Paradise Lost – Medusa

Loin de moi l’idée de vous refaire la carrière de Paradise Lost, antique groupe de death/doom, devenu icôn(e) gothique en des temps que l’on qualifierait aujourd’hui de draconiens. Une sainte trilogie qui lui aura légitimement valu une place de choix au panthéon du heavy puis la perdition dans quelques improbables impédances électroniques avant un retour à la raison, au milieu des années 2000. Je dirai même, pour être plus précis, que le groupe a renoué, sur The Plague Within en 2015, avec les aspirations de ses plus belles années. Toujours mené par le duo Holmes/Mackintosh, les anglais continuent donc de filer la métaphore du doom mélodique, sur Nuclear Blast cette fois-ci, et publient Medusa, leur 15ème album.

De l’aveu même de Holmes, il s’agit là d’un des albums les plus lents qu’ils aient produit, rapprochant le fruit de leur enregistrement aux compositions de Shades Of God, leur troisième production. De mon côté je convoquerai plutôt Type O Negative à la table des négociations. En effet, dans le traitement sonore des guitares et pour cette habilité insolente à créer des mélodies gothiques, aussi efficaces que passionnées, Medusa ressemble à quelque chose qui croiserait les compétences de Paradise Lost (les voix de Holmes, claire ou growl, toujours impeccable de maitrise) à celle du gang de feu Peter Steele. Littéralement tubesque, sans temps morts, Medusa bénéficie d’une production limpide, made in Orgone Studio, incontournable villégiature pour façonner un son doom et perfide en Albion. Alors même que la production est à mon sens sujete à controverse pour la plupart des publications Nuclear Blast, privilégiant un son ample et moderne, celle-ci sied parfaitement à l’album, que ce soit pour le travail sur la batterie (le son de caisse claire est assez froid et mécanique) ou sur les guitares. Porté par l’imparable « Until The Grave », titre sur lequel le travail de son sur les guitares est éclatant, le disque ne révèle aucun signe de faiblesse. « Blood & Chaos » renoue avec un death/doom pur et dur, tandis que « The Longest Winter » rappelle qu’en matière de ligne vocale (rehaussé de ce délicieux accent british qui ne sied qu’à quelques rares groupes, tel Killing Joke), Holmes est de la race des plus grands. Parfois proche de Primordial, traversé de quelques auras celtes, ce disque est l’exemple parfait de ce que peut être le metal lorsqu’une formation s’attache à éclabousser son disque de feeling et de classe. Plus qu’un retour en grâce, un second souffle inattendue et salvateur. L’un des tout meilleurs opus du groupe, simplement.

 

Point Vinyle :

Nuclear Blast propose ce disque sous toutes ses coutures : en box (comptez 36 euros et tout plein de surprises dedans), du black normal et une multitude d’autres pressages, entre 700 et 300 exemplaires. Les plus rares (et non nombrés à ma connaissance) restent Red, Silver et Violet with White Marbled. Soit 12 pressages différents. De quoi en rester… Médusé.

Fireball Ministry – Remember the Story

Chaque nouveau disque de Fireball Ministry est en soi une bonne nouvelle. Il faut dire que le groupe, qui trace sa route posément depuis une petite vingtaine d’années, en vieux baroudeur du music business underground, ne déçoit jamais vraiment. Leur production famélique (cinq albums en presque vingt ans, bof) est conforme à leur progression de carrière (en gros : un chemin de randonnée long, plat et laborieux) et à leur activité live (une poignée de concerts chaque année, dans un rayon dépassant rarement les 50 km autour de chez eux). Les bougres savent se faire désirer ! D’autant plus étrange quand on sait à quel point James Rota est hyperactif, initiant plusieurs side-projects (rappelons qu’il est derrière The Company Band, où se retrouvent aussi Neil Fallon et Brad Davis), marketant sa musique dans les méandres Hollywoodiens (pas mal de licences sur des séries TV ou événements types catch US), etc…

Quoi qu’il en soit, on a donc ce Remember the Story en main, et sans déflorer un suspense de pacotille, c’est avec un certain plaisir que l’on écoute cette galette depuis plusieurs semaines. Musicalement, on n’est pas sur du changement brutal, c’est un euphémisme : le quatuor reprend en gros les rênes de l’opération exactement où ils les avaient déposé avec leur album éponyme, il y a sept ans maintenant. Pour ceux qui auraient raté ce wagon, voire les précédents, Fireball Ministry fait du gros stoner rock à « l’américaine », largement teinté de heavy rock, bien produit, chargé en mélodies. Un truc qui sans être super original, s’impose un certain standard en termes d’efficacité, de qualité de composition et d’accessibilité. Ah, l’Amérique, quoi… Un bon demi-siècle de culture rock et hard rock en coulisses quand même, ça laisse de bonnes bases.

Tiré par une poignée de compos remarquables, l’album déroule sans vrai temps faible. On lèvera la tête sur certains titres en particulier, à l’image de ce sympathique « Back on Earth » où Scott Reeder (on a oublié de vous le rappeler, mais c’est désormais le seul groupe fixe du célèbre bassiste de Kyuss), plutôt discret sur le reste du disque, tombe quelques lignes de basse groovy juste venues de nulle part. Result-oriented le bonhomme ! On fera aussi émerger « The Answer », petite pépite hard rock fuzzée aux vocaux pouvant même rappeler Ozzy sur le refrain, ou encore le lancinant et heavy « Dying to Win » qui n’aurait pas pu être renié par le Metallica fin de siècle…

Quand on y regarde de plus près, il y a des petites choses perfectibles sur ce disque. Le fait de vendanger son intro avec « End of Our Truth » par exemple, titre sur-catchy, certes, mais tellement mou du genou en même temps, s’appuyant sur un tempo des plus laborieux. Autre morceau un peu faible, le morceau-titre déroule sa langueur un peu stérile sur cinq grosses minutes sans grand intérêt, mettant même un peu à la peine un Rota aux vocaux un peu limites (sur ce titre uniquement). On peut discuter aussi un peu de la prod, œuvre de Paul Fig, pas vraiment un bras cassé (Ghost, Alice in Chains…) : propre et puissante, elle n’apporte malheureusement pas la légitime couche de crasse qui sait enrober ce type de musique. Et plus précisément encore, on pouvait espérer plus de place pour la second guitare dans le mix (des séquences entières qui ne tirent pas profit du doublon de guitares là où cela aurait pu apporter puissance ou profondeur dans le son).

Notons l’OVNI absolu que constitue le choix de reprendre « I don’t Believe a Word » pour honorer (légitimement et sincèrement) Lemmy, un titre déjà décalé en soi dans la carrière de Motörhead, dont l’interprétation toute en subtilité électro-acoustique option saturation et chœurs en harmonie, fera froncer plus d’un sourcil dubitatif. Couillu.

Remember The Story est un bon album de Fireball Ministry et un bon album tout court. Il contient assez d’excellents titres pour satisfaire la soif de riffs et de gros son finement fuzzé de la plupart d’entre nous. Les fans de Fireball Ministry y verront la suite logique de la discographie du groupe, avec une évolution (lente et subtile) les amenant progressivement à plus de robustesse dans les compos et à moins de « folie rageuse » dans l’interprétation (c’est l’âge, aussi, ma bonne dame). Dans un sillon musical synthétisant bon nombre de différentes tendances, le groupe ne convaincra jamais assez les fans de stoner les plus intégristes, les aficionados du doom le plus pur, les dingues de sludgeries craspecs… mais il a toujours fait montre d’une exigence de qualité qui est susceptible de convaincre un auditoire bien plus large que sa notoriété actuelle. En un mot comme en mille : si vous ne connaissez pas, penchez-vous sur Fireball Ministry, il y a de fortes chances que ça vous plaise.

Iron Monkey – 9-13

Groupe sludge formé à Nottingham en 1994, Iron Monkey est un véritable pionnier du genre en Europe. Rapidement signé par Earache, label connu pour ses méthodes peu scrupuleuses, le groupe forgera sa légende en quelques concerts féroces et deux albums cultes. Cinq ans de carrière puis la mort, qui frappe sans prévenir le chanteur Johnny Morrow en 2002. Iron Monkey passe alors à la postérité et ses membres s’investissent dans divers projets, avec plus ou moins de réussite (de Crippled Black Phoenix à Capricorn en passant par Teeth of Lions Rule The Divine, en somme). En janvier 2017, sans signes avant-coureurs, Jim Rushby (guitare) et Steve Watson (basse), relancent la machine et annoncent être retournés en studio, en trio, avec Scott « Brigga’ Briggs à la batterie (Rushby se chargeant également du chant). Publié chez Relapse Records, 9-13 paraît donc 18 ans après Our Problem, l’un des ces disques qui ont simplement défini le sludge.

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’annonce de cet album a suscité de vifs remous au sein du microcosme émoustillé des musiques bas du front. Deux avis s’affrontent alors : les uns sont ravis de voir revenue à la vie une légende que peu ont vu live, tandis que les autres pensent que les histoires terminées ne devraient pas ouvrir de nouveaux chapitres, déçus qu’ils sont généralement de ces sempiternels come-back, devenu fond de commerce de labels et festivals en mal de tête de gondoles ces dernières années. Iron Monkey aura su donner du grain à moudre à ces détracteurs, revenant sans certains de ses membres emblématiques (Morrow évidemment mais surtout Justin Greaves, batteur historique et pièce maitresse du combo), profitant d’un plan marketing rôdé chez Relapse Records, qui dévoile visuels et extraits de morceaux à intervalles réguliers. Une nouvelle façon de promouvoir la musique qui est aux antipodes de ce qu’était Iron Monkey, symbole de la lose et de la dèche de la fin des années 90. Reste que l’album – concentrons nous là dessus – contient ce qui fait l’essence du combo de Nottingham. Enregistré en local, au Moot Group Studio de Nottingham par Johnny A Carter (ex Pitchshifter), 9-13 nous crache à la gueule 9 salves glaireuses, toujours traversée par cette science du riff qui a fait la renommée de la formation. Bien sûr le feeling de Greaves manque parfois, bien sûr l’album ne tient pas la comparaison face à Our Problem (c’était là mission impossible), bien sûr Rushby ne semble pas aussi habité que l’était le défunt vocaliste Morrow, mais ce troisième album d’Iron Monkey reste l’une des livraisons sludge les plus salement punk et irrémédiablement nihiliste de cette décennie. Et ces riffs nom de nom ! Le trio a vieilli et leurs compositions se font plus cyniques, plus désabusées encore qu’à la grande époque. Plus doom que jamais aussi. Prenons « The Rope » et sa descente de gamme salement méchante, prenons  « Toadcrucifier – R.I.P.PER » et son agressivité sans retenue (sur ce morceau Brigga fait des miracles à la batterie par ailleurs), 9-13 regorge de raisons de laisser exploser sa colère. Last but not least, « Moreland St. Hammervortex », pièce finale d’un disque définitivement craspec, tronçonne ce qu’il nous reste d’espoir en 9 minutes de violence gratuite, portant l’estocade finale après plus de 45 minutes de pugilat.

Foisonnant de riffs imparables (non vraiment citez moi un disque sorti ces dernières années qui riff plus que ça !) et méchant comme on aime, 9-13 est finalement un très bon album pour quiconque saura avoir à son encontre un regard honnête et réfléchi. A ranger aux côté du Primitive Man au rayon des agressions en bande organisée.

 

 

Point vinyle :

Relapse et ses pressages multiples proposent le Iron Monkey nouveau en :

  • clear with black and white splatter (400ex réservé au marché anglais)
  • white inside clear with black splatter (300, uniquement sur le site de Relapse)
  • white with black splatter standard gam (250 vendus via les disquaires indés uniquement)
  • white, black and clear tricolor (100ex, uniquement sur le site de Relapse)
  • black standard (1700 exemplaires, trouvables partout, probablement même dans les boucheries charcuteries)

Primitive Man – Caustic

Grâce à Throatruiner, label français qui fut à l’origine du premier pressage de Scorn pour l’Europe en 2013, nous autres suiveurs attentifs de la scène sludge avons pu profiter, dès le départ, de la sensation Primitive Man. Signé très vite par Relapse, cet album a fait le tour du monde du metal, de ses bacs à disques et de ses festivals, tant le propos de Primitive Man est nihiliste et oppressant, blackened sludge radical. Une coulée de boue empruntant aux musiques extrême ses gimmicks les plus marquants mais un disque qui, au final avait tendance à s’écouter jouer un peu trop, sur lequel les volontés grindcore se disputaient l’apocalypse à la grande dépression doom dans un fatras pas toujours cohérent. L’EP Home Is Where The Hatred Is avait déjà un peu corrigé le tir, gardant à l’esprit cette production épaisse et ce son radical, tout en accommodant savamment accélérations et breaks de pachyderme. Plus viscéral, il semblait avoir mis Primitive Man sur de bons rails et Caustic vient confirmer la franche évolution du trio de Denver, Colorado vers quelque chose de bien plus absolu.

Car Caustic est définitivement un disque de doom. Un disque au tonnage indécent. Un disque affranchi des hésitations stylistiques passées. Un disque corrosif (Caustic) dans tous les sens du terme. Un disque rehaussé par l’excellent travail de production de Dave Otero (spécialiste du death metal moderne, de par son travail auprès de Cattle Decapitation ou Cephalic Carnage, on lui doit aussi Slow Forever de Cobalt, un album formidable masquant par sa production toutes les lacunes du groupe). Puissamment lourd, terriblement lent, Caustic est l’extrême expression d’un metal funéraire et désespéré. « My Will » ou « Commerce » (et son final dantesque) sont à ce titre d’éprouvants moments de bonheurs musicaux à la noirceur sans concession. Le disque creuse, encore et toujours plus profond dans les turpitudes de l’âme humaine et déverse dans ce sillon haine et douleur, comme lors des 12 minutes du sordide « Inevitable » durant lesquelles l’agonie est totale et le pessimisme à son paroxysme ou le pont strident et tétanisant d’« Absolutes », un moment qu’une écoute au casque prolongée pourrait transformer en délire schizophrénique sans trop de difficulté.

Bien sûr le jusqu’auboutisme musical rend le disque quelque peu anxiogène et difficile à digérer, il est évident qu’une telle pièce est difficilement appréhendable en une seule fois. C’était, à mon sens l’intérêt de l’EP. La longueur de ce disque – un peu plus d’une heure – transforme ici l’écoute en une expérience sensorielle qui ne se tente pas à n’importe quel moment de la journée. Reste que Primitive Man a trouvé son mode d’expression et il est particulièrement radical. A vous de le savourer ou de fuir si tant de violence vous effraie. Nous aurons la décence de ne pas juger.

 

Point Vinyle :

Relapse Records fait dans le subtil, avec deux versions couleur « os » de saison, l’une tachetée de noir (300ex) et l’autre moitié/moitié entre les tâches noirs et celles blanches (100 exemplaires, patch inclus). 100 exemplaires de la version « Clear » sont également partis pour les plus prompts. Pour finir, et pour satisfaire ceux qui ne courent pas après les raretés, 1550 disques noirs se sont également échappés de la presse.

Bell Witch – Mirror Reaper

L’histoire de Bell Witch avait tout d’une jolie histoire : duo doom formé à Seattle par Dylan Desmond (aperçu dans Samothrace entre autres) et Adrian Guerra, le groupe avait mis en émoi la scène à grands renforts de longues plages incantatrices composées avec une basse six cordes et une batterie. Profound Lore se saisit alors de tout ce talent et publie Longing en 2012 puis Four Fantoms en 2015, deux albums remarqués, positionnant le groupe parmi les plus grands outsiders de la scène. Une trajectoire linéaire et enviée, soudainement troublée par le décès brutal d’Adrian Guerra à l’âge de 36 ans, tandis que le duo s’attelait à la composition de leur troisième album. Dévasté, Desmond décide d’achever la composition de leur projet et s’adjoint les services d’un autre batteur, Jesse Schreibman, à qui incombe la lourde tâche de jouer en préservant l’héritage d’un fantôme sans cesse sur ce disque convoqué. Les deux hommes puisent alors au fond de leur chagrin l’essence même de ce qui prendra, entre les mains du légendaire producteur Billy Anderson, des allures de perfection musicale, sensation renforcée par l’artwork sublime de Mariusz Lewandowski, invitation visuelle à voyager au gré d’humaines turpitudes causées par la douleur de l’absence.

De l’aveu même de Dylan Desmond, l’idée de faire de Mirror Reaper une seule et unique pièce musicale d’un peu plus d’une heure vingt est venue tard dans le processus de composition, lorsqu’il s’est aperçu que les riffs se répondaient en une longue procession funéraire et désespérée. La pièce ainsi créée, sous-titrée As Above / So Below (48 et 35 minutes, décomposée pour les besoins du vinyle lors d’une accalmie acoustique par ailleurs poignante) est d’une beauté rare, traversée de part en part par le spectre de Guerra. Le doom n’est rien d’autre que la mutation absolue du blues, trouvant en son dépouillement et en sa lenteur, un espace infini pour libérer diverses émotions, et la tristesse en particulier. Mirror Reaper est à mon sens l’une des expressions les plus abouties de ce sentiment, une longue plainte, un terrible chagrin et pour finir, un émouvant processus de deuil. Chaque note nourrit cette sensation d’absolue et doucement, au fil des écoutes, l’album libère son auditeur des tourments pour lui offrir un espoir incroyable, un optimisme délicat. Le spectre sonore couvert par la basse de Desmond est énorme, entre montées à la limite de l’acoustique et délivrance d’influs saturées, comme ce riff particulièrement obsédant autour des 30 minutes ou la fin de la chanson, durant laquelle le voyage sonore, large et enveloppant se termine en un soupir de notes aux allures contemplatives. Tout au long du voyage, Bell Witch fait la part belle aux enchevêtrements de voix parfois incantatrices, souvent caverneuses, comme autant de prières adressées à la fatalité. Parmi elles, quelques mots de Guerra lui même, chutes de studio, se sont glissés, en guise d’ultime hommage. Sublime.

 

Point Vinyle :

Profound Lore propose cinq versions pour le premier pressage. Clear, Gold, Blue and black with red splatter, blue with black and silver splatter and black. En dehors de la version noire, toutes les autres sont d’ores et déjà sold out.

House of Broken Promises – Twisted (EP)

Franchement, plus de huit ans depuis leur album précédent, un nouvel album supposé en gestation depuis plusieurs années… on pouvait penser le trio californien moribond ! C’est par l’intermédiaire du dynamique label transalpin Heavy Psych que nous arrive la lueur d’espoir : HOBP est toujours vivant !  Avec un nouvel alb… Ah non, on me souffle à l’oreille que ce n’est qu’un EP…

Frustrés, on se plonge quand même vite fait dans la galette, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on est en terrain connu… et que ça fait fichtrement plaisir ! Le trio formé par les fondateurs de Unida (Arthur Seay et Mike Cancino) et l’excellent bassiste/chanteur Joe Mora évolue toujours dans une sorte de gros hard rock qui tâche (pensez Unida sans Garcia), avec une grosse tendance au shred (quel six-cordiste remarquable !), ce qui ravira les amateurs trop souvent frustrés de soli parfois outranciers mais souvent jouissifs. A ce titre l’EP nous rappelle la palette typique du trio, à travers 7 titres assez variés.

Le plat d’honneur est servi en introduction, avec deux compos studio… Nouveautés ? Pas vraiment, car même si ces deux brulots sont rutilants et inédits sous cette forme studio, les deux titres étaient connus des aficionados qui les avaient déjà vus et entendus plusieurs fois joués sur les set live du groupe. Il n’empêche qu’ils dépotent bien en version studio (et accessoirement l’occase de valider le timbre parfois « Garcia-esque » de Mora sur le refrain de « Toranado »). Belles pièces.

La reprise de Billy Squier « The Stroke » ne surprendra pas vraiment non plus, le groupe ayant déjà proposé ce titre testostéroné en live. Toujours cool de l’avoir gravé sur disque. Plus intéressante est la reprise du « Lady Evil » de Black Sabbath : même si le titre est déjà connu sous cette forme (proposé sur un album tribute sorti il y a quelques années) il fonctionne bien, hommage respectueux aux anglais avec une sorte de Dio au timbre râpeux chargé au Jack Daniels… (note : sur le tribute album, c’était un chanteur invité qui mimait le grand petit chanteur, et pas Joe Mora)

Ce sont deux démos qui prennent la suite : deux enregistrements de qualité, mais… déjà connus aussi ! Dispos depuis longtemps sous cette même forme sur la plateforme de partage du groupe, ces deux titres ont par ailleurs eux aussi déjà été joués en live (notamment le heavy et catchy mid-tempo « Panzram »).

Pour clôturer, un titre live… extrait de leur album « Live Desertfest 2013 » ! Pas leur plus mauvais titre, mais quand même, ils se sont pas foulés, même si ce live n’a pas été largement distribué…

Cet EP laisse donc un goût doux-amer en bouche, en particulier pour celles et ceux qui suivent le groupe : bricolé à l’arrache (quelques chutes de studio par ci par là, quelques récups de morceaux par là…) il semble avoir pour objectif premier de signifier le retour aux affaires du trio et d’accompagner leur tournée européenne imminente. C’est déjà pas mal, mais c’est quand même bigrement frustrant. On attend plus ! Et que ça saute !

(Note : le nouvel album est annoncé pour début 2018…)

Monolord – Rust

Monolord est un groupe indispensable. Un trio qui va vous sauver votre année musicale, rien de moins. Et le pire c’est qu’ils vont le faire en usant d’une recette aussi simple qu’imparable, celle que Nirvana avait imaginée, il y a plus de 25 ans déjà. Une méthode aussi bête qu’un riff répété en boucle, alternant son clair et distorsion, servi par un refrain qui ne quitte pas l’encéphale. Un scandale. Car si Monolord sort du lot des nombreux disciples du Sabbath, c’est bien grâce à ce son pachyderme, buriné à la fuzz, conférant au groupe une signature sonore claire et identifiable, comme Electric Wizard l’avait fait à l’orée des années 2000 et comme si peu de groupe sont capables de faire, finalement. On ne le dira pas assez, mais la signature sonore est essentielle, cela fait la différence entre un bon groupe heavy et un banal copycat. La formation de Gothenburg revient donc avec Rust, faisant suite à deux albums et quelques à-côtés et reprenant, note à note, les séculaires traditions du heavy doom, spatial et implacable tel que l’indispensable Empress Rising l’avait défini en 2014 déjà.

Il se trouvera bien sûr toujours des râleurs pour se plaindre du peu d’originalité. Il y en a toujours. N’attendez en effet pas ici une quelconque aération (ou plutôt attendez les dernières minutes d’« At Niceae », le dernier titre) ou une improbable innovation sonore. Mais si 40 minutes de fuzz obèse est quelque chose qui vous parle, alors vous évoluerez, avec Rust en terrain connu. La galette déborde de titres mémorables, tels « Where Death Meets The Sea » et son alternance, entre tempêtes et d’accalmies, « Rust » dont l’intro à l’orgue installe une bien sombre ambiance et « Dear Lucifer » pièce Sabbathienne au refrain imparable. Une trinité, quasi sainte, que l’on retrouvera à coup sûr incluse aux set-lists des suédois. La seconde partie du disque en revanche se veut moins immédiate, proposant plages instrumentales (« At Nicae », « Wormland » encore une fois extrêmement Sabbathien dans l’écriture), et quelques trouvailles de studio (Les violons à la fin de « Wormland », le solo acide de « Forgotten Lands » et le final de l’album), épaississant le propos du disque et faisant de Rust un candidat sérieux aux tops de fin d’année.

J’ajoute, pour relancer que la pochette de Rust est une des plus esthétiques de 2017. Non vraiment Monolord fait les choses bien.

 

Point Vinyle :

Outre les Test press et de géniales sorties « Die Hard » (portant des noms tel que « John McLane édition ou « The Hans Gruber ») toutes épuisées, il ne vous reste pour trouver votre bonheur que l’édition noir classique, une autre jaune (400ex), une bleue (300ex), une verte (300), une rouille vendue sur la tournée par le groupe (300) et une rouge pour les US (500). Choisis ta couleur en n’oubliant pas que le vinyle de Monolord côte toujours très bien par la suite.

Wucan – Reap The Storm

La (assez) jeune formation originaire de l’artistiquement fort prolifique Dresde se rappelle à notre bon souvenir avec sa troisième production en moins de six ans d’activité. En effet, ce « Reap The Storm » fait suite à un – forcément – premier court et à un premier long format sorti il y a moins de deux piges. Si les rockeurs germaniques qui puisent leur inspiration dans le rock des seventies sont légion, ce quatuor se distingue de ses pairs en développant une personnalité des plus affirmée dans sa démarche créative hors des sentiers battus. Cette approche ainsi que le charisme de la front-pépée ont permis aux Allemands de se retrouver à l’affiche des gros raouts stoner ces dernières années et ils ont à tous les coups trouver leur public (nous avions déjà conseiller aux hippies qui nous suivent de s’intéresser à ce groupe). Si la charmante Francis Tobolsky et sa flûte sont à elles seules une bonne manière de se distinguer du reste de la scène, l’intérêt pour Wucan ne saurait se résumer au minois de cet être hybride entre Janis Joplin et Ian Anderson.

Les teutons pratiquent un krautrock hyper vintage qui tape tantôt dans le jam psychédélique alambiqué (où les plans ésotériques m’échappent quelque peu) tantôt dans le bon vieux hard rock des temps jadis et certains riffs ont carrément la classe du grand Maiden d’antan. En optant pour la langue de Goethe pour certains de ses titres nouveaux et en tapant dans un registre résolument non compatible avec la bande FM et ses déclinaisons virtuelles, Wucan n’emprunte pas forcément le chemin le plus aisé pour capter des auditeurs, mais ils proposent une plaque psyché de grande classe pour qui saura prendre le temps de s’y plonger en ne se contentant pas d’une seule écoute distraite pour accompagner la réalisation de ses nouveaux niveaux de Candy Cruche.

Il faut donc se verser un bon gros verre de sa boisson préférée et envoyer le son au volume qui va bien tout en regardant bien l’intérieur de ses paupières pour déguster convenablement la suite épique de « Sow The Wind » qui se décline en huit titres très homogènes sauf pour ce qui est de leur durée. Les ambiances déployées et la montée en puissance des digressions psychédélique – avec aussi des textes en français siouplé – saura envouter n’importe quel amateur de rock qui fleure bon les années septante. « The Rat Catcher » – qui a été sélectionné comme vidéo pour teaser les fans – ou « I’m Gonna Leave You » pourraient être une manière facile de se faire une idée au sujet de cette pièce en raison de leurs formats assez standard tournant autour des 5 minutes, mais ce serait couillon de ne pas prendre le temps d’aller se perdre dans les deux derniers titres : « Aging Ten Years In Two Seconds » (21 minutes) et « Cosmic Guilt » (18 minutes) qui sont de véritables réussites du genre ne lassant pas malgré leur format colossal !

Un disque pas facile à appréhender qui laissera les plus lourds d’entre vous (et je sais de quoi je cause) septiques, mais qui fera assurément le bonheur des amateurs de sensations d’un autre âge qui hantent les fests stoner avec leurs pattes d’eph, leurs patchs faisant l’apologie de la paix ainsi que de l’amour ou leurs décorations capillaires à la Björn Borg !

Radio Moscow – New Beginnings

Radio Moscow revient après un Magical Dirt excellent sorti en 2014, qui leur a permis de tourner pendant 4 années à travers le monde et de nous offrir un très bon album live au passage. Toujours prêt à distribuer l’un des meilleurs son 70’s/psychédélique/rétro actuel, ce New Beginnings a fort à faire pour reprendre le flambeau.

On savait Parker Griggs adepte des soli généreux et maîtrisés, et force est de constater qu’il était difficile de le cacher tant l’attaque de ce sixième album expose son talent. On part à toute berzingue, guidés par des guitares virtuoses. Une énergie qui rappelle justement leurs prestations live.

Déjà à la sortie du Live in California, il semblai ardu de revenir à leurs productions précédentes car paraissant trop sages ou propres même si nous perdions en justesse. Ici, on prend le meilleur des deux mondes grâce à un enregistrement à l’ancienne, dans une seule pièce, au Lost Ark Studio de San Diego. En ressort un spectre sonore riche des rebonds naturels du son adjoint d’une spatialisation aux petits oignons.

Les deux morceaux instrumentaux « Woodrose Morning » et « New Skin » sont ainsi un régal et peut être les plus belles réussites de l’album. Sans oublier « Dreams », servant de clôture mais surtout d’apothéose avec ses 6 belles minutes.

Toutefois, on peut déplorer la parfois sur-utilisation de leurs gimmicks, tant guitares que voix, dont les résurgences successives « No One Knows Where They’ve Been » et « Last To Know » sont par trop fatigantes. Leur position au milieu de la tracklist est dès lors un réel point noir si l’on souhaite faire une écoute linéaire.

Mais l’avantage avec une discographie de cet acabit, c’est qu’il est possible d’aller y piocher ses préférences. Si la mienne ira encore au quatrième album Brain Cycles, ce New Beginnings est le bienvenu dans ma collection.

Brant Bjork – Europe ’16

La carrière discographique du grand frisé a beau avoir eu des hauts et des bas, qualitativement parlant (ou, soyons plus honnêtes, des albums plus difficiles que d’autres), tout le monde peut convenir que son terrain de jeu est le live. A ce titre, sa production vinylique a généralement été le prétexte à composer quelques pépites pour alimenter des sets live souvent fiévreux. De là à émettre l’hypothèse que ses albums studio existent principalement pour justifier ses tournées, il n’y a qu’un pas. Quoi qu’il en soit, quel constat surprenant finalement qu’un artiste de cet acabit n’ait pas encore dans son escarcelle d’album live ! La chose est réparée par l’entremise de son label Napalm Records avec la sortie de ce Europe ’16 dont le titre laisse peu de place à l’imagination : on va donc trouver sur ce disque des morceaux live enregistrés plus précisément à Berlin en novembre dernier.

Alors, écouter un disque de Brant Bjork en live, ça donne quoi ? Ben à peu près exactement ce qu’on imagine. En gros, on est  posté devant sa paire de haut-parleurs (ou entre deux écouteurs, on vous laisse vous projeter selon votre habitude d’écoute de disques) et on écoute le bonhomme et son Low Desert Punk band (qui n’ont pas les honneurs de la pochette, tiens…), et donc sans voir les volutes de fumée s’élever ici ou là du public, sans voir Dave Dinsmore et son jeu de basse sensationnel, Bubba Dupree et son jeu de scène anémique mais son doigté impeccable, Ryan Güt et ses sourires all brite, ou encore le grand ténébreux et son jeu de jambe improbable occasionnel, cet oscillement au niveau du genou qui est devenu le signe annonciateur sans faille d’une séquence au groove imparable. Donc oui, un set de Brant Bjork sans tout ça, ça fait un peu light.

On essaye de se rabattre sur les deux facteurs clés de réussite d’un live : le son et le choix de la set list. Côté son, c’est net et sans reproche. Propre, mixé sans fantaisie (la stéréo du pauvre : une guitare à gauche / une guitare à droite) mais avec efficacité, ou plutôt une plutôt bonne fidélité au mix habituel live du groupe (avec la basse toujours sous-mixée au goût de votre serviteur). On notera en revanche une mise en avant un peu surprenante des vocaux (on n’y est pas vraiment habitués) et quelques incursions du public un peu surprenante (trois cris de joie et fade out – pourquoi ne pas proposer le concert en intégralité ?).

Côté set list, on est un peu plus circonspect : les deux tiers du disque (8 titres sur 12) sont issus des deux derniers albums de Brant Bjork ! Autant pour les fans old school… Sur ces derniers, les titres sont bien choisis, et quelques interprétations ne sont pas dégueu, même si certaines laissent à désirer (c’est quoi ce plan jam anémique sur la fin de “Biker No.2” ? Et quid de “Dave’s War”, dont le groove jam déroulé sur presque 10 minutes n’est pas forcément meilleur que sur disque, alors qu’on pouvait légitimement espérer un plan impro de belle tenue…).

Au rayon des plutôt bonnes surprises, on notera un bon “Lazy Bones” (pas mal tarabiscotée) qui introduit comme d’habitude un bon “Automatic Fantastic”. “Low Desert Punk” rafle aussi la mise en version pêchue rallongée sur 10 min en impros de bonne tenue. probablement le meilleur titre de la galette, imparable. De même pour ce “Freaks of Nature” opportunément déterré ces dernières années, propice cette fois à une série de soli bien foutus – mais sans magie non plus cette fois. Mais quid de “Too Many Chiefs… Not Enough Indians” ? (que Ryan Güt n’a jamais réussi à transcender en live il est vrai) “73” ? “Hydraulicks” ? Des morceaux qui ont vécu, que le groupe pourrait vraiment transcender.

Bref, on peut se féliciter de voir le principe de l’album live revenir un peu sur le devant de la scène (jeu de mot. Humour.). A ce titre, nul doute que les fans du père Bjork ont déjà fait l’acquisition de la bestiole. Pour les autres, la réflexion est de mise : c’est un bon disque live, le son est très correct et il permet de valoriser la carrière de Brant Bjork. Reste que cette set list très discutable et une interprétation qui n’atteint jamais complètement les sommets rendent l’objet un peu aseptisé. Qui aime beaucoup châtie un peu (ou un truc comme ça…). On attendait vraiment une grosse claque, on a eu un bon album live. C’est déjà ça… ?

With The Dead – Love from With The Dead

A l’instar de Triptykon, que je considère comme le tout meilleur projet musical de cette décennie, With The Dead avait su, avec son premier album, redessiner les contours d’un doom à la fois familier (en mélangeant les propriétés sonores d’Electric Wizard et Cathedral) et novateur (la noirceur et la puissance sonore du rendu définit un standard pour de nombreuses années à venir) pour un résultat d’une qualité indéniable et d’une élégance rare. L’association de vétérans de la chose heavy, Bagshaw/Grenning, la section rythmique originelle du Wizard, et Lee Dorrian, d’entre autres Cathedral, avait alors le pouvoir de transformer le moindre titre en un élixir doom aux incroyables vertus. Hélas, comme trop souvent, l’attitude de Mark Greening, génial batteur par ailleurs, ne lui aura pas permis de pérenniser sa place dans ce projet qu’il avait pourtant initié. Évincé et remplacé par Alex Thomas (ex Bolt Thrower), Greening voit ses anciens compagnons de route continuer l’aventure, With The Dead enregistrant également l’arrivée de Leo Smee (Cathedral, Chrome Hoof) à la basse (Bagshaw passant à la guitare).

Désormais quatuor, With The Dead investit de nouveau les studios Orgone. Ils reprennent ingrédient par ingrédient la recette précédemment brevetée, plongeant 7 nouveaux titres dans leur grosse marmite doom, celle-là même qui en 2015 aura offert au monde des pièces au potentiel d’asservissement auditif imparable, telles que “Living with the dead” ou “I am your virus”. Malheureusement, rien n’est plus ardu à réitérer que le génie et c’est précisément de ça que souffre Love From With The Dead : de la comparaison avec l’insurpassable aîné. Si la recette est suivie à la lettre, le rendu, lui, semble hélas agir à la manière d’un placebo. La faute à un manque de trouvailles peut être ou de riffs marquants qui auraient changé ce disque certes homogène et puissant, en quelque chose de profondément génial. Ce disque à la noirceur et la radicalité prononcée, passe finalement comme un nuage menaçant sans que jamais ne s’abatte sur nous ne serait-ce qu’une averse. Certes « CV1 » et sa fin d’apocalypse technoïde tonne dans le lointain, certes « Cocaine Phantoms » convoque quelques images spectrales dans un tourbillon de metal sombre et froid, mais rien ici ne supporte la comparaison avec le glorieux premier né qui avait tant enchanté notre année 2015. Il ne reste alors que les regrets et l’envie furieuse de se replonger dans cette aventure sonore que propose le premier album de With The Dead, un groupe qui a le défaut de sa qualité : il nous a appris à être très exigeant. Habitués que nous sommes à boire un breuvage aux multiples vertus, la nouvelle potion ici proposée semble malheureusement éventée. Pas étonnant que le charme soit rompu.

 

Point Vinyle :

Rise Above gâte ses acheteurs, même un peu trop. Pour le With The Dead, une première version Die Hard à 100 exemplaires, réservée aux membres du groupe et famille est pressée (Clear). S’en suivent deux autres version Die Hard à 200 exemplaires chacune (black et purple sparkle), puis 4 versions plus classiques : deux pour l’Europe (rosewood et Aztek gold, 1000 chacune) et deux pour les US (solid purple et silver color, respectivement 500 et 300 pressés). Voilà qui fait beaucoup de fioles pour un si peu efficace élixir.

 

Kadavar – Rough Times

Est-il encore besoin de présenter Kadavar ?! Certainement que oui, car une bonne piqûre de rappel fait toujours du bien. Déjà quatre albums pour le trio allemand et autant dire qu’il ne s’est pas reposé sur ses lauriers. Alors que le groupe nous avait largement habitué à voyager dans les années 1970, que ce soit à travers sa musique, son style vestimentaire ou bien encore avec son visuel, il faut l’avouer, Rough Times nous transporte enfin vers une nouvelle époque.

Parlons déjà de la surface sonore de l’album. Dès les premières secondes, certains risquent de se demander si leur système d’écoute est bien réglé. On est face à une sorte d’innovation en ce qui concerne la projection des basses et cela pourrait en surprendre plus d’un. Puis on s’habitue très vite à ce son massif, lourd et croustillant. Kadavar entend nous montrer que la maturité musicale passe aussi par la maîtrise et l’authenticité sonore : défi réussi avec classe. Ensuite, il faut l’avouer, le groupe arrive à nous prouver que parfois, être seulement trois suffit largement pour envoyer du gros son bien baveux et ensorceleur : fuzz et autres ambiances psychédéliques sont au rendez-vous.

Mais pourquoi parler d’un nouveau bond en avant ? Tout simplement parce que les Allemands ont réussi à se renouveler. On commence avec une première partie d’album très surprenante où chaque morceau est lié à un autre tout en ayant sa propre identité. Prenons les deux chansons introductives de cet opus, « Rough Times » et le grandiose « Into The Wormhole » : nous sommes tout de suite plongés dans un nouvel univers mêlant une belle éducation aux sons vintages des années 1970 à la Black Sabbath avec un panoramique instrumental de lourdeur à la Truckfighters ou à la Fu Manchu. On croirait presque à une invasion de musique instrumentale à la Hans Zimmer synthétisée en un parfum Stoner, voire Doom à quelques occasions. Écoutez « Skeleton Blues »,  vous aurez presque envie de ressortir votre skate-board et vous la jouer Seigneurs de Dogtown : quel délice d’ingéniosité rythmique ce titre ! Puis on se laisse porter par des morceaux ovnis comme la charmante et sensuelle « Vampires » qui nous offre une diversité d’ambiances et de groove en moins de 5 minutes avec sa guitare légère et son clavier envoutant.

Kadavar ne rejette pas pour autant sa marque de fabrique vintage. Puisque vous aurez toujours le droit à des titres plus classiques mais avec du charme tels que « Die Baby Die », « Words Of Evil » ou bien encore la puissante en entêtante « Tribulation Nation ». Enfin, vous découvrirez des contrées musicales véritablement soignées et rafraichissantes avec ce final d’album se résumant en trois titres : « The Lost Child », « You Found The Best in Me » et la très française et ravissante « L’Ombre Du Temps ». Ici, il sera question d’emmener l’auditeur dans un nouveau monde jamais exploré, et, on s’y acclimate plutôt bien.

Rough Times a donc tout ce qu’il faut pour devenir culte : laissons le temps nous donner raison. Ce qui est évident, c’est que le quatrième opus de Kadavar est une pièce maîtresse à leur discographie, certainement leur meilleur album.

Ufomammut – 8

Ufomammut revient avec sous le bras rien moins que leur huitième opus, très judicieusement nommé « 8 ». Oui pour l’originalité on repassera (et ne me lancez pas sur la symbolique ras-des-pâquerettes de ce supposé signe « infini »…). La curiosité est entière avant d’enfourner ce disque : le trio transalpin n’a plus à démontrer ses compétences de songwriting, étalées avec magnificence et arrogance tout au long de Eve, et plus encore le bipède Oro. Avec son dernier album Ecate, comme aculé dans les cordes, il avait joué la carte de l’efficacité absolue, froide et brute, l’album faisant encore aujourd’hui, plus de deux ans après, l’impression de se retrouver dans un laminoir lancinant, une machine à broyer industrielle sans pitié. Difficile d’imaginer le groupe pousser plus loin sa musique dans cette voie. Obligés de se renouveler, encore ?…

Après plusieurs dizaines d’écoutes, force est de répondre par l’affirmative. Toujours aussi hermétique, la musique du groupe ne permet pas de se faire un avis très tranché dès les premières écoutes : il faut défricher, éviter les rafales d’obus, écouter encore, encaisser les coups de massue, appuyer sur « repeat », se relever des passages de rouleau compresseur, et repartir au front, encore et encore, pour mériter le Saint Graal. Ce n’est qu’au prix de ces itérations que se dessinent les traits saillants des nouvelles compositions du groupe, et surtout les finesses de sa production. Car la clé de ce « 8 » est double, et s’articule autour d’un songwriting redoutable et d’une production soignée.

Un trouble apparaît cependant dès l’écoute de « Babel », morceau introductif : on sait comme Ufomammut crée habituellement un lien entre ses albums, le premier titre de chacun de ses disques étant supposé faire écho au dernier morceau du précédent. Or là, même si le groupe confirme l’existence de ce lien, il est difficile à son écoute de rattacher ce titre inspiré de la célèbre séquence biblique au « Daemons » qui clôturait Ecate. Ce dernier, en quintessence de l’album, poussait dans ses retranchements cette volonté d’efficacité primale, simpliste et brutale. Or « Babel » est complexe, multiple, transpercé de nappes de claviers space et de chant presque clair (!!), s’appuyant sur une paire de riffs protéiformes tels que le groupe sait les façonner et les animer au fil d’un titre de plus de huit minutes, faisant évoluer sa rythmique en cours de route (quel formidable frappeur que ce Vita)… subtil ? N’exagérons pas. Quoi que… « Warsheep » confirme cette tendance, avec notamment un dernier tiers porté par une dynamique et une rythmique auxquelles le groupe nous a peu habitué. « Zodiac » qui embraye sans coupure pousse encore le bouchon plus loin. On entend des plans que ne renierait pas Mastodon, voire même par moments… Tool ! Trop tard, c’est dit. Car oui, Ufomammut est revenu à des tendances clairement plus organiques, et une production plus riche, le tout étayant des structures toujours aussi complexes, limite progressives. Alors qu’il poussait ses riffs et ses rythmiques jusqu’à l’étouffement sur Ecate, le groupe passe ici perpétuellement d’une séquence à l’autre, provoquant l’impression d’être sans arrêt déstabilisé, mais toujours intéressé et stimulé.

Bon, que les fans se rassurent néanmoins : le trio n’a pas complètement changé de braquet et sa musique est toujours reconnaissable entre mille. Rythmiques marteau-piqueur et riffs massue s’entendent dans une joyeuse atmosphère de doom industriel bien bourrin. Vous lardez tout ça de rares lignes vocales, de basse et guitare ultra-saturées, vous saupoudrez de quelques claviers et samples bien sentis, et vous vous sentirez en territoire finalement bien connu. Mais force est de reconnaître que  tout en recyclant des éléments déjà maîtrisés, le groupe vise juste et propose, finalement, de l’inédit, à l’image de ce « Psyrcle » qui vient clore l’album de toute sa majesté : lancé sur une séquence typique (un riff asséné sur une rythmique lancinante sur plusieurs minutes), le titre est transpercé en son milieu d’une fulgurance guitariste fuzzée, puis retombe sur ses pattes pour finir sur une conclusion riche en émotion, aidé en cela par des samples qui rappelleront les grandes heures du Hans Zimmer de « The Thin Red Line ».

Il est bien difficile de se sortir de cet album riche et addictif. Ses 45 minutes en paraissent au moins le double tant l’album foisonne de plans variés, de sonorités, d’idées… Ufomammut ne trahit pas son ADN, capitalise sur ses points forts, et pour autant, sans se réinventer complètement, propose avec 8 une synthèse parfaite de son parcours. Il ne s’agit peut-être pas de son album le plus audacieux, ni le plus surprenant (ceux qui ont vu le groupe en live ces derniers temps avaient pu prendre la mesure de leur puissance : les italiens en avaient encore sous la pédale, c’était une évidence) ; pour autant, 8 se pose comme œuvre totale, synthèse et point culminant d’un genre musical dont eux seuls détiennent la recette. Et déjà, on attend de voir ce qu’ils nous réserveront la prochaine fois… mais en attendant, on appuie encore une fois sur « repeat ».

Motorpsycho – The Tower

Les sorties du trio norvégien culte sont trop souvent passées sous nos radars. Faute à une distribution de disques souvent famélique, une promo inexistante, certains des symptômes d’un groupe dont la notoriété s’est construite en direct auprès de son public, album après album, ainsi que sur scène. Fortement honorable en soi. Pourtant le groupe ne peut pas être taxé de laxisme : après plus de 25 ans de carrière, le groupe a enregistré une vingtaine d’albums, une dizaine d’EP, et plein de singles, featurings, etc… Une carrière faste, riche, et très variée. Bon, y’a forcément une embrouille – pour être aussi productifs, ils doivent bâcler l’affaire et se répéter… Et là, boum ! Rien que pour nous faire mentir, les bougres nous pondent rien moins qu’un double album, presque 1h30, cash, et justement super diversifié et très différent du précédent…

On ne donnait pourtant pas cher de leur peau quand Kenneth Kapstad, leur batteur, les a quittés en juin 2016 après dix ans de bons et loyaux services. Hans Magnus Ryan et Bent Sæther, seuls restants, ont mis quelques mois à recruter son remplaçant, Tomas Järmyr, mais n’ont pas tardé à le mettre dans le bain, avec un nouveau disque ! Et pour ça, les scandinaves ont choisi la Californie – Los Angeles et le Rancho de la Luna. On a connu pire bizuthage.

Toutes ces infos dans un coin de la tête, on écoute l’album avec une oreille curieuse. Et on l’écoute encore. Et encore…Le premier constat se fait jour : difficile d’en faire émerger une tendance, un positionnement dans la carrière du groupe. le plus marquant est le tour plus “enjoué” pris par le disque au regard de son prédécesseur, le pourtant excellent Here be Monsters. Ce dernier était plus sérieux, plus intimiste aussi. The Tower n’est pas tant son contraire qu’une autre vision du groupe. En tout cas pas une suite logique, c’est assez intéressant à noter !

Plusieurs facettes sont explorées par le groupe, à l’image de “A.S.F.E.”, dont l’intro avec son riff fuzzé rappelle “Paranoid” par le grand Sab’, et qui se termine en rappelant l’aspect groovy lancinant répétitif krautrock perfectionné par des groupes comme Ecstatic Vision. Les atours plus prog et psyche typiques du groupe se font jour progressivement sur la suite du disque, comme sur “Intrepid Explorer” qui, même s’il commence comme un morceau folk un peu mou du genou, se transforme vite en jam grandiloquent avec des plans presque orientaux et des arrangements de cordes du meilleur effet. “Stardust” un peu plus tard fait baisser la pression, il reste pop folk mielleux tout du long, catchy, certes, et pas désagréable mais… bof quoi. “The Maypole” plus loin, dans la même veine, est plus réussi. En tout cas, ça contraste avec « In every dream home (there’s a dream of something else) », lancé par un gros riff et porté par un son de guitare(s) très fuzzé, mais qui se transforme en bluette folk très 60’s sur la fin, avec même des plans de flute !

Les choses deviennent plus sérieuses sur la fin “A Pacific Sonata”, titre de quinze minutes, porte bien son nom : le titre est lent, il commence en électro-acoustique avec un chant haut placé (sur des envolées, en harmonie), puis au milieu accueille des soli très blues (aux sonorités presque Gary Moore-iennes). Puis coup d’accélérateur, la rythmique part en vrille et devient carrément prog, avec plein de couches instrumentales et samples divers. Heureusement “The Cuckoo” remet au goût du jour des grattes plus électriques, mais cale quand même des breaks venus de nulle part, et finit sur des plans très prog (harmonies guitare/chant, segments acoustiques, piano et guitare…), encore. Le dernier morceau “Ship of Fools” (un petit quart d’heure lui aussi, hein…) commence léger avec (encore) force plans prog, puis se métamorphose tout en accélérant le rythme, et en calant des plans bariolés, arrangements WTF et chaos auditif à la clé, avant de se reprendre un peu sur la fin. Un vrai bordel organisé. Clap de fin.

Et bien finalement, l’album est à l’image de ces quelques exemples : riche, varié, baroque donc, jamais très loin des pans les plus progressifs de sa musique, il apporte une vision kaleidoscopique de la carrière de Motorpsycho : il se penche subtilement sur son passé (pour mieux se reposer sur ses compétences connues et reconnues) et donne quelques indices sur de nouveaux territoires possibles à explorer. Un disque audacieux, qui explose d’idées, super créatif, très contrasté. Trop ? Pas vraiment si on a l’esprit ouvert, et si l’on est fan du groupe (et donc un peu habitué…) – ces deux statuts étant souvent liés, soit dit en passant. The Tower se pose donc en (très) bon disque dans la carrière du groupe, qui nous laisse entrevoir encore de probable nombreuses années de carrière pour ce discret mais finalement très actif trio.

Bathsheba – Servus

Qui a dit que la Belgique ne savait pas « doomer » ?! Il y a quelques mois, sortait le premier album de Bathsheba : Servus. Sorti chez Svart Records, la mère de Salomon (un petit tour dans le Livre des Rois et tout sera limpide) nous avait déjà concocté une première démo en 2014 (MMXIV) ainsi qu’un EP en 2015 (The Sleepless Gods). Maintenant, il est temps de prendre les choses en main avec six titres à la clef.

Ici, on est plongé dans une atmosphère clairement sombre, mystique et envoutante. Il suffit d’aller jeter une oreille et un œil (ou deux pour les plus chanceux) sur les deux clips-vidéo promotionnels : « Demon 13 » et « Ain Soph ». Deux titres très bien choisis puisqu’ils nous livrent la ligne directrice de l’album : un couple instrumental guitare-basse liant gros riffs et mélodies percutantes, le tout orchestré par une batterie simple mais efficace dans sa rythmique démoniaque. Et le titre éponyme « The Sleepless Gods » parle de lui-même en annonçant une double couleur musicale passant d’un rythme planant à une succession d’accélérations. C’est dans ce décor Doom-Metal que Michelle Nocon, chanteuse du groupe, peut s’exprimer à travers différents registres : voix mélo-dramatique possédée par des phases criées, hurlées voire aériennes.

Mais ces quarante-cinq minutes hypnotiques ne reposent pas seulement sur un registre Doom. Il faut reconnaitre la fibre Stoner et Sludge qui surgissent sur certains titres tels que « Ain Sophie », jouant d’originalité avec du saxophone, ou sur la chanson finale et ravageuse qu’est « At The End of Everything ». Cette volonté artistique empêche la répétition en offrant des changements de rythmiques et d’ambiances. Ensuite, côté ambiance, les pistes comme « Manifest » ou « Conjuration of Fire » s’insèrent dans un étonnant réquisitoire de lenteur et de mysticité démoniaque. Et bien que ces morceaux prennent le temps de vivre (entre 6 et 10 minutes par titre), tout passe très vite et on ne se lasse jamais. Il est même souhaitable de revenir sur l’album à plusieurs reprises : le temps de le digérer, de s’en emparer et d’être finalement envoûté.

Servus pourrait donc se résumer ainsi : un univers occulte et ensorceleur d’une musique lourde et planante. Un formidable voyage de riffs envoûtants et d’une voix magnifique.

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