Le duo allemand est revenu aux affaires ces derniers jours, par le truchement d’un album de reprises de… grunge ?? Grungetown Hooligans II nous a pris par surprise dans tous les sens du terme : déjà parce qu’on n’imaginait pas le groupe revenir avec un disque si vite, et ensuite parce qu’on n’imaginait pas ces gros bourrins avoir une telle affection pour ce genre musical moribond… On avait plein de questions, on a voulu taper la discut’ avec Hanno (guitariste-hurleur du combo), qui avait, lui, plein de réponses… On était faits pour s’entendre ! Sachant que le bonhomme, intègre et authentique, n’a jamais eu la langue dans sa poche, on s’est pas ennuyé…
Quand et pourquoi avez-vous décidé de faire un album de reprises ?
Hanno : Après trois albums studio, un disque live et un EP en seulement cinq ans, il était temps de nous faire plaisir. Les dernières années sont passées à 100 à l’heure : on a été occupés à faire des disques et enchaîner les tournées, plus ou moins partout dans le monde, sans lever le nez du guidon… Sans trop qu’on y fasse attention, l’idée absurde d’être un “groupe professionnel” est étonnamment devenue réalité. Un voyage incroyable, jamais on n’aurait pu imaginer cela au moment de Death By Burning en 2014. Néanmoins, après cinq ans où le groupe est devenu étonnamment un «job», on a ressenti le besoin de prendre du recul et de nous interroger sur ce qui nous ferait plaisir comme prochaine étape. Trouver un exutoire fun, un truc sans prise de tête et sans conséquence ni objectif trop ambitieux. L’idée d’un album de reprises est arrivée comme ça. Cependant, il était également clair dès le début que personne n’avait besoin d’une énième reprise sans saveur de Slayer, Sabbath ou Black Flag. En tout cas nous, on n’en avait pas besoin.
Vos influences principales ne sont pas à chercher de ce côté-là ?
On nous demande souvent en interview quelles sont nos origines musicales, nos influences, ce qui a façonné notre son… et les journalistes ou même nos fans sont toujours surpris de nos réponses, car on nous classe toujours dans la scène «métal»… Alors que nous ne nous en sommes jamais véritablement revendiqués. Mais c’est très bien que les choses se soient présenté ainsi, car le public metal, les personnes qui continuent à acheter des disques, les magazines et les festivals ont accueilli le groupe à bras ouverts. Cela n’aurait pas pu se présenter mieux. La fidélité des fans est toujours aussi incroyable et le groupe ne serait définitivement pas là où il est aujourd’hui. Bref, on revient à ça : MANTAR est certes lourd (“heavy”), mais «heavy metal»? Probablement pas, en fait…
Mais d’où viennent ces racines grunge pour Mantar ?
Erinc et moi nous sommes rencontrés autour de la musique, nous avons socialisé par ce biais, à travers des lieux et contextes complètement différents dans les années 1990. Le “Grunge” était un gros truc au début des années 90 et plus on se penchait sur ce qui se faisait derrière cette étiquette, plus on trouvait de trésors. Erinc était déjà un adolescent à la grande époque de tout ça et plus tard il m’a initié à toute cette musique qui l’a influencé, et donc c’est aussi devenu très important pour moi. Tu comprendras qu’Erinc a 7 ans de plus que moi, alors il a joué un grand rôle pour moi à l’adolescence, en me faisant découvrir de nouvelles musiques. Il m’a beaucoup influencé. Quand j’ai découvert le grunge, il n’y avait RIEN d’autre autour de ça pour moi ! Haha.
Quels ont été vos critères lorsque vous avez choisi les chansons pour l’album ? Vous en aviez déjà testé certaines que vous jouiez en répétitions ou autres avant ?
Non, on n’avait jamais joué aucune des chansons de l’album auparavant. Nous ne faisons généralement jamais de reprises. Trop compliqué… J’ai déjà du mal à me souvenir de mes propres morceaux ! Hahaha ! Nous avons simplement fait une liste de chansons que nous aimions et on en a essayé quelques-unes. Certaines ont bien fonctionné, d’autres non. Nous nous sommes donc retrouvés avec la sélection que l’on retrouve sur l’album. Et je suis super satisfait de ce mix !
En se replongeant dans les originaux des titres que vous avez sélectionné, on est frappé de voir que l’on pouvait considérer comme “grunge” à l’époque des choses musicalement très différentes entre elles…
Mais oui, absolument… C’est juste un mot tu sais. Tout aussi inutile que “Punk”, “Heavy Metal” et autres. Pour moi, “Grunge” définit un certain temps et une certaine approche de la musique “punk”. Quand je pense au “Grunge”, je le fais surtout de façon nostalgique. Cela me rappelle les années 90, être un enfant / adolescent et écouter ce genre de musique pour la première fois. Une grande partie de la musique intitulée “Grunge” est horrible en fait ! Surtout les trucs grand public. Je n’ai jamais compris, par exemple, comment quelqu’un pouvait être fan de Pearl Jam et autres. Pour moi, cela a toujours été un parfait exemple de musique “rock” ennuyeuse…
Est-ce la raison pour laquelle on ne retrouve pas sur ce disque les groupes les plus emblématiques du genre à l’époque ? Nirvana, Alice in Chains, Mudhoney, Stone Temple Pilots, Screaming Trees, Tad, etc…
Personnellement je ne considère pas Tad comme appartenant à la même catégorie : pour moi ils sont bien, bien plus underground et sales… Mais globalement, pour les autres, c’est juste que ces groupes n’ont jamais rien signifié pour nous. Ne te méprends pas, nous aimons tous les deux Nirvana, mais faire un album de reprises a toujours quelque chose à voir avec un esprit de découverte, je pense. Donc oui, nous savions que nous ne ferions pas de reprise de Nirvana car notre objectif était plutôt de montrer des groupes plutôt méconnus dans la scène metal, en particulier à nos jeunes fans car ils n’ont peut-être pas eu la chance de découvrir tous ces groupes auparavant. Et cela pourrait également servir d’éducation à vos lecteurs pour en apprendre davantage et avoir envie de découvrir de nouveaux groupes qui pourraient valoir la peine d’être écoutés.
Du coup allons-y directement : que conseillerais-tu à nos lecteurs d’écouter dans cet esprit, les albums de référence qui donnent envie d’en écouter d’autres ?
Absolument, pour moi, cela a toujours été l’un des objectifs des albums de reprise que de donner envie aux gens d’aller en écouter plus… Du coup je conseillerai à vos lecteurs de commencer par Nirvana avec Bleach. Ensuite essayez Melvins, avec Stoner Witch ou The Great Houdini. Puis Mudhoney avec Superfuzz Bigmuff et L7 avec Hungry For Stink.
Puisque tu en parles, j’ai été particulièrement surpris que vous ayez choisi rien moins que deux chansons de L7, et plus généralement autant de chansons de groupes féminins. Est-ce le fruit du hasard ou bien était-ce l’opportunité d’une sorte de “message” ? Parce qu’en y réfléchissant un peu, on ne peut pas vraiment dire qu’il y ait de nos jours beaucoup de groupes emmenés par des femmes avec une attitude comme ces groupes, malheureusement, si ?
Exactement, je suis complètement d’accord ! Nous avons fait deux chansons de L7 juste parce que nous aimons tous les deux ce groupe. Quand Erinc me les a fait découvrir dans les années 90, Hungry For Stink[ndlr : l’album le plus célèbre du groupe, sorti durant les années fastes du grunge] n’a pas quitté mon lecteur de cassettes pendant au moins un an. Quel album incroyable ! Wow… En revanche, nous n’avons pas choisi les reprises pour appuyer tel ou tel message, non. Nous l’avons fait pour présenter la musique que nous aimons et avec laquelle nous avons grandi. Nous n’avons pas particulièrement choisi de groupes féminins dans le simple objectif de présenter des «groupes féminins» ou leur musique. Nous voulions juste montrer quels groupes nous aimons, et il se trouve que beaucoup d’entre eux étaient des groupes féminins. Aussi simple que cela. Ce qui est absolument normal pour moi et devrait l’être aussi pour tout le monde. Nous avons choisi les groupes parce que nous aimions leurs chansons. Même si, bien sûr, nous soutenons totalement les femmes dans la musique, tout cet album repose sur la MUSIQUE en premier lieu.
Jusqu’où avez-vous voulu mettre votre “patte” sur ces chansons ? Vous êtes-vous autorisé toutes les adaptations ou avez-vous préféré leur rester fidèle ?
Personnellement, je pense qu’ils sonnent assez différemment des originaux. Prends “100%” par exemple [ndlr : de Sonic Youth] ou “Knot” [ndlr : de 7 Year Bitch] : nous avons laissé de côté des parties entières et fait une chanson de black metal / d-beat typique de Mantar. Nous ne voulions pas simplement “jouer” les chansons d’autres groupes :on voulait en donner notre propre interprétation. Sinon, l’idée d’un disque de reprises n’a aucun sens pour moi… En revanche, c’est très difficile de trouver le juste équilibre entre traiter la chanson originale avec respect et conserver les moments spéciaux de l’original, le tout en le faisant à notre manière.
L’album est sorti sur votre propre label. Pourquoi cette démarche, alors que vous avez sorti vos disques précédents sur un gros label, Nuclear Blast ?
Je précise que tout va bien avec Nuclear Blast ! Nous avons respecté nos engagements contractuels, et nous avons pensé qu’il était plus logique et naturel de sortir un modeste album de reprises en mode DIY autant que possible. Nous avons une solide expérience punk et DIY, donc nous avons toujours voulu essayer cela. Cela a bien fonctionné.
Du coup est-ce que cette expérience vous sert de tests pour d’éventuelles futures sorties ?
Ouais, c’était une sorte de test, bien sûr. Et ça s’est bien passé. Mais il est également tout à fait possible que nous signions à nouveau avec un autre label pour le prochain album. Un label, c’est des tonnes de travail, je ne suis pas sûr qu’on puisse le faire seuls à grande échelle… Nous verrons.
Vous vivez sur différents continents Erinc et toi [ndlr : Hanno vit en Floride, Erinc dans le Nord de l’Allemagne]. Comment parvenez-vous à répéter et à jouer ensemble dans cette configuration ?
Eh bien, c’est moi qui écris la musique. Je peux faire ça n’importe où. Lorsque nous voulons enregistrer un nouvel album, on se retrouve soit en Allemagne soit aux États-Unis et on bosse sur mes idées pour les transformer en chansons. Quand nous avons une tournée à venir, selon l’endroit où elle se trouve, on se retrouve quelques jours avant, soit en Europe soit en Floride, pour répéter un peu. On ne fait pas beaucoup de répètes. En revanche nous avons énormément répété durant les premières années du groupe, et je pense que nous en tirons encore les bénéfices aujourd’hui.
Le COVID-19 a mis un coup d’arrêt à vos perspectives de tournées à court et moyen terme. Pourquoi n’envisagez-vous pas de proposer comme certains groupes le font des séances en streaming, en substitution des concerts, à défaut ?
Hors de question ! Ce ne serait pas pareil. Tu le sais autant que moi… On ne fait rien à moitié.
Plus anecdotiquement, on voulait revenir sur votre dernier concert en France, à Paris : a priori du fait de problèmes de voix tu n’as pas pu assurer le chant et plusieurs chanteurs invités sont venus sur scène pour vous aider. Que s’est-il réellement passé et comment t’es-tu senti ?
Je me sentais merdique, voilà comment je me sentais… J’ai été très malade pendant cette tournée. Et j’étais triste et déprimé de ne pas pouvoir me donner à 100% comme d’habitude. C’était vraiment très frustrant. Mais quand tu tombes malade, tu n’as pas beaucoup d’alternatives malheureusement… Mais je peux t’annoncer que nous serons de retour en France et à Paris à l’automne 2021. Nous sommes en train de planifier les concerts en ce moment même.
Pour finir, peux-tu nous donner une idée dans ce contexte un peu particulier de ce que seront les prochains mois pour Mantar ? Ecrire des chansons, préparer les prochains concerts ou simplement boire des bières sur la plage ?
Hahaha ! Franchement pas ! Crois-moi, on est TOUJOURS en train de travailler sur quelque chose. La sortie de cet album a représenté des montagnes de travail, qui reposait seulement sur Erinc et moi. Nous avons dû re-planifier beaucoup de choses car nous avons bien sûr également souffert de gros problèmes financiers avec toutes les tournées annulées, etc… C’est très cher et nous avons perdu beaucoup d’argent que nous avions dû avancer, pour les visas, les vols et toute la merde autour. Mais ça ne fait rien. Nous allons aller de l’avant et surmonter ça tu peux me croire. Et sinon en plus de ce travail, je compose pas mal bien sûr. Je le fais tout le temps. Malheureusement, les concerts devront attendre en revanche, je ne sais pas jusqu’à quand.
Un nouvel album, Life Metal, puissant et redoutable, une tournée venue de nulle part (8 dates en France !)… Côté actu, c’est du costaud. On ne pouvait pas rater l’occasion d’aller discuter avec l’un des leaders de l’hydre à deux-têtes du drone, Sunn O))), Greg Anderson, par ailleurs co-dirigeant du label Southern Lord et guitariste d’une multitude d’autres groupes (parmi lesquels Goatsnake, Thorr’s Hammer, Teeth of Lions Rule the Divine, etc…). Le musicien se révèle un interlocuteur affable et passionné, ce qui nous permet de lever le voile sur ce groupe réputé secret, voire mystique…
Bonjour Greg, pour commencer, peux-tu nous dire comment se passe cette tournée ?
La tournée a été super jusqu’ici [ndlr : interview réalisée juste avant leur dernier concert de la tournée], le line up est cool, tout va bien. On est en train de se dire après cette série de concerts que ça commence à sonner super… sauf que la tournée s’arrête ce soir ! Hahaha !
Comment en êtes-vous arrivés à effectuer huit concerts en France ?!
Stephen O-Malley [ndlr : son partenaire au sein du groupe] vit à Paris comme tu le sais, et depuis quelques années il s’est construit un petit réseau de contacts dans le pays. En parallèle des villes “logiques”, il y avait un réel intérêt de la part de quelques villes plus petites, hors des circuits de tournées traditionnels, où peu de concerts rock sont organisés. En tous les cas, des villes où nous n’avons jamais joué, donc c’est une super opportunité.
Vos concerts relèvent autant de l’expérience sonique et physique que du rituel parfois. A ce titre ils mobilisent non seulement un dispositif sonore surdimensionné et un cérémonial spécifique, autant d’éléments qu’il est impossible de reproduire par tout un chacun chez soi. Comment appréhendez-vous ces deux facettes du groupe ?
En fait je pense que si l’on remonte loin dans l’histoire de la musique, les groupes avaient vraiment deux “facettes” : une pour les enregistrements et l’autre pour le live. Ces deux aspects sont très différents, car comme tu l’as dit, on ne peut pas répliquer l’expérience live sur une chaîne Hi-Fi à la maison. Très tôt, on a vu ça comme une opportunité intéressante d’explorer des choses différentes, avec une approche différente. Comme tu l’imagines, pour nos enregistrements nous avons un dispositif différent, et globalement une autre façon d’appréhender la musique du live. Je pense que la plupart de nos albums contiennent des séquences musicales, des thèmes, des idées que nous avons souvent déjà jouées live – et vice versa, nous tentons de jouer live des plans que nous avons posé sur disques.
Vous organisez à Paris et Londres des séances d’écoute en avant-première de l’album dans des conditions particulières… Est-ce que vous cherchez à tendre vers une sorte de vision hybride qui rassemble ces deux facettes ?
Ces sessions seront spéciales, et un peu différentes l’une de l’autre, je ne me souviens plus précisément des specs précises de chaque. Évidemment l’idée est de jouer l’album avec un dispositif sonore similaire à celui d’un concert, mais surtout dans une salle qui tente d’isoler de toute distraction. On a déjà eu des initiatives dans ce sens il y a quelques années, par exemple pour Monoliths & Dimensions, où nous avions invité des journalistes à écouter l’album dans un véritable studio d’enregistrement, à New York et aussi en Europe. C’est un bon moyen de digérer l’album, sans sollicitation externe. L’une de ces sessions, je crois que c’est à Londres, proposera un dispositif appelé “pitch black session” et les gens devront porter des masques opaques sur les yeux si j’ai bien compris ! Et on leur mettra à disposition des fauteuils confortables, pour se relaxer, tu vois le genre! Hahaha ! Je trouve ça cool de faire ça !
Toi-même, comment recommanderais-tu aux gens, chez eux, d’écouter votre musique ?
Oh tu sais, moi j’écoute beaucoup avec mes petits écouteurs intra-auriculaires ou un casque normal, quand je veux vraiment écouter attentivement. Mais globalement, la meilleure méthode pour moi dépend de ce qui est le plus pratique, tout simplement. J’habite à Los Angeles, donc évidemment j’écoute beaucoup de musique dans ma voiture. Et à la maison j’ai mes enfants, donc écouter ma musique à plein volume n’est pas vraiment recommandé ! Hahaha ! Sans parler des distractions… J’en écoute aussi pas mal au bureau bien sûr, mais pas toujours attentivement car je bosse en même temps. En tous les cas, on ne veut pas être trop dogmatiques et “imposer” aux gens une seule bonne manière d’écouter nos disques. J’ai un peu évolué sur ce sujet [sourire]… J’espère juste que les gens auront l’opportunité de l’écouter chez eux, sans distraction – ce qui pour certains d’entre nous est de plus en plus difficile, il y a tant de sollicitations…
Est-ce que vous avez néanmoins essayé de vous rapprocher de votre démarche live sur ce disque ?
Pour tout te dire, pour la première fois de toute notre carrière, j’ai le sentiment que le nouvel album, Life Metal, est une meilleure représentation du son du groupe tel qu’il est en live. Il sonne plus vivant, ce qui est peut-être lié au fait que nous l’avons enregistré en configuration live : nous avions installé tous nos amplis, nous étions placés comme nous les sommes sur scène… Nous voulions vraiment capturer cette atmosphère et cette alchimie que l’on peut ressentir entre les musiciens lorsque nous sommes sur scène. Steve Albini [ndlr : chez qui le groupe a enregistré l’album] était un choix parfait pour cela, il maîtrise parfaitement l’enregistrement des groupes et sait retranscrire la façon dont ils sonnent en live. Tous les groupes qu’il a enregistrés sonnent comme si l’on se trouve dans la même salle qu’eux au moment où ils jouent…
J’imagine que c’est la raison pour laquelle vous l’avez choisi…
Ouais. On a beaucoup de respect pour lui, pour son travail derrière la console bien sûr, mais aussi pour ses propres groupes, dans lesquels il joue : Big Black, Rapeman, Shellac… Ils font partie de nos groupes préférés. On a été attirés par son approche et pas seulement par sa technique. La plupart de nos derniers albums ont été enregistrés avec les mêmes personnes, ingénieurs du son ou producteurs, en particulier Randall Dunn qui est génial. Mais on voulait changer les choses, explorer… C’est la première fois que l’on travaillait avec lui dans ce contexte. Stephen et moi avons déjà été dans d’autres groupes qui ont enregistré avec lui dans le passé dans les années 90, comme Engine Kid, par exemple : dans les années 90, on avait enregistré chez lui, dans son propre sous-sol, avant qu’il n’installe un vrai studio… Burning Witch, avec Stephen, a aussi enregistré avec Steve Albini, mais je ne faisais pas partie du groupe à ce moment-là. Mais en ce qui concerne Sunn O))), c’est bien la première fois.
Peux-tu nous expliquer le titre de cet album ? On pourrait le croire issu de la discographie de groupes comme Manowar…
Hahaha, excellent ! En réalité, l’origine du terme “Life Metal” pour nous est à rattachée aux origines du Black Metal, c’est un terme employé pour qualifier tout ce qui ne mériterait pas d’être catégorisé comme “black metal”. La première fois que j’en ai entendu parler était plus cocasse : on était à une fête, et Nicke Andersson, qui a joué au sein de Entombed ou Nihilist, me racontait que dans les années 90, alors qu’Entombed venait de signer avec la major Columbia, ils recevaient des menaces de mort ou des appels téléphoniques anonymes de la part d’anciennes connaissances de la scène black metal, qui lui disaient qu’il ne pouvait plus se réclamer du black metal désormais, et qu’il était devenu du “life metal” ! Hahaha ! On trouvait que c’était le truc le plus ridicule et en même temps le plus drôle du monde… Au sein de Sunn O))) c’est donc devenu avec les années une sorte de private joke : dès lors que quelque chose de positif arrivait à l’un d’entre nous, ça devenait du “Life Metal”, pour tout et n’importe quoi, genre : “félicitations”, “bravo pour ton régime”, “tu t’es bien remis de ta maladie”, ou “super ta nouvelle guitare” ! Hahaha ! Donc c’est devenu synonyme pour nous de quelque chose de positif dans la vie de quelqu’un. Quant au fait d’utiliser ce terme pour l’album, quand Stephen et moi nous sommes retrouvés pour écrire ce disque, au début de 2018, il est arrivé de Paris et on a joué pour voir un petit peu les idées qui pouvaient en sortir, vers quel type de musique l’album tendrait… Et très vite j’ai trouvé que la musique qui en sortait relevait d’un ton différent, quelque chose de plus “joyeux” qu’à l’habitude. Les aspects les plus sombres semblaient moins présents, j’avais au contraire un ressenti de quelque chose de très lumineux, presque aveuglant. On a aussi fait des choix différents en termes de tonalité, on a essayé des amplis différents ici ou là, on tentait des sons moins lourds…
Vous le sentiez dès les premières étapes de la pré-production ?
Absolument, pendant la préparation. De même on a essayé pas mal de pédales d’effets… On est devenus quasiment obsédés par la tonalité qu’on cherchait. Et on a amené un peu de cette approche dans le cadre de l’enregistrement. Bien évidemment on est arrivés avec nos démos et ce qu’on avait déjà écrit sous le bras, mais en plus on a amené quelques pédales d’effets, quelques vieux amplis Fender… On voulait vraiment apporter une texture ou une couleur différente au son de cet album. Et donc, pour revenir à ta question, on a commencé l’enregistrement sans avoir vraiment de titre en tête pour l’album, et ce n’est qu’à peu près au milieu de l’enregistrement, tandis que l’ambiance et tout ce qui se dégageait de l’album apparaissait déjà comme bien différent de ce que nous avions connu, Stephen a émis l’idée de l’appeler “Life Metal”. J’ai trouvé l’idée super car je pense que si l’album a pris cette tournure c’est aussi parce que pas mal de choses très positives nous sont arrivées à Stephen et moi-même. Si tu compares par rapport à ce qui émanait de “Black One” par exemple, ou une bonne part de “Monoliths & Dimensions”, nos vies ont changé depuis. J’ai eu des enfants, ça m’a apporté un point de vue différent sur les choses, et Stephen aussi est heureux, sa vie à Paris le comble, tout comme sa foisonnante carrière solo, sa vie privée… On voulait donc un titre qui retranscrivait au mieux cette tendance – et ce fut donc logiquement “Life Metal”.
L’artwork que vous avez choisi retranscrit aussi cette tendance plus “positive”… C’est pour cette raison que vous l’avez choisi ?
Oui, la peinture aussi ! Si tu y réfléchis, Sunn O))) n’a jamais eu recours à beaucoup de couleurs pour ses pochettes d’album ! Haha. Beaucoup de noir, de gris, de blanc… Un jour Stephen m’a montré quelques peintures par cette peintre [ndlr : Samantha Keely Smith] et j’ai été immédiatement épaté, j’ai trouvé son travail incroyable. Et comme tu le dis, je trouve que ça complète parfaitement la musique, c’est très coloré, et surtout très puissant.
Cette orientation vers une musique moins “obscure” n’est pas forcément ce que l’on imaginait de prime abord de la part de Sunn O)))… Votre approche a-t-elle évolué avec les années ?
Pas fondamentalement, non. Tu sais, en y réfléchissant, notre objectif peut se résumer à explorer toutes les voies menant à une musique lourde et puissante. Et la manière la plus habituelle, la manière que nous avons apprise et avec laquelle nous avons commencé, mais aussi celle qui est pratiquée par la plupart des groupes, est cette approche qui vise à matraquer un son le plus lourd et sombre possible. Ne te méprends pas, j’adore cette sorte de musique, mais je trouve aussi qu’en tant que musicien c’est intéressant d’essayer de trouver d’autres moyens d’être puissant et lourd. Je pense que c’est toujours un peu ce que je cherche à faire dans ma carrière, et ce disque en est encore une illustration plus poussée. Je pense qu’avec Sunn O))), nous avons toujours eu pour objectif que chaque album soit différent de ce que nous avions déjà fait auparavant. Parfois les différences sont très subtiles et les gens ne les distinguent presque pas, ils nous disent “j’ai l’impression que ça sonne toujours pareil” ! Hahaha ! Mais pour nous, qui en sommes à l’origine, ça rend les choses particulièrement intéressantes, et ça nous motive et nous inspire pour continuer à composer et enregistrer. A mon avis, Sunn O))) ne pourrait pas fonctionner si nous faisions toujours le même album et que nous travaillions avec toujours les mêmes personnes. Il y a des groupes, dont certains que j’adore d’ailleurs, qui fonctionnent comme cela, mais Sunn O))) n’est pas câblé comme ça, clairement…
Cette fois encore vous avez accueilli sur ce disque une poignée de musiciens différents, qui ont apporté leur contribution au disque. Dans quelle mesure ces invités peuvent-ils influer sur l’album ? Est-ce que la plupart du disque est déjà écrite lorsqu’ils interviennent ?
Nous laissons tout assez ouvert, en fait. Nous pensons que c’est plus intéressant et plus… “accueillant” pour les musiciens que nous invitons. Je te racontais tout à l’heure comment nous avions travaillé avec Stephen à la pré-production de l’album. Nous avions juste quelques idées, quelques riffs, parfois même uniquement des concepts, en tout cas guère plus qu’une sorte de squelette. Et bien tout ça est volontaire, car au moment d’entrer en studio, nous voulons laisser le plus de place libre à l’interprétation et à la construction. Par ailleurs je pense que ça enlève toute pression que l’on pourrait avoir, ça participe à créer une atmosphère confortable et relaxante, propice à la créativité. On ne dit jamais “ça doit être comme ça, il faut le faire comme-ci, et le résultat final sonnera comme cela”. On arrive donc uniquement avec en quelque sorte une vision “incomplète” de la musique, jusque quelques idées. Cela donne aux musiciens et aux différents contributeurs une grande liberté. Je pense que ça les rend confortables. Tu sais, nous les invitons, ils sont dans la même salle que nous, nous les respectons et nous adorons leur musique, donc forcément nous essayons de les encourager à faire leur “truc” à eux, apporter leur touche… Et c’est d’ailleurs assez intéressant de voir ce qui peut se passer à ces occasions : il y a ceux qui repoussent les limites, ceux qui contournent, ceux qui sont décalés… et dans tous les cas ça aboutit forcément à quelque chose de différent de ce à quoi nous aurions pu penser, ce qui rend les choses plus intéressantes. L’élément de surprise est un peu ce que nous cherchons. Je pense que c’est ce qui rend notre son si spécial et différent. Nous avons tous été dans des groupes qui sont plus structurés, qui laissent peu de place à l’interprétation ou à la prise d’initiative. La plupart du temps c’est très bien ainsi, et crois-moi, je compte bien continuer à jouer aussi dans des groupes comme ça ! Mais Sunn O))) ne fonctionne pas ainsi. Il faut que l’on mette de côté toutes les règles un peu trop rigides pour permettre à quelque chose de différent de se produire, quelque chose de beau et merveilleux souvent.
Pour autant la musique de Sunn O))) n’est pas vraiment “passe-partout” ; avez-vous parfois tenté des collaborations qui n’ont aps fonctionné, ou essuyé des refus de musiciens ?
Mmmh, bonne question… [il réfléchit] Je crois me souvenir que l’on a déjà proposé à des musiciens de contribuer à nos disques, ou alors juste fait part d’un certain intérêt, mais sans que ça ne se concrétise vraiment, pour des raisons différentes ; généralement la personne n’est juste pas intéressée ou n’a pas de temps à y consacrer… mais ce dont je suis sûr c’est qu’on n’a jamais été jusqu’à enregistrer en studio avec quelqu’un jusqu’à aboutir à un constat d’échec. Dans la plupart des cas, les musiciens que nous contactons nous comprennent, ils connaissent le groupe, notre approche et savent ce que nous essayons de proposer. Ils n’y sont jamais complètement étrangers. Ce n’est pas comme si nous étions susceptibles de le proposer à des musiciens comme Slash, ou Steve Vai, ou… Je respecte complètement ces artistes, mais ça ne fonctionnerait jamais ! Nous privilégions des musiciens autour desquels nous gravitons, ou qui gravitent autour de nous, il y a ce respect mutuel qui fait que les choses sont a priori plus susceptibles de fonctionner…
Peux-tu en particulier présenter à nos lecteurs l’une des invitées prépondérantes sur ce disque, Hildur Guðnadóttir ?
Et bien, nous la connaissions un peu : nous avions déjà joué avec elle sur scène, et Stephen a déjà enregistré avec elle dans le cadre de différents projets. Elle avait aussi assuré la première partie de certains de nos concerts dans le cadre de son travail en solo. Je trouve qu’en tant que musicien – et en tant que personne aussi – elle est extraordinaire. Du coup quand Stephen a suggéré son nom pour participer à l’album, j’ai trouvé l’idée excellente. Et je vais être franc : c’est un sujet que nous abordons peu, mais je trouve ça particulièrement intéressant de travailler avec une femme ! Cette scène musicale est quand même largement dominée par les hommes, et ça aboutit fatalement à un son très… “masculin” ! Hahaha. Or si l’on se penche sur son travail solo, ça apparaît plus léger et subtil que ce que l’on est habitués à entendre, et pourtant je trouve ça très puissant à sa manière. Mais tu sais, son propre public est lui aussi très masculin… Je trouve ça d’autant plus intéressant. On a déjà travaillé avec d’autres musiciennes auparavant, je pense notamment à Jesse Sykes, Wata de Boris, ou encore Jessica Kenney sur Monoliths & Dimensions… Mais on a tous les deux pensé que ça serait intéressant de l’inviter – pour sa musique et aussi sa voix, puisqu’elle chante aussi sur le disque. Il faut dire que nos derniers albums proposaient quelque chose de différent en terme de vocaux, avec notamment Attila, qui est un incroyable chanteur. Mais étant donné que nous souhaitions changer beaucoup de choses avec ce disque, il nous semblait aussi important de changer la façon d’aborder le chant. Et pour toutes ces raisons, travailler avec elle était super.
Vous avez enregistré un second album durant les séances de Life Metal, que vous avez déjà appelé Pyroclasts, et qui sortira plus tard cette année. Est-ce qu’il s’agit de chutes studio ?
Et bien c’est quelque chose d’assez intéressant : comme je te disais, quand on est rentrés en studio, on avait une bonne vision de ce que serait Life Metal, à savoir quatre sections musicales bien définies. Durant l’enregistrement, on logeait dans des appartements dans le même bâtiment que le studio, et après un café on allait travailler au studio. On a décidé de mettre en place une sorte d’exercice matinal tous les jours, durant lequel tous les musiciens présents jouaient librement, en choisissant à peu près la même tonalité / la même gamme. Par exemple on démarrait en Ré, et on faisait une séance “on joue tout en Ré aujourd’hui”. Et on s’était fixé comme cadre de faire du drone en Ré pendant une durée très précise – je crois que c’était 12 minutes ou quelque chose comme ça – et Steve Albini enregistrait ça, tout comme le reste de nos séances. On a trouvé que c’était une super manière de commencer la journée, pour nous dépoussiérer un peu de ce qu’on avait fait la veille, se réveiller progressivement et se mettre en condition d’enregistrer et travailler chaque jour. On a essayé de faire ça quasiment tous les matins, et parfois on le faisait aussi le soir, dans l’ambiance de la nuit. Sans aucune pression, c’était un sentiment très agréable que de jouer librement comme ça. De très belles choses ont été produites à cette occasion, de la part de plusieurs musiciens, ensemble ou séparément. On a enregistré 11 séquences je crois, et au moment où l’enregistrement de l’album a été terminé et qu’il a été prêt à être mixé, autant on était très satisfaits de ces quatre morceaux et prêts à passer à la suite pour finaliser l’album, autant on aimait aussi beaucoup ces séquences de drone un peu atypiques qu’on avait enregistrées en parallèle. On a donc décidé de sélectionner une partie de ces sessions pour créer l’équivalent d’un LP de musique, dans l’objectif de le sortir séparément, comme une sorte de compagnon à l’album. En revanche, on a vite abandonné l’idée de tout sortir en même temps, ça aurait fait une sorte de triple LP : je pense qu’on ne peut décemment pas demander à quiconque d’écouter un tel ensemble en une seule fois, Hahaha ! Je sais que nos fans die-hards vont adorer ça, enfin je le pense, ça nous semblait être une sortie cool en tant que telle, séparée de Life Metal ; l’enregistrement a sa propre identité, son ambiance bien particulière, donc il valait mieux les distinguer. Ca sortira avant la fin de l’année, et tu verras, je trouve ça très beau, c’est hypnotique et très relaxant. Quand je veux une musique relaxante, je prends un disque de Miles Davis, comme In a Silent Way, ou quelque chose dans le genre, et je pense que ça se rapproche de cette ambiance. Je pense que les gens vont aimer – je l’espère !
Pour finir, peux-tu nous dire quels sont les projets de Sunn O))) pour les mois à venir ?
Et bien on a un planning assez rempli cette année en fait ! Autant l’an dernier on a joué à peine deux concerts, seulement aux U.S.A. (et encore c’était uniquement Stephen et moi-même), ce qui était volontaire car nous voulions vraiment nous concentrer sur le nouvel album. Du coup on compte bien jouer live beaucoup plus cette année. On a évidemment commencé par cette petite tournée européenne, et on continue d’ici un mois par une paire de semaines aux USA. Ensuite on reviendra en Europe cet été pour deux concerts à Berlin et un à Amsterdam, des festivals, puis plus tard encore en octobre. Et puis il y aura quelques dates aux USA dans l’intervalle. On va essayer de se dédier un maximum de temps pour jouer sur scène, même si on a tous des agendas compliqués, mais en tout cas on est motivés !
La paire d’albums “Earth Rocker” / “Psychic Warfare” aura clairement assis Clutch a un niveau de popularité jamais atteint jusqu’ici, leur ouvrant l’accès au “grand public” (grands festivals, grandes salles de concert en tête d’affiche, prestations télévisées…). Pour autant, stylistiquement, d’aucuns ronchonnaient en constatant une sorte de “plafonnement”, tout en étant, dans le genre, proches de la perfection. On attendait donc un peu ce “Book of Bad Decisions” au tournant, reconnaissons-le. On a eu l’occasion d’en parler avec Neil Fallon (chant) pour lever le voile sur leur nouvelle galette…
L’un de nos collègues dans l’équipe a sa théorie sur votre discographie : vos meilleurs albums seraient ceux qui clôturent une “trilogie”, et précèderaient chacun un changement de “style” de votre musique. Cette théorie ferait de “Book of Bad Decisions” l’un de ces albums charnières…
Neil Fallon : Oh, c’est une théorie intéressante… Je pense que chaque album est un instantané de là où nous nous trouvons en tant que groupe à ce moment précis. Dans certains cas nous ressentons le besoin d’étendre vraiment notre horizon musical vers d’autres directions, mais dans d’autres cas pas vraiment… Quoi qu’il en soit, ce sont toujours les quatre même mecs qui jouent des mêmes instruments, donc il y aura toujours un son bien spécifique, qui reste une constante de notre musique. Mais on a vraiment cette crainte de nous répéter, et c’est important, en tant qu’artiste, de ressentir que l’on progresse avec le temps qui passe.
Revenons donc au moment où vous vous êtes retrouvés tous les quatre, avec l’intention d’écrire ce nouveau disque… Quelle a été votre approche ?
Nous avons commencé à composer cet album en janvier 2017 dans notre propre studio, le Doom Saloon, dans le Maryland. Ce que je trouve le plus intéressant dans Clutch, c’est que l’on arrive chacun dans le studio avec nos propres idées, avec chacun des orientations musicales différentes. Mais c’est à quatre que nous construisons, collectivement, à partir de ces idées, des chansons finalisées pour nos albums. On essaye de laisser les chansons venir à nous naturellement. La particularité cette fois, pour cet album, est que nous savions effectivement ce que nous ne voulions pas répéter de notre album précédent…
Je trouve l’album beaucoup plus varié et riche que “Earth Rocker” et “Psychic Warfare”. Cela faisait aussi partie de votre intention initiale ou simplement le résultat du processus naturel de composition et d’enregistrement ?
Content que vous l’ayez noté… Et bien, un peu des deux, je pense. Vance Powell [ndlr : le producteur du disque] nous a beaucoup aidé dans ce sens, en particulier pour donner à cet album un son frais et live. Il faut savoir que nous avons vécu avec toutes ces chansons depuis un moment sur la route avant de rentrer en studio. Une fois que l’on est arrivés dans le studio de Vance, on s’est installés et on les a simplement jouées, tous les quatre ensemble. Mais elles avaient toutes déjà une identité très forte avant de les enregistrer. Le temps passé à écrire ces morceaux était aussi plus long que d’habitude pour nous, j’ai eu le sentiment que c’était clairement plus relax que pour l’album précédent, ce qui a probablement contribué à cela…
Vous avez donc passé plus d’un an à composer ce disque ! Est-ce habituel pour le groupe ? Vos albums précédents avaient été plus rapides à produire il me semble…
Oui c’est vrai, je pense que c’est le plus long de notre carrière… Ce qui est sûr c’est que nous avions décidé de consacrer tout le temps nécessaire pour écrire le genre d’album que nous avions besoin de faire. Nous voulions à tout prix éviter de nous précipiter dans la phase de composition. En revanche, on se connaît aussi assez bien pour savoir que si l’on ne se fixait pas de dates limites assez strictes pour nous remuer, rien n’avancerait ! Haha. C’est l’avantage et l’inconvénient d’avoir notre propre label, Weathermaker Music : nous sommes des deux côtés de la table, et c’est assez difficile parfois, de trouver le meilleur compromis entre l’engagement de sortir un nouvel album, et le souhait de ne pas générer un stress nuisible à notre processus d’écriture… Par chance, les planètes étaient alignées cette fois quand nous avons tout planifié, du choix du producteur et du studio, jusqu’aux dates d’enregistrement. Les dates une fois planifiées nous ont en fait permis d’avoir une année pleine pour la composition.
Sur cette période vous n’avez pourtant pas été inactifs et avez assuré plusieurs tournées. Est-ce que ça a été particulièrement l’occasion de tester certaines chansons en live ?
Absolument ! Nous avons toujours joué de nouveaux morceaux en live quand nous en avions l’opportunité. C’est avant tout pour notre besoin personnel, même si je pense que quelques personnes dans le public doivent aussi apprécier… (sourire) C’est vraiment la meilleure méthode pour vérifier que les chansons sont solides. On l’a beaucoup fait l’an dernier, sur notre tournée avec Primus : on faisait des ajustements et des petites modifications chaque soir, pour voir ce qui fonctionnait ou pas. On amène aussi notre matériel d’enregistrement partout avec nous en tournée, pour enregistrer les différentes évolutions. En revanche, c’est quand même rare que l’on écrive une chanson complètement sur la route, mais on essaye de les tester et les ajuster au maximum sur scène.
A t’écouter, l’influence de Vance Powell sur cet album semble importante. Pourquoi avoir mis fin à la relation avec Machine, votre producteur précédent, et pourquoi avoir porté votre choix sur Powell ?
Nous étions très satisfaits de nos albums précédents réalisés avec Machine, et ils ont eu beaucoup de succès, “Psychic Warfare” inclus. Mais comme je te disais, nous avions vraiment l’intention de distinguer ce disque des deux précédents. Un ami, qui est très proche de Chris Stapleton [ndlr : chanteur-compositeur orienté country, qui rencontre un gros succès en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années], nous a parlé de Vance. Quand j’ai regardé la discographie de Vance, je me suis rendu compte qu’il avait produit un grand nombre d’albums que j’adorais, sans que je sache qu’il était derrière ces disques ! Les albums de Stapleton ont un super son, c’est vrai, mais Vance a aussi une super oreille pour la musique plus heavy. Il a passé plusieurs années sur la route comme ingénieur du son. Puis il a notamment travaillé pour Red Fang, Jack White, sur des disques très heavy… et ils sonnent super bien !
Comment se passe le travail avec Vance Powell en studio ?
Son studio, Sputnik Sound, est basé à Nashville, Tennessee. Il dispose de tout le matériel imaginable en termes d’amplis vintage, et ça ne le dérange pas du tout de passer tout le temps nécessaire à essayer tous les amplis pour trouver le son le mieux approprié pour chaque chanson. Ce qui m’a le plus impressionné chez lui était le fait qu’il ait une approche différente pour chaque chanson, comme une entité à part entière, à la fois pour son enregistrement mais aussi son mixage. Au final, chaque chanson a donc sa propre personnalité, même si l’album au global reste un tout, cohérent.
De nos jours, les albums sont généralement plus courts, et les modes de “consommation” de la musique ont changé. Une part grandissante du public semble “picorer” des chansons à la volée, au fil des offres en streaming notamment… Dans ce contexte vous sortez un album de pas moins de 15 chansons ! Quelle mouche vous a piqué ?!
Haha ! C’est sûr que l’importance que prend le streaming aujourd’hui sur le marché a sans doute pour conséquence que moins de personnes écoutent des albums entiers, du début à la fin, comme on le faisait auparavant… Et je vais peut-être vous surprendre, mais je ne pense pas forcément que ce soit quelque chose de négatif. Toutefois, à titre personnel je reste attaché à mes vieilles habitudes. Pour moi il est toujours très important d’avoir une connexion physique avec la musique. Ecouter un album, écouter les paroles, créer un lien entre la musique et la pochette ou les images… Après, je dois avouer que nous n’avions pas forcément l’intention d’avoir 15 chansons au final sur ce disque. Pour tout dire, nous pensions en enregistrer une quinzaine, mais n’en sortir que 12 ou 13 au final. Or au fur et à mesure que les chansons sortaient de la phase de mixage de Vance, nous nous sommes aperçus que nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur quels titres nous mettrions de côté. Donc vous les avez tous ! Haha !
Certaines de vos chansons font preuve de choix d’instrumentation audacieux et marquants, à l’image de l’apport de piano et de claviers (sur “Vision Quest” ou “Emily Dickinson”), de cuivres (“In Walks Barbarella”), etc… Il semble compliqué d’envisager de jouer ces chansons en live sans cet apport de production… Vont-elles rester uniquement sur disque ou bien est-il envisageable de les retrouver en live ?
Les chansons ont toutes été écrites avec l’intention d’être jouées par nous quatre sur scène. Toutes les instrumentations complémentaires sont apparues plus tard en fait, donc les chansons originelles fonctionnent a priori sans ces ajouts. On a la grande chance de connaître plein de super musiciens qui ont été assez sympas pour venir jouer sur ces chansons, et on est ravis du résultat. Mais nous ferons de notre mieux pour jouer ces chansons en live sans les dénaturer pour autant !
Vos tournées s’enchaînent et, en Europe en particulier, on vous voit assurer tour à tour des tournées en tête d’affiche, des festivals, des première parties de groupes d’horizons différents… Avez-vous une stratégie bien établie ? La seule ligne directrice semble être que les salles et concerts sont de plus en plus gros…
On a eu la chance de faire de longues tournées en Europe avec Thin Lizzy et Motörhead, pour promouvoir nos deux derniers albums, c’était énorme. Leurs fans nous ont super bien accueillis, et sont même largement revenus nous voir lorsque nous avons à nouveau joué ensuite en tête d’affiche. En ce qui concerne les festivals, c’est toujours le pied d’y jouer, en plus d’avoir à chaque fois l’opportunité de faire connaître notre musique à de “nouvelles oreilles”. Nous avons conscience d’avoir les meilleurs fans du monde, qui nous soutiennent depuis de nombreuses années, et qui eux-mêmes incitent de nouvelles personnes à nous écouter. Aucun groupe ne peut rêver mieux.
Après 27 années et une douzaine d’albums maintenant, quel est selon toi le secret de la longévité de votre quatuor ?
En ce qui me concerne j’ai commencé avec ce groupe dans le but de m’éclater avec mes potes et d’apprendre à jouer de la musique. Et en toute honnêteté, c’est toujours le cas maintenant. Si nous fonctionnons bien ensemble, je pense que c’est essentiellement parce que nous avons une vision similaire de ce qui fonctionne bien pour ce groupe. Je peux avoir des idées sur la basse, ou sur la batterie, et les autres peuvent avoir d’autres idées, mais rien ne se concrétise vraiment tant que nous n’avons pas joué autour de ces idées, tous les quatre ensembles dans une salle. Par ailleurs, nous adorons jouer en concert, partir en tournée et jouer nos chansons devant un public. C’est aussi un élément très important pour nous en tant que musiciens : si ça n’avait pas été le cas pour nous quatre, je peux vous garantir que Clutch n’existerait plus depuis longtemps !
On rencontre rarement des musiciens aussi intègres et passionnés que les mecs de Fatso Jetson, en particulier leur paternaliste leader Mario Lalli. Alors qu’ils viennent de sortir un très réussi nouvel album, “Idle Hands”, on a sauté sur l’occasion de s’entretenir avec le groupe californien, fondateur du véritable “desert rock”. Conversation avec Mario, son fils Dino, et Tony Tornay, inébranlable batteur de la formation.
Avant tout – je ne m’étais jamais posé la question auparavant – pouvez-vous nous dire d’où vient le nom « Fatso Jetson » ?
Tony : C’est le personnage que joue Ernest Borgnine dans le film « From Here To Eternity » [ndlr : « Tant qu’il y aura des hommes », de Fred Zinnemann, 1953 – en réalité, le surnom du personnage est Fatso, mais son nom est Judson].
Et pourquoi avoir choisi ce nom pour le groupe ?
Et bien on avait un concert prévu, or personne n’avait d’idée de nom pour notre groupe. Je me souviens parfaitement du jour où Mario a débarqué et a simplement demandé « Que pensez-vous de Fatso Jetson ? », et on a simplement dit « OK », car personne n’avait de meilleure idée… Et on a continué avec.
J’aimerais parler un peu de votre nouvel album, Idle Hands. Avant tout, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour le sortir ? Six ans s’étant écoulés depuis le précédent…
Mario : Je ne sais pas vraiment, je pense simplement que c’est globalement dû à notre mode de vie, et surtout le contexte dans lequel nous avons vécu ces dernières années, dans notre vie privée. Nous n’étions pas dans un environnement et un état d’esprit très propices à la création. Nous avons chacun eu à gérer beaucoup de choses : le boulot, la création d’un commerce, s’occuper de nos familles… Globalement ce fut une période difficile pour nous tous : mon fils a terminé le lycée, Tony et son épouse ont créé une nouvelle affaire à Los Angeles, moi-même j’ai dû tenter de sauver mon restaurant dont la situation s’aggravait… Nous n’avons néanmoins jamais arrêté de jouer de la musique durant tout ce temps et ne sommes jamais restés inactifs : nous avons composé, produit de la musique (splits, EP…), collaboré avec des musiciens sur différents projets, fait des tournées… Mais durant cette période on ne s’est jamais véritablement posés ensemble pour composer assez de chansons pour faire un album, on n’a jamais eu une période de temps suffisante pour cela.
Tony : Parfois la vie personnelle vient prendre le pas sur les choses que tu aimerais faire, et t’empêchent de mener toutes tes activités comme tu l’entends.
Quel a été le déclencheur qui vous a finalement décidé à vous mettre à composer ce disque ?
Mario : L’année dernière, nous nous étions fixé comme objectif d’y parvenir en 2016. Nos vies avaient certes changé dans l’intervalle, mais nous nous étions quelque peu stabilisés dans le courant de l’année dernière, et d’une certaine manière « alignés » entre nous. Nous étions aussi les uns et les autres plus impliqués dans notre environnement musical, dans tous nos projets, ensemble ou pas… Et nous sommes arrivés à un point où nous avons pu dégager du temps pour faire un nouvel album. Par ailleurs, le timing était parfait, étant donné que la présente tournée avait pris forme depuis. Mon fils avait écrit plein de musique, moi aussi, ainsi que Tony et mon cousin [ndlr : Larry Lalli], et nous avions progressivement ajouté quelques nouveaux titres à nos sets live… Tous ces facteurs font que le timing semblait juste logique et naturel pour s’atteler à un nouvel album.
Une question volontairement un peu polémique : je me demandais pourquoi finalement vous preniez toujours la peine d’enregistrer des nouveaux albums ? La vente d’albums n’est plus très lucrative pour un groupe, qui gagne la plupart de ses revenus désormais des concerts et des retombées associées… Dans ce contexte, créer de nouveaux albums vous apparaît quand même opportun ?
Tony : Je comprends tout à fait, c’est une réflexion intéressante… Je pense que notre état d’esprit, et surtout la façon dont nous nous sommes construits musicalement depuis toutes ces années, font que nous voulons donner un « corps » à notre musique, sortir quelque chose de neuf, que l’on trouve excitant de créer, et qu’avec un peu de chance les gens ont envie d’entendre. Je comprends que certains groupes n’y trouvent pas le même intérêt, et ne sortent que des singles ou autres… Mais, à titre personnel en tout cas, j’aime trop l’idée d’incarner et de proposer un ensemble complet que l’on a créé. J’aime travailler comme ça, je n’aimerais pas sortir uniquement des petits trucs ici ou là. Je trouve que c’est important pour un groupe, pour documenter sa carrière en quelque sorte : « voici une image de ce groupe dans cette période de temps ».
Alors comment vous y êtes-vous pris pour composer cet album ? Est-ce que vous avez uniquement utilisé des morceaux composés préalablement, comme ceux dont vous parliez tout à l’heure ? Les chansons de l’album sont très différentes les unes des autres, est-ce un indice sur le mode d’écriture ?
Mario : Complètement. En fait nous avons aussi composé certaines chansons directement en studio pendant l’enregistrement. Je pense qu’à l’écoute tu peux quasiment ressentir que certaines ont été écrites en studio : les arrangements sont plus simples – pas forcément au niveau des licks de guitare d’ailleurs. Mon fils Dino compose depuis quasiment un an maintenant certains licks de guitare, on ne peut pas dire qu’ils aient été bâclés, tu vois. En revanche la façon dont les compos ont été créées en studio est comparable à une sorte d’explosion naturelle un peu brutale. C’est quasiment comme si on les avait violemment « régurgitées » en une seule fois, tu vois… Tout est sorti d’un coup, et on a modelé tout ça ensuite. Parfois c’est super, les choses sortent ainsi spontanément, c’est une énergie créatrice prodigieuse. Mais d’autres fois il faut s’y atteler de manière plus besogneuse : travailler, travailler, remodeler, re-travailler encore, jusqu’à ce que ça devienne quelque chose. En conséquence, ce disque est le résultat d’un mélange entre beaucoup de travail d’une part, et d’autre part « BANG », une sorte d’énergie spontanée.
Prends par exemple la chanson « Portuguese Dream » : elle est basée sur un lick de guitare composé par mon fils Dino. Il jouait sans arrêt dans sa chambre et un jour en rentrant à la maison après le boulot j’ai entendu cet air [il chante « di didi din, didi didi diiiin »] et je lui ai dit « cool mec, il faudra qu’on réutilise ce plan un jour ». Puis le temps a passé et quand nous nous sommes retrouvés en studio, et nous avons enregistré ces deux mouvements, juste ces deux passages. Je suis alors allé voir mon pote Sean [ndlr : Sean Wheeler, figure emblématique au sein des musiciens du haut désert californien], il s’est installé dans son salon, a mis son casque sur les oreilles, et à la première écoute il a gribouillé quelques trucs sur un bout de papier : il a écrit autour d’un vrai rêve qu’il avait fait – un truc vraiment trippant qui lui rappelait quelque chose de très intime, d’ailleurs, lié à la naissance de son fils et une expérience un peu « fantomatique ». Bref, il a donc mis ses écouteurs, branché le micro et a chanté « Bwaaaarglll ». PREMIERE PRISE ! « Portuguese Dream », franchement, « PIM PAM POUM », c’était génial, que du fun, c’était facile et spontané du début à la fin. Et pour que tu réalises bien la différence entre ces deux facettes de l’album : sur une autre chanson sur laquelle Sean a chanté [ndlr : “48 Hours”], on a dû travailler plus de quatre heures, et on n’y arrivait toujours pas. C’était frustrant pour tout le monde… Sur certaines chansons, c’est vraiment du travail… Du travail… Écrire, écrire, écrire… « Non, c’est mauvais, je dois continuer ». Écrire, écrire… « Non, c’est encore de la merde ». Écrire, écrire, écrire encore… Jusqu’à 5h du matin parfois. Idle Hands est vraiment comme tu le disais un mélange de tout ça.
Il y a une sorte de paradoxe quelque part : j’ai lu une interview où tu disais qu’avec l’âge, tu devenais plus exigeant, et qu’il te fallait plus de temps pour évaluer une composition, valider qu’elle était suffisamment bonne pour figurer sur un album, tandis que plus jeune c’était une intuition plus rapide. Comment dans ce cas parviens-tu à composer certains titres dans une telle urgence et savoir que sa qualité lui permet de figurer sur ton nouveau disque ?
Mmmh, je ne sais pas trop… Bien vu… Je vais répondre indirectement. Ça me rappelle une question que l’on m’a posée, à savoir si j’étais nerveux de savoir si les gens allaient l’aimer ou pas, à l’approche de la sortie de l’album. La réponse est non. J’ai envie que les gens l’aiment. Mais si je sors une chanson, tu peux être sûr que j’en suis déjà fier. J’estime qu’elle est bonne, elle représente un travail que nous avons accompli. Ce que les gens en pensent m’importe peu. Mais est-ce que ça signifie que je sais à l’avance si une chanson est bonne, dans l’absolu ? Je dirais qu’a priori non. Et tu sais pourquoi ? D’une certaine manière nous sommes très indulgents avec nous-mêmes, on a toujours fonctionné ainsi : on fait ce que NOUS aimons avant tout. On n’est pas du genre à travailler avec des producteurs qui nous expliquent comment composer des chansons stéréotypées de trois minutes, avec un joli refrain et un bon pont bien puissant sur la fin… Nous on bidouille à notre manière, et si le résultat nous plaît, on a atteint notre objectif.
Une question plutôt destinée à vous deux, Mario et Dino : le phénomène est tellement rare que l’on ne peut pas s’empêcher de se demander ce que ça fait, pour un père et son fils, de jouer ensemble…
Dino : Évidemment je suis conscient que je joue dans le même groupe que mon père, mais parfois je m’y habitue presque et je me surprends à oublier cet état de fait, oublier à quel point c’est étonnant, spécial et si cool. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir impliqué dans son groupe, même si j’ai encore parfois du mal à réaliser que je fais partie du groupe. Mais on en est arrivés lui et moi à un point où, pour chacun de nos projets respectifs, on implique l’autre quasi systématiquement, c’est devenu quelque chose de très naturel. Au quotidien je n’ai pas l’impression que ça soit quelque chose de spécial, car c’est dans notre mode de vie, je m’y suis tellement habitué. Mais c’est génial. Dans tous les cas, il y a vraiment une alchimie particulière qui s’est construite, qui va au-delà du simple jeu de guitare : on est vraiment tout le temps en phase, musicalement, sur le moindre jam, sur notre jeu de guitare, on n’a pas besoin de se parler… On n’a pas toujours les mêmes idées en revanche [rires]. Dans tous les cas, c’est quelque chose de très utile en tant que groupe, cette entente inégalable que l’on a, ce n’est pas comme quand tu as deux musiciens qui ont des modes d’expression différents, qui ne parviennent pas à s’entendre. Par ailleurs, je pense qu’une large part du nouvel album tourne autour de notre famille [Mario acquiesce avec le sourire]… une famille à la fois cool et bizarre [rires]. Or je ne pense pas que ça ait été le cas si je m’étais moins impliqué dans le groupe. Mais voilà, pour résumer c’est vraiment cool, et c’est encore plus cool d’être en tournée avec mes deux parents [ndlr : la femme de Mario les accompagne sur ce segment de la tournée], c’est comme des vacances en famille… et Tony a toujours été considéré comme un membre de la famille aussi [rires].
Une question plus terre-à-terre : pourquoi y a-t-il plus de chansons sur la version CD de l’album, par rapport au vinyl ?
Tony : Le temps ! Sur une face de vinyl tu peux mettre, je ne sais plus, genre 18 minutes…
Mario : En fait, plus tu veux mettre de musique sur un vinyl, moins la qualité sonore est bonne. C’est physique : plus tu bourres de musique, plus les sillons deviennent fins, et on ne peut pas y graver autant d’information, la finesse de la gravure ne le permet pas. On a vraiment touché les limites du format : on a essayé de remplir chaque face au maximum, sans pour autant nuire ni à la profondeur des basses, ni à la délicatesse et la précision des aigus issus du travail de cymbales de Tony [rires]. On a dû prendre des décisions difficiles, car on voulait vraiment y mettre les onze chansons, mais ça n’était pas possible. Il fallait aussi penser à l’enchaînement des chansons : on ne pouvait pas par exemple mettre toutes les chansons les plus bizarres ensemble, ni les plus violentes ensemble… C’était très difficile. Shneebie [ndlr : leur pote producteur et multi-instrumentiste Mathias Shneeberger] a assemblé ça comme un casse-tête chinois, c’est comme ça qu’on appelait cet exercice. C’est comme… [ndlr : il s’adresse aux autres : « comment ça s’appelle ce jeu vidéo avec les cubes, que tu dois empiler… » – « Tetris »] Voilà : Tetris ! C’était exactement ça ! Un enfer…
Vous habitez tous désormais à Los Angeles, une ville bien connue pour sa densité de musiciens, producteurs, studios d’enregistrement… et pourtant vous avez encore été enregistrer cet album dans le désert, au Rancho de la Luna… Pourquoi ? Il y a plein de super studios à L.A….
Mario [dédaigneux] : Naan, pfff…
Tony : Il y a plein de raisons qui expliquent notre choix. Rancho de la Luna est seul dans sa catégorie, pour être honnête. De plus, Mario et moi avons grandi dans le désert, c’est notre maison. Le Rancho de la Luna est un endroit génial, les propriétaires sont des potes. Je peux te dire que j’ai vu certains des plus beaux studios de L.A., et il n’y a aucune chance qu’un jour je puisse les préférer au Rancho de la Luna.
Mario : Ouais, il n’y a rien de comparable…
Tony : C’est un peu paumé, loin de tout, quand tu y vas, tu y vas pour travailler et passer du temps tous ensemble, manger et profiter des soirées… Tout le temps que tu passes là-bas tu es content d’y être… Tout le contraire de « OK, je vais aller dans cette zone industrielle paumée, me faire chier dans ce complexe toute la journée en n’ayant qu’une hâte : celle de partir et rentrer chez moi chaque soir ».
Mario : Exactement, l’idée c’est que quand tu vas là-bas, tu es dans une MAISON, une « casita », pas un studio. La table de mixage est dans le salon. Donc je me retrouve dans le canapé à jouer de la guitare, Mathias est derrière la console, mon cousin est dans un coin en train de faire griller du poulet pour le repas, Dino est à côté en train d’essayer des pédales d’effets, en pyjama car il vient de se réveiller [rires]. On est à la maison ! Il n’y a aucun équivalent à ça à L.A…
On a vu le groupe assurer plusieurs tournées sur le vieux continent ces dernières années, on s’en réjouit, mais à y regarder de plus près vous ne semblez pas faire la moindre tournée dans votre propre pays…
Mario[il interrompt la phrase, en fronçant les sourcils] : Aucune.
Comment expliquez-vous cela ?
Mario [grommelant] : Tu peux répondre, Tony ?
Tony : l’Amérique est un secteur difficile où percer pour un groupe indépendant, ça coûte très cher. De plus, les contraintes de nos vies privées respectives, font que nous n’avons jamais vraiment eu le temps de nous atteler à cette tâche. Lorsque nous venons ici (en Europe), ça marche bien. Or en Amérique, on n’a toujours pas trouvé de quelle manière on pourrait s’y attaquer pour que ça puisse fonctionner pour nous. Pour y parvenir, il faudrait que nous puissions prendre au moins un mois complet dans nos vies pour y travailler et organiser ça.
Vous ne restez pourtant pas inactif dans cette perspective…
Mario : On essaye de trouver un « booking agent » en fait. C’est le sujet principal : d’abord, comme dit Tony, on n’a jamais essayé de le faire nous-mêmes. Tous les groupes indépendants que je connais et qui sont parvenus à monter une tournée – des groupes plus jeunes que nous – ont commencé en le faisant eux-mêmes, et certains seulement ont ensuite été pris en charge par une agence. Or pour nous les opportunités sont venues d’Europe, via l’agence Sound of Liberation, et ça rend les choses infiniment simples lorsque quelqu’un te contacte simplement en te demandant : « hey, vous voulez venir jouer quelques concerts ? » – « Bien sûr, quand ? Février ? OK ! » – « Parfait je vous envoie les dates ». C’est génial, tout ce qu’il nous reste à faire c’est monter dans l’avion ! Alors qu’organiser ça soi-même, c’est une tâche énorme, ça signifie passer ses journées derrière son ordinateur et au téléphone pour trouver les dates. On essaye en ce moment de trouver un agent aux États-Unis. Comme je te disais, on a une piste pour un agent qui pourrait aussi travailler pour Greenleaf, nos partenaires sur cette tournée, ainsi que d’autres groupes issus de cette « scène ». Mais jusqu’ici on n’a jamais eu un agent qui croyait en nous et qui nous a proposé une quelconque opportunité du genre. La dernière fois que nous avons joué sur un semblant de tournée, c’était en première partie de Kyuss dans le Sud-Ouest des U.S.A. – je te laisse calculer le nombre d’années que ça fait… Donc pour résumer, la seule réponse objective à ta question est : on n’a jamais essayé !
Ça semble difficile, mais est-ce que comme nous tu observes quelques frémissements encourageants dans cette perspective, aux U.S.A., comme quelques petits festivals, ou même le gros Psycho Las Vegas qui s’est déroulé cet été, auquel tu as participé ?
Mario : Absolument ! On espère que ça se développera…
Dernière question : vous avez participé à un projet un peu spécial avec les français de Hifiklub, pouvez-vous nous en dire plus sur votre participation ?
Tony : Ça s’est déroulé dans un studio d’enregistrement près de Nice. En gros, il s’agit de deux groupes complets qui jouent ensemble, de manière spontanée ou presque. Il y a quelques idées de base, musicalement, des esquisses de compositions en quelque sorte, mais dès qu’ils appuient sur « Enregistrement », c’est parti ! On a tous été super fiers du résultat quand on l’a entendu, surtout quand on considère qu’on n’avait jamais rencontré ces mecs auparavant. C’est le genre de situation dans laquelle tu ne sais pas à quoi t’attendre avant, et le résultat dépasse toutes tes attentes.
Mario : Il s’agit à la base de quatre compositions assez simples, avec des arrangements grossiers, principalement proposées par les mecs de Hifiklub, et notre contribution a essentiellement consisté à improviser dessus, dans cette structure assez simple. Et en complément, il y a des morceaux où nous avons complètement improvisé, pour construire des séquences qui feront une sorte de liant entre ces quatre compositions de base. Il y a donc en gros huit morceaux au final. Le concept vient d’une sorte de série qu’ils ont lancée appelée “Double Quartet Serie”. C’était vraiment une expérience incroyable. Ils nous ont amené dans un studio appelé “Coxinhell” [rires – ndlr : par politesse, on ne vous traduira pas ce jeu de mot accessible aux anglophones], c’était superbe…
Tony : Tu te retrouves comme assis au bord d’une falaise qui donne sur la méditerranée, c’était superbe.
Et ça sonne comme quoi ?
Euh… ça sonne comme… mmmh…. C’est… [visiblement embarrassé – Mario lui vient en aide]
Mario : C’est expérimental, c’est heavy…
Tony : C’est comme un rêve, c’est… c’est vraiment un mélange de toutes ces choses.
On avait taillé le bout de gras avec Ben Ward il y a quelques semaines à l’occasion de la sortie de l’excellent Back From The Abyss, mais nos anglais préférés ont trouvé moyen à nouveau de nous surprendre avec une paire de concerts “anniversaire” à l’occasion des deux Desertfest. Forcément, on a voulu leur en parler, cette fois avec Martyn Millard et Chris Turner, qui se sont révélés des interlocuteurs non seulement sympathiques mais affables et drôles ! Du coup, on les a pris à leur propre jeu et on a voulu célébrer leur anniversaire à travers une interview autour de leur discographie… L’occasion de glaner des infos inédites et même souvent surprenantes. Pas de langue de bois, vous verrez !
Vous avez atteint l’âge canonique de vingt ans cette année, joyeux anniversaire ! Vous jouez deux shows très spéciaux à cette occasion, aujourd’hui à Berlin, et demain à Londres. Vous y jouez notamment l’intégrale de votre album The Big Black. D’où vous est venue cette idée ?
Martyn Millard (basse) : Je pense qu’on voulait faire quelque chose de différent. C’était un peu trop évident et facile de proposer de rejouer notre premier album, même si ça aurait été logique étant donné que c’est notre vingtième anniversaire… Mais notre album le plus populaire est The Big Black, c’est celui que nos fans préfèrent, en général.
Chris Turner (batterie) : On nous a proposé plusieurs choses pour célébrer cet anniversaire, et c’est cette idée que nous avons voulu concrétiser. Tu sais il y a certains titres de l’album que nous n’avons jamais joué sur scène jusqu’à aujourd’hui…
Martyn : Une chose est sûre, il y en a au moins un : l’instrumental “You’ll Never Get to the Moon in That”. Après on n’est pas complètement sûr pour certaines autres… “298 Kg”, nous l’avons jouée deux ou trois fois… D’ailleurs à chaque fois on l’a ratée… On risque de la rater ce soir aussi, mais on s’en fout, on s’y est préparés (rires).
Vous ne jouez pas la reprise de Black Sabbath, “Into The Void”, qui figure sur certaines éditions de l’album ?
Martyn : Non, non, on joue l’album, mais pas ses bonus tracks !
Chris : Le truc avec les albums c’est que quand les labels veulent les ressortir pour des éditions spéciales, ils veulent des titres complémentaires. Or on est quand même assez feignants, et quand on enregistre un album on écrit juste assez de titres pour l’album, rien de plus. Tu as certains groupes qui composent une cinquantaine de titres et qui n’en retiennent que dix à la fin…
Martyn : Alors que nous si on arrive à en pondre neuf ou dix pour l’album on s’estime chanceux (rires). Mais concernant la reprise de Sabbath, j’y ai pensé pas plus tard qu’hier figure-toi, mais je suis arrivé au constat qu’il y avait encore des chansons à nous, que nous avons composées nous-mêmes, que nous n’avons pas encore joué live…
Chris : Exactement : c’est une célébration des vingt ans d’Orange Goblin, et nous avons tant de chansons maintenant, ce n’est pas dans une telle occasion que nous allons jouer des chansons d’autres groupes… Même si j’adore cette reprise !
Il paraît que vous allez être sept musiciens sur scène pour ces concerts, dites-nous en plus.
Martyn : Nous serons sept demain à Londres. Ce soir à Berlin nous serons cinq. Il faut se rappeler que nous étions cinq pour enregistrer The Big Black.
Chris : Aussi extraordinaire que soit Joe [Hoare] à la guitare, il ne peut pas retranscrire tout ce qui a été enregistré sur cet album avec une seule guitare.
Martyn : Sur nos derniers albums, tout est composé pour quatre musiciens, c’est impeccable, mais dès lors que nous jouons certains de nos titres issus des albums plus anciens, où nous avions deux guitaristes, on perd forcément un peu de l’impact de ces morceaux. En live on l’entend, on les a ré-arrangés pour la plupart, mais ce n’est pas pareil. Donc pour retranscrire à la perfection The Big Black il nous fallait une cinquième personne, et nous n’avons pas hésité longtemps en demandant à Neil [Kingsbury – ndlr] notre guitar tech, de nous accompagner sur ces concerts, il a déjà joué avec nous plusieurs fois [ndlr : lors d’une blessure de Joe Hoare notamment]. Pour le concert de Londres, nous aurons aussi du lap steel, de l’harmonica, des claviers, des chœurs… Mais ce sont des musiciens qui habitent Londres, qu’il est trop compliqué de faire venir ici juste pour une date.
On va maintenant faire une séance “retour vers le futur”, et on va passer en revue avec vous l’ensemble de votre discographie depuis vingt ans si vous le voulez bien… On va donc commencer par Frequencies From Planet Ten, votre premier album, sorti en 1997. Quelle est votre chanson préférée dans cet album ?
Martyn : Wow, pas évident… Je dirais sans doute “Saruman’s Wish”, que l’on jouera aussi ce soir, mais… C’était il y a si longtemps…
Chris : On pourrait aussi citer “Magic Carpet”.
Martyn : Putain oui, c’est un bon morceau, tellement basique et efficace. Mais je les aime tous vraiment. On peut entendre sur ce disque des morceaux déjà un peu anciens, car la plupart des titres existaient depuis plus d’un an et demi avant la sortie du disque : le disque a été sorti très tard après l’enregistrement, car nous avons dû changer le nom du groupe [ndlr : le groupe s’appelait à ses débuts “Our Haunted Kingdom”], ça a été une chose compliquée avec le label à l’époque, tu imagines… Dans l’intervalle on avait déjà pas mal tourné, on était vraiment en train de façonner notre identité musicale, donc il y avait un décalage. Tu sais, cet album c’est aussi un peu comme nos premières démos : sache qu’il n’y a jamais eu de démo avec Orange Goblin, tout est sur l’album, le reste était sous notre ancien groupe.
Votre premier album s’est retrouvé direct sorti sur le label qui commençait à avoir le vent en poupe, Rise Above, une référence pour l’époque… Coup de chance ?
Martyn : On a été un peu chanceux, c’est vrai, mais il faut aussi se rappeler qu’à l’époque, les seuls groupes dans le genre étaient Cathedral, Electric Wizard, Acrimony… les mecs de Rise Above ont écouté notre musique et ont dit “ouais ouais, ça peut rentrer dans notre catalogue”, on avait en quelque sorte quelques influences Trouble en plus, on était quand même différents… Mais dans les années qui ont suivi, il y a eu des tonnes de groupes dans des genres assez proches. Donc oui, quand on a “émergé”, on a eu du bol, on était là au bon moment.
Comment voyez-vous votre second album, Time Traveling Blues, avec ces années de recul ?
Martyn : Au moment où il est sorti, on avait déjà beaucoup changé dans notre façon de composer.
Chris : J’ai commencé à contribuer activement à l’écriture à ce moment-là.
Martyn : Absolument, et ça nous a apporté pas mal d’influences complémentaires, des choses venant du punk, du hardcore… Ca ne saute pas aux oreilles immédiatement, mais il y a des trucs qu’on n’avait jamais essayés avant, des signatures typiques…
Et on voit aussi disparaître le recours aux claviers sur cet album…
Chris : On a eu quelques claviers sur le premier album, mais le claviériste, Duncan Gibbs, ne faisait quand même pas partie du groupe.
Martyn : Il a joué sur deux ou trois chansons du premier album, et une seule chanson sur Time Traveling Blues, “Shine” bien sûr. Mais par contre on n’a pas recruté un nul, il était excellent : Deep Purple le voulait quand ils ont viré John Lord ! Je te parle du début des années 80…
On en arrive à The Big Black, dont on a déjà un peu parlé. Qu’est-ce qui a contribué selon vous à en faire un album si spécial, quel était votre état d’esprit à l’époque ?
Martyn : On était juste bourrés et défoncés (rires).
Chris : On vivait tous ensemble à l’époque, on se retrouvait ensemble tous les jours. On avait tous des jobs merdiques à ce moment-là…
Martyn : Jobs merdiques, drogues merdiques… (rires)
Chris : On passait tout notre temps libre ensemble, on n’avait pas de fric, il n’y avait que l’alcool et les joints…
Martyn : On a fait venir Billy Anderson pour enregistrer l’album… et putain, il était pire que nous (rires). Il y a beaucoup de tout ça sur cet album.
Chris : Deux semaines avant l’enregistrement, on n’avait aucune musique. On nous a filé une salle derrière un pub pendant une semaine…
Martyn : Ouais, paumée sur la côte Sud de l’Angleterre, on an composé tout l’album là-bas et Billy l’a enregistré. Je peux te dire qu’il y a beaucoup de passages alcoolisés sur cet album, Billy enregistrait tout, 24 heures sur 24, on le ramenait déchiré dans sa piaule avec les enregistrements tous les soirs, on se demandait ce qu’il en sortirait…
Pourquoi l’aviez-vous choisi pour produire ce disque ?
Martyn : Il avait fait Eyehategod et Sleep…
Chris : Voilà, Sleep, putain, Sleep …
Martyn : On avait aussi enregistré trois morceaux avec lui précédemment, et le feeling était excellent. Il avait fait aussi Neurosis, tu vois, inutile d’en dire plus. Au final on a plutôt des souvenirs du temps passé ivres morts dans ce studio à enregistrer tout et n’importe quoi… De bons souvenirs !
L’album suivant a été Coup de Grâce. Sa spécificité est qu’il est produit par Scott Reeder, l’ancien bassiste de Kyuss, et que vous y avez invité John Garcia et Tom Davies [ex Nebula]. Un souhait d’affirmer une soudaine influence sud-californienne ?
Martyn : Non, pas forcément. Une opportunité, plutôt. Avec The Big Black on a fait quelques dates avec Unida en Angleterre, et Scott était bassiste au sein du groupe à l’époque. Il commençait à enregistrer quelques groupes. Et donc on s’est dit pourquoi pas bosser ensemble ? C’était cool, même si je me rappelle qu’il avait eu des problèmes avec la table de mixage… A un moment il a dit “on devrait inviter John Garcia pour jouer sur ce disque”, et il s’est débrouillé et a réservé l’avion pour faire venir John : il a atterri, on a été le chercher à l’aéroport, il a été dormir au studio, s’est levé le lendemain, a enregistré deux chansons et est reparti le lendemain. Putain, avec le recul je me dis “mais où on a pu trouver le fric pour faire ce genre de plans ??” (rires). On se foutait vraiment de ces questions de fric à l’époque.
Comment voyez-vous l’album aujourd’hui ?
Martyn : La presse n’a pas été tendre à sa sortie, ils critiquaient la production, pas mal de choses… Mais c’était notre volonté. On voulait faire quelque chose de différent, et il est différent.
Chris : Tu sais, avec The Big Black, on a eu tellement d’excellentes chroniques, tout se passait super bien… Mais le label, Music For Nations, a fait faillite. Et d’un seul coup on se retrouvait avec rien.
Martyn : Notre état d’esprit avait beaucoup changé, dans cette situation, on était devenu très cynique vis-à-vis du “music business”, on a écrit des chansons plus énervées, et on se moquait complètement de faire partie d’une quelconque “scène”, et donc de faire ce que l’on attendait de nous. Inconsciemment, il est même possible que l’on ait tout fait pour s’en détacher.
Votre album suivant, Thieving From The House of God, a marqué le départ de Pete O’Malley, votre second guitariste, et votre souhait de continuer à quatre désormais.
Martyn : Absolument. Pete est parti après Coup de Grâce : on est parti en tournée en Europe, puis aux USA, et ça l’a achevé. Quand on est rentré, on a fait deux concerts de charité en l’honneur de Johnny Morrow, le chanteur de Iron Monkey qui était décédé peu de temps plus tôt, et il est parti juste après.
Chris : Il nous a dit qu’à ce stade il avait fait tout ce qu’il avait toujours voulu faire dans un groupe : il a fait plein de concerts, sorti plusieurs disques. Il avait fait le tour…
Martyn : Je me rappelle qu’on avait un festival prévu en Angleterre, le Bulldog Bash [ndlr : a priori c’était en 2004], et il nous a dit qu’il s’était cassé l’orteil ou quelque chose comme ça, qu’il ne pouvait pas jouer. Je ne pense pas qu’il mentait, mais le fait est que nous avons dû jouer à quatre ce jour-là, et on a eu de si bons retours de ce concert, un super feeling ! Je pense qu’à partir de là on a été rassurés pour la suite.
L’album a donc été écrit pour une seule guitare ?
Martyn : Oui, absolument, on savait à partir de ce moment-là que ça marcherait comme ça. Et l’air de rien ça nous a bénéficié à nous trois, en tant que musiciens, d’avoir plus de place dans le spectre instrumental en quelque sorte… en particulier moi-même : jusque là mes lignes de basse étaient essentiellement calées sur ce que jouais Pete, et ça m’a libéré musicalement.
Vous avez ensuite enregistré Healing Through Fire pour le label Sanctuary, qui avait le vent en poupe à l’époque…
Chris : Yep !
…Or le label a fait faillite juste après !
Chris : Yep ! C’est toute l’histoire de notre carrière résumée là (rires).
Que s’est-il passé ?
Chris : Tout se passait bien les premiers mois. Et puis Sancturay a été racheté par Universal, et évidemment Universal n’a gardé que les groupes qu’il aimait, on s’est donc retrouvés sur le carreau, comme des centaines d’autres groupes.
Comment l’avez-vous vécu ?
Martyn : Pfff, que veux-tu faire, quand ça t’arrive ?
Chris : On est devenus assez cyniques, tu sais…
Martyn : C’est sûr, après vingt ans de carrière, c’est normal. Sur le moment, ça te fait franchement chier. T’essayes de retrouver ta motivation en jouant un concert après l’autre, mais c’est sûr que ce n’est plus pareil… Ce n’est pas la seule raison, mais ça explique aussi un peu qu’il y ait eu cinq ans entre cet album et le suivant. A ce moment-là on se posait des questions sur notre avenir, on a envisagé de se séparer. On était toujours actifs sur cette période, on jouait un concert par mois minimum, ici ou là en Europe… Juste assez pour nous maintenir à flot et juste assez motivés pour continuer jusqu’au concert suivant. Par contre on n’a rien composé du tout pendant ces années. En plus Chris a déménagé un peu loin de chez nous… Et on ne répétait pas non plus, on n’en avait pas besoin : jouer ces concerts c’était nos répétitions. Cette période a duré quatre ans environ. On a signé avec Candlelight Records à un moment donné durant cette période, mais ça a bien duré deux ans et quelques avant que l’on n’envisage de sortir quoi que ce soit pour eux. On s’y est collé laborieusement ensuite, on s’est isolés, mais ça n’a pas été très efficace : on a fait une chanson seulement, je crois que c’était “Red Tide Rising”…
Chris : On n’avançait pas, on a même repoussé la sortie de l’album.
Où avez-vous trouvé la motivation pour faire Eulogy For The Damned ?
Martyn : On est repartis en tournée aux USA pour deux semaines et demie, et ça s’est super bien passé : une super tournée, des salles remplies, un excellent public. Et ça nous a vraiment boosté ! Après ça on s’est retrouvés de plus en plus souvent pour répéter, une fois par semaine, puis deux fois par semaine, et on a vraiment senti une bonne dynamique propice pour enregistrer l’album.
Chris : Je pense que ce qui rend Eulogy… si spécial est ce contexte, le fait que ça soit venu de nous et que personne n’attendait quoi que ce soit de notre part. Aucune pression. Le processus entier reposait uniquement sur nos épaules, et ça a rendu les choses très faciles, presque confortables. Fondamentalement, c’était l’album que nous ne pensions jamais enregistrer un jour. Dans ce sens, ça nous a surpris nous-mêmes d’aboutir à ce résultat.
Martyn : Ouais, je trouve que ce qui en est sorti est excellent, je pense que c’est mon album préféré…
Tu le préfères même à votre dernier album ?
Martyn : Et bien, c’est dur à dire, il faut attendre l’épreuve des années pour se prononcer vraiment… C’est difficile : si tu m’avais demandé l’an dernier, je t’aurais dit que le nouveau était mon préféré, mais là avec un peu de recul, je me dis que celui-ci est très solide aussi…
Après Eulogy For The Damned, vous avez sorti un album live, Eulogy For The Fans. Pourquoi cette initiative ?
Chris : C’était le festival de Bloodstock c’est ça ? [ndlr – en 2012]
Martyn : Ouais… En fait on ne savait pas vraiment qu’on en ferait quelque chose. Un mec est venu nous voir en nous demandant s’il pouvait enregistrer le concert, on a dit oui, bien sûr. Or le résultat s’est avéré excellent…
Chris : On a eu l’opportunité de partir en tournée aux USA, et on s’est dit que ce serait une bonne idée d’avoir un disque à promouvoir à cette occasion.
Martyn : On ne voulait pas faire de tournée avec rien de neuf sous le bras pour le justifier.
On a déjà parlé il y a quelques semaines en long et en large de Back From The Abyss, on ne va pas en remettre une couche… Par contre, dites-nous quand même à quoi nous attendre de la part d’Orange Goblin dans les prochains mois ?
Martyn : On n’a pas de grosse activité prévue d’ici la fin de l’année, même si on a quelques dates prévues, notamment en festival, assez excitantes. Mais pas d’enregistrement a priori… Enfin, il ne faut jamais dire jamais avec nous ! Je reformule donc : je serais surpris qu’on enregistre quelque chose cette année (rires).
Après la saison des festivals, vous vous mettez au chômage technique côté scène ?
Martyn : Disons juste qu’il y a des discussions… On a des propositions pour aller jouer une semaine par ci, une semaine par là… Je ne peux pas t’en dire plus, mais je peux quand même dire qu’il y aura quelques concerts d’ici la fin de l’année.
Vous allez enregistrer les concerts d’aujourd’hui et de Londres ? Si oui, la perspective d’un nouvel album live, un peu exceptionnel, est-elle envisagée ?
Chris : Les concerts seront enregistrés, mais je ne pense pas que nous les sortirons… Mais en tant que bonus tracks sur une future sortie ou autre, pourquoi pas ? Nous avons plein d’autres bandes live de bonne qualité que nous pouvons aussi utiliser si nous le souhaitons… Donc qui sait ?
Il n’y a pas de secret : pour produire un album aussi intéressant et abouti que Moksha, il faut forcément une bande de musiciens intègres et passionnés. Cet entretien avec Matte, le bassiste de My Sleeping Karma nous aura conforté dans cet a priori : le musicien est non seulement intéressant, mais il parle de sa musique une passion communicative. Ceux et celles qui auront vu le quatuor allemand sur scène comprendront à quel point cet enthousiasme sincère est même contagieux, et se répand dans le public au bout de quelques minutes… C’est aussi l’effet produit par l’écoute de Moksha pour l’auditeur…
Soma avait été très bien reçu par le public et la critique. Dans quel état d’esprit vous trouviez-vous quand il a été question de commencer à composer pour Moksha ?
Moksha est notre cinquième album. Notre principal objectif était simple : ne pas refaire le même album que Soma, et nous voulions aussi modifier notre processus créatif. Nous voulions tenter de nouvelles choses, prendre plus de risques. L’une des illustrations de ce changement d’approche a été que cette fois-ci Norman, notre joueur de clavier, a participé au travail d’écriture : il nous a proposé plusieurs idées à partir desquelles nous avons travaillé.
Tu veux dire qu’auparavant Norman ne prenait pas part au processus de composition ?
Rarement, en effet. Généralement les chansons étaient écrites avant qu’il n’y appose ses claviers et autres atmosphères sonores. Seppi, Steffen et moi-même habitons à côté les uns des autres, tandis que Norman vit un peu plus loin, ce qui rend les choses moins faciles pour lui, forcément. Tandis que cette fois il était bien plus présent avec nous lors de l’ensemble du processus d’écriture. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles le son de cet album est plus profond, plus travaillé aussi.
Dis-nous en plus sur ce process de composition.
Habituellement on jamme donc plutôt en format trio. C’est généralement plutôt Seppi qui écrit des riffs de guitare et nous jammons sur cette base pour composer. On identifie une bonne idée de riff, de mélodie, et on travaille sur cette base, on se laisse porter. Mais vraiment, tout vient de jams. On essaye de se retrouver une ou deux fois par semaine pour jouer, en gros.
Peux-tu nous expliquer pourquoi le process de composition a été aussi long ? En effet, tu nous disais déjà il y a deux ans que vous commenciez à travailler sur l’album, or il ne sort que maintenant…
Soma est sorti en novembre 2012, période où nous nous sommes embarqués sur la tournée avec Monster Magnet. Ensuite nous avons beaucoup joué un peu partout, nous avons enchaîné avec pas mal de dates en festivals d’été… Nous avions prévu de travailler sur le nouvel album ensuite, et c’est bien ce que nous avons commencé à faire. Or à ce moment-là, certains membres du groupe avaient des préoccupations liées à leur vie privée. Notre musique ne peut être écrite que dans un état de bien être, avec l’esprit libre. Ca n’a aucun sens de le faire si l’un de nous ressent le moindre stress, et que l’on commence à se comporter du genre : “vite vite, nous n’avons que peu de temps devant nous, il faut que l’on compose quelque chose aujourd’hui !” … On a dit “non, on s’arrête, on écrira l’album quand le timing sera propice”… On avait donc une partie de l’album réalisée, mais on a continué environ six mois plus tard. Toute chose prend du temps… Evidemment nous aurions aimé l’avoir plus tôt, mais maintenant qu’il est fini et prêt à sortir, on est ravis ! Peut-être que pour une fois nous parviendrons à sortir le prochain album plus rapidement… mais je n’y crois pas trop ! (rires)
Pourquoi avoir choisi ce titre pour l’album, “Moksha” ?
L’album précédent s’appelait “Soma”, c’est un breuvage qui te permet d’accéder à des sphères éloignées, à des dimensions par ailleurs inatteignables. Moksha, c’est la libération, l’illumination finale… Peut-être qu’après avoir bu pas mal de Soma tu atteins l’illumination finale ! (rires) Mais en réalité, le concept de Moksha nous a paru naturellement approprié au contexte de My Sleeping Karma : le groupe existe depuis dix ans, c’est notre cinquième album… Ce sont des nombres ronds, et notre situation en tant que groupe nous convient parfaitement, et donc fondamentalement, ce concept d’une sorte de plénitude nous est apparu parfaitement adapté.
Avez-vous trouvé le nom de l’album avant de commencer à écrire, ou bien après avoir terminé l’album ?
Il est arrivé comme ça, après. Nous écrivons toujours la musique avant, et c’est ensuite que nous identifions le titre le mieux approprié.
C’est le cas pour vos chansons aussi ? Etant donné que vous n’avez pas de paroles, est-ce que sélectionnez le concept et l’esprit du titre avant ou bien après en avoir composé la musique ?
Généralement nous trouvons le titre après avoir écrit la chanson. Pour Moksha on a essayé de lire pas mal avant, ce qui nous a permis de mettre en avant différentes idées et concepts. Quelques unes de ces idées ont été aussi retranscrites sur l’illustration de la pochette, par exemple tu y vois quatre ponts qui mènent à un temple : l’idée vient de livres hindoux qui mentionnent quatre parcours différents qui amènent à l’illumination. On essaye de travailler avec ces symboles issus de concepts de l’hindouisme ou du bouddhisme, et ensuite nous décidons des noms en fonction de ce que le son des chansons nous inspire : parfois il s’agit de rôles divins, d’autres fois de comportements humains positifs… Ce sont des sujets sur lesquels il est très intéressant de travailler.
Tu as fait allusion au superbe artwork qui ornera cet album. L’une de ses spécificités est que, pour la première fois, il est plein de couleurs, alors que vous aviez privilégié le blanc, puis sur Soma le noir…
Déjà, tu as raison, Soma avait amorcé un changement, après trois albums sur fond blanc. Il était pourtant prévu en blanc lui aussi, mais l’artiste nous l’a envoyé en inversant simplement les couleurs pour passer sur une base noire, et il nous a paru évident que l’on devait garder cette version : elle était plus détaillée, plus riche… Il fallait qu’elle soit noire, pas d’hésitation. Alors bien sûr, maintenant les gens se sont imaginé qu’après trois albums blancs puis un noir, le prochain serait noir lui aussi ! D’autres nous ont aussi sorti qu’étant donné que nous étions chez Napalm Records, un label plutôt metal, nous étions obligés de sortir des pochettes noires (rires) ! Mais c’est plus simple et innocent que tout cela : nous avions envie de couleurs cette fois, nous avons donc demandé à l’artiste de nous envoyer quelques essais avec des couleurs, et ça nous a plu, voilà tout.
Cette couverture est une pièce maîtresse de votre album, peux-tu nous en dire plus sur sa conception ? Vous êtes en tous les cas restés fidèles au même artiste. L’a-t-il réalisée sur la base de la musique ?
C’est toujours Sebastian Jerke, effectivement, c’est aussi lui qui avait fait Soma. Non, il n’a pas écouté l’album avant, mais il connaît bien My Sleeping Karma, et comme nous il a beaucoup lu avant et pendant l’élaboration de cette peinture. Nous échangions sur notre vision de Moksha, les différents concepts associés. Il nous soumettait des idées lui aussi en retour, et la pochette s’est construite progressivement de cette manière. Nous avons vraiment voulu travailler à nouveau avec lui car il comprend vraiment ce que nous voulons, ça nous a même parfois presque choqué de constater à quel point nous étions complètement en phase avec sa vision, c’est comme s’il lisait dans nos esprits ! Je suis persuadé que nous le solliciterons à nouveau pour notre prochain album…
L’idée principale de cette illustration tient dans le doute entre ce qui est vrai et ce qui est imaginaire : est-ce que la vie que l’on vit est réelle, ou bien est-ce que c’est cette supposée illumination qui est réelle ? Si l’illumination est réelle, est-ce que notre vie existe quand même ? Etant donné que tout le monde semble chercher l’illumination en vain, on pourrait conclure que la vie est peut-être fausse… C’est largement ce concept qu’il a exploité, avec dans le fond de l’image, en bas, des éléments qui sont très “normaux”, des structures d’apparence très réalistes construites par l’homme. Puis en remontant on arrive aux quatre ponts, qui mènent au temple où est assise Ganesha, et on voit que la transformation commence : ça atteint son paroxysme avec l’arrière du temple, qui est un peu le début du monde des rêves. Une autre interprétation est que Ganesha semble assise sur un trône, en protectrice de la sagesse et des bonnes choses liées au monde de l’illumination, qui sont derrière elles, et qui sont aussi les concepts apparents sur la pochette de Soma. Si tu regardes attentivement, tu observeras que les gens qui doivent traverser les ponts doivent en conséquence traverser les figures de nos quatre albums précédents ! Il y a tant de détails… Du coup, vu le format atypique, les gens vont croire qu’ils se sont trompés quand ils achèteront le disque, car il est imprimé de travers, or c’est le seul moyen pour pouvoir voir l’illustration en entier, une fois dépliée !
Vous avez aussi opté pour un nouveau concept concernant les interludes entre chacune de vos chansons. Peux-tu nous dire ce dont il s’agit ?
Nous aimons relier chacune de nos chansons par de petits extraits avec des identités bien spécifiques. Nous voulons quelque chose entre les chansons qui prenne la main de l’auditeur et l’amène à travers une nouvelle émotion pour la chanson suivante. Des interludes plutôt lents si le titre suivant est plutôt heavy, par exemple. La particularité sur Moksha est que ce n’est pas nous qui avons fait les interludes. On s’est dit “c’est notre cinquième album, faisons quelque chose de cool et différent”, et on a donc demandé à des amis, des musiciens que nous connaissions, de nous faire chacun un interlude : David de The Machine, Stefan de Colour Haze, etc… Ils nous ont demandé ce qu’on voulait exactement, on leur a simplement dit de faire un interlude sur leur façon de voir My Sleeping Karma, c’est tout ! Ils ont tous dit OK et nous ont envoyé leurs morceaux directement. Seul Stefan de Colour Haze voulait vraiment le faire, mais n’a pas eu le temps car il était occupé avec son propre enregistrement. C’est super intéressant d’entendre ce qu’ils ont composé en pensant à My Sleeping Karma ! Ils ne connaissaient pas la nouvelle musique, donc c’est nous qui avons choisi où irait chaque titre, là où ça s’agençait le mieux.
Le premier single issu de Moksha est “Prithvi”, pourquoi avez-vous choisi ce titre en premier ?
On l’a choisi parce que lorsque tu écoutes le dernier titre sur Soma, “Psylocybe”, et lorsque que tu écoutes “Prithvi” ensuite, qui est le premier titre du nouvel album, tu comprends immédiatement que la musique provient de la même “famille”, du même cercle. On a donc choisi “Prithvi” comme premier single parce que l’on voulait faire comprendre que c’était bien le MSK que les gens connaissaient, et en même temps cette chanson termine la connexion avec Soma, la boucle se referme. Après ce premier titre, les chansons suivantes sont plus audacieuses, elles explorent de nouvelles directions, qu’il s’agisse du très long morceau titre, des sections de violoncelles, ce genre de choses…
Ce titre est par ailleurs l’opportunité de votre première vidéo. Peux-tu nous en parler ?
Le postulat de base était que nous ne voulions pas y apparaître en tant que personnes, on ne voulait pas de captation live pour ce clip, du genre avec des plans traditionnels de nous quatre en train de jouer. Ca aurait été d’un ennuyeux… On voulait donc apparaître sous forme d’ombres, en quelque sorte : c’est la musique qui est importante et pas les quatre gars qui jouent ladite musique. On a demandé à notre ami Tim de le faire, il nous a emmené dans une sorte de salle de sport pour filmer ces passages en ombre chinoise, on n’y croyait pas du tout sur le moment, on pensait que ça serait pourri, on aurait dit du bricolage, et finalement ça ressort super bien. C’est vraiment un tout petit budget, mais on en est super contents.
Vous jouez plusieurs petites séries de dates autour de la sortie de “Moksha”, mais on ne voit pas d’annonce pour une vraie, grosse tournée. Est-ce que c’est dans vos projets ?
J’espère que l’on pourra partir en tournée en octobre ou novembre. Mais on n’est pas encore sûr, ça dépendra de la situation familiale de chacun des membres du groupe. Nous voulions en faire une en juin, au moment de la sortie de l’album, mais ce ne fut pas possible pour des problèmes d’organisation de certains membres du groupe vis-à-vis de leur famille. Nous avons donc en projet de le faire à l’automne.
Vous avez néanmoins bon nombre de dates qui devraient mériter le détour : une “release party” aujourd’hui, une autre dans votre ville natale, une date à Genève pour la fête de la musique pour un concert gratuit, des festivals, etc… Quels événements attendez-vous en particulier ?
Tu as raison, il y aura beaucoup de dates spéciales, mais en réalité, on les attend toutes avec le même enthousiasme ! Tu sais, avec My Sleeping Karma on adore tout simplement jouer live. Et chaque situation est différente et nous plaît tout autant. Tu imagines que c’est un peu différent de jouer par exemple dans un gros festival metal, en tant que groupe instrumental psychédélique, ou de jouer avec Monkey 3 dans notre petite ville natale ! Mais on prend tellement de plaisir à être sur scène, que l’on est contents dans toutes les situations : que nous jouions devant une seule ou un millier de personnes, on se donnera de la même manière.
On hésite, pour justifier cette interview fleuve de Steve Hennessey, l’emblématique leader des canadiens de Sheavy, à invoquer l’obligation d’informer, le devoir de mémoire, ou… l’égoïsme ! En effet, une bonne part du staff de Desert-Rock a fait ses armes dans le monde du stoner aux sons de Electric Sleep, Synchronized et autres Celestial Hi-Fi. Du coup, on aurait probablement pu faire plus synthétique et tronquer cette conversation pour servir une interview plus “digeste”, mais on s’est dit que dans tous les cas, cette plongée absolument inédite (essayez de trouver ça ailleurs…) dans la vie, la “tête” et le fonctionnement de ce groupe et de cet artiste pour le moins atypiques méritait d’être connue et appréciée à sa juste valeur, brute de décoffrage, sans filtre …
Quel est le statut de SHEAVY aujourd’hui ? Comment résumerais-tu l’activité du groupe ?
Je dirais que le groupe est dans une sorte de demi-repos. A titre personnel je ne suis pas à Terre-Neuve [ndlr : l’île canadienne où vivent Steve et le groupe] en ce moment, je prends des cours de mécanique dans le Minnesota, c’est un programme de formation de deux ans. Toutefois, le groupe est dans une configuration très solide en ce moment. Jason Williams [batteur] et Glenn Tizzard [basse] sont des mecs géniaux. Evan Chalker [guitariste] et moi-même écrivons des riffs à distance l’un de l’autre. J’espère que Barry Peters, qui a joué sur “Moons In Penumbra”, nous aidera à nouveau à la guitare sur le prochain disque. Bref, à l’évidence on ne jamme pas énormément en ce moment, mais lorsque je suis à la maison, on joue environ une fois par semaine.
A l’évidence SHEAVY ne vous fait pas vivre et vous avez tous des métiers à côté. Est-ce que cette situation vous convient ?
Je peux répondre au nom de chacun : on adorerait tous faire de la musique à longueur de journée. Mais les réalités d’adultes nous en empêchent. Ce n’est pas une mauvaise chose d’ailleurs… C’est juste que ça te force à définir les priorités dans ta vie. L’important est que nous parvenions toujours à faire de la nouvelle musique dans ce contexte.
Peut-on évacuer rapidement une question récurrente : on te dit souvent que ta voix est assez proche de celle de Ozzy a ses débuts… Comment le vis-tu ?
Oh tu sais, depuis notre première démo, enregistrée sur un vieux 4-pistes, on comparait ma voix à celle d’Ozzy. Alors si en plus tu doubles ou triples mes pistes de voix, et que tu ajoutes une touche de chorus et de delay, alors ça peut sonner très proche d’Ozzy. Mais ça se passe vraiment uniquement dans la tête : si tu écoutes mes vocaux et les siens côte à côte, tu peux effectivement constater qu’ils sont proches dans le style, mais finalement assez distincts. Mais ce n’est que mon opinion bien sûr. Je me suis tellement habitué aux comparaisons avec Ozzy au fil des ans que je suis simplement flatté que l’on puisse citer mon nom dans la même phrase que celui du Madman ! Ma voix est ce qu’elle est. Bénédiction ou malédiction, je n’en sais rien. Les gens disent que je sonne comme Ozzy… et bien j’ai appris à vivre avec ! Hahaha
SHEAVY est littéralement absent du web (un site d’une page), de tous les médias sociaux (pas de page web officielle, twitter, bandcamp ou autre…). Est-ce un souhait du groupe ?
Je pense que la cause principale est tout simplement qu’à titre personnel je n’éprouve pas d’intérêt pour tout ça, j’essaye de vivre ma vie “offline” autant que possible. Les autres membres du groupe sont libres, mais ils ne poussent pas non plus dans ce sens. On n’essaye pas d’être particulièrement secrets pour autant. Une page fan a été créée sur facebook à laquelle ils participent occasionnellement. Tu sais, les groupes existaient bien avant l’âge digital et les gens trouvaient moyen d’être “connectés” à l’époque, il y avait des cercles musicaux, ça se faisait différemment… En fait, je veux juste faire de la musique. C’est l’unique raison qui me donne envie d’être dans un groupe.
Ce n’est pas anodin : l’une des conséquences est qu’il est aussi difficile de rentrer en contact avec le groupe, ou d’être informé sur l’actualité du groupe, une chose qui est désormais facile et normal chez la plupart des groupes…
Je n’ai jamais entendu que des fans ne parvenaient pas à rentrer en contact avec nous. La page fan de facebook rend possible de contacter les membres actuels ou anciens du groupe. Mais je comprends ta remarque. Pourrions-nous développer notre présence sur le web ? Assurément. Mais en toute franchise, je n’ai pas beaucoup de temps à y consacrer. Si on avait un compte Twitter j’imagine que je pourrai raconter aux gens ce que j’apprends durant mes cours, par exemple, mais est-ce que ça les intéresserait ? Et quel rapport avec le Groupe ? Alors je te pose une autre question : est-ce qu’un groupe peut ne pas être assez intéressant pour les média sociaux ? Si oui, alors SHEAVY est ce groupe ! Hahaha.
Pour être plus pragmatique, te rends-tu compte que cette absence peut même être préjudiciable au groupe, qui voit ainsi des gens avoir du mal à se procurer les sorties du groupe, par exemple ?
Sheavy pourrait effectivement être plus transparent sur son activité. Je n’ai pas de compte facebook, donc je ne vois même pas l’activité de la page fans. Si un truc cool y apparaît, les mecs me le font suivre par mail. Notre site web est minimaliste, mais à chaque fois que je m’y atèle, me revient à l’esprit l’un des principes qui me tient à cœur : moins c’est plus ! Une part de moi se satisferait totalement d’une page vide avec le nom du groupe et une adresse de courrier, pour voir si les gens écriraient, héhé… J’adore avoir du courrier et écrire des lettres, tu sais ! Je comprends la frustration d’aimer un groupe et de ne constater qu’il a sorti un album cinq mois après sa sortie… Est-ce qu’on va s’améliorer là-dessus ? Peut-être. Je vais au moins mettre tous les disques de Sheavy depuis “Republic” sur Bandcamp d’ici au printemps. Sache que je n’ai même pas de lecteur MP3, mais j’ai cru comprendre que certaines personnes avaient des trucs dans le genre, hahaha.
A ce titre, le groupe est plutôt atypique dans le paysage musical actuel. Comment vis-tu le séisme que vit l’industrie musicale depuis plusieurs années ?
Ca va te surprendre, mais je pense vraiment qu’il n’y a jamais eu de meilleure période pour faire de la musique. La technologie digitale rend les choses faciles et bon marché. La contrepartie, c’est qu’il y a tant de musique désormais que c’est difficile de se faire remarquer. C’est facile de mettre en vente sa musique en MP3, mais il faut être Taylor Swift ou Kanye West pour en vivre. Peut-être que le facteur Darwin interviendra, et que seuls les groupes qui bossent le plus, qui font des tournées et qui savent se vendre obtiendront le plus grand succès. Le retour à la mode du vinyl est cool, mais est-ce que ça atteindra un niveau suffisant pour en vendre des millions comme avant, et que les groupes pourront en vivre comme avant ? Je n’en sais rien. Mais dans le contexte actuel, je pense que tourner et être efficace sur scène sont les éléments clés du succès. Prends SHEAVY par exemple. Pour d’innombrables raisons, nous ne faisons pas de tournées : gosses, métiers, crédits, le fait qu’on n’ait ni management ni promoteur de tournée… Du coup il ne nous reste que les ventes de disque, et ce n’est pas brillant. Nous avons fait fabriquer à peine 300 copies de notre dernier CD. Nous gagnons environ $6 pour chaque vente, ce qui nous rapporterait au maximum $1 800 si on les vend tous. Or le disque nous a coûté $4 000 à produire et fabriquer. Inutile d’avoir fait Maths Sup’ pour comprendre que c’est une catastrophe financière. Mais on le fait juste par amour de la musique. Le business nous passe complètement au dessus de la tête.
De quels groupes te sens-tu proche aujourd’hui ? Musicalement ou humainement ?
Ouh là, mec, mes goûts musicaux sont très variés. Au niveau des groupes heavy, j’aime beaucoup des groupes comme Converge ou Pallbearer ces derniers temps. J’ai vu Converge live il y a quelques années et ça m’a vraiment marqué. Billy Anderson a fait un super travail sur le dernier album de Pallbearer. Ces harmonies vocales sont superbes. Sinon, j’écoute beaucoup de David Bowie, de Roxy Music. J’adore. J’écoute beaucoup la bande originale du film Velvet Goldmine depuis plusieurs mois [ndlr : sorte de revival glam rock]. Je me suis découvert une certaine affection pour Gary Numan récemment aussi, il a de super compos. Tu vois, en ce moment j’écoute ce genre de trucs.
Sinon, étant donné que nous ne tournons que rarement, je dirais que nous n’avons jamais vraiment eu l’opportunité de vraiment sympathiser avec d’autres groupes. St John [la ville où il réside] a plein de groupes, tous très proches, et je suis pote avec des dizaines de mecs là-bas. J’imagine qu’on partage une frustration commune d’être tous bloqués sur cette petite île de l’Atlantique Nord, ça crée des liens ! Hahaha.
Vous jouez live si rarement que ça ?
Hummm… Je dirais qu’en moyenne ces dernières années, on joue environ un show par an. Et quand on joue, c’est dans le bar de Glenn Tizzard, notre bassiste.
Mais ça n’a pas toujours été le cas… Je me souviens que vous avez même joué en Europe il y a plusieurs années.
Oui on y a tourné un peu en 1998 (UK et Pays-Bas) et 2005 (UK et Allemagne). Nous y étions parvenus grâce au soutien de Rise Above, notre label de l’époque. Mais nous n’avons plus de label, de management ou de promoteur depuis 2006, donc obligatoirement, on se consacre plus à nos albums qu’aux tournées désormais.
Mais tu ne voudrais pas changer ça et reprendre le chemin de la scène ?
Si, j’adorerais, mais il faudrait que tout le monde dans le groupe puisse se le permettre. Nous faisons tout ce que nos vies nous permettent de faire. Comme je te disais, je suis sûr que si la musique nous permettait de gagner nos vies, nous ne ferions rien d’autre que tourner. Hélas, nos vies sont différentes.
Tu nous as parlé de St. John, ta ville, comme un élément important de la vie de SHEAVY, et d’un bassin musical important. On a du mal à le croire quand on regarde la configuration de cette ville…
St John a environ 200 000 habitants, c’est plutôt petit, mais on a une grande quantité de musiciens très talentueux. Trouver des gens avec qui jouer de la musique est vraiment facile. Evidemment, beaucoup sont déjà dans un ou deux groupes en même temps, mais tu n’auras aucune difficulté à trouver un mec prêt à tout pour jouer coûte que coûte. Grâce à ces mecs géniaux que tu retrouves cités dans les crédits de nos albums, j’ai pu maintenir SHEAVY en vie. D’ailleurs, ça n’est que depuis ces dernières années que je me suis progressivement impliqué dans la composition, car auparavant c’était Dan Moore et Keith Foley qui écrivaient les chansons, je ne m’occupais que des paroles. Ces derniers temps, le travail de composition est plus partagé au sein du groupe.
Tu parlais de tous les musiciens qui ont joué dans SHEAVY, comment expliques-tu que dans un monde où tous les groupes voient des conflits internes (“divergences musicales” ou autres) tu sembles avoir maintenu des liens amicaux avec tous ces musiciens ?
C’est vrai, je ne sais pas l’expliquer, je suppose que c’est en quelque sorte le syndrome d’une petite communauté, mais je veux aussi penser que c’est lié au fait qu’on a eu un sacré paquet de mecs supers dans ce groupe. Pour la plupart, tous ceux qui ont quitté le groupe l’ont fait en bons termes et bons rapports avec les autres membres du groupe. Je peux dire sans ambiguïté que ce groupe n’a jamais été victime du moindre drame ou crise. On déteste ça. Les amis, y’a que ça de vrai, mec.
Comme tu le disais, tu as pris à titre personnel, petit à petit, le contrôle de la plupart des aspects du groupe : la composition, la production des disques, le son, l’artwork, etc… Comment expliques-tu cette évolution ?
Ca me fait du mal de le reconnaître, mais je suis devenu une sorte de “control freak” concernant nos albums. On peut aussi dire que ça vient d’une sorte d’implication et de sens de l’engagement en tant que producteur, toujours est-il que je ne m’engage jamais dans l’élaboration d’un album sans en avoir au préalable la vision claire de ce à quoi il doit ressembler ou comment il doit sonner. Je crois que le seul motif d’insatisfaction de Glenn [Tizzard] sur le dernier album est que les deux “z” dans son nom sont trop collés l’un à l’autre… “Mais les “z” accolés font partie de la vision, bon sang ! Ne te mèle pas de ça, connard !” Il s’est excusé de cette remarque quand il est sorti de l’hosto… Je déconne bien sûr, mais c’est une bonne image : j’ai effectivement tout fait jusqu’à choisir les polices de caractère. C’est plus facile de procéder ainsi, ça coûte moins cher et c’est plus pratique. J’aime tout ce qu’il y a à faire autour de la conception d’un disque : ça va du son de batterie jusqu’à la composition graphique de l’ensemble. Ca m’éclate, mec ! Je ne me drogue pas, donc comment pourrais-je m’éclater autant autrement ? [sourire]
Je me demande comment tes collègues au sein du groupe vivent cette situation, où clairement tu es derrière chaque composante du groupe…
Je pense que pour Sheavy je suis une sorte de dictateur bénévole. Bon, j’ai mis une boîte de suggestions à la sortie de notre local de répétition, mais je ne lis jamais son contenu, je m’en fous ! Héhéhé… J’adorerais que tout le monde ait un intérêt et une implication intense, ça me rendrait la vie plus facile. Mais soyons honnêtes : la motivation de la plupart des musiciens est de jouer de leur instrument et de s’éclater à faire de la musique. Je ne dis pas que ce n’est pas fun de passer quinze heures sous Photoshop pour travailler sur l’artwork, mais ça n’intéresse pas forcément tout le monde… Ca vaut pour toutes les activités dont je te parlais tout à l’heure. Je n’ai en réalité jamais vu le moindre groupe où chaque musicien a la même motivation. D’ailleurs de mon point de vue ce scénario de travail est sans doute très inconfortable : obtenir le moindre consensus doit être un calvaire, la moindre décision un cauchemar à obtenir… Dan Moore me dit souvent : “Steve, le groupe n’est pas une démocratie”. Qui suis-je pour le contredire ? [sourire]
Tes disques sortent sur un label appelé “Dallas Tarr Records”, un label qu’on aurait cru provenir du sur des Etats-Unis… Or on ne trouve aucune info sur ce label.
Normal mec, Dallas Tarr est un peu un label bidon. C’est un truc créé uniquement pour SHEAVY, et je pense que ça ne changera pas. Je continue à l’utiliser juste pour rendre hommage à Rennie Squires, le mec responsable d’avoir fait connaître SHEAVY. Sans Ren, il n’y aurait jamais eu de contrat avec Rise Above Records, et le groupe aurait disparu il y a un sacré bout de temps.
C’est quand même risqué de sortir un disque intitulé “The Best of SHEAVY” qui est en fait… un nouvel album ! Tu n’as vraiment pas eu peur que les fans, qui ont déjà tous les albums, ne l’achètent pas ?
Ca fait des années que j’ai dans l’idée de faire un faux best if de SHEAVY. J’ai un sens de l’humour un peu tordu, et sortir un “best of” avec uniquement des nouvelles compos, une fausse photo de groupe, et aucun titre de chanson, ça me fait marrer. Il fallait que je le fasse. Le simple fait d’amener une caisse d’albums chez Fred Record’s à St. John [ndlr : un disquaire qui fait aussi office de principal distributeur des disques du groupe] et de regarder leur gueule quand ils ont vu ça, rien que ça ça valait la peine, hahaha ! Mais ce n’était pas fait non plus pour choquer les gens. J’essaye de prendre un peu de recul aussi parfois. Combien de groupes qui ont sorti plein de disques te disent systématiquement que leur dernier album comporte leurs meilleurs morceaux jusqu’ici ? Des tonnes de groupes ! Et bien nous, on est encore au-delà ! Donc tu vois, rien n’est innocent, et tout est ainsi. Les musiciens dans SHEAVY ont beaucoup changé ces derniers temps… on a donc mis la photo d’un groupe anonyme ! Aucun titre de chansons ? Un lien peut-être avec la nature virtuelle de la musique…
Qu’entends-tu par là, concernant l’absence de titres de chansons ? Est-ce qu’au final tu trouves que ça ne sert à rien ?
De manière pragmatique,déjà, si on avait écrit les chansons au dos du disque, la “surprise” du faux “best of” n’aurait pas duré longtemps. Mais au niveau du fond, c’est un commentaire sur la musique moderne. Un tas de “uns” et de “zéros”. Et donc oui, en un sens, ça ne sert à rien. Des “uns” et des “zéros” de plus dans des bizillions d’autres qui sont déjà là, disponibles…
Comment décrirais-tu ce disque, votre dernier album à ce jour, par rapport au reste de votre discographie ?
C’est un disque à la fois typique et atypique. Je ne vais pas te dire que chacun des titres qui y figurent est meilleur que tout ce que l’on a fait dans la carrière de Sheavy. C’est des conneries. Au niveau du style musical, ça part dans tous les sens. Mais c’est bel et bien un disque de Sheavy : celui qui connaît bien nos anciens albums saura que l’on a toujours été comme ça. Mais paradoxalement, j’espère juste que les mecs qui font de la musique avec moi dans le groupe pensent toujours que nous avons quelque chose d’original et de neuf qui nous donne tous toujours envie de continuer à faire évoluer le groupe. Je veux à tout prix qu’ils sachent que le groupe n’est pas que l’ombre inamovible de son propre passé, et que leur contribution est appréciée, et valorisée. Je ne veux pas qu’ils ressentent la moindre seconde qu’ils jouent dans un “tribute band” de Sheavy. Ma seule exigence dans ce groupe est qu’il soit pertinent, et si un jour ce n’est plus le cas, nous arrêterons. Tu vois, “Moons in Penumbra” était vraiment mon disque, à plusieurs titres : il est massif et cohérent, j’en ai écrit toutes les chansons… Mais le dernier album est vraiment le fruit d’un travail plus collectif. J’espère qu’ils sont fiers de ce disque. Pour ma part je sais que je ne pourrai jamais assez les remercier d’y avoir contribué.
Quel est le groupe qui figure en photo sur la pochette ?
Et bien en fait… ce n’est pas du tout un groupe ! Il s’agit de trois frères et de leur pote. Je te raconte l’histoire : pendant des années, je rendais visite à un pote, et cette photo de famille était accrochée au mur dans le salon. J’étais à chaque fois émerveillé devant, car ça ressemblait à une photo de groupe, une photo très canadienne. Or ça n’en était pas une. Quand nous avons décidé de faire un faux “best of” et de trouver une photo pour la pochette, j’ai immédiatement su où aller la chercher. Et du coup, il y a quelque chose d’un peu sentimental dans ce choix. Deux des trois frères, ceux tout à gauche et tout à droite, sont morts depuis. La pochette me permet de me souvenir d’eux. J’ai juré que la photo resterait anonyme, mais je peux juste dire qu’ils étaient des mecs biens. Je pense qu’ils auraient apprécié qu’une de leurs photos de famille soit en couverture d’un album…
Vous avez composé et sorti un disque dans le cadre du “RPM Challenge”, et “Moons in Penumbra” était supposé en faire partie aussi. Peux-tu nous en dire plus ?
Le RPM Challenge est une super manière de te motiver à écrire et enregistrer un disque. Le but est de te sortir les doigts du cul et de faire l’impossible, en gros [ndlr : plus sérieusement, le RPM Challenge incite chaque année les groupes candidats à composer et enregistrer un album de dix titres et 35 minutes sur le mois de février]. Je ne pense pas que l’enregistrement d’un album doive obligatoirement être un exercice long et fastidieux. “Moons…” s’est avéré être un album impossible à réaliser dans le cadre du RPM project. Evan par exemple n’apprécie pas de travailler sous pression. C’est un mec adorable, mais il ne voit pas l’intérêt de presser les choses. Je l’adore, je ne vois pas l’intérêt de lui générer la moindre pression stupide. Par ailleurs, ce mois de février en particulier, on a eu des tempêtes de neige à chaque fois que nous voulions jouer ensemble. Et puis deux potes qui bossaient avec nous avaient un planning très contraignant. Bref, ça n’a pas pu se faire sous ce format. Etant donné que tout était écrit, on a gardé ça dans un coin en attendant que le moment opportun arrive. Mais au final, je pense que le RPM est un super concept. C’est plus approprié pour des musiciens électro ou des chanteurs compositeurs solo, par exemple, certes, mais si jamais tu es épaulé de mecs motivés et dans le même état d’esprit que toi, tu peux tout à fait faire un album en un mois et t’éclater à le faire !
Quels sont les plans de Sheavy pour les prochains mois ?
Et bien ça ne devrait pas te surprendre, on va composer quelques titres cet hiver, commencer à jammer aux alentours de mai 2015, puis enregistrer un nouvel album vers la fin de l’été. En ce moment je me gèle les fesses dans le Minnesota, mais je pense qu’on peut y parvenir. Evan a déjà des tonnes de riffs en attente.
Passons à la question la plus importante de cette interview : comment faut-il écrire le nom du groupe ? Sheavy, ou sHEAVY comme on peut le voir sur la pochette de “Synchronized” et divers supports ?
C’est Dan Moore qui a mis un petit “s” au début de sHEAVY, je n’ai aucune idée de ce qu’il avait à l’esprit à ce moment-là… Je suis persuadé qu’il trouvait ça marrant à l’époque, et on continue à me poser des questions sur le sujet en 2014 ! [rires] Bah, tu auras remarqué qu’on n’a jamais eu un logo similaire sur la durée. Et pourtant, on avait bien appliqué les règles cardinales de création d’un groupe :
trouver un nom de groupe
choisir une police de caractère – une cool si possible
trouver une poignée de mecs avec qui tu tolères de jouer
se faire connaître en se reposant sur la police de caractère retenue
vendre des millions de disques et de tee-shirts et devenir une rock star (ils te reconnaîtront à travers ta police de caractère !)
Donc voilà, désormais tu vois, tout est clair : si on n’a jamais eu de succès, c’est parce qu’on n’a jamais su garder la même police de caractère !
Plus sérieusement, pour moi ça s’écrit Sheavy, tout simplement. Ou SHEAVY quand j’ai envie de le crier !
Plus d’infos (et notamment comment commander leurs dernières productions) : http://www.sheavy.com/
Bon an, mal an, Lori S. et ses compères de Acid King tracent leur petite route tranquille, avec quelques concerts ici ou là, et un album de temps en temps pour maintenir la flamme de leur statut culte. Du coup, impossible de passer à côté de l’opportunité de taper la discut’ avec Lori S., leader incontestée du combo, sous le soleil éreintant du Hellfest 2014. Comme on l’imaginait, Lori se révèle gentille, souriante et intéressante. Maintenant il nous tarde de l’écouter, ce disque !
Avant tout, vous venez de sortir de scène, comment était le concert ?
Lori S. : Le public était génial ! Jouer dans ces grands festivals est toujours générateur de stress, tu sais. Jouer devant tant de monde, ça intimide… Tu essayes de jouer au mieux, donc tu es très concentré. Et tu as un peu peur du son dont tu bénéficieras, étant donné du peu de temps de soundcheck dont tu disposes, donc tu batailles un peu avec tout ça. Mais au final, le concert était vraiment cool.
Parle-nous de ton nouvel album, qui devrait sortir bientôt…
Absolument, le nouvel album sortira en février 2015. Il est presque terminé, il ne reste plus qu’à le mixer.
Musicalement, doit-on s’attendre à des changements radicaux ?
Non, pas beaucoup, en tout cas je pense que le son d’Acid King est reconnaissable. A titre d’exemple, on a joué deux nouveaux morceaux tout à l’heure sur scène, et je pense qu’ils s’intègrent bien dans notre set… Tu ne trouves pas ?
Si, je n’y ai vu que du feu !
Hahaha, voilà ! Sinon, certaines choses évoluent quand même dans notre musique, notamment le fait que Mark [Lamb, basse] ait un peu plus contribué sur ce disque, en apportant des idées intéressantes lors de l’écriture et de l’enregistrement. Il y aura des petits changements, des subtilités… Le son sera le même, mais vous remarquerez quand même une évolution d’Acid King, je pense.
Qui est le producteur de l’album ?
Toshi Kasai et Billy Anderson ont tous deux enregistré l’album, et c’est Billy qui va s’occuper de le mixer. C’est un peu comme si le groupe était producteur, avec Billy en ingénieur du son et co-producteur… Mais bon, on fait tout tous ensemble, en gros.
Le nouvel album sortira donc pas moins de neuf ans après son prédécesseur ! Qu’est-ce qui vous a pris si longtemps ?
Il n’y a pas vraiment de raison… Acid King n’est pas un job à temps plein pour nous tous, nous avons chacun une carrière à gérer à côté avec un “vrai” boulot. En réalité, nos vies nous ont pris plus de temps tout simplement et nous ont empêché de passer plus de temps pour Acid King. On répète quand même de temps en temps, et on essaye de faire une ou deux tournées chaque année, comme en ce moment. Mais voilà, le temps passe, et il n’y a aucun motif unique qui explique ça.
Il sortira sur quel label ? Il ne sera pas sur Small Stone si j’ai bien compris.
Non, effectivement, il sortira sur Svart Records, avec une édition vinyl et CD. En fait c’est sous license, ce n’est pas vraiment notre label. A ce stade de notre carrière, nous n’avons pas vraiment besoin d’une maison de disques. On gèrera nous-même toutes les sorties digitales, avec d’autres trucs qu’on mettra en vente online, ça nous permettra peut-être de gagner un peu d’argent, car figure-toi qu’on n’a jamais gagné le moindre dollar avec tous les morceaux digitaux d’Acid King qui ont pu être vendus en ligne ! Je ne sais pas qui en a gagné, mais pas nous, ça c’est sûr. Donc on veut reprendre le contrôle de ces trucs. Mais concernant Svart, on est plutôt contents, j’aime beaucoup ce label.
Vous terminez votre petite tournée européenne aujourd’hui avec ce concert au Hellfest, comment s’est passée la tournée ?
Super ! Excellente tournée. La meilleure date fut celle de Londres, je pense, un super concert, et Paris, où on a joué avec Spirit Caravan. Ce n’était qu’une petite tournée que l’on a organisée autour de l’opportunité que l’on a eue de jouer au Hellfest. On n’avait pas vraiment de vraie raison de partir en tournée au regard de notre actualité, mais notre tourneur a eu cette invitation du Hellfest, et on s’est donc dit : “Pourquoi pas, ça a l’air cool”, et nous voilà donc.
Comment tu expliques ce constat que vous jouez plus souvent sur un continent à des milliers de kilomètres de chez vous plutôt que dans votre propre pays ?
C’est vrai, ça fait longtemps que je n’ai pas fait de tournée aux USA… Mais jouer en Europe, c’est vraiment super. Qu’il s’agisse des groupes, des salles de concerts, de l’hospitalité, tout est mieux qu’aux USA. Désolée, les U.S. ! Hahaha !
Sur cette tournée vous avez joué un bout de la tournée avec Pet The Preacher. Pourquoi avoir choisi ce groupe ?
Et bien nous cherchions un groupe avec qui jouer, et il se trouve que nous avons le même tourneur. Ils sont jeunes, ils ont un nouvel album, ils étaient excités à la simple perspective de jouer live… Ca nous convenait tout à fait ! Et au final ça s’est super bien passé, ils étaient très sympas.
Sur quels principes penses-tu organiser vos prochaines tournées ? Penses-tu pouvoir revenir tous les ans à peu près ?
L’an prochain nous allons faire une tournée aux USA, car ces dernières années nous avons joué en Europe plus que nous n’avons joué dans notre propre pays. Idéalement, nous ferons aussi une tournée en Europe pour jouer sur les deux continents, mais nous n’avons aucun plan concret à l’heure actuelle. C’est juste notre souhait.
Après une performance de haute volée en première partie de Los Disidentes Del Sucio Motel, on a retrouvé les quatre musiciens d’ABRAHMA relax, pour parler du groupe, de leurs albums (passé et futur), de la vie en tournée, des copains (Rescue Rangers), etc… Les musiciens, sympas et ouverts, nous y livrent quelques infos qui font saliver dans l’attente de leur nouveau disque qui ne devrait plus tarder, et qui sera, on l’espère (et eux aussi) l’occasion de les revoir sur scène, un terrain où ils font vraiment la différence…
Votre premier album est sorti il y a deux ans maintenant, ce n’est plus vraiment de l’actu, mais je voudrais quand même revenir sur un point qui en a surpris plus d’un à l’époque : comment un groupe qui existait à peine depuis quelques mois à l’époque [ndlr : Abrahma est né des cendres d’Alcohsonic vers 2011] réussit à se faire signer directement sur le label Small Stone Records ? Il suffit d’envoyer une démo ?
Seb Bismuth (guitare et chant) : Et bien en fait c’est même encore plus simple que ça. Il faut dire qu’à l’époque on avait déjà mixé et masterisé l’album, avec une équipe différente de celle de la version qui est sortie depuis. On avait pris Alan Douches et Jason Groves, ce dernier ayant mixé des albums de Hermano et de son guitariste Dave Angstrom. Une fois l’album terminé, on a décidé de commencer par cibler les labels qui nous tenaient le plus à cœur, c’est-à-dire en gros Small Stone, Tee Pee, Relapse, Listenable… On leur a juste envoyé un mail avec un lien pour le téléchargement de l’album, et à peine deux jours après, j’ai reçu un message de notre illustrateur, Alexander von Wieding, qui m’annonce juste : “Mec, j’ai une excellente nouvelle pour toi : Scott Hamilton [ndlr : fondateur et gérant de Small Stone Records] m’a demandé ce que je pensais de votre musique, il voudrait vous parler”. On a donc longuement discuté avec Scott pour aboutir à ce qu’il nous dise : “la musique est mortelle, mais je voudrais un nouveau mix et un nouveau mastering”. On était hésitant au début, il voulait revoir le son de batterie, des trucs comme ça. Il a fait un mix de test sur deux morceaux, et le son correspondait parfaitement à ce qu’on voulait au départ. Jason Groves avait pourtant bien bossé, mais là on avait un truc qui nous convenait naturellement. Les échanges ont duré cinq semaines environ, mais le résultat était super.
Alex Von Wieding est un peu l’artiste attitré de Small Stone, mais vous me dites que vous l’aviez déjà choisi avant même d’être signé sur Small Stone ?
Guillaume Colin (basse) : Oui, l’artwork était même prêt avant qu’on n’envoie l’album aux différents labels. On avait déjà sollicité Alex pour un EP qu’on avait fait à l’époque avec Alcohsonic, qui était une sorte de transition musicale entre les deux groupes. Au moment où on s’est séparés avec le précédent guitariste et où Nico est arrivé, on a enregistré un truc à trois, un EP avec quelques titres qui ont aussi plus tard atterri sur l’album d’Abrahma : “Vodun pt.1”, “Honkin’ Water Roof” et… Je ne sais plus quel autre morceau [ndlr : aucun autre J], mais c’étaient des titres qui amorçaient notre évolution musicale. Et Alexander avait déjà réalisé cette pochette. C’est donc une pure coïncidence.
Votre actu maintenant, c’est le nouvel album. On sait déjà que vous avez des compos…
Seb : Voilà, on en a même joué une ce soir. L’album va être enregistré mi-mai. Thomas Bellier [ndlr : guitariste à la tête notamment de Blaak Heat Shujaa] est co-producteur. C’est un pote de longue date, et il cherchait un groupe pour “se faire la main”…
Guillaume : Lui il avait envie de se lancer dans le métier, et nous on avait besoin d’une oreille extérieure.
Seb : On tenait vraiment à cette oreille extérieure. A un moment on a même cherché un producteur, mais ça faisait un gros budget, on s’est beaucoup interrogé à l’époque. Et finalement on connaît super bien Thomas, on a déjà tourné ensemble, on a à peu près les mêmes goûts… Pour tester un peu, on lui a envoyé quelques morceaux pour recueillir son avis, et il s’avère que ses retours ont été très constructifs et utiles.
Mais il vit en Californie, ça ne va pas faciliter l’enregistrement ça, si ?
Guillaume : On va faire comme pour le premier album, on va enregistrer dans le studio de Benjamin [Collin, batteur du groupe] qui est ingénieur du son, on y fait toutes les prises.
Seb : On n’attend pas de la part de Thomas qu’il joue le rôle d’un producteur dans le sens “français”, mais plutôt comme ça se pratique pour les producteurs américains : on lui a envoyé tous nos morceaux, une quinzaine environ (sachant que tous ne figureront pas forcément sur l’album), et on lui a demandé d’abord de faire une sélection. Et puis on lui a demandé son avis sur quelques titres que l’on aimait beaucoup, mais pour lesquels on avait vraiment du mal à prendre du recul. Il nous a apporté son regard extérieur, et nous a dit des choses similaires à ce qu’on pensait, mais en nous apportant des choses très intéressantes qui nous ont permis de changer et d’améliorer des morceaux. Le titre que l’on a joué tout à l’heure, “An Offspring to the Wolves”, c’est un super exemple : c’est un morceau que l’on avait déjà terminé avec une version différente, et Thomas nous a dit qu’il fallait supprimer des trucs et changer d’autres choses. On a donc refait tout le morceau, et le résultat est bien meilleur.
Globalement, à quoi s’attendre pour ce prochain album ? Musicalement, des changements ou évolutions importantes par rapport au premier album ?
Guillaume : Hormis quelques morceaux qui avaient été bien travaillés avant, le premier album avait été quasiment écrit, enregistré et mixé en même temps. Ca avait été très vite.
Seb : Et puis on sortait d’Alcohsonic, il ne faut pas l’oublier, et on cherchait encore un peu notre son, même si on avait trouvé où on voulait aller.
Guillaume : En fait cette fois-ci on a voulu resserrer le spectre, le premier album était un peu large au niveau du spectre musical. Là ça risque d’être un peu plus lent, un peu plus lourd, psyche parfois…
Seb : On avait un côté grunge parfois, que l’on assume un peu plus désormais.
Où sont vos inspirations désormais ?
Seb : On écoute des choses très variées en fait. Guillaume et moi on a à peu près les mêmes goûts. Tu vois dans le van en ce moment on peut écouter aussi bien At The Gates, donc du death suédois, et puis Herbie Hancock, Paradise Lost, Soundgarden… C’est aussi pour ça que c’est dur de nous qualifier de pur stoner. La semaine dernière, alors que l’on parlait du second album, Scott Hamilton nous disait qu’on était un groupe atypique chez Small Stone, on n’a pas grand-chose à voir avec le reste. On a décidé d’affirmer cette variété d’influences, de tous nous pointer en studio sans a priori sur le genre musical que l’on va jouer, et chacun d’amener selon ses sensibilités des idées, des riffs, etc… Donc oui, quand tu écoutes le résultat final il y a un côté psyche, un côté doom, dark… Un album plus affirmé, même si ça sera la suite logique de l’album précédent.
Et il sort quand ?
Seb : Alors ça c’est la grande question. L’idée de base ça serait fin 2014, au pire début 2015.
Et donc vous nous confirmez que ce sera chez Small Stone.
Seb : Oui. Quasiment tous les aspects sont en cours de validation, artwork, tournée, promo, etc…
Depuis la sortie de l’album, vous avez joué plus de trois fois plus de concerts dans des pays européens qu’en France. C’est une volonté de votre part de vous exporter en priorité ?
Seb : Je vais te donner mon avis personnel : je pense tout simplement que c’est de plus en plus difficile de jouer en France. En plus de ce constat, il semble qu’Abrahma intéresse plus des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne…
Guillaume : C’est plus dur en France pour plusieurs raisons. D’abord il y a plus de public pour cette scène musicale ailleurs qu’en France. Ensuite, on voit de plus en plus de structures qui disparaissent, des salles de concert qui ferment… Ca devient vraiment difficile de booker une tournée.
Seb : Cette tournée est un très bon exemple : on avait une date bookée à Barcelone, et le but était de trouver deux dates sur le trajet aller, et deux autres sur le retour. Et bien ça a été une galère totale… Certes, on s’y est pris un peu tard, mais quand même, j’ai travaillé un mois dessus, et on n’a quasiment pas eu de retours, et quand on en avait, on nous proposait des conditions vraiment impossibles. Il faut savoir qu’on n’est vraiment pas gourmands au niveau du cachet, on n’est pas là pour se faire de la thune, c’est une passion avant tout. Mais on a quand même l’essence à payer, rentrer dans nos frais… Et puis ce que disait Guillaume c’est très concret, les salles ferment vraiment petit à petit. Sur cette tournée on devait faire une date à Orléans, et l’Infrared [ndlr : un café concerts rock de la ville] a fermé juste avant. A Paris, c’est pareil, à l’image du Glazart dont le bail se termine mi-2015, et dont on ne sait pas encore s’il sera prolongé. Les Combustibles, la Miroiterie, les fermetures de multiplient…
Guillaume : Pour revenir à la question, c’est vrai aussi qu’on a plus de facilité à trouver des dates à l’étranger.
Seb : C’est vrai. On a récemment fait une petite tournée en Angleterre, et c’est arrivé direct dans ma boîte Facebook, par le tourneur qui nous demandait en gros si on était intéressé pour venir jouer dix jours avec Enos et Mother Corona. Donc même si on cherche des dates, on prend aussi ce qu’on nous propose, et la plupart des offres ont été en provenance d’autres pays que la France.
Vous savez quel type de format de tournées vous privilégierez à l’avenir pour promouvoir ce nouvel album ? Premières parties, tournées “packages”, têtes d’affiches …
Seb : Bien entendu on a commencé à contacter les festivals pour 2015, on a des contacts et des discussions en cours, on espère que ça se concrétisera. Globalement on va bien sûr essayer de faire le plus de dates possibles, probablement plus encore qu’avec le premier album, mais on ira là où on veut bien de nous… Je pense qu’avoir un deuxième album sous le bras aide un peu dans cet objectif.
Guillaume : On va aussi essayer de jouer dans des endroits où on n’a jamais été, à l’image de l’Espagne, du Portugal…
Seb : Pour l’Espagne, c’est même officiel, vu qu’on fait désormais partie du roster de Red Sun, une agence de booking de Barcelone, qui est une asso qui se bouge vraiment. J’encourage d’ailleurs tout le monde à promouvoir cette asso qui se défonce, et même les groupes à se rapprocher d’eux : jusqu’à maintenant tous les groupes qui bossent avec eux sont ravis. Après on a aussi des projets d’aller en Suède, en Finlande, etc…
Guillaume : Et puis les Etats-Unis…
Vous pensez que ça peut marcher ? On trouve de plus en plus de groupes américains qui font le mouvement inverse, c’est-à-dire qu’ils cherchent des tournées européennes, beaucoup plus rentables pour eux…
Guillaume : On a déjà eu des invitations, on n’est pas passés loin de le faire… On est aussi conscients qu’il faudra peut-être commencer par des dates moins rentables sans doute, voire perdre de l’argent au début…
Seb : On sait qu’il faut en passer par là. Pour en arriver avec Abrahma là où on en est aujourd’hui, on a mis de notre poche, même si maintenant on arrive à peu près à équilibrer les choses. Pour les Etats-Unis, on sait déjà que ça nous coûtera au moins les billets d’avion, peut-être même plus. Et puis Scott, le patron du label vit là-bas, et on sait qu’il aimerait bien voir le groupe, c’est normal. A mon avis c’est aussi le cas de The Socks, l’autre groupe français signé chez Small Stone, ils ont probablement aussi ce type de projet.
Seb, on a observé depuis quelques semaines un rapprochement très concret de ta part vis-à-vis de Rescue Rangers [ndlr : confirmé le soir de l’interview par la présence de Seb en second guitariste du concert des Rescue Rangers] : peux-tu nous détailler comment c’est arrivé et de quelle manière ça se concrétise ?
Seb : Depuis les débuts d’Alcohsonic, on a une très forte amitié avec Rescue Rangers, c’est des relations super fraternelles. On est en contact avec Pascal [Mascheroni, chanteur / guitariste de Rescue Rangers] depuis leur premier EP. On a fait nos premiers concerts ensemble, et on s’est très bien entendus avec eux, aussi bien au niveau de la musique – et notamment une grosse passion pour la musique des années 90 – que du mental. Cette amitié n’a fait que grandir au fur et à mesure. Il y a quelques mois j’ai organisé une tournée Enos, Mangoo et Rescue Rangers, et suite à cette tournée, le groupe m’a proposé d’être leur manager, pour continuer à travailler pour eux. Puis suite à cette tournée, il y a eu un remaniement du groupe. J’ai proposé à Pascal des musiciens, notamment Fred [Quota, batterie] qui a fait lui-même le lien avec Guillaume [Theoden, basse]…
Guillaume : Sachant que Fred est le batteur remplaçant d’Abrahma, étant donné que Benjamin n’est pas toujours dispo du fait de ses autres occupations musicales. Donc tu vois, Rescue Rangers c’est un peu la famille.
Seb : Rescue Rangers a un nouvel EP qui va sortir bientôt, et le producteur de cet EP avait suggéré au groupe de prendre un second guitariste. Or ça faisait longtemps qu’on discute avec Pascal de faire quelque chose ensemble, donc on a fait un test en répèt’, et ça a collé. Il faut dire que j’adore leur musique et que je connaissais quasiment tous leurs morceaux par cœur… Moi ça m’éclate en tout cas.
Ca doit pas être facile pour les répèt’ entre Paris et Marseille, la ville d’origine de Rescue Rangers…
Seb : Guillaume et Fred étant comme moi de Paris, le groupe devient parisien, donc Pascal se déplace pour qu’on joue ensemble. On espère qu’il nous rejoigne bientôt de manière plus stable, ça facilitera les choses…
Tout ça ne risque-t-il pas de venir impacter Abrahma ?
Seb : Je ne sais pas du tout ce que l’avenir nous réserve, pour le moment on ne se projette pas trop loin, et clairement je ne sais pas exactement quelles disponibilités je pourrai avoir pour Rescue Rangers étant donné qu’Abrahma reste mon groupe principal. Mais en revanche tout est très clair et transparent entre Pascal et moi donc à ce jour ce n’est pas un problème. En tous les cas je me suis éclaté ces deux derniers jours sur scène, à jouer deux sets par soir, avec Abrahma et Rescue Rangers. Ce n’était pas forcément évident, j’avais quelques craintes étant donné que ce sont deux sets plutôt énergiques, mais même si je finis les soirées crevé, c’est super, je le referai, le test est concluant.
Pour conclure, j’ai entendu dire que vos tournées étaient souvent épiques et chargées d’anecdotes improbables… Vous pouvez nous donner votre Top 3?
Seb : Alors le Top 1 je le connais, mais est-ce qu’il faut le révéler, je ne sais pas ! [rires] Le Top 1 alors c’est un viol… Une tentative de viol pour être précis, par une femme de plus de cinquante ans avec des cheveux violets, un soir, qui a eu pour conséquence qu’on a passé une nuit blanche pour la fuir, en essayant de dormir quelques minutes ici ou là, sur une aire d’autoroute…
Guillaume : Enfin ça serait long à raconter et vraiment très fastidieux à retranscrire, fais-moi confiance… On avait essayé de dormir quelque part à l’arrache après, on s’était posé sur un parking qui s’est avéré être à côté d’un entrepôt de la DDE. Les agents de la DDE bien sûr se levaient super tôt, pile quand on commençait à trouver du sommeil…
Seb : Mais cette nuit catastrophique ne nous a pas empêchés de jouer l’un de nos meilleurs concerts à Lyon le lendemain… Après comme anecdote, y’a aussi le mec qui a monté un concert chez le disquaire Gibert Joseph de Dijon, organisé un peu au dernier moment, mais bon… On se pointe et on s’installe donc en bas du magasin, et au moment de commencer le concert, on s’aperçoit qu’il ferme le magasin ! On lui demande s’il est sûr de son coup et il nous répond : “Ouais ouais c’est bon !”. Et en fait on a joué devant lui, et une dame très gentille qui devait aller chercher son gosse à l’école, enfin je te passe les détails… Et la même journée on a eu une histoire avec un chien perdu… Faut pas aller à Dijon !
Guillaume : On a eu un plan aussi en Hollande, je crois que c’était la tournée avec Jaded Sun. C’était un ancien Hôtel, une sorte de Bar-hôtel, et donc le mec avait des piaules, sauf que toutes les piaules étaient prises ! On s’est retrouvés dans une sorte de grenier, avec une sorte de table à UV dans un coin… Sauf qu’on était cinq, et y’avait moins de cinq mètres carrés au sol ! En fait le gars voulait pas qu’on monte dans les chambres avant, il nous faisait fumer non stop des trucs horribles, des douilles avec une sorte d’alcool à l’intérieur…
Seb : On avait aussi fait un concert complètement improbable dans un festival toujours en Hollande, paumé quelque part. On s’est pointés, c’était pourri. Y’avait personne. Pour bouffer on nous a juste filé une sorte de soupe dégueulasse, un truc avec de l’eau, t’avais l’impression que les légumes avaient infusé dedans… On a commence à gueuler et l’organisateur était pas là. Donc j’essaye de l’appeler, je lui dis : “C’est quoi ce borde ? Tu m’avais dit que c’était un festival de musique, qu’il y aurait plein de monde !”. Et le gars me répond : “Ouais mais en fait j’ai organisé deux festivals le même jour. Donc moi je suis dans une ville à côté c’est blindé, c’est mortel“. En plus de ça les groupes avant nous qui devaient chacun jouer trente ou trente-cinq minutes jouaient allègrement plus d’une heure chacun, donc nous qui devions jouer à 23h, on a finalement joué à deux heures du matin, et dans le public il n’y avait que des copains qu’on avait là bas et les mecs de Mother Of God. Mais bon, on a aussi de bons souvenirs en Hollande, faut pas croire ! Enfin oui, globalement, en tournée on accumule les sales plans, on pourrait en raconter des tonnes. Mais en fait là c’est bizarre, ça fait longtemps qu’il ne nous est pas arrivé un plan bien foireux… On est probablement en train de devenir plus sérieux !
Les LDDSM sortent trop rarement de leur tanière, et quand c’est le cas, comme à l’occasion de cette mini-tournée bien sympa au début de l’été, faut pas les rater. On en a profité pour choper deux des frangins Maverick par le col (Francky, guitariste / chanteur, et Bobby, bassiste / chanteur), les asseoir sur une sorte de bout de rampe de skate un petit moment au doux son d’un bon vieux Judas Priest, afin de les interroger sur ce qui se passait dans le petit monde des Disidentes. Comme d’habitude, les gars ont été non seulement sympas mais aussi intéressants et toujours passionnés, et tandis que leur dernière galette “Arcane” a encore laissé des traces toutes chaudes dans nos chaînes hi-fi, ils nous donnent déjà envie d’entendre leurs nouveaux titres.
C’est plus vraiment de l’actu “chaude”, mais ça fait maintenant un an qu’est sorti “Arcane”, votre second album. Et pourtant, il était déjà enregistré depuis un moment avant sa sortie. Rappelez-nous pourquoi vous aviez attendu si longtemps ?
Francky: Dans nos vies perso il y a eu quelques “chamboulements”, tout ne peut pas forcément être prévu à l’avance dans le calendrier… C’est aussi pour cela que la tournée actuelle [ndlr : en mai 2014] est finalement la première que nous faisons en bonne et due forme pour défendre cet album !
Un an plus tard, quelles réflexions avez-vous sur cet album ?
On a eu de très bons retours sur l’album, qu’il s’agisse de la presse, mais aussi du bouche-à-oreille. On est vachement contents, c’est même bien mieux que le premier album, qui pourtant avait déjà bénéficié de retours très positifs ! Pour “Arcane” c’est quasiment unanime, on est vraiment super heureux, et c’est même le cas autant à l’étranger qu’en France.
Vous avez eu l’opportunité de le sortir ailleurs qu’en France ?
Oui, notamment grâce à un deal de distribution internationale qu’a mis en place notre label Deadlight Records. En réalité l’album est sorti sur deux labels : Deadlight, mais aussi HellProd, qui est notre propre label, pour travailler sur le vinyl en particulier. On a trouvé un distributeur anglais, Plastichead, qui centralise la distribution et gère ça pour le reste du monde.
Pouvez-vous revenir sur les raisons qui font que vous avez si peu tourné ces derniers mois, comme tu nous le disais tout à l’heure ?
Oui, notre dernier concert était à Marseille l’été dernier… On a eu chacun de notre côté des galères de boulot, moi je suis devenu papa… Tout ça nous a forcé à lever un peu le pied – tu ne peux pas tout faire, dans la vie… On a donc mis un peu de temps à reprendre la route, le temps que les choses se remettent un peu en place.
Bobby : Après, si tu regardes, depuis que l’album est sorti on a fait une dizaine ou une quinzaine de dates, mais ce qui est cool c’est qu’on a fait des grosses dates : on a ouvert pour Red Fang, Orange Goblin, Le Bal Des Enragés, Loading Data…
C’étaient des coups de chance ou le fruit d’une volonté de jouer des concerts plus “marquants” ?
C’est quelque chose que l’on cherchait plus ou moins. L’autre aspect qui fait plaisir c’est qu’on est aussi venu nous chercher pour ces premières parties, notamment suite à notre passage aux Eurockéennes [en 2012].
En terme de public, d’une certaine manière, ces dates équivalent à une petite tournée de bars avec quelques dizaines de personnes à chaque fois…
Francky : Et oui, c’est peut-être bête à dire, mais tu as plus d’efficacité à jouer une fois devant 300 personnes plutôt que 30 fois devant 10 personnes…
Vous êtes tout de même partis sur un format “mini-tournée” cette fois, avec dix à douze dates – quelques incertitudes sur les dernière dates avec un risque d’annulation…
Ouais, pour le Luxembourg et la Belgique, on a quelques craintes, même si les mecs ont l’air de faire du mieux qu’ils peuvent pour les maintenir ou trouver un autre lieu. En tous les cas, les dates jusqu’ici sont cools et se passent super bien : super date au Brin de Zinc [à Chambéry], hier première fois pour nous que l’on jouait dans le Centre de la France à Clermont Ferrand, très bien aussi… On fait des clubs plutôt cools sur cette tournée, c’est sympa.
Vous faites donc un peu moins de concerts qu’avant, mais vous avez de plus en plus de projets parallèles (International Unplugged Rock’N’Roll Society – IURRS pour les intimes – , un single en solo pour Francky, etc…). On se demande tout simplement si la place qu’occupe le groupe dans vos vies a changé, voire diminué ?
Pendant les huit mois où on n’a pas fait de concert, le groupe n’était pas en stand-by. On a beaucoup répété et composé pour le nouvel album. Etant donné que c’est un album qui nous demandera probablement beaucoup de temps, on fait ça à notre rythme.
Bobby : Je pense que la place du groupe pour nous n’a pas changé. C’est juste que nous avons ressenti le besoin à un moment donné d’aller rechercher des expériences, de s’investir dans des projets… Là par exemple on vient de sortir avec HellProd un skeud d’un mec de Strasbourg, Dirty Deep, or ça nous a certes pris beaucoup de temps, mais on avait vraiment à cœur de sortir ce truc-là, ça nous intéressait. A titre personnel, moi j’ai eu envie de m’investir dans le label et de travailler avec d’autres musiciens par ce biais.
Est-ce que vous allez encore plus développer le label ?
Francky : On aimerait bien, ça dépendra des opportunités. Mais on ne vise pas de devenir Sony ! Là, pour le coup, avec Dirty Deep, la rencontre humaine et artistique était parfaite, donc on n’a pas hésité, on a foncé.
Vous êtes aussi au cœur d’une sorte de réseau d’artistes (vidéo, photos, etc…) avec qui vous travaillez étroitement depuis longtemps. Est-ce que vous envisagez aussi de développer ce type d’interactions artistiques ?
Bobby : On est en train de travailler sur un projet de clip qui va probablement à nouveau débouler sur un truc assez cinématographique. Pas aussi long qu’un film, mais avec un budget conséquent, une grosse prod. Ca sera sur la base d’un des morceaux de l’album. En parallèle, Alex de Deadlight bosse avec une boîte de prod aux Etats-Unis qui fait des films d’horreur, et notre morceau “Z” devrait se retrouver sur un film de leur catalogue.
On note que votre réseau de collaborations se structure principalement autour de Strasbourg, est-ce que cet attachement local ne freine pas une volonté de développement national et international ?
Francky : C’est sûr que si on parle par exemple des IURRS [ndlr : un rassemblement de musiciens à géométrie variable qui interprètent des reprises rock en format acoustique], on est les noyaux du truc étant donné que l’on a initié le projet, mais il y a plein de musiciens qui gravitent autour de ce truc-là, et ça nous apporte énormément humainement et musicalement. Chaque année on essaye de renouveler un peu les musiciens, et d’aller voir un peu ce qui se passe dans notre région, quels groupes sont en train de se développer… Et ça marche : plusieurs groupes et musiciens pas encore très connus émergent ensuite en quelques mois et récoltent un succès mérité. Et c’est ça qui nous éclate : faire connaître cette scène strasbourgeoise qui est géniale. Il y a un réseau de musiciens en Alsace qui est trop peu exporté, on ne comprend pas pourquoi.
On commence à voir pas mal de groupes français qui tournent autant en France qu’à l’étranger (Abrahma, Glowsun, Mars Red Sky, …), voire même plus à l’étranger qu’en France pour certains. Ce n’est pas votre cas, la plupart de vos concerts sont en France. Est-ce un choix de votre part ou un manque d’opportunités ?
Bobby : Il y a effectivement un manque d’opportunités. Mais il y a un autre phénomène que l’on nous a souvent fait remarquer, c’est que nous avons notre public essentiellement en France. C’est bizarre, les gens nous connaissent en France, mais à l’étranger ils sont plus réticents… Sinon, tu as aussi le fait qu’Abrahma par exemple est signé chez Small Stone, donc derrière tu as le poids d’un label international, ça aide aussi, et ce n’est pas le cas pour nous.
Francky : Nous on ne demande que ça ! Le noyau français on l’a, c’est cool, maintenant on aimerait commencer à s’exporter. Tu vois l’autre jour on se faisait la remarque dans le van que l’an prochain ça fera dix ans que LDDSM existe. Or sur la durée, on a trop peu joué à l’étranger, tu as raison. Donc je pense que dans un futur proche, on va vraiment se pencher là-dessus. On n’a pas manqué de bonne volonté en tout cas, on a joué quelques dates ici ou là en Europe, des dates en Club dans différents pays, avec parfois très peu de monde, et ça nous faisait douter, au regard des efforts nécessaires pour organiser ça et le temps passé, l’argent dépensé… Mais bon, on a aussi eu de super bonnes surprises sur d’autres dates, avec plein de monde, où tout s’est super bien passé…
Parlons du prochain album : il en est où pour le moment ?
On a un concept et quelques compos, quatre titres environ. Ca sera un concept album, un vrai, plus que les autres : sur les deux premiers il y avait des thématiques, mais là ce sera un vrai concept album, un peu dans l’esprit “The Wall” – sans aucune prétention de comparaison, évidemment. Ce sera l’histoire d’un personnage que l’on va suivre dans un contexte qu’on a inventé, ce sera complètement imaginaire. Les chansons vont raconter des chapitres de cette histoire. Et au vu de l’histoire, il faudra que l’on trouve un lien pour relier temporellement tous ces chapitres, donc on réfléchit à la manière de créer ces ellipses : peut-être du texte ou des images dans le livret, ou de la vidéo… En tous les cas on aimerait bien que la personne qui reçoit cet album se penche dedans pour réellement apprendre cette histoire. Du coup ça va prendre un petit peu de temps, car c’est compliqué à composer et à créer tout ça.
Et musicalement, est-ce qu’une tendance se dessine avec ces premières compos ?
Le style va évoluer aussi, on tend de plus en plus vers quelque chose d’un peu plus progressif. Mais ce n’est pas du tout calculé, on joue et les morceaux tombent comme ça. Pour le moment, on n’a aucun morceau en dessous de six minutes, mais ce n’est pas une volonté en soi, c’est simplement que collectivement on se dit que le morceau doit se développer comme ci ou comme ça.
Comment vous vous y prenez pour composer un concept album, étant donné qu’il y a la progression de l’histoire à gérer ? On commence du début de l’histoire avec la première chanson et on avance comme ça ?
Alors bizarrement… pas chez nous en tout cas! [Rires]
Bobby : Ce qu’on a fait d’abord c’est essayer de poser l’histoire, on a fait un brainstorming pour aboutir à l’idée globale, puis on a essayé de diviser l’histoire par chapitres, pour rendre le tout cohérent. Ensuite – il faut savoir que nous on compose généralement la zique avant les paroles – en fonction de l’ambiance des morceaux que l’on composait, on se disait : “tiens, ça ça correspondrait bien à tel ou tel passage de l’histoire”.
Francky : Ce qui est vachement intéressant, et qu’on n’avait jamais fait jusqu’à maintenant, c’est qu’au sein même de ta chanson, tu essayes ensuite de recréer l’ambiance souhaitée, tu te dis : “le mec, dans cette situation, il serait comment : il serait fatigué ? stressé ? énervé ? content ?”. Et tu injectes ton intention dans le jeu, et c’est très intéressant à faire comme exercice, notamment dans le chant. Pour revenir à la question initiale, bizarrement pour le moment on a composé la fin de l’histoire : il se trouve que les riffs que l’on avait au début de la phase de composition collaient mieux à l’ambiance de la fin de l’histoire.
Bobby : Du coup, plus on va se rapprocher de la fin de l’album, plus ça va être compliqué, parce qu’il va nous rester un morceau, et là il faudra écrire exprès la musique qui va bien pour ce morceau, on n’aura pas le choix.
Francky : J’avais vu un reportage sur l’écriture de The Wall, justement, et Roger Waters disait qu’il avait commencé par enregistrer tout l’album chez lui, et lorsqu’il était venu en studio pour travailler le mix avec l’ingé son, ce dernier lui avait ouvert les yeux en lui disant : “il te manque quelque chose dans ton histoire”, ce qui les avait obligé à écrire des bouts de chanson ici ou là, ce qui explique certaines pistes très courtes par exemple qui font des transitions. Et bien si ça se trouve on sera peut-être obligé de faire ce genre de choses, on ne sait pas…
Comment vous imaginez le live autour de l’album ? C’est peut-être un peu tôt pour se poser la question, mais vous seriez obligés de jouer l’album complet d’affilée ?
Bobby : Ca serait même l’objectif : monter un show global, en fait, jouer tout l’album, avec une mise en scène particulière peut-être. Mais on n’en est pas là pour le moment, on a encore le temps d’y penser.
Vous jouez de nouveaux morceaux sur scène, là ?
On va en faire un ce soir [cf. chronique du concert de Bordeaux dans ces pages]. On teste pour voir si ça tourne ou pas.
Vos plans maintenant sur les prochains mois, c’est quoi ?
On va faire quelques concerts d’ici la fin d’année. Ce qui est bien c’est que sur cette tournée, on a eu quelques dates qu’on n’a pas pu caler, mais les mecs voulaient quand même nous faire jouer, donc on les garde sous le coude et on verra. Il y a aussi un projet dont on parle depuis un an, avec un musicien de Strasbourg qui s’appelle Thomas Schoeffler Jr., un mec génial qui est en train d’exploser en ce moment – il fait Jazz à Vienne cet été, le Cognac Blues l’été dernier… C’est un one-man band de bluegrass / country, on se connaît depuis longtemps, et on s’est dit que ça serait intéressant de mélanger nos deux univers, qui a priori ne sont pas forcément compatibles. Du coup on réfléchit à sortir un 45 tours ou autre d’ici la fin de l’année. Les morceaux sont déjà écrits en fait, il s’agit maintenant de trouver un créneau pour passer en studio, ce qui n’est pas facile parce que lui il tourne à fond, il est sur-occupé ! Du coup, ça sera notre prochaine sortie, et ça fera tranquillement la transition avec le nouvel album.
Il y a des moments un peu surréalistes dans la vie d’un Desert-Rocker, l’interview de Arthur Seay restera à ce titre gravée dans la mémoire de votre serviteur. Alors que j’avais croisé le bonhomme plusieurs fois dans la journée et qu’on avait prévu de se voir pour une interview en fin d’après-midi, c’est en allant commander des pizzas (!!) que je croise à nouveau notre gaillard. Après une paire de blagues, on reparle de l’interview, et, réfléchissant au planning du reste de la journée, il propose de la faire… tout de suite ! Évidemment, toutes les questions sérieusement préparées sont dans mon sac de l’autre côté du site, mais c’est pas grave, on se la joue à l’impro totale, rock’n’roll ! On pose nos fesses sur un morceau de béton, et au doux son de Soundgarden qui joue à quelques dizaines de mètres, on se met à taper la discut’… Un bonhomme intéressant, sympa, rigolo et passionné… La vraie tête pensante de Unida gagne à être connue…
Ca fait des mois et des mois que tu parles du prochain album, que l’on ne voit toujours pas arriver…
Et bien tu sais, on est tous très occupés, on a nos boulots respectifs… Entre HOBP et Unida, Mike [Cancino, batteur] et moi sommes doublement occupés. Ca met du temps, c’est vrai, mais ça arrive lentement mais sûrement, ça je peux t’en assurer. On a dû se séparer de Joey [Plascencia, le bassiste original du trio] et on dû intégrer Joe [Mora, bassiste actuel] : on ne veut pas précipiter les choses, c’est une nouvelle personne, ce sont de nouveaux morceaux, et ça nous a pris du temps de trouver notre « vibe » avec Joe. Mais on y est arrivés aujourd’hui, on est tous les trois en phase, ça se passe super bien. Donc on est désormais repartis en ordre de marche, on jamme, on compose, et de la bonne musique sort de tout ça. On a enregistré cinq chansons à ce jour, je dois finir quelques parties de guitare dès qu’on rentre de cette tournée. A l’heure actuelle on est en train de se demander si on ne sortirait pas finalement un format de type EP… C’est ce que tout le monde fait ces temps-ci ! [rires] Blague à part, c’est aussi lié au mode de fonctionnement des gens aujourd’hui : ils téléchargent une ou deux chansons qu’ils aiment, parfois l’album complet… Donc on envisage ça à l’heure actuelle, à voir, rien n’est décidé. En tout cas ça sera notre priorité quand on rentrera de cette tournée.
Et quand penses-tu que nous pourrons enfin écouter ça ? Courant 2015 ?
Et bien avec un peu de chance, ça pourrait même être avant la fin de cette année. Si on part sur cette idée d’EP de cinq chansons environ, on va essayer de sortir ça avant la fin de l’année. Tout est enregistré, les vocaux et la batterie sont terminés, ainsi que les guitares, il reste quelques solos à faire. Tu sais, tout est fait chez moi dans mon studio, j’assure le rôle d’ingénieur du son, de producteur, donc ça avance vite… J’aime bien expérimenter, c’est même la raison pour laquelle j’ai construit ce studio. « Tiens j’aimerais essayer ce micro », « tiens, j’aimerais essayer cet ampli »…
Ne nous dis pas ça, on va penser que ça va prendre une éternité !
[rires] Ouais, c’est un peu le piège ! Mais bon, on essaye de rester concentré sur l’objectif de délai. Ça arrive, ça arrive, n’aie pas peur…
Tu nous en as parlé tout à l’heure, peux-tu nous dire deux mots sur le départ de Eddie et nous présenter son remplaçant, Joe ?
Et bien Eddie a simplement choisi une nouvelle vie… Moi et Mike [Cancino] nous sommes des « lifers », comme je dis souvent, on est à fond dedans et on le sera jusqu’au bout. On adore jouer, on vit quasiment pour ça, que ça soit pour 5000 personnes, 30 000 personnes ou même juste cinq personnes. On est le genre de personnes qui vivent la musique 24h sur 24. Or Eddie n’était tout simplement pas tout à fait le même type de personne que nous sur cet aspect. Il a une famille, des enfants, et il a eu une opportunité professionnelle qui l’a amené à déménager dans un autre état. Au début on pensait continuer, mais ça ne pouvait pas fonctionner sur ce schéma : on avait un album à enregistrer, tournées à assurer de temps en temps, et il aurait dû prendre l’avion de temps en temps… C’était triste parce que c’est un pote et qu’on se connaissait depuis qu’on était gosses, on avait toujours voulu faire un truc comme ça tous ensemble. Il a choisi cette voie et c’est comme ça, je lui suis reconnaissant pour tout ce qu’il a fait avec nous. Quant à Joe, on l’a rencontré il y a longtemps maintenant. Joe avait ce groupe appelé HDR et avec House Of Broken Promises on jouait souvent avec eux. On les a rencontrés la première fois au Key Club de Los Angeles, et c’était un groupe très cool, ils faisaient de la bonne musique, en trio comme nous. Après l’histoire avec Eddie, j’ai dit à Mike : « Hey, que penses-tu de Joe ? ». Joe était dans un état d’esprit favorable, très impliqué, ce qui est important pour nous : Mike et moi sommes très sérieux concernant notre musique, et nous ne voulions pas quelqu’un qui soit moins sérieux que nous. On est là pour s’éclater, pas de doute, en revanche il y a en contrepartie des efforts à faire, de la concentration et du dévouement pour récolter les fruits de ces efforts : faire des concerts, gagner un peu d’argent pour vivre, etc. On en a donc parlé à Joe, qui dans HDR était dans la même situation, avec un des musiciens qui souhaitait quitter le groupe pour privilégier sa vie de famille. Les planètes étaient alignées, tout le monde était cool, tout le monde avait envie de jouer ensemble, c’est un bon musicien… On s’est donc mis à jammer. Je bossais comme technicien pour Godsmack et Limp Bizkit à l’époque, j’étais très occupé, et lui aussi fait le même type de boulot – faut bien payer les factures… Du coup ça a mis un peu de temps pour l’incorporation complète de Joe, mais la greffe a bien pris…
C’est donc définitif, c’est un membre officiel désormais ?
Oui, absolument. Joe fait partie du groupe. Et c’est un super feeling : c’est un bon compositeur, un bon musicien, on s’entend bien… Tout va bien sur tous les aspects. Ca va être super.
Vous avez joué de nouveaux morceaux tout à l’heure sur scène…
[Coupe] On a joué ESSENTIELLEMENT des nouveaux morceaux même. De mémoire on a joué trois ou quatre chansons du premier album, et tout le reste c’étaient des nouveaux titres. C’est un truc qu’on voulait faire, avant même l’enregistrement, on voulait les jouer live. Il n’y a que là que tu vois si ça marche ou pas. La réaction des gens, notre ressenti depuis la scène, les aménagements qu’on peut apporter aux compos ici ou là selon les retours que l’on constate.
Et comment as-tu apprécié la réponse du public aujourd’hui ?
C’était super, la tente était pleine, le public avait l’air de s’éclater, il y en avait plein qui connaissaient nos morceaux et qui chantaient. Il y a même eu quelques mosh pits qui se sont créés, alors qu’on n’est habituellement pas un groupe propice aux mosh pits ! Mais c’est un bon signe je trouve – tant que c’est pas trop méchant et que ça reste amical. Les gens restaient, ils regardaient, il en venait même de plus en plus au fil du set. Et quand j’en voyais un ici ou là qui avait l’air de se faire chier, j’essayais de le capter du regard pour le convaincre de se lâcher un peu, de participer. On est là pour défendre notre musique. En plus je pense que c’est notre plus gros concert à ce jour… Bref, je suis super content, c’était génial.
J’ai discuté avec John Garcia tout à l’heure, et il me disait que Unida après cette tournée allait être mis de côté pour qu’il se consacre à son projet solo. Comment vois-tu les choses ? Avec un peu d’amertume, ou bien vois-tu ça comme une opportunité pour te concentrer sur HOBP ?
On est tous très occupés, tu sais – c’est positif, ça veut dire qu’on a du boulot. Mais je ne vois pas ça comme un changement par rapport au mode de fonctionnement que l’on a toujours eu : avec HOBP on va se concentrer sur notre prochaine sortie puis essayer de tourner un peu pour la promouvoir, John va se concentrer sur son album solo… Et quand nous aurons fini et qu’il aura fini, nous nous retrouverons et ferons à nouveau du Unida. Je suis content pour John, il a envie de mener son projet solo. Tu sais, il a envie de faire ce disque depuis quasiment quinze ans voire plus. Lui-même nous a toujours encouragés avec HOBP. Après ce sont des affaires qui se gèrent de façon adulte, des questions d’emploi du temps, en gros. Et puis tu sais, plus il a de succès, plus Unida a de succès. Et plus Unida a de succès, plus House Of Broken Promises a de succès. Ce n’est donc pas du tout quelque chose de négatif. On fait toujours un peu de Unida ici ou là, cette petite tournée va aussi y contribuer un peu. Ca génère plus de travail…
Et avoir du travail, c’est une bonne chose dans le music business…
Absolument, mec, c’est exactement ça ! On est tous des adultes, on n’a aucune volonté de devenir des rock stars, on veut juste bosser ! C’est un métier, et c’est un métier qu’on adore plus que tout. C’est ce que tout un chacun rêve d’avoir : un job qu’il aime. Et c’est ce qu’on a ! Mais oui, c’est un métier aussi. Les gens nous disent souvent : « Oh c’est super comme taf, j’adorerais ça ». On leur répond que c’est pas que… enfin… oui, c’est génial quand même [rires]. C’est super cool, mais il y a aussi son lot de nuits blanches, de vols tôt le matin sans pouvoir fermer l’œil parce qu’un gamin donne des coups de pied dans ton siège durant tout le vol, tu arrives au concert et tu ne tiens debout que parce que tu t’es gavé de café, de Red Bull et de Monster… Alors oui, cette heure que l’on passe sur scène est super, mais ce n’est pas que du bonheur tout le temps. Mais je ne me plains pas, j’assume tout ça sans soucis, je ne suis pas prêt de prendre ma retraite, et tant qu’on veut de moi pour un concert, je veux bien prendre tous les jours l’avion avec un gosse derrière qui tape dans mon fauteuil !
L’année dernière tu nous disais que tu avais déjà quelques nouveaux riffs pour Unida. As-tu eu l’opportunité de retravailler dessus depuis pour avancer ?
Ouais, j’ai envoyé quelques idées de chansons à John. Tu sais, j’écris tout le temps, et à chaque fois que j’ai une chanson dans la tête et que je me dis « tiens, celle-là je verrai bien John la chanter », ça devient une chanson de Unida. C’est pareil lorsque je jamme avec Mike. En général il n’y a pas d’hésitation : HOBP et Unida sont complètement différents. HOBP est plus un groupe de rock super énergique, un truc pour se lâcher et s’éclater, on est complètement débridés. Unida est un groupe de rock plus carré. Il n’y a jamais d’hésitation pour savoir quel groupe jouera telle chanson, les chansons décident toutes seules.
Peux-tu nous dire quelle est la situation du dernier album de Unida à l’heure actuelle ? Tu as envisagé il y a quelques mois de lancer une campagne Kickstarter auprès des fans pour récupérer les fonds nécessaires pour racheter les droits de l’album…
Oui, j’ai posté un message sur facebook pour voir comment les gens réagiraient, et les retours furent très positifs sur cette éventualité. C’est comme ça que marchent les choses aujourd’hui, donc on voit ça comme une des pistes à explorer. Je suis tombé sur notre ancien représentant récemment, on en a reparlé, j’ai aussi discuté avec notre management… On va arriver à quelque chose sur cet album, tout le monde semble constructif et dans les meilleures dispositions. Je suis très optimiste, je pense vraiment que nous allons trouver une voie pour s’en sortir. Ce n’est plus uniquement une question d’argent, de l’eau a coulé sous les ponts. Et faire ce genre de tournée nous aide vraiment, car ainsi les gens voient que nous sommes toujours actifs et que ça marche bien pour Unida. Et on a cet album qui est prêt à sortir direct. C’est 100% positif. Mike avait envie de faire une sorte de mini-documentaire, j’en ai parlé à des mecs comme Shavo de System Of A Down pour le réaliser. Tu sais, juste un doc assez court, genre dix à vingt minutes, mais l’histoire est quand même folle : il y a eu Rick Rubin, on a été signés, on a enregistré l’album, c’était génial, puis ça a viré à l’enfer, des labels ont fusionné, c’était la merde… Rien n’était de notre faute, c’était que des conneries de labels : Rick qui a quitté Sony pour rejoindre Def Jam… On peut raconter cette histoire aux gens. Un peu comme le documentaire « A band called Death » [ndlr : documentaire sur le groupe de punk rock des années 70, sorti en 2012], as-tu vu ce film ?
Oui, très récemment.
Il est génial. Bon, je n’ai pas envie d’attendre comme eux 35 ans par contre ! [rires] Il y a des enseignements à tirer de notre histoire, le moment venu. Mais pour revenir à l’album lui-même, comme je te l’ai dit, nous sommes tous très actifs, mais ça arrivera, je n’ai pas de doute là-dessus.
Finalement les tournées de HOBP semblent essentiellement organisées en support de Unida lors des rares tournées du groupe. Et en complément, vous jouez des concerts en club, essentiellement en Californie. Avez-vous en projet de monter une tournée HOBP, et notamment en Europe ?
Absolument ! Ça sera probablement en Europe, car aux USA personne n’en a rien à foutre…
C’est bien pour nous ça !
Absolument, on fera l’Europe, probablement l’Australie aussi. On fera aussi les USA, mais pas forcément une grosse tournée, un peu de West Coast, un peu de East Coast… Mais c’est sûr qu’on reviendra en Europe, dès que le prochain disque sera sorti. On est en discussion avec notre booking agent. Ca sera soit notre propre tournée, soit on se greffera sur la tournée d’un autre groupe. On a même envisagé de se coller à la tournée de John quand il fera sa tournée solo. Ca serait super, il viendrait faire une ou deux chansons de Unida avec nous, et globalement en termes de marketing ça ferait un « desert package » bien sympa, si tu veux mon avis ! Bref, comme tu vois, on viendra à coup sûr en Europe, quelle qu’en soit la configuration.
Chaque rencontre avec John Garcia revêt un caractère particulier, et même si ça m’est arrivé un paquet de fois sur ces quinze dernières années, le personnage d’aujourd’hui a changé : il est complètement impliqué dans son projet, en parle avec passion, explique, défend et justifie ses choix et décisions avec assertivité. Pas de doute, le chanteur s’est complètement approprié ce projet : c’est SON disque. Et puis en parler avec lui une grosse demi-heure en coulisses du Hellfest, en plein soleil, dans une ambiance aride avec sable et poussière, revêt un petit caractère particulier, en présence de l’un des géniteurs du vrai Desert Rock…
Ton premier album va sortir dans les prochains jours. Pour toutes tes productions précédentes, tu n’étais qu’un des membres du groupe, désormais c’est ton propre disque. Ressens-tu à ce titre une pression particulière ?
Non, pas la moindre pression, au contraire, en réalité je trouve que c’est même une sorte de libération. Il y a une sorte de liberté à se retrouver assis dans le siège du conducteur, à devoir prendre soi-même les décisions nécessaires, sans avoir à parlementer ou consulter quiconque. Et pourtant, tu as raison, il y a quelque chose de spécial pour moi évidemment sur cet album. Je n’ai pas l’intention de changer la face du rock’n’roll, ni même l’égratigner. J’ai passé ma vie à rassembler cet ensemble de chansons, des chansons avec lesquelles j’ai créé un lien personnel, et cela m’a littéralement passionné. Je les ai toutes rangées les unes après les autres au fil du temps dans mon coffre-fort – en réalité il s’agit d’une boîte en carton dans ma chambre – mais je me sentais de plus en plus mal de les regarder stagner là. Je me sentais si attaché émotionnellement à chacune de ces chansons que ça me faisait mal, ça me rendait triste, de les avoir toutes laissées là, de les abandonner en quelque sorte : en les négligeant, j’avais le sentiment de me négliger moi-même. Je ne veux pas que ça paraisse égoïste, mais il m’a semblé qu’enfin le temps de faire quelque chose que j’ai toujours voulu faire était venu.
Quand as-tu commencé à penser à l’éventualité de faire un disque solo ?
Quand j’avais dix-neuf ans.
Vraiment ? Et concrètement tu avais déjà des chansons pour ce disque à l’époque ?
Oui, je suis sérieux ! J’ai écrit la chanson sur laquelle joue Robby Krieger [ndlr : « Her Bullets Energy »] quand j’avais dix-neuf ans.
Les paroles et la musique ?
Non, les paroles sont venues plus tard.
On a senti les prémices de ce disque il y a quelques années alors que tu en avais lancé une incarnation via le concept-projet « Garcia vs. Garcia ». J’imagine que la concrétisation du disque dans ton esprit a bien avancé depuis ce temps. Lorsque tu écoutes ton disque aujourd’hui, comment le comparerais-tu avec la façon dont tu l’envisageais à l’époque ?
C’est une bonne question. Il est bien meilleur que je ne l’avais espéré à l’époque, en fait. Je pense que c’est lié au fait que j’ai eu beaucoup de temps pour le laisser mûrir, « mariner » en quelque sorte. Mes producteurs, Harper Hug et Trevor Whatever ont facilité ce processus : j’ai passé de super moments dans le studio, à créer et à injecter une nouvelle vie dans ces chansons qui pour certaines – comme « Her Bullets Energy », la plus ancienne dont je te parlais tout à l’heure – existent depuis plusieurs années. Et puis je me dois de rendre honneur à qui de droit : quelqu’un comme Danko Jones m’a écrit une chanson, quel honneur ! C’est vraiment génial. De même, je suis récemment tombé amoureux d’un jeune groupe appelé Black Mastiff, et j’ai repris l’une de leurs chansons appelée « Rolling Stoned ». Donc, tu vois, de nouvelles choses ont été injectées tandis que je m’apprêtais à redonner vie à ces chansons issues de ma vieille boîte en carton. On s’est donc retrouvés – moi, Harper et Trevor – à écouter toutes ces chansons et à sélectionner un par un tous les musiciens pour chaque titre, c’était vraiment cool !
Tu dis que ces chansons et l’idée du projet sont très anciennes, pourtant j’ai l’impression que le processus d’enregistrement a été très rapide, que les choses se sont concrétisées rapidement…
Absolument.
Qu’est-ce qui t’a donné ce coup d’accélérateur ?
Je pense juste que c’était le bon moment, tu vois… Vista Chino voulait enregistrer un nouveau disque, et j’ai dû dire non. « Maintenant c’est à mon tour »… Tous ceux qui connaissent un peu ma carrière savent que je ne reste jamais au même endroit très longtemps. Je suis toujours dans une sorte de processus d’exploration. Mais pour autant il faut toujours être actif, rester dans la partie : j’adore chanter, j’adore monter sur scène, aucun doute là-dessus. Mais on attend de moi des comportements ou des décisions qui ne sont pas forcément ceux que je souhaite adopter. Si tu es un « artiste » [ndlr : fais de gros guillemets avec les doigts en grimaçant…], un véritable « artiste », pourquoi ne restes-tu pas dans ta putain de chambre pour te chanter des sérénades à toi-même ?… Ce n’est pas un trip égoïste « moi moi moi moi moi », mais j’ai une relation avec ces chansons, j’ai une relation avec tous ces gens qui m’ont encouragé durant toutes ces années et sincèrement j’adore toujours autant chanter ! Que ça soit devant cinq personnes ou cinq cents personnes. Regarde : Unida joue ce soir en même temps que Black Sabbath, il est donc très probable que je joue devant moins de cinq personnes, mais je le ferai quand même, ça ne changera rien !
J’imagine qu’on a dû te dire, dans ton entourage, que privilégier ton projet solo n’était pas forcément un choix logique, étant donné que Vista Chino et Unida semblent avoir actuellement un bon potentiel commercial…
[Silence] On m’a dit parfois que ça pouvait nuire à une sorte d’héritage… Mais… Y a t-il des règles ?! Y a t-il des règles pour protéger « l’héritage » de quelqu’un ? Quel est ce putain d’héritage ? Comment quelqu’un peut-il sérieusement dire que je ne devrais pas faire ça pour ne pas nuire à mon « héritage » ?! Je n’arrive même pas à concevoir que quiconque puisse penser ainsi ! « Ca va nuire à ton héritage »… Putain, est-ce que tu as perdu ta putain de tête ?? [ndlr : difficile de retranscrire une phrase avec quatre « fucking »…] Tu es sérieux ?? Tu es en train de me dire que tu te considères comme une putain de légende et que tu vas détruire ton pseudo-héritage… Arrête de déconner… Enfin bref, j’arrête de déblatérer, je pourrai disserter pendant des heures sur tout çà…
Qui ont été les musiciens avec lesquels tu as enregistré l’album ? Considèrerais-tu cela comme un groupe ?
Non, ce n’était pas du tout un groupe. Tous ces musiciens individuellement très talentueux ont été sélectionnés un par un par Harper Hug, Trevor Whatever et moi-même, spécifiquement pour chacune des chansons. Tom Brayton, le batteur-percussionniste a joué sur tout le disque, et pour l’anecdote, il a tout fait en deux jours ; il l’aurait même fait en un seul jour, mais c’est nous qui n’étions pas prêts ! Mais sinon, tous ces gens, à l’image de Robby Krieger, Nick Oliveri, Mark Diamond et Tom Brayton des Dwarves, Chris Hale et Damon Garrison de Slo Burn, Dave Angstrom et Dandy Brown de Hermano… – je ne t’en cite que quelques uns – sont des gens dont nous nous sommes entourés pour nous aider à créer cette vision que j’avais.
Tu as annoncé il y a quelques semaines à peine le nom des musiciens qui allaient t’accompagner en tournée. Peux-tu nous les présenter brièvement et nous dire comment tu les vois prendre place dans ton projet musical ?
Bien sûr : il s’agit de Greg Saenz à la batterie, Mike Pygmie à la basse et Ehren Groban à la guitare. Et j’espère bien qu’ils continueront avec moi après cette tournée, en tout cas c’est mon but. Ils habitent tous dans le désert comme moi, ils ont tous des parcours et des profils différents, ils ont tous joué dans plusieurs groupes auparavant. On a commencé à répéter et ça fait du bien d’avoir un groupe local ! Unida est mon seul autre groupe dont les musiciens habitent les uns près des autres. Les mecs d’Hermano sont éclatés dans tout le pays, et c’est pareil pour Vista Chino et Kyuss Lives !… Etre capable un jeudi soir ou un vendredi soir de se dire « j’ai un nouveau riff, allons jouer là-dessus et jammer » – « OK, j’amène le barbecue et on mange sur place »… C’est un super feeling.
Dans quelle situation est-ce que cela place tes autres projets, dont tu viens de parler ?
C’est un peu le côté doux-amer de la situation pour moi : cette tournée de Unida sera la dernière que je ferai avant… un bon moment.
Ca fait combien « un bon moment » ?
Un long moment, un très long moment. J’ai garé Vista Chino dans un garage, Hermano est aussi dans le garage, et Unida va bientôt y atterrir aussi.
Et est-ce qu’ils vont tous être dans le même « garage » ou bien l’un d’eux est susceptible d’en sortir plus tôt ?
Je ne me pose même pas la question.
C’est vraiment “John Garcia” en priorité.
Absolument. Je suis très satisfait de ma situation actuelle. J’aime être à la place du conducteur, je m’y sens bien. Tu sais, j’ai toujours voulu faire ça, et c’est génial, enfin ! Ahhhh, la liberté…
J’aimerais maintenant discuter de quatre chansons un peu spéciales de ton album, à commencer par “Rolling Stoned” dont tu nous as parlé précédemment. On peut imaginer que ton album était susceptible d’intéresser pas mal de musiciens renommés, et pourtant tu as choisi de faire une reprise d’un groupe canadien peu connu…
Le statut ne veut rien dire pour moi. Leur attitude, leur tempérament et leur comportement ne sont pas “cools”, et j’aime ça : ils sont vrais, ils sont normaux, on peut les toucher, on peut les approcher et leur parler. Ils ne font pas partie du petit monde “cool”, et moi non plus : je ne traîne pas backstage en me la jouant rockstar, parce que je n’en suis pas une et ils ont exactement le même type d’attitude. Je n’ai aucune envie d’être cool, et eux non plus : ils ont juste envie d’être des maris, des pères de famille, des amis… Ce sont des gens normaux ! Ils ont fait la première partie de Vista Chino au Canada, à Edmonton, et ils ont joué cette chanson “Rolling Stoned”. Je n’avais aucune idée de qui il s’agissait, je rentrais juste dans la salle à ce moment-là, et je me suis dit : “Holy shit ! Mais qui sont ces gars ? Je veux reprendre ce titre, je me fous de qui il s’agit, je veux reprendre cette chanson”. Je suis allé les voir après le concert et je leur ai dit : “Je n’ai jamais dit ça à personne d’autre de toute ma vie, mais je vous adore, j’aimerais que vous veniez dans le désert et j’aimerais m’impliquer dans votre prochain album”. Alors ils m’ont regardé et m’ont dit : “tu as probablement bu quelques verres de trop, va faire un tour et passe une bonne nuit”. Et le lendemain, je leur ai dit que je n’avais pas changé d’avis, et mieux encore : je voulais reprendre “Rolling Stoned”.
Parlons de “5 000 Miles” : tu connais Danko Jones depuis longtemps, tu as chanté sur plusieurs de ses chansons en studio, tu as chanté en live sur certains de ses concerts… Est-ce simplement un juste retour des choses que de le retrouver sur ton album ?
Mais quel honneur, vraiment, je suis un fan de Danko. C’est un ami, et un gars super. Quand “Sleep Is The Enemy” est sorti [ndlr : le troisième album de Danko Jones] et que j’ai fait cette chanson avec lui [ndlr : “Invisible”], il m’a emmené en tournée avec lui juste pour chanter cette chanson avec lui. Quant à “5000 Miles”, on parlait énormément ensemble, de relations : nous avions nos femmes, je venais d’avoir ma fille, nous échangions beaucoup sur tout ça. Et ça m’a rappelé l’émotion que l’on ressent lorsque l’on rentre de tournée pour retrouver sa famille. Par ailleurs, il a aussi enregistré les parties de guitare pour cette chanson, chez lui à Toronto. Mais c’était une super expérience, un honneur, quel mec super…
“All These Walls” est une sorte de nouvelle incarnation de “Cactus Jumper”, un titre un peu obscur de Slo Burn. Pourquoi avoir choisi de reprendre ce titre méconnu ?
Bien vu [Sourire]. Cette chanson me parle, plus que d’autres… Je ne sais pas pour quelle raison, je ne connais pas la formule qui fait qu’elle me touche au cœur plus que les autres, mais en tout cas elle est toujours sortie du lot pour moi, je l’ai toujours adorée. C’est un peu comme si je lui avais dit : “J’ai une idée te concernant : je vais te mettre de côté et je te ressortirai plus tard”. Ce n’est pas une nouvelle version améliorée, c’est juste une version différente.
En as-tu changé les paroles ? On dirait que tu l’as fait partiellement…
Tu as raison, je ne les ai pas toutes changées. Pour tout dire, j’ai retiré les parties qui contenaient des grossièretés, je voulais que l’album au global ait une certaine “tenue”, pour ne pas dire une certaine classe. J’ai donc changé quelques paroles et je lui ai donné un titre qui me parlait plus.
Le dernier titre dont je voulais parler bien sûr est “Her Bullets Energy”. Comment Bobby Krieger [ndlr : guitariste des Doors] s’est retrouvé dessus ?
La base c’est ça : j’ai toujours adoré les Doors. Tu sais quoi, je ne connais personne qui ne soit pas un fan des Doors, personne qui ne soit un jour venu me dire un truc du genre : “Tu sais quoi : je n’arrive vraiment pas à apprécier ce groupe”. Quand j’ai écrit cette chanson, en 1989, si quelqu’un m’avait dit alors: “Hey, quand tu auras quarante-trois ans tu enregistreras cette chanson et Bobby Krieger viendra jouer de la guitare flamenco dessus”, j’aurais répondu : “Tu as pété un plomb, t’es complètement cinglé !”. Il y a quelques mois, en écoutant cette chanson, ce sont mes producteurs qui m’ont fait la remarque : “J’imagine bien une guitare hispanique sur ce titre” – “J’aime bien cette idée Harper, mais qui connais-tu qui joue de la guitare hispanique ?” – “Et bien, il y a Robby Krieger par exemple” et j’ai répondu : “Arrête tes putains de connerie… Haha, ça serait bien hein, super, wouhou ! Bon, et sinon, sérieusement, t’as des noms ?”. [rires] Mais il m’a dit qu’il connaissait Robby, et a proposé de lui faire écouter la chanson, pour voir s’il l’aimait… Et la première pièce du puzzle était posée. La seconde pièce c’est quand on nous a dit qu’il aimait la chanson, et on s’est donc retrouvés dans son studio à Glendale [ndlr : en banlieue de Los Angeles] pour l’enregistrer…
Mais il ne joue pas toutes les guitares de cette chanson, qui joue le reste ?
C’est vrai. Monique Caravello et Dandy Brown ont tous les deux joué les parties de guitare acoustique sur cette chanson, tandis que Robby a fait toutes les parties solo sur la chanson : c’est comme s’il avait fait des soli et improvisé sur tout le long de la chanson. C’était un moment monumental d’être dans le studio avec lui pendant qu’il jouait ses parties…
Ca filait la chair de poule, j’imagine…
La chair de poule, tu parles : je me chiais littéralement dessus oui [rires] ! Et puis c’est un mec vraiment sympa. Je ne joue pas au golf, mais lui si, beaucoup, et on a parlé de golf bien plus qu’on n’a parlé de la chanson ! Étant donné que j’habite dans un coin où il y a plein de golfs, il vient souvent y jouer, en fait, c’est rigolo…
As-tu déjà réfléchi à quoi vont ressembler tes setlists sur la tournée à venir, quels morceaux tu vas jouer ?
Oui. Évidemment je vais jouer des morceaux issus de mon album, une large part de l’album même. C’est normal. Mais je voudrais rajeunir un peu le set… Par exemple, je voudrais y mettre du Slo Burn. On va aussi bien sûr jouer quelques titres de Kyuss, mais des chansons que ni Vista Chino, ni Kyuss Lives, n’ont jamais jouées, et que même Kyuss, à l’époque, a peu ou pas jouées : des chansons que j’aime et que les fans ont rarement entendues. “Thong Song”, “Gloria Lewis” et même des instrumentaux comme “800”… Des titres un peu en dehors même de ce que Kyuss avait l’habitude de jouer, des chansons auxquelles les gens ne s’attendent pas. Tu sais, j’adore toujours autant un bon vieux “Green Machine” et les autres… Donc on va bien jouer quelques classiques, mais on va aussi injecter pas mal de nouveautés.
Après la sortie de “Universe”, leur dernier album pour le moins audacieux (et réussi), on a voulu intercepter les Truckfighters entre deux tournées pour parler du disque, de la carrière du groupe, de leur actu, etc… C’est Ozo, le bassiste et vocaliste du trio, qui s’y est collé !
Il y a eu cinq ans entre votre album précédent et “Universe”. Qu’avez-vous fait tout ce temps ?
On a surtout tourné, tourné, et encore tourné… Mais il y a aussi le fait que l’on a eu trois batteurs différents sur cette période ! L’air de rien, ça freine pas mal le processus d’enregistrement : à chaque fois qu’il nous fallait accueillir un nouveau batteur, on devait passer beaucoup de temps à répéter des “vieux” morceaux, ce qui prend du temps, mais ça ralentit aussi la dynamique créative… Mais il y a aussi le fait que nous nous étions dit dès le début que nous souhaitions prendre tout le temps nécessaire pour réaliser le meilleur album possible, on ne voulait pas faire la même erreur que certains groupes font parfois, à savoir se forcer à sortir un disque trop tôt pour répondre à la demande des fans, de leur label ou autre.
On a le sentiment que votre renommée a pris un coup d’accélérateur ces dernières années. On vous a notamment vus tourner dans des endroits où vous n’aviez jamais été encore. A quoi attribues-tu ce changement de voilure ?
Concernant nos tournées, tu as raison, nous avons pu aller dans des endroits où nous n’avions jamais pu aller jusqu’ici. Cela fait plusieurs années que nous recevons plus de demandes de concerts que nous ne pouvons en effectuer, donc naturellement c’est plus cool pour nous de jouer dans des endroits où l’on nous demande. Tu vois, on n’a pas la farouche volonté de jouer dans telle ville ou tel pays juste pour le principe. Et donc il y a des pays où nous allions moins, car on ne nous proposait que rarement d’y jouer. J’imagine juste que des pays comme l’Espagne ou la France ont juste été un peu longs à capter la “hype Truckfighters” [Rires]. En fait depuis quelques années, on a reçu plein de demandes en provenance d’Espagne et de France, donc nous avons enfin pu y aligner quelques séries de dates. Ce n’est pas plus compliqué ! Pour revenir à ta question, je fais la même observation que toi : nous aussi on sent que notre carrière accélère un peu plus chaque année depuis nos débuts, mais en fait de notre point de vue ça a toujours été ainsi, ce qui est très excitant comme situation ! On construit notre carrière lentement mais sûrement, en enchaînant les concerts surtout… Je pense qu’on en a fait environ 600 jusqu’ici !
Vous avez effectué plusieurs tournées aux USA et avez encore des dates prévues sur mars, mai, etc… C’est assez rare pour les groupes européens d’être aussi actifs sur le continent américain, comment l’expliques-tu ?
C’est vrai que nous partons sur notre troisième tournée là-bas en mars, puis une quatrième en mai plus tard cette année. Les USA sont toujours un nouveau marché pour nous, et c’est ENORME ! La plupart du temps nous attirons à peu près le même nombre de personnes là-bas pour un concert qu’ici en Europe, même si dans certains états on part de plus loin, c’est dans ce cas plutôt un retour aux “basiques”. Mais c’est ainsi que vont les choses, il nous faut probablement travailler autant aux USA que ce que nous avons fait en Europe pour que “ça arrive”. Avec un peu de chances, ça ne prendra pas dix ans ! [Rires] Mais les choses se présentent bien pour nous sur ce continent, ça serait super que ça marche.
Avec votre recul, comment voyez-vous le public américain par rapport au public européen ?
Et bien ils ne sont pas trop différents en réalité, le public est très similaire, en tout cas ces derniers temps. Je pense que nos fans sont super, et ils sont nombreux à sincèrement apprécier que nous venions jouer dans leur propre ville ou aux environs.
“Universe” est votre second album avec un seul guitariste. Sur l’album, il y a de nombreux plans avec deux guitares simultanées ou plus encore. N’avez-vous pas craint qu’il soit difficile de retranscrire ces plans en live avec la seule gratte de Dango ?
Non, pas vraiment. On n’a jamais voulu être l’un de ces groupes qui sonne sur scène exactement comme si on avait mis le CD dans la platine. Nous avons au contraire la volonté de sonner différemment, donc ça ne nous dérange pas du tout. Nous essayons de faire les meilleurs albums possibles, et pour cela, si nous pensons qu’il est opportun de rajouter un ou deux overdubs de guitare, ou d’ajouter des harmonies sur le chant, nous le faisons, sans nous préoccuper le moins du monde de la façon dont le morceau sonnera en live. Evidemment c’est fun de pouvoir jouer les morceaux en live avec les mêmes effets et arrangements, mais en général, même quand ça apparaît difficile de premier abord on y parvient à peu près avec un peu d’entraînement [Sourire]. Mais ça sonne toujours un peu différemment, et avec un peu de chance les gens apprécient à la fois les versions studio et leur déclinaison live, et le voient comme deux expériences différentes.
La production de “Universe” se focalise beaucoup sur le son de guitare, apportant une richesse et une variété très intéressantes. On peu penser ici ou là à des sonorités que n’auraient pas renié des groupes comme Tool, Mastodon, les premiers Dredg, … Est-ce que vous aviez en tête ces groupes quand vous étiez en studio ?
Hum… En réalité, on ne se préoccupe pas vraiment de ce que font les autres groupes. Nous faisons les choses comme nous le sentons, nous ne nous comparons jamais et nous ne tentons jamais d’obtenir un son proche de quelque chose, ou même de nature à rappeler un groupe ou un autre. En fait, nous faisons quasiment l’inverse : nous essayons de nous nettoyer complètement l’esprit et nous nous concentrons pour créer quelque chose qui vienne de notre corps et de notre âme, plutôt que d’être influencés par d’autres choses.
Qu’en fut-il des lignes de chant ? Là aussi, il semble que pour la première fois sur “Universe” les vocaux ont l’air d’avoir été très travaillés, et que tu aies considéré ton chant comme un instrument à part entière.
Même si ce n’était pas une volonté spécifique en commençant cet album, je voulais effectivement cette fois faire mieux que sur les albums précédents. Je fais partie de ces gens qui ne sont jamais complètement satisfaits. C’est usant parfois, étant donné que tu ne peux jamais être complètement content : tu essayes toujours de faire mieux. C’est probablement l’une des raisons qui font que l’on adore tellement jouer live : nous essayons toujours de nous améliorer, de faire les choses mieux, différemment.
Tu as participé aux deux derniers albums de Greenleaf en tant que “simple” chanteur. Dirais-tu que cette expérience t’a aidé à te focaliser sur le chant seulement, pour t’apporter cette nouvelle approche pour Truckfighters ?
Oui, absolument ! C’était une expérience superbe pour moi. J’adore les morceaux de Greenleaf, j’en tire une énorme fierté.
Pourquoi ne fais-tu plus partie du groupe ?
Greenleaf veut faire des concerts et des tournées, comme tous les groupes, c’est normal, et mon emploi du temps est très contraint rien qu’avec Truckfighters en ce moment. Il ne m’est plus possible de trouver du temps pour faire ça aussi bien que je le voudrais. Même si j’en aurais énormément envie, je n’ai tout simplement aucun temps à y consacrer.
Peux-tu nous dire une bonne fois pour toutes pourquoi vous avez tous ces surnoms ?
Dès nos débuts, Truckfighters a commencé comme un projet pour le fun. On n’avait pas encore cette idée tarée de prendre d’assaut le monde entier [Rires]. Du coup notre objectif était juste de jouer la musique la plus fuzzée et “stonerizz” possible, ce n’était pas fondamentalement sérieux, et il y avait beaucoup d’humour dans notre démarche. Du coup, pour chanter des morceaux qui parlaient de traverser le désert en bagnole pour rejoindre le Mexique,qu’est-ce qui aurait mieux sonné pour ce projet que d’avoir des noms mexicains ? [Rires] C’était le bon vieux temps. Puis nous avons commencé à beaucoup tourner, et le groupe a poursuivi son chemin… mais les surnoms sont restés ! Voilà toute l’histoire. Nous jouons toujours dans Truckfighters parce que c’est le truc le plus fun que tu puisses imaginer. C’est vraiment la chose qui nous motive à continuer : nous pensons toujours que c’est super fun de jouer de la musique !
Tous vos albums sont sortis via votre propre label, Fuzzorama Records. Pourquoi ce choix plutôt que des labels plus traditionnels et bien établis dans le milieu ?
On en a eu marre d’envoyer des démos à plein de labels et de recevoir des réponses pourries. On a donc lancé Fuzzorama… mais on a toujours été très clair sur le fait que Fuzzorama ne serait pas uniquement un label qui permettra à un seul groupe de sortir ses propres chansons. Fuzzorama doit être un “vrai” label, qui sort les disques d’autres groupes, et qui se repose sur une structure robuste en termes de distribution et de promotion. C’est donc ça que nous avons fait ! [Rires]
Cette intention est d’ailleurs confirmée par l’annonce récente de la sortie de Valley Of The Sun sur le label…
Tout à fait. Il s’est passé plusieurs années durant lesquelles nous n’avons pas fait grand-chose sur Fuzzorama, mais l’unique raison était que nous n’avions pas de temps pour cela. Or nous avons désormais un nouveau management, ils nous aident aussi avec le label en tant que consultants. Nous avons donc trois sympathiques personnes de notre management, qui ont travaillé pour des labels comme Sony, Nuclear Blast, etc… qui nous aident désormais avec notre label. C’est une énorme amélioration. Le label nous appartient toujours et on travaille beaucoup dessus, mais on a désormais de l’aide pour le gérer, et ça rend notre vie de musiciens bien plus facile !
Est-ce que je me trompe si je dis que pour vous les prochains mois seront essentiellement dédiés à tourner ?
Non, tu as raison ! [Rires] On va tourner comme des dingues ! On a fait une tournée en Europe en février et mars, puis on part pour les USA pour deux semaines. On y repartira en mai pour quatre semaines. Après ça, on va faire quelques festivals cet été : je crois qu’on en a déjà une quinzaine bookés, et d’autres sont à venir, ça va nous faire un été super chargé… Puis on repartira en tournée en Europe à l’automne. Et au milieu de tout ça, on fera quelques concerts ici ou là… Oui, vraiment, 2014 sera très chargée pour Truckfighters !
Personne n’avait vraiment vu arriver ce livre : 232 pages de photos dédiées à “l’aventure” Vista Chino (avec les premières prises de vue qui ont commencé alors que le groupe n’utilisait même pas encore le nom de “Kyuss Lives!”), un tel “luxe” n’est pas partie courante dans notre genre musical de prédilection. Quel que soit l’avis que l’on porte sur le groupe, sa musique, force est de reconnaître l’ampleur et la qualité du travail fourni par la photographe, Katrin Saalfrank, dédié à l’un des groupes majeurs du genre. C’est assez rare, voire inédit, pour être signalé. A ce titre, l’objet trouvera sa place dans la collection de tous les fans de stoner, qui pourront l’obtenir via son site (http://www.freedomrun-vistachino.com). Nous avons profité de l’occasion pour nous entretenir un moment avec Katrin Saalfrank, la photographe à l’initiative du projet.
Peux-tu te présenter et nous présenter ton parcours en tant que photographe ?
Katrin Saalfrank : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai été élevée avec autour de moi des gens qui faisaient de la musique. Ils sont d’ailleurs tous toujours musiciens à l’heure actuelle, ou bien se sont tournés vers les métiers du son, de la lumière… J’ai donc commencé très jeune en faisant énormément de photo live mais aussi des portraits. Mais au bout d’un certain temps, j’ai commencé à ne plus ressentir le même intérêt à faire des photos de concert. J’en fais toujours un peu occasionnellement, mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est ce qui se passe derrière le rideau. Je me suis progressivement plutôt intéressé au métier des gens, leur vie, l’environnement dans lequel tu peux voir qui ils sont vraiment. Un type de photographie plus proche du reportage, un regard plus approfondi sur les choses. Je me suis naturellement orienté vers les musiciens pour cela, d’abord par affinité personnelle avec cet art que je trouve superbe, mais aussi pour essayer de savoir pourquoi et comment ils le pratiquent, je trouve ça très intéressant.
Au-delà de Freedom Run avec Vista Chino, on trouve dans tes travaux plusieurs références aux musiciens de la scène “desert rock” (Dandy Brown, Gary Arce, etc …). Comment sont arrivées ces opportunités ?
C’est moi qui les ai contactés pour leur demander.
Est-ce lié à tes affinités musicales personnelles ?
Complètement, j’adore ce genre musical. J’essaye de suivre tout ce qui se fait dans ce genre surtout dans cette zone géographique, et ce depuis plusieurs années. La musique c’est avant tout de la passion et un esprit, et la photographie c’est la même chose pour moi. Je voulais donc rassembler les deux choses que j’aime le plus.
Parlons maintenant de ton livre Freedom Run. Qui en est à l’origine : toi-même ou bien le groupe ?
C’est moi.
Quand as-tu commencé à travailler sur le livre ?
J’ai commencé à faire des recherches et du travail préparatoire à partir de fin-2009, début 2010.
C’est intéressant, car à cette époque, ni Vista Chino, ni Kyuss Lives!, ni même Garcia Plays Kyuss n’existaient encore… Cela veut-il dire qu’en fait c’était essentiellement sur John Garcia que focalisait ton projet ?
C’était John et plein d’autres personnes… John est la première personne que j’ai contactée, et à l’époque il n’était pas du tout prévu qu’ils feraient Kyuss Lives!. Mais en réalité, les recherches que j’avais engagées portaient sur un autre projet, un autre angle, sur lequel d’ailleurs je travaille toujours en ce moment : un portrait des musiciens de la première et de la seconde générations du Desert Rock.
Comment t’y es-tu prise pour finalement faire valider ton projet et entrer en contact avec le groupe ?
Dès les débuts du projet, j’envoyais des tonnes d’e-mails pour rentrer en contact avec les musiciens. Je me heurtais à des barrières qui semblaient infranchissables, je ne recevais que des réponses négatives pendant des mois et des mois. Et puis un jour j’ai eu l’opportunité de rencontrer John à l’occasion d’un festival. Il s’est avéré qu’il se souvenait de mes mails, et il a suffit d’une courte conversation pour qu’il réalise que mon projet était sérieux, et à partir de là il m’a proposé son aide.
Combien de temps a duré ton travail sur ce projet ?
J’y ai travaillé jusqu’à août de cette année, on peut donc dire presque quatre années en tout.
Tu côtoyais le groupe à la période où a retenti le fameux procès[intenté par Josh Homme et Scott Reeder pour empêcher Garcia et Bjork de s’accaparer le nom de “Kyuss” pour leur seul profit]. Quel est ton point de vue sur ce sujet ?
Pour être honnête, je ne peux pas te dire quoi que ce soit de plus que ce que tu en as entendu ou lu un peu partout. Plusieurs points de vue ont déjà été relayés dans les médias. Je n’étais pas directement impliquée, je préfère donc me garder de tout commentaire et encore moins d’exprimer un avis qui ne serait que personnel.
OK, mais peux-tu nous dire au moins si tu as observé des changements durant cette période chez le groupe ?
Ca c’est sûr, le contraire aurait été complètement anormal et inhumain. C’était vraiment une période très dure pour tous ceux qui étaient impliqués.
Comment s’est organisé ton travail sur ce livre ? As-tu passé des périodes de plusieurs semaines non-stop avec le groupe, ou bien as-tu simplement assisté à quelques concerts ou événements ponctuels avec eux ?
Un peu des deux. Ces trois dernières années, j’ai passé un à deux mois par an en Californie. La tournée en revanche, et les photos live associées, c’était presque en une seule fois, avec quelques déplacements ici ou là ensuite.
Quel membre du groupe t’a le plus surpris, quand tu as eu l’opportunité d’apprendre à les connaître mieux chacun ?
“Surpris” n’est probablement pas le mot le plus adéquat… Chacun a ses mystères sur qui ils sont vraiment, ces mystères s’éclaircissant petit à petit pour moi au fur et à mesure que j’apprenais à les connaître.
Formulons différemment dans ce cas : peux-tu nous dire ce que tu as découvert dans le comportement ou l’attitude de chaque musicien du groupe ?
Bruno est le mec le plus tranquille que j’aie jamais rencontré, il a l’esprit le plus serein.
Brant est à la fois innocent, presque naïf, et très prévenant. Il pratique parfois la méditation avant ses concerts.
Nick adore Scorpions, et il est super nerveux avant ses concerts.
Quant à John, j’ai apprécié les discussions sérieuses que nous avions, et la confiance qu’il m’a accordée à partir de la minute où nous nous sommes rencontrés.
Quel est le souvenir le plus marquant ou l’anecdote qui te revient à l’esprit quand tu repenses à tout ce temps passé avec eux ?
Je n’en vois pas un seul qui ressort, il y a des tonnes de souvenirs superbes, à commencer par le fait d’entendre ces chansons chaque soir. Ce dont je me souviens tout particulièrement c’est le fait de me retrouver assise à quelques centimètres à peine de la grosse caisse de Brant alors que je prenais des photos, et le son est devenu si profond et puissant dans mon corps tout entier, c’était étourdissant ! J’ai aussi eu l’opportunité d’avoir des points de vue vraiment différents sur les choses, comme du dessus de la scène par exemple, c’était génial ! Ou alors juste être avec les gars pour une bière après un show… La tournée toute entière était tout simplement unique, avec des moments intenses, en particulier ces instants juste avant ou juste après le concert.
Justement, concernant les émotions retranscrites par ton livre, on voit souvent les musiciens un peu “ténébreux”, introspectifs, concentrés… Pas beaucoup de place accordée aux sourires, et des musiciens qui donnent l’impression d’être souvent seuls, isolés…
Ils étaient pourtant très contents, ils appréciaient chaque jour un peu plus de passer ce temps ensemble sur scène, mais aussi avant et après les concerts. Mais j’imagine que tout le monde a besoin de temps pour lui-même au cours de la journée pour recharger un peu les batteries et se préparer pour le concert du soir. Pour cela ils lisaient, se reposaient, discutaient avec leurs familles ou allaient simplement visiter. Le tour bus, c’est comme un sous-marin : tu es enfermé dedans pendant des heures et des heures chaque jour avec toujours les mêmes personnes, donc j’imagine que chacun est content de temps en temps de se retrouver un peu seul un moment…
Mais il y a quand même un choix éditorial, je pense, à mettre en avant une plus grande proportion de photos “sérieuses”, sur lesquelles on ressent les musiciens plus réfléchis, posés… Est-ce un choix de montrer par exemple cette part de mystère qui entoure les musiciens “iconiques” ?
Je n’y avais pas pensé ainsi, mais je pense que tu as raison, car j’avais ce sentiment très souvent quand je me retrouvais avec eux. Avec chaque photo que je prenais d’eux, j’avais le sentiment d’en apprendre un peu plus sur chacun d’entre eux. Le livre raconte donc aussi, d’une certaine manière, mon périple personnel pour apprendre à les connaître. Plus tu connais les gens, plus ta photo est profonde, presque intime. Ce n’est pas uniquement la prérogative du photographe de décider de ce qui va arriver, c’est l’interaction entre la personne devant et la personne derrière l’appareil photo. Mais il restera toujours une petite part de mystère au sujet d’une personne, qui que soit cette personne : un musicien, un ami, ou même ta maman.
Globalement, avec le recul, dirais-tu que ce projet a été compliqué ?
Je mentirais si je te disais non, car j’ai tout fait moi-même, qu’il s’agisse des prises de contact, de l’organisation, du concept, de la supervision de l’édition et de l’impression du livre, etc… Au début c’était vraiment utopique de ma part d’imaginer que je tiendrais un jour ce livre entre mes mains, mais au final ça s’est réalisé ! Sans le soutien indéfectible de plusieurs personnes clés, le livre n’aurait jamais abouti. C’était très dur parfois, mais c’était une super expérience dont je ne regrette pas la moindre minute. Je pourrais même dire que moi-même j’ai beaucoup changé au fil de ce projet, j’ai appris à mieux me connaître et j’en ai tiré des enseignements très importants.
As-tu prévu de continuer l’expérience ou la renouveler avec d’autres musiciens ?
Quand on rencontre Mario Lalli, on se frotte au mythique guitariste qui a inspiré les plus grands de nos groupes favoris, Kyuss en tête. Le bonhomme a croisé le fer avec certains des artistes les plus intéressants de la scène stoner, et continue d’influencer des tonnes de groupes et de musiciens. Pour autant, passés les premiers échanges, le gars fait redescendre immédiatement la pression : gentil, à l’écoute, affable, intéressant, honnête, accessible… “Boomer” est tout ça à la fois, et est surtout un passionné de musique, tout simplement, et ça transparaît dans tous ses propos.
On t’a retrouvé sur scène ce soir à jouer dans deux groupes différents au cours du même concert, comment t’es venue cette idée ?
Je joue avec Yawning Man depuis environ trente ans, ce sont des amis d’enfance, on a joué ensemble si longtemps… Et avec Fatso Jetson, ça fait presque vingt ans… Maintenant mon fils nous a rejoint à la guitare, il a grandi autour de tous ces mecs, qui sont mes meilleurs amis, il nous voyait à la maison jouer plein de trucs ensemble. Et pour revenir à ta question, Matte[Note : de Sound Of Liberation, tourneur de Fatso Jetson et accessoirement organisateur du Desertfest Berlin] est venu nous voir lors du festival Stoned From The Underground et nous a parlé de venir jouer au Desertfest avec Fatso Jetson. Je me suis immédiatement dit Wow, quelle incroyable opportunité de faire venir tout ce monde avec moi pour jouer. Mon cousin qui est bassiste au sein de Fatso Jetson [Larry Lalli] a été un membre de Yawning Man, il connaît tous les morceaux à la basse ou à la guitare, et mon fils aussi connaît la plupart des chansons… Donc mon idée à l’origine était de créer cette sorte de jam sans fin, avec des musiciens qui rentraient et sortaient durant le set. Mais quand on a commencé à confronter cette idée avec les contraintes propres à un festival, la gestion du backline et autres, on a un peu changé notre vision des choses. On est donc revenus à notre idée de faire cette super expérience avec tous nos amis, et voilà comment on en est arrivés là.
Comment s’est passé le concert, finalement, ainsi que celui à Londres hier dans la même configuration ?
Incroyable. Hier c’était super, on a eu notre première séance de dédicaces de toute notre vie, au magasin Vans : on s’est installés derrière une table et on a signé des trucs (rires). Et puis ils avaient installé une mini-scène avec des instruments, on a donc joué quelques morceaux. Ensuite on a juste traversé la rue, il y avait ce groupe anglais Yawning Sons, qui est en quelque sorte inspiré par Yawning Man : Gary Arce a monté ce projet avec ce groupe [Sons Of Alpha Centauri], et moi-même j’y ai contribué sur une chanson de leur album. J’ai donc été jouer sur cette chanson avec eux. Après ça, j’ai joué de la basse avec Yawning Man, puis de la guitare avec Fatso Jetson… Donc si tu comptes, entre le show au magasin Vans et la fin du Desertfest, j’ai joué quasiment cinq heures non stop ! (rires) Mais musicalement c’était super. Quant à ce soir c’était tout aussi bien, car évidemment je m’entends bien avec tous les musiciens avec qui je joue, et par ailleurs je connais tous les gens à la production, notamment Matte dont je te parlais tout à l’heure, et toute l’équipe. On était vraiment très très excités à la perspective de ces concerts, je te promets, on en tremblait presque, je suis sérieux, on était comme des piles ! On est super heureux, vraiment.
On ne vous avait quasiment jamais vus durant la dernière décennie en Europe, or vous enchaînez la seconde tournée de Fatso Jetson chez nous en moins d’un an ! Qu’est-ce qui est à l’origine de cet heureux changement ?
En fait j’avais un restaurant / night club à Los Angeles. Or quand tu gères ta propre boîte, en particulier un night club, c’est complètement impossible de partir en tournée, et le simple fait de jouer de la musique est très difficile. C’était genre à chaque fois qu’on nous bookait un concert, c’était forcément à Los Angeles, et je devais toujours répondre : “J’adorerai faire ce concert, mais je dois fermer mon bar avant, et on ne peut aps commencer à jouer avant minuit, voire une heure du matin au mieux” (rires). Ca ne le faisait pas du tout… Mais maintenant c’est fini, le restaurant c’est fini, et d’ailleurs, quel jour sommes-nous ? Le 27 ? Et bien dans deux jours, ça fera exactement un an que l’on a arrêté le restaurant. Et la dernière tournée que nous avons faite ici l’an dernier, c’était à peine deux semaines après que l’on ait arrêté. Donc à partir de maintenant, j’espère qu’on jouera de plus en plus. J’ai cinquante ans maintenant, je ne sais pas pour combien de temps – enfin je sais que je n’arrêterai jamais… Et puis j’ai mon fils maintenant, il n’a que seize ans, donc si jamais je deviens trop fatigué, il aura la force de continuer, alors je me fais fort de lui faire partager toutes ces expériences.
Tu as été impliqué à différents degrés dans de très nombreux groupes ou projets. Considères-tu néanmoins toujours Fatso Jetson comme ton groupe principal ?
Oui, je le pense. C’est ma famille, tu sais, avec mon cousin, mon fils… Yawning Man est tout aussi important pour moi. Le seul petit problème… Non, c’est un gros problème, en fait, c’est que nous vivons à deux heures de route avec les mecs de Yawning Man. Or pour moi, faire partie d’un groupe, c’est jouer tout le temps. Pas toujours jouer des concerts, mais surtout aller dans le garage, et jouer, jammer, se laisser aller à faire de la musique ensemble. Ca doit faire partie de ma vie, de manière continue, régulière. Avec Fatso Jetson c’est comme ça que ça se passe, c’est ce qui le rend spécial à mes yeux. En plus, je compose activement, c’est moi qui organise tout autour du groupe… Donc oui, je dirai que c’est mon groupe principal, même si je ne me pose jamais trop la question en ces termes…
Puisque tu parles de famille, peux-tu nous en dire plus sur le projet Auto Modown ?
Ouais, et pour tout te dire, j’espérais presser des CD pour les emmener avec moi sur cette tournée, afin d’en donner un peu à tout le monde, mais j’ai dû dépenser tant d’argent pour faire des tee-shirts pour cette tournée, et emmener nos propres CD, que je n’ai pas pu le faire. Mais je pense qu’on a peut-être suscité l’intérêt d’un label italien pour sortir le disque [Note : enregistré chez son pote Scott Reeder l’an dernier] , une version vinyl et une en téléchargement. C’est un super disque, on en est très fiers. C’est 100% instrumental, du hard rock instrumental. Ca ne ressemble en rien à Yawning Man, c’est très heavy. Ca serait vraiment super pour le Desertfest, ce serait le groupe parfait !
OK on va faire passer le mot !
Ouais, fais ça !(rires) L’autre léger problème avec Auto Modown, c’est que le batteur lui aussi n’a que seize ans, alors je devrai partir en tournée avec deux gamins ! (rires) Déjà que j’ai dû sortir mon fils du lycée pendant deux semaines, je dois lui faire faire ses devoirs dans le van, tu imagines le genre de plans ! Mais plus sérieusement, le truc important c’est que c’est moi qui joue dans le groupe de mon fils, et non l’inverse.
Quelles vont être les prochaines sorties d’albums que l’on peut attendre de ta part ?
Un album de Fatso Jetson, puis un album de Yawning Man, on est en train de composer… On a sorti un split pour cette tournée qui donne un avant-goût de ce que l’on peut attendre du prochain Fatso Jetson. Mais on va faire un vrai album bientôt. On va aussi tenter une nouvelle expérience en faisant quelques clips vidéos avec un artiste de Los Angeles : c’est un truc que l’on n’a jamais fait. Tu sais, toutes les vidéos que tu vois de nous sur Youtube, ce sont des mecs qui font ça chez eux dans leur coin, on n’en est jamais à l’initiative, donc ça sera un réel changement, c’est très excitant. Et concernant Yawning Man, on va enregistrer un nouvel album pour Tee Pee Records.