, qui grâce à une mixture assez inclassable mélangeant post metal, stoner et sludge, se fait rapidement remarquer. Cette subite notoriété leur vaut un passage à la BBC Radio 1 et une apparition sur la MainStage du Temples Festival, sans compter quelques tournées avec des groupes comme Conan ou The Skull.Une période de gestation de neuf mois plus tard, les anglais reviennent avec leur nouveau bébé, Cold. Du même format que son prédécesseur, à savoir une trentaine de minutes divisées en seulement deux titres, “The Anchor” et “Dawn of the Swarm”, il n’en reste pas moins différent dans son contenu, plus noir, plus complexe, et poussant l’exploration musicale un cran au dessus.

Après une minute d’un épais brouillard blanc, une guitare se fait entendre : c’est bien l’embarcation du quintet anglais que l’on aperçoit au loin. L’album débute, l’ancre (The anchor en anglais) est levée, et les guitares se mettent à pleurer. Paul a la voix éraillée et habitée par la douleur crie “We set sail !” (“nous mettons les voiles”), et entame sa complainte face à l’océan. D’emblée, l’album sonne plus sombre et rageur que son prédécesseur. Le navire OHHMS oscille pendant 18’30 entre post metal et stoner. On a même droit à un magnifique solo aux sonorités gilmouriennes, ce groupe ne se contente définitivement pas d’aller dans une seule direction.

“Dawn of the swarm” s’ouvre sur un arpège de guitare hypnotique au son cristallin, puis laisse place aux premiers amours du groupe avec des guitares lourdes et puissantes et un tabassage de fûts dans les règles de l’art. Paul hurle “Genocide !” et nous montre que même si le groupe peut faire preuve de finesse, il n’en reste pas moins bien burné. La palette sonore de Paul est d’ailleurs ici parfaitement exploitée, notre vocaliste passant d’un chant clair et reposé à la rage d’un viking à qui on aurait volé son veston en peau de mouton. Sur ce morceau encore, on est déconcerté de voir comment le groupe peut enchaîner refrain sludge et break très rock progressif des 70’s.

OHHMS traverse dans cet EP de nombreuses contrées : les cavernes sombres du sludge, la grotte hypnotique du stoner et la baie du post metal, où Neurosis officie en capitaine. Les variations entre douceur et brutalité et la diversité des genres abordés permettent de digérer très facilement la longueur apparente des morceaux, à tel point que les 33 minutes de Cold écoulées, on veuille rapidement réembarquer le navire. On espère que le groupe restera aussi prolifique et intéressant qu’il l’a été durant sa première année.

Limb – Terminal

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Originaires du pays du mouton à la menthe et frère de groove des infâmes Gurt, Limb nous avaient déjà prévenu qu’ils avaient des choses à dire à l’occasion de quelques Ep et d’un split avec Gurt (encore eux).

Après un premier album assez court, ils nous sortent le grand jeu et balancent (enfin) du sérieux. Ben ouais, c’est sympa les splits, les Eps etc mais au bout d’un moment on a quand même besoin d’avoir un truc plus conséquent à se caler entre les oreilles .

Alors, pour ceux qui n’avaient pas encore eut l’occas’ d’entendre les douces mélopées provenant de chez Limb, voici un petit descriptif : une batterie qui groove comme si sa vie en dépendait, des grattes épaisses et joueuses, une basse bien grassouillette et surtout une voix tour a tour glavieuse (si, avec des morceaux) ou mélodique.

Si vous avez passé la trentaine et que le death ne vous fait pas peur cette voix devrait vous rappeler quelque chose, en 1996 Gorefest sortait « Soul Survivor », un album composé en grande partie par leur gratteux en forme d’hommage à Thin Lizzy et qui par conséquent était très orienté 70’s. Le timbre de voix de Rob Hoey, chanteur de Limb lorsqu’il s’énerve est très proche de celui de Jan-Chris de Koeijer (celui de Gorefest, suivez un peu…).

Entre nous, ça fait bien plaisir de réentendre ce genre de voix, puissante, venant clairement de la gorge mais également mélodique et modulée, c’est assez rare pour être précisé.

Niveau Zik, le groupe passe de morceau relativement classiques très typés Stoner à la Midnight Ghost Train, voir « Ghost dance » ou « Down by the banks » à des morceaux plus perso comme « Dawn raiders » ou « Spoils of a portrait king », mais même lorsqu’ils sont en terrain balisé, ils prennent la liberté de varier les ambiances et les mélodies, ce qui permet de ne pas trouver le temps trop long.

En tout cas, les morceaux sont bien écrit et doivent avoir un sacré rendu en live, l’énergie étant présente tout au long de l’album.

Prophets Of Saturn – Retronauts

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Etre sur un label indépendant de Birmingham (HeviSike Records) c’est déjà se trouver sous de bons auspices. La prêtresse en haut des marches entourée de cranes sur la pochette est un bon signe. L’arrière de la jaquette : une femme dénudée glorifiant les deux faces du disque, est de bon augure. L’album s’intitule Retronauts, tout cela ne présage que du B.O.N. Les astres nous envoient un message clair, ces quatre titres sont faits pour nous. L’incantation a fonctionné, les vieux esprits malins du doom-rock ont répondu à leur appel. L’appel des prophètes, les Prophets Of Saturn. Quatuor anglais de Leicester qui nous donne en offrande leur deuxième album en ce mois de juillet.

La prémonition s’avère exacte dès les premiers lancinants assauts du riff de « Retronaut » et le groove chaloupant de la batterie. Au grand dam du groupe, contrairement à leur premier effort, l’enregistrement n’a pas su faire en analogique. Qu’à cela tienne, de la fuzz aux reverbs et autres effets gouleyants, de la prise de son au mixage, l’album sonne puissamment délicieusement… rétro ? Pas de meilleure définition. Pas de tromperie sur la marchandise. On ne baptise pas sa galette Retronauts pour ne pas porter l’auditeur dans une dimension parallèle où les effluves du passé se mêlent à des émanations plus actuelles. En vrai magicien du temps les anglais évoquent et convoquent au fil des morceaux toute la dynastie du stoner-doom, de Black Sabbath jusqu’à Electric Wizard, de Blue Cheer à Acid King.

Cette concoction déjà préparée par biens d’autres sorciers se démarquent par ses parfums de rock-psyché qui agrémentent la dégustation. Solos débridés plus habités que démonstratifs, tempos plus enlevés sur « The Ultra Wizards » et plus particulièrement les 3 minutes de « Witchrider ». La palette sonore offerte ne se résume pas à un énième ersatz d’une caricature du son Sabbath.  Quatre titres pour 35 minutes de musique laissent de la place à des jams habités. Au milieu du déluge de cymbales de Duncan, aussi claquantes que les fouets d’un satyre en transe, et des insidieuses mélodies portées par les cordes de Benjamin et de Max, se démarque la voix possédée et obsédante de George. Sans signature vocale particulière pour le genre, son phrasé et les lignes de chant tiennent de la prédication.

A même le sol, la sensation d’extase orgasmique procurée par les élixirs anglais ne sera que décuplée par les 17 minutes de « Damavand » qui clôt l’album. Vous rendant ainsi sournoisement dépendants du charme indéniable de cette œuvre. Pas la plus originale, pas la plus indispensable mais diablement enchanteresse.

Stoned Jesus – The Harvest

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Le trio ukrainien traîne depuis leurs débuts il y a plus de cinq ans une réputation de besogneux durs à cuire, bouffant de la scène comme un yorkshire se jette sur une côte de bœuf après une semaine de jeûne (on vous laisse quelques secondes sur cette image… Non, de rien). Après deux albums assez troublants et un recueil digital de jams et autres captations studio hétéroclites, les voilà revenus avec un nouveau disque plus mûr, plus abouti et, n’y allons pas par quatre chemins, meilleur encore.

Assez paradoxalement, le titre le plus accrocheur de l’album, le dévastateur “Here Comes The Robots” est probablement le moins intéressant (ce qui, en soit, en dit déjà long). Car ce disque est une ribambelle de compos bariolées, audacieuses, originales, qui ne sacrifient jamais la puissance et la lourdeur au profit de l’inventivité. Ainsi, dans une veine aussi dynamique que son prédécesseur, “Wound” développe un titre rock accrocheur qui ajoute la corde “groove” à l’arc du trio, un arc qui n’en manquait pas, de cordes, leurs deux albums précédents l’ont bien montré. “Rituals of the Sun” baisse d’un ton (pas qu’un, en fait) pour se vautrer dans des méandres doom lents et subtilement glaireux. Le chant de Igor surnage encore, s’essayant ici à un registre profond et grandiloquent loin d’être ridicule. L’exercice de style, frondeur mais honnête et respectueux d’un genre auquel ils empruntent les principaux fondements, s’avère réussi. Le Heavy Rock “YFS” et ses discrètes harmonies de clavier montre que la facette “mid-tempo” catchy ne leur est pas non plus étrangère. Mais c’est avec le puissant “Silkworm Confessions” que les choses se corsent. Niveau puissance, on monte encore d’un cran, à l’image de ce riff mastoc qui charpente le morceau. A partir du premier tiers (le titre fait neuf minutes), la chanson part en vrille, naviguant entre des eaux changeantes, pour venir se stabiliser sur un plateau au tempo plus lourd, propice à des harmonies instrumentales que l’on peut qualifier de “téméraires”, ou a minima atypiques. Épique, à l’image du quart d’heure de “Black Church” qui vient clôturer ce morceau de bravoure, un titre à la rythmique travaillée, entre le martial et le tribal, abritant quelques expérimentations soniques désarmantes, pour mieux accoucher d’une conclusion fluette, portée par une nappe de clavier qui amènera le titre jusqu’à sa conclusion, accueillant temporairement un torrent de grattes qui viendra s’éteindre petit à petit…

A un certain moment, ce n’est plus les instruments et la technique musicale qui comptent mais la qualité des compositions. Non pas que nos trois gaillards soient des manches derrière leurs manches (!!) et leurs baguettes, loin de là. Mais est-ce vraiment important quand, de manière aussi insolente, un groupe peut proposer une telle maturité dans son travail d’écriture ? Une maturité précoce en l’occurrence, au vu de la jeunesse de nos trois Est-européens, qui se reposent surtout en apparence sur deux leviers essentiels : une culture musicale riche, qu’ils synthétisent sans jamais plagier, mais aussi une fougue décomplexée que l’on retrouve effectivement (attention, cliché socio-politique dans 3 secondes… 3-2-1) dans pas mal de ces groupes en provenance de pays “géo-politiquement complexes”, dira-t-on pudiquement. Débridé, sans frein culturel, le groupe se lâche et privilégie le plaisir.

Un grief quand même : un album aussi riche ne reposant que sur six chansons, c’est à la limite entre la naïveté et le sadisme. On ne vous en remercie pas messieurs. Quoi qu’il en soit, on a bien pris notre pied. Lorsque l’on connaît aussi le talent du groupe sur scène, où leur musique prend une toute autre dimension, notre principale aspiration est de les revoir sur les planches, vite.

Sungrazer – Mirador

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Trois petits tours et puis s’en vont, ce serait peu l’histoire de Sungrazer, trois Flying Dutchmen que j’aurais découverts quelques semaines avant leur split en 2013, la commande de leurs deux LP restant à jamais dans les brouillons de ma boîte mail…

Tristesse et désolation de ne pouvoir les voir jouer mises à part, il restera toujours le plaisir de se replonger dans leur courte mais impeccable discographie, dont ce Mirador de 2011 sera du coup (pour l’instant ?) le point central.

Intro ride-basse sur fondu d’entrée, la guitare s’installe gentiment, on s’embarque pour 48 minutes de montagnes russes en plein désert néerlandais. On pousse le son pour profiter à fond de la chaleur ronde de la prod’ et on monte dans le manège du trio, dans lequel jams psychés bien planants s’étirent jusqu’à explosions de fuzz (l’excellent “Wild Goose” en ouverture) avant, une fois le pompon attrapé, d’atterrir sur un autre jam psyché bien planant (ce passage au milieu de “Sea”…), voire un solo plus ou moins gorgé d’effets où parfois même la basse s’en mêle (l’instrumental costaud “Octo”).

Quelle que soit la formule choisie ça reste fichtrement bien senti, la recette de la musique des hollandais déjà cuisinée sur leur précédent effort, parfois bluesy, parfois jazzy mais toujours groovy, fonctionne toujours, délicieusement.

Tout ça servi sur son coulis de voix sucré, plutôt discret sur la longueur, régulièrement doublées et carrément pop dans l’idée, on ne se surprendra pas à penser qu’on s’approche de ce qu’un certain rouquin aurait pu faire si… avec en prime le côté “Haze” nord-européen.

Trio oblige la basse est omniprésente, bavarde ou discrète au besoin, servie par un batteur subtil et souvent tout en retenue qui contribue grandement à nuancer le propos. Il n’en fallait pas moins pour donner à la guitare, de temps à autres soutenue par une deuxième, l’idée de s’exprimer au mieux et exploiter toutes sortes de possibilités sonores, renforçant ainsi les sensations aériennes disséminées tout au long de l’album.

Et là, une fois le tubesque “Goldstrike” passé, les veinards se lèvent pour enchaîner sur la face B, trois morceaux pour 25 minutes quasi ininterrompues, véritable offrande des bataves au dieu(x) Stoner et parfait mirador sur l’étendue du savoir faire Sungrazer. Ainsi on se délecte du calme (“Behind”, magnifique quart d’heure avec son passage percus) avant la semi-tempête grasse mais maîtrisée du morceau titre, pour terminer langoureusement dans une ambiance floydienne (des débuts) à souhait. Les veinards écoutent les derniers craquements, rouvrent les yeux et soupirent,  rideau, merci.

Freedom Hawk – Into Your Mind

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Mon dieu qu’il a été frustrant de suivre les pérégrinations de Freedom Hawk ! Apparu en 2007, le trio de Virginia Beach – sorte de nul part mais avec la plage –  a su immédiatement séduire les connaisseurs de la chose heavy, avec sa science du riff, héritée de leur proximité avec le deep south redneck, et un je ne sais quoi de sophistiqué, un savoir faire à la manière d’ASG, leur quasi voisin de Caroline du Nord. Le genre de groupe qui rassemble les bikers, les surfeurs et les bucherons dans un même élan de rock franc du collier (de barbe). Leur second album, éponyme, publié en 2009 chez Meteor City, ayant séduit tout ceux qui dessus s’étaient penchés, c’est donc tout naturellement que le combo de T.R. Morton (dont la voix rappelle – une fois n’est pas coutume – celle d’Ozzy) rejoint l’écurie Small Stone Records, refuge de Wo Fat, Gozu et autres Lo Pan. La famille du riffing US semble alors au grand complet. Holding On est publié en 2011 et le moins que l’on puisse dire c’est que l’auditeur est resté sur sa faim. Certes quelques titres (tels que l’inoubliable « Indian Summer ») font mouche mais l’ensemble, répétitif, rend la digestion difficile. C’est pourtant à ce moment que le combo vient en Europe et fait étal d’une habilité à enflammer les concerts qu’on ne retrouve finalement que chez les américains. Leur sens du show et leur passion pour le riff fait mouche et met à genoux ceux qui sur scène les ont découverts. Puisqu’ils savent aujourd’hui comment traverser les océans, il ne manquait plus au faucon qu’un album solide pour asseoir sa réputation de par chez nous, comme a su le faire Wo Fat les années passées.

C’est d’ailleurs ce que promet ce quatrième opus, Into Your Mind : rentrer dans nos esprit et les marquer. Pour de bon. Malheureusement, le contrat n’est – comme à chaque fois avec Freedom Hawk visiblement – qu’a moitié rempli. A l’instar d’Holding On, Into Your Mind souffle la canicule et la glace pilée : on retrouve sur cette nouvelle livraison une pure réussite (« Lost In Space ») et quelques moments chaleureux (« Blood Red Sky », « Waterfall », « Into Your Mind ») mais l’invasion de cerveau promise n’a pas totalement lieu. Reconnaissons qu’il est difficile d’être original lorsque l’on fait ce genre de rock, qui doit tout à l’efficacité du riff, d’autant avec le timbre de voix de Morton, rappelant minimum 20 ans de stoner à chaque intonation. S’il ne fait nul doute que les meilleurs moments de ce disque serviront au mieux les set-lists des lives incendiaires des faucons libres, il reste au groupe à se débarrasser de quelques gimmicks récurrents (l’idée de commencer les trois quarts de ses titres par des paterns de batterie par exemple) et de nous revenir avec un cinquième album qui, à défaut de nous captiver l’esprit, devra purement et simplement nous faire exploser la cervelle.

 

Point Vinyle :

Comme toujours avec Small Stone Records, les vinyles sortent en 500 exemplaires couleur (Orange pour celui ci), 180 grammes avec download card. Bref l’outil idoine pour les mordus de Lps, et l’occasion idéale d’admirer en grand format la pochette signée du frenchie Antoine Desfarges d’Headband Design.

Sun & Sail Club – The Great White Dope

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Il y a à peu près un an, l’association de Bob Balch (Fu Manchu), Scott Reeder (Fu Manchu) et Scott Reeder (Kyuss) avait engendré « Mannequin » qui poussait le Stoner vers de nouvelles expérimentations avec une utilisation maximale du vocoder. Le concept avait divisé mais l’annonce d’une suite ne pouvait qu’aiguiser la curiosité d’un public qui suit ces musiciens depuis des dizaines d’années.

Comme pour le premier album, Bob voulait un chanteur au micro, le vocoder ne servant à la base que comme support de représentation des futures lignes de voix en studio. Ce coup-ci il a contacté Tony Cadena chanteur des Adolescents, groupe majeur de punk hardcore né au début des années 80. Les deux hommes s’étaient rencontrés sur scène lorsque Fu Manchu avait repris le titre « Things Start Moving » du second album des Adolescents. Alors Bob appel Tony ; Tony dit oui ; Bob n’a encore rien composé. A partir de là on comprend mieux d’où proviennent les influences majeurs de « The Great White Dope ». Un canevas punk pour des riffs Stoner en lieu et place d’expérimentations jazzy et vocodées, voilà le nouveau SSC.

Les trois quarts de l’album sont des morceaux de 1 à 2 minutes 30. L’un des objectifs de Bob était d’obtenir une longueur de skeud avoisinant celle de “No One Rides for Free” de Fu Manchu. Mission accomplie. Autant dire qu’on va à l’essentiel, qu’on tape dure là où c’est efficace et qu’on avance encore et encore. Avec une telle fuite en avant, impossible de s’ennuyer. C’est une dose de catharsis qu’on peut s’injecter en écoutant « Krokodil Dental Plan » ou encore une folie qui nous envahie dans « Migraine With A Chainsaw Reduction ». La structure de l’album est intelligemment pensée et « Cyberpunk Roulette », arrivant au premier quart, avec ses plus de 6 minutes, amène une diversité bienvenue ainsi qu’un final dans la veine du premier album, vocoder compris. « Fever Blister & The Great White Dope » ressort également avec son chant un peu plus posé, sa longueur et son solo au sens le plus strict, où tout le monde laisse la guitare se faire triturer. La production met en avant cette furie. Le batteur tabasse les cymbales. La basse de Reeder amplifiée par Bison crache un son saturé à des strates inconnues qui peuvent lui donner l’aspect d’une guitare rythmique. La guitare alterne l’ultra cradingue et la clarté lointaine psyché. La voix, elle, n’est que précipitation, urgence et violence si ce n’était les quelques incursions plus planantes du vocoder.

Pour notre plus grand plaisir SSC est un terrain de jeu pour ces musiciens impliqués dans d’autres projets, plus enchaînés aujourd’hui à des codes qu’ils ont eux-mêmes créés. Pas de répétitions pour ce deuxième effort, seulement l’imbrication des expérimentations de « Mannequin » et des apports de Tony. En somme, un objet neuf et furieux.

Bison Machine – Hoarfrost

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Courant de nos jours qu’un groupe sorte un put*** d’album par ses propres moyens et qu’il finisse par bénéficier du soutien d’un label et d’une distribution plus large ensuite. Exemple encore aujourd’hui avec Bison Machine (Hamtranck, Michigan, Etats-Unis) et son Hoarfrost (put*** d’album) sorti initialement en janvier qui se voit offrir les moyens d’envahir les terres européennes via Kosmik Artifactz en ce mois de juillet. Bison Machine existe depuis 2010 et s’articule autour de l’essentiel guitare-basse-batterie-voix, John-Anthony-Breck-Tom œuvrant chacun à leurs postes de fort belle manière.

Hoarfrost est une démonstration de stoner inspiré. La production presque lo-fi comparée à ce qui se fait aujourd’hui, le blues psychédélique des mélodies, alliaient à des arrangements et à une lourdeur très contemporaine, mènent à un savant mélange d’émotions. Un charme délicat, de fines touches de tendresses au milieu d’un déluge de riffs bien burnés. Le son résolument tourné vers les 70’s, avec une basse très ronde bien présente et une guitare plus dans les aigus et les médiums que ce nous habituent les grasses productions actuelles, apporte une fraicheur indéniable à des riffs qui pourraient paraitre déjà entendus. L’accent est donc mis sur une mise en valeur de l’ensemble, l’harmonie des instruments à cordes, le groove subtil de la section rythmique et surtout les arrangements tout en fluidité. Chaque titre s’inscrivant dans une logique de jam maîtrisé, ramassé à l’essentiel. On se plaît à fredonner les infinies possibilités de développement de chaque morceau en live, mais ces versions enregistrées nous rappellent qu’en musique souvent qui peut le plus, peut le moins. L’art de ne pas en faire de trop.

La voix prise dans une jolie reverb, semble sur la brèche en permanence. Douce et fine, elle accentue les contours les plus fragiles de l’édifice. Fragile dans la mélancolie qu’elle invoque et déroutante dans son contraste avec certains passages instrumentaux plus incisifs. Une première écoute distraite pourrait reléguer cet album à un joli hommage aux groupes qui bercent la scène proto-metal-heavy-rock-blues-stoner depuis de longues décennies. Quelle erreur ce serait que de survoler un monument en le jugeant petit et grossier, alors qu’à ses pieds l’imposante richesse de son architecture vous sauterez aux yeux.

Son nom pourrait être synonyme de riffs écrasants et d’attitudes rentre dedans, bien au contraire Bison Machine est un groupe qui en toute humilité balance des perles. Si vous cherchez un écrin chatoyant de stoner quand vous êtes en overdose de « bas du front », cet album est pour vous.

Glowsun – Beyond The Wall Of Time

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Tout est une question de temps. Johan, Ronan et Fabrice l’ont bien compris et sont piles à l’heure au rendez-vous pour nous livrer un troisième album attendu de pied ferme par une grande partie de la communauté Stoner hexagonale… et plus encore.

Avec « Arrow of time », les Glowsun décochent une première flèche, longue de 9 minutes, qui vient planter le décor de cet album. Ainsi débute donc ce Beyond The Wall of Time : par 9 minutes de lourdeur hypnotique, répétitive, syncopée et roborative, entrecoupée d’accélérations rythmiques assez brutales qui donnent à ce premier morceau des relents de bande-son digne d’un film de science-fiction.

Même constat à l’écoute du deuxième titre, « Last Watchmaker’s Grave » qui pousse un peu plus loin encore les jalons posés par le titre d’ouverture : une intro pesante et malsaine qui rampe insidieusement pendant près de 3 minutes avant de basculer dans une extrême lourdeur. Le décor ainsi planté ressemble à une ville fantôme balayée par des vents guitaristiques et lugubres avant d’être envahie par une horde infernale de cavaliers de l’apocalypse.

Autres temps, autres mœurs, Glowsun a donc pris le temps d’évoluer, de mûrir, de devenir expert en chahutage d’auditeur et de parer sa musique psychédélique de sombres oripeaux. Loin d’être une sorte d’opéra-rock sur le thème du temps, Beyond The Wall of Time est surtout marqué par cette dualité clair / obscur, psychédélisme / pachydermisme. Car alors que la patte du trio lillois est indéniablement présente sur l’ensemble de ce disque (lorsque Johan vient chatouiller le bas de son manche par exemple), la lourdeur, décuplée depuis Eternal Season (sorti en 2012), n’est jamais bien loin.

« Flower of Mist », sans doute le morceau le plus minimaliste du catalogue du trio, ne fait que renforcer cette évidence. Un plan basique à souhait, répété à foison, et décliné à merveille pendant près de 6 minutes afin d’éviter à l’auditeur de relâcher son attention et sombrer dans la torpeur. Tour à tour furieux, lent, rapide, plombé, suggéré, le morceau joue la montre avant d’exploser à la surface du monde dans un final ahurissant et inspiré. Une qualité d’écriture qui n’est pas sans rappeler, dans la démarche, un titre comme « Skyline » de Pharaoh Overlord. Et un morceau qui n’a pas fini de faire des dégâts sur scène.

Alors que le disque touche presque à sa fin, le trio prend enfin le temps de se fendre d’un titre « chanté », plus subtil et conforme au Glowsun de 2010. Mais la subtilité ne dure qu’un temps et la rythmique de plomb, qui donne au disque cette pesanteur nouvelle pour Glowsun, a vite fait de faire table rase de ce passé pas si lointain.

Avec ce troisième effort, Glowsun franchit un cap et donne un nouveau souffle à sa musique. Servis en outre par une production impeccable, nos frenchies réussissent avec Beyond The Wall of Time un sacré tour de force : sortir l’album qui ne déstabilisera pas fondamentalement les fans de la première heure tout en ralliant à sa cause une flopée de nouveaux adeptes plus enclins à la bestialité.

Du travail d’orfèvre(s) digne des meilleurs horlogers suisses et qui mérite beaucoup plus que le temps d’une seule écoute.

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